Mercredi 15 novembre 2023

- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -

La réunion est ouverte à 09 heures.

Projet de loi de finances pour 2024 - Crédits relatifs au transport aérien - Examen du rapport pour avis

M. Jean-François Longeot, président. - Mes chers collègues, nous entamons ce matin le traditionnel cycle d'examen automnal des avis budgétaires de notre commission, qui nous occupera pendant les trois prochaines semaines. Cette séquence nous permettra d'examiner huit rapports pour avis, retraçant non seulement les crédits, mais également, et surtout, les politiques publiques thématiquement liées aux compétences socles de notre commission, à savoir l'aménagement du territoire, les transports et l'environnement.

Pour nos collègues nouvellement élus, je ne crois pas inutile de rappeler brièvement les règles de la discussion budgétaire et l'esprit des rapports pour avis. Comme vous le savez, l'examen du projet de loi de finances se décompose en deux parties, la première consacrée principalement aux recettes et aux conditions générales de l'équilibre financier, et la seconde relative aux dépenses et aux moyens des politiques publiques. C'est au sein de cette partie que les crédits sont regroupés en missions, en programmes et en actions selon la finalité de la dépense, conformément à la nomenclature établie par la LOLF (loi organique relative aux lois de finances).

Les missions correspondent aux grandes politiques publiques de l'État, les programmes sont l'unité de l'autorisation parlementaire des dépenses afin de définir le cadre de mise en oeuvre des politiques publiques : ils constituent une enveloppe globale et limitative de crédits, relevant d'un seul ministère. Les programmes regroupent un ensemble cohérent d'actions qui permettent de préciser la destination prévue des crédits et d'améliorer la lisibilité des dépenses budgétaires en fonction de leur finalité.

Parmi nos moyens d'action figure le traditionnel droit d'amendement : il nous est loisible de modifier la répartition des crédits entre les programmes d'une même mission, mais également de créer, modifier ou supprimer un programme, dans le respect du fameux article 40 de la Constitution qui définit les règles de recevabilité financière des initiatives d'origine parlementaire.

Les rapports pour avis de notre commission n'ont pas vocation à être des rapports spéciaux bis. Les commissaires des finances s'appuient sur une approche budgétaire, financière et comptable pour analyser les crédits des missions budgétaires. Ils s'intéressent à l'ingénierie du projet de loi de finances, en visant l'exhaustivité des mouvements et des crédits. Notre démarche à nous est transversale et thématique : nous sommes plus enclins à interroger la pertinence des politiques publiques climatiques et environnementales, à expertiser la cohérence des trajectoires de décarbonation, à évaluer les stratégies de développement et d'évolution des infrastructures de transport, et à porter un regard critique sur les stratégies budgétaires et sectorielles d'adaptation au changement climatique.

C'est ainsi que les rapporteurs pour avis concentrent leur travail d'analyse sur la mission « Écologie, développement et mobilité durables », qui est le réceptacle budgétaire d'une partie substantielle des crédits affectés aux thèmes de compétence de notre commission. Les rapporteurs s'intéressent également aux missions « Cohésion des territoires » et « Relations avec les collectivités territoriales », supports du financement de stratégies d'aménagement du territoire, notamment des ZRR, mais également à toutes les autres missions susceptibles d'héberger des crédits relatifs à nos champs de compétence.

En outre, la budgétisation environnementale fait l'objet d'un examen attentif, dans le cadre de l'évaluation de l'impact des dépenses budgétaires et fiscales sur l'environnement et la biodiversité. Les politiques publiques mises en oeuvre grâce aux 2,5 milliards d'euros du « fonds vert » sont également scrutées avec la plus grande attention par les rapporteurs pour avis, afin de s'assurer de la cohérence des dépenses avec les objectifs que notre pays s'est fixés. Les stratégies climatiques et environnementales - stratégie nationale bas-carbone, stratégie nationale pour la biodiversité, plan eau, décarbonation du secteur des transports - sont évaluées sous l'angle de leur cohérence, afin de vérifier que les crédits consacrés à une stratégie ne soient pas remis en cause par des dépenses qui iraient à l'encontre des buts recherchés.

Voilà, mes chers collègues, les quelques informations de cadrage dont je voulais vous faire part concernant la finalité des rapports budgétaires pour avis de notre commission. Sans plus tarder, je laisse la parole à notre collègue Stéphane Demilly pour qu'il nous présente l'examen des crédits relatifs au transport aérien.

M. Stéphane Demilly, rapporteur pour avis sur les crédits relatifs au transport aérien. - Le secteur aérien ne sortira que l'année prochaine de la crise sanitaire. Le niveau de trafic sur les 150 aéroports français à fin septembre est en moyenne à 93,5 % de celui de 2019. Dans le détail, le trafic loisir a retrouvé une forte dynamique. Le trafic vers les départements et régions d'outre-mer (DROM) ou depuis les DROM est à plus de 110 % du fait d'un rattrapage des contacts familiaux. Quant au « trafic affaires », il reste en berne : il oscille à un niveau compris entre 70 et 80 % de son niveau de 2019. De nouvelles méthodes de travail sont entrées dans les habitudes. Retenons globalement que le retour à la normalité est attendu en 2024 : tel est mon premier constat.

Deuxième constat : la course contre la montre en faveur de la décarbonation du secteur est lancée, avec un objectif « aspirationnel » d'une décarbonation en 2050.

Ces deux constats ont guidé mon avis, dont les trois axes principaux sont les suivants :

- être exigeant envers les pouvoirs publics, en particulier la direction générale de l'aviation civile (DGAC) concernant sa trajectoire de dette et ses investissements de modernisation ;

- assumer la nécessité de limiter les impacts environnementaux du secteur le plus rapidement possible, sans toutefois le sacrifier ;

- veiller à limiter les nuisances, et notamment sonores, dues au transport aérien.

D'un point de vue budgétaire, la situation du bras armé de l'État en ce qui concerne le secteur aérien, la DGAC, est aujourd'hui assez critique. Cas de figure presque unique, cette administration n'est pas financée par le budget général de l'État, mais par les taxes et redevances versées par le secteur qu'elle administre. Or, avec la crise sanitaire, elle a eu très largement recours à l'endettement, si bien que l'encours de la dette a explosé de près de 700 millions d'euros en 2019 à 2,7 milliards d'euros fin 2022. Une trajectoire ambitieuse de désendettement a toutefois été amorcée pour atteindre un niveau de dette de 1,5 milliard d'euros en 2027. Saluons cet engagement volontariste et souhaitons qu'il soit tenu.

Néanmoins, les pouvoirs publics doivent faire face à une autre difficulté. Le contrôle aérien français utilise des outils obsolètes, qui en font l'un des moins performants d'Europe, et ce de l'aveu même des acteurs concernés.

Un programme de modernisation a donc été engagé - probablement tardivement, assurément trop lentement -et représente un coût très élevé. Comme l'a souligné Vincent Capo-Canellas dans son rapport d'information sur cette question, le tir est donc corrigé, mais il faut rester vigilant afin d'éviter de nouveaux retards et de nouveaux surcoûts. Retenons donc de mes propos que l'effort de désendettement ne doit pas se faire au détriment de cette urgente et nécessaire modernisation...

Vaste défi ! Vaste défi en effet, car les dépenses de fonctionnement risquent, elles, d'être inflationnistes. Le principal syndicat de contrôleurs aériens a ainsi récemment signé un accord de « trêve olympique » avec sa direction tandis que, parallèlement, se tiennent des négociations sociales avec la DGAC dont on attend le résultat pour fin décembre. Vous l'avez compris, je m'inquiète d'un risque de dérapage des dépenses de personnel, certains considérant que le moment est opportun pour faire monter le curseur.

J'en viens maintenant au deuxième axe de mon avis : l'impératif de réduire l'impact environnemental du transport aérien. Au-delà de la modernisation des opérations au sol, au-delà des changements de pratique de vols (notamment la descente continue), deux leviers de décarbonation du secteur se dégagent à ce jour :

- la sobriété énergétique des aérostructures et des moteurs ;

- la moindre intensité en gaz à effet de serre des carburants, autrement dit l'usage de carburants aériens durables.

Tout d'abord, rappelons en effet que les constructeurs et les motoristes, et notamment Airbus et Safran, réalisent des progrès rapides concernant l'efficacité énergétique des appareils. Par exemple, les constructeurs font évoluer l'architecture des aérostructures, et notamment les SMR (small and medium range, avions à faible et moyen rayon d'action), qui pourraient consommer 25 à 30 % de carburant en moins par passager. Comment me direz-vous ? Avec des voilures plus efficaces réduisant de 20 % les traînées (elles concourent au moins autant que le carburant consommé au réchauffement climatique), ou encore avec des aérostructures plus légères de 20 à 30 %, donc moins consommatrices de carburant. Les motoristes, vous l'avez compris, ne sont pas en reste non plus. J'en veux pour preuve l'arrivée de nouveaux moteurs dont l'efficacité énergétique est supérieure de 15 % à 20 %, comme le LEAP 1A de chez SAFRAN, qui équipe l'A320. Tous ces efforts ne doivent pas nous faire oublier qu'il faut encore et toujours poursuivre le renouvellement des flottes par des avions plus vertueux. C'est la raison pour laquelle je vous inviterai à adopter un amendement y contribuant.

Vous l'avez compris, les carburants aériens durables seront le fer de lance de la décarbonation du secteur. Le Président de la République a annoncé un plan de 200 millions d'euros en faveur des carburants aériens durables au Salon du Bourget. Cette annonce paraît un peu fade au regard de ce que fait par exemple l'État allemand qui a publié une feuille de route sur le déploiement des carburants de synthèse pour le secteur de l'aérien, d'un montant de 1,3 milliard d'euros pour le développement d'une filière de production de e-fuels et de biocarburants avancés. Il faut donc aller plus vite et plus fort. C'est un enjeu écologique en premier lieu, mais c'est aussi une question de souveraineté, car rien ne serait plus paradoxal que d'importer des carburants aériens durables. C'est pour cela que je propose de créer un dispositif fiscal incitatif à leur achat. L'État doit assumer de façon plus franche son rôle en accompagnant le secteur sur le chemin de la décarbonation. C'est d'ailleurs une recommandation de la mission commune d'information sur les biocarburants.

Une de mes dernières remarques concerne les lignes d'aménagement du territoire, essentielles pour l'équité territoriale dans notre pays. Je tiens à saluer la stabilité des crédits qui leur sont consacrés et la reconduction de la ligne Rodez-Paris. À ce sujet, je m'interroge sur la cohérence qu'il y a à supprimer, comme ce fut le cas dans la loi « Climat et Résilience », les lignes Orly-Nantes, Orly-Lyon et Orly-Bordeaux, et à maintenir la ligne Lyon-Marseille.

Je voudrais maintenant vous dire que je désapprouve totalement le principe même de l'article 15 du projet de budget qui crée une taxe sur les infrastructures de longue distance. Pour les aéroports, seuls ceux du groupe ADP, Orly et Roissy, les plateformes de Nice, Marseille et Lyon ainsi que possiblement Toulouse devraient être concernés. Je me rapprocherai donc de mes collègues rapporteurs sur les crédits relatifs aux transports routiers, fluviaux et ferroviaires afin d'élaborer une position commune sur ce point. Puisqu'il n'était pas juridiquement possible de taxer les seules autoroutes, on est allé chercher un deuxième « larron » : le transport aérien. Ce « bricolage » fiscal, qui pallie les lacunes des contrats de concessions autoroutières qui ont été passés avec l'État, pénalise un secteur qui doit pourtant assumer de lourds investissements de décarbonation. Il eût été bien plus opportun d'utiliser ce potentiel montant payé par les aéroports pour financer la transition écologique du secteur aérien lui-même. Déshabiller Pierre pour habiller Paul, ce n'est pas sérieux, ce n'est pas cohérent, et c'est juridiquement, et à tout le moins moralement bancal. Je souhaite donc à titre personnel la suppression de l'article 15, car il pénalise nos compagnies nationales et fait la part belle à des compagnies étrangères à bas coûts implantées sur des aéroports voisins, non concernés par cette taxe.

J'en viens maintenant à mon troisième axe, la lutte contre les nuisances sonores causées par le transport aérien. Je salue le travail engagé sur ce point par Didier Mandelli, rapporteur de la mission flash d'information sur la modernisation de l'aéroport de Nantes Atlantique. Ces nuisances sont un enjeu de santé publique et fragilisent l'acceptabilité sociale du transport aérien. Afin d'y répondre, une taxe versée par les compagnies aériennes, la taxe sur les nuisances aériennes (TNSA), permet de financer en partie des travaux d'insonorisation pour les habitants, mais aussi des établissements scolaires et médicaux à proximité des aéroports. Or, la baisse du trafic lors de la crise sanitaire a grevé son rendement. De nombreux travaux d'isolation phonique restent donc en attente faute de financement alors que le trafic reprend de plus belle. Je proposerai donc d'adopter un amendement qui tend à compenser cette baisse de rendement.

Pour conclure, je tiens à dire un mot sur la démarche qui m'a conduit à élaborer ce premier rapport pour avis au projet de loi de finances au nom de la commission. J'ai adopté une approche équilibrée, afin d'être exigeant avec le secteur, en particulier sur les enjeux de décarbonation, sans pour autant verser dans l'excès. En toute objectivité, quand on liste les investissements nécessaires à la décarbonation pour les constructeurs d'aéronefs, pour les motoristes, pour les aéroports, pour l'industrie naissante des carburants aériens durables, et la recherche d'autres solutions décarbonées, les besoins de financement sont très élevés.

Si parallèlement, on fait preuve d'une créativité extraordinaire de taxation des acteurs de l'aérien, l'effet ciseau sera d'une violence telle que l'atrophie de l'industrie aéronautique et aérienne française entraînera un remplacement des acteurs français par des acteurs étrangers sans bénéfice pour l'environnement. Pour le dire autrement, nous aurons perdu à la fois le beurre et l'argent du beurre !

Sous le bénéfice des observations que j'ai partagées avec vous et des amendements que je vous soumets, je vous propose d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits relatifs aux transports aériens.

M. Gilbert-Luc Devinaz. - Je voudrais remercier Stéphane Demilly de m'avoir associé à ses auditions. Son rapport pour avis reflète bien leur contenu. Ce n'est pas le tout de décoller, mais il faut savoir et pouvoir atterrir vers l'objectif de zéro émission nette du transport aérien à l'horizon 2050. Le secteur aérien a été fortement affaibli par la crise sanitaire. Des compagnies aériennes ont disparu, d'autres ont dû leur survie à l'aide de l'État, à l'instar d'Air France-KLM qui a bénéficié d'un prêt de 3 milliards d'euros. Le groupe l'a remboursé avec 650 millions d'euros d'intérêts. Cela montre que le secteur aérien se porte mieux : en 2023, le trafic est presque revenu à sa situation antérieure à la crise sanitaire. Toutefois, les bons résultats, comme ceux d'Air France-KLM sont aussi dus à une augmentation du prix des billets.

Le secteur doit maintenant mener sa décarbonation à bien, qui pourra également amener une hausse des prix. Plusieurs leviers de décarbonation se dégagent, qui ont en commun leur coût élevé pour le secteur, dont l'avenir est en jeu. Ce sont aussi de véritables paris technologiques.

Concernant le développement des nouveaux carburants alternatifs, la mission que j'ai eu le plaisir de présider sur les biocarburants, qui a été marquée par une forte implication de l'ensemble des sénateurs, a soulevé un certain nombre de difficultés. Leur incorporation a un coût extrêmement élevé, ces carburants étant environ trois à cinq fois plus chers que le kérosène. Dans ce projet de loi de finances, on ne voit pas la volonté de développer une filière nationale de carburants aériens durables. Le rapporteur a soulevé le problème de notre indépendance dans ce domaine. À cela s'ajoutent les risques de pénurie de biocarburants et de conflits d'usages : ces derniers participent aussi à la décarbonation dans le secteur routier et dans le secteur maritime. Au-delà de ces aspects financiers, je m'interroge sur la planification de la décarbonation, compte tenu des besoins très élevés en biomasse : quelle sera la priorité pour l'aérien ? En fonction de cette disponibilité éventuelle de biocarburants, il y aura également des besoins très forts en électricité.

Il faut en outre accélérer le renouvellement de la flotte, ce qui passe par la mise au rebut d'appareils avant leur amortissement au profit d'avions plus sobres en carburant et adaptés aux nouveaux biocarburants. Un autre pari technologique concerne le développement d'une aviation électrique pour les courts trajets, notamment les lignes régionales. Airbus mène aussi un programme de recherche pour introduire des aéronefs à hydrogène.

Le coût de cette transition est donc élevé. À titre d'exemple, le groupe Air France-KLM a indiqué investir un milliard d'euros par an pour le renouvellement de sa flotte et 500 millions d'euros pour celui de celle de sa filiale Transavia. Il y a aussi un coût de recherche et développement : il s'élèverait à 3 milliards d'euros pour Airbus en 2022. Par ailleurs, il me semble nécessaire que cette augmentation des coûts n'induise pas de sélectivité d'accès fondée sur l'accroissement du prix des billets. Je rejoins les inquiétudes liées à l'article 15 du projet de loi de finances qui crée une taxe sur les infrastructures de transport de longue distance : je ne vois pas comment soutenir le secteur aérien vers ses objectifs de décarbonation tout en le taxant pour permettre à d'autres secteurs de se décarboner.

Il me semble nécessaire de planifier cette décarbonation et de disposer d'une feuille de route au long cours. Au regard de tous ces éléments, concernant en particulier la faiblesse du soutien au développement de la filière des carburants aériens durables, les crédits de ce budget me paraissent insuffisants pour accompagner le secteur dans cette obligation de mutation inédite, qui doit pourtant réussir.

M. Ronan Dantec. - Les projets de décarbonation étudiés aujourd'hui sont fantaisistes, folkloriques et dépourvus de sens. Personne n'ignore qu'il n'y a pas de biomasse disponible pour le transport aérien à l'échelle mondiale. Il n'y en a déjà pas assez pour les autres besoins énergétiques. Il est donc étrange d'investir des montants élevés dans une impasse. C'est une opération d'écoblanchiment : pour rendre acceptable le transport aérien, on annonce sa décarbonation à l'échéance de 2050. En outre, les carburants à base d'électricité sont très onéreux (environ 5 000 euros la tonne produite, parfois plus). Par conséquent, quand bien même nous disposerions de l'électricité nécessaire pour les produire, le public utilisera des compagnies extracommunautaires qui continueront de voler au kérosène. Il faut donc assumer que le transport aérien sera un des derniers modes de mobilité à consommer des énergies fossiles parce qu'il n'y a pas d'alternative économiquement viable. Ce secteur, tout comme le transport maritime, doit donc financer les transitions des autres secteurs par la taxation du carbone et être ainsi un vecteur des flux financiers nécessaires pour assurer la transition écologique. C'est la logique même du système mondial de compensation des émissions de gaz à effet de serre Corsia. En outre, on a constaté ces dernières années qu'une augmentation significative du prix n'entraînait pas de baisse du trafic. Les quelques dizaines d'euros de taxation carbone seront absorbées par les passagers sans difficulté, y compris sur un vol international. En somme, il faut tenir un discours clair : la décarbonation du transport aérien ne fonctionne pas compte tenu de la faible disponibilité en biomasse. Il faut cependant poursuivre les efforts en faveur de la sobriété énergétique des aéronefs comme le fait Airbus.

M. Jacques Fernique. - Je ne partage pas l'appréciation du rapporteur sur le fameux article 15 du projet de loi de finances créant une taxe sur l'exploitation des infrastructures de transport de longue distance. Il me semble excessif de considérer que l'aérien serait empêché d'investir pour sa décarbonation. Il est opportun que la rentabilité forte des secteurs concernés puisse alimenter en partie les investissements nécessaires afin de favoriser un report modal vers des mobilités décarbonées. En outre, les conditions pour être redevables de cette taxe sont proportionnées : il faut avoir des revenus d'exploitation qui excèdent 120 millions d'euros par an et un niveau moyen de rentabilité excédant 10 %. Cette taxe aurait un rendement d'environ 600 millions d'euros, dont l'effort serait réparti entre les concessions autoroutières à hauteur de 480 millions d'euros et les concessions aéroportuaires à hauteur de 120 millions d'euros. C'est le début de la déclinaison d'une partie des préconisations du conseil d'orientation des infrastructures. Si les réticences des secteurs mis à contribution sont compréhensibles, il faut tenir cette orientation nécessaire.

M. Louis-Jean de Nicolaÿ. - Ronan Dantec ouvre le débat sur l'avenir du transport aérien et rappelle que la voie de la décarbonation est étroite. Le transport aérien est indispensable, mais sa décarbonation hypothétique prendra beaucoup de temps. Concernant l'article 15 du projet de loi de finances, il y a un enjeu de compétitivité des aéroports. Amsterdam Schiphol concurrence fortement Roissy-Charles-de-Gaulle. De nombreux voyages avec une correspondance se font en effet désormais via Amsterdam Schiphol. Je ne suis donc pas favorable à cette nouvelle taxe qui pourrait pousser des compagnies aériennes à s'installer à Amsterdam Schiphol plutôt que sur le hub de Roissy-Charles-de-Gaulle.

M. Pierre Barros. - Je suis membre de la communauté d'agglomération Roissy Pays de France, dont l'activité économique est soutenue par l'aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle, qui est engagé dans une concurrence européenne forte, notamment avec l'aéroport d'Amsterdam Schiphol. Cependant, l'aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle a des atouts indéniables, ce qui rend improbable un basculement d'ampleur de l'activité vers Amsterdam. Ce sujet, qui porte sur un secteur qui fait figure de fleuron national - souvenons-nous du Concorde - est très technique et a de forts enjeux financiers. Par ailleurs, les conséquences sur le territoire proche ne sont pas neutres. Depuis 50 ans, la technologie des avions a progressé, ces derniers sont devenus beaucoup plus performants et beaucoup moins bruyants. Cependant, l'augmentation du trafic fait perdurer la problématique de la pollution. En dépit d'une amélioration de la technologie, les nuisances restent conséquentes pour les populations aux alentours. Il ne faut pas croire que la technologie peut, à elle seule, améliorer la situation : elle va accompagner l'augmentation du trafic.

En outre, concernant l'aménagement du territoire, la région Île-de-France est impactée par les aéroports de Roissy-Charles-de-Gaulle, de Paris-Orly et du Bourget. Les plans d'exposition au bruit sont des outils essentiels pour préserver les populations, mais sont des contraintes fortes pour l'aménagement du territoire et notamment pour les politiques du logement et du renouvellement urbain.

L'aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle contribue fortement au développement économique de la région Île-de-France, plus fortement même que le quartier d'affaires de la Défense. Il faut opérer un dosage sur la taxation pour faire en sorte de continuer à bénéficier des retombées économiques de l'aéroport, ce qui doit être mis en balance avec les retombées que celui-ci amène sur le territoire.

M. Stéphane Demilly, rapporteur pour avis. - La filière aéronautique représente 300000 emplois directs en France et environ un million d'emplois indirects. Elle génère un excédent commercial de l'ordre d'une vingtaine de milliards d'euros. Concernant les propos de Gilbert-Luc Devinaz et Ronan Dantec sur la filière des biocarburants, j'ai entendu le groupe de réflexion « Équilibre des Énergies » qui a souligné qu'il n'y aura pas assez de biomasse pour bénéficier à tous les secteurs. Par conséquent, selon eux, il pourrait être intelligent d'orienter la biomasse vers le secteur aérien parce que les autres modes de transport peuvent utiliser des solutions alternatives plutôt matures. Ce n'est pas le cas pour le transport aérien. Selon ce groupe de réflexion, pour répondre à ses besoins en carburants aériens durables en 2050, l'Union européenne devra mobiliser 570 TWh d'électricité bas carbone et 90 millions de tonnes de biomasse. Il y a donc des difficultés de disponibilité de biomasse et d'alimentation électrique.

Il n'est cependant pas nécessaire d'être pessimiste : l'aérien est en train d'opérer sa transition écologique. En outre, les vols domestiques sont en diminution. Par exemple, aujourd'hui, sur des lignes entre Orly et Nice et Marseille, on observe une baisse de 40 % du trafic et de 60 % des allers-retours dans la journée. De nouveaux systèmes de travail ont été mis en place. Il y a une prise de conscience pour un certain nombre de nos concitoyens d'adopter des modes de trajet alternatifs.

Jacques Fernique, le groupe Aéroport-de-Paris est déjà très endetté. Certes, il a renoué avec les bénéfices, mais c'est après avoir eu des déficits élevés pendant la crise sanitaire. L'union des aéroports français m'a indiqué qu'il faudrait environ 27 milliards d'euros d'investissements pour moderniser les plateformes aéroportuaires dans les prochaines années pour les adapter aux carburants d'aviation durable, à l'hydrogène et à la fourniture d'électricité, aux aéronefs. Il ne me semble pas que les taxer davantage soit opportun.

Je partage l'avis de Louis-Jean de Nicolaÿ concernant les billets d'avion. 40 % du tarif d'un billet est aujourd'hui constitué de taxes et de redevances.

Pierre Barros, je vais vous proposer d'adopter un amendement qui vise à compenser le manque de rendement de la taxe sur les nuisances sonores aériennes (TNSA) entre 2020 et 2023 par une dotation budgétaire et assurer le financement de l'insonorisation des logements à proximité des aéroports.

EXAMEN DES AMENDEMENTS

Après l'article 5

M. Stéphane Demilly, rapporteur pour avis. - L'amendement I-296 rect. concerne la décarbonation des opérations au sol liées au transport aérien. La décarbonation du transport aérien exige de mobiliser tous les leviers existants afin d'obtenir les résultats les plus élevés le plus rapidement possible. À cet égard, il ne faut pas se concentrer seulement sur la décarbonation des aéronefs en vol, mais veiller aussi à celle des opérations au sol.

Le présent amendement tend à favoriser cette décarbonation des opérations au sol. Il prévoit tout d'abord un dispositif de déduction fiscale favorisant l'achat ou la location de longue durée d'engins de piste utilisant une énergie décarbonée. Favoriser l'achat de ces engins permettrait aussi de limiter les émissions d'oxyde d'azote.

Il tire également les conséquences du règlement européen du 13 septembre 2023 sur le déploiement d'une infrastructure pour carburants alternatifs (dit « règlement Afir »). L'article 12 de ce règlement fixe des objectifs pour la fourniture d'électricité aux aéronefs en stationnement applicables le 31 décembre 2024 ou le 31 décembre 2029 en fonction de type de stationnement.

Cet amendement prévoit ainsi une déduction d'impôt afin de soutenir les aéroports dans la mise en conformité aux obligations fixées dans ce règlement, qui entreront en vigueur dans un très bref délai. Cette fourniture d'électricité permet d'éviter aux aéronefs d'utiliser leurs moteurs auxiliaires de puissance (APU) à l'arrêt. Ces moteurs ont une consommation de kérosène très élevée, sont également source de nuisances sonores et émettent des particules fines, néfastes pour la qualité de l'air. Il est donc nécessaire de donner aux aéroports le moyen de respecter le cadre juridique fixé par le règlement.

L'amendement  I-296 rect. est adopté.

M. Stéphane Demilly, rapporteur pour avis. - L'usage des carburants d'aviation durable (CAD) est la seule solution pour décarboner les vols long-courrier. C'est pourquoi le règlement européen ReFuel EU aviation prévoit un usage croissant des CAD entre 2025 et 2050, échéance au-delà de laquelle ils devront représenter 70 % du carburant utilisé par les aéronefs.

Face à cet objectif ambitieux, c'est toute une filière qui devra se structurer. Ces carburants sont, en outre, actuellement particulièrement onéreux. Ils coûtent en effet entre trois et quatre fois le prix du kérosène. Il est donc légitime d'accompagner le secteur aérien dans sa décarbonation.

L'amendement I-297 rect. prévoit un crédit d'impôt équivalent à 50 % du surcoût entre l'achat effectif de carburants d'aviation durables et l'achat théorique de kérosène.

Cette proposition est une reprise d'une recommandation de la mission commune d'information sur le développement d'une filière de biocarburants, carburants synthétiques durables et hydrogène vert dont je salue le président, Gilbert-Luc Devinaz, que je remercie en outre de m'avoir accompagné tout au long des auditions que j'ai menées en tant que rapporteur pour avis.

M. Ronan Dantec. - Mon groupe s'opposera à cet amendement. L'utilisation de carburant aérien durable implique des coûts de l'ordre de 600 euros la tonne de carbone économisée. Si cet amendement est adopté, la puissance publique se privera de recettes alors que le même montant pourrait être utilisé pour préserver des forêts et développer les mobilités douces, ce qui permettrait de limiter bien plus fortement les émissions de gaz à effet de serre. C'est donc une aberration économique d'investir de tels montants pour économiser si peu de tonnes de gaz à effet de serre. Une approche économique rationnelle de l'action climatique qui concentre les investissements vers les actions où ils seront les plus efficaces est nécessaire.

L'amendement  I-29 rect. est adopté.

M. Stéphane Demilly, rapporteur pour avis. - La décarbonation du transport aérien exige d'atteindre un objectif de neutralité carbone en 2050. Toutefois, il est aussi nécessaire, d'ici cette échéance, de parvenir à limiter la quantité de gaz à effet de serre émise par le secteur afin d'en limiter le stock présent dans l'atmosphère en 2050. La lutte contre le réchauffement climatique n'attend pas et exige en effet de limiter le stock total de gaz à effet de serre présent dans l'atmosphère.

Or, le moyen le plus efficace actuellement pour réduire les émissions de gaz à effet de serre du secteur est d'accélérer le renouvellement des flottes : les aéronefs d'ancienne génération émettent bien plus de gaz à effet de serre que ceux qui sont actuellement mis sur le marché puisqu'ils consomment bien plus de carburant.

Cette réduction de la consommation de carburant a un effet connexe bénéfique : elle facilite l'incorporation de carburants d'aviation durable (CAD) à des niveaux plus élevés. En effet, leur disponibilité étant actuellement faible, toute diminution de la quantité de carburant consommée accroît mécaniquement la part de CAD dans le carburant total utilisé.

L'amendement I-298 propose une mesure d'accompagnement nécessaire en créant un dispositif de déduction d'impôt en faveur des compagnies qui achètent ou louent pour une longue durée des aéronefs émettant moins de gaz à effet de serre que ceux qu'elles utilisaient précédemment.

L'amendement I-298 est adopté.

Article 13

M. Stéphane Demilly, rapporteur pour avis. - L'amendement I-299 porte sur la taxe incitative relative à l'utilisation d'énergie renouvelable dans les transports (Tiruert). Cette taxe est une taxe dite « comportementale » qui a pour objet d'inciter à intégrer un pourcentage cible de carburants aériens durables (CAD). Elle fixe un objectif d'utilisation de CAD au-delà duquel le montant dû au titre de cette taxe est nul pour le redevable. Ce pourcentage cible est de 1 % pour les carburéacteurs. Il passera à 1,5 % à partir du 1er janvier 2024. En cas de non-atteinte de cette cible, une pénalité de 168 euros l'hectolitre manquant est payée par les redevables. Ce montant prévu par le PLF pour 2024 serait stable en 2023 et 2024. L'article 13 du PLF pour 2024 en revanche propose de le porter brutalement à 280 € en 2025.

La Tiruert poursuit un objectif légitime. Il est opportun d'inciter le secteur aérien à incorporer des CAD. Toutefois, la filière de CAD n'étant pas encore pleinement structurée en France, cette taxe a un effet plus marqué sur les prix que sur les quantités produites. La demande étant bien plus conséquente que l'offre, elle a des effets inflationnistes sur le prix des CAD en France par rapport au prix de marché constaté chez ses voisins européens. Cela nuit à la compétitivité des compagnies basées en France. Un retour au tarif existant en 2022 maintiendrait l'effet incitatif de la Tiruert, tout en limitant ses conséquences inflationnistes.

En outre, l'augmentation à 280 euros du tarif à l'hectolitre de la Tiruert à partir du 1er janvier 2025, prévue à l'article 13 du projet de loi de finances, est doublement problématique. D'une part, ce montant est très élevé. D'autre part, la Tiruert a vocation à être supprimée en 2025 pour être remplacée par un dispositif issu du règlement « ReFuel EU Aviation », qui prévoit des objectifs d'incorporation de CAD au niveau de l'Union européenne. Ce dispositif aura ses propres règles d'application. Dans un objectif de clarté et d'intelligibilité de la loi, il ne paraît pas nécessaire de maintenir dans le PLF ce qui s'apparente à une mesure d'affichage vouée à n'être jamais appliquée.

Le présent amendement tend donc à faire passer le tarif de la Tiruert à l'hectolitre en 2024 de 168 € à 125 € et à de supprimer sa majoration à 280 € pour 2025.

M. Jacques Fernique. - Il me semble qu'il y a une contradiction entre le potentiel considérable annoncé des CAD pour permettre à l'aviation d'atteindre la neutralité carbone et la volonté de réduire les moyens d'incitation fiscaux à leur usage.

M. Stéphane Demilly, rapporteur pour avis. - Il n'y a pas encore les moyens aujourd'hui de fournir une quantité suffisante de CAD. Si la filière n'est pas encore structurée, ce qui est taxé, c'est la non-incorporation de biocarburants qu'on ne trouve pas sur le marché. Il ne faut pas pénaliser l'aviation française.

M. Gilbert-Luc Devinaz. - J'écoute les arguments de mes collègues du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires. Ce qui est problématique est que l'on ne dispose pas d'une feuille de route de décarbonation. Je comprends donc les amendements, mais cette absence pose quelques difficultés. J'espère que la programmation pluriannuelle de l'énergie y répondra. Notre groupe s'abstiendra sur cet amendement.

L'amendement I-299 est adopté.

Après l'article 16

M. Stéphane Demilly, rapporteur pour avis. - Le nouveau plan de gêne sonore de l'aéroport de Bordeaux-Mérignac, qui devrait remplacer sous peu le plan actuel, datant de 2004, inclura dans son périmètre environ 1200 logements supplémentaires. Actuellement, l'aéroport est classé dans le troisième groupe d'aérodromes, celui pour lequel le taux de taxe sur les nuisances sonores aériennes (TNSA) est le plus faible, entre zéro et dix euros. Il en résulte que, si la taxe se maintient à son niveau actuel, les travaux d'insonorisation des logements et des établissements scolaires et sanitaires financés en partie par la TNSA ne pourraient pas aboutir avant plusieurs décennies. Cette situation n'est pas justifiable au regard des impératifs de santé publique et de l'acceptabilité sociale du transport aérien.

L'amendement I-295 tend donc à classer l'aéroport de Bordeaux-Mérignac au sein du premier groupe d'aéroports au lieu du troisième actuellement, afin que la TNSA puisse financer les travaux d'insonorisation nécessaires dans des délais acceptables. Les ministres chargés respectivement du budget, de l'aviation civile et de l'environnement devront par conséquent prendre un arrêté modificatif afin de fixer un montant de TNSA compatible avec la limite minimum pour ce groupe, qui est de vingt euros par décollage, selon l'article L. 422-54 du code des impositions sur les biens et services.

M.  Hervé Gillé. - Je remercie le rapporteur de m'avoir informé en amont de cette initiative, que je salue. L'aéroport de Bordeaux-Mérignac est de plus en plus enclavé dans la couronne urbaine compte tenu de l'extension de la métropole de Bordeaux. Le département de la Gironde a une croissance démographique de 20 000 habitants par an, dont plus de 10 000 au sein de la métropole bordelaise. Cette problématique est particulièrement sensible, et l'ensemble des communes riveraines sont très attentives à l'évolution du plan de gêne sonore. Je suis favorable à cette proposition et j'espère que le gouvernement le sera également.

L'amendement I-295 est adopté.

Article 35

M. Stéphane Demilly, rapporteur pour avis. - Les nuisances sonores aéroportuaires sont un sujet de préoccupation du quotidien majeur pour nombre de riverains. Y apporter une réponse adaptée aux enjeux est donc nécessaire, et ce d'autant plus qu'elles fragilisent l'acceptabilité sociale du transport aérien.

La taxe sur les nuisances sonores aériennes (TSNA) est un outil de lutte contre ces nuisances. Selon la logique « pollueur-payeur », cette taxe, assise sur le décollage des aéronefs dont la masse excède deux tonnes, finance les aides aux travaux d'insonorisation d'environ trois millions de riverains d'aéroports.

Or, la diminution du trafic pendant la crise sanitaire - qui, pendant quelques mois, a permis aux riverains d'expérimenter une situation sans nuisances - a grevé l'assiette de la taxe. Du fait de cette baisse de rendement, de nombreux dossiers d'insonorisation, notamment au bénéfice d'hôpitaux et de logements sociaux, restent en attente. Dans la continuité des recommandations formulées depuis trois ans, la commission juge indispensable de compenser cette diminution de rendement.

La baisse du trafic aérien a généré des pertes de recettes dont le reliquat est évalué à 58 millions d'euros pour la période 2020-2023, en tenant compte des 8 millions d'euros accordés en loi de finances rectificative pour 2021 et des 20 millions d'euros accordés en loi de finances rectificative pour 2022 à l'initiative du Sénat. C'est pourquoi, par coordination, le présent amendement propose que l'État compense à hauteur de 58 millions d'euros la perte des recettes de TSNA pour les années 2020, 2021, 2022 et 2023. La mesure se traduirait par une hausse de l'action 52 Transport aérien du programme 203 Infrastructures et services de transports de la mission « Écologie, développement et mobilité durables ».

L'article 40 de la constitution et l'article 47 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) interdisant aux parlementaires d'augmenter les crédits de la mission, la mesure est gagée sur les crédits de l'action 07 Pilotage, support, audit et évaluations du programme 217 Conduite et pilotage des politiques de l'écologie, du développement et de la mobilité durables. Il est suggéré que le Gouvernement puisse lever le gage prévu pour compenser la dépense.

L'amendement II-78 est adopté.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du budget annexe « Contrôle et exploitation aériens » (BACEA).

Avenir du fret ferroviaire - Audition de M. Frédéric Delorme, président de Rail Logistics Europe

M. Jean-François Longeot, président. - Nous avons le plaisir d'accueillir ce matin Frédéric Delorme, Président de Rail Logistics Europe, dans le cadre du cycle d'auditions sur le fret ferroviaire que nous avons initié en juillet dernier. Après l'audition de Raphaël Doutrebente, président de l'Alliance Fret ferroviaire français du futur (4F), il était en effet indispensable d'entendre l'un des principaux acteurs du transport ferroviaire de marchandises, à savoir Rail Logistics Europe (RLE), qui réunit cinq filiales, au premier rang desquelles Fret SNCF. Et pour cause : comme vous le savez, l'avenir de Fret SNCF reste pour l'heure incertain. Je rappelle que la Commission européenne a ouvert, en janvier 2023, une procédure formelle sur les conditions de financement de Fret SNCF. Elle considère en effet que les aides versées entre 2007 et 2019 par la maison mère SNCF à son activité de fret alors ouverte à la concurrence n'ont pas été conduites dans le respect des règles de concurrence européennes. Les montants en jeu s'élèveraient à environ cinq milliards d'euros. Dans ce contexte, une issue défavorable de la procédure impliquerait pour Fret SNCF de rembourser ces cinq milliards d'euros, ce qui, de fait, conduirait à sa liquidation et constituerait sans doute un coup fatal porté au fret ferroviaire en France.

C'est pourquoi les autorités françaises privilégient un plan de discontinuité qui a vocation à ce que la commission constate l'existence d'une discontinuité économique entre Fret SNCF et la structure qui lui succéderait, de sorte à annuler la dette de cinq milliards d'euros due par Fret SNCF.

Aussi, pourriez-vous, Monsieur Delorme, nous présenter l'état d'avancement de ce dossier et l'issue qui sera retenue pour Fret SNCF ainsi que les conditions fixées par un tel plan de discontinuité ? La remise sur le marché de certaines parties de l'activité et l'ouverture du capital à des actionnaires minoritaires, en particulier, ne risquent-elles pas de déstabiliser durablement l'entreprise, et plus généralement, le secteur du fret ferroviaire ? Pourriez-vous également nous préciser comment vous vous préparez aux évolutions à venir, notamment en ce qui concerne les employés de Fret SNCF ?

Au-delà du cas particulier de Fret SNCF, avez-vous connaissance d'autres États concernés par une procédure analogue ? Faut-il y voir un risque pour la dynamique du fret ferroviaire ?

J'en viens à présent à la situation plus globale du transport ferroviaire de marchandises, qui, semble-t-il, commençait à retrouver une trajectoire positive, notamment entre 2020 et mi 2022. Monsieur Doutrebente nous a toutefois indiqué que cette évolution avait récemment connu une inflexion, en raison notamment de la hausse des prix de l'énergie et des conséquences des grèves. Qu'en est-il s'agissant de Fret SNCF, et plus globalement du groupe RLE ? Quels sont les segments d'activité les plus en difficulté, et, à l'inverse, ceux qui tirent leur épingle du jeu ?

En outre, quel bilan tirez-vous du plan de relance et du prolongement des aides à l'exploitation ? D'après vous, les moyens mobilisés sont-ils de nature à permettre au fret ferroviaire de doubler sa part modale dans le transport de marchandises d'ici 2030, comme le prévoit l'article 131 de la loi « Climat et résilience » de 2021 ?

M. Frédéric Delorme, Président de Rail Logistics Europe. - Je suis heureux de pouvoir revenir devant vous pour évoquer la question du développement du fret ferroviaire.

Je commencerai par rappeler les évolutions positives intervenues en 2021 et 2022 qui ont été des années à marquer d'une pierre blanche puisque la part de marché du fret ferroviaire a augmenté de 1,5 %, ce qui n'était pas arrivé depuis trente ans. Cette inflexion a été significative au regard de l'objectif de long terme qui vise à porter la part du fret ferroviaire de 9 % à 18 %. Les résultats économiques de Rail Logistics Europe - qui, en. dehors de Fret SNCF a aussi d'autres filiales et constitue le numéro un en France avec environ deux tiers de l'activité du fret - se sont améliorés. Fret SNCF a également généré un résultat ou EBITDA (Earnings Before Interest, Taxes, Depreciation, and Amortization ou Bénéfice avant intérêts, impôts et amortissements) positif : certes cette performance n'est pas encore suffisante pour financer des investissements durables mais elle a été qualifiée d'historique pour les années 2021 et 2022. Rail Logistics Europe est également le deuxième acteur logistique de fret ferroviaire en Europe derrière la Deutsche Bahn. J'ai examiné les trajectoires de rentabilité des grands opérateurs de taille équivalente - l'allemand DB Cargo, l'autrichien RCG, le belge Linéas ou les Suisses - à la même période : malheureusement, et ce n'est pas une bonne nouvelle pour le secteur, une grande partie de ces opérateurs ont vu leur rentabilité - mesurée par le ratio entre EBITDA et chiffre d'affaires CA - se dégrader tandis que nous avons eu la plus belle progression d'Europe. Par conséquent, si vous m'aviez fait venir en 2022, vous ne m'auriez vu qu'avec le sourire... Les facteurs de succès, pour cette période, ont été triples avec, tout d'abord, une vraie politique publique en faveur du fret ferroviaire, avec la loi « climat et résilience » qui a fixé des objectifs et qui a été suivie d'effets. Le deuxième facteur réside dans l'amélioration de notre performance intrinsèque. Le troisième point est que nous avons bénéficié d'une période de paix sociale, ce qui n'est pas négligeable. Quand ces trois conditions sont réunies - une vraie politique publique qui équilibre le rail et la route en donnant des perspectives claires, une action efficace de notre part et la paix sociale - cela fonctionne bien et il n'y a pas donc de fatalité à ce que le fret ne se développe pas.

Les choses se sont passées différemment en 2023 avec de considérables facteurs exogènes. Tout d'abord, les grèves portant sur les retraites - sachant que c'est plutôt l'accès au réseau qui nous a posé problème plus encore que les grèves spécifiques à Fret SNCF - ont eu un impact sur le chiffre d'affaires de Rail Logistics Europe de l'ordre de 90 millions d'euros, dont plus de la moitié pour Fret SNCF, à comparer avec notre chiffre d'affaires d'un milliard d'euros en France - notre chiffre d'affaires étant par ailleurs de 1,7 milliard d'euros en Europe. De plus, le choc énergétique s'est poursuivi. Tandis que les principaux soutiens alloués en 2022 au secteur ferroviaire n'ont pas été reconduits en 2023, je note que, dans le même temps, une certaine modération du prix du gazole a bénéficié aux routiers. Nous avons, de notre côté, subi une hausse du gazole non-routier (GNR) et du coût de l'électricité. Le troisième facteur exogène a été l'accident de la Maurienne, dont on sait maintenant qu'il nous privera au moins pendant un an d'accès ferroviaire à l'Italie : pour nous, cela se traduit par une perte de 20 millions d'euros de chiffre d'affaires en année pleine. Ces trois mauvaises nouvelles exogènes font baisser notre rentabilité de plus de dix pour cent : peu de secteurs peuvent se permettre d'absorber un tel choc, d'autant que notre entreprise doit supporter une grande part de coûts fixes.

En dernier lieu, sans doute en raison de la crise ukrainienne et de la conjoncture économique générale, les volumes de transports des secteurs électro-intensifs comme la sidérurgie ou la chimie sont aujourd'hui en baisse de l'ordre de 20 %. Notre métier consiste à nous adapter aux fluctuations d'activité mais ce facteur se cumule avec ceux que j'ai précédemment cités.

Comme vous l'avez indiqué, M. le Président, s'ajoute en 2023 la sanction infligée par la Commission européenne : celle-ci porte sur la période passée 2007-2019 et nous impose - alors que Fret SNCF était à peine revenue à l'équilibre en 2021 2022 - de nous amputer d'un bras en abandonnant un trafic de trains entiers réguliers qui représente 20 % du chiffre d'affaires de Fret SNCF. Je ne vous cache pas que pour le dirigeant que je suis et pour l'entreprise cela constitue un choc, d'autant qu'il y a plus de plaignants et qu'il y a en revanche une demande de plan de relance en France ainsi que le Green Deal en Europe. Je reviendrai plus en détail sur cette discontinuité si vous le souhaitez et j'indique que j'ai été entendu sur ce sujet par la commission d'enquête mise en place par les députés. En tout état de cause la Commission européenne est dans son droit, au sens propre du terme, puisque le droit de la concurrence s'applique à tous : nous nous sommes battus sur le terrain juridique mais les aides fléchées sur le fret à cause de son déficit chronique ont été déclarées contraires au droit de la concurrence et la procédure formelle a été ouverte au 18 janvier 2023 après plusieurs années de discussions informelles.

Avec l'État, nous nous sommes fixés quatre lignes rouges. Tout d'abord, il fallait absolument éviter que Fret SNCF doive in fine rembourser la somme de 5 milliards d'euros sans quoi cela acterait la disparition du premier opérateur de fret ferroviaire de France et cela conduirait à mettre un million de camions de plus sur les routes, avec un bilan carbone catastrophique : la Commission européenne a tout de même été sensible à cet argument. Outre le fait d'éviter un tel report modal inversé, l'objectif est de permettre à l'entreprise de renaître en changeant de nom au 1er janvier 2025 et d'être viable économiquement malgré la perte de 20 % de son chiffre d'affaires. Vis-à-vis des salariés, aucun licenciement ne doit intervenir, l'objectif est de protéger les salariés en leur permettant de retrouver un emploi dans l'entreprise grâce à la solidarité du groupe SNCF. Enfin l'objectif est d'exclure la privatisation en se contentant d'ouvrir le capital à un actionnaire minoritaire, qui aura un contrôle conjoint sur l'entreprise.

Cette solution est déjà en train d'être mise en oeuvre, avec l'abandon au 1er janvier 2024 d'une partie de nos trafics et la création d'une nouvelle entreprise qui ne sera pas redevable des cinq milliards de dettes. Cette solution est viable, malgré son coût économique, grâce à la politique de soutien au plan de relance du fret ferroviaire en France, qui se traduira par une augmentation de 30 millions d'euros d'aide supplémentaire - de 2025 jusqu'en 2030 selon les indications du ministre Clément Beaune - par rapport aux 170 millions d'euros du plan de relance initial. Ces aides permettent d'équilibrer les pertes et de conserver au final une trajectoire équivalente à celle qu'aurait suivie Fret SNCF, même si celle-ci doit réduire son activité.

Le seul point qui me gêne est que ces aides ne seront pas encore mises en place en 2024 alors que la discontinuité intervient au 1er janvier de cette même année. Par conséquent, le budget que je présente dès cet après-midi à mon président est un budget négatif sur Fret SNCF : ce n'est pas une bonne nouvelle car cela ne donne pas nécessairement envie aux marchés et aux investisseurs qui souhaiteraient rentrer au capital de s'intéresser à nous. De plus, je trouve que ce n'est pas un bon signal donné à l'ensemble du secteur parce que celui-ci traverse la crise que j'ai évoquée et un accompagnement face à ce choc sur 2023 et 2024 serait le bienvenu.

Du point de vue de Fret SNCF, les aides au wagon isolé contribuent à l'équilibre général de la nouvelle société qui naîtra au 1er janvier 2025 mais la discontinuité qui intervient dès le 1er janvier 2024 a un coût et les trente millions d'euros supplémentaires que j'ai mentionnés seraient bienvenus. Un amendement a été proposé dans ce sens et nous le soutenons totalement : dans cette période difficile, ce serait un signal fort envoyé à notre secteur qui a vécu une année 2023 compliquée.

Les variations conjoncturelles ne remettent pas en cause de mon point de vue la tendance structurelle. J'ai écouté avec beaucoup d'attention l'audition, à l'Assemblée nationale, de Madame Florence Berthelot, déléguée générale de la Fédération nationale des transports routiers (FNTR) qui se déclare en faveur du transfert modal, indique qu'il ne faut pas opposer la route et le rail et souligne que le temps de la décarbonation va être très long. Elle précise qu'un tracteur électrique routier est trois fois plus cher aujourd'hui qu'un tracteur diesel et qu'il est difficile à ce stade de savoir à quel rythme les différentes énergies - notamment électrique et hydrogène - vont se déployer. L'incertitude porte également sur la soutenabilité et le financement du coût de la décarbonation.

Par comparaison, je rappelle que nous sommes immédiatement disponibles et nous ne doutons pas que les chargeurs ont tendance à demander plus de rails, comme ils viennent à nouveau de l'exprimer. Malgré la passe difficile, que nous vivons jusqu'en 2024, les conditions sont propices à augmenter la part de marché du rail.

La question est cependant posée de savoir si nous parviendrons au doublement de la part modale du fret ferroviaire. J'ai assisté à une présentation de M. Antoine Peillon, secrétaire général à la planification écologique, à France Logistique, qui indiquait envisager une part de marché de 15 % plutôt que de 18 % pour le fret ferroviaire en 2030, ce qui me paraît réaliste. D'ailleurs, notre trajectoire pour Fret SNCF se situe dans cet ordre de grandeur : quand je présente mes plans stratégiques à dix ans, la prévision se situe plutôt à 14 ou 15 % de part de marché en 2030, ce qui serait déjà le signe d'une dynamique formidable. Certes, ce résultat présente un écart par rapport à la loi climat mais, au final, ce sont les chargeurs qui décident.

Je soulignerai deux facteurs essentiels pour nous permettre d'aller plus loin ou même de sécuriser cette trajectoire.

Le premier est celui de la qualité du réseau. Mon collègue Matthieu Chabanel, président-directeur général de SNCF Réseau fait face à une demande croissante de régénération. La bonne nouvelle est que les crédits consacrés au réseau vont être augmentés, ce qui va impliquer beaucoup de travaux sur le réseau. Parallèlement, on enregistre une demande croissante de développement du transport de voyageurs, en particulier avec les services express régionaux métropolitains, et un objectif de doublement du trafic de fret. Il faut donc résoudre cette difficile équation et je ne vous cache pas notre inquiétude quant à la visibilité sur certaines parties du réseau qui pourraient être totalement saturées à l'horizon de trois ou quatre ans : avant 2030, une partie des trafics de transport combiné, ne pourraient pas s'écouler tout simplement faute d'accès aux voies.

Globalement, le réseau n'est en moyenne pas saturé, mais on sait qu'il va y avoir des problèmes par exemple en Île-de-France, en région Hauts-de-France autour de Lille, dans le noeud lyonnais, en région Grand Est de Toul à Dijon, dans le sillon Mosellan et la plaine d'Alsace. Nous savons que ces endroits vont être saturés, mais pas exactement quand ni comment y remédier. Par conséquent, il faudrait pallier ce manque avec une rubrique consacrée aux investissements de désaturation pour que le réseau puisse faire face à l'ensemble des besoins et bien entendu le fret ne souhaite pas être la variable d'ajustement.

Le deuxième sujet porte sur l'aspect qualitatif. Je vais demain à l'ART (Autorité de régulation des transports) et celle-ci s'est exprimée en faveur des accords-cadres à 5 ou 10 ans permettant de garantir, en conception et en réalisation, des sillons de qualité. Le secteur du fret est très demandeur de ces accords pour le transport combiné, qui est extrêmement sensible à la performance des sillons. De plus, le plan de relance prévoyait 210 millions d'euros sur trois ans pour financer des surcoûts de travaux permettant de libérer des sillons de qualité : en effet, pendant la nuit, un conflit doit être résolu entre les travaux et l'utilisation des sillons, notamment pour le transport combiné et ces crédits ont effectivement permis à SNCF Réseau de libérer des sillons pour le fret. Cependant cette mesure prend normalement fin en 2024 et nous posons la question de leur pérennisation car SNCF Réseau est placé devant des choix difficiles car exécuter des travaux successivement sur chacune des voies n'a pas le même coût que de fermer les deux voies en même temps. Il est donc souhaitable de continuer à accompagner le gestionnaire d'infrastructure pour financer des sillons. En outre, nous aimerions également avoir de la visibilité sur la programmation des 4,2 milliards d'investissements dans le fret ferroviaire et, avec l'Alliance 4F, nous appelons de nos voeux une nouvelle loi dans ce domaine.

Je vais m'en tenir à cette présentation générale, tout en me tenant à votre disposition afin de vous présenter quelques autres mesures incitatives que j'ai pu détailler à l'Assemblée nationale lors de mon audition, en particulier sur la complémentarité entre la route et le rail.

M. Stéphane Demilly. - Lorsqu'on observe les politiques de soutien à l'activité de fret ferroviaire à l'étranger, on remarque que parfois, notre pays accuse un certain retard parce que les subventions publiques sont souvent plus élevées dans des pays voisins comme l'Allemagne, l'Autriche, la Suisse ou la Belgique. Pensez-vous que la politique du développement du fret en France a trop longtemps souffert d'une absence de stratégie globale et d'un accompagnement insuffisant de la part de l'État ?

M. Michaël Weber. - Votre présentation me semble faire ressortir l'absence surprenante de définition d'une stratégie claire pour le fret ferroviaire. Vous avez ainsi évoqué des secteurs qui pourraient être rapidement saturés comme le sillon Mosellan qui me concerne tout particulièrement. À vous entendre, on perçoit une prise de conscience de la situation et on a le sentiment qu'il n'y a pas de quoi être rassurés sur les parts de marché du fret ferroviaire en raison de difficultés conjoncturelles mais également structurelles liées à l'infrastructure ou à la concurrence avec le trafic de voyageurs. Je me demande surtout quelle stratégie et quels moyens on met en oeuvre pour essayer d'accompagner le développement du fret ferroviaire ? Je suis très étonné par l'insuffisance des pistes de solution. Je sais que le député des Vosges David Valence préside une commission d'enquête sur la libéralisation du fret ferroviaire, mais je suis assez inquiet et on a vraiment le sentiment que le fret ferroviaire est non seulement le parent pauvre mais peut-être aussi même le parent oublié de la politique française du fret.

M. Hervé Gillé. - Dans le même sens que l'intervention précédente, je souligne qu'on a le sentiment de ne pas disposer d'un document maître, stratégique et prospectif, qui nous permettrait d'avoir des lignes de visibilité sur l'ensemble des territoires. C'est là un vrai souci car face à la complexité du sujet, il est très délicat d'arriver à se positionner sans avoir des lignes de priorités stratégiques qui impactent effectivement les territoires, mais avec nécessairement, en termes de logistique, une forme de complémentarité et d'intermodalité à trouver pour optimiser les flux. Je voudrais vraiment vous sensibiliser à cette importante difficulté car à l'échelle des Schémas régionaux d'aménagement et de développement durable du territoire (SRADDET), du positionnement des régions et dans l'interaction des acteurs, on a du mal à imaginer quelles sont réellement les priorités et le champ du possible. Par exemple, en région Nouvelle-Aquitaine, tant qu'on n'arrivera pas à franchir correctement la frontière espagnole, la situation va rester très compliquée et, à ma connaissance, la solution ne se profile pas pour demain. Où sont donc véritablement les priorités des grands flux logistiques en France ? Telle est ma première interrogation.

Ma seconde thématique porte sur les logistiques intermédiaires et les déplacements intermédiaires. J'ai bien entendu vos propos sur la décarbonation de la flotte routière. Néanmoins, on constate aujourd'hui une progression significative de cette décarbonation sur les transports de moyenne distance - inférieurs à quatre cents kilomètres. L'impact de cette évolution n'est pas négligeable en termes de prospective : là aussi, comment mesure-t-on cet impact alors que les sauts technologiques que l'on va pouvoir observer dans les années à venir vont sans doute déplacer cette barre au-delà des 400 km ? Il y aura donc nécessairement un impact, en particulier sur les ruptures de charge qui sont aujourd'hui un souci majeur de préoccupation.

Je suis tout à fait d'accord avec la ligne directrice de votre exposé, mais je souligne les insuffisances actuelles en termes de prospective et cela me semble un grave défaut eu égard à l'appropriation politique de cette orientation et à la manière dont on peut se positionner dans ce domaine. Vous avez enfin évoqué des notes d'information sur des points complémentaires : pouvez-vous nous les envoyer assez rapidement pour nous faire gagner du temps ?

M. Frédéric Delorme. - Tout d'abord, la France a tout de même beaucoup rattrapé son retard grâce au plan de relance. Avec Jean-Pierre Farandou, j'avais présenté au Premier ministre Jean Castex une courbe présentant à la fois la répartition de la part de marché du fret dans chaque pays européen et les politiques publiques de soutien au fret ferroviaire : la France était, avec l'Espagne, dernière de la classe sur ces deux indicateurs. Au milieu de la courbe se situait l'Allemagne, très haut devant la Suisse ainsi que l'Autriche. Certes, il n'y a pas de relation automatique entre les soutiens publics et le volume de fret car il faut prendre en compte d'autres facteurs comme la performance des opérateurs ou le choix des chargeurs mais le schéma était assez frappant et on a corrigé la situation. J'observe cependant que la Suisse qui soutient le fret ferroviaire à un très haut niveau applique également la taxe sur le transport routier ; la France a choisi d'aider le ferroviaire, mais la route n'y paye pas le coût de ses externalités négatives. En matière d'application de l'Eurovignette, de système d'échange de quotas d'émissions (ETS) ou de TICPE (taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques), on voit bien qu'en France il n'y a pas une volonté d'augmenter sensiblement les prélèvements sur le transport routier. Si tel n'est pas le cas, nous demandons au moins qu'on aide le secteur ferroviaire vertueux au bon niveau et celui que nous avons obtenu nous situe dans la moyenne du peloton. On pourrait cependant aller plus loin si la route pouvait financer une partie de notre développement ferroviaire.

Je n'oppose d'ailleurs pas le rail à la route et je respecte les politiques publiques qui n'appliquent pas l'équivalent de l'écotaxe, même si certaines régions comme le Grand Est la mettent en oeuvre, sans quoi tous les camions circulant dans les pays voisins qui imposent une telle écotaxe risqueraient de se déporter en France. Je fais observer qu'on peut aussi aider la route pour favoriser le ferroviaire. Je rappelle qu'en transport combiné, un camion qui parcourt 400 kilomètres au total peut, en conservant de l'autonomie, en parcourir 200 de façon décarbonée. S'il se rend dans une gare de marchandises ou vers une plateforme combinée pour que les produits effectuent une longue distance par le transport ferroviaire, ce transport routier est vertueux. Cependant, les transporteurs routiers français qui pratiquent ce transport combiné ne bénéficient d'aucune aide ou avantage particulier. Nous traitons d'ailleurs le sujet de l'aide aux routiers « vertueux » dans nos propositions complémentaires en suggérant des incitations fiscales avec, par exemple, des réductions d'impôt sur les sociétés et il faut en discuter avec les routiers eux-mêmes. Je note que cela développerait également des emplois en France et j'ai entendu Mme Florence Berthelot indiquer que le transport intermodal rail-route limiterait le déferlement des camions étrangers lituaniens, polonais, espagnols qu'on observe depuis trente ans sans payer les externalités négatives qu'ils génèrent en France en effectuant que du transit. La collecte et la distribution par la route des marchandises circulant sur les rails développeraient également des emplois routiers en France. Il y a donc là une faille de nos politiques de transport dans la connexion rail-route.

Je précise que nous n'avons pas peur de la décarbonation du transport routier : elle est nécessaire mais nous disons qu'il faudra progressivement prendre en compte toutes les externalités positives ou négatives des modes de déplacement. De ce point de vue, le train, par tonne transportée, consommera toujours six fois moins d'énergie que la route, quel que soit le type d'énergie, y compris électrique : en effet, un train glisse sur la voie avec un contact minuscule avec les rails tandis que le frottement est beaucoup plus important sur la route. Or demain les énergies fossiles vont s'amenuiser et l'énergie décarbonée sera rare et chère. En prenant en compte la saturation des routes et des autoroutes, les accidents de la route et la santé, on constate que le gain en CO2 ne représente, selon nos calculs, que le cinquième des avantages générés par l'utilisation du rail plutôt que de la route en termes d'externalités négatives. On se focalise souvent sur le CO2 pour des raisons climatiques mais l'énergie, la désaturation des routes et la pollution sont des enjeux tout aussi dignes d'intérêt.

Je souhaite donc qu'on puisse aider le rail et la route à mieux travailler ensemble et inciter les routiers français à devenir complémentaires du rail.

Par ailleurs, mon propos a été de mettre l'accent sur la bonne nouvelle que constitue l'annonce d'un investissement de 100 milliards d'euros pour le ferroviaire : certes ils ne sont pas pour l'instant financés mais dans les cinq ans qui viennent, la régénération du réseau ferroviaire va progresser. De plus les services express régionaux métropolitains constituent une nouveauté par rapport à la loi « Climat et résilience » et l'objectif du doublement du fret ferroviaire est toujours d'actualité : il ne serait donc pas normal que SNCF Réseau ne soit pas encore prêt à répondre à ces défis. Le gestionnaire d'infrastructure travaille en collectant, avec des plateformes d'exploitation régionale, l'ensemble des besoins de flux qui vont circuler sur le rail ; toutefois, à un moment donné il va lui falloir « sortir du bois » pour alerter sur les risques de saturation et signaler les investissements absolument nécessaires. J'espère qu'en 2024 l'architecte du réseau pourra éclairer les choix permettant éviter d'aller dans le mur : ce ne serait pas la peine pour nous d'investir dans des locomotives s'il y a des endroits où elles ne pourront plus circuler en France. On reste donc un peu dans l'incertitude sur ce sujet mais il faut laisser les plateformes d'exploitation terminer leur travail : ces dernières étant plutôt territoriales, je vous rejoins sur la nécessité d'avoir une vision plus large sur les axes. J'illustre mon propos en reprenant l'exemple de l'Aquitaine que vous avez mentionné : il est incroyable que la part du marché du fret ferroviaire se limite à 3 % pour aller depuis Hendaye vers l'Espagne alors qu'on observe de très longues files de camions. Pour remédier à cette situation, il faut réaménager tout l'axe atlantique ferroviaire car aujourd'hui les gabarits et les infrastructures ne sont pas suffisamment bien adaptés. Si on pouvait programmer dans ce secteur des ajustements volontaristes sur la période 2028 à 2032, on pourrait récupérer des parts de marché ferroviaire considérables sur le rail : il suffit de comparer ces 3 % de part de marché à la moyenne de 10 % en France et de 18 % en Europe, laquelle souhaite atteindre 25 %. Je pense donc que ce défi des grands flux et des grands axes comme l'artère nord-est, les sillons lorrains, le sillon Mosellan et l'axe Atlantique, doit être regardé dans une logique d'axe : au-delà de la logique territoriale, il nous faut une vision d'aménagement du territoire et de programmation, ce qui rejoint les questions de désaturation et d'écoulement des trafics.

M. Jean-François Longeot, président. - Je vais à présent donner la parole à M. Philippe Tabarot, rapporteur budgétaire pour avis sur les crédits des transports ferroviaires, fluviaux et maritimes.

M. Philippe Tabarot. - Monsieur le Président Frédéric Delorme, vous avez répondu en partie à mes interrogations et je vais donc rebondir sur vos propos. Nous enregistrons avec une certaine déception l'annonce du report de quelques années des objectifs fixés dans la loi « Climat et résilience » de doublement de la part modale sur le fret ferroviaire. Pour autant nous étions, comme vous, plutôt optimistes au vu des résultats encourageants de l'année 2022. Nous le sommes moins au vu de vos explications sur les chocs externes qui ont entravé le développement du fret ferroviaire..

Je souhaitais initialement vous interroger sur l'état des infrastructures, le niveau des péages et l'évolution du paysage ferroviaire. Concernant l'état des infrastructures, vous venez de l'indiquer et le président de l'Alliance 4F que nous avons entendu en juillet dernier avait également insisté sur l'importance d'avoir un gestionnaire d'infrastructure en ordre de marche pour délivrer un outil industriel à la hauteur des besoins des entreprises ferroviaires et des chargeurs. Je rappelle que notre commission avait alerté à maintes reprises sur les insuffisances du dernier contrat de performance entre SNCF Réseau et l'État. Nous avons notamment insisté sur le manque d'opérationnalité des indicateurs envisagés et sur la nécessité de viser une véritable adéquation entre les sillons attribués et les besoins des clients.

Quelque part, vos remarques suscitent encore quelques interrogations. En effet, nous sommes ici résolument pour la régénération et la modernisation qui restent quasi inexistantes dans notre pays. Or on peut avoir l'impression d'une certaine schizophrénie car alors que nous plaidons en faveur de la régénération du réseau tant pour les voyageurs que pour le fret, vous manifestez votre inquiétude sur l'évolution de vos activités de transport de marchandises et tel n'est pas notre souhait. Vous évoquez les plateformes d'exploitation du réseau, mais ce n'est pas une surprise que SNCF Réseau aura, dans les années à venir, des moyens supplémentaires pour mener à bien cette régénération et la compatibilité de celle-ci, avec le développement du fret ferroviaire doit bien entendu être intégrée. J'ajoute qu'à chaque fois que ce sujet est abordé, la concurrence entre le transport de voyageurs et le transport de marchandises réapparaît et soulève des difficultés.

S'agissant du niveau des péages, comme vous le savez, Bruno Le Maire et Clément Beaune ont enfin confié à l'Inspection générale des finances et à l'Inspection générale de l'environnement et du développement durable le soin de réaliser une mission sur la tarification de l'usage et le financement du réseau ferroviaire. D'après la lettre de mission adressée aux deux inspections, cette étude devra, entre autres, établir une comparaison à l'échelle européenne des tarifications des péages de fret. Il est vrai que l'on a du mal à comprendre pourquoi le coût des péages est aussi élevé en France, ce qui ne semble pas être le cas des autres pays européens. Une étude récente que nous a transmise l'Association française du rail et portant sur les lignes à grande vitesse laisse penser qu'une réduction des péages serait in fine bénéfique au système ferroviaire en général. La question se pose évidemment dans des termes différents pour ce qui concerne le fret et j'espère que la mission IGF IGEDD permettra d'apporter des réponses à ce sujet. D'ores et déjà, suivant quelles modalités estimeriez-vous pertinent de voir les différents types de redevances évoluer ? Considérez-vous que cette mission constitue l'occasion de remettre à plat le modèle économique du fret ferroviaire, en prenant exemple sur d'autres pays européens ?

En troisième lieu, et de façon plus prospective, l'évolution du paysage du fret ferroviaire. Vous l'avez évoqué dans votre propos liminaire : Fret SNCF connaîtra dans un futur relativement proche d'importants bouleversements qui pourraient avoir des répercussions très fortes sur l'ensemble du secteur. D'abord, quelles sont les modalités plus détaillées du plan de discontinuité ? Sont-elles d'ores et déjà figées et à l'inverse quelles sont celles qui peuvent encore faire l'objet de discussions ou d'ajustements ? Au-delà de Fet SNCF, comment le groupe RLE, et plus largement le secteur, se prépare-t-il à ces évolutions ?

M. Frédéric Delorme. - Tout d'abord, je vous indique que nous ne nous plaignons pas des péages : ces derniers ne doivent pas être, pour SNCF Réseau, le facteur déterminant de développement du fret sans quoi on n'accueillerait que des TGV voyageurs sur le réseau, Le modèle économique de SNCF Réseau ne doit donc pas être uniquement orienté sur l'ajustement des péages ou les choix de trafics en fonction des péages : cela nécessite une orientation claire sur l'aménagement du réseau pour le fret ferroviaire, car le modèle économique naturel du péage n'incite pas à développer le fret. Certes, nous payons les péages un peu plus cher que dans le reste de l'Europe, mais le plan de relance comporte des aides supplémentaires allouées pour les péages et je pense même qu'un certain nombre d'opérateurs de fret seraient prêts à les payer un tout petit peu plus cher à condition que la qualité soit au rendez-vous car un sillon performant nous permet d'être compétitifs du point de vue économique. En effet, le sillon c'est le « transit time », à savoir le temps de rotation des locomotives et des conducteurs et en gagnant trois heures sur un sillon, mon gain est bien supérieur au prix des péages : dit autrement, je suis donc prêt à partager les gains de productivité avec SNCF Réseau, en payant sur la base de contrats-cadres pour la qualité de service, notamment sur le transport combiné.

On peut néanmoins citer quelques anomalies : tel est le cas quand certains de nos concurrents roulent au diesel sous caténaire alors que nous fonctionnons à l'électrique à 90 % et parcourons les derniers kilomètres au diesel uniquement quand la ligne n'est pas électrifiée. Il y a ici un dysfonctionnement concurrentiel lorsque certains acteurs, pour des raisons d'économie, fonctionnent de bout en bout au diesel pour économiser le changement de locomotive : nous qui électrifions notre transport sous caténaire subissons des coûts supplémentaires et je me demande si on ne pourrait pas adapter les péages - au sein du secteur de fret ferroviaire - pour inciter à utiliser l'électrique.

Quelques mots sur le plan de discontinuité de Fret SNCF. Cette discontinuité vise surtout à éviter de rembourser cinq milliards d'euros et de liquider ainsi Fret SNCF. Le point d'équilibre qui a été trouvé entre l'État et la Commission européenne s'est éloigné de la jurisprudence que nous avait présenté celle-ci et qui aurait conduit à une solution brutale : la division par moitié de l'activité, des effectifs, des actifs et un changement d'actionnaire y compris majoritaire, ce qui franchissait toutes les lignes rouges que j'ai citées précédemment. La Commission européenne a compris qu'en allant trop loin dans la demande de réduction de la voilure de Fret SNCF, ce n'est pas le rail et les concurrents ferroviaires qui allaient en profiter, mais la route. Il existe en effet une double concurrence et il faut tenir compte de la porosité entre rail et route et raisonner sur le marché pertinent qui n'est pas le fret ferroviaire mais le transport de marchandises terrestres. Le droit de la concurrence se limite à statuer sur la compétition entre les acteurs ferroviaires, sauf que si on nous demande d'abandonner 50 % du trafic de fret, il y aura un million de camions de plus sur les routes : est-ce compatible avec le droit de l'environnement et les exigences du Traité sur l'Union européenne ? La Commission européenne a compris - et cela a un peu retenu son bras - qu'on ne pouvait pas appliquer au fret ferroviaire la jurisprudence des 50 % de réduction qui a été par exemple imposée à Alitalia. Au final, nous parvenons à préserver 80 % du chiffre d'affaires de l'activité de fret, 90 % des emplois - même s'il va falloir trouver une activité pour les 10 % restants dans le fret ou au sein du groupe SNCF et je souligne que la situation imposée à ces personnels n'est pas facile à vivre. La Commission européenne a imposé qu'on abandonne certains trafics, alors même que des clients nous disent qu'ils auraient souhaité conserver nos relations commerciales. En revanche, nous sommes contraints d'abandonner des trafics dits « à moyens dédiés », c'est-à-dire des prestations réalisées dans des trains complets achetées par des clients réguliers et fréquents : à 95 %, il s'agit de traction ferroviaire pour des opérateurs de combiné. Nous conservons néanmoins tout le marché industriel, ce qui inclut la sidérurgie, la chimie, les armées, le nucléaire, les produits de grande consommation, l'automobile, les ciments, le BTP, les céréales et l'agriculture. Nous pourrons assurer leur fret non seulement par wagons isolés, mais aussi en poursuivant notre offre de transport par trains entiers et réguliers pour lesquels on a installé sur tout le territoire national une capacité de production qu'on partage entre tous les clients. En résumé nous abandonnons les moyens dédiés à un client et nous conservons la « gestion capacitaire » qui est une de nos spécificités à l'échelle du territoire français : il s'agit d'une capacité de transport dont on ne sait pas à l'avance si elle sera utilisée pour tel ou tel client et qui permet, en mutualisant les moyens, d'offrir des fréquences variables et de faibles volumes, ce qui permet d'attirer des clients qui n'avaient pas accès au ferroviaire et qui viennent chez nous parce nous pouvons répondre à leur besoin spécifique. Au final, même si la concurrence est ouverte, nous sommes en quelque sorte « l'opérateur systémique » - selon la formule employée par Anne-Marie Idrac - dont chaque pays a besoin pour offrir ce service sur tous les territoires, pour tous formats de lots de marchandises et pour toutes fréquences. Nous conserverons donc 80 % de nos activités à partir de 2025 et je pense que cette configuration a rassuré les industriels dont certains redoutaient la disparition de Fret SNCF et envisageaient de recourir au transport routier. Le point d'équilibre ainsi préservé permet de ne pas remettre en cause la croissance du ferroviaire et nos concurrents sont en mesure de prendre le relais pour les trafics que nous allons perdre. Au 1er janvier 2024, nous devrons abandonner treize flux, puis une dizaine au 1er juillet 2024 sur les trafics réguliers fréquents et je n'ai pas d'alerte selon laquelle au 1er janvier 2024 cela entraînerait un transfert modal - nous verrons ce qu'il adviendra en juillet 2024. Je fais observer que la conjoncture n'étant pas particulièrement favorable, nos concurrents disposent de locomotives ainsi que de moyens disponibles et sont donc capables de reprendre les trafics sans aide particulière.

M. Jacques Fernique. - Toute la question est effectivement de savoir si le label d'opérateur historique avec le potentiel que cela représente permettra au bras dont sera amputé Fret SNCF de repousser. Plus globalement, la progression de 1,5 % de la part du fret ferroviaire est un succès historique notable ; cependant, à supposer même qu'on parvienne à doubler la part modale du fret ferroviaire et qu'en même temps les objectifs fixés au niveau européen du fret ferroviaire soient atteints, le différentiel entre la France et l'Union européenne restera très important et avoisinera une dizaine de points de pourcentage. Autant dire que si l'on échouait à doubler la part modale de notre fret ferroviaire, nous serions clairement déconnectés de l'Europe ferroviaire et vous avez mentionné des signaux assez inquiétants de ce point de vue.

Des leviers doivent donc être vigoureusement actionnés pour éviter un tel scénario. Vous y avez fait allusion en mentionnant les écarts de compétitivité à compenser entre le ferroviaire et le routier puisque ce dernier ne paye pas ses externalités négatives et ne s'acquitte pas de l'équivalent de la taxe LKW Maut allemande, même si les choses peuvent évoluer du côté de l'Alsace vers 2025 et peut être du grand Est à l'horizon 2027 ou 2028. Vous avez également évoqué l'idée d'un crédit d'impôt lié aux externalités négatives qu'éviteraient les transporteurs qui feraient le choix de jouer le report modal. Ma question vise à approfondir ces éléments : comment rectifier de façon structurante et durable cet avantage contre-productif dont bénéficie le transport routier et comment inciter celui-ci à s'inscrire davantage dans la complémentarité avec le rail ?

M. Pierre Jean Rochette. - Dans le pays du TGV, on a négligé le fret et nous en payons malheureusement aujourd'hui les conséquences. Ma question porte sur la concurrence entre la route et le rail. Vous évoquez notamment le prix des futurs poids lourds électriques mais avez-vous pris en compte dans votre analyse le fait que le coût de l'amortissement de ces véhicules va être étalé sur des durées beaucoup plus longues - voire double - que dans le cas des véhicules thermiques. Malgré le coût élevé d'investissement de ces véhicules, le prix de revient au kilomètre de la route ne devrait donc pas s'envoler, d'autant que les dépenses d'entretien vont s'effondrer. Je ne suis donc pas véritablement convaincu que le prix du routier soit aussi dissuasif que cela. Concernant les lignes que vous abandonnez, sont-elles regroupées sur le même secteur géographique ou sont-elles dispersées sur tout le territoire national ? Au profit de qui s'opère ce désengagement : s'agit-il d'opérateurs locaux français ou d'opérateurs étrangers ? Enfin, pensez-vous que l'accès au marché de la profession de transporteur routier ferroviaire est suffisamment ouvert et souple aujourd'hui pour susciter de nouvelles vocations, notamment pour des transporteurs routiers qui voudraient aller vers la multimodalité en propre et pour les chargeurs privés qui voudraient travailler pour leur propre compte ?

Je précise également que je vous rejoins pour souhaiter un encouragement fiscal - par le biais de la TVA ou d'allègements d'imposition directe - pour inciter les chargeurs à se tourner vers le multimodal.

M. Pierre Barros. - J'aborderai trois sujets. Tout d'abord, cela fait longtemps que nous avons compris que la disponibilité des sillons est un vrai sujet et que la mise en place d'une planification sur cet enjeu contribuerait efficacement au retour du fret sur les rails. J'illustrerai la complexité de la question en évoquant le projet Euro Carex, autour de Roissy, qui a été un serpent de mer pendant plusieurs années et s'est ensuite interrompu. Il s'agissait d'un réseau ferroviaire de fret exploitant les lignes à grande vitesse pendant les heures creuses du trafic voyageur et visant à relier un aéroport international à une zone de desserte adaptée. La difficulté était liée aux accords internationaux : le travail a bien avancé du côté français, mais n'a pas été suffisamment suivi du côté allemand et belge. Le problème est d'assurer une cohérence des sillons à l'international et d'assurer la performance des réseaux de chaque côté des frontières.

Pour prolonger l'intervention de mes collègues sur les zones d'activité, je souligne qu'aujourd'hui les camions sont omniprésents sur les autoroutes et en particulier sur l'autoroute A1 qui relie Paris à Lille et que je connais bien. Je fais observer que la route conduit directement aux zones d'activités, ce qui n'est pas le cas pour le réseau ferré et il n'est donc pas étonnant que les camions soient privilégiés pour le transport de marchandises. Autour de chez moi, dans le Val-d'Oise, il y a d'anciennes zones d'activités datant d'une cinquantaine d'années qui, quant à elles, étaient parfaitement équipées et raccordées au réseau ferré avec des wagons qui arrivaient directement dans les entrepôts où le fret était déchargé puis relayé par une desserte locale assurée par des véhicules routiers.

Ma question porte donc sur la manière dont on peut être acteur et actif dans la création de zones d'activités et comment équiper les zones d'activités existantes de manière à favoriser la localisation du transport ferroviaire dans les zones logistiques : il s'agit de créer les conditions pour qu'en première intention, le fret emprunte le transport ferroviaire plutôt que routier.

M. Simon Uzenat. - Je souhaite aborder quelques sujets qui concernent plus particulièrement la Bretagne. Dans le volet mobilité du contrat de plan État-Région (CPER) qui a été voté, le développement du fret ferroviaire comporte une place importante. Vous connaissez la situation péninsulaire de notre région et je rejoins mes collègues pour souligner l'enjeu majeur que constitue le besoin de régénération et de réhabilitation des voies ferrées, en particulier sur les ports de Brest ou de Lorient, ainsi que la desserte de nos hinterlands portuaires. De la même façon sur les lignes capillaires de fret le financement des investissements est partagé entre l'État et la région. Nos industries agroalimentaires ont également des besoins très importants à la fois sur le réseau et en matière d'incitations, pour que les entreprises aient davantage recours au fret ferroviaire.

Ma seconde interrogation concerne le développement du transport combiné. Vous avez évoqué les chiffres au niveau national, mais celui-ci ne représente qu'un pour cent en Bretagne et les marges de progression sont donc extrêmement élevées à la fois au sein de la région et de la région vers les autres territoires. Des besoins ont été identifiés, en particulier dans différents secteurs industriels : pourriez-vous nous confirmer les actions que vous envisagez de mener pour faire en sorte que la dynamique du transport combiné soit au rendez-vous ?

M. Frédéric Delorme. - Je rappelle tout d'abord que le prix d'un tracteur électrique est le triple de celui d'un tracteur diesel : la différence est énorme même avec des durées d'amortissement plus longues. Ce prix va sans doute baisser au fil du temps mais c'est surtout le temps de déploiement qui pose problème car il nécessite des infrastructures adaptées et j'ajoute que l'électrification va augmenter les contraintes logistiques du transport routier, en particulier pour recharger en hydrogène ou en électricité. Le transport routier va donc devoir faire face à un véritable bouleversement logistique. Peut-être sommes-nous capables en France de l'effectuer assez rapidement, mais n'oublions pas que l'essentiel du développement du transport routier en France au cours des trente dernières années s'est fait au profit du pavillon étranger de transit. Or je ne suis pas certain que les pays voisins vont suivre au même rythme et on peut se demander si ces évolutions vont pouvoir être financées et déployées de manière coordonnée, ce qui suppose de mettre toute l'Europe d'accord. Très sincèrement, cela va prendre des décennies, au-delà de 10 à 20 ans. Dans ce contexte, notre principal message est celui de notre disponibilité immédiate et qu'il existe déjà des solutions routières complémentaires au rail qui sont déjà décarbonées : le transport combiné est donc sans doute la solution qui donnera des résultats plus rapides. J'ajoute que des acteurs routiers s'y intéressent, comme le groupe Charles André qui est un opérateur de transport combiné de même que la société bretonne Lahaye Global Logistics avec laquelle nous venons de lancer un trajet Rennes-Lille. En revanche, leur crainte concerne les trajets vers Lyon car ils ne savent pas s'ils pourront ajouter des allers-retours en raison du passage en Île-de-France et des difficultés liées au réseau. Le développement du transport combiné dépendra largement de la disponibilité des capacités d'infrastructure. Pour la Bretagne, la plateforme à Rennes est bien placée ; peut-être faudra-t-il cependant envisager un autre emplacement à l'avenir, mais la Bretagne a clairement un potentiel pour le transport combiné, principalement dans le secteur agroalimentaire auquel pourrait s'ajouter celui des produits de grande consommation.

Il est important de ne pas trop multiplier les plateformes parce que, très sincèrement, certaines erreurs ont été commises par le passé : on en créait parfois une, voire deux, dans chaque département et ces plateformes se faisaient donc concurrence. Il faut, au contraire, massifier le transport combiné et ne pas créer de difficultés en installant, par exemple, à la fois une plateforme à Laval et à Rennes. Mes propos sont un peu directs, mais je souligne la nécessité de faire des choix en favorisant la concertation entre régions sur le financement et la localisation du réseau de plateformes combinées. Sur ce point, nous avons, avec le Groupement national des transports combinés (GNTC), formulé des propositions pour indiquer où nous voyons dans 5 à 10 ans les développements de nouvelles plateformes, les extensions des plateformes existantes et les tubes de trains combinés qui les relayeront. Nous avons ainsi identifié les besoins d'infrastructures - dans le cadre des contrats de plan de la première vague, puis de la deuxième qui se met aujourd'hui en place - sur la base d'une architecture nationale de ces flux qui sont parfaitement connus de la Direction générale des infrastructures, des transports et des mobilités (DGITM).

Par ailleurs, à 95 % ce sont les opérateurs existants à la fois étrangers et français - DB Cargo, Linéas ou Regiorail - qui prendront le relais sur les flux dont nous sommes contraints de nous désengager. J'ai entendu parler de l'arrivée potentielle d'un nouvel opérateur en France qui s'appelle Medway - filiale du groupe MSC - qui investit beaucoup dans le ferroviaire sur l'ensemble de l'Europe : ils n'ont pas encore obtenu leur certificat de sécurité et il est possible qu'ils reprennent un des 23 flux mais ce serait la seule exception à la reprise des activités par les opérateurs existants.

Quant à Euro Carex, la difficulté de ce projet porte d'abord sur les sillons internationaux : je signale qu'une récente directive européenne sur le partage de la capacité au niveau européen va faciliter, voire forcer un peu plus la coordination entre les gestionnaires d'infrastructure européens. Les autorités de régulation nationales seront chargées de veiller à ce que, par exemple, les travaux soient bien coordonnés d'un pays à l'autre. Au-delà, je pense qu'un certain nombre de trafics de fret peuvent aussi relever d'une logique d'aménagement du territoire. Je ne sais pas si Euro Carex, avec la grande vitesse, peut trouver son équilibre économique, mais je signale que le fameux train des primeurs - que je qualifie d'Orient Express du fret ferroviaire parce qu'il est connu dans toute l'Europe - est un train d'aménagement du territoire qui n'équilibre pas ses comptes à lui seul. Il a une valeur environnementale mais permet aussi de relier le marché de Perpignan avec le marché d'intérêt national (MIN) de Rungis et cela évite de déplacer des emplois en Espagne pour préparer les marchandises.

Je pense qu'on pourrait mettre en place des trains d'aménagement du territoire - un peu par analogie avec les trains Intercités ou les TER qui font l'objet d'une délégation de service public (DSP) : cela s'applique à des trains réguliers et fréquents dont on ne trouve pas l'équilibre économique naturel, mais qui procurent des avantages industriels, environnementaux, et des emplois dans les territoires. Euro Carex, je crois, n'avait pas trouvé son modèle économique. S'il existe un intérêt d'aménagement du territoire, en l'occurrence européen, pour relier des aéroports entre eux ou des zones de consommation, cela peut être intéressant. Le train des primeurs se prête également bien à un tel encouragement. La Commission européenne est favorable aux délégations de service public mais ce sont plutôt les États membres qui sont réservés à ce sujet. Le domaine d'application de ces DSP est celui des plans de transport installés stables et réguliers pour lesquels la puissance publique constate un intérêt qui dépasse simplement celui du transport.

La thématique des zones industrielles embranchées fait partie de la note et des propositions que nous vous transmettrons. Les nouveaux sites industriels ou logistiques doivent évidemment être pensés en priorité avec une recherche de solutions permettant d'avoir un raccordement au rail et il faut redémarrer l'ouverture de ces embranchements aux sites existants.

Je signale un point méconnu qui fait également partie de nos propositions : le plan de relance a prévu 15 % de Certificats d'Économies d'Énergie (CEE) pour les chargeurs qui auraient recours à du trafic ferroviaire correspondant à du report modal. 15 % d'économie pour basculer un flux de la route au rail, ce n'est pas négligeable pour des opérateurs attentifs à des économies financières parfois bien moindres. Le seul inconvénient est que pour l'instant, ce dispositif ne s'applique qu'aux flux existants et nous nous demandons pourquoi on ne pourrait pas l'étendre à de nouveaux trafics. On pourrait également élargir cette incitation aux commissionnaires de transport, c'est-à-dire aux intermédiaires qui ont recours à un certain nombre de petits chargeurs qui n'osent pas encore se tourner vers le ferroviaire directement. Il me semble donc souhaitable, grâce à ce mécanisme, d'encourager plus de clients finaux à utiliser le rail et de ce fait ils auront peut-être envie de réactiver une installation terminale embranchée ou de remettre en service des embranchements existants.

Je précise enfin que des crédits du plan de relance sont prévus en faveur des capillaires, des hinterland et des embranchements : cela suppose de gérer les priorités, territoire par territoire et les discussions auront lieu dans chaque région pour voir ce que chacune estime prioritaire avec SNCF Réseau et les opérateurs de fret.

Mme Nicole Bonnefoy. - Sénatrice du département de la Charente, je souligne le très grand nombre de camions - tout particulièrement en transit - qui par la nationale 10 rejoignent la métropole bordelaise et l'Espagne, dans les deux sens. La nationale 141 qui vient du centre de la France amène elle aussi des flux immenses de poids lourds en transit. Bien évidemment, nous préférerions que ces marchandises empruntent le rail plutôt que la route et, en attendant, qu'elles circulent sur les autoroutes à proximité : tel n'est pas le cas puisque l'autoroute est payante et que les routes nationales gratuites comportent de plus en plus deux fois deux voies. Je témoigne ici d'un grave problème qui reste entier. Je signale également le cas de la gare de fret de Cognac : inaugurée en 2007 et destinée à transporter par le rail des millions de bouteilles de Cognac, cette gare toute neuve ne fonctionne pas et les millions de bouteilles de Cognac partent par la route. Bien entendu, les élus locaux encouragent tantôt le fret et tantôt la route en étant favorables à l'élargissement des routes nationales, ce qui donne une impression globale de marcher sur la tête. Je m'épuise depuis des années à essayer de résoudre ces problèmes et de le faire comprendre mais les solutions ne sont pas au rendez-vous et j'ai du mal à comprendre pourquoi, quand on a une gare de fret, on ne l'utilise pas.

M. Jean-François Longeot, président. - Je partage ce point de vue sur le détournement du trafic autoroutier - en particulier sur l'A83 - vers les routes nationales.

M. Guillaume Chevrollier. - Sénateur de la Mayenne et attentif à vos propos sur Laval, je souscris à l'importance des enjeux de la régénération du réseau. Comme vous le savez, dans mon département, des travaux de régénération sont en cours sur la voie qui conduit à la plateforme combinée de Château-Gontier-sur-Mayenne et un projet est encore à l'étude sur la zone de Saint-Berthevin qui représente, au bord de la LGV, un positionnement stratégique tout à fait intéressant. Pouvez-vous approfondir votre réflexion à ce sujet puisque vous avez indiqué en répondant à notre collègue breton qu'il fallait une coordination pour décider du choix entre Rennes et Laval. Je précise que ce projet concerne un site de 25 hectares, qu'il est à l'étude depuis un certain nombre d'années et qu'il représente un investissement financier important : il est donc souhaitable que ce projet soit ajusté et pertinent et je vous remercie de nous éclairer à ce sujet.

M. Gilbert-Luc Devinaz. - Sénateur du Rhône, je souligne que les autoroutes de mon territoire sont également très encombrées de poids lourds. Je prolonge les propos de Nicole Bonnefoy en constatant que les camions empruntent non seulement les routes nationales, mais aussi les routes départementales qui sont à la charge des collectivités territoriales : or celles-ci ne bénéficient pas de retombées financières liées à l'utilisation de ces voies, ce qui pose un problème qui va sans doute finir par susciter des réactions parmi les élus locaux. Vous avez évoqué des accords tendant à coordonner les travaux entre les pays de l'Union européenne et à l'évidence, les Savoyards souhaitent que le fret transporté par le million de poids lourds qui circulent dans leur vallée bascule sur le rail. Avez-vous des informations sur le projet de liaison Lyon-Turin et sur les progrès de la coordination d'accès entre le côté italien et le côté français ? Je vous interroge également sur la logique qui consisterait à rénover l'ancienne ligne qui relie Modane et Dijon ?

M. Frédéric Delorme. - Il est vrai que des investissements ont été consentis à Cognac dans le fret ferroviaire . Le problème est qu'en définitive, c'est le chargeur qui décide - en fonction du rapport qualité-prix du transport - et pas les transporteurs, ni les pouvoirs publics qui investissent.

Il faudrait peut-être envisager sur ces territoires la mise en place de navettes de façon à massifier le fret. Cela rejoint ma réponse sur les plateformes multimodales : le fret ferroviaire devient économiquement pertinent dès lors qu'on le massifie et il ne faut donc pas le disperser en transportant des petits volumes. Rejoindre l'axe qui part de Bordeaux pour massifier les flux serait donc une solution envisageable. Il en va de même pour le cas de Laval : si on multiplie les endroits d'échange entre la route et le rail, avec deux portiques et deux systèmes qui cohabitent à faible distance, on s'éloigne de l'objectif qui consiste à remplir les trains à 100 % car un remplissage à 60 % ne permet pas de parvenir à un équilibre économique et freine le développement de la ligne concernée. Il faut donc analyser chaque cas particulier pour écarter le risque qu'en partant de bonnes intentions par lesquelles chaque territoire souhaite afficher son encouragement au fret ferroviaire, on ne massifie pas suffisamment celui-ci.

S'agissant des installations de plateforme à Laval ou à Rennes, il faut s'assurer qu'on ne va pas démassifier le fret au point de le rendre un peu moins compétitif par rapport à la route : au final le ferroviaire sera globalement perdant si le prix proposé aux chargeurs est trop élevé.

Je regrette de ne pas être en mesure d'apporter une réponse précise sur le cas de Cognac.

Mme Nicole Bonnefoy. - Je me doutais de la réponse, mais nous ne parvenons pas à massifier les flux et la gare de fret est devenue fantôme et abandonnée après des investissements énormes de l'État : ce n'est pas normal.

M. Frédéric Delorme. - J'observe que certaines régions étudient la possibilité de collecter des produits locaux pour les diriger vers un hub national. Par exemple l'Occitanie, souhaite développer une navette entre l'Andorre et un hub ferroviaire comme Toulouse d'où partiraient des camions. Il peut être ainsi pertinent d'articuler des modèles économiques adaptés au niveau national et au niveau régional. Dans les cas où on ne trouve pas un équilibre commercial avec ces clients, on doit conclure que le rail n'est pas suffisamment compétitif pour amener les flux sur des trafics nationaux.

S'agissant des vallées de Savoie, je suis évidemment favorable au projet de très long terme du Lyon-Turin. Il doit être mené à bien mais en évitant de rater l'aménagement des accès et ça a failli être le cas. On n'a pas assez pris en compte le fait que le Lyon-Turin commence bien à Lyon pour le fret sans suffisamment penser à l'aménagement des voies de service pour organiser par exemple les échanges de locomotives. Construire un grand tube ne suffit pas et il faut le compléter avec les accès ainsi que les plateformes permettant d'exploiter efficacement le fret de l'Italie vers la France, ce qui nécessite des investissements adéquats. Cette nécessité est désormais prise en compte et des études vont être lancées pour s'assurer de la cohérence du système d'ensemble.

M. Cédric Chevalier. - Je voudrais simplement rebondir sur l'exemple que vient de donner notre collègue Nicole Bonnefoy sur la gare de Cognac. Je suis assez surpris, parce qu'avant de faire un investissement quel qu'il soit, on en mesure la pertinence avec une étude de marché, pour employer un terme entrepreneurial. Je m'étonne que cet exemple constitue une forme de gabegie financière non anticipée. J'ai bien compris que le basculement de la route vers le rail exige la compétitivité-coût de ce dernier et que c'est la massification qui permet de proposer au chargeur ou au client final de s'y retrouver financièrement. De ce point de vue, quels sont les outils permettant d'accompagner les acteurs locaux afin de procéder à des études de marché et pouvoir juger de la pertinence de l'implantation d'infrastructures pertinentes au regard du basculement de la route vers le rail ?

M. Frédéric Delorme. - Je rejoins totalement votre point de vue : il faut raisonner en partenariat public-privé et s'assurer de l'existence d'un retour sur investissement. Je ne sais pas si une telle démarche a été suivie avant de construire la gare de Cognac, mais au final ce n'est pas la gare qui fait le trafic. J'insiste sur cette formulation car le facteur déterminant est que les chargeurs et les utilisateurs de cette gare aient envie de payer le prix du rail. De nombreux bureaux d'études sont capables de faire ce type d'étude de marché et cela m'apparaît comme un préalable très sain avant d'engager des fonds publics, privés ou de l'argent public-privé. Toutefois, ce n'est pas une assurance tout risque, mais partir en aveugle en croyant qu'il suffit de créer une infrastructure pour susciter un marché conduit parfois à se tromper. Ce n'est sans doute pas le cas de Cognac, mais vous avez tout à fait raison d'affirmer qu'il faut éclairer les choix d'investissement par une étude de rentabilité.

M. Jean-François Longeot, président. - Il me reste à remercier M. Frédéric Delorme pour son éclairage et ses interventions. Le développement du ferroviaire est un sujet particulièrement important : essayons donc à l'aube de l'année 2024 de retrouver la tendance positive de 2022 pour nous remettre « sur les rails » du doublement de notre fret ferroviaire.

La réunion est close à 11 h 30.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Proposition de nomination de M. Thierry Guimbaud, candidat proposé par le Président de la République aux fonctions de président de l'Autorité de régulation des transports (ART) - Désignation d'un rapporteur

M. Jean-François Longeot. - Mes chers collègues, nous en venons à notre dernier point à l'ordre du jour, à savoir la désignation d'un rapporteur sur le projet de nomination aux fonctions de président de l'Autorité de régulation des transports (ART). Le Président de la République propose la candidature de Thierry Guimbaud, actuel directeur général de Voies navigables de France. Nous l'entendrons mercredi 6 décembre prochain, en application de la procédure prévue au cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution.

Pour mémoire, c'est actuellement notre ancien collègue Philippe Richert qui assure l'intérim de cette autorité publique indépendante. Nous verrons donc, peut-être bientôt, l'épilogue d'une nomination à rebondissement. Depuis l'expiration du mandat de Bernard Roman le 1er août 2022 et le désistement de Marc Papinutti fin février 2023, ce poste est en effet resté vacant...

Je vous rappelle que l'article 19 bis du Règlement du Sénat prévoit qu'en amont de cette audition article 13, la commission désigne un rapporteur chargé de la préparer.

J'ai reçu la candidature de notre collègue M. Philippe Tabarot.

Il n'y a pas d'opposition ?

Il en est ainsi décidé.

Question diverse

M. Jean-François Longeot. - Je pense qu'il pourrait être opportun que la commission se déplace une journée dans le Pas-de-Calais avec d'éventuels collègues intéressés afin d'assurer aux collectivités concernées, à leurs habitants et aux entreprises qui ont été affectées par cette catastrophe naturelle le soutien et la solidarité du Sénat.

La commission a déjà eu pour pratique de marquer sa solidarité lorsque des « risques » se réalisent et deviennent des drames humains : notre commission s'était en effet déplacée en Italie, lors de l'effondrement du pont de Gênes les 3 et 4 décembre 2018, ou encore plus récemment à La Roya, le 25 novembre 2021, lorsque La Roya et ses affluents avaient crû de plus de 8 mètres de haut à la suite de la tempête Alex.

La réunion est close à 11 h 15.

- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -

La réunion est ouverte à 16 h 45.

Projet de loi de finances pour 2024 - Audition de M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires

M. Jean-François Longeot, président. - Monsieur le Ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis pour l'examen du volet environnemental du projet de loi de finances pour 2024, avec l'un des principaux protagonistes chargés du pilotage budgétaire de la mission « Écologie, développement et mobilité durables », Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Vague de chaleur, sécheresses d'ampleur inédite, inondations et précipitations torrentielles, érosion côtière, incendies de forte intensité, dépérissement des forêts : les effets du changement climatique sont ressentis avec acuité par nos concitoyens. À côté des inégalités et du pouvoir d'achat, le rapport annuel sur l'état de la France en 2023 du Conseil économique, social et environnemental a souligné que l'éco-anxiété était une préoccupation majeure des Français. Des politiques publiques ambitieuses et volontaires en matière climatique et environnementale sont plus que jamais un impératif pour adapter notre pays à la hausse sans précédent des températures d'ici la fin du siècle.

Le gouvernement a pris acte de la nouvelle donne climatique et environnementale en instaurant un secrétariat général à la planification écologique, pour promouvoir une approche globale et transversal de l'action interministérielle et des politiques à la cohérence renforcée. C'est une démarche que nous saluons, car nous avons toujours considéré que l'environnement n'était pas une politique sectorielle, mais avait vocation à être pris en compte dans toutes les politiques.

Nous relevons à cet égard plusieurs motifs de satisfaction à l'analyse de ce projet de loi de finances : un « verdissement » du budget de l'État grâce à la baisse des dépenses défavorables à l'environnement, une augmentation significative des moyens budgétaires consacrés à la mission « Écologie, développement et mobilité durables » ainsi qu'un renforcement du schéma d'emplois du ministère et des opérateurs sous tutelle, sans oublier une hausse du « Fonds vert » de 500 M€ pour décliner territorialement les ambitions. Ce projet de loi de finances se veut une réponse budgétaire aux multiples défis de la transition, qu'il s'agisse de la décarbonation, de la reconquête de la biodiversité, de la souveraineté énergétique ou encore du développement des mobilités durables.

Le défi de la territorialisation des politiques environnementales reste cependant à relever car les élus locaux sont toujours insuffisamment associés à la co-élaboration des chemins de transition avec les habitants. L'impact des activités économiques et industrielles doit être réduit, sans pénaliser la compétitivité de nos entreprises. L'atteinte de nos objectifs de sobriété foncière n'a toujours pas trouvé son modèle financier et fiscal. La prévention et l'indemnisation des risques naturels majeurs doivent changer d'échelle pour anticiper des événements majeurs et l'impossibilité d'assurer certains risques. La résilience hydrique doit encore être renforcée pour faire face à des étés où l'eau vient à manquer, dans les cours d'eau mais également au robinet.

Ces défis ne sont pas que budgétaires, ils reposent tout autant sur la cohérence de l'action de l'État et sur la coordination des efforts de tous les acteurs. Sur ce point, j'aimerais connaître votre méthodologie et vos stratégies de conviction pour rallier vos collègues ministres au bien-fondé de politiques climatiques et environnementales ambitieuses.

Si l'action publique ne saurait se ranger uniquement sous la bannière de l'environnement, comment peut-on limiter, autant que faire se peut, les effets néfastes sur le climat et la biodiversité des autres politiques publiques ? Quelle est votre réponse au climato-cynisme qui semble se développer au niveau international ? Comment faire de l'environnement une grande cause nationale, qui survive non seulement aux alternances politiques, mais également au poids croissant de la dette publique et à toutes les autres priorités publiques également légitimes ?

Au-delà de ces questions de méthode, mes interrogations portent sur le principe des « COP régionales », imaginées dans le but de territorialiser les mesures de la planification écologique à une échelle plus fine et d'associer les collectivités cheffes de file en la matière. Pourriez-vous préciser ce que le gouvernement attend de ces concertations, parfois critiquées par les exécutifs régionaux comme trop descendantes, et la manière dont il envisage les sessions de travail ? Quelles traductions concrètes sont à espérer au terme des échanges et des débats entre l'État et les élus locaux ?

Comment maximiser l'effet levier du « Fonds vert » dans les territoires et faire en sorte que les sommes allouées aux maires permettent réellement de déclencher des décisions d'investissement pour préparer l'adaptation des territoires ? Pouvez-vous nous rassurer sur la pérennité de ce Fonds vert pour les années à venir ? Ce fonds a-t-il vocation à devenir la caisse de mutualisation budgétaire des dépenses en faveur de la transition écologique ?

Je ne serai pas plus long, je souhaitais amorcer le dialogue avec ces quelques questions préliminaires, avant de laisser la parole aux commissaires pour les traditionnelles séries de questions et de réponses.

M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. - Je tâcherai de calquer la durée de ma prise de parole sur la vôtre, afin de laisser un maximum de temps aux échanges. En décrivant par le détail les 10 milliards d'euros d'autorisations d'engagements (AE) nouvelles prévues en 2024 ou en vous proposant un abécédaire, il me faudrait trop de temps pour arriver aux zones à faibles émissions mobilité (ZFE-m), aux zones de revitalisation rurale (ZRR) et à la stratégie zéro artificialisation nette (ZAN) qui intéressent de nombreux commissaires.

Nous examinons le projet de loi de finances pour 2024 mais certaines mesures ne figurent pas dans le texte budgétaire et feront l'objet de textes spécifiques, car si la transition écologique est bien sûr une question de moyens budgétaires, comme le rapport sur les incidences économiques de l'action pour le climat de Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz l'a montré, c'est aussi une question d'état d'esprit et de volonté.

Pour faire progresser les enjeux environnementaux en interministériel, les trois leviers principaux pour changer de d'échelle sont :

- la formation, pour comprendre les enjeux. Elle a été engagée pour les 25 000 principaux cadres de l'État et de nombreux acteurs ont contribué à l'animation de fresques du climat à leur échelle ;

- la planification, avec la création d'un secrétariat général rattaché à Matignon qui permet d'éviter que le ministre de la transition écologique ne s'emploie à proposer des stratégies qui ne seront pas mises en oeuvre par les autres ministres ;

- le chiffrage du coût de l'inaction, qui constitue un élément central de ma méthode.

Nous avons naturellement tendance à regarder le coût des mesures qui sont prises, mais à ne jamais considérer le coût de l'inaction. Par exemple, la sécheresse de l'été 2022 a coûté 2,5 milliards d'euros. Cette évaluation a permis de convaincre le Gouvernement de la nécessité d'augmenter le budget annuel des agences de l'eau de 475 M€ pour améliorer la résilience et lutter contre les fuites des réseaux.

Ce budget augmenté de 10 milliards d'euros d'AE conduit à une hausse de 15 % des moyens du ministère. Ce chiffre est important car il ne faut pas uniquement examiner les crédits de paiement. Par exemple, sur le plan ferroviaire, la première année est consacrée aux études et les sommes payées sont faibles. Ce qui compte ce sont les projets qui sont initiés. Sur ces 10 milliards d'euros, 7 milliards sont pilotés par mon pôle ministériel et 3 par d'autres pôles. Les crédits sur la forêt relèvent ainsi du ministère de l'agriculture et les crédits pour la rénovation de l'immobilier de l'État d'un autre ministère.

Pour mener le combat contre le dérèglement climatique, il faut des femmes et des hommes. Le pôle ministériel de la transition écologique est celui qui a perdu, en pourcentage, le plus d'emplois, que ce soit en interne ou au travers de ses opérateurs, depuis 20 ans. Pour 2024, le budget prévoit la création nette de 760 postes, après la stabilité que j'avais obtenue en 2023. Une part de ces postes sera affectée au ministère, une autre aux opérateurs, comme l'Office français de la biodiversité (OFB), Météo-France qui bénéficiera de 25 postes supplémentaires après les 23 alloués cette année, l'Agence de la transition écologique (Ademe), ou le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema).

Les moyens budgétaires sont renforcés sur la rénovation énergétique. Celle-ci est bonne à la fois pour la fin du monde et pour la fin du mois et elle génère des emplois qui ne sont pas délocalisables. Elle bénéficie de 1,6 milliard d'euros, dont une part est fléchée vers le logement social de manière à accélérer les rénovations globales. Par ailleurs, le dispositif MaPrimeRénov' bénéficiera d'une refonte autour d'un pilier performance et d'un pilier efficacité.

En matière de logement, nous avons la volonté de nous appuyer sur le bâti existant et nous faciliterons la transformation de bureaux en logements. 3,5 millions de m2 sont concernés pour la seule région parisienne mais les projets se heurtent parfois à des problèmes réglementaires.

Nous avançons également sur les mobilités. Le plan vélo est doté de 200 M€, soit un quadruplement depuis 2018. Le verdissement du parc automobile sera encouragé, avec le déploiement, dans les prochains jours, du leasing social à 100 €. Conformément à la promesse du candidat Emmanuel Macron, entre 20 000 et 25 000 Français devraient pouvoir bénéficier de ce dispositif en 2024. Comme cela avait été demandé par plusieurs sénateurs l'année dernière, je précise que ce leasing social sera réservé aux voitures construites en France ou Europe. En effet, nous ne voulons pas que l'argent public soit utilisé pour soutenir la filière automobile chinoise. Les problèmes de disponibilité des véhicules expliquent que nous ne pourrons pas soutenir autant de ménages que nous l'aurions souhaité la première année.

Dans quelques jours, avant la fin du mois de novembre, nous présenterons avec Sarah El Haïry la stratégie nationale pour la biodiversité 2030. Aujourd'hui, quand nous parlons d'écologie, nous avons tendance à nous concentrer sur le climat car nous disposons du GIEC et d'un indicateur simple, avec les tonnes de CO2 rejetées. L'érosion de la biodiversité est plus complexe à mesurer parce qu'elle agrège de nombreux indicateurs. Même s'il existe l'équivalent du GIEC pour la biodiversité, avec la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), ce sujet est en effet plus complexe à suivre. Nous y consacrerons 800 M€ et aucun des 78 membres du Conseil national de la biodiversité n'a émis d'avis négatif par rapport à la future stratégie. 70 ont voté pour et 8 se sont abstenus, ce qui était loin d'être le résultat le plus probable.

Nous augmenterons également les moyens des agences de l'eau et nous allouerons des crédits complémentaires pour le fonds chaleur et 300 M€ supplémentaires à l'Ademe dont le budget s'élèvera à 800 M€, comme en 2023 où la trésorerie de l'agence avait été mise à contribution.

Enfin, je confirme que le « Fonds vert » est pérennisé et augmenté. Il passe de 2 à 2,5 milliards d'euros et les sommes à la disposition des préfets augmentent encore plus que ces 500 M€ laissent présager. En 2023, le fonds comportait 1,5 milliard d'euros à la main des préfets et 500 M€ de recyclage de l'excédent de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) de 2022 par rapport à la trajectoire triennale permettant de calculer le niveau de compensation de TVA dans le panier de recettes des collectivités territoriales. Le fonds est désormais totalement à la main des préfets, sans appel à projets ni appel à manifestations d'intérêt. Il a rencontré en 2023 un succès au-delà de nos espérances. Plus de 8 000 communes auront bénéficié en 2023 d'une subvention dans le cadre du Fonds vert, générant l'équivalent de 10 milliards d'euros d'investissements dans la transition écologique, pas très loin de l'estimation de l'institut de l'Économie pour le Climat (I4CE) chiffrant à 12,5 milliards d'euros la part des collectivités sur une part globale de 33 milliards d'euros.

Sur la diplomatie environnementale, pour paraphraser un célèbre théologien, nous devons faire comme si tout dépendait de nous et de nous uniquement, et par conséquent nous concentrer sur ce que nous pouvons faire à l'échelle de la France, sans oublier qu'un certain nombre d'éléments s'agencent sur le plan mondial. Les chiffres publiés aujourd'hui sur les émissions de gaz à effet de serre témoignent du chemin restant à parcourir. La France continue à baisser ses émissions. Après une moyenne d'un peu plus de 2 % au cours des six dernières années, la trajectoire sur les deux premiers trimestres 2023 est de 4,7 %. Elle correspond au doublement nécessaire pour atteindre les objectifs prévus par la planification.

Vous m'avez interrogé sur la façon d'associer l'ensemble du pays et sur l'esprit et la méthodologie des COP régionales. En matière d'écologie, nous assistons à la montée de deux types de populisme. Le climato-scepticisme n'a pas disparu et trouve une belle résurgence sur les réseaux sociaux où certains expliquent qu'il n'y a pas de problème de sécheresse parce qu'il pleut, ni de problème de réchauffement parce qu'il a fait froid pendant une journée. Ce courant se demande si nous n'en faisons pas trop. Parallèlement, d'autres considèrent que nous ne faisons rien. C'est une forme de climato-défaitisme, qui affirme que si nous laissons une route se construire dans le pays, il n'y a pas de planification écologique, et que si nous n'interdisons pas les jets, c'est la preuve que nous n'avons aucune ambition environnementale.

Si nous ne sommes pas capables de sortir de ces postures, qui sont des impasses, nous oublions que ce qui inquiète nos concitoyens, ce sont ces temps incertains, la multiplication de catastrophes, les conséquences des intempéries dans la Vésubie ou dans le Pas-de-Calais, bien plus que de la mise en place des dispositifs qui les protégeront, même si nous avons vocation à les assouplir. Associer le pays et les citoyens, c'est sortir de ces postures et ne pas laisser les extrêmes monopoliser ce débat, c'est être capable de montrer qu'il y a un chemin qui permet de faire rimer écologie avec économie, et qu'il existe une méthode grâce à laquelle l'écologie n'est pas le prétexte pour taxer ou pour interdire, mais une manière de défendre notre identité et notre souveraineté. C'est aussi une façon de montrer qu'elle contribue à la défense de nos modes de vie et de la capacité que nous avons à laisser à nos enfants un monde qui soit le plus vivable possible. C'est mon obsession ! Pour convaincre, j'ai entamé un tour de France. J'ai participé à 7 débats qui ont réuni à chaque fois plus de 250 citoyens pendant au moins deux heures et demie, avec des questions aussi diverses que les éoliennes off-shore, les passoires énergétiques, la mise en place des ZFE, la complexité du ZAN, mais aussi des sujets de tous les jours, comme ce gérant de station de lavage qui ne peut pas travailler à cause d'un arrêté sécheresse ou agriculteur qui s'interroge sur les injonctions contradictoires au titre de la viande et du stockage dans les prairies. Vous connaissez ces sujets par coeur, vous les rencontrez dans vos départements, vous en êtes les porte-voix fidèles quand vous vous exprimez dans l'hémicycle et je me réjouis de répondre à vos questions.

M. Pascal Martin, rapporteur. - Rapporteur des crédits sur la prévention des risques, ma première question porte sur les moyens dédiés à l'inspection des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE). En 2022, dans le cadre d'un rapport d'information au titre du droit de suite de la commission d'enquête Lubrizol, j'avais alerté sur le non-respect des engagements pris par l'État à la suite de l'incendie de l'usine Lubrizol. En 2019, le gouvernement s'était engagé à augmenter de 50 % les contrôles de sites ICPE d'ici 2022 pour atteindre 27 000 contrôles par an. En 2022, seuls 22 800 contrôles ont été effectués, ce qui est bien en-deçà de l'objectif. Prenant acte de cette situation, le projet de loi de finances pour 2024 repousse cet objectif de 27 000 contrôles à 2027. Permettez-moi, Monsieur le Ministre, d'être sceptique sur la capacité du Gouvernement à atteindre cet objectif en 2027. Les effectifs réels de l'inspection restent stables en raison d'un manque d'attractivité, malgré la création d'une cinquantaine de postes depuis 2020.

L'inspection est également confrontée à un nouveau défi, l'adaptation aux changements de procédure de la loi du 23 octobre 2023 relative à l'industrie verte, qui exigent, dans le cadre de l'examen de l'autorisation environnementale, un dialogue approfondi entre porteur de projet et administration en amont du dépôt de dossier. Comment expliquez-vous ce report d'objectif ? Quels moyens allez-vous consacrer d'ici 2027 à la montée en puissance des contrôles ICPE ?

Je souhaite également vous interroger sur le bilan des plans de prévention des risques technologiques (PPRT), créés il y a maintenant vingt ans à la suite de l'accident de l'usine AZF, pour protéger les populations situées à proximité des sites industriels.

L'association Amaris, qui réunit les collectivités accueillant sur leur territoire des activités générant des risques industriels majeurs, dresse un bilan mitigé du dispositif dans un rapport de septembre 2023. Faute de financements adéquats et par manque d'information, 75 % des logements privés exposés n'ont fait l'objet d'aucuns travaux de mise en sécurité et seulement 62 % des mesures foncières d'expropriation ou de délaissement ont été réalisées.

Dans un contexte de réindustrialisation nécessaire pour notre souveraineté comme pour la transition écologique, la protection des riverains conditionnera l'acceptabilité locale des nouveaux projets industriels. Partagez-vous le constat d'Amaris soulignant que les PPRT n'ont pas atteint leurs objectifs ?

Enfin, je souhaite vous interroger sur un sujet particulièrement d'actualité, le risque inondation. L'année dernière, dans le cadre de l'avis budgétaire sur les crédits relatifs à la prévention des risques, j'avais insisté sur la nécessité, dans le contexte du dérèglement climatique, de donner une priorité aux mesures de prévention du risque inondation. J'avais ainsi proposé, par amendement, de sécuriser l'attribution de 15 M€ dédiés au renforcement de l'accompagnement des collectivités territoriales dans les actions de prévention, proposition qui n'a malheureusement pas été retenue dans le texte définitif.

Après la tempête Alex en 2020, le risque inondation est de nouveau sur le devant de la scène aujourd'hui, avec les événements dramatiques dans le département du Pas-de-Calais. Dans ce projet de loi de finances, à l'issue de la première lecture à l'Assemblée nationale, le Gouvernement a retenu un amendement sur le risque inondation qui prolonge pour deux ans supplémentaires l'expérimentation « Mieux reconstruire après inondation », je m'en félicite.

À la lumière de la catastrophe naturelle en cours et à la suite des annonces du président de la République du 14 novembre dernier, d'autres amendements au projet de loi de finances 2024 sont-ils prévus afin de renforcer la prévention du risque inondation ?

M. Guillaume Chevrollier, rapporteur. - En tant que rapporteur pour avis « Eau, paysage et biodiversité » et élu de la Mayenne, département bocager par excellence, je souhaite aborder la question des haies.

On estime généralement que plus des deux tiers du linéaire des haies ont disparu en France depuis le milieu du siècle dernier. Cette disparition silencieuse, lourde d'impact pour les territoires, est difficile à quantifier : selon l'Office français de la biodiversité (OFB), environ 11 500 km de haies disparaissent chaque année pour 3 500 km replantés. Les services écosystémiques rendus par les haies sont pourtant de premier ordre. Certains estiment qu'elles peuvent être comparées à des « tours de Babel écologiques », en servant non seulement de refuge, mais également de réserve de nourriture, de corridors de biodiversité, de tampon de régulation des flux hydriques et de brise-vent pour les cultures. Elles servent aussi aux troupeaux dans les régions d'élevage. Malgré ces bénéfices reconnus depuis longtemps, les haies n'ont pas trouvé leurs défenseurs et elles continuent de disparaître lentement de nos paysages, malgré les alertes de certains élus. Face à cette situation, le Gouvernement a récemment initié un « pacte en faveur de la haie » et a annoncé la mise en oeuvre d'un observatoire de la haie.

Comment comptez-vous atteindre l'objectif de 50 000 km de haies nouvelles d'ici 2030 ? Les opérateurs que j'ai entendus dans le cadre de mes auditions budgétaires m'ont indiqué que personne n'était en mesure de quantifier précisément les plantations et les arrachages à l'échelle nationale. Une comptabilité spécifique des haies, en flux et en stock, s'avère à mon sens nécessaire. Partagez-vous cette préoccupation ? Quel mécanisme comptez-vous déployer en direction des agriculteurs et des propriétaires fonciers pour accroître l'acceptabilité économique des haies ? J'ajoute que le déploiement de la fibre optique sur les territoires a des effets négatifs sur les haies en lisière de champs agricoles, la solution de l'enfouissement étant onéreuse. Il faut vraiment, Monsieur le Ministre, donner à l'agriculture les moyens de préserver ses haies et simplifier leur gestion qui est régie par plus de 5 codes.

Par ailleurs, l'article 16 du projet de loi de finances pour 2024 réforme les redevances perçues par les agences de l'eau, ainsi que l'avaient déjà prévu les Assises de l'eau de 2019 et le plan eau présenté en mars dernier. L'idée de rééquilibrer la charge fiscale entre les différentes catégories d'usagers de l'eau et d'accompagner le relèvement du « plafond mordant » des recettes des agences de l'eau est à saluer, car elle améliorera la qualité du signal-prix de la facture d'eau et constitue une première brique vers une sobriété accrue des usages.

La redevance pour pollutions diffuses est rehaussée et ce budget fixe un taux minimum et un maximum pour les autres redevances, en laissant le soin aux comités de bassin de voter un taux dans cette fourchette. Un prix plancher a également été défini pour les prélèvements d'eau pour l'irrigation, mais à un coût très bas de 0,2 centime d'euro/m3 pour un système gravitaire et de 1,41 centime d'euro/m3 pour les autres méthodes. Ce sont de premières avancées pour résorber le déficit de financement par les usagers autres que les ménages, mais elles sont encore bien timides. Est-ce à la hauteur d'un « plan Marshall » en faveur des collectivités dont les réseaux affichent des taux de fuite parfois supérieurs à 50 % ? Est-ce suffisant pour renforcer la résilience hydrique de notre pays dans un contexte de changement climatique ? De même, je ne trouve pas trace de la redevance dédiée à la biodiversité réclamée par de nombreux acteurs pour financer les actions des agences de l'eau sur le grand cycle de l'eau et la restauration de la biodiversité. Pourquoi cette demande légitime n'a-t-elle pas été acceptée ?

J'ai enfin une dernière interrogation, ou plutôt un point de vigilance, qui ressort de certaines de mes auditions budgétaires. Plusieurs opérateurs des programmes 113 et 159 m'ont signalé les difficultés qui résultent de la circulaire budgétaire du 11 juin 2010, selon laquelle « tous les emplois permanents doivent être inclus dans le plafond d'emplois des opérateurs de l'État, quelles que soient leurs modalités de financement ». Si la logique prônée par cette circulaire est louable, à savoir la nécessaire maîtrise de l'emploi public dans le contexte actuel des finances publiques et la soutenabilité du financement des emplois des opérateurs, elle conduit à des difficultés, notamment pour faire face à la saisonnalité de certaines missions et au développement des recettes commerciales de certains opérateurs. Avez-vous identifié cette difficulté ? Comment surmonter le paradoxe de la nécessité de renforcer les recettes propres grâce à de nouvelles activités lucratives de certains opérateurs, dans un contexte de gratuité de la donnée publique avec les contraintes existantes en matière de schéma d'emplois ?

M. Louis-Jean de Nicolaÿ, rapporteur. - Mon propos s'adressait plus spécifiquement à la ministre déléguée aux collectivités territoriales Dominique Faure, mais comme le dit l'adage  « il vaut mieux s'adresser au Bon Dieu qu'à ses saints », je me permets, Monsieur le Ministre, de vous poser mes questions.

Je souhaite tout d'abord vous interroger sur l'évolution des dotations d'investissements aux collectivités territoriales, et plus particulièrement de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) et de la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL).

En 2024, la DETR comme la DSIL resteront quasiment stables. Pourtant, les collectivités doivent aujourd'hui faire face à une forte inflation et une hausse des taux d'intérêt sans précédent, tout en continuant à rattraper le retard d'investissement causé par deux années de crise sanitaire.

Certes, dans le cadre de votre plan France Ruralités, les dotations attribuées à l'ingénierie territoriale augmentent de 20 M€ tandis que 100 postes de chefs de projets sont créés dans le cadre du programme Village d'Avenir, pour un coût de 6 M€. Vous aidez donc les collectivités dans l'élaboration de leurs projets d'investissement, mais sans pour autant leur donner les moyens d'investir. Comment comptez-vous soutenir l'investissement local sans augmenter les dotations de soutien à l'investissement des collectivités territoriales ?

Ma deuxième question porte sur l'Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT). Durant l'examen de la proposition de loi créant l'ANCT, pour lequel j'étais rapporteur au nom de la commission, nous avions émis le souhait de recréer une Datar, une agence unique de l'aménagement du territoire. Nous avions cependant accepté la survivance de certaines agences au côté de l'ANCT, tout en instaurant des conventions de coordination pour assurer une action publique cohérente. Les premières conventions de coordination avec le Cerema, la Caisse des dépôts et consignations, l'Anah, l'Anru et l'Ademe sont aujourd'hui arrivées à leur terme et une nouvelle génération de conventions est en cours de signature. Ne serait-ce pas le moment d'engager une réflexion sur le périmètre de l'ANCT, pour rationaliser ce qu'on pourrait appeler un archipel des territoires ?

Enfin, j'aimerais vous interroger sur les contrats de relance et de transition écologique (CRTE), devenus contrats de réussite de la transition écologique. J'ai constaté sur le terrain que le CRTE n'a pas rempli sa promesse d'un contrat intégrateur et finit par simplement ajouter une couche au mille-feuille des documents d'aménagement du territoire. Bien souvent le CRTE, qui est conçu au niveau intercommunal, n'est pas l'expression d'un projet de territoire, mais une simple liste des projets locaux. La Cour des comptes, dans un rapport paru en octobre 2023, dresse le même constat, observant que les CRTE se chevauchent avec d'autres contrats et ne jouent pas le rôle espéré d'agrégateur. La deuxième génération de CRTE annoncés prend-elle en compte ces critiques ? Comment comptez-vous y remédier, pour faire en sorte que le CRTE ne soit pas un document d'aménagement supplémentaire mais bien un contrat intégrateur porteur d'un projet de territoire ?

M. Rémy Pointereau. - Je souhaite tout d'abord évoquer le sujet des zones de revitalisation rurale ou, comme vous proposez de les nommer, les zones France Ruralités Revitalisation.

Ces exonérations fiscales auxquelles les élus locaux sont attachés doivent être réformées, nous en convenons tous. La réforme que vous proposez dans le cadre de ce projet de loi de finances est cependant très éloignée des préconisations du rapport d'information adopté à l'unanimité par notre commission en janvier 2023.

Nous avions identifié deux problèmes, la maille intercommunale, insuffisamment fine, et les critères retenus, qui ne permettent pas d'apprécier la diversité des situations des communes rurales pour un zonage plus juste et mieux ciblé.

Je regrette que ce projet de loi de finances ne règle aucun de ces deux problèmes, puisqu'il conserve la maille intercommunale et les critères de classement actuels. Pour mon département, ce sont 92 communes qui sortent, dont les communes les plus fragiles, sur un territoire qui perd des habitants. En même temps, vous introduisez un troisième problème, l'intégration d'aires urbaines dans un zonage rural. Vous proposez en effet de classer intégralement six départements, ce qui amène à faire bénéficier des villes de plus de 25 000 habitants d'exonérations conçues spécifiquement pour les espaces ruraux.

Le classement en zone France Ruralités Revitalisation d'aires urbaines densément peuplées ne risque-t-il pas de nuire aux territoires ruraux qui ont véritablement besoin de revitalisation ? Pourquoi conserver le maillage intercommunal, alors que le Sénat, tout comme l'Association des maires de France et l'Association des maires ruraux de France, préconisent un classement à la maille communale ?

Par ailleurs, en tant qu'ancien président de la mission d'information sur la gestion durable de l'eau menée avec mon collègue Hervé Gillé, je m'intéresse à la mise en oeuvre du « plan eau » et à son déploiement territorial. Le projet de loi de finances porte diverses mesures pour assurer son financement, comme le relèvement du « plafond mordant » des recettes des agences de l'eau ou la réforme des redevances, en visant notamment un soutien renforcé aux 170 collectivités dont les réseaux d'eau potable ont un rendement inférieur à 50 % ou encore la création d'un fonds hydraulique agricole pour accompagner les agriculteurs face à la nouvelle donne climatique et hydrique.

Quel bilan tirez-vous du déploiement des mesures du plan eau ? Comment évolue le travail d'interconnexion des réseaux des communes identifiées comme étant fragiles parce qu'ayant dû faire face à des ruptures d'approvisionnement au cours des deux derniers étés ? Comment évoluent les discussions dans les bassins sur le volet sobriété des usages et réduction des prélèvements ? Enfin, sur la réutilisation des eaux usées traitées, vous misez sur un millier de projets pour des usages non domestiques. Quelles sont les dynamiques amorcées sur ces questions au cours des six premiers mois de déploiement du plan eau ?

M. Christophe Béchu, ministre. - Pour le contrôle des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE), le budget 2024 prévoit la création de 100 postes, après les 75 postes créés au cours des trois dernières années, pour intensifier et tenir le rythme de contrôle. Cependant, ce n'est pas parce que les postes sont ouverts qu'il y a des candidats. Augmentation des salaires, carrières plus attractives, concours exceptionnels sont autant de leviers sur lesquels nous misons. Depuis que je suis ministre, mon obsession est que les engagements qui ont été pris par le passé soient tenus, ce qui explique notre effort budgétaire exceptionnel en 2024. Vous avez mentionné l'industrie verte. Notre intérêt écologique et économique est de cesser d'importer massivement du bout du monde un certain nombre de produits mais nous savons que cette approche pourra se heurter à des difficultés d'acceptation par les populations locales qui nécessiteront que nous soyons d'autant plus capables d'effectuer les contrôles permettant de les rassurer.

Sur le rapport d'Amaris, je ne peux pas remettre en cause le bilan chiffré mais je suis en désaccord avec vous sur le constat. En lisant ce rapport, nous avons le sentiment que sur les PPRT, le seul souci serait du côté de l'État. Je vous rappelle que nous sommes sur un système à double cliquet. L'État subventionne à hauteur de 40 %, prescrit des mesures, alors que les expropriations sont gérées par les collectivités locales. La situation est contrastée parce que 83 % des expropriations de logement ont eu lieu mais seulement 50 % au titre des activités économiques. Si je superpose ces chiffres sur la nature des activités à la carte des territoires, nous nous apercevons qu'à certains endroits nous sommes proches de 100 %, alors que dans d'autres nous sommes loin du compte, voire proches de zéro. Il s'agit donc moins une question de volonté politique que de suivi territorial puisque, dans un certain nombre de territoires, ce n'est pas le manque de moyens qui nous est opposé mais un manque de volontarisme pour tenir compte de ce qui se fait. Nous ne laisserons toutefois pas ce rapport sans suite.

En ce qui concerne les inondations, le fonds Barnier est abondé de 20 M€ supplémentaires. Par ailleurs, nous avons attribué 40 M€ de subventions au sein du « Fonds vert » sur des programmes de lutte contre les inondations. Il est probable que nous recevions plus de demandes l'année prochaine. Nous aurons également besoin d'un retour d'expérience plus établi que le constat de désolation que nous vivons en ce moment dans le Pas-de-Calais. Nos dispositifs de prévention ont plutôt bien fonctionné. L'Aa, la Canche, la Hem et la Liane ont atteint un niveau historique et dans certains endroits ont dépassé de 50 cm le niveau le plus haut jamais mesuré. Or, il y a moins de sinistrés qu'en 2002 grâce aux plans de prévention des risques inondations (PPRI), qui sont parfois décriés quand il n'y a pas d'inondation mais dont nous avons pu constater l'efficacité, ou grâce à des dispositifs de digues qui ont nécessité des investissements importants des collectivités territoriales. Ayant échangé avec le président de la Haute-Savoie Martial Saddier après les inondations records dans la vallée de l'Arve, je peux affirmer que les travaux conduits avec les agences de l'eau ont permis de limiter les dégâts sur des territoires où, dans le passé, des crues moins élevées en avaient causé plus.

Le retour d'expérience portera sur la prévention. Sans attendre, nous devons simplifier les règles de curage comme je l'ai indiqué tout à l'heure à l'occasion des questions au Gouvernement. Il me semble aussi nécessaire de simplifier la demande de reconnaissance de catastrophe naturelle. Par exemple, quand un maire ne peut plus accéder à sa mairie à cause d'une inondation, nous pourrions envisager que la demande soit faite par le préfet pour le compte de la commune. Nous pouvons également réfléchir aux durées d'étude pour les PPRI. Quand nous savons quels sont les travaux de confortement à réaliser, nous pourrions peut-être inverser la logique de confiance plutôt que de rester sur des principes de précaution qui sont trop absolus. Il nous faudra aussi répondre aux questions posées par les pompages. Nous constatons leur efficacité et nous devons réfléchir à laisser des pompes sur des territoires confrontés à ce type de risque et à les confier éventuellement à Voies navigables de France (VNF). Enfin, il serait intéressant de regarder ce que font nos voisins sur des territoires comparables.

Depuis 1950, le linéaire de haies a reculé de 70 %. Je veux dire au sénateur Chevrollier, dont je sais la sincérité de l'engagement sur ce sujet, notamment sur le bocage mayennais dont il est le fervent défenseur, que nous avons lancé un pacte en faveur de la haie pour lutter contre ce recul et les nombreuses causes qui l'expliquent. Certaines sont budgétaires, ce ne sont pas les plus nombreuses, mais les 110 M€ par an financés par le ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire en faveur du plan haies permettront d'accompagner les porteurs de projet. L'observatoire nous permettra d'objectiver le constat et l'efficacité des actions. Par ailleurs, quand elles subventionnent les haies, les collectivités territoriales doivent pouvoir le faire figurer dans les documents d'urbanisme, ce qui leur confère une possibilité d'agir. Enfin, certains agriculteurs sont inquiets s'ils doivent détruire une haie qu'ils ont plantée et qui abrite des espèces protégées. Ils sont en effet passibles de sanctions pénales. C'est donc paradoxalement le principe de préservation la biodiversité qui les conduits à ne pas planter de nouvelles haies...

Si nous ne jouons pas sur ces différents leviers, nous n'y parviendrons pas. Le plan doit être présenté à la fin de l'année, par le ministre Marc Fesneau et la secrétaire d'État Sarah El Haïry.

Pour que le « plan eau » soit crédible, il faut des moyens. Tous les comités de bassin ont salué le budget alloué à ce plan. Nous avons constaté que 2 milliards d'euros financés par les agences conduisaient à 20 milliards d'euros de travaux dans les territoires. Quand nous mesurons ce qu'il faudrait investir en France, nous nous rendons compte que la moyenne devrait être à 25 milliards d'euros, compte tenu des fuites, de la résilience, etc. Cet effet levier nous amène à augmenter de 25 % les moyens des agences pour atteindre cet objectif. En effet, l'eau paie l'eau sur les territoires et dans de nombreux cas, notamment avec des aqua-prêts d'une durée de 40 ou 50 ans, il est possible d'amortir les travaux à l'échelle d'une collectivité.

L'eau est payée par les particuliers et par les agriculteurs. Les énergéticiens ne la paient pas alors qu'ils prélèvent une partie importante de la ressource. Nous allons fixer un plancher à 100 M€ pour la redevance due par les énergéticiens afin d'éviter que le coût global porte uniquement sur les particuliers et sur les agriculteurs. Nous mettrons en place la vérité des coûts, y compris sur la production d'électricité nucléaire, dont nous connaissons l'importance pour atteindre la neutralité carbone, qui doit financer l'eau pour éviter tout biais sur ses vertus. Cela permettra de limiter l'augmentation de la redevance. Une partie de cette redevance sera consacrée à la lutte contre les pollutions diffuses. Seules 44 % des masses d'eau en France sont en bon état écologique. Puisque le volume d'eau prélevable diminuera, la quantité potentielle des intrants dans les plans de captage sera renforcée, ce qui multipliera les risques de fermeture sanitaire. C'est pourquoi nous devons intensifier les mesures agro-écologiques et les plans de gestion de la sécurité sanitaire des eaux (PGSSE) à l'échelle de ces captages.

Nous devons également prendre en compte les fuites. En 2023, seules 170 communes ont réclamé un accompagnement de l'État, pour lesquelles nous avons déployé 180 M€. Le nombre de communes dont les réseaux présentent des taux de fuite de plus de 50 % est sans doute plus important mais nombre d'entre elles ne se signalent pas de crainte que l'État ne les oblige à s'intercommunaliser plus rapidement.

Un système dans lequel les territoires n'ayant pas assumé de hausses du prix de l'eau pour financer des travaux seraient intégralement subventionnés par l'État n'est pas viable. Les territoires qui ont mis en oeuvre une hausse de quelques centimes pour réaliser des travaux ont un niveau de résilience bien plus élevé. Une part de ces financements doit relever des collectivités.

Sur l'artificialisation nous avons constaté, pour que le dispositif atteigne ses objectifs, qu'il manquait un volet fiscal pour désinciter l'artificialisation et générer des ressources. Environ 6 500 communes ont activé un dispositif permettant de taxer les plus-values de cession des terrains rendus artificiels dès lors que le prix de revente est le triple du prix d'acquisition. Je pousse l'idée que nous devons générer une recette au titre de l'artificialisation, alimentant pour moitié le budget des agences de l'eau et, pour l'autre moitié, celui des communes. Les agences de l'eau ont également pour mission de préserver la biodiversité, or l'artificialisation a comme première conséquence l'érosion de la biodiversité, en ralentissant le rythme d'infiltration dans les nappes phréatiques et en conduisant à des écoulements plus rapides. Parallèlement, les communes ont besoin de moyens pour investir dans la dépollution des friches. Cet amendement serait soutenu par toutes les agences, par l'association des maires de France et il serait vu de manière positive par les agriculteurs car il générerait 12 M€ de plus pour l'installation des jeunes agriculteurs. J'espère qu'un sénateur déposera un tel amendement, qui fera l'objet d'un regard bienveillant du ministre. J'ajoute que le rendement global d'un tel dispositif serait de l'ordre de 200 M€. Par ailleurs, il n'augmentera pas les prélèvements obligatoires puisque les recettes qui ne sont pas levées par la taxe le sont par la redevance. Le sujet principal est de déterminer si nous allons vers une recette liée aux stocks ou aux flux.

Je ne connaissais pas la circulaire du 11 juin 2010 avant que votre question soit transmise à mon cabinet. C'est un faux problème. Les plafonds d'emplois n'ont pas été remis en cause car ils permettaient d'éviter des inflations de personnels sans que le ministère s'en aperçoive. Aujourd'hui nous recréons des postes, ce qui va atténuer une partie des difficultés. J'envisage la création de 66 postes en 2024 dans les agences de l'eau en modifiant les plafonds d'emplois. La circulaire a été rédigée pour éviter que des contrats soient signés en cas de disponibilité temporaire budgétaire, suivis par des plans de licenciement puisque la trésorerie a été utilisée pour payer des dépenses courantes et récurrentes. Il y a donc une forme de morale budgétaire à ces plafonds, même si nous devons être capables de les assouplir, notamment pour le recours aux contractuels.

Monsieur le Sénateur Louis-Jean de Nicolaÿ, je réponds avec joie en lieu et place de Dominique Faure. Le concours aux collectivités territoriales pour les investissements atteindra l'année prochaine le niveau record de 7,1 milliards d'euros. C'est une somme sans équivalent, supérieure à celle du plan de relance. Cette progression est liée à la hausse du « Fonds vert » de 500 M€ et à la stabilité de la DETR et de la DSIL dont les niveaux, hérités du plan de relance, sont maintenus. Ces crédits sont historiques, en hausse de près de 10 % par rapport à 2023.

Vous m'avez interrogé sur l'ANCT. J'ai lu il y a quelques mois un excellent rapport du Sénat qui s'interrogeait sur le risque « d'agenciarisation » de l'État. Je ne suis pas convaincu que la solution à la multiplication des agences passe par la création d'une nouvelle agence. En revanche, je pense que nous devons recréer des portes d'entrée uniques, sur le modèle de ce que vous avez voté dans cet hémicycle avec la loi « 3DS », en faisant du préfet le référent départemental de l'Ademe. Le préfet pourrait aussi devenir le guichet pour d'autres agences, notamment de l'ANCT. Ainsi, l'offre d'ingénierie à la disposition des maires serait plus visible.

Sur les CRTE, je vous renvoie au rapport du 5 novembre dernier des sénateurs Martin, Bennaroche et Burgoa « Engager et réussir la transition environnementale de sa collectivité » au nom de la délégation aux collectivités territoriales qui suggère dans sa recommandation n° 5 que les CRTE soient suffisamment dotés pour qu'ils deviennent les outils de la transition écologique.

Vous m'avez demandé de participer à un débat sur la planification écologique mardi prochain pendant la séance des questions d'actualité au gouvernement de l'Assemblée nationale. Je m'y rendrai avec joie et vous remercie de me dispenser de cette obligation législative pendant le Salon des maires. J'aurai l'occasion de parler de la place que j'envisage de donner aux CRTE dans la planification. Il est essentiel que nous mettions des « tuyaux » de financement en face des « tuyaux » de projets afin de ne pas alimenter de suspicion sur la capacité des territoires à avancer.

Les ZRR s'arrêtant le 31 décembre 2023, il était nécessaire d'imaginer un nouveau dispositif. Celui-ci, conçu dans le cadre du plan France ruralités, a fait l'objet de discussions avec le Sénat. J'ai bien conscience que la proposition actuelle peut être améliorée d'ici la fin de l'examen budgétaire. Vous avez pointé la maille, le statut potentiel des villes centres et vous avez eu l'élégance de ne pas évoquer le nombre de bénéficiaires. Depuis leur création en 1995, la maille des ZRR a toujours été intercommunale. Cette maille a été choisie au titre de la continuité avec les dispositifs existants, mais elle pose la difficulté des communes très rurales dans des intercommunalités dont la taille a augmenté. Une possibilité de rattrapage à l'échelle communale a donc été imaginée pour éviter qu'entre 3 000 et 4 000 communes soient exclues du nouveau dispositif de ZRR. Nous ne pouvons pas mettre en place un plan ruralité dont le nombre de bénéficiaires passerait de 17 000 à 13 000, alors que les besoins sont énormes. Une évolution législative sera nécessaire d'ici la fin du débat parlementaire.

En ce qui concerne les communes centres, je pense que si nous proposons les mêmes avantages dans une ville centre de 15 000 habitants que dans des communes de 1 500 habitants, nous desservons les petites communes. Le risque est que le dentiste qui cherche à s'installer choisisse le territoire le plus peuplé. Il est donc nécessaire de prévoir des mécanismes de correction, sur lesquels nous travaillons avec la ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Des annonces pourraient avoir lieu pendant le congrès des maires.

Enfin, sur le déploiement territorial du plan eau. Le sujet du « plafond mordant » est crucial à l'heure où les agences de l'eau disposent d'une trésorerie dormante qu'elles ont l'interdiction de dépenser. Sur l'accompagnement des communes, l'enveloppe prévue pour la première année ne présume en rien de celles des années suivantes. Nous avons dimensionné les fonds pour l'hydraulique agricole, des crédits pour lutter contre des fuites et nous devons maintenant les ajuster au niveau des différentes agences. Les comités de bassin commencent à rendre leur copie en matière de sobriété sur l'atteinte des 10 % de réduction des prélèvements et je communiquerai quand je les aurais tous reçus.

Sur la réutilisation des eaux usées, je précise que la matinée de demain au ministère sera consacrée au plan de sobriété eau. Les inondations dans le Pas-de-Calais ne modifient en rien la nécessité de réfléchir à la régulation de nos réserves en eau, les experts affirmant que les pluies seront plus abondantes l'hiver et les sécheresses plus nombreuses l'été. Les pluies abondantes remplissent moins bien les nappes que des pluies faibles et continues. L'objectif fixé en termes de réutilisation est de 1 000 projets d'ici la fin du quinquennat et nous avons déjà reçu plus de 500 demandes. Le décret « voiries et espaces » a été publié le 29 août dernier et le décret concernant l'agroalimentaire est examiné par le Conseil d'État et prévoit de nombreuses possibilités de réutilisation des eaux. Demain, la ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé aura l'occasion de parler des eaux grises et de la possibilité que l'eau utilisée par un lave-linge alimente des toilettes.

- Présidence de M. Didier Mandelli, vice-président -

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Monsieur le Ministre, j'interviens en qualité de rapporteur pour avis des crédits relatifs au transport routier. Je souhaite aborder le leasing social dont la mise en place a été retardée par rapport aux annonces gouvernementales initiales. Nous nous réjouissions de son entrée en vigueur le 1er janvier 2024, mais nous manquons toujours de visibilité sur les paramètres précis du dispositif, alors que le dépôt des demandes par les ménages a déjà commencé ce mois-ci. Outre le niveau de revenus, quels critères d'éligibilité seront pris en compte ? Est-il par exemple prévu d'introduire un critère géographique lié aux ZFE-m ? Les crédits peuvent-ils être modulés sur les cinq ZFE-m prioritaires ?

S'agissant du calibrage financier, un plafond de 100 € de loyer par mois hors assurance est prévu : combien de modèles de véhicules seront compatibles avec ces critères et l'offre de véhicules éligibles au leasing sera-t-elle suffisante pour répondre à la demande ? Une enveloppe de 50 M€ est prévue pour financer ce dispositif en 2024 : sur cette base, avez-vous estimé le nombre de bénéficiaires potentiels pour la première année et prévoyez-vous une montée en charge du dispositif les années suivantes ? Nous avons d'autant plus besoin de clarifications que la réunion prévue au ministère avec les chefs de file des collectivités a été annulée.

Deuxièmement, je souhaite aborder le dispositif de lecture automatisée des plaques d'immatriculation, dit « LAPI », dont la mise en oeuvre en ZFE-m, autorisée par la loi d'orientation des mobilités (LOM), est sans cesse reportée depuis quatre ans. Rappelons que d'ici à peine plus d'un an, 43 agglomérations devront avoir mis en place des ZFE-m en application de la loi « Climat et résilience ». Or, comment assurer la crédibilité du dispositif si ces collectivités ne sont pas dotées des moyens adéquats pour contrôler le respect des restrictions de circulation qu'elles mettront en place ? Pouvez-vous nous exposer les raisons de ce retard, qu'elles soient techniques ou juridiques, et nous indiquer à quel stade en sont les travaux du Gouvernement sur ce sujet ? La LAPI sera-t-elle disponible en 2024, comme cela a été annoncé ? Les modalités d'acquisition de cet outil suscitent des inquiétudes légitimes au sein des agglomérations concernées par la mise en place des ZFE-m. Avez-vous estimé le coût d'acquisition de ce dispositif pour les collectivités territoriales et un soutien financier de l'État est-il prévu ?

Pour terminer, je souhaite aborder l'enjeu de l'interopérabilité des bornes de recharge électriques, un sujet dont l'importance croîtra compte tenu du déploiement progressif des ZFE-m d'ici à 2025. Quelles mesures comptez-vous mettre en oeuvre pour favoriser l'interopérabilité des bornes de recharge des différents opérateurs intervenant sur le réseau routier et, ainsi, faciliter les mobilités quotidiennes des usagers - particuliers et professionnels - qui feront le choix de l'électrique ?

M. Philippe Tabarot. - Monsieur le Ministre, je souhaite moi aussi vous interroger sur le déploiement des ZFE-m, même si le ministre délégué Clément Beaune a déjà répondu à mes questions sur le programme 203 lors de son audition par la commission.

Comme vous le savez, notre commission a adopté en juin dernier un rapport d'information intitulé « ZFE : sortir de l'impasse », à l'issue d'une « mission flash ». Il part d'un constat simple : partout où elles sont instituées, les ZFE-m se heurtent à d'importantes crispations et à de vives incompréhensions, à la fois de la part des collectivités territoriales à qui il revient de les mettre en place, et des usagers, particuliers comme professionnels, qui verront, pour une part importante d'entre eux, leurs véhicules affectés par les restrictions de circulation dans les agglomérations connaissant des dépassements réguliers des seuils de qualité de l'air : Paris, Lyon, Marseille, Strasbourg et Rouen.

Je sais que vous contestez ces chiffres, ils ne sont pourtant que le reflet de la composition du parc automobile français : à l'heure actuelle, 13 millions de véhicules particuliers sont classés Crit'air 3 à 5, ou non classés. De fait, c'est 34 % du parc national de véhicules qui ne pourront pas accéder aux agglomérations auxquelles s'applique le schéma de restriction voté par la loi « Climat et résilience ».

Certes, et fort heureusement, ces 13 millions de véhicules ne sont pas tous répartis dans les seules unités urbaines des quelques ZFE-m qui se verront appliquer ce schéma. Pour autant, ces véhicules ne pourront pas y pénétrer, sauf à revoir le calendrier de déploiement, comme nous l'avons proposé. Je souligne d'ailleurs qu'il ne s'agit pas de « reporter pour reporter », mais d'être pragmatique : ce calendrier ne pourra pas être respecté.

L'effort de communication que vous avez conduit en juillet dernier a permis de clarifier la situation et de lister publiquement les ZFE-m concernées par les schémas de restrictions de circulation. Pour autant, le calendrier de mise en oeuvre n'a pas été modifié.

Depuis lors, votre prédécesseure, Mme Barbara Pompili, a également conduit une mission sur l'acceptabilité des zones à faibles émissions - mobilité, en partant de l'expérience de nos voisins européens. Son rapport formule également un certain nombre de recommandations.

Nous avons appris par la presse que vous deviez faire des annonces sur les ZFE-m mi-novembre et nous sommes le 15 novembre, cela ne vous aura pas échappé ! Quelles sont les évolutions envisagées à ce jour ? Entendez-vous vous inspirer des travaux du Sénat sur ce sujet, notamment de la proposition de loi que nous avons déposée en juillet dernier, qui repose sur le renforcement de l'information et de la concertation, sur l'assouplissement du calendrier ou encore sur une intensification des aides à l'attention des publics concernés ?

Où en est la mise en oeuvre du prêt à taux zéro pour les personnes travaillant ou résidant en ZFE-m ? Comme vous le savez, il s'agit d'un dispositif introduit dans la loi à l'initiative du Sénat. Nous nous inquiétons de son retard.

M. Didier Mandelli, président. - Je ne pourrai pas satisfaire toutes les prises de parole avant le départ du ministre. Je donnerai donc la priorité aux groupes politiques qui ne sont pas représentés parmi les rapporteurs.

Mme Marta de Cidrac. - Vous avez cité un certain nombre de rapports sénatoriaux que vous avez qualifiés d'excellents. J'espère que vous avez également lu celui que j'ai publié au mois de juillet sur le réemploi et le recyclage des emballages. Il traduit ma position sur la consigne, qui est un sujet parfois irritant pour les collectivités, et détaille 28 propositions pour améliorer nos performances en matière d'économie circulaire. Certaines de ces mesures méritent d'être traduites en amendements dans le cadre du PLF. Est-ce que ceux-ci bénéficieront de votre soutien, par exemple sur la tarification incitative ? Nous avons tous cru comprendre, à l'occasion des Assistes de Nantes en septembre dernier, que la consigne sur le recyclage des bouteilles en plastique n'était plus envisagée. Or, en observant les cahiers des charges des éco-organismes, un certain nombre de doutes se sont immiscés dans l'esprit de nos collectivités. Pouvez-vous nous rassurer ?

M. Christophe Béchu, ministre. - Sur le leasing social, le président de la République avait annoncé que le dispositif de réservation ouvrirait avant la fin de l'année 2023 et que les premiers véhicules seraient disponibles début 2024. Le nombre de véhicules est lié à la restriction des constructeurs éligibles, qui doivent être européens. Les objectifs pour 2024 ne sont pas fonction de l'engagement budgétaire mais de la disponibilité des véhicules. Je confirme que ce leasing sera proposé à 100 € par mois, soit le montant moyen d'un plein de carburant. L'éligibilité est fondée sur les déciles mais nous devrons définir des règles de priorisation si le dispositif est victime de son succès. Nous ne pouvons pas prioriser par métier, ce serait très complexe et il y a, à l'intérieur d'un même métier, des écarts de revenus. Nous examinons la possibilité d'instaurer une priorisation territoriale. Je privilégie les territoires ruraux dans lesquels les alternatives aux voitures sont réduites ainsi que les ZFE-m.

Sur l'interopérabilité des bornes de recharges, le Gouvernement a pris plusieurs décrets. Le standard initial est celui de la directive AFID de 2014, modifiée en 2021 avec la mise en place d'amendes administratives pour les opérateurs qui ne rendraient pas leurs bornes interopérables.

En termes de déploiement, il y a en France plus d'un million de bornes à domicile et plus de 100 000 dans l'espace public. Ce chiffre sera multiplié par 2, puis par 3, par 4, au fur et à mesure de la progression de l'électrification dans notre pays. Le taux d'immatriculation de véhicules électriques a dépassé les 19 % au cours du dernier mois connu, il était de 18 % le mois précédent contre une moyenne de 13 % en 2022.

Sur les ZFE-m, le rapport de M. Philippe Tabarot est sur ma table de chevet parce que j'ai conscience que le sujet n'est pas clos. J'ai rappelé l'état du droit. Aujourd'hui, ce ne sont pas 43 agglomérations qui vont interdire les véhicules Crit'air 3, 4 et 5. Si, au cours des 5 années, elles ont enregistré des résultats de qualité de l'air inférieurs aux seuils pendant 3 ans, elles peuvent demander une exonération. Celles qui ne le feront pas devront interdire les véhicules non classés au moment de la mise en place de leur ZFE-m, soit 0,5 % du parc.

Les 5 agglomérations qui dépassent les seuils d'émission (Paris, Lyon, Marseille, Strasbourg et Rouen) sont tenues à un calendrier plus contraignant. Strasbourg pourrait sortir de cette liste si l'amélioration de la qualité de l'air se confirme. Certains territoires ont renoncé à la mise en place de mesures plus contraignantes au 1er janvier 2024 puisqu'ils sont territoires de vigilance et non ZFE-m. C'est une bonne nouvelle en termes de santé publique puisque cela signifie que la qualité de l'air s'est améliorée.

Pour qu'une ZFE-m soit effective, il faut des contrôles. Le PLF pour 2024 prévoit la rétrocession intégrale des amendes aux territoires qui mettront en place des radars. Le « Fonds vert » propose également des dispositifs permettant d'aider les collectivités à installer ces radars. Leur homologation est complexe en raison des difficultés d'identification des véhicules pour savoir s'ils sont susceptibles d'appartenir aux catégories 3, 4 ou 5.

Concernant les annonces que je pourrai présenter sur ce sujet, il peut arriver que la presse soit approximative. La date du 15 novembre est celle à partir de laquelle j'étais susceptible de réunir les différentes parties prenantes. Nous cherchons actuellement une date pour les réunir, notamment pour les 5 agglomérations susmentionnées. Le rapport Pompili offre un parangonnage sur la manière dont 14 pays et 270 collectivités ont mis en place des ZFE-m. Nous observons que certaines ZFE-m ont été suspendues une fois atteints les résultats espérés en termes de qualité d'air.

Je ne peux pas m'engager à soutenir un amendement tant que je ne l'ai pas lu mais j'invite Mme Marta de Cidrac à contacter mon cabinet pour travailler avec elle sur les amendements que nous pourrions soutenir.

Dans quelques jours, je recevrai le rapport sur la mise en place d'une TVA à 5,5 % sur les produits issus du recyclage, du réemploi ou du reconditionnement. Il est important que l'écologie s'accompagne de gains de pouvoir d'achat pour encourager les comportements bons pour la planète et les emplois locaux. L'économie circulaire représente déjà un demi-million d'emplois dans notre pays.

À propos de la consigne, j'ai dit de façon extrêmement claire aux Assises à Nantes que nous ne pouvions pas prendre prétexte du taux moyen national de 62 % de recyclage des bouteilles en plastique pour en déduire que nous étions obligés de généraliser la consigne. En effet, le taux varie de 40 à 90 % en fonction des territoires et la mise en place de la consigne engendre des effets de bords. Les déconsigneurs seront installés sur les parkings des grandes surfaces et poseront des problèmes aux commerces des centres-villes. Ils donneront l'illusion que l'achat de plastique est écologique. En effet, dans les pays qui recyclent 90 % de leurs bouteilles, nous observons une augmentation du nombre de bouteilles mises sur le marché. Par ailleurs, le coût moyen du recyclage est de 15 centimes par bouteille. Il me paraît délicat d'augmenter le prix des packs de 1 euro dans le contexte actuel, même si 90 % de cette somme seront récupérés. Enfin, la généralisation pénaliserait les collectivités les plus vertueuses qui ont déjà investi dans des centres de tri.

Je viens d'envoyer le cahier des charges de la Responsabilité Élargie des Producteurs (REP) emballages dans lequel je demande d'évaluer la possibilité de mettre en place des consignes régionales. La France paye 1,3 milliard d'euros d'amende à l'Union européenne compte tenu de son mauvais taux de recyclage, 800 M€ au titre des ménages et 500 M€ au titre des entreprises. Notre intérêt collectif est donc d'améliorer ce taux. Il n'est pas logique que des territoires qui sont à 90 % payent, à travers les impôts nationaux, une partie de cette amende.

Mme Marie-Claude Varaillas. - Les territoires ruraux représentent 90 % de communes françaises et sont des acteurs incontournables de la transition écologique puisqu'ils disposent de tous les ingrédients de l'industrie verte. À travers le plan France ruralités, je ne doute pas de votre volonté d'apporter un début de réponse aux maires ruraux qui voient disparaître leurs services publics, leur médecin et quelques fois les industries qui leur restaient avec la baisse d'attractivité qui en résulte. Si l'enveloppe de 90 M€ dédiée à ce programme nous paraît insuffisante, les mesures envisagées nous semblent positives, comme la valorisation des aménités rurales à travers une dotation dédiée à la protection de la biodiversité ou le programme Villages d'avenir, à condition que celui-ci couvre plus de 500 communes et qu'au-delà de l'ingénierie, les projets soient soutenus financièrement.

Il est positif que le « Fonds vert » soit porté à 2,5 milliards d'euros. Pour autant, si la hausse des moyens dédiés à la transition écologique est à saluer, il ne peut pas être financé au détriment d'autres lignes abondant les budgets locaux. Le Comité des finances locales dénonce la suppression progressive de la CVAE. Il considère que c'est un hold-up destiné à financer le « Fonds vert ».

Une récente étude publiée par l'Institut de l'économie pour le climat détaille quatre scénarios destinés à financer l'accélération des investissements pour le climat des collectivités à l'horizon 2030. Le scénario « État » se fonde sur une augmentation du soutien de l'État par une indexation de la DGF sur l'inflation et par la pérennisation du « Fonds vert » au-delà de 2024 à 2,5 milliards d'euros, qui serait de nature à motiver nos élus. Qu'en pensez-vous ?

Enfin, j'attire votre attention sur la multiplication des phénomènes de catastrophe naturelle. La Dordogne est très concernée et l'amendement que j'avais déposé l'année dernière n'avait pas été retenu. Les 20 M€ prévus au PLF me semblent insuffisants.

M. Christophe Béchu, ministre. - Le rapport Pisani-Ferry chiffre à environ 10 milliards d'euros la part qui incombe aux collectivités dans le financement de la transition écologique. J'ajoute que certains investissements pour le climat sont porteurs d'économies de fonctionnement et que les 2,5 milliards d'euros du « Fonds vert » sont sanctuarisés.

J'observe que, pour la première fois depuis 13 ans, nous avons relevé en 2023 les niveaux de DGF et que nous poursuivrons cet effort en 2024. J'ai la conviction que la DGF est à bout de souffle. Nous avons besoin d'assises de la fiscalité locale pour repenser le panier des subventions.

Il n'y a pas de hold-up sur la CVAE puisqu'elle est compensée via la TVA, dont les recettes progressent au rythme de l'inflation. La moyenne de la hausse du rendement de la TVA est supérieure à celle de la CVAE. Il y a cependant un inconvénient, un territoire qui s'investit plus que les autres pour la réindustrialisation ne touche pas totalement le fruit de ses efforts.

Enfin, sur les catastrophes naturelles, notre système est à bout de souffle. Nous ne pouvons pas continuer à gérer avec une Caisse centrale de réassurance (CCR) dotée de 3 milliards d'euros les 11 millions de personnes potentiellement concernées par le retrait-gonflement des argiles, les dizaines de milliers qui sont soumises à l'érosion du trait de côte, l'augmentation des risques éboulement, etc. Dans le plan d'adaptation d'une France à l'augmentation moyenne des températures de 4°C, nous devrons faire bouger nos critères de catastrophe naturelle et nos modes de solidarité. C'est d'autant plus important que les assureurs se retireront d'un certain nombre de marchés contre les aléas climatiques.

M. Ronan Dantec. - La Cour des comptes a souligné que le CRTE ne jouait pas son rôle intégrateur et qu'une dotation socle était nécessaire. Nous sommes en train de nous rapprocher de ce que préconise le Sénat depuis des années, une dotation socle climat ou de transition.

Soutiendrez-vous un amendement visant à affecter 600 M€ du Fonds vert à une dotation socle, en incluant le budget de Villages d'avenir et le contrat d'objectif territorial de l'Ademe ?

Il y a également eu un débat à l'Assemblée nationale sur la pertinence de sortir du calcul de l'endettement des collectivités les investissements de transition. Qu'en pensez-vous ?

M. Christophe Béchu, ministre. - Concernant le programme Villages d'avenir, les crédits visent à accompagner des services faits, il y a donc un décalage inévitable des versements. Par conséquent, il ne faut pas se fonder sur la somme inscrite dans le budget pour 2024 pour évaluer le nombre de villages qui pourraient être accompagnés.

Je ne suis pas favorable à la ponction de 600 M€ du Fonds vert dédiés aux investissements pour les affecter au fonctionnement pour trois raisons. Tout d'abord, nous venons de lancer les COP territoriales qui nous permettront de disposer au milieu de l'année prochaine des feuilles de route des collectivités pour leurs besoins de planification. Par ailleurs, le « Fonds vert » a reçu cette année 18 000 demandes de subvention mais n'a pu en satisfaire que 8 000. Les autres seront satisfaites en 2024, notamment avec un plan pour les écoles, crucial car l'école est souvent le premier bâtiment des communes en termes de consommation énergétique. Enfin, nous devons nous interroger sur la maille. Il y a des débats sur le rôle des communes, des intercommunalités, des départements, des bassins de vie, etc. La réflexion sur l'accompagnement adéquat des collectivités sera au coeur de la suite des COP territoriales.

Je suis totalement favorable à la dette verte. C'est un principe que j'ai défendu au moment des débats sur le tiers financement. Nous devons être capables de distinguer la « dette vertueuse » qui nous permet d'éviter des dépenses de fonctionnement, de faire face au coût de l'inaction et de la comptabiliser dans des trajectoires d'investissement. Je rappelle, avec une pointe d'émotion, que notre pays a perdu un grand maire, Pierre Breteau, qui était président de la commission des finances de l'AMF et qui défendait ces questions financières. Sur son impulsion, l'AMF a voté en faveur de la mise en place de budgets verts pour les communes de plus de 3 500 habitants.

M. Jean-Yves Roux. - Nous alertons l'État depuis des années sur l'inadéquation des ressources pour exercer la compétence de Gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (Gemapi). Le député Joël Giraud a déposé un amendement au PLF pour 2024 en sollicitant un rapport parlementaire dans les 6 mois jugeant de l'opportunité d'introduire une solidarité amont-aval pour l'exercice de cette compétence. Le rapport d'information sur la politique de l'eau de nos collègues Rémy Pointereau et Hervé Gillé propose d'introduire une fraction de la taxe Gemapi mutualisée sur l'ensemble des bassins-versants pour « soutenir des actions au titre de la Gemapi des EPCI disposant de peu de ressources et de longs linéaires ». Quelle est votre position sur cette proposition ?

M. Christophe Béchu, ministre. - Je rappelle que l'exercice de la compétence Gemapi a été instaurée il y a 10 ans, afin de laisser le temps aux collectivités et leurs groupements de s'organiser : c'est en effet en 2014 qu'un texte législatif a prévu que la compétence pleine et entière serait effective d'ici 2024. Je suis surpris que, moins de trois mois avant l'échéance, les acteurs réagissent en objectant la complexité de cette disposition. J'ai observé avec une certaine amertume le même phénomène à propos de la loi sur l'accessibilité universelle : tout le monde était d'accord au moment du vote, mais les oppositions ont émergé juste avant l'échéance. J'ajoute que l'État a intensifié son travail sur la Gemapi au cours des derniers mois. C'est un sujet que je connais bien pour avoir précédemment été président d'une communauté urbaine concernée par une grande façade sur la Loire et par les digues domaniales. Pour répondre à votre question, je suis favorable à la solidarité amont-aval. J'ai supprimé la condition qui obligeait à lever la taxe pour solliciter le « Fonds vert » pour accompagner des crédits de travaux, car je considère qu'il existe une liberté de gestion. Les dispositifs prévus par la loi Barnier sont également mobilisables. Je pense que la situation sera plus claire dans quelques mois entre ceux qui redoutent l'exercice de la compétence, ceux qui ont déjà mis en place les dispositifs et ceux qui s'organisent avec des mécanismes de solidarité qui ne nécessitent pas de règles. Par exemple, dans l'intercommunalité que je présidais, nous avons considéré qu'il ne fallait pas uniquement se fonder sur le linéaire de façade mais également tenir compte du nombre d'habitants des intercommunalités voisines, dans une logique de solidarité.

M. Didier Mandelli, président. - Merci Monsieur le Ministre.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 h 30.