Jeudi 16 novembre 2023

- Présidence de M. Olivier Rietmann, président -

La réunion est ouverte à 8 h 30.

Table ronde : « Foncier économique : L'entreprise à terre ? »

M. Olivier Rietmann, président. - Nous sommes réunis ce matin pour aborder les difficultés des entreprises face à la pénurie de foncier économique, thème de l'une de nos deux missions « flash » de cette fin d'année 2023. Nous avons ainsi désigné, la semaine dernière, deux rapporteurs : Michel Masset - ici présent - et Christian Klinger, qui vous prie de l'excuser.

Nous nous inquiétons des chiffres frappants qui ressortent de récentes études :

- deux tiers des intercommunalités ont déjà été contraintes de refuser des projets d'implantation d'entreprises faute de foncier disponible ;

- en Ille-et-Vilaine par exemple, 190 entreprises ont déjà dû abandonner des projets de développement ;

- 93 % des zones d'activité seront saturées en 2030, et un quart le sont déjà ;

- or, 2 000 hectares seraient nécessaires d'ici 2030 uniquement pour remplir les besoins de la réindustrialisation.

On doit donc s'attendre à un impact économique majeur du manque de foncier. Pourtant si l'on souhaite réindustrialiser le pays, faire croître nos PME et ETI, accélérer la décarbonation de l'économie, de nouvelles implantations industrielles seront incontournables. Mais c'est aussi un sujet pour les activités commerciales, qui avaient été reléguées vers des zones d'activité périphériques et qui sont confrontées à la dégradation du bâti dans les centres-bourgs : dans ces conditions, où s'installer ?

L'enjeu du foncier économique fait par ailleurs directement écho à un objectif dont la délégation a fait l'une de ses priorités : la simplification des normes applicables aux entreprises. Nous entendons sans cesse que les régimes d'autorisation, les procédures, sont trop complexes et surtout trop longs pour que les entreprises s'installent : c'est dissuasif, et cela réduit réellement l'attractivité de la France comme terre de production. Lorsque des entreprises jettent l'éponge face à la multiplication des délais et des recours contentieux vis-à-vis de leurs implantations, c'est de l'emploi et du revenu en moins pour les territoires d'accueil.

Pour lancer nos travaux, l'audition plénière qui nous réunit vise à faire un premier état des lieux de la pénurie de foncier économique. Nous avons souhaité entendre l'ensemble des voix, des élus aux entreprises en passant par l'administration et les experts.

Nous accueillons donc :

• pour représenter Intercommunalités de France, M. Michel Leprêtre, président de l'Établissement Public Territorial Grand-Orly Seine Bièvre et administrateur d'Intercommunalités de France ;

• M  Thomas Gouzènes, sous-directeur de la politique industrielle à la Direction générale des entreprises (DGE) du ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique ;

• M. Jean-Thomas Schmitt, directeur général d'Heppner, entreprise de transport et de logistique originaire d'Alsace ;

• et enfin, en sa qualité de contributeur à la mission pilotée par le préfet Mouchel-Blaisot qui a rendu un rapport au Gouvernement sur la mobilisation du foncier industriel, M  François Noisette, ancien inspecteur général de l'environnement et du développement durable.

Je vous remercie tous, Messieurs, de votre présence aujourd'hui au Sénat.

M. Jean-Thomas Schmitt, directeur général d'Heppner. - Merci de nous accueillir pour écouter notre témoignage. J'interviens en tant que président de l'entreprise Heppner, mais je m'efforcerai aussi de vous apporter un aperçu global de la situation du secteur de la logistique. L'opposition entre la réindustrialisation de la France et la logistique ne peut que conduire à des erreurs d'analyse, car la réindustrialisation ne peut s'opérer sans une chaîne logistique performante pour l'approvisionnement en matières premières et la distribution des produits finis, en France comme à l'export.

La première difficulté que nous rencontrons réside dans la rareté du foncier logistique. D'après Afilog et l'Union des entreprises de transport et logistique de France, le taux d'occupation actuel du parc avoisine les 98 %. Cela engendre un éloignement par rapport aux barycentres idéaux, l'augmentation des distances parcourues et donc des coûts et des émissions de CO2. Il en résulte aussi des difficultés de développement pour les industriels, qui peinent à trouver des entrepôts pour stocker leurs marchandises, une augmentation des loyers et la hausse du coût des prestations logistiques. En dehors du Nord, de la Normandie et du Centre-Val de Loire, le foncier logistique présente un taux de vacance inférieur à 5 % alors qu'un taux de vacance de 8 % est considéré nécessaire pour assurer la fluidité du marché.

La foncier logistique est très visible, mais ne représente qu'1 % du foncier artificialisé en France, contre 40 % pour le logement. La mise en oeuvre de l'objectif de « zéro artificialisation nette » engendre donc des inquiétudes, sachant que les bâtiments logistiques sont généralement très grands, avec une moyenne de 18 600 mètres carrés pour un entrepôt. Les 10 % des plus grands sites, qui dépassent 35 000 mètres carrés, représentent 40 % de la surface occupée par la logistique. Nous craignons donc une surreprésentation, dans la perception collective, des bâtiments logistiques qui seraient pointés du doigt en raison de leur empreinte sur le foncier disponible.

Les friches industrielles constituent une réponse inadaptée pour les projets logistiques en raison des coûts inhérents à leur dépollution, mais aussi de leur éventuelle proximité avec des zones résidentielles, qui pose un problème d'acceptabilité en raison des circulations de camions et engendre un éloignement par rapport aux centres expéditeurs actuels et aux zones de livraison. Le foncier disponible dans les friches industrielles n'est pas bien perçu par les investisseurs industriels : sur 1 000 projets financés depuis 2020 par le « Fonds friches », seuls 164 étaient industriels, la majorité étant résidentiels ou destinés à des équipements publics. La piste de la mobilisation des friches industrielles, souvent mise en avant, s'avère donc en réalité peu exploitée.

La localisation du foncier est un enjeu essentiel pour optimiser les flux, réduire le coût de la chaîne logistique, renforcer sa fiabilité et réduire les émissions de gaz à effet de serre liés au transport de marchandises. Les zones logistiques doivent être situées près des sites industriels pour optimiser leur approvisionnement et l'expédition des marchandises, mais également près des zones de distribution pour optimiser la logistique aval et la logistique retour, sachant que la loi dite « AGEC », relative à l'économie circulaire, obligera les transporteurs à reprendre la marchandise usagée. Elles doivent également se trouver à proximité des grands axes routiers pour faciliter l'accès et limiter les nuisances, et près d'un bassin d'emploi pour disposer de la main d'oeuvre nécessaire.

Une mauvaise localisation des entrepôts empêche les acteurs de la logistique de jouer leur rôle de groupeur, alors qu'ils ont vocation à assurer le transport en commun des marchandises pour générer des économies de coûts au bénéfice des industriels, tout comme des économies de CO2. Par conséquent, l'éloignement des zones logistiques engendre des externalités négatives bien plus importantes que la pollution créée localement. À Montpellier par exemple, le groupe Heppner, en l'absence de foncier, a dû organiser la livraison depuis Nîmes, ce qui engendre un surcoût opérationnel de 350 000 euros ainsi qu'une grande inefficacité sur les plans écologique et industriel.

Le secteur de la logistique souffre des délais administratifs comme l'ensemble des acteurs industriels cherchant à s'implanter, ainsi que d'un déficit d'acceptabilité par les riverains et les acteurs politiques locaux, particulièrement forte pour le secteur des transports de marchandises. Il est en effet traditionnellement mal vu, parce qu'il nécessite beaucoup d'espace tout en créant un nombre d'emplois au mètre carré relativement faible, qu'il génère des nuisances sonores et gêne la circulation. Dans de nombreuses villes de tailles très différentes, le voisinage se montre peu accueillant et nous incite à déménager ou à restreindre l'exploitation de nos sites.

Plusieurs arguments doivent amener à dépasser ces difficultés. Au-delà de l'utilité des projets logistiques, la problématique de la pollution locale ne devrait pas prévaloir sur celle de l'optimisation des flux. En outre, le déploiement d'entrepôts a des effets positifs sur l'emploi dans les territoires. Le secteur de la logistique est le cinquième acteur français en nombre d'emplois, avec 1,9 million de salariés, et couvre plus de 150 métiers, de la manutention et la conduite à l'informatique, l'intelligence artificielle, la direction et la stratégie. Le nombre important de postes peu qualifiés offre un accès à l'emploi facilité pour des populations fragilisées, vivant dans des zones prioritaires jouxtant des zones logistiques. Le secteur crée en moyenne 75 emplois pour 100 000 mètres carrés, mais génère un nombre beaucoup plus important d'emplois indirects. Heppner par exemple compte 3 000 emplois directs en France et 12 000 emplois indirects au travers de la sous-traitance. Il contribue à l'écosystème des quartiers prioritaires.

Nous proposons l'élaboration d'un schéma directeur du foncier logistique, au niveau national et mené par l'État en lien avec les régions. Dans le cadre d'une approche globale, ce schéma permettrait de bien identifier les infrastructures de flux et de transfert multimodal, les grandes zones de consommation, les grandes zones de production, les entrepôts existants et les besoins exprimés mais non satisfaits. Il semble par ailleurs nécessaire d'assouplir les règles relatives à l'artificialisation des sols, notamment la « zéro artificialisation nette » (ZAN) en prenant en compte l'ensemble des conditions d'une implantation réussie : infrastructures, services publics, logement et transport public... Pour une meilleure efficacité dans l'application du ZAN, il convient de distinguer l'emprise foncière de l'industrie de celle des secteurs du commerce et du logement, et de territorialiser l'approche et les objectifs en fonction de la densité des territoires.

Les efforts réalisés ces dernières années en matière de compétitivité pourraient être freinés par la rareté foncière. Indispensable à la réindustrialisation, la logistique est très consommatrice de foncier mais mérite d'être valorisée. Sa construction doit être facilitée. Les implantations logistiques sont indispensables pour stocker et organiser le transport des produits nécessaires à l'ensemble de notre économie. La crise sanitaire a démontré l'importance de cette chaîne logistique pour la distribution des produits pharmaceutiques et des dispositifs de santé. Disposer de ces implantations logistiques en France constitue un enjeu de souveraineté économique et industrielle.

M. Olivier Rietmann, président. - J'ai porté un amendement au projet de loi « Industrie verte », qui demandait l'octroi de facilités pour les gigafactories nécessaires à la réindustrialisation. Ces facilités doivent bénéficier également aux entreprises de la chaîne de valeur, dont les entreprises de logistique.

M. Michel Leprêtre, président de l'Établissement Public Territorial Grand-Orly Seine Bièvre et administrateur d'Intercommunalités de France. - L'Établissement Public Territorial Grand-Orly Seine Bièvre couvre une zone géographique comprenant l'aéroport d'Orly, le marché d'intérêt national (MIN) de Rungis et environ 50 000 entreprises. Il ne souffre pas de pénurie de foncier, puisqu'il dispose de 3 millions de mètres carrés disponibles, possédant une histoire industrielle qui est à réécrire aujourd'hui au regard du cap de réindustrialisation fixé par le Président de la République. Nous y sommes prêts et y travaillons, en développant le concept de « territoire d'industrie ».

Il me paraît important de nuancer l'approche en fonction des territoires, sachant par exemple que le territoire de Saint-Nazaire ne connaît pas le chômage alors que son taux atteint 17 % sur le territoire du Grand-Orly Seine Bièvre, voire 25 % dans certains quartiers. Il est donc souhaitable de tenir compte des particularités du paysage économique et industriel.

Pour sa part, l'Établissement Public Territorial Grand-Orly Seine Bièvre est confronté à des obstacles bien identifiés. Il travaille depuis neuf ans à l'identification des espaces disponibles, pour lesquels il définit actuellement des objectifs en lien avec les orientations de la réindustrialisation. Il est nécessaire de se doter d'outils pour sanctuariser des terrains et pour permettre aux institutions, aux entreprises, aux acteurs financiers et à l'État de définir ensemble leur utilisation.

Par ailleurs, la quasi-totalité des espaces possédant un passé industriel présente un état de pollution que personne n'assume, mis à part l'État dans une certaine mesure. Or, l'assainissement de ces sites constitue un préalable à la réindustrialisation. Nous devons en effet nous contraindre au même niveau de dépollution pour les terrains destinés à l'activité économique que pour les terrains destinés au logement, puisque ces terrains sont également occupés par des êtres humains.

Il est en outre nécessaire d'organiser l'intermodalité pour permettre le développement du transport fluvial et du transport ferroviaire. C'est particulièrement le cas sur le territoire Grand-Orly Seine Bièvre, où le marché de Rungis était autrefois desservi par dix trains par jour, et où la santé publique se dégrade, du fait notamment des pollutions de circulation.

En matière de gouvernance, il convient de donner des pouvoirs aux intercommunalités et aux entreprises, pour définir avec l'État et les autres acteurs économiques les projets de réindustrialisation des friches. Certains projets industriels du territoire Grand-Orly Seine Bièvre ont été rejetés à cause de la longueur du calendrier de réalisation. La durée des procédures d'autorisation est de 17 mois en France contre 4 mois en Allemagne. De même, l'autorisation d'un projet logistique dure 9 mois en France, contre 3 mois en Allemagne. Nous devons donc nous donner les moyens politiques de la réindustrialisation.

Enfin, il convient de créer un outil d'envergure pour discuter de l'orientation du foncier, vers le logement ou vers l'activité économique. Nous devons être capables de sanctuariser un terrain pour l'activité économique, en définissant les modalités de sa gestion et en articulant les différentes réglementations.

M. Thomas Gouzènes, sous-directeur de la politique industrielle à la Direction générale des entreprises du ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. - L'enjeu de la réindustrialisation est désormais bien installé dans le débat public. La tendance s'inverse après plusieurs décennies de désindustrialisation, puisque le solde des créations et des fermetures d'usines est redevenu positif et que les indicateurs relatifs aux métiers industriels repartent à la hausse. Il convient aujourd'hui d'amplifier ce mouvement pour les décennies à venir.

La réindustrialisation est conditionnée par l'accès aux financements, et donc par la compétitivité et la rentabilité de l'industrie française. Ces conditions ne doivent pas dépendre des financements publics et des subventions de l'État, mais des conditions fiscales et salariales, qui doivent elles-mêmes être attractives pour les investisseurs industriels. L'État a notamment fourni des efforts pour alléger les impôts de production et l'impôt sur les sociétés, et a agi en faveur de la compétitivité des salaires.

Le financement peut également être accompagné d'interventions publiques, qui ne doivent pas relever du saupoudrage ou de la subvention généralisée, mais cibler les secteurs stratégiques tels que l'automobile, dont la transformation vers le véhicule électrique doit être accompagnée. Le plan France 2030 prévoit ainsi un investissement de 54 milliards d'euros sur cinq ans en faveur des secteurs de l'automobile, des batteries électriques, de la santé et des métaux critiques notamment, dans le cadre de programmes sectoriels qui peuvent être liés à des coopérations européennes, visant à soutenir l'implantation d'usines. L'État intervient également en orientant la commande publique, ou au travers des aides aux ménages telles que les primes à l'achat de véhicules électriques de fabrication française ou européenne.

La question du financement renvoie également au prix du foncier. Celui disponible en Île-de-France est parfois cher, parce qu'il intéresse d'autres acteurs que les industriels et appartient à des zones déjà denses.

La réindustrialisation dépendra également de la facilité des procédures administratives. Les délais d'implantation d'usine font en effet partie des critères de choix des investisseurs industriels. C'est l'objectif de la loi « Industrie verte ». Elle a eu pour objectif de simplifier les procédures en les organisant mieux et en renforçant les équipes instructrices, pour ramener les délais d'implantation d'usine de 17 à 9 mois sans dégrader les exigences environnementales. La loi porte ainsi sur les procédures relatives à l'environnement, l'urbanisme, l'aménagement et sur la planification relevant des territoires et des services déconcentrés.

L'enjeu du foncier renvoie au recyclage et à la dépollution de friches industrielles, mais aussi aux contraintes pesant sur l'artificialisation de terrains. Sur le premier point, nous faisons évoluer le Fonds vert pour qu'il puisse davantage financer les dépollutions de sites industriels en vue de leur réutilisation. En matière d'artificialisation, différents aménagements des règles relatives à l'objectif de « zéro artificialisation nette » sont en cours de mise en oeuvre.

La réindustrialisation dépendra enfin de la qualité de la formation professionnelle, puisque tout choix d'implantation industrielle tient compte des caractéristiques du bassin d'emploi et de la capacité à recruter les compétences nécessaires à l'ouverture de l'usine.

François Noisette, ancien inspecteur général de l'environnement et du développement durable. - Le préfet Rollon Mouchel-Blaisot aurait souhaité participer à la table ronde de ce matin, comme vous l'y aviez convié, mais est malheureusement retenu par ses fonctions et vous prie de l'excuser.

Une mission lui a été confiée par le Gouvernement sur la stratégie nationale de mobilisation du foncier industriel, portant sur l'offre, sur la qualification de la demande et sur la facilitation de l'accueil des projets. Environ 10 % du territoire national est artificialisé et nous consommons 25 000 hectares supplémentaires par an. L'industrie et la logistique représentent 5 % du stock et de la consommation de foncier artificialisé.

Nous avons estimé les besoins en foncier industriel sur la base d'une hypothèse de réindustrialisation, consistant en une hausse de 2 points de la part de l'industrie dans le PIB, ce qui la ramènerait à son niveau de 2008. Il en résulterait la création de 465 000 emplois industriels supplémentaires et un besoin de 18 500 hectares par an sur dix ans.

Nous ne manquons pas de foncier pour répondre à ce besoin. Sachant que l'industrie occupe à ce jour 225 000 hectares, une augmentation de la densité en emplois de 1,5% en dix ans, ce qui semble un objectif très réaliste, permettrait déjà d'absorber 45 000 emplois industriels supplémentaires à consommation foncière égale. Par ailleurs, les études menées sur certaines zones industrielles dont celles de Rouen, de Saint Nazaire et de Strasbourg montrent que 15 à 30 % du foncier n'y est pas ou mal utilisé. L'utilisation d'1 % de ce stock libérerait un gisement de 3 000 hectares. Il existe également entre 90 000 et 170 000 hectares de friches en France. L'utilisation de 10 % de ce stock libérerait donc 9 000 hectares. Enfin, l'utilisation de 7 % de l'enveloppe foncière autorisée au titre des objectifs de réduction de l'artificialisation des sols pour les dix ans à venir, qui correspond à 120 000 hectares, en libérerait 7 500. L'ensemble de ces actions suffirait donc pour répondre aux besoins en foncier industriel des dix prochaines années.

Il s'agit néanmoins de données macroéconomiques. Certains territoires présentent des difficultés d'accès au foncier industriel. Dans le rapport, nos travaux intègrent le secteur de la logistique inféodée à l'industrie, qui représente un besoin en foncier additionnel de 10 % par rapport à celui des industriels. Il existe par ailleurs une problématique spécifique concernant les grands terrains, de plus de 100 hectares, dont on estime qu'un environ est nécessaire chaque année. C'est le cas pour les usines de batterie de Dunkerque, dont la première phase porte sur un besoin de 50 à 70 hectares, avec une cible supérieure à 100 hectares par la suite. Après discussions avec le port de Dunkerque, les industriels ont finalement obtenu un terrain 40 % moins grand que celui demandé initialement, sans que cela ne remette en cause de la rentabilité des projets. Par ailleurs, d'après les experts, l'électrification du parc automobile devrait entraîner la fermeture d'au moins une grande raffinerie avant 2030, ce qui libèrerait environ 450 hectares sur un site généralement bien desservi par le train, le bateau et la route, et éloigné des habitations.

Les données disponibles sur le foncier industriel ont souvent été produites par les collectivités pour leurs besoins propres : elles nécessitent d'être consolidées pour valoriser et promouvoir la France auprès des investisseurs industriels. L'identification des friches appelle une analyse locale, terrain par terrain, avec le propriétaire et l'industriel sortant. Nous estimons que le recyclage de 2 000 hectares de friches présente un besoin de financement de 1,6 milliard d'euros, dont 25 % pourraient être apportés par l'État et 75 % par les collectivités locales. La France accuse un retard dans ce domaine et a pris l'habitude d'utiliser les friches industrielles pour construire des logements, des commerces et des bureaux. Pourtant, ces deux derniers secteurs connaissent aujourd'hui des difficultés, et les friches industrielles ne constituent pas des terrains idéaux pour le logement.

La réindustrialisation nécessite des sites « clés en main », comme ceux annoncés dans le cadre de France 2030. Les industriels recherchent en effet des terrains susceptibles de répondre à des besoins spécifiques concernant l'approvisionnement en eau et en électricité ou la desserte ferroviaire. Pour mieux mobiliser ces sites clés en main, il convient par ailleurs d'optimiser l'organisation des services pour raccourcir les délais des procédures environnementales.

Par conséquent, nous disposons d'un foncier suffisant et nous sommes capables de l'utiliser pour la réindustrialisation. Nous avons néanmoins besoin de moyens financiers et d'administrations mobilisées.

La réussite de la réindustrialisation suppose par ailleurs que l'envie d'usine soit partagée par les élus et la population. Dans certains territoires, l'opposition de la population empêche l'implantation d'usines et d'entrepôts. Or, l'un des grands enjeux de la réindustrialisation consiste à redistribuer l'industrie sur l'ensemble du territoire national, notamment vers les zones rurales et moins denses, pour des raisons liées à l'emploi et à l'activité. Nous devons reconstruire les usines qui faisaient la richesse des territoires ruraux de la France de la fin du XIXème et du XXème siècle. En outre, cette démarche facilitera la réponse aux besoins logistiques.

Les collectivités locales, qui maîtrisent l'ensemble des procédures d'aménagement et d'urbanisme, doivent être encouragées à suivre ce cap, et être accompagnées par en matière d'ingénierie et de financement. Les industriels peuvent largement contribuer eux-mêmes à l'envie d'usine, à condition de présenter des stratégies de développement durable claires et de les mettre en oeuvre. Stellantis par exemple, qui libère du foncier en compactant ses usines, le vend aux collectivités en demandant qu'il soit réservé à l'installation d'autres industriels. La loi « Industrie verte » permettra par ailleurs à l'État de libérer les terrains mal utilisés, où un industriel maintient une petite activité pour éviter de remplir ses obligations de dépollution. De nombreux sites industriels ne sont pas utilisés de manière optimale, puisque la densité moyenne en emploi des sites existants est égale à moins de la moitié de celle d'un site neuf. Ramener tous les sites au niveau de la moyenne permettrait donc de créer bien plus que 465 000 emplois.

M. Olivier Rietmann, président. - Monsieur Noisette, certain de vos propos ont pu heurter les élus locaux que nous sommes.

Je partage une grande partie de vos analyses, mais votre approche de la disponibilité du foncier me paraît très théorique. De nombreux territoires, qui n'ont pas connu la « sinistrose » industrielle, ne possèdent pas de friches, et doivent néanmoins avoir la possibilité de se développer. Par ailleurs, l'opposition entre l'industrie et le logement ne nous paraît pas productive. Chaque territoire doit servir ces deux priorités, et la construction de logements sert également l'industrie en permettant aux travailleurs de se loger.

Les délais des procédures administratives ne dépendent pas uniquement de l'organisation et de la mobilisation des services locaux. Dans de nombreux cas, la longueur des délais est due au manque de moyens des services de l'État, notamment les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) et les directions départementales des territoires (DDT).

Enfin, je regrette que la simplification apportée dans le cadre de la loi « Industrie verte » se limite aux 56 sites prioritaires désignés par le Président de la République, qui représentent une infime partie des entreprises françaises. La même démarche de simplification devrait être appliquée aux plus petites installations, qui demandent moins de moyens, afin de répondre aux attentes des centaines de milliers d'entrepreneurs souhaitant installer une entreprise en France.

Le délai de réalisation d'un projet industriel est effectivement très long. Il me paraît à ce titre incompréhensible qu'une décision administrative valant autorisation, fondée sur de nombreuses études environnementales, puisse encore être attaquée en fin de parcours, ce qui rallonge parfois le délai de plusieurs années.

M. Michel Masset, rapporteur. - Pour avoir oeuvré à la création de zones d'activité économique, je constate un fort décalage entre la demande émise par les entreprises et le temps de traitement de la demande, incluant la modification du document d'urbanisme, les autorisations applicables aux installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) dans certains cas et les délais administratifs. Nous voyons par ailleurs croître la problématique de l'acceptabilité des projets industriels par les élus et les riverains. Quels freins avez-vous rencontrés et comment les lever tout en maintenant les mêmes exigences environnementales et architecturales ?

M. François Noisette. - Il existe en effet un écart entre le calcul macroéconomique et la réalité de chaque territoire, ce qui pose la question de l'allocation des enveloppes permises par le ZAN entre les territoires. Les régions développent des approches très différentes et ne montrent pas toutes la même volonté de répondre aux besoins spécifiques de l'industrialisation. Dunkerque par exemple s'est pleinement emparé des enjeux de l'afflux de population que provoquera la création des usines de batteries. D'autres régions adoptent une approche théorique qui ne produira pas une stratégie industrielle très solide. Il est donc nécessaire de décliner l'analyse des besoins localement. Ce volet n'était pas l'objet de nos travaux.

Les délais des procédures constituent en effet une préoccupation centrale pour les industriels, qui souhaitent pouvoir ouvrir une usine en un an. Cela suppose que les sites d'installation de ces usines soient prêts.

M. Michel Masset, rapporteur. - Nous ne pouvons financer la création d'un site à l'avance.

M. François Noisette. - Certains territoires le font dans une certaine mesure.

M. Michel Masset, rapporteur. - Je souhaite témoigner d'une situation rencontrée dans ma circonscription : la collectivité avait créé une zone d'activité économique de dix hectares, que nous avons commercialisée. Lorsque devait intervenir la vente des derniers lots, il nous a été demandé de procéder à de nouvelles études environnementales, alors que nous devions accueillir une entreprise qui souhaitait créer un site de 250 salariés.

M. François Noisette. - Nous avons proposé de créer un certificat environnemental, qui permettrait à un aménageur de traiter lui-même les besoins d'étude environnementale en amont de l'arrivée de l'industriel. Or le débat sur ce sujet dure depuis au moins une décennie : il nous a été opposé que le certificat nécessiterait un travail plus fin au niveau de la zone d'aménagement et que la définition des zones constructibles et des zones non constructibles pourrait ne pas convenir aux industriels. Néanmoins, les industriels qui souhaitent s'implanter sur un site existant trouvent des solutions, par exemple pour plier leurs lignes de production. Avec le certificat, l'industriel aurait le choix entre un terrain purgé de procédures environnementales (hormis celles relatives au classement ICPE) auquel il devra adapter son projet, et la réalisation du projet sans modification, mais nécessitant de renouveler toutes les procédures environnementales. Nous avons rencontré un industriel qui a dû porter le budget de son projet de 120 à 130 millions d'euros pour s'adapter à une contrainte environnementale : il nous a expliqué que ce choix ne posait pas difficulté dès lors que l'agglomération lui garantissait le respect des délais.

M  Olivier Rietmann, président. - Il arrive néanmoins que soit réalisée l'intégralité des études environnementales relatives à un terrain et qu'au moment de sa commercialisation quelques années après, l'évolution de la loi nous oblige à les renouveler.

M. François Noisette. - Le certificat environnemental permettrait justement de geler le droit applicable pour trois à quatre ans. L'industriel bénéficierait ainsi d'un terrain purgé des procédures environnementales, hors ICPE.

M. Thomas Gouzènes. - L'élaboration de la loi « Industrie verte » a été précédée d'une période de concertation. Elle a notamment prévu de paralléliser, c'est-à-dire de rendre concomitantes, les procédures environnementales et d'urbanisme pour raccourcir les délais. La loi permet également de conduire des procédures groupées pour plusieurs projets situés sur une même zone. Nous devons par ailleurs préciser la durée de validité des études sur la faune et la flore : ce sujet est traité dans le cadre des décrets d'application de la loi, avec le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, tout en veillant au respect du droit européen. En revanche, le droit européen et le droit national évoluent et la hiérarchie des normes nous empêche de garantir la stabilité du droit aux porteurs de projet. Le principal objectif doit donc être de raccourcir les procédures liées aux implantations industrielles.

Les 50 sites auxquels s'appliqueront les simplifications majeures de la loi « Industrie verte » sont ceux qui nécessitent un accompagnement dédié en raison de leur taille et de la complexité de l'aménagement. Il s'agit de sites emblématiques au niveau national. Les régions mènent par ailleurs un travail de même nature sur un nombre de sites bien plus élevé.

M. Michel Leprêtre. - Les 50 sites visés par les mesures de la loi « Industrie verte » représentent un niveau d'ambition et reflètent une priorité particulière. Nous sommes par ailleurs capables de dupliquer le modèle sur d'autres sites.

Que ce soit pour l'activité économique, le logement ou les équipements publics, nous sommes contraints à la vertu en termes de développement durable. Nous disposons néanmoins d'architectes, d'urbanistes et de chefs d'entreprise animés par la volonté de s'y conformer. La construction de logements présente la même problématique d'acceptabilité par la population que les projets d'activité économique. Nous devons donc organiser le débat et la confrontation d'idées pour répondre aux besoins des générations futures, en termes de logement et d'activité économique.

Nous devons par ailleurs densifier les installations logistiques on industrielles comme nous densifions les logements, afin de préserver des espaces verts. Nous développons notamment un projet d'entrepôt logistique sur cinq niveaux à Vitry-sur-Seine.

Enfin, Intercommunalités de France porte une proposition visant à affecter le solde de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) à l'aménagement des friches industrielles.

M. Michel Masset, rapporteur. - Nous devons également tenir compte du fait que l'installation sur une friche industrielle implique des coûts et des délais supplémentaires par rapport à l'installation sur un nouveau terrain.

M  Olivier Rietmann, président. - Les délais sont plus longs en France qu'en Allemagne parce qu'en France les procédures s'enchaînent chronologiquement, alors qu'en Allemagne elles sont réalisées concomitamment.

Quelle est la nature des difficultés rencontrées par le groupe Heppner à Montpellier ?

M. Jean-Thomas Schmitt. - Le groupe Heppner sous-louait des installations à la SNCF, qui a choisi de les réallouer à sa filiale Geodis. Aucune autre emprise foncière n'était disponible à proximité, et les projets envisagés ne se concrétisaient pas avant trois ou quatre ans. Finalement, Geodis a renoncé à son projet.

Notre syndicat professionnel a émis trois propositions concernant les démarches administratives, appuyées sur le rapport Guillot, consistant à réduire les délais d'instruction par la parallélisation des procédures, à mettre en place un service pilote chargé de coordonner les différents services et à modifier la durée de validité de l'étude faune-flore. Nous proposons également de plafonner les délais de jugement des recours contentieux, de réduire le nombre de recours successifs et de renforcer l'exigence quant à leur recevabilité.

S'agissant de l'acceptabilité, je citerai l'exemple de notre projet à Noisy-le-Sec. Nous sommes implantés depuis longtemps dans une zone industrielle lourde voisine de Romainville. Alors que l'intercommunalité Est Ensemble déclarait souhaiter modifier le plan local d'urbanisme (PLU), la municipalité communiste de Noisy-le-Sec souhaitait le développement de la zone industrielle pour soutenir l'emploi tandis que la municipalité écologiste de Romainville s'y opposait et a déclenché un contentieux. L'acceptabilité constitue un obstacle important et nous y sommes confrontés systématiquement.

Mme Pauline Martin. - Nous avons tendance en France à nous abriter derrière les normes européennes, et nous nous montrons parfois plus royalistes que le roi dans ce domaine.

Les élus locaux ont besoin d'être accompagnés par l'État et tous les territoires ne disposent pas de foncier disponible pour l'industrie.

Qu'en est-il des projets de l'État en matière de ferroutage, sujet sur lequel la France a peu progressé ces dernières décennies ? Comment percevez-vous la logistique de demain ?

M. Michel Leprêtre - Le président directeur général du marché de Rungis travaille à un projet de ferroutage à la suite du retour du train unique, en sachant qu'il n'est pas possible aujourd'hui de reconstruire les réseaux. Nous devons par ailleurs développer les interconnexions, qui permettent par exemple d'utiliser une barge sur la Seine pour recueillir un volume excavé équivalent à 80 camions dans le cadre d'un chantier de métro parisien et ainsi limiter les contraintes pour la ville.

M. François Noisette - Les sites industriels qui ferment sont en général très bien desservis par les transports, en électricité et en eau. Il convient donc de les sanctuariser en vue d'un usage adapté, afin d'éviter par exemple qu'un terrain desservi par le ferroviaire et le fluvial soit affecté à un logisticien qui n'utilise que la route.

L'artificialisation des sols fait partie des solutions face à la pénurie de foncier. La question porte sur leur affectation. Dans le cadre de l'application du ZAN, il convient notamment de veiller à ce qu'une enveloppe soit destinée à l'industrie, ce qui renvoie à la problématique de l'acceptabilité. Nous pouvons travailler en amont avec les associations de protection de la biodiversité pour éviter les recours. De même, il convient de sensibiliser les habitants et les élus aux enjeux économiques. Je connais par exemple le cas d'un projet d'usine d'explosifs qui n'a pu être réalisé sur le site souhaité à cause de l'opposition du maire concerné alors qu'il ne pouvait pas non plus l'être ailleurs en Europe.

La sensibilisation doit porter également sur l'attractivité des emplois industriels. Un soudeur par exemple peut obtenir une rémunération égale à quatre fois le salaire minimum interprofessionnel de croissance (Smic). Or cela n'est jamais dit dans les lycées professionnels.

M. Olivier Rietmann, président. - La sanctuarisation n'est pas toujours possible en raison de l'évolution de la législation. Ainsi, j'ai connaissance d'un cas dans lequel une zone artisanale d'un secteur rural, qui était déjà pour partie commercialisée, a été qualifiée de zone humide lors de la révision du PLU, ce qui impliquait la mise en oeuvre de compensations. À ce sujet, il me paraît incompréhensible que l'artificialisation d'un hectare de zone humide implique une compensation à hauteur de deux hectares.

M. Michel Canévet. - Nous devons absolument étendre à l'ensemble des implantations économiques les mesures de simplification administrative auxquelles nous sommes parvenus dans le cadre de la loi « Industrie verte ». Cet enjeu est central pour l'aménagement du territoire.

Je crains par ailleurs que les besoins en matière de logement conduisent à privilégier l'habitat au détriment de l'activité économique, d'autant plus qu'il n'existe plus de lien fiscal entre l'activité économique et les collectivités locales.

Les propriétaires de foncier tendent à le conserver dans la perspective de sa raréfaction pour en obtenir un meilleur prix. Nous devons donc trouver des outils incitant à libérer le foncier pour permettre l'implantation d'activités nouvelles.

Il faut rationaliser l'approche des sujets environnementaux par les services déconcentrés de l'État, souvent trop drastique.

Enfin, la commande publique doit privilégier les produits fabriqués en France. L'application du seul critère du prix conduira toujours à choisir des concurrents moins chers que les industriels français.

M. Jean-Luc Brault. - En tant que Président de la communauté de communes du Val de Cher Controis, je pense qu'il appartient au préfet de coordonner les différents services de l'État autour des grands projets pour éviter les blocages dus à un arrêt maladie au sein de l'administration, ou à la qualification en zone humide d'un site qui possédait une autorisation de construire et où les travaux d'infrastructure avaient été réalisés.

Je reconnais avoir commis une erreur en refusant, à la demande des Controis, la création d'une installation logistique du groupe Andros. Cette installation a été créée à Blois et nous subissons désormais un flux quotidien de 50 véhicules qui assurent la liaison entre les deux sites, distants de 30 kilomètres.

M. Olivier Rietmann, président. - La logistique est indispensable au développement industriel d'un territoire.

Mme Anne-Marie Nédélec. - Le droit européen n'explique pas tous les problèmes administratifs, puisque nos voisins parviennent à traiter les procédures dans des délais beaucoup plus brefs.

Je pense par ailleurs que le véhicule électrique ne constitue pas la solution unique vers laquelle concentrer tous nos efforts pour sauver la planète.

En outre, nous ne pourrons placer sur plusieurs niveaux des maxi-presses automobiles de 8 000 tonnes : la verticalité n'est pas une solution pour toutes les installations.

Enfin, les réflexions de la mission sur la mobilisation du foncier industriel me paraissent très mathématiques et théoriques. Tous les territoires ne présentent pas les mêmes besoins et tous les industriels ne dégagent pas des marges qui leur permettent de revoir le budget des projets à la hausse.

Avec les règles relatives à l'objectif ZAN, j'ai l'impression que nous sommes soumis à un système qui est obligé de créer de nouveaux règlements en permanence pour justifier son existence, ce qui conduit à des situations incohérentes. Comment répondre aux besoins des territoires ruraux et industriels qui redeviennent attractifs avec l'exode urbain, si la loi considère que le fait qu'ils aient consommé peu d'espace dans les dix ou vingt dernières années signifie qu'ils n'auront pas de besoin foncier à l'avenir ? Je le vis d'autant plus douloureusement dans ma commune que j'ai adopté une démarche d'économie foncière il y a dix ans, en encourageant la reprise de maisons inoccupées plutôt que la construction de lotissements.

Par ailleurs, un industriel n'a aucun intérêt à reprendre une friche industrielle compte tenu des coûts de dépollution et des délais induits. Les dérogations ne constituent pas une solution puisqu'elles-mêmes allongent les délais.

Enfin, la problématique de l'acceptabilité est qu'une minorité d'opposants impose sa vision au reste de la population. Sur mon territoire, la présence d'une espèce d'alouette, l'alouette lulu, a fait échouer un projet commercial qui induisait des centaines d'emplois, alors que l'alouette aurait probablement pu se réinstaller à proximité. Vos discours de ce matin sur les procédures administratives ne me rassurent pas.

M. Michel Leprêtre. -  Ce débat est utile et nécessaire.

La densification ne s'applique effectivement pas à toutes les installations industrielles. Il est néanmoins possible de garer des véhicules de transport, voire des semi-remorques sur plusieurs niveaux.

Nous ne devons jamais oublier d'associer les populations aux projets industriels. Au-delà de la résistance de certains acteurs, le débat est utile pour répondre aux préoccupations, notamment en matière d'emploi et de logement.

Mme Anne-Sophie Romagny. - C'est bien l'intelligence collective qui nous permet d'avancer. J'ai été choquée par les jugements à l'emporte-pièce que j'ai entendus ce matin sur certains sujets.

Une installation de logistique en hauteur pose également un problème d'acceptabilité parce qu'elle masquera le paysage à certains habitants. Certes, la réindustrialisation engendre la dynamisation de bassins d'emploi et alimente l'économie des villages, mais nous devons tenir compte de la réaction des populations face aux nuisances olfactives ou sonores ou liées au trafic routier.

L'enjeu consiste donc à faire concorder nos politiques. Or, la surenchère de règles conduit à empêcher la réalisation de tout projet : elle engendre une « usine à ne pas faire ».

M. François Noisette - La construction de chaque projet au niveau local prend du temps et les territoires qui réussissent à tirer profit de la stratégie de réindustrialisation sont ceux qui s'y préparent depuis au moins dix ans, équipés en sociétés d'économie mixtes suffisamment capitalisées. Le site de l'entreprise LISI à Grandvillars, que nous citons dans notre rapport, a bénéficié d'un investissement de 30 millions d'euros de la part de la SEM d'une intercommunalité de 25 000 habitants qui s'est mobilisée pour maintenir un industriel présent depuis 300 ans, en reconstruisant les deux usines et le siège de ce groupe international de 10 000 salariés. La mise en place d'une stratégie industrielle prend du temps et les territoires qui n'en possèdent pas encore doivent en trouver le chemin. Ils bénéficient néanmoins d'un partage d'expérience important.

La densification ne consiste pas uniquement à créer des installations en hauteur. Les Pays-Bas par exemple n'imposent aucun taux d'espaces verts autour des usines, ce qui permet de conserver davantage de terres agricoles. En France, la plupart des PLU imposent encore un taux d'emprise de 40 % d'espaces verts aux projets industriels, ce qui génère un coût et ne présente pas d'intérêt à leurs yeux, alors que la loi ne l'oblige pas.

Chaque territoire doit définir une solution adaptée à sa géographie et à son paysage. Il convient effectivement d'organiser l'intelligence collective en assurant la concertation au sein de chaque territoire sur la place à donner à l'industrie. Les solutions ne se définiront pas au niveau national mais au niveau local avec les acteurs économiques et les entreprises. À Corbigny par exemple, les industriels qui possèdent des espaces inutilisés se sont engagés à accueillir des créateurs d'entreprise.

M. Olivier Rietmann, président. - L'égalitaire va souvent à l'encontre de l'équitable. Dans le cadre de la mise en oeuvre du ZAN notamment, l'application d'un taux de réduction de l'artificialisation uniforme, qui conduira à des niveaux d'efforts différents selon les développements passés, défavorisera les territoires qui n'ont pas développé d'activité ces dernières années et qui souhaitent désormais le faire.

M. Jean-Thomas Schmitt. - J'apprécie le caractère pragmatique de nos échanges.

Les installations de logistique en hauteur constituent une bonne solution pour la logistique du dernier kilomètre et le petit colis, mais ne sont nullement adaptées aux semi-remorques. Au-delà de la problématique d'acceptabilité, les PLU ne permettent souvent pas de telles constructions.

Les investisseurs ont besoin de visibilité et donc de règles stables.

Par ailleurs, nous n'avons pas toujours la possibilité d'organiser le dialogue avec les associations parce qu'elles déposent un recours la veille de l'expiration du délai. Toutes les entreprises ne possèdent pas les moyens d'entretenir des relations institutionnelles sur leurs territoires.

Le foncier ne se limite pas à la disponibilité d'un terrain mais est lié à la main-d'oeuvre et aux infrastructures. Les industriels choisissent leurs implantations en fonction d'un ensemble de conditions. Or l'activité logistique est délocalisable, et se développera en Hollande et en Belgique si elle ne peut se développer en France, au détriment des industriels français.

M. Olivier Rietmann, président. - Merci à tous pour votre participation à cette table ronde.

Questions diverses

M. Olivier Rietmann, président. - Je vous rappelle qu'en raison du Salon des Maires, notre délégation ne se réunira pas la semaine prochaine. Je vous donne rendez-vous le jeudi 30 novembre à 8 heures pour un départ vers la Station F, à Paris, où nous participerons au Salon Impact PME organisé par la confédération des petites et moyennes entreprises (CPME).

L'ordre du jour étant épuisé et en l'absence de question diverse supplémentaire,

La séance est close à 10 h 20.