Mercredi 15 novembre 2023

- Présidence de M. Philippe Paul, vice-président -

La réunion est ouverte à 9h30.

Projet de loi de finances pour 2024 - Audition de l'amiral Nicolas Vaujour, chef d'état-major de la marine

M. Philippe Paul, président. - Amiral, mes chers collègues, je vous prie de bien vouloir excuser l'absence du président Cédric Perrin, qui accompagne le Président de la République dans le cadre de sa visite d'État en Suisse.

Amiral, je tiens en premier lieu à saluer votre prise de fonction le 31 août dernier comme nouveau chef d'état-major de la marine. Après avoir été notamment commandant de la frégate de défense aérienne Chevalier Paul, puis sous-chef « opérations » à l'état-major des armées, en charge de l'ensemble des opérations des forces françaises, vous succédez donc à l'amiral Pierre Vandier, nommé major général des armées.

Nous sommes donc très heureux de vous entendre ici pour la première fois et je ne doute pas que votre parcours récent vous a parfaitement préparé aux défis de l'actualité brûlante du moment. Les événements tragiques au Proche-Orient ne viennent que dégrader un peu plus un contexte géopolitique extrêmement préoccupant.

L'examen du projet de loi de finances pour 2024 constitue, comme disent les financiers, un premier « stress test » de la loi de programmation militaire pour la période 2024-2030. Vous nous direz donc si cette première année d'application de la LPM est conforme aux attentes de la marine nationale.

Le format de nos forces navales, déjà ancien puisque défini il y a dix ans, repose sur un porte-avions et quinze frégates de premier rang. Vous nous direz dans quelle mesure et dans quelles limites vous pouvez mener de front plusieurs théâtres de crise ou d'engagement, sans négliger les moyens mobilisés sur la façade atlantique au profit de la force océanique stratégique.

Outre la présence permanente d'une frégate de premier rang en océan indien, combien d'autres zones nécessitent-elles que nous affirmions notre présence ? La Méditerranée orientale en est une - j'ouvre une parenthèse : dans quelle mesure l'immobilisation actuelle du Charles-de-Gaulle pénalise-t-elle le rôle de la France dans la région et quand peut-on espérer son retour en service actif ? Nous voyons dans le même temps les États-Unis déployer deux groupes aéronavals dans cette zone.

Dans l'intervalle de cette maintenance du porte-avions, les moyens aériens de la marine sont-ils projetables sur un théâtre extérieur ?

Par ailleurs, nos frégates sont reconnues pour la qualité de leur détection sous-marine au profit de l'OTAN en atlantique nord. Quid de notre présence dans l'Indopacifique, où toutes les marines (chinoise, indienne, japonaise et coréenne notamment) accroissent considérablement leurs moyens ? Pouvons-nous être présents simultanément sur tous ces fronts avec des moyens suffisants, notamment en munitions ? J'ai à l'esprit la dizaine d'interceptions simultanées réalisée au-dessus de la mer rouge par la marine américaine sur une salve de drones tirés du Yémen vers Israël.

L'an dernier, après une mission de plusieurs de nos collègues en Nouvelle-Calédonie et en Indonésie, nous avions prôné un renforcement de nos moyens en adéquation avec notre stratégie indopacifique. En clair, quelle forme allez-vous donner à notre présence maritime au-delà du détroit de Malacca ?

Enfin, je voudrais évoquer un aspect du rôle tout à fait unique que remplit la marine nationale dans tout le spectre d'emploi de nos forces. Elle présente la particularité d'intervenir dans toutes les composantes, nucléaires et conventionnelles, de nos forces armées, ainsi que dans les trois éléments terre, air et mer. J'ajoute une autre responsabilité, assez méconnue, celle de gérer les douze réacteurs nucléaires de la propulsion de nos sous-marins et de notre porte-avions : cela fait de vous le deuxième exploitant nucléaire européen après EDF !

Si j'évoque ce sujet, c'est parce que le Délégué général pour l'armement, que nous avons entendu la semaine dernière, a mentionné que l'électricité produite par un navire était la principale limite du développement d'armes à énergie dirigée. Cette technologie de réacteur nucléaire aurait-elle vocation à se diffuser au-delà de ses usages actuels ?

Après votre propos liminaire, je donnerai la parole à nos rapporteurs pour avis, puis à l'ensemble de nos collègues.

Amiral, vous avez la parole.

Amiral Nicolas Vaujour, chef d'état-major de la marine. - C'est pour moi un honneur d'être auditionné en tant que chef d'état-major de la Marine. J'étais venu il y a quelques années en tant que sous-chef d'état-major « Opérations » de la Marine et je suis donc très heureux de l'opportunité qui m'est offerte de vous présenter les enjeux de ce PLF pour la Marine.

Comme vous l'avez souligné, nous disposons aujourd'hui d'une marine océanique de premier rang et sommes, dans certains domaines, parmi les premiers mondiaux, par exemple pour ce qui concerne la lutte anti-sous-marine. Nous disposons de savoir-faire de pointe reconnus par nos alliés et opérons tous les jours sur terre, sur mer ou sous la mer et dans les airs.

C'est précisément au service de ces forces déployées qu'est orienté notre travail quotidien. « Qu'avez-vous fait pour eux aujourd'hui ? » est la question que je pose chaque jour à mes équipes. C'est donc sous le regard des marins qui sont en mer, en opérations ou de quart dans les centres à terre que je place cette audition.

Pour commencer, permettez-moi de revenir sur la situation stratégique : quelle est la menace ? Qu'est-ce qui se joue en mer aujourd'hui ?

L'actualité pousse à tourner en premier lieu les yeux vers la Méditerranée orientale, l'attaque d'Israël par le Hamas étant le dernier évènement du déséquilibre stratégique. Dès les premiers jours de conflits, on a constaté une augmentation conséquente du nombre de navires présents sur zone. Cela montre que le dialogue stratégique se joue en partie en mer. La présence de deux groupes aéronavals américains en Méditerranée orientale dans les premières semaines du conflit n'était pas fortuite. Elle avait bien pour vocation de dissuader d'un élargissement du conflit.

Le deuxième retour d'expérience concernant ce théâtre porte sur la problématique des accès. La question est : comment accéder à la zone ? A partir de quel port ? Avec quels alliés ? Nos accès ne sont plus garantis par défaut. C'est une stratégie que je veux développer pour la Marine sur la base de cette question : quels sont les points d'accès dans le monde qui, en fonction des crises prévisibles, nous serons garantis le jour où la situation se dégradera ? Il faut étudier maintenant la façon de consolider nos accès. Pour ce qui concerne la crise actuelle au Proche-Orient, nous avons été présents dès le premier jour, notamment pour disposer d'une autonomie d'appréciation dans la zone. Nous avons déployé à la fois des frégates et le porte-hélicoptères amphibie (PHA) Tonnerre de façon à disposer de la meilleure information possible. Les navires au plus proche de la crise sont un peu nos sentinelles de la mer. Ils permettent d'observer et de comprendre ce qui se passe.

Troisième retour d'expérience : lorsqu'émerge une crise, on se trouve avec une forte concentration de navires de tous types et de toutes nationalités dans une zone très restreinte. Quand il s'agit d'alliés, on se coordonne, mais quand ce n'est pas le cas, cette concentration peut générer de l'incompréhension. Cela nous impose d'être prêt à réagir à toutes les situations, et en particulier à un éventuel dérapage.

Ce conflit en Israël vient s'ajouter à la situation de l'Ukraine. Indéniablement, ce conflit consacre le retour de narratif nucléaire. Cela montre s'il en était besoin que notre dissuasion doit être crédible, solide, souveraine. La dissuasion nucléaire est centrale dans notre positionnement stratégique. Faire appareiller un sous-marin nucléaire lanceur d'engins (SNLE) est une action peu visible pour nos concitoyens, mais qui est observée par nos compétiteurs. Chaque appareillage est un message stratégique. Plus que jamais, nous, marins, sommes mobilisés pour garantir la crédibilité opérationnelle de la dissuasion, notamment en garantissant la permanence à la mer d'au moins un SNLE. C'est un effort structurant pour la Marine.

Deuxième retour d'expérience pour l'Ukraine : c'est un conflit qui s'ancre dans la durée. Il pose aux Ukrainiens la question du rapport entre l'usure et la décision. L'exemple, c'est le drone qui ne coûte presque rien, mais qui vient saturer, « user » la défense aérienne de l'adversaire. Si la question nous était posée, il nous faudrait réfléchir à notre capacité à durer et à user un adversaire. Aujourd'hui, nous avons essentiellement misé sur des armes de décision. La vraie question est aussi de disposer d'armes d'usure capables d'épuiser un adversaire, de le fatiguer, de façon à déployer nos armes de décision au moment opportun pour remporter la victoire. Usure et décision : l'un ne va pas sans l'autre. Il y a probablement un nouvel équilibre à trouver de ce point de vue.

En quittant l'Ukraine et pour regarder plus au large, on assiste partout à ce que l'on peut appeler des « débordements de puissance ». Pour les contenir, il faut être présent, être capable de durer. Pour cela, il nous faut travailler avec des partenaires, coordonner nos déploiements, bénéficier des informations qu'ils recueillent et partager les nôtres avec eux. Il faut pouvoir adresser ensemble un message stratégique. Nous travaillons donc sur les partenariats dans la Pacifique, en océan Indien, dans le golfe de Guinée. Je reviens justement de Lomé, où la Marine togolaise a réuni quatorze chefs d'état-major des marines du golfe de Guinée sur dix-neuf afin de savoir comment répondre collectivement aux enjeux de cette zone.

En matière de travail avec nos partenaires, le maître-mot est l'interopérabilité. Une interopérabilité qui fonctionne est la somme de trois facteurs : la connectivité des équipements, des procédures communes et surtout de la confiance. La confiance se développe au quotidien. Nos partenariats se construisent sur le temps long.

Le dernier enjeu de ce rapide panorama stratégique réside dans la protection de nos côtes. La mer, qui voit une augmentation des usages licites ou illicites, devient en outre le réceptacle des débordements des crises ou conflits terrestres. La multiplication des usages de la mer conduit à une forme de territorialisation de l'espace maritime, qui met au défi nos capacités de surveillance et d'intervention. Mon enjeu est de conserver ma liberté d'action de chef militaire, de pouvoir diluer un SNLE tous les 70 jours, de faire appareiller le groupe aéronaval le jour voulu, d'entraîner nos forces dans des conditions réalistes, de développer de nouveaux armements, tout en protégeant nos concitoyens.

Dans le contexte que je viens de décrire, la Marine se voit confier trois grandes missions : mettre en oeuvre la dissuasion océanique souveraine et crédible, protéger nos espaces maritimes et nos côtes que ce soit en métropole ou outre-mer, et intervenir au large avec des moyens prêts à combattre.

Ce rapide panorama, sur lequel nous pourrons revenir, impose une ambition rehaussée. La LPM a fixé le cap, l'impulsion a été donnée. C'est avec cela que nous allons manoeuvrer. Ma responsabilité aujourd'hui est de mettre en oeuvre la LPM, d'utiliser au mieux l'effort consenti par la nation, pour garantir au chef des Armées une Marine prête à répondre aux missions qui lui seront ordonnées.

En premier lieu, je voudrais souligner que le renouvellement de la Marine est lancé. En 2030, nos forces auront un visage totalement différent. Par exemple, les réductions temporaires de capacité (RTC) consenties outre-mer sont en train de se résorber avec l'arrivée des nouveaux patrouilleurs outre-mer (POM). C'est une excellente chose. L'Auguste Bénébig, premier exemplaire de cette nouvelle classe, est nettement plus performant que son prédécesseur de type P400. Les POM suivants sont sur le point d'être livrés. Le deuxième finit son armement actuellement et va prochainement rallier son port d'attache à Tahiti.

D'autres segments sont en plein renouvellement, comme celui des bâtiments ravitailleurs de forces, avec les essais en cours du Jacques Chevallier. Nous sommes extrêmement contents de ce nouveau bateau, qui a été construit par les Chantiers de l'Atlantique. Trois ravitailleurs seront livrés au terme de la LPM 24-30 et un quatrième post-LPM.

Pour ce qui est du segment sous-marin, le Duguay-Trouin procède à des essais avant son admission en service actif. Ce sont d'excellents bâtiments. Je dis souvent que ces sous-marins nucléaires d'attaque (SNA) de la classe Suffren sont des « bêtes de guerre ». Ces nouveaux SNA sont extrêmement performants, notamment dans le domaine de la lutte anti-sous-marine, avec une discrétion acoustique remarquable. Ils disposent également de capacités qui seront des game changers: le missile de croisière naval tiré à partir d'un sous-marin permet d'atteindre des objectifs dans la profondeur sans être détecté avant le départ du missile. On peut aussi déployer des commandos à partir d'un mini-sous-marin déployé en plongée. Ceci va sensiblement améliorer notre capacité d'action.

Enfin, pour conclure ce panorama du renouvellement de la Marine, nous avons fait le choix de « droniser » complètement la fonction « guerre des mines » : des drones de surface mettent en oeuvre d'autres drones pour détecter, classifier et éventuellement détruire une mine. Nous devrions recevoir le premier équipement opérationnel en mars 2024.

Le renouvellement de la Marine passe enfin par la transformation et l'adaptation incrémentale des moyens existants, pour en tirer le meilleur parti jusqu'au retrait du service actif. L'objectif est d'éviter les « grandes marches » et d'assurer une mise à niveau continue au rythme de l'évolution du contexte et des évolutions technologiques.

Ce renouvellement capacitaire tire en avant la transformation de la Marine en matière de ressources humaines. Dans les prochaines années, les deux tiers des marins vont changer de génération de bateau. Ils passeront alors de la technologie des années 1980, que nous mettons encore en oeuvre sur certains bateaux, à l'ère du numérique, qui se généralise avec l'arrivée de nouveaux navires. Cette transformation impose un équilibre subtil, car tout change sauf la mer. Nous devons donc repenser nos spécialités tout en conservant les fondamentaux.

L'autre défi du quotidien réside dans la disponibilité de nos unités. On y travaille d'arrache-pied. L'arrêt technique actuel du Charles-de-Gaulle prend fin et doit permettre de redonner du potentiel au navire pour durer jusqu'en 2027, date du dernier arrêt technique majeur avant son retrait du service actif (RSA) prévu en 2038. Cette année a également vu la fin du chantier de la Perle, revenue dans le circuit des navires opérationnels après le dramatique incendie de juin 2020. Je crois que la Marine, le Service de Soutien de la Flotte (SSF) et Naval group peuvent collectivement être fiers du travail accompli au cours de ce chantier inédit.

La LPM est un socle qui garantit la cohérence format mission. Il nous faut par ailleurs nous adapter à la réalité des enjeux, en utilisant tous les leviers qui nous sont offerts. Ma directive aux marins est qu'il faut agir avec détermination dans le temps long, tout en restant agile dans le temps court. Pour les plus marins d'entre vous, je dirais qu'il faut à la fois épauler la houle, tout en gérant la mer du vent.

Le premier enjeu est celui de la préparation au combat. Il conduit à repenser nos entraînements, en rehaussant le niveau d'exigence, de réalisme et de complexité. Cela passe notamment par des tirs de munitions complexes, en cherchant des scenarii permettant de tester nos capacités réelles, en force constituée, dans des environnements complexes ou déniés. On peut à ce titre citer le tir MM40B3C de l'Alsace au mois de septembre dernier. Ou encore, après le succès de POLARIS 21 et d'ORION 23, l'objectif d'ouvrir davantage encore ces entraînements de haut niveau à nos partenaires. Ainsi, POLARIS 24 en mai 2024 sera co-organisé avec la Marine italienne.

Dans le domaine technologique, le prochain grand virage de la Marine est celui de la donnée. Pour s'approprier cet enjeu, on a créé une forme de start-up à Toulon : le centre de service de la donnée Marine (CSD-M), qui mêle marins et data scientists. L'enjeu est de gagner du temps au combat. Par un traitement massif et automatisé de la donnée, nous serons capables de comprendre avant l'ennemi, de décider à temps pour garder l'initiative.

Le dernier levier de transformation porte sur les ressources humaines. Il faut donner aux jeunes l'envie d'entrer, de rester et de progresser dans nos rangs. A cette fin, le recrutement a été élargi à tous les profils, par exemple en ouvrant un nouveau BTS à Cherbourg pour les spécialités liées au nucléaire. Quinze places étaient offertes sur Parcoursup : nous avons eu 250 candidats ! Ce BTS rencontre un beau succès.

Pour conclure sur ce volet RH et dans la lignée de l'impulsion donnée par le Ministre, nous devons repenser l'emploi de notre réserve. Au regard, tant des besoins de la Marine, que du lien à la nation, l'ambition est de créer une réserve jeune d'emploi, tout en augmentant le maillage territorial de la Marine. C'est notamment ce que porte la création des flottilles côtières.

Mesdames et messieurs les sénateurs,

Les enjeux sont nombreux. Soyez assurés de la détermination de la Marine à être à la hauteur des défis posés par le monde qui vient. Je demande aux marins de cultiver un état d'esprit : celui de l'audace. Il faut se réapproprier notre capacité à prendre des risques et à les maîtriser. Il faut oser pour vaincre. C'est la devise du Chevalier Paul, que j'ai commandé et je suis heureux de vous la partager pour conclure ce propos introductif.

M. Philippe Paul, président. - Merci. La parole est aux rapporteurs.

M. Pascal Allizard, rapporteur pour avis. - Amiral, 190 millions d'euros en autorisations d'engagement sont inscrits au budget 2024 pour le lancement de démonstrateurs. Dans le domaine naval, ces crédits permettront notamment le financement d'un démonstrateur de drone sous-marin océanique et d'une démonstration de coopération entre drones et sous-marins. Ces deux projets répondent-ils bien aux besoins prioritaires exprimés par la marine ? Par ailleurs, au regard du coût très élevé de certains démonstrateurs, cette enveloppe vous semble-t-elle suffisante ?

Mme Gisèle Jourda, rapporteure pour avis. - Amiral, le projet de corvette hauturière European Patrol Corvette, qui vise le remplacement des frégates de surveillance, bénéficie d'un soutien du fonds européen de défense à hauteur de 60 millions d'euros au titre des études et du design. Pourriez-vous nous indiquer où en est cette coopération qui réunit la France, l'Italie, la Grèce, l'Espagne, la Norvège et le Danemark ? Comment se passe le dialogue entre les industriels des différents pays et si la mise à l'eau d'un prototype à l'horizon 2027 est toujours d'actualité ?

Amiral Nicolas Vaujour. - Je crois beaucoup aux démonstrateurs. C'est comme cela qu'on avance. À quoi une innovation peut-elle servir ? Si on ne la met pas en oeuvre, on n'arrivera pas à répondre à cette question. Lorsqu'on a monté notre start-up dans le domaine de la donnée, on ne savait pas exactement vers quoi on allait, mais on savait qu'on allait trouver quelque chose. Nous avons progressé en développant des cas d'usage. C'est à cela que servent les démonstrateurs. Le drone océanique est par exemple une vraie question. Va-t-il permettre de mieux protéger les côtes ? S'agira-t-il d'un drone projeté ? Jusqu'à quel point est-il capable de pister un sous-marin ? Peut-il rendre compte ? Comment le recharger ? Lui faut-il une arme ? Les démonstrateurs vont nous aider à répondre à ces questions.

Pour ce qui concerne le projet l'European Patrol Corvette (EPC) il est essentiel que l'on travaille entre Européens. Ce projet EPC rassemble la France, l'Italie, l'Espagne, la Grèce et la Roumanie. Nous avons récemment signé le common staff requirment, qui correspond à l'expression du besoin. Ce projet a pour vocation de développer les briques technologiques qui pourront être utilisées pour concevoir et construire un navire. C'est une très bonne chose.

M. Hugues Saury, rapporteur pour avis. - Amiral, comment faire de l'IA un facteur de succès dans les opérations navales futures, tout particulièrement pour les hubs embarqués sur les frégates ?

Par ailleurs, la France a choisi d'assumer le rôle de nation-cadre en matière d'assistance sanitaire civile à Gaza. Un premier porte-hélicoptères a été envoyé et un deuxième devrait suivre. Comment la marine se prépare-t-elle à assumer ces sollicitations nouvelles et répétées sur les plans fonctionnel et budgétaire ?

Enfin, la faible capacité d'accueil du Tonnerre a été mise en avant, malgré une soixantaine de lits et deux blocs opératoires embarqués. Considérez-vous qu'un effort doive être réalisé afin de renforcer sa capacité, notamment sur le plan humain ?

Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure pour avis. - Amiral, la composante marine du système de combat aérien du futur (SCAF) constitue une capacité non négociable du projet pour la France. Qu'attendez-vous du futur chasseur NGF et de l'articulation avec les effecteurs déportés ?

Dans l'Arctique, la compétition des puissances est réelle, accentuée par le réchauffement climatique et dévoile au fur et à mesure des terres et des fonds marins exploitables. La Russie et la Chine sont très présentes. Comment percevez-vous cette évolution, tant au niveau national que sur le plan européen pour définir une stratégie polaire pertinente ?

Enfin, la Turquie vient de mettre en service un nouveau porte-drones et réfléchit à lancer un second bâtiment qui pourrait accueillir une cinquantaine de drones. Que pensez-vous de ce type de bâtiment et d'armement ?

Amiral Nicolas Vaujour. - Aujourd'hui, la question de la victoire ou de la défaite est une affaire de temps. L'IA doit d'abord permettre de comprendre avant l'adversaire ce qui est en train d'arriver, en croisant les données auxquelles on a accès et en les partageant afin d'avoir un temps d'avance. C'est ce qui permettra à la fois de conserver l'initiative et d'avoir la capacité à porter l'effet décisif au bon moment. Ce que l'on vise avec l'intelligence artificielle, c'est d'atteindre la supériorité informationnelle, qui détermine la supériorité décisionnelle, elle-même facteur de supériorité opérationnelle.

S'agissant de la mission du Tonnerre, il a appareillé rapidement pour être en mesure de réagir en fonction de ce qui se passait dans la bande de Gaza, et afin d'apporter une autonomie d'appréciation à nos autorités militaires et politiques. S'agissant des capacités internes du porte-hélicoptères amphibie (PHA), celui-ci dispose de deux blocs opératoires et de lits médicalisés. Un deuxième PHA, le Dixmude, est en alerte. Il n'a pas encore appareillé. Il y est prêt, avec une capacité adaptée, notamment dans le domaine médical. Ce qui nous importe, c'est de proposer au chef d'état-major des Armées et au président de la République des options militaires.

Pour ce qui est du SCAF, on entre dans une nouvelle ère de la chasse embarquée. Il faut prendre un peu de recul et se rappeler que l'histoire du Rafale n'a pas toujours été simple. Je me souviens des critiques sur cet avion au début de sa vie, alors qu'il rencontre aujourd'hui un beau succès tant en opérations dans les armées françaises, qu'à l'export. Au-delà des critiques, notre enjeu est que le SCAF embarque sur le porte-avions de nouvelle génération. L'Armée de l'air et de l'espace, la Marine, la DGA, Dassault et Naval Group travaillent à cela au quotidien. Ce nouvel appareil disposera d'une capacité à utiliser les drones comme moyen d'action déporté. Le porte-avions de nouvelle génération sera ainsi nativement porte-drones, tout en offrant une capacité de projection de puissance.

Pour ce qui est de l'Arctique, nous avons conservé notre savoir-faire de navigation dans les glaces. Nous disposons de commandants qui savent opérer des bateaux et des brise-glaces, notamment grâce à l'Astrolabe, qui ravitaille les stations polaires en Antarctique. L'entretien de ce savoir-faire est important.

M. Olivier Cigolotti, rapporteur pour avis. - Amiral, la disponibilité technique des matériels de la marine nationale présente des points forts, mais aussi quelques faiblesses.

De nombreux contrats verticalisés ont été passés récemment, et le PLF pour 2024 prévoit une autorisation d'engagement de l'entretien programmé des matériels pour financer de nouveaux contrats verticalisés. Pourriez-vous nous dire si vous avez d'ores et déjà observé une réelle remontée de la disponibilité technique en lien avec ces contrats ?

Dans le domaine de l'aéronautique, à quelle échéance attendez-vous une remontée de la disponibilité des aéronefs qui ont actuellement le plus de difficultés en la matière ?

Enfin, les assez bonnes performances en matière de chasse vont-elles être impactées par la mise au standard F4 des Rafale marine ?

Pouvez-vous nous faire un point rapide sur les études amont du porte-avions de nouvelle génération ?

Mme Michelle Gréaume, rapporteure pour avis. - Amiral, pour éviter le retour à terre et les immobilisations longues, la marine nationale a développé depuis quelques années le concept de maintien en conditions opérationnelles en continu des navires. Il s'agit de pouvoir réparer en cours de mission des pannes assez lourdes en mobilisant le savoir-faire des mécaniciens et des spécialistes à bord. Ceci suppose une certaine souplesse dans les relations avec les industriels, afin que la séparation théorique entre les différents niveaux de MCO n'empêche pas les équipages de réparer alors que la norme aurait voulu que cette réparation relève de l'industriel.

Où en est la marine nationale à ce sujet et, éventuellement, quels sont les freins, sachant que cette problématique devient plus prégnante, notamment avec la perspective de combats navals de haute intensité ?

Par ailleurs, pourriez-vous nous donner quelques détails sur la mission du PHA Tonnerre dans la bande de Gaza ?

Amiral Nicolas Vaujour. - La verticalisation nous a permis d'améliorer sensiblement la disponibilité de la flotte de Rafale Marine et c'est une très bonne chose.

C'est plus compliqué pour le NH90, il faut le reconnaître. Un groupe d'orientation et de décision a été créé avec l'industriel, la Direction générale de l'armement (DGA), la Marine et la Direction de la maintenance aéronautique (DMAE) pour trouver les bonnes options et augmenter le taux de disponibilité de cet aéronef. La dynamique semble positive. Cela nécessite un dialogue extrêmement poussé et exigeant avec l'industriel.

Pour ce qui est de l'Atlantique 2, nous sommes très contents du standard 6. On va arriver à la fin des rétrofits et avoir une flotte unique, ce qui permettra de simplifier l'équation du MCO.

S'agissant de l'impact du standard 4 sur la disponibilité du Rafale, à partir du moment où l'on envoie des avions en rétrofit, on diminue structurellement le nombre d'avions en ligne. Mon objectif est de maintenir malgré tout le nombre d'heures de vol. C'est essentiel pour maintenir la compétence des pilotes et entretenir le flux de formation.

Concernant le porte-avions, comme vous le savez, nous sommes aujourd'hui en phase d'avant-projet détaillé. On doit lancer en 2024 les premiers approvisionnements longs, notamment les chaufferies nucléaires.

L'objectif est d'arriver aux essais en 2036-2037, pour une admission en service actif en 2038. Il faut en même temps générer un équipage de porte-avions, faire un quai pour le bâtiment, aménager un bassin à Toulon, etc. C'est un beau challenge.

Je suis particulièrement attaché au MCO en continu, car il est gage d'efficacité et d'endurance à la mer. Il est extrêmement important de maintenir cette capacité à entretenir en continu les navires, bien que leurs équipements soient toujours plus complexes. C'est ainsi que l'on gagnera.

Enfin, le Tonnerre a plusieurs capacités. On réagira en fonction de l'évolution de la situation et du besoin. Le ministre des Armées est actuellement en déplacement sur zone.

Mme Marie-Arlette Carlotti, rapporteure pour avis. - Amiral, le chef d'état-major de l'armée de l'air et de l'espace nous expliquait la semaine dernière que la fidélisation dépendait en partie de sa capacité à recruter précocement dans les écoles de formation. Il fait le choix d'une sélection stricte au départ pour fidéliser davantage par la suite. Faites-vous le même constat ? Disposez-vous des moyens suffisants pour développer les offres de formation nécessaires qui vous fourniront des jeunes bien formés et désireux de rester plus longtemps dans l'armée ?

Pouvez-vous nous parler des filières nouvelles et des nouvelles écoles ?

Que faites-vous pour conserver dans la durée les éléments compétents, qui seront probablement rapidement contactés par le secteur privé, qui paye mieux, avec des sujétions moindres ? Je ne parle pas de la question indiciaire qui, pour nous, est très importante, mais des autres mesures, comme le plan famille ou le plan logement.

J'aimerais également que vous vous étendiez sur le plan « blessés ». Il me paraît complet, mais avance-t-il ? Contient-il des manques ?

Enfin, en fait-on assez pour resserrer le lien entre les armées et la Nation, et particulièrement la jeunesse ? Les campagnes de communication ont-elles une ampleur suffisante et touchent-elles leur cible ? On a beaucoup parlé de l'opportunité de jeux Olympiques 2024 comme tribune promotionnelle, mais on sait que ce n'est pas la seule. Il existe d'autres initiatives, comme l'Armada de Rouen, qui est devenue, en 2023, le deuxième événement le plus populaire derrière le Tour de France, avec six millions de visiteurs. Sait-on exploiter réellement ces occasions pour améliorer l'image de la marine en particulier et l'image des armées en général ?

M. Joël Guerriau, rapporteur pour avis. - Amiral, nous avons auditionné le chef d'état-major de l'armée de terre et le chef d'état-major de l'armée de l'air.

L'un a fait le constat de la difficulté de recruter, la demande étant inférieure à l'offre d'emploi dans l'armée de terre. L'autre nous a fait remarquer combien il était difficile de conserver ses talents par rapport à l'aviation civile et autres.

Qu'en est-il pour la marine ? Y a-t-il eu un certain assouplissement dans l'évaluation médicale ? Quelle est la situation selon les grades et les fonctions ? N'y a-t-il pas de risques qualitatifs liés à ce manque de volontaires ?

Pouvons-nous dire ce qu'il en est de la réserve opérationnelle embarquée ? Sa part est-elle suffisante ? Existe-t-il des défis à relever pour atteindre vos objectifs de réserve opérationnelle ?

Enfin, concernant la réserve citoyenne (RCIT), vous avez évoqué le fait de faire en sorte que la marine nationale puisse élargir cette présence. Cette réserve peut-elle vous servir comme ambassadeur de terrain, voire d'autres missions ?

Amiral Nicolas Vaujour. - Je suis assez en phase avec les constats qu'ont pu faire le chef d'état-major de l'Armée de l'air et de l'espace et le chef d'état-major de l'Armée de terre : recruter plus tôt permet de fidéliser davantage.

Bien que ce soit un combat de tous les instants, nous n'avons pas de véritable problème de recrutement. Nous avons ouvert l'ensemble des recrutements à tous les types de population. Le recrutement des mousses à 16 ou 17 ans, après la 3e, est un véritable succès. Cela permet à ces jeunes de se structurer, d'apprendre un métier et de s'engager. Certains restent dans la Marine. D'autres partent au bout de trois ou quatre ans, mais avec un bon bagage. C'est une excellente école ! Les BTS permettent, en partenariat avec l'Education nationale, de préformer un certain nombre de jeunes à des métiers directement exploitables pour la marine. C'est vrai dans le nucléaire, le numérique. Conserver les talents est extrêmement important, notamment dans les spécialités très techniques. Il faut donc établir un dialogue avec ceux qui les embauchent. La Marine est le deuxième exploitant nucléaire de France, avec douze réacteurs en service. Nous devons donc travailler avec les entreprises du nucléaire. Nous n'avons pas de problème a priori. Il s'agit de challenges, mais cela va bien fonctionner.

Concernant les blessés, leur suivi est indispensable. Il existe dans la Marine, avec une individualisation de la prise en charge sur le temps long, des vérifications pour savoir si on peut les réintégrer dans d'autres métiers au sein de la défense, un soutien des familles. On essaye de s'occuper des blessés au plus près et de les accompagner. Cela fonctionne grâce à des structures comme la Cellule d'aide aux blessés et d'assistance aux familles de la marine (CABAM) ou l'Association des oeuvres sociales de la marine (ADOSM), qui sont très réactives.

On a parlé de la jeunesse. Nous souhaitons ouvrir un certain nombre de nouveaux centres. Nous allons ouvrir une préparation militaire marine (PMM) en Seine Saint-Denis, à Suresnes et à Vendôme. Nous souhaitons également ouvrir une PMM en Guyane en 2024.

Pour ce qui est de la réserve, celle-ci étant aujourd'hui essentiellement structurée autour des anciens marins, ce qui permet de conserver une compétence technique dans certains savoir-faire. Certains réservistes sont embarqués à la mer et ont de vraies fonctions opérationnelles dans nos centres de commandement à terre. On a voulu procéder à un rajeunissement et rechercher des profils plus spécifiques. C'est là que la réserve peut apporter un certain nombre de réponses, notamment en embauchant des gens travaillant dans l'industrie, qui sont connectés à ces nouvelles technologies, de façon à former plus efficacement les marins.

Quatorze unités de réserve opérationnelle de la marine ont été créées cet été. Elles comptent entre 150 à 200 marins, qui sont mis soit à la disposition des commandants de forces pour générer des compétences auprès d'eux, soit, de manière plus spécialisée, affectés dans une unité de réservistes cyber, une unité de formateurs, une unité de MCO et de logistique en soutien aux ateliers. Cela va permettre de mieux drainer la réserve opérationnelle et d'atteindre des niveaux intéressants.

Quant à la réserve citoyenne, elle a un rôle d'expertise et permet d'apporter un éclairage extérieur sur des sujets parfois techniques. Les réservistes citoyens sont également des ambassadeurs. On en compte environ 500 dans la Marine. .

M. Philippe Paul, président. - La parole est aux commissaires.

M. Rachid Temal. - Amiral, êtes-vous favorable au fait de constituer une réelle puissance dans l'Indopacifique et avoir une base de cette nature à Brest ou Toulon, voire à Nouméa ou ailleurs ?

M. Olivier Cadic. - La recrudescence des incidents observés en mer de Chine est liée à une volonté du régime de Pékin de s'approprier un espace maritime international. Les accrochages récents entre les marines philippine et chinoise en témoignent.

La LPM prévoit que la France, seul pays européen présent dans l'Indopacifique, contribue à la défense du droit à la circulation maritime dans cette région, notamment en mer de Chine méridionale et dans le détroit de Taïwan, afin de préserver la paix et la stabilité de la région.

Comment envisagez-vous de mettre en oeuvre ces dispositions de la LPM ?

M. Jérôme Darras. - Amiral, vous avez évoqué l'emploi des réservistes et le déploiement de flottilles côtières pour 2024. Pouvez-vous nous apporter quelques précisions sur les missions de ces unités, le type d'infrastructures, d'embarcations et de matériels qu'elles nécessitent ?

Question subsidiaire : peut-on envisageait une unité dans le détroit du Pas-de-Calais pour contribuer au difficile problème de gestion de la traversée des migrants qui veulent rejoindre la Grande-Bretagne ?

M. Jean-Baptiste Lemoyne. - Amiral, vous avez évoqué le renforcement capacitaire outremer et les POM. Vous êtes également intervenu sur les nécessaires coopérations à développer avec certaines puissances.

Ma question porte sur les partenariats mis en place dans l'Indopacifique, leur intensification et leur multiplication : pouvez-vous nous en dire plus, ainsi que sur leur mise en oeuvre à travers des exercices pour parer à toutes les éventualités dans cette zone ?

M. Christian Cambon. - Amiral, votre prédécesseur est venu à plusieurs reprises devant cette commission pour faire part de ses inquiétudes concernant la période 2025-2030 à propos des capacités mises à disposition des forces armées - un porte-avions, trois porte-hélicoptères et quinze frégates de premier rang, dans lesquelles se trouvent les frégates multimissions (FREMM), les frégates de défense et d'intervention (FDI) et les frégates légères furtives (FLF), moins équipées, qui doivent progressivement être remplacées par les FDI, dont trois d'entre elles d'ici 2030.

Il existe néanmoins un véritable problème : dans le cadre d'une démarche commerciale qui peut être tout à fait comprise, nous avons vendu des frégates à la Grèce avec l'obligation d'accélérer le calendrier de livraison, la deuxième et la troisième FDI devant partir en Grèce. N'y a-t-il pas là un élément de tension ? Une négociation est-elle possible pour arriver à une alternance ?

Amiral Nicolas Vaujour. - En rencontrant mon homologues Philippin aux États-Unis en septembre, et m'étant déplacé aux Fidji l'année dernière lors de la conférence des chefs d'état-major des armées aux Fidji, j'ai pu mesurer l'état de tension qui existe dans cette zone et qui ne s'améliore pas. Il est certain qu'on a besoin de défendre la liberté de navigation pour l'ensemble des pays européens, et nous sommes investis dans cette manoeuvre avec des partenaires britanniques et italiens qui s'intéressent à une meilleure coordination de nos déploiements.

S'agissant des capacités déployées en propre à Nouméa et Papeete, l'arrivée des POM va clairement améliorer la situation. On envoie de plus en plus régulièrement des moyens dits du haut du spectre. Nous avons envoyé la Lorraine l'année dernière faire une grande tournée. Cette année, ce sera la Bretagne qui y part pour un exercice en juillet 2024, qui sera l'occasion de se coordonner avec l'ensemble de nos partenaires.

Nous créons également des exercices ouverts à tous nos partenaires. C'est un message important à nos compétiteurs, comme l'exercice dénommé « La Pérouse », dans le golfe du Bengale, avec l'Inde, l'Australie, la Grande-Bretagne, les États-Unis, « Croix du sud » autour de Nouméa ou « Marara », autour de Papeete, qui rassemble une dizaine de pays.

J'ai parlé de la stratégie d'accès. À partir d'où opérer, en fonction des crises qui peuvent survenir ? Tous les pays accepteront ils quoi qu'il arrive de nous permettre de nous ravitailler en missiles, de changer d'équipage, etc. ? Très souvent, on en arrive à se dire que La Réunion, Nouméa ou Papeete sont des places stratégiques face à ces scénarios de dégradation.

S'agissant des flottilles côtières, chacune sera dotée d'un véhicule, un semi-rigide et un drone. Une flottille côtière comptera 70 marins réservistes, commandés par des réservistes, qui seront capables de mettre en oeuvre ces moyens au profit de l'action de l'État en mer, en complément de la gendarmerie, des affaires maritimes, de la Marine nationale et l'ensemble des administrations. Ces flottilles seront composées de réservistes locaux. Cela dynamisera et complétera notre dispositif. On commence par la façade atlantique pour continuer par la façade méditerranéenne.

Quant aux frégates, monsieur Cambon, je sais que vous connaissez parfaitement le dossier. On est bien sur un format à 15 frégates, et on a absolument besoin de le maintenir. La LPM a tranché, avec un calendrier de réception et une première sortie en avril 2024 pour la première FDI . Deux FDI partiront ensuite pour la Grèce avant que la suivante n'arrive dans la Marine française. Le calendrier est aujourd'hui fixé par la LPM. Il permet de maintenir le nombre à quinze avec les trois frégates FLF rénovées.

M. Christian Cambon. - Les frégates furtives ne sont pas très bien équipées en termes d'armement.

Amiral Nicolas Vaujour. - Le programme de rénovation des FLF était concomitant de celui de construction des FDI. Il a fallu être innovant avec l'enveloppe financière allouée. Il fallait rénover le système de combat. On a pris le même que celui du Charles-de-Gaulle. Il fallait retirer le Crotale, devenu obsolète. On a pris le système SADRAL des frégates anti-aériennes qui désarmaient. C'est aussi cela innover.

On a réussi à redonner du potentiel à ces bateaux, avec des capacités certes différentes, améliorées dans certains domaines, un peu dégradées dans d'autres, mais qui nous permettent de tenir la trame à 15 frégates dont j'ai absolument besoin aujourd'hui, même si elles sont moins armées et ne seront probablement pas positionnées exactement de la même manière en fonction des crises auxquelles on doit faire face. À l'époque, nous avons été inventifs et créatifs.

M. Philippe Paul, président. - Amiral, merci.

Projet de loi de finances pour 2024 - Compte de concours financiers « Avances à l'audiovisuel public » - Programmes 844 - 848 (France Médias Monde) et 847 (TV5 Monde) - Examen du rapport pour avis

M. Philippe Paul, vice-président. - Je donne maintenant la parole aux rapporteurs pour avis sur les programmes 844 « France Médias Monde », 847 « TV5 Monde » et 848 « Programme de transformation ».

M. Roger Karoutchi, rapporteur. - Je le dis tout de suite, c'est avec réticence que je proposerai que nous donnions un avis favorable à l'adoption de ces crédits. Cela fait des années que nous disons qu'il faut augmenter les moyens de l'audiovisuel extérieur. Certes, le projet de loi de finances pour 2024 prévoit une hausse d'un peu plus de 5% des crédits pour France Médias Monde et d'un peu plus de 4% pour TV5 Monde mais compte tenu de l'inflation les moyens resteront en 2024 comparables à ceux accordés en 2023.

Cette situation ne peut plus durer compte tenu en particulier de la guerre informationnelle qui sévit en Afrique. Nous devons mettre plus de moyens si nous ne voulons pas être complètement distancés par le Royaume-Uni, la Chine et la Russie qui mobilisent des moyens considérables alors que notre influence recule. J'ai toujours dit que la réduction des langues de RFI était une erreur. Concernant les modalités de diffusion, France Médias Monde essaye de contourner les coupures de signal en diffusant ses programmes sur internet et sur les réseaux sociaux mais ce n'est pas la même chose.

Concernant le financement des programmes, le Canada a fait un effort particulier pour assurer le financement de la plateforme TV5 Monde + avec pour conséquence une proportion plus importante de programmes canadiens. Nous devrions mettre plus de moyens pour assurer notre influence.

Dans le contexte international actuel il nous faut changer de stratégie or nous conservons le même cadre.

On a demandé à ce que l'Agence Française de Développement (AFD) mette plus de moyens pour financer l'audiovisuel extérieur et elle commence à le faire. France Médias Monde est un outil formidable mais ses équipes sont contraintes par le cadre dans lequel elles exercent leurs missions.

Nous devrons être vigilants en 2024 à trois aspects en particulier.

La sécurité des journalistes et des autres collaborateurs doit demeurer une priorité. France Médias Monde a créé une direction de la sûreté qui permet de garder le contact et d'accompagner les personnels en mission.

Le deuxième aspect concerne l'indépendance de ces médias car dans de nombreux pays en tension il y a le risque que France Médias Monde apparaisse comme le représentant de l'État français.

Enfin, il y a le sujet de l'avenir du financement de l'audiovisuel extérieur à compter de 2025. Certains souhaitent réformer la loi organique sur les lois de finances et notamment son article 2 ou son article 6 mais il me semble compliqué de mettre l'audiovisuel public au même niveau que l'Europe ou les collectivités territoriales. Cependant on voit bien que le recours à des dotations budgétaires pourrait gêner France Médias Monde. Faut-il traiter différemment l'audiovisuel extérieur du reste de l'audiovisuel public ?

Je vous proposerai de donner un avis favorable à l'adoption de ces crédits car ils sont en hausse mais il faudrait un changement d'échelle. Seuls 5 millions d'euros sur les 69 prévus pour le programme de transformation bénéficieront à France Médias Monde tandis que 45 millions d'euros viendront alimenter France Télévisions. Il faut renforcer l'audiovisuel extérieur et ses équipes formidables.

M. Jean-Noël Guérini, rapporteur. - Compte tenu du contexte général qui vient d'être dressé par mon collègue rapporteur Roger Karoutchi, permettez-moi de vous apporter quelques détails sur la situation de chacun des opérateurs.

Concernant France Médias Monde tout d'abord, le PLF 2024 prévoit de lui accorder 304,2 M€ dont 5 M€ au titre du « Programme de transformation » et 30 M€ au titre de la compensation des effets fiscaux (fin du droit à la déductibilité de la TVA et assujettissement à la taxe sur les salaires). FMM bénéficiera en 2024 d'une augmentation de sa dotation budgétaire « socle » de 6,2 M€ qui doit lui permettre de préserver les activités et missions existantes tout en finançant partiellement les effets de l'inflation sur les charges.

L'entreprise devra donc en 2024 continuer à faire des choix si elle souhaite maintenir son résultat net à l'équilibre comme elle a réussi à le faire en 2023.

Dans ces conditions, le maintien de financements complémentaires constitue une nécessité renouvelée afin de poursuivre les projets engagés. C'est le cas notamment du projet Afri'Kibaaru lancé en 2021 avec le soutien de l'AFD qui prévoit la production d'une offre en langues africaines depuis Dakar. L'AFD contribue à hauteur de 3,3 M€ au financement de ce projet jusqu'en mars 2024 mais le renouvellement de cette contribution pour quatre années supplémentaires est encore en discussion.

FMM a, par ailleurs, lancé en octobre 2022 une offre 100% en numérique en ukrainien en s'appuyant sur les équipes de RFI à Bucarest.

France médias monde souhaite lancer en 2024 plusieurs « projets de proximité » dont les modalités de financement demeurent incertaines : un projet de hub à Beyrouth avec des professionnels locaux pour lutter contre les infox dans le monde arabe ; une offre 100% numérique axée sur la vidéo mobile et les réseaux sociaux à destination des publics turcophones et de nouveaux projets de proximité en Afrique avec une offre 100% réseaux sociaux pour les jeunes Africains et un décrochage de France 24 à destination de l'Afrique.

Nous regrettons que les moyens du Programme de transformation 848 ne puissent pas être mobilisés pour financer les projets de proximité en Afrique élaborés par France Médias Monde. Le groupe a déjà engagé sa propre transformation et la situation internationale lui impose d'abord maintenant un impératif de développement. Nous suggérons donc que les crédits du programme de transformation puissent également permettre de financer tous les moyens de diffusion que l'entreprise est obligée de déployer (satellite, réseaux sociaux...) pour contourner la censure dont font l'objet ses antennes, en particulier en Russie et en Afrique.

Un mot, enfin, sur TV5 Monde. La hausse de la contribution française de 3,2 M€ en 2023 (à laquelle s'ajoutait 0,6 M€ pour compenser l'assujettissement à la taxe sur les salaires) a permis de rattraper le retard de la France par rapport aux autres bailleurs et de prendre un peu d'avance. Elle a permis l'achat de programmes français notamment pour la plateforme TV5 Monde +, de compenser partiellement l'inflation de certains contrats et d'augmenter la masse salariale de 2,7 %.

Compte tenu de l'insuffisance des financements, des arbitrages sur les activités sont apparus inévitables en 2023. Le sous-titrage dans les deux mandarins a été arrêté et celui en allemand a été réduit en volume tandis que la filiale en Argentine, déficitaire, a été fermée.

TV5 entend poursuivre en 2024 ses priorités parmi lesquelles : le développement de la plateforme TV5 Monde + (+529 K€) ; la poursuite d'un premier projet de série quotidienne africaine en coopération avec le Bénin ; et la couverture des jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 et du sommet de la Francophonie de Villers-Cotterêts de novembre 2024.

Afin de mettre en oeuvre ses priorités, TV5 Monde devra poursuivre l'arrêt de certaines activités comme la diffusion satellitaire de TV5 Monde Style en Asie et au Maghreb-Moyen-Orient au cours du premier semestre 2024.

Les rapporteurs regrettent, compte tenu du contexte international, que le Gouvernement n'ait pas saisi l'opportunité constituée par la création du programme de transformation pour accélérer le financement de programmes locaux en Afrique qui constituent un moyen privilégié pour maintenir une influence au moment où la France se retrouve sur le recul dans plusieurs pays du Sahel. Un soutien plus affirmé de la France à la plateforme TV5 Monde + qui connaît ses plus importantes audiences en Algérie et au Maroc aurait également été très pertinent compte tenu de la nécessité de repenser nos relations avec ces deux pays.

Encore une fois, force est de constater que la politique en faveur de l'audiovisuel extérieur ne tient pas véritablement compte du contexte international et de l'impérieuse nécessité d'accroître les moyens de nos deux opérateurs.

Sous réserve de ces remarques, je propose également que nous donnions un avis favorable à l'adoption de ces crédits, même si nous ne pouvons qu'appeler de nos voeux une nouvelle donne dans notre politique étrangère qui donnerait la priorité à une véritable politique d'influence.

Mme Hélène Conway-Mouret. - J'aurais deux remarques à faire. Je suis tout d'abord complètement d'accord sur l'importance de ces chaînes. Je déplore l'absence de présence de France Médias Monde et TV5 Monde dans plusieurs bouquets à l'étranger qui proposent par contre la Rai et la BBC. Cette distribution insuffisante est la conséquence d'une insuffisance de moyens.

Je remarque par ailleurs que le choix fait par France 24 de développer plusieurs langues comme l'anglais, l'arabe et l'espagnol a pour effet de réduire la présence du français comme c'est le cas en Amérique du Sud où seul l'espagnol est disponible. On se prive d'un outil en faveur de la francophonie. Cela pose une question fondamentale et je déplore ce manque.

M. Alain Joyandet. - Le rapport qui vient de nous être présenté illustre une très bonne compréhension globale des enjeux. Je défends depuis longtemps le financement de l'audiovisuel extérieur par des crédits issus de l'aide publique au développement. Ne faudrait-il pas essayer de définir une stratégie cohérente ? On a le sentiment que l'on veut tout faire mais qu'au final on ne fait rien. On n'arrive pas à diffuser nos programmes partout dans le monde. L'ambition était de créer une CNN à la française mais on ne peut pas tout faire. Il faudrait une refonte globale car on ne peut avoir des programmes trop diversifiés.

Tous les pays avec lesquels on a des problèmes sont francophones, ce qui devrait nous amener à concentrer les moyens sur ces pays et le français.

M. Pascal Allizard. - Même si les crédits augmentent ne faut-il pas taper du poing sur la table ? Notre influence ne cesse de reculer notamment en Amérique latine.

M. Mickaël Vallet. - Concernant la place du français, faut-il déplorer que l'on s'exprime dans d'autres langues ? Le vrai sujet c'est que nous n'avons pas de politique linguistique globale qui prendrait en compte nos priorités nationales et internationales. Il faudrait une réflexion qui prenne en compte tous les aspects concernant l'apprentissage du français.

M. Rachid Temal. - Quel signe politique peut-on donner qui ne serait pas considéré comme un saut d'humeur ? Nous devons définir notre propre stratégie car il y a plein de questions que soulève notre politique linguistique. Nous voterons en faveur d'un avis favorable mais avec des réserves.

M. Roger Karoutchi, rapporteur. - En gros l'audiovisuel public bénéficie de 4 milliards d'euros. Après la suppression de la contribution à l'audiovisuel public on tâtonne faute d'avoir suffisamment réfléchit sur une ressource de remplacement pérenne. Je ne crois pas à une modification de la loi organique sur les lois de finances et on mesure la difficulté à obtenir des crédits de l'APE. Le gouvernement a également renoncé à une grande réforme de l'audiovisuel public qui aurait permis de redéfinir les missions et les moyens de chaque entité. Ce n'est plus la priorité du gouvernement et on reste dans les mêmes structures.

Tant qu'on n'aura pas fait de réforme globale on travaillera à la marge. La seule solution est d'augmenter les moyens de l'audiovisuel extérieur. Faute de moyens, les entreprises sont obligées de supprimer des activités comme certains sous-titrages ce qui réduit notre influence culturelle.

Le ministère de la Culture ne s'intéresse pas assez à l'audiovisuel extérieur tandis que le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères n'a logiquement pas de compétence globale. Il faut donc continuer à demander une réforme globale de l'audiovisuel public.

Il y a des millions de Français à l'étranger et des centaines de millions de personnes dans le monde qui souhaiteraient avoir accès à la culture française.

Il ne faut pas hésiter à réformer les projets qui ne fonctionnent pas comme la chaîne France Info qui a des audiences très faibles alors que France 24 avait proposé de réaliser une déclinaison nationale qui aurait coûté moins cher. Par ailleurs les déboires de France Télévisions à l'image de Salto sont autant de moyens en moins pour l'audiovisuel extérieur.

M. Jean-Noël Guérini, rapporteur. - Tout est une question de volonté du gouvernement. Or il ne met pas les moyens. Cela passe par une réforme de l'audiovisuel public et la nécessité absolue de la refonte de notre politique linguistique.

Mme Valérie Boyer. - A quoi cela sert-il de dépenser autant dans un magnifique château à Villers-Cotterêts si l'on n'a pas les moyens de diffuser nos chaînes internationales ? Il est essentiel d'alerter sur le fait que nous ne sommes pas d'accord. On ne peut accepter cet effacement.

M. Étienne Blanc. - Quels sont les moyens dont disposent nos compétiteurs ?

M. Roger Karoutchi. - La BBC a accès à la totalité des moyens de l'aide au développement. Les moyens que mobilisent les Russes en Afrique sont cinq fois supérieurs aux nôtres.

La commission a émis un avis favorable à l'adoption des crédits des programmes 844, 847 et 848 de la mission « Avances à l'audiovisuel public ».

Projet de loi de finances pour 2024 - Mission « Direction de l'action du Gouvernement » - Programme 129 - Coordination du travail gouvernemental (action 2 Coordination de la sécurité et de la défense, SGDSN, Cyberdéfense) - Examen du rapport pour avis

M. Mickaël Vallet, rapporteur - Les crédits du programme 129 que nous vous présentons chaque année, avec mon collègue Olivier Cadic, portent sur l'action relative à la coordination de la sécurité et de la défense, et plus précisément sur la cybersécurité et la lutte contre les manipulations de l'information.

Vous avez été destinataires des chiffres clés de la menace cyber et des principaux défis à relever pour 2024. Aussi, passerons-nous plus rapidement sur ces éléments pour nous concentrer sur nos principaux constats et recommandations.

Quelques mots sont nécessaires pour décrire l'industrialisation de la cybercriminalité et des manipulations de l'information.

Avec 831 intrusions avérées répertoriées par l'ANSSI en 2022, contre 1 082 en 2021, le niveau de la cybermenace semble marquer une pause. Mais comme nous l'a rappelé le Secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale que nous avons entendu en audition, il s'agit d'une pause en trompe l'oeil. D'une part, la gravité des attaques s'est accentuée, rendant nécessaire 19 opérations de cyberdéfense dont 9 d'entre elles ont caractérisé des modes opératoires affiliés à la Chine. D'autre part, la pression cybercriminelle demeure élevée avec un regain d'événements traités par l'ANSSI en hausse de 23 % au premier semestre 2023 par rapport à 2022, dont 50 % d'augmentation des extorsions de fonds sous forme de « rançongiciel ». S'agissant des particuliers, entreprises et collectivités territoriales (hors opérateurs d'importance vitale et opérateurs de services essentiels suivis par l'ANSSI), le GIP ACYMA en charge de la plateforme cybermalveillance.gouv.fr a vu sa fréquentation augmenter de 53 % en 2022 avec 3,8 millions de visiteurs (2,5 millions en 2021) et 280 000 demandes d'assistance contre 170 000 en 2021. On peut certainement remarquer que la cybermenace évolue, mais aussi que ce phénomène est maintenant mieux connu de la population.

Vous avez certainement tous observé dans vos circonscriptions des attaques sur les collectivités territoriales, les hôpitaux et le tissu des PME et TPE. L'objectif de « résilience cyber » défini par la revue nationale stratégique de 2022 prévoit une plus grande mutualisation des bonnes pratiques entre le public et le privé. Cela ne peut pas être que vertical. C'est tout un écosystème de cybersécurité qu'il convient de construire. C'est bien de le dire, et le Président de la République a clairement affiché des objectifs lors de son discours de Nice en janvier 2022 sur la sécurité. J'en rappelle ici les principaux volets. Il a annoncé, je cite : « un plan d'investissement technologique mais également de formation et de recrutement sans précédent au sein des forces de sécurité intérieure pour aller chercher les meilleurs profils issus de la société civile ». Ce plan comprend plusieurs dispositifs :

- la création d'une école de formation cyber au sein du ministère de l'intérieur pour former les policiers, les gendarmes et les agents des services de renseignement ;

- la mise en place d'un équivalent numérique de « l'appel 17 » afin que chaque citoyen puisse signaler en direct une attaque cyber et être mis immédiatement en relation avec un opérateur spécialisé. Au lieu d'un numéro de téléphone, il s'agit plutôt d'un signalement numérique ;

- la mobilisation des services de police et de gendarmerie dans les territoires pour sensibiliser les français, les entreprises, les collectivités à la menace cyber ;

- enfin, le déploiement massif d'un milliard d'euros d'investissements pour être plus performant dans la lutte contre ce nouveau risque.

C'est bien de le dire, maintenant il faut le faire et nous comprenons tous que ce sujet de coordination ne peut pas se limiter au cercle restreint des services de la Première ministre, SGDSN et ANSSI, mais qu'il faut réunir autour d'un même objectif tous les ministères et services concernés.

Je passe la parole à mon collègue sur les défis à relever en 2024, la question des moyens mis en oeuvre et la nécessaire coordination de l'ensemble.

M. Olivier Cadic, rapporteur - Après consultation de personnalités de la sphère publique comme du secteur privé, nous voyons quatre défis principaux pour le cyber en 2024. D'abord, assurer la cybersécurité des Jeux olympiques et paralympiques 2024 pour une question d'image internationale. Il n'y aura pas de deuxième place. Ensuite, coordonner l'ensemble des acteurs publics et privés de l'écosystème cyber autour d'une révision de la stratégie nationale de cybersécurité (la dernière datant de 2018) et du lancement en mars 2024 de la plateforme numérique « 17 Cyber » ouverte au grand public. Enfin, réussir la transformation de l'ANSSI en vue de la transposition de la directive NIS 2 (Network and Information Security). Celle-ci prévoit un accroissement du périmètre de compétence de l'agence de quelque 500 OIV à environ 15 000 entreprises dont le suivi constitue un changement d'échelle pour l'agence et nécessite une reconfiguration de son offre de services.

A ces trois défis s'ajoute un quatrième défi que nous avions développé dans notre rapport préparatoire à la LPM et qui concerne l'organisation, ou plutôt la réorganisation du dispositif de coordination pour répondre au « changement d'échelle » annoncé par l'ANSSI qui est de passer à une cybersécurité de masse.

Cette nécessité de refonte de la stratégie résulte des nombreux points d'attention que les services et entreprises que nous avons auditionnées ont soulevés, à commencer par un brouillard quant à l'organisation de la réponse aux incidents cyber entre l'ANSSI responsable des systèmes de l'État et des opérateurs d'importance vitale, la plateforme cybermalveillance responsable de tout le reste mais sans les moyens associés, et l'amorçage par l'ANSSI de centres régionaux dont ni les services, ni le financement ne sont à ce jour garantis dans leur efficacité et leur pérennité. S'il y a une attaque, que se passe-t-il ? A qui s'adresse-t-on ? Il y a l'ANSSI qui suit les services de l'État et les OIV. Cybermalveillance est censé suivre tous les autres acteurs, mais il y a aussi des CERT sectoriel et des C-SIRT régionaux.

En réalité, chaque ministère et chaque entité s'est doté d'un coordinateur : l'ANSSI qui est à la fois un régulateur et un acteur, le Secrétariat général pour l'investissement dont nous avons rencontré ce matin le coordinateur, M. Florent Kirchner, mais aussi Cybermalveillance dont c'est le rôle d'être à la croisée de tous les chemins, et maintenant le ministère de l'intérieur qui a pris la charge financière de la création de la future plateforme « 17 cyber » en application des annonces du Président de la République.

Le fait que la menace cyber soit largement prise en compte va en soi dans le bon sens comme le rappelait le Directeur général de la gendarmerie nationale. En revanche, il nous semble qu'une chaîne claire de traitement et d'escalade des incidents soit définie. Il nous a été certifié que ce travail était en cours. Nous prenons date pour le lancement du « 17 cyber » prévu en mars 2024. Mais à quelques mois de ce rendez-vous important, il reste encore à définir les services offerts que cette plateforme numérique apportera à la population, et surtout comment la population sera informée de sa mise en service, selon quelle communication, avec quels crédits ?

Le message de l'ANSSI est de dire qu'il est encore trop tôt pour dessiner un « jardin à la française » et qu'il faut d'abord laisser l'écosystème public/privé de la cybersécurité se développer avant de tailler les haies. C'est une approche qui laisse certaines entreprises sur leur faim (Orange ou Thales) car elles ont besoin d'une feuille de route claire et d'y être associées notamment pour la transposition de la directive NIS 2 qui interviendra en octobre 2024.

Nous partageons ce besoin de clarification. Pour reprendre la métaphore du jardin à la française, il nous semble au contraire urgent de définir une organisation de coordination et de suivi de la qualité, bref de dessiner les allées du jardin dès maintenant, sinon le risque est de voir se développer une jungle ou tout le monde sera perdu. J'ajoute que l'enjeu de sécurité des Jeux Olympiques justifie l'urgence de la concertation, ce qui est un métier nouveau pour l'ANSSI.

C'est pourquoi, parmi nos propositions figurent celle d'actualiser la stratégie nationale de cybersécurité - l'actuelle date de 2018 - en y associant en amont tout l'écosystème sans oublier les collectivités locales, ni vos serviteurs.

Nous recommandons également de s'inspirer de la grande cause nationale de la sécurité routière qui a permis de réduire drastiquement le nombre de morts sur nos routes en confiant à un coordinateur unique la responsabilité de coordonner tous les moyens disponibles. Est-ce le rôle de l'ANSSI ou d'un délégué interministériel clairement identifié ? C'est à l'exécutif de le décider mais c'est à nous de signaler que l'année 2024 est le bon moment pour le faire.

Au bénéfice de ces observations, nous vous proposons l'adoption des crédits de la mission « Direction de l'action du Gouvernement ».

Mme Marie-Arlette Carlotti- Je remercie nos collègues d'avoir décrit la menace cyber en la resituant dans un cadre plus large que les seuls services de l'État et des grandes entreprises. Ce sujet est particulièrement inquiétant et d'ailleurs le Sénat, ni les parlementaires ne sont à l'abri de ces attaques. Tous nos collègues sont informés par le biais de séances de sensibilisation organisées par les commissions mais il faut continuer.

M. Alain Joyandet- C'est une grande cause et le politique doit reprendre la main sur les administrations centrales car ce problème touche aussi les collectivités territoriales et plus largement toute la population. Il s'agit d'un problème d'efficacité car pour assurer la sécurité du pays on ne peut pas se contenter d'empiler, comme vous l'avez dit, des dispositifs et de nouveaux coordonnateurs. Il faut réformer et simplifier.

M. Olivier Cadic - Il faut être réaliste. L'objectif n'est pas de supprimer les attaques. Il y en aura toujours et de plus en plus. On voit bien que les banques et les institutions sont ciblées par des attaques visant à saturer leurs systèmes et à engendrer des dénis de services. Le vrai sujet est celui de la résilience, c'est-à-dire la capacité à protéger mais aussi relancer les systèmes et les réseaux le plus rapidement possible.

Concernant l'organisation, on observe que tous les secteurs ont pris conscience de la nécessité d'élever leur niveau de sécurité. C'est ce qu'on appelle une mutation technologique.

Mais lorsque survient un dysfonctionnement, qui est le responsable ? Le pirate bien sûr, mais aussi le dirigeant de l'entreprise, le responsable des systèmes d'information ou tout simplement l'utilisateur qui a été négligent ou a fait une erreur de manipulation ? On a besoin de savoir dans chaque situation qui est responsable et qui supervise et coordonne le service qualité de la chaîne de réponse aux incidents.

M. Mickaël Vallet. - Le premier point est en effet d'élever le niveau de sécurité par la diffusion la plus large de ce qu'on peut appeler une hygiène numérique. Ensuite, cette prise de conscience générale doit être organisée et coordonnée.

La commission a émis un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 129 de la mission « Direction de l'action du Gouvernement ».

La réunion est close à 12 h 15.