Jeudi 16 novembre 2023

-Présidence de Mme Françoise Gatel, présidente -

Examen du rapport d'information relatif aux enjeux et perspectives de l'intercommunalité en Polynésie française

Mme Françoise Gatel, présidente et rapporteure. - Chers collègues, la délégation aux collectivités territoriales est une délégation vivante et dynamique, puisqu'après plusieurs déplacements, notamment dans la Nièvre, ou encore à Ouessant, elle s'est rendue jusqu'en Polynésie Française, afin d'y étudier l'organisation et l'avenir de l'intercommunalité, qui s'y développe depuis plusieurs années.

Le Président Larcher nous avait confié cette mission en 2019, mais le covid est passé par là, et c'est cette année seulement que nous avons pu effectuer ce déplacement.

Je félicite Mme Micheline Jacques, nouvellement élue présidente de la délégation aux Outre-mer (DOM), qui nous fait l'amitié d'accepter l'invitation par notre délégation de la DOM, et remercie Pascale Gruny, qui remplace Agnès Canayer qui avait accompli le déplacement et ne peut être présente, retenue par une mission pour la commission des lois.

Je salue la présence de nos collègues Lana Tetuanui et Téva Rohfritsch, sénateurs de Polynésie, et rappelle à tous que lundi se déroulera la traditionnelle journée des Outre-mer au Sénat à l'invitation de son Président, à laquelle nous convie la délégation qui leur est dédiée.

En préalable à l'examen de ce rapport, nous allons auditionner avec grand plaisir Jean-Michel Houllegatte, qui était sénateur de Normandie jusqu'à ce qu'il décide, aux dernières élections, de ne pas se représenter. Il nous a accompagnés en Polynésie, un territoire qu'il connaît très bien.

Avant de lui céder la parole, je souhaiterais souligner que cette mission sur l'intercommunalité en Polynésie a montré l'extrême dynamisme de la coopération entre les territoires, et a été l'occasion d'identifier nombre de bonnes pratiques. La première chose qui frappe est l'étendue du territoire : de Papeete aux Iles Marquises, c'est un peu comme voyager de Paris au Danemark. La Polynésie est aussi vaste que l'Europe et marquée par une forte insularité. Cette réalité géographique percute totalement la vie démocratique et administrative. De façon atténuée, on peut penser aux différences entre les zones littorales et les zones de montagne dans la métropole. L'organisation administrative est également très différente, avec des « communes associées » qui peuvent être réparties sur des îles ou archipels différents. Pour avoir une bonne appréhension du territoire, il est donc indispensable de se défaire du schéma assez simple de la commune métropolitaine.

M. Jean-Michel Houllegatte. - Merci Madame la Présidente de m'auditionner en qualité d'expert. Je connais, en effet, bien la Polynésie où j'ai eu ma première expérience professionnelle en tant que volontaire civil à l'aide technique (VAT). L'état des lieux du bloc communal polynésien est le suivant.

Premièrement, les communes sont une collectivité récente, puisque la loi organique du 27 février 2004 a fait de la Polynésie française la première collectivité d'Outre-mer dotée de l'autonomie, en application de l'article 74 de la Constitution issu de la loi constitutionnelle du 28 mars 2003. La Polynésie comporte deux niveaux de collectivités : le pays, qu'on appelle le fenua, dont les compétences sont extrêmement larges puisqu'elles concernent le droit du travail, le droit de la santé publique, de l'action sociale et de la famille, de l'aménagement du territoire, de l'environnement, de l'assiette et du recouvrement des impôts de toute nature, ainsi que le droit commercial. L'État français conserve des missions régaliennes, c'est-à-dire la nationalité, la justice, la politique étrangère, la défense, la sécurité et l'ordre public. D'un côté, donc, le pays avec ses larges compétences et, de l'autre, les 48 communes réparties sur 118 îles et 5 archipels, au sein desquelles on dénombre 18 communes de droit commun et 30 communes regroupant en réalité 98 communes associées sur le plan juridique. Ces communes associées bénéficient d'une autonomie relativement importante dans la mesure où elles ont la chance de disposer d'un maire délégué qui remplit les fonctions d'officier d'état civil et de police judiciaire : elles constituent donc une section électorale de plein droit dont le maire délégué est souvent l'interlocuteur privilégié, je dirai même le « couteau Suisse » de cette répartition institutionnelle.

Deuxièmement, les communes ont des compétences restreintes. La loi organique de 2004 dispose qu'elles ne sont compétentes que dans neuf matières qui sont énumérées, comme la police municipale, la voirie communale ou encore la collecte et traitement des ordures ménagères. L'exercice par les communes de huit compétences supplémentaires, comme le développement économique, ou l'urbanisme et l'aménagement, est soumise à l'adoption d'une loi par le Pays. Dans la pratique, les communes polynésiennes n'ont donc pas de clause générale de compétence. Évidemment, on comprend intuitivement qu'avoir des compétences restreintes au niveau communal conduit à une vraie difficulté au niveau intercommunal en termes de transfert de compétence.

Troisièmement, les communes disposent de moyens financiers très limités. La loi organique de 2004 réserve au Pays la compétence pour instituer des impôts ou taxes spécifiques aux communes, y compris pour service rendu, ces dernières ne pouvant qu'en fixer le taux. Dans la pratique les communes sont essentiellement dépendantes du financement de l'État et des transferts du budget de la Polynésie française. Là encore, on comprend que des communes sans réels leviers financiers et fiscaux pour elles-mêmes se retrouvent en difficulté pour transférer des moyens au niveau intercommunal.

L'intercommunalité ne va donc pas de soi en Polynésie française. D'une part, les contraintes géographiques dans un territoire composé de plus d'une centaine d'îles, 118 exactement, ne favorisent pas les dynamiques de rapprochement et rendent même la logique de mutualisation de moyens humains et matériels parfois inopérante. D'autre part, la majorité des communes est composée de « communes associées » ce qui accentue l'émiettement, la dilution de la responsabilité et la dispersion des moyens et des compétences. D'une certaine manière, les communes associées présentent déjà un double niveau de gestion. En outre, s'ajoutent les difficultés que je viens d'évoquer : faiblesse des compétences, faiblesses des moyens financiers et humains, sans compter celles de l'ingénierie.

En dépit de ces difficultés le bloc communal peut se reposer sur deux grandes forces.

La première est constituée par les communes, qui forment l'échelon de proximité irremplaçable. Interlocutrices du quotidien, elles sont l'acteur essentiel de délivrance de services publics, la cellule de référence de la vie politique de proximité, et le vecteur de continuité territoriale dans l'émiettement de la géographie physique. Sur la plupart des îles, la commune est la seule institution présente. Le tavana, le maire en tahitien, est une figure connue, reconnue et respectée par toute la communauté. Comme dans l'hexagone, la crise sanitaire a constitué le révélateur de la pertinence de cet échelon local. Les maires sont totalement investis dans leur mission et font preuve d'une grande motivation.

La seconde force réside dans l'intercommunalité, qui tend à être perçue par les élus locaux comme un accélérateur de développement local. Depuis 10 ans, le nombre de créations d'intercommunalités est élevé, le syndicat pour la promotion des communes de Polynésie française (SPCPF) parle même d'évolution « exponentielle ». En dépit de difficultés objectives, les élus locaux des différents archipels sont déterminés à développer leurs projets et l'intercommunalité est vue comme un vecteur de développement. Le bloc communal est perçu comme l'échelle pertinente, là où le Pays peut paraître plus distant des enjeux quotidiens et moins au fait des préoccupations locales.

Mme Pascale Gruny. - Merci à vous, cher collègue. Nous allons maintenant entrer dans le cadre de l'examen de notre rapport. Nos recommandations portent sur quatre thèmes, dont la promotion de l'intercommunalité pour accompagner les élus dans leurs ambitions de développement local. La mission a rencontré les élus de tous les atolls et constaté que l'intercommunalité, mal connue, suscite de nombreuses interrogations de la part de certains élus locaux. Cela n'est guère étonnant : dans l'hexagone, le fait intercommunal a mis des décennies à s'installer. Il faut mieux informer les élus locaux, communiquer sur l'intérêt d'un projet intercommunal, organiser des rencontres du représentant de l'État avec les maires ainsi que des échanges d'expériences directs entre élus. Afin d'appuyer la réalisation d'un projet de territoire intercommunal, la mise en place d'une cellule d'appui technique est préconisée, avec notamment le concours du haut-commissariat et du syndicat pour la promotion des communes de la Polynésie française (SPCPF). À ce sujet, je signale l'excellence de certains projets de territoire engagés par des collectivités polynésiennes, notamment le projet de territoire de Tereheamanu qui a fait l'objet d'une intense phase de concertation et de co-construction avec les acteurs locaux et les habitants.

La mission recommande également d'optimiser le paysage de l'intercommunalité. En effet, on assiste à la fois à une accélération des créations d'intercommunalités, et à une tendance des communes à multiplier leur participation à des structures intercommunales. Seules 12 % des communes polynésiennes participent à une seule intercommunalité, 63 % participent à deux structures intercommunales et plus de 25 % vont jusqu'à adhérer à cinq intercommunalités. Certaines situations peuvent interroger. Ainsi, la communauté de communes de Hava'i ne comprend pas l'île de Bora- Bora, riche en recettes touristiques. Quant à la grande aire urbaine de Papeete, qui concentre des enjeux aussi majeurs que la mobilité et les transports, l'économie, l'emploi et l'environnement, elle n'est liée à aucune intercommunalité. Dès lors, il serait pertinent d'inciter les élus à débattre localement des périmètres des syndicats et intercommunalités.

Mme Françoise Gatel, présidente et rapporteure. - Vous le constatez, nos recommandations sont extrêmement concrètes. Notre deuxième thème, le développement du bloc communal, passe d'ailleurs en premier lieu par la parole et l'échange. Or, ce dialogue se heurte aux particularités géographiques : une réunion d'intercommunalité peut avoir lieu à 300 km, par gros temps, quand le bateau ne peut tout simplement pas accoster, et alors que certaines liaisons maritimes sont déjà peu fréquentes.

Doter l'ensemble des communes et des communes associées d'un système de visioconférence permettrait de fluidifier les échanges, d'intensifier les coopérations et d'être plus efficace et plus réactif en dépit des difficultés techniques liées à la faiblesse du débit internet. À ce jour, 12 des 48 communes et une commune associée seulement sont équipées d'outils de visioconférence : un important travail reste à faire.

Permettre au bloc communal de se développer, c'est aussi rendre effective la possibilité de délégation de compétences du Pays vers le bloc communal, et autoriser des compétences partagées. Comme l'a dit Jean-Michel Houllegatte, le Pays de Polynésie a la particularité de posséder un certain nombre de compétences en lieu et place de l'État pour agir en dehors des compétences régaliennes. Il convient là aussi de promouvoir une plus grande fluidité, afin que le bloc local puisse agir dans la proximité. En effet, si les lois prévoient bien la possibilité que le Pays délègue aux maires ou aux présidents des établissements publics de coopération intercommunale des compétences, en pratique ces dispositions nécessitent d'être activées. Si le cheminement est long en métropole, en Polynésie, les choses sont différentes et surtout plus récentes. Nous appelons à l'évolution d'une logique existante qui est parfois binaire : soit le Pays est compétent et la commune est exclue de cette compétence, soit la commune l'est et le Pays ne peut pas agir. Il conviendrait sans doute d'articuler des compétences à l'image de ce qui se pratique dans la métropole de Marseille : celle-ci possède toute la compétence voirie, mais parfois, un intérêt communautaire autorise la commune à agir. Nous défendons cet esprit et reprenons à notre compte une suggestion de nos collègues Catherine Troendlé et Mathieu Darnaud, dans leur bien nommé rapport de 2017 « La Polynésie française : allier autonomie dans la République et subsidiarité dans la collectivité », à savoir qu'il conviendrait de permettre aux communes d'exercer, à titre subsidiaire, des compétences qui sont transférables du Pays, sans pour autant que cette compétence ne leur échoit totalement. À cet effet, il est également nécessaire d'instaurer un dialogue entre le Pays et le bloc communal.

Permettre le développement, c'est bien aussi expérimenter, comme nous y encourage le président Larcher. La Polynésie française elle-même est demandeuse d'expérimentations, notamment les îles des Marquises qui, depuis dix ans, ont élaboré un projet de développement économique et qui, à ce stade, ne peuvent pas le mettre en oeuvre, faute de pouvoir dépasser ces questions de délégation et de partage des compétences. Nous y recommandons la mise en place d'un EPCI d'archipel qui ne serait pas une collectivité à statut particulier, mais qui aurait un statut dérogatoire avec des compétences et une organisation dédiée, construite avec l'ensemble des élus et acteurs des Marquises. Ce statut ne serait pas réservé aux îles Marquises, mais pourrait être expérimenté par d'autres archipels.

Mme Pascale Gruny. - Troisième thème, les acteurs institutionnels doivent accompagner le mouvement de l'intercommunalité.

En premier lieu, le Pays. Nous n'ignorons pas qu'il y a eu un changement politique à la tête du Pays. Les constats que nous formulons datent cependant d'avant cette élection récente. Les élus locaux trouvent le Pays et ses services lointains et le dialogue insuffisant. Les maires de tous les archipels ont souligné le manque de proximité des services du Pays et souhaitent disposer d'antennes locales mieux dotées. C'est pour cela que nous encourageons ce dernier à étudier des modalités de déconcentration renforcée de ses services. Rappelons que sur ses 6 400 agents, environ ¾ sont localisés aux Iles-du-Vent, contre moins d'un quart dans les autres archipels.

Nous recommandons également d'améliorer le dialogue local entre le Pays et les collectivités, notamment en veillant à donner aux tavana hau (administrateurs du Pays au niveau local) les délégations nécessaires et l'autorité sur les services déconcentrés.

Ensuite, vient la question de l'État et du Haut-commissariat. Les élus locaux ont rappelé leur attente de voir les services de l'État se positionner en conseil en amont, notamment en matière de contrôle de légalité et en matière d'ingénierie. Ils souhaitent être accompagnés dans la maturation de leurs projets et dans leurs réalisations concrètes.

Nous recommandons deux choses : d'une part, que les services de l'État procèdent au recensement de l'ingénierie publique et privée disponibles en Polynésie française, afin d'entamer un dialogue entre ses acteurs et les élus et, d'autre part, que soient étudiées les modalités d'extension de l'intervention de l'ANCT dans les territoires d'Outre-mer dont la Polynésie française.

Enfin, le Pays et le Haut-Commissariat doivent mieux dialoguer avec les intercommunalités. À cette fin, nous recommandons d'instaurer dans le contrat de projets État/Pays, un volet tripartite intégrant les communautés de communes. Nous recommandons également, dans la lignée de ce qui commence à se pratiquer, que ces financeurs priorisent les projets portés par les intercommunalités plutôt que par des communes seules.

Mme Françoise Gatel, présidente et rapporteure. - Quatrième et dernier thème, il s'agit de rendre plus lisible et plus simple le droit applicable. À ce sujet, notre collègue Lana Tetuanui vient de déposer une proposition de loi issue d'un travail mené pendant près de trois ans par le syndicat des communes (SPCPF) en concertation avec les communes polynésiennes. Ce travail a permis d'identifier les difficultés d'application de certains points du CGCT, et je souhaite votre soutien, cher collègues, aux 43 propositions de modification. L'idée principale du texte est de fournir une sorte de code rassemblant l'ensemble des dispositions législatives applicables en Polynésie, car connaître le droit applicable en Polynésie constitue aujourd'hui une réelle difficulté, le Haut-commissaire qui représente l'État en Polynésie nous l'a dit lui-même. Pour les élus locaux, c'est une source d'insécurité et un réel irritant.

Nous proposons donc que l'État puisse mettre en ligne une version consolidée et à jour des textes applicables, ainsi que les versions antérieures, sous la forme d'un « code éditeur » afin de rendre intelligible le droit. Je rappelle que Portalis, qui veille sur nous dans l'hémicycle, disait que le droit est fait pour les hommes et non pas les hommes pour le droit !

Enfin, je mentionnerai la question des voies publiques et des chemins privés, sujet en apparence anodin mais qui, en Polynésie, entraîne des situations juridiques inextricables, notamment lorsque des voies qui devraient manifestement faire partie du domaine public ont un statut privé qui empêche des interventions nécessaires. C'est aux acteurs locaux de se saisir du sujet, et nous proposons l'instauration d'une commission spéciale au niveau du Pays composé de représentants du Pays, de l'État, d'élus locaux et d'un panel d'habitants avec l'apport de juristes, pour faire des propositions relatives aux chemins privés à mettre en débat au niveau local. L'état des voiries est un enjeu de sécurité publique à traiter urgemment.

Mme Micheline Jacques. - Madame la Présidente, je vous pour votre invitation de ce matin et je félicite les deux rapporteures pour ce remarquable travail sur la Polynésie.

La délégation aux Outre-mer vient de se reconstituer et a adopté ce matin même son programme d'activités pour la période 2023-2024. Vous inaugurez donc notre cycle d'activités et c'est de bonne augure car le souhait général est de développer au cours de cette session les regards croisés et les travaux transversaux.

Je forme le voeu que nous poursuivions dans cette voie. En effet les missions de notre délégation visent à éclairer le Sénat sur toute question relative aux Outre-mer, veiller à la prise en compte des spécificités ultramarines et de la diversité des territoires et contribuer à une meilleure visibilité des Outre-mer.

Il se trouve que la délégation aux Outre-mer vient de lancer un travail sur l'adaptation des modes d'action de l'État dans les territoires ultramarins. Ce thème, qui avait été suggéré par Agnès Canayer et Philippe Bas nous permettra d'enrichir et compléter vos propres investigations. Je me réjouis de votre participation à la rencontre avec les maires des Outre-mer dans une séquence sur l'avenir de la commune et du maire conduite par notre collègue Mathieu Darnaud, qui mettra à l'honneur la place des Outre-mer dans les travaux du Sénat, le 20 novembre 2023.

Mme Lana Tetuanui. - Madame la Présidente, vous méritez des applaudissements pour accueillir vos collègues d'Outre-mer ce matin ! Nous avons réalisé une belle mission, il faut également remercier le Président Larcher d'avoir répondu favorablement à la demande de nos collègues de Polynésie. La Polynésie, qui n'est pas une destination facile, avec ses 20 heures d'avion, et son climat... L'intercommunalité demeure une inconnue pour beaucoup de nos communes. Nous connaissons bien notre bible, le CGCT, mais si les services de l'État sont censés effectuer les mises à jour en temps et en heure, en réalité, on a souvent plus vite fait de venir faire les ajustements au Sénat que d'attendre qu'un article modifié effectue les 20 heures d'avion !

L'intercommunalité s'est développée en Polynésie française à partir du transfert des compétences, notamment la gestion des déchets, le traitement des eaux usées et la fourniture d'eau potable, qui nécessitent de lourdes dépenses et ont incité les maires à se regrouper, d'autant plus que des dates couperet ont été fixées dans le CGCT pour leur mise en oeuvre. Nous demandons la suppression de ces échéances dans la proposition de loi car elles sont intenables. Comment obliger le maire de Tuamotu, située au niveau de la mer, sans aucun point d'eau, à fournir de l'eau potable à ses administrés ? Les tavana hau n'ont pas la tâche facile, mais ils ne manquent ni de force ni de courage et d'ailleurs, malgré la difficulté, il n'existe pas de crise de vocation chez nous.

Votre déplacement, Madame la Présidente, a immédiatement porté ses fruits, avant même la publication du rapport : la nouvelle intercommunalité de Papeete-Pirea-Arue a été mise en place et l'arrêté de création de celle des îles Australes doit paraître sous peu.

En 2016, lors du dernier toilettage du CGCT pour la Polynésie française, les compétences listées à l'article 43-2 ont été étoffées pour permettre des partages de compétences au bénéfice des intercommunalités ou des communes. Nous avons beaucoup avancé avec l'ancienne majorité, d'autant que le président était aussi maire du Pirea. Depuis mai, nous avons un gouvernement indépendantiste, ce qui promet de profondes discussions, notamment avec les îles Marquises qui ont clamé haut et fort leur souhait de rester rattachées à la France. En Polynésie, on ne peut pas travailler chacun de son côté. Espérons que le nouveau Président saura être à l'écoute de tous nos élus locaux !

M. Téva Rohfritsch. - Ce rapport a le grand mérite de mettre en regard les réalités géographiques de notre fenoa et les défis qu'elles posent en termes d'aménagement du territoire. La Polynésie française, c'est en effet 5 millions de kilomètres carrés d'océan, 5 000 km² de terre, 118 îles, 116 si on enlève Mururoa et Fangataufa, les sites des essais nucléaires. 78 îles sont habitées par une population concentrée à 85 % sur les deux îles du Vent et constituée de communautés d'une cinquantaine de personnes à un millier. Si on trouve facilement des écoles communales, au prix cependant d'aménagement comme les classes composées, il n'est pas possible de mettre un hôpital ou un collège partout. À 7 ou 8 ans, les élèves rentrent donc au collège dans un internat sur l'île ou dans les vallées d'à côté. Pour appréhender concrètement ces contraintes, rien ne vaut une visite sur le terrain que je remercie la délégation d'avoir effectuée.

La Polynésie française est une sorte d'Europe océanique peuplée de 270 000 habitants. Depuis 1984, son autonomie s'est construite peu à peu à partir de la création d'une collectivité forte dans laquelle on a concentré les compétences et outils de pilotage, le Pays. Les tavana hau sont plus anciens et représentent davantage qu'un maire : le tavana hau est le véritable chef, quasi spirituel, du village de la communauté. Il a assisté à l'émergence du Pays, une institution qui concentre beaucoup de pouvoir. Lorsque les deux entités communiquent bien de telle sorte que le tavana hau est en mesure de mener les opérations utiles à sa population, tout va pour le mieux. En revanche, quand n'y a pas de convergence sur les priorités locales, cela peut poser des difficultés dans l'exercice des pouvoirs du maire. Même si ce dernier n'a pas de compétence générale il est souvent amené à intervenir au quotidien, soit qu'il y ait une difficulté d'approvisionnement, une difficulté sociale, ou encore des problèmes liés au maintien de l'ordre ou à la sécurité. En cas de problème, c'est le maire qu'on va voir, tout simplement parce qu'il est la seule institution présente.

Dans cette grande course à l'autonomie avec le Pays et dans cette quête d'équipement global de la Polynésie française, on peut cependant se demander si l'on n'a pas laissé de côté l'aspect « vie quotidienne ». On a créé une collectivité forte avec des outils majeurs pour la différenciation de la collectivité mais pas forcément à l'intérieur de la collectivité, mais le quotidien des institutions a été mis de côté. C'est pourquoi je suis très heureux d'entendre parler de subsidiarité en ces termes aujourd'hui, c'est-à-dire d'un niveau de subsidiarité suffisant, qui serait exercé avec beaucoup de précaution et de discernement, pour ne pas aller jusqu'au transfert complet et définitif des compétences. Aucun maire ne le réclame ! Ce qu'il faut, c'est un partage de la compétence qui s'exprime dans le quotidien des habitants, et cela inclut la question des ressources et des moyens financiers, un sujet difficile lorsque 85 % de la population vit à Tahiti et Moorea (90 % si on inclut les îles sous-le-Vent) et concentre ressources et richesses. Le débat avec les maires d'îles moins peuplées suscite des tiraillements, les maires des grosses communes, 29 000 habitants chez nous, arguant de leurs difficultés à gérer leurs propres habitants pour ne pas avoir à céder une quote-part du Fonds Intercommunal de Péréquation (FIP). Mais ce débat doit être tranché entre et par les maires eux-mêmes. Par ailleurs, des contrats de développement peuvent aussi induire une forme de contrainte.

Je remercie votre délégation pour ses propositions concernant les îles des Marquises, qui y sont très sensibles. Vous avez su proposer un système équilibré, là où certains Marquisiens vont jusqu'à réclamer le statut de collectivité, ce qui reviendrait à une partition de la Polynésie Française et ne ferait qu'ajouter de la complication à un territoire qui n'en manque pas. Développer l'intercommunalité et réfléchir au repeuplement de nos îles me paraissent de bonnes directions : la Polynésie doit revenir vers l'insulaire plutôt que le rural, et lorsque je dis cela, il faut bien comprendre qu'à Tahiti, on a l'impression d'être le continent, et que les îles sont tout ce qui l'entoure !

Nous entendrons les élus des îles des Marquises lundi prochain. Comme vous le savez, ils ont exprimé le souhait de demeurer français, si la Polynésie demandait l'indépendance. Le vote qui a eu lieu au mois de mai n'était pas un vote pour l'indépendance, mais exprimait un souhait d'alternance : c'est en tous cas le thème de campagne du nouveau président, M. Moetai Brotherson. Depuis son élection, il ne parle plus que d'indépendance : chacun appréciera ce qui est dit en campagne électorale et ce qui est fait après, mais je peux vous assurer que les Polynésiens ne sont pas devenus indépendantistes parce qu'il y a un gouvernement indépendantiste en Polynésie française.

Mme Françoise Gatel, présidente et rapporteure. - Vous soulignez tous deux un héritage culturel très fort qui s'incarne bien dans la figure du tavana hau, ce « chef de tribu » qui ne peut pas ne pas agir sous prétexte qu'il n'aurait pas de « compétence générale ». C'est encore et toujours, à mon sens, le principe de subsidiarité qui doit nous gouverner, une subsidiarité qui doit être définie à l'échelon local, et non à Paris.

Les Outre-mer ont beaucoup à nous apprendre et tous les sénateurs devraient les découvrir. Moi-même, je suggérais il y a peu une mission sur le désenchantement des élus, qui sont nombreux à démissionner : si vous savez faire en Polynésie, cela mérite sans doute une mission supplémentaire ! Je me réjouis des travaux à venir de la délégation aux Outre-mer sur le rôle de l'État dans les territoires ultramarins, qui prolongera à merveille le rapport de notre délégation sur les services déconcentrés de l'État. On ne le dira jamais assez, l'État déconcentré doit être plus présent auprès des collectivités, dans une version plus qualitative et musclée : il faut moins de fonctionnaires au niveau central et davantage à l'échelon local. Dernière chose, nous agirons pour cette expérimentation d'intercommunalité d'archipel, mais attention, nous nous ne sommes pas favorables à ce que j'appelle le droit d'exception, nous sommes attachés à l'unité et l'indivisibilité de la République et convaincus que l'on saura faire de la différenciation pour s'adapter aux particularités.

M. Cédric Chevalier. - J'apprends ici énormément de choses et je suis convaincu que nous devons nous enrichir mutuellement : vous souleviez la question des chemins privés, un sujet qui fait écho à celui des « chemins noirs » qu'évoquait ce matin la presse régionale. Il serait sans doute parfois utile d'inverser nos chemins naturels de la réflexion, c'est-à-dire d'étudier ce qui se fait dans les Outre-mer pour l'adapter à la métropole, là où le besoin d'agilité et d'intelligence collective sont tout aussi nécessaires.

M. Akli Mellouli. - Je partage tout à fait l'idée qu'il ne faut pas confondre unité et uniformité. Lorsqu'on décentralise ou que l'on expérimente, certains opposent unité et uniformité. Or, l'unité de la République n'est pas l'uniformité : au contraire, nous devons faire valoir nos singularités qui font la force de notre unité.

Mme Françoise Gatel, présidente et rapporteure. - Nous avons en effet des collègues qui pensent que lorsque l'on différencie, on détruit l'unité : faux ! Regardez les lois sur les communes du littoral et les communes de montagne, celles sur les petites et les grandes communes, et bien sûr les textes sur l'Outre-mer bien sûr. Pour que l'égalité des droits ne soit pas un concept creux, il faut différentier les moyens : cela est bien compris au Sénat parce que nous sommes la chambre des territoires, mais nous devons porter ce combat contre la confusion entre égalité et uniformité. Et surtout, nous devons construire les projets à partir des territoires, et non chercher à y importer les savoirs de rois du jardin à la française. Sur ces territoires, la vie a tendance à déborder des cadres connus et c'est à la réalité d'inspirer et guider les institutions.

M. Georges Naturel. - La Nouvelle Calédonie se trouve actuellement dans une phase d'évolution institutionnelle et ce rapport nous intéresse au plus haut point. Les communes ont été les grandes oubliées des accords de Matignon et des accords de Nouméa. Je peux d'autant mieux en parler que j'ai été maire pendant quinze ans de la deuxième commune de Nouvelle-Calédonie et président du syndicat intercommunal du grand Nouméa, qui représente 180 000 habitants. Tout ce qui a été dit aujourd'hui me convient parfaitement. Le rôle central des tavana hau en Polynésie française ou des maires en Nouvelle-Calédonie est lié à l'importance du collectif et de la proximité dans les sociétés océaniennes. Ces élus sont des personnalités à part, et cela s'est particulièrement manifesté pendant la crise sanitaire.

Notre problématique en Nouvelle-Calédonie est liée à la partition du territoire en trois provinces, avec des compétences réduites. Votre rapport me sera fort utile pour présenter des propositions pour l'organisation institutionnelle à venir.

M. Jean-Michel Houllegatte. - Comme l'a dit mon collègue Téva Rohfritsch, c'est la logique du quotidien qui s'impose et comme le disait aussi Armand Frémont, pour la Polynésie c'est la géographie qui s'impose. Et cette géographie nous pousse à trouver des solutions innovantes. Lana Tetuanui évoquait deux compétences qui nous ont aussi préoccupés, à savoir celle du cycle de l'eau et celle du traitement des eaux usées, qui peuvent avoir des incidences non négligeables sur la qualité des eaux de baignade. Pour reprendre une expression de notre ancienne collègue Jacqueline Gourault, le prêt-à-porter ne convient pas à tout le monde, il faut ici du cousu main, justement grâce à la différentiation, à condition qu'elle soit cohérente. Les travaux menés sur la Polynésie française doivent conduire aux solutions juridiques les plus adaptées pour répondre aux enjeux du quotidien et aux spécificités géographiques.

Le rapport d'information relatif à la certification des comptes des collectivités territoriales est adopté à l'unanimité.

Mme Françoise Gatel, présidente et rapporteure. -Un dernier mot pour souligner l'intérêt que nous avons à nous inspirer de ce qui se fait dans tous les territoires. L'Outre-mer nous donne des leçons remarquables et parfois il faut savoir inverser nos schémas de réflexion. Je rêve d'un hémicycle où il n'y aurait pas que des Parisiens le jour où l'on débat du Grand Paris, ou que des élus d'Outre-mer celui où l'on évoque...l'Outre-mer. Je remercie nos collègues de la délégation aux Outre-mer de nous avoir permis de réaliser cette mission et me réjouis de sa déclinaison sur les services déconcentrés. Désormais, nous serons plus « collectifs » lorsque nous aborderons les sujets de l'Outre-mer. Ne reste plus qu'à présenter notre travail, lundi prochain, aux élus polynésiens.

Examen du rapport relatif au volet indemnitaire du statut de l'élu local

Mme Françoise Gatel, présidente et rapporteure. - Nous présenterons ce jour le rapport du premier volet de la mission sur le statut des élus locaux qui a trait aux indemnités. Ce rapport a été réalisé par Éric Kerrouche, François Bonhomme et moi-même.

Nous avons dû travailler très rapidement. Il nous a fallu attendre la reconstitution de la délégation, le 18 octobre, puis désigner un rapporteur avec une présentation du rapport ce jour, avant le congrès des maires. Je remercie mes collègues pour l'intensité et la qualité du travail fourni.

Le premier volet de notre mission sur la facilitation et la sécurisation de l'engagement des élus a trait aux indemnités des élus locaux, en affirmant que l'engagement des élus locaux est un engagement civique qui n'a pas de prix, mais a un coût, en premier lieu pour les élus locaux qui méritent d'être totalement reconsidérés. Comme le dit souvent le Président du Sénat, il n'y a point d'avenir pour nos territoires - et j'ajouterai pour la République - si les élus n'en ont plus.

Ce constat est au coeur de deux rapports du Sénat, publiés en juillet 2023 : le rapport de Gérard Larcher, Président du Sénat, intitulé « Libre administration, simplification, libertés locales : 15 propositions pour rendre aux élus locaux leur ''pouvoir d'agir '' » et le rapport sur l'avenir du maire, de Mathieu Darnaud, vice-président du Sénat, intitulé « Avis de tempête sur la démocratie locale : soignons le mal des maires ». Tous deux lancent un signal d'alarme que nous devons prendre très au sérieux.

On compte 345 communes qui n'ont pas de conseil municipal complet, faute de candidats en nombre suffisant. Je ne parle pas du nombre de communes de taille significative qui n'ont eu qu'une liste aux élections. Au-delà des 1 200 démissions répertoriées depuis les dernières élections municipales, le désenchantement et la lassitude posent question.

Nous nous sommes saisis du sujet qui comporte trois volets. Le premier, sur le régime indemnitaire, nous a conduits à auditionner, ou à recevoir les contributions de toutes les associations d'élus et à nous plonger dans les rapports précédents du Sénat qui restent pertinents. Je pense notamment au rapport de 2018 de la délégation aux collectivités et que je vous invite à lire puisque l'essentiel des volets dont nous parlerons ont été couverts.

L'engagement de l'élu local en France a été construit sur le principe d'un engagement civique fondé sur la gratuité. Le mandat découle d'une élection au suffrage universel, ouverte à tous les concitoyens à partir d'un certain âge. Il ne s'agit donc pas d'un métier rémunéré, mais d'une fonction élective à durée déterminée. Seul un tiers des élus locaux reçoit aujourd'hui une indemnité afin de compenser l'exercice de leur charge. Nous savons cependant que les crises se succèdent et nous ne pouvons accepter que le dévouement rime avec sacrifice personnel, familial, professionnel et financier, d'autant que s'ajoute à cela l'exposition au risque pénal. L'exigence de temps n'a plus rien à voir avec le temps initialement consacré par les maires à leur mandat, en raison de la complexité, mais aussi du fait de la montée en puissance de l'intercommunalité, très exigeante, et des difficultés de recrutements de personnel - 1 600 postes de secrétaires de mairie ne sont ainsi pas pourvus aujourd'hui. Nous proposons donc de garantir une meilleure protection matérielle des élus afin de faciliter et de sécuriser l'exercice du mandat d'élu local. La sécurisation de l'élu sécurise également sa famille.

Nous présenterons huit recommandations. Nous avons d'abord examiné notre recommandation formulée en 2018. Une interrogation perdure sur la gratuité de la fonction élective ou sur la professionnalisation de la fonction élective. En 2018, l'importance de la gratuité avait été réaffirmée, mais la délégation avait recommandé de revaloriser le niveau maximal des indemnités de fonction des maires des communes de moins de 100 000 habitants, et particulièrement en deçà de 1 000 habitants. Dans la loi « engagement et proximité », le Sénat a rehaussé les indemnités des élus des plus petites communes, avec une revalorisation entre 30 et 50 %. La proposition initiale du gouvernement visant une revalorisation de 100 % semblait irréaliste puisque les élus ont du mal à utiliser l'intégralité des indemnités. La revalorisation de 30 à 50 % a donc donné satisfaction aux élus des plus petites communes. L'association des maires ruraux ne parle effectivement plus, ou très peu, de la revalorisation des indemnités. Le travail a donc été effectué correctement. Nous sommes allés jusqu'aux communes de moins de 3 500 habitants.

Le mandat local pénalise souvent ceux qui l'exercent. L'indemnité est ainsi largement inférieure au salaire moyen brut en France. Nous avons voulu estimer ce que pourrait coûter le remplacement des maires et des exécutifs par des fonctionnaires de catégorie A, à temps plein ou partiel. Le mode de calcul est sérieux et l'estimation aboutit à un coût de 3,4 milliards d'euros. Si les élus étaient remplacés par des fonctionnaires, même très investis, l'augmentation serait considérable sachant que l'engagement et la présence des fonctionnaires seraient peut-être moindres à celle des élus, lors d'événements comme les inondations du Pas-de-Calais. Nous soulignons également l'existence d'interrogations sur la corrélation entre l'indemnité et le temps consacré au mandat. Selon les retours des élus, ils consacrent en moyenne 32 heures par semaine à leur mission. Je rappelle que les indemnités sont déterminées de manière forfaitaire, en fonction des strates de la population, sans référence au temps consacré à la mission. Cette situation favorise donc les retraités et interroge sur la corrélation entre la démographie des élus locaux et la composition de la population française. Il existe une représentation disproportionnée de certaines strates démographiques et catégories socioprofessionnelles, ce qui nous amène à nous interroger sur le statut de l'élu étudiant.

Une association des jeunes élus a formulé des propositions : il est important de considérer l'engagement des étudiants qui sont les élus de demain. Nous appelons de nos voeux la création de dispositions particulières leur permettant de concilier mandat et études. Aujourd'hui, les étudiants ne bénéficient pas des autorisations d'absence pour leurs cours dont bénéficient les salariés.

Enfin, le principe même de gratuité pose question. Éric Kerrouche évoquera avec précision cette notion de contrat de droit public particulier qui fait l'objet d'une proposition de loi qu'il a déposée. Dans notre première recommandation, nous confirmons à ce stade la gratuité de l'engagement d'élu, mais il nous semble toutefois impératif de remédier à la dégradation des conditions d'exercice des mandats et nous formulons des propositions concrètes, à mettre en oeuvre dès le 1er janvier 2024.

Nous proposons d'indexer chaque année les indemnités des élus sur l'inflation puisque les élus ont perdu à peu près 9 % de pouvoir d'achat avec l'inflation. Avant le renouvellement municipal de 2026, une revalorisation globale des indemnités doit intervenir. L'indexation sur l'inflation a été chiffrée à 52 millions d'euros pour 2024.

Nous n'avons pas formulé de proposition concrète à ce stade pour plusieurs raisons. Les associations d'élus consultées ont toutes des propositions différentes, sans unité de position. Il nous a donc semblé plus raisonnable d'affirmer cette nécessité de revalorisation des indemnités pour tous les élus locaux, tout en considérant qu'il reste à affiner les modalités. À plus long terme, nous souhaitons réfléchir à la création d'un nouveau statut rémunéré pour certaines catégories d'élus.

La question de savoir ce qui sera à la charge des communes se pose : vous savez qu'il existe une dotation particulière élu local (DPEL) qui est l'accompagnement financier de l'État pour favoriser l'indispensable engagement citoyen et rendre possible le versement de l'indemnité aux élus par les communes. Dès le rapport de 2018, notre délégation préconisait d'augmenter le seuil d'éligibilité à la DPEL de 1 000 à 2 000 habitants et de hausser son montant à proportion des revalorisations indemnitaires. Le gouvernement a réformé en 2020 l'architecture de la DPEL en créant deux parts : la première est attribuée aux communes dont la population est inférieure à 1 000 habitants et dont le potentiel financier est inférieur à 1,25 fois le potentiel financier moyen par habitant des communes de France métropolitaine de moins de 1 000 habitants ; la seconde part permet de majorer la première part pour les communes dont la population est inférieure à 500 habitants.

Plus de 85 % des communes de moins de 1 000 habitants sont éligibles à la DPEL. Celles qui restent ne sont pas extrêmement riches pour autant : il suffit qu'une commune de cette taille compte une personne ayant gagné au loto pour faire exploser le potentiel financier de la commune. Nous proposons de supprimer cette clause de potentiel financier et de passer la DPEL de 1 000 à 3 500 habitants, en l'indexant sur l'inflation.

M. François Bonhomme, rapporteur. - Je vous présente nos propositions suivantes.

Pour la troisième proposition, nous souhaitons garantir la responsabilisation financière de l'État en créant une dotation compensant l'action remplie par les maires au nom de l'État. Ils consacrent effectivement une part de leur activité à des tâches réalisées au nom de l'État qu'il s'agisse des tâches d'état civil, de la préparation des élections, de la police judiciaire, ou encore de l'appui aux fonctions régaliennes avec la police municipale.

La proposition vise donc à reconnaître que le maire exerce deux fonctions séparées, dont l'une consiste à représenter l'État dans la commune, ce qui implique selon nous de créer une contribution propre de l'État estimée à 10 % du plafond indemnitaire du maire. Nous opérons cette séparation symbolique importante pour rendre visible cette mission propre réalisée au nom de l'État.

Cette proposition a une valeur spectaculaire ou « choc ». Cette contribution nous paraît pleinement légitime et cohérente avec l'esprit de nos propositions, puisque le maire est trop souvent devenu une sorte de « passager clandestin » de l'État pour reprendre la formule de notre Présidente.

Concrètement, cette indemnité sera versée à la commune, le cas échéant en complément de la DPEL, pour les communes qui perçoivent cette dotation. Le coût de cette nouvelle mesure est estimé à 63 millions d'euros, chiffre à comparer à celui précédemment donné sur l'estimation du coût des fonctionnaires remplaçant les maires, soit 3,4 milliards d'euros.

Notre quatrième recommandation vise à donner davantage de marges de manoeuvre financières aux conseils municipaux lorsqu'ils attribuent les indemnités aux élus. L'enveloppe globale correspond à l'indemnité maximale des maires et des adjoints en exercice. Elle est déterminée en fonction de la strate démographique de la commune, et ce hors majorations. En 2018, notre délégation avait déjà appelé à clarifier et codifier les modalités de détermination de cette enveloppe. Suivant cette recommandation, la loi « engagement et proximité » prévoit que l'application de majorations aux indemnités de fonction des élus municipaux doit faire l'objet d'un vote distinct lors de la délibération qui fixe le montant des indemnités de fonction.

Cette recommandation de la délégation vise à donner plus de liberté au maire en assouplissant les modalités de calcul de l'enveloppe indemnitaire globale. L'intérêt principal de l'enveloppe indemnitaire globale réside dans le fait de permettre une modulation de rémunération au sein du conseil municipal. Ainsi, si le maire et certains adjoints ne perçoivent pas la totalité de leurs indemnités, le conseil municipal peut décider, sans dépasser le montant de l'enveloppe globale, soit d'attribuer une indemnité plus importante à d'autres adjoints, puisque certaines fonctions d'adjoints sont plus prenantes que d'autres, soit de verser une indemnité aux simples conseillers municipaux ayant reçu ou non une délégation de fonction. Actuellement, les adjoints pris en compte pour le calcul de cette enveloppe sont ceux exerçant effectivement leurs fonctions : si le nombre d'adjoints est inférieur au nombre maximal autorisé en fonction de la strate, l'enveloppe est calculée sur ce nombre effectif. Nous recommandons donc permettre aux communes de définir le volume des indemnités allouées à partir du nombre théorique maximal d'adjoints susceptibles d'être désignés. L'enveloppe globale serait ainsi augmentée, de sorte que si le nombre maximal n'est pas atteint, il serait possible de répartir le surplus au sein du conseil municipal. Une telle majoration donnerait davantage de marges de manoeuvre financières au conseil municipal, en compensation de la charge de travail supplémentaire résultant de l'absence de certains adjoints.

La cinquième recommandation vise à améliorer la prise en charge des frais de transport exposés par les élus locaux quand ils représentent leur collectivité ès qualités. Afin de faciliter l'exercice de leur mandat, les élus peuvent bénéficier de l'indemnisation de frais exposés dans le cadre de leurs fonctions, sur présentation de justificatifs. Il s'agit des frais de transport engagés pour se rendre à des réunions dans des instances ou organismes où ils représentent leur commune ès qualités, lorsque la réunion se tient en dehors du territoire de celle-ci. Des dispositions analogues existent pour les conseillers intercommunaux, départementaux et régionaux.

Nous proposons de rendre obligatoire ce remboursement et de créer, au sein de la DPEL, une part spécifique permettant de financer ces frais de déplacement, pour toutes les communes de moins de 3 500 habitants. En effet, nous ne souhaitons pas que ces frais pèsent sur les budgets locaux. Beaucoup d'élus se refusent de fait à solliciter un quelconque remboursement de leurs frais de transport, même lorsqu'il est prévu par le conseil municipal. Enfin, une attention particulière doit être portée à la situation des élus étudiants dont le lieu d'enseignement peut être éloigné de la collectivité dont ils sont élus.

M. Éric Kerrouche, rapporteur. - Je vous présente les recommandations suivantes.

Avant de présenter ces recommandations, je reviens sur la façon de rémunérer les élus. J'ai, avec d'autres collègues, déposé un texte sur la transformation de la logique indemnitaire. Étant donné d'une part la technicité croissante des fonctions électives et d'autre part le temps, de plus en plus important, consacré à l'exercice du mandat, il n'est plus possible, pour certains élus, d'avoir une activité professionnelle et d'exercer en même temps leur mandat. Une interrogation récurrente traverse les perspectives indemnitaires depuis plus de quarante ans : celle d'une rémunération alternative, soit la possibilité, pendant un moment, de recevoir un salaire pour l'exercice de la fonction élective. Cette proposition ne vise pas la professionnalisation des élus, mais la transformation du mode de rémunération. Cette évolution se justifie par l'implication de plus en plus importante des élus sur la strate municipale et sur la strate intercommunale qui conduit à de nouvelles réalités dans l'exercice des fonctions qui ne sont plus celles qui ont présidé lors de la mise en place de la décentralisation en 1982. En l'état actuel des choses, la réflexion concerne l'après 2026 puisque nous restons dans un premier temps sur une logique indemnitaire, le temps de réfléchir à d'autres solutions.

La sixième recommandation vise à donner aux élus locaux des possibilités améliorées de continuer à exercer leur mandat dans le cadre d'un arrêt maladie. Pour rappel, l'article 103 de la loi « engagement et proximité » a consacré la possibilité pour les élus locaux de poursuivre leur mandat durant leur congé maladie, sous réserve de l'accord exprès de leur praticien. Nous vous proposons aujourd'hui de revenir à la position défendue par le Sénat dans le cadre de l'examen de cette loi : sauf avis contraire du praticien, les élus locaux qui le souhaitent pourraient poursuivre l'exercice de leur mandat. Nous portons cette recommandation puisque le dispositif actuellement en vigueur est méconnu dans les territoires et donne lieu à des dysfonctionnements tels que certains élus ont dû rembourser jusqu'à 10 000 euros aux URSSAF pour avoir poursuivi leur engagement local en toute bonne foi. Le président de l'AMF, David Lisnard, a saisi en juillet 2023 le ministère de la Santé pour lui faire constater ces dysfonctionnements. Nous recommandons de lancer une campagne d'information et de sensibilisation auprès de tous les acteurs concernés (médecins, caisses primaires d'assurance-maladie...), mais aussi de regrouper l'ensemble des droits des élus, par exemple après l'article relatif à la charte de l'élu local, au sein du Code général des collectivités territoriales (CGCT). Nous formulons cette recommandation dans une perspective de simplification.

La septième recommandation n'aurait pas dû avoir à être formulée puisqu'il s'agit simplement de respecter notre volonté et de faciliter l'accès des personnes en situation de handicap aux fonctions électives. L'article 97 de la loi « engagement et proximité » prévoit le cumul de l'allocation adulte handicapé (AAH) avec une indemnité de fonction élective locale. Cette mesure, adoptée à l'unanimité du Sénat, mettait fin à une injustice. La ministre en charge des personnes handicapées de l'époque avait alors affirmé que cette disposition serait mise en place extrêmement vite. Or, la mesure est toujours neutralisée par l'absence de décret d'application. Cette recommandation vise simplement à demander au gouvernement de respecter la volonté exprimée à travers la loi. J'ai moi-même interpellé plusieurs fois le gouvernement à ce sujet, mais n'ai toujours pas reçu de réponse. En 2021, il m'a été indiqué qu'un projet était à l'étude, mais les dispositions réglementaires n'ont toujours pas été prises, trois ans après la promulgation de la loi. J'ai posé une nouvelle question le 5 mai 2023 à ce sujet, mais elle est demeurée lettre morte. La recommandation vise donc simplement à respecter la loi. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales, est particulièrement déterminé sur ce sujet et approuve pleinement notre démarche.

Notre huitième recommandation porte sur l'amélioration du régime des autorisations d'absence et des crédits d'heures pour compenser les pertes de revenu liées à l'exercice du mandat. Actuellement, des garanties sont accordées aux élus ayant une activité professionnelle pour qu'ils puissent consacrer du temps à leur collectivité, avec des autorisations d'absence pour les réunions particulières et les crédits d'heures pour disposer du temps nécessaire à la gestion de la collectivité, en respectant des seuils donnés pour six ans. Si l'employeur doit accorder ces autorisations d'absence et des crédits d'heures, il n'est toutefois pas tenu de les payer. Les pertes de revenus subies par les élus qui exercent une activité professionnelle et qui ne bénéficient d'indemnités de fonction peuvent être compensées par la collectivité à hauteur de 72 heures par élu et par an. Chaque heure ne peut être rémunérée à un montant supérieur à une fois et demie la valeur horaire du SMIC.

Nous vous proposons de prévoir que les crédits d'heures et les autorisations d'absence non payées par l'employeur puissent être pris en charge par la collectivité pour un montant égal à deux fois la valeur horaire du SMIC. Ceci correspond à une demande récurrente des associations d'élus. La solution nous paraît plus simple qu'une référence au salaire brut moyen et ne transforme pas radicalement la logique. Se référer au salaire moyen montre seulement que les élus sont la plupart du temps peu ou pas payés. Pour rappel, seuls 1 000 maires en France touchent une indemnité équivalente, pour leur fonction de maire, au salaire moyen.

Nous recommandons également de réfléchir à l'octroi de compensations, telles qu'un crédit d'engagement citoyen, ou des exonérations fiscales, accordées aux entreprises qui engagent des élus. Nous ne faisons qu'évoquer le sujet, car une réflexion plus approfondie pourra être menée avec la délégation aux entreprises pour affiner le sujet.

Mme Françoise Gatel, présidente et rapporteure. - Pascal Martin ne manquera pas de nous parler également des dispositions relatives aux sapeurs-pompiers volontaires discutées dans le cadre du PLFSS. Nous reparlerons certainement du crédit civique des entreprises. Nous engagerons un travail avec la délégation aux entreprises. Il pourrait être intéressant de prévoir une session conjointe entre la délégation aux entreprises et notre délégation pour débattre avec les organisations professionnelles, de ce qu'est l'entreprise citoyenne et de la manière dont l'entreprise qui accepte de pâtir de l'engagement de certains de ses salariés peut être reconnue.

En conclusion, nous vous proposons de porter la nécessité d'une juste indemnisation des élus, trop souvent sacrifiée. Le soupçon d'enrichissement pesant sur les élus locaux est absolument injustifié. Il est temps d'affirmer que la République fonctionne avec deux jambes : un État qui a des compétences régaliennes et des élus locaux qui font tourner la machine. Nous l'avons vu pendant la crise Covid et le voyons aujourd'hui, dans le Pas-de-Calais ou en Bretagne. Si cette démocratie revendique d'être une démocratie, permettons aux citoyens d'être candidats à un engagement civique de manière décente, quels que soient leur âge et leur condition sociale ou professionnelle. Les premiers pas accomplis par le Sénat dans la loi « engagement et proximité » doivent se poursuivre. L'exemple que nous prenons souvent est celui de l'engagement civique des sapeurs-pompiers volontaires. La société doit reconnaître ceux qui sortent de leur vie personnelle pour servir les autres.

La question des indemnités ne couvre pas l'intégralité du champ des préoccupations des élus locaux. Nous avons démarré par ce sujet mais nos collègues engageront les réflexions sur les deux autres volets de ce thème portant sur les conditions d'exercice des mandats locaux et les conditions de sortie du mandat. Ainsi nous disposerons, fin décembre, d'une vision complète, avec des propositions s'appuyant sur les travaux précédents de notre délégation et du Sénat.

Le deuxième volet sur l'exercice du mandat sera porté par Nadine Bellurot, Pascal Martin et Guylène Pantel. Parallèlement, le troisième volet consacré à l'après-mandat sera rapporté par Agnès Canayer, Thierry Cozic et Gérard Lahellec.

J'espère que ces travaux contribueront à doter les élus d'un statut à hauteur de leurs responsabilités, de leur engagement et du service qu'ils rendent à la nation.

M. Didier Rambaud. - Je salue ce beau travail, mais je m'interroge sur la disposition permettant à un salarié en arrêt de travail d'exercer sa fonction d'élu. N'est-ce pas choquant pour l'employeur et les collègues ? Cette disposition m'interpelle. Si, dans une commune, un enseignant se trouve en arrêt maladie, je me mets à la place des parents d'élèves et de ses collègues de travail qui le voient aller en mairie exercer sa fonction.

Mme Pascale Gruny. - Je suis assez d'accord avec cette remarque, ce n'est effectivement pas simple. À ce sujet, je voulais partager un cas dont j'ai connaissance. Un maire avait fait une grave dépression, liée à son mandat. Il aurait fallu qu'il arrête son mandat pour aller dans une maison de repos, mais sa seule solution était de démissionner de sa fonction de maire. Ce cas est particulier.

Concernant les arrêts maladie, j'ai vu certains maires, atteints de cancer, qui continuaient à signer des documents et cette activité participait à leur maintien en vie.

Sur le décret relatif à l'AAH, dans le cadre de ma vice-présidence, je m'occupais du suivi de l'application des lois. Gérard Larcher enverra d'ailleurs aux commissions un courrier recommandant de renforcer le suivi des décrets. Chaque année, nous avons un moment dans l'hémicycle avec le ministre en charge des relations avec le Parlement : nous devrions porter ces sujets à ce moment-là pour que le gouvernement puisse ensuite les traiter.

J'approuve la réflexion relative à l'entreprise accueillant des élus. Il est demandé de plus en plus aux entreprises, pour la formation des jeunes en apprentissage, pour les pompiers volontaires et maintenant pour les maires. Si les cadres peuvent organiser leurs journées, la situation est plus compliquée pour les maires qui travaillent dans de petites structures, ce qui est plutôt le cas en ruralité.

M. Pascal Martin. - Je souhaite revenir sur l'idée de réfléchir aux exonérations de charge pour les entreprises employant des élus locaux, en parallèle à ce qui a été accepté, à l'unanimité, à l'occasion de la loi de juillet 2023 sur la prévention du risque incendie pour les feux de forêt, dans le cadre de recrutement de sapeurs-pompiers volontaires. Il en manque aujourd'hui 50 000 en France. Il a alors été acté que les entreprises privées qui acceptaient de recruter des sapeurs-pompiers volontaires pour une mise à disposition des services départementaux d'incendie et de secours (SDIS) pourraient bénéficier d'exonérations de charges patronales. Le parallèle s'arrête là. Une des difficultés, pour le recrutement des sapeurs-pompiers volontaires dans les entreprises, est liée au fait qu'ils peuvent être requis à tout moment, puisque leurs interventions ne sont pas programmées, contrairement à l'élu local qui travaille dans une entreprise et peut planifier ses absences pour participer à une réunion. Je soutiens la réflexion visant à proposer des exonérations de charges patronales pour des entreprises qui accepteraient de recruter des élus locaux.

Nous avons adopté hier un amendement, à l'unanimité, dans le cadre du PLFSS pour 2024, concernant une extension des exonérations de charges patronales pour les collectivités locales employant des sapeurs-pompiers volontaires. L'Assemblée nationale avait refusé d'étendre la notion d'employeurs aux employeurs publics. Je ne sais pas si cet amendement sera finalement retenu avec le 49.3. Je salue l'idée de l'octroi de compensations, dans le même esprit que ce que nous avons voté pour les sapeurs-pompiers volontaires.

Mme Françoise Gatel, présidente et rapporteure. - Sur la possibilité pour les élus locaux de réaliser leur engagement alors qu'ils sont en arrêt de travail, cette disposition existe déjà dans la loi. J'entends que la situation est compliquée, notamment dans l'exemple cité pour un enseignant élu local. Dans le Morbihan, un élu devra rembourser 10 000 euros d'indemnités journalières. Un autre, décédé depuis, était atteint d'un cancer et aurait dû également rembourser des indemnités journalières : pour lui, se rendre à la mairie faisait partie de sa thérapie. L'appréciation de la situation doit sans doute relever du médecin. Actuellement, si le médecin n'écrit pas que l'arrêt de travail est compatible avec l'activité élective, les maires ne peuvent continuer à exercer leur mandat. Je pense que le sujet peut être apprécié intelligemment et nous souhaitons que la loi s'applique.

M. Éric Kerrouche, rapporteur. - Cette disposition vaut sauf avis contraire du praticien. Si l'état de santé n'est pas compatible avec l'exercice d'une fonction, le médecin peut le notifier. Ainsi, une personne avec une jambe cassée peut être empêchée d'aller travailler, mais peut accomplir certaines tâches pour la mairie en télétravail. Si l'affection ou la blessure est incompatible avec l'exercice de la fonction professionnelle comme avec la fonction d'élu, le médecin le notifiera.

Nous souhaitons l'application du droit et nous avons reçu de multiples témoignages des difficultés engendrées par le non-respect de cette disposition législative. L'AMF a écrit au ministère pour s'étonner de cette situation, puisque de nombreux élus sont concernés. Si la situation de santé n'est pas compatible avec l'exercice de la fonction élective, le médecin l'indiquera.

M. Laurent Burgoa. - Je vous félicite pour la qualité du travail présenté. Je partage les quelques questions sur les arrêts maladies.

Nous recevrons la semaine prochaine nos élus dans le cadre du congrès des maires et nous présenterons alors une synthèse de notre travail au Sénat et dans cette délégation aux collectivités territoriales, en reprenant certaines de vos préconisations. Vais-je véritablement le faire ? Vos idées sont très intéressantes, mais quel est leur devenir du point de vue législatif ? Si nous présentons ces recommandations aux élus, nous risquons de générer des déceptions. Chaque fois que nous communiquons une information aux élus, nous induisons un espoir qui peut se transformer, quelques mois ensuite, en désespoir. Les élus sont conscients du travail transpartisan de notre chambre. Je ne doute pas que ces préconisations, si elles étaient votées, feraient l'unanimité de notre chambre, mais quid de l'Assemblée nationale et du gouvernement ? Comment envisagez-vous l'avenir de vos recommandations, très intéressantes, pour qu'elles soient effectives ?

M. Cédric Chevalier. - Le sujet des indemnités est difficile à aborder : il manque parfois de transparence et de clarté et pèse sur le budget de certaines communes de manière importante. La situation est également difficile compte tenu de l'importante hétérogénéité des situations professionnelles des élus locaux, qu'ils soient retraités, chefs d'entreprises, ou actifs, mais aussi des catégories des collectivités, entre celles qui ne comptent qu'une seule secrétaire de mairie et celles dotées d'importants services administratifs. Les élus consacrent également beaucoup de temps à répondre aux multiples moyens qu'ont les citoyens pour les contacter. Les préconisations portées sont intéressantes puisqu'elles incluent la variabilité en fonction des situations. Il me semble nécessaire de définir un socle de base et des variations pour s'adapter aux situations locales.

Dans votre recommandation relative à la modularité de l'enveloppe, comptez-vous instaurer un plafond pour éviter les dérives ?

Dans la recommandation relative aux crédits d'heures compensées par les collectivités, cela pourrait-il se cumuler ?

L'élu étudiant existe en tant que statut au sein des universités : je comprends que votre propos concerne un jeune qui est étudiant et dispose d'un mandat local. Une grande hétérogénéité existe toutefois parmi les étudiants : beaucoup sont en stage ou en mobilité internationale. Il n'est pas question de payer les transports d'un jeune en étude à San Francisco pour se rendre au conseil municipal. D'autres statuts existent et méritent des précisions. Certains étudiants se trouvent également en année de césure ou en service civique.

Je suis chef d'entreprise et je constate que certains arrêts maladie sont justifiés, d'autres moins. Une complaisance existe parfois. Vis-à-vis du collaborateur et des collègues dans l'entreprise, avoir des personnes en arrêt de travail, rémunérées, qui continuent leur activité élective peut avoir un effet extrêmement négatif.

Enfin, il est intéressant de corréler les crédits d'heures et les exonérations avec la prise en charge par l'entreprise des crédits d'heures.

Pour celui ou celle qui s'engage dans un mandat, l'indemnité peut, lors de la sortie du mandat et si elle constitue un complément de revenus, créer en fait une dépendance en termes de pouvoir d'achat. Cette dépendance est d'autant plus forte que lorsqu'un collaborateur travaille à 50 ou 80 % du fait de son engagement électif, sa carrière n'évolue pas dans l'entreprise de la même manière que celui qui travaille à 100 % dans l'entreprise.

M. Olivier Paccaud. - Je retiens le chiffre de 3,4 milliards d'euros qui correspond à l'estimation du coût du remplacement des élus par des fonctionnaires de catégorie A.

J'ai une question relative à la validation des acquis de l'expérience (VAE) : ce sujet a été abordé dans le cadre de ce rapport, et me semble important puisque les élus acquièrent une expérience extraordinaire au cours de leur mandat. Les possibilités de VAE existent, mais elles sont floues et méconnues. Je pense sincèrement que nous pouvons prévoir une disposition sur le sujet : reconnaître l'engagement à sa juste valeur peut passer par une VAE mieux connue et mieux valorisée.

M. Bernard Delcros. - Je suis resté très longtemps maire d'un petit village et les propositions des rapporteurs sont concrètes et visent juste.

Dans les petites communes, aucun élu ne prend la totalité des indemnités auxquelles il a droit, que cela concerne l'indemnité, le remboursement des transports ou les crédits d'heures, parce que les communes n'en ont pas les moyens. L'idée de structurer, consolider et renforcer la DPEL est pertinente. Vous suggérez d'indexer l'indemnité sur l'inflation ou d'augmenter le taux horaire des crédits d'heures, mais les petites communes n'utiliseront pas ces outils et il est donc nécessaire de consolider la DPEL. Les plus grandes difficultés se rencontrent dans les petites communes de moins de 1 000 habitants, particulièrement celles de 200 ou 300 habitants.

Dans le cadre de la souplesse accordée sur l'enveloppe, la possibilité de verser une indemnité serait-elle déliée de l'arrêté de délégation du maire ? Actuellement, le conseil municipal nomme l'adjoint, mais l'indemnité est liée à l'arrêté de délégation signé par le maire.

M. Grégory Blanc. - Je relève également que les crédits d'heures sont très peu utilisés. Je suis administrateur du SDIS et étais jusque récemment chef d'entreprise. Pour avoir discuté du sujet des sapeurs-pompiers volontaires dans les entreprises avec des collègues au sein de la CCI, l'exonération de charges sociales présentera peut-être un intérêt pour les grandes entreprises, mais, pour les petites entreprises, il vaut mieux avoir une approche par jour chômé, par heure chômée, avec une compensation. Le statut de réserviste de la gendarmerie me paraît être le bon véhicule puisque les réservistes s'inscrivent dans une mission d'intérêt général et qu'une rémunération est prévue. Nous portons cette revendication au niveau des SDIS. Une entreprise a besoin de visibilité, y compris dans l'organisation de sa gestion RH. Pour valoriser l'engagement des élus locaux, la possibilité de la mise en place d'un dispositif comparable doit être prévue.

Une entreprise peut aussi rencontrer des difficultés et la souplesse dans la gestion de sa masse salariale peut permettre de conserver des effectifs. Quand un élu est présent par intermittence, il est pointé du doigt. Nous devrons en parler avec nos collègues de la délégation aux entreprises.

Ma deuxième remarque concerne l'approche par la promotion ou la protection des exécutifs locaux. Nous recevons tous les demandes des associations d'élus qui sont composées d'adjoints ou de maires qui font part de leurs difficultés. Nous devons évidemment promouvoir et sécuriser l'engagement de maire ou d'adjoints. Le sujet ne concerne pas seulement la protection de la fonction, mais aussi la qualité des délibérations. Or, les conseillers municipaux sont perdus lorsque les délibérations sont décidées au niveau de l'intercommunalité : ils n'arrivent plus à être intermédiaires entre les pouvoirs publics et les citoyens. Si nous considérons qu'être élu est essentiel, nous devons alors réfléchir à la manière de sécuriser le rôle du conseiller municipal ou de l'élu de base, en octroyant une indemnité à tous les élus, même si elle n'est que de 10 euros par mois. Proposer un élargissement des indemnités permet de mieux valoriser cet engagement des conseillers municipaux.

Enfin, la contribution de l'État me paraît fondamentale. Nous devrions peut-être être capables de la justifier par les pouvoirs de police du maire. Un effort de clarification est nécessaire en la matière. En effet, l'État transfère à bas bruit cette compétence en matière de sécurité sur les élus locaux. Nous avons vu les propositions de la Première ministre la semaine dernière pour les banlieues. Des carnets à souche seront distribués aux élus ruraux pour qu'ils mettent des amendes, ce qui leur donnera une grande responsabilité. La clarification des pouvoirs de police du maire constitue un chantier fondamental à ouvrir dans le cadre de la sécurisation des fonctions.

M. Fabien Genet. - Le travail mené souligne l'importance du sujet pour nos collègues élus locaux, mais aussi pour la société. Le sujet est, comme souvent en France, tabou, puisqu'il est question d'argent, mais il est la contrepartie d'un dévouement qui n'a pas de prix et dont la disparition aurait un coût énorme pour la société.

Nous parlons des indemnités des élus locaux, mais j'ai une remarque pour ceux qui ne sont pas indemnisés : les conseillers municipaux sont prêts à se rendre en réunion, mais souhaiteraient au moins que cela ne leur coûte pas. La problématique des frais de déplacement a donc pris une acuité toute particulière avec le coût des carburants et l'explosion du nombre de réunions au sein des conseils municipaux et intercommunaux. Il conviendrait au moins de faire connaître les possibilités qui existent déjà et sont méconnues des élus municipaux et des exécutifs d'intercommunalité.

Je souhaite par ailleurs poser une question sur l'indexation des indemnités des élus locaux, qui semble nécessaire au regard de l'inflation actuelle. Techniquement, comment voyez-vous l'application de cette mesure, puisque les indemnités dépendent du barème lié à la rémunération des fonctionnaires ? Un sujet pourrait se poser du point de vue politique puisque certains verraient leur rémunération indexée sur l'inflation et pas les autres, même si ces derniers bénéficient du glissement vieillesse technicité, contrairement aux élus.

M. Patrice Joly. - S'agissant des élus en arrêt maladie, il me paraît difficile de les amputer d'une partie de leur statut de citoyen. Le fait d'être malade ne peut avoir d'incidence sur ce statut. J'entends les difficultés que cela peut représenter vis-à-vis de nos concitoyens, mais c'est une question de principe, avec les limites liées à la position du médecin.

Au moment du vote des indemnités, dans les conseils municipaux, lors des premières séances dans les petites communes, compte tenu de la modestie des revenus, notamment dans les territoires ruraux, l'indemnité n'est pas importante, mais est tout de même significative par rapport au SMIC. Comme le maire est juridiquement un agent de l'État, ne serait-il pas possible de prévoir une prise en charge directe de l'indemnité du maire par l'État, à la place du versement de cette dotation qui est censée compenser en partie ce coût ?

M. Franck Montaugé. - Je souhaite ouvrir le sujet de la reconnaissance de la contribution citoyenne effective des élus, et notamment des conseillers municipaux. La question se pose actuellement de l'engagement au service de l'intérêt général. Les propositions vont dans le bon sens, mais nous devons également nous interroger sur la reconnaissance de la valeur de l'engagement des conseillers municipaux. Cette question me semble importante. Je ne voudrais pas que les propositions accroissent les difficultés entre ceux qui seraient reconnus et ceux qui ne le seraient pas. La qualité de l'action d'intérêt général dépend aussi de la participation effective de l'ensemble des élus, dont ceux qui ne sont pas reconnus, en termes d'indemnité, par rapport au temps qu'ils consacrent au mandat. Ce point me paraît important et pourrait être évoqué dans le rapport, sans aller jusqu'à des propositions précises.

M. Éric Kerrouche, rapporteur. - La compensation des crédits d'heures constitue une simple possibilité : elle peut être réalisée soit par l'entreprise soit par la collectivité.

M. François Bonhomme, rapporteur. - Concernant la souplesse accordée dans le calcul de l'indemnité globale, dans une petite commune dans laquelle cinq adjoints peuvent être désignés, si seuls trois adjoints le sont, l'enveloppe est calculée sur une base de cinq adjoints. Le maire peut ensuite moduler la distribution, ce qui renforce son autorité. Nous n'allons pas au-delà du barème maximum.

M. Bernard Delcros. - Nous maintenons donc le lien entre l'indemnité et l'arrêté de délégation.

M. François Bonhomme, rapporteur. - Bien sûr.

Mme Françoise Gatel, présidente et rapporteure. - L'avenir dépend de nous. Il appartient au Sénat de porter ces sujets. Nous avons déjà pris des mesures, dans la loi « engagement et proximité » et dans la loi 3DS. Les mesures que nous votons ne sont toutefois pas toujours applicables, à cause de l'absence de décret d'application ou de l'absence de promotion des lois votées. Ainsi, je citerai l'exemple des rescrits : tous les maires peuvent aujourd'hui interroger le préfet pour obtenir des précisions, ce qui sécurise en amont les décisions. Aujourd'hui, aucun préfet n'en parle toutefois. Il nous appartiendra de faire avancer ce sujet, s'il le faut en passant par la voie législative.

Les situations des élus locaux sont effectivement très hétérogènes, avec des salariés, des retraités, des étudiants. Parmi les salariés se trouvent des fonctionnaires d'État, des salariés du privé, dans de grandes entreprises et de petites entreprises, dans des fonctions de cadres ou dans des fonctions de production, ce qui rend l'exercice particulier. Nous devons prendre en compte la diversité des situations.

Certains sujets seront traités dans le second volet de la mission, comme celui de la VAE.

La distinction entre les grandes et les petites entreprises est une réalité et nous devrons travailler sur le sujet avec la délégation aux entreprises, dans un dialogue concerté.

Les élus reçoivent une indemnité alignée sur celle des fonctionnaires. Nous proposons ici une indexation sur l'inflation pour les élus. Nous affirmons que la fonction d'un élu n'est pas celle d'un fonctionnaire et nous ne comparons pas la situation entre élu et fonctionnaire. La solution relative à la référence au salaire médian, un temps envisagée, complexifie le dispositif. Nous avons conservé les strates démographiques applicables aux indemnités des élus : en effet, nous ne souhaitons pas bouleverser le système, mais apporter des ajustements et des adaptations afin d'améliorer certains sujets, sans prétendre régler toutes les situations.

Chers collègues, je vous remercie de l'intérêt porté au sujet. Je remercie les rapporteurs pour le travail effectué. Les travaux de notre délégation se poursuivront avec les autres rapports traitant d'autres volets du statut de l'élu local.

Le rapport est adopté à l'unanimité des sénateurs présents.