Mardi 7 novembre 2023

- Présidence de M. Claude Raynal, président -

La réunion est ouverte à 14 h 35.

Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024 - Examen du rapport pour avis

M. Claude Raynal, président. - Nous examinons le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2024.

M. Vincent Delahaye, rapporteur pour avis. - Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024, considéré comme adopté par l'Assemblée nationale en application de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution, a été transmis hier soir au Sénat.

La part de ce texte dans les prélèvements obligatoires et dans les dépenses publiques - plus de 600 milliards d'euros -, et par conséquent son impact macro-économique, justifie la saisine pour avis, comme chaque année, de la commission des finances.

La crise sanitaire a provoqué en 2020 un déficit record de la sécurité sociale de l'ordre de 40 milliards d'euros, alors qu'elle finissait à peine d'absorber les conséquences du choc de la crise financière de 2008-2009.

Depuis, la situation des régimes obligatoires de base de la sécurité sociale et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) s'est redressée : un déficit de « seulement » 8,8 milliards d'euros est attendu en 2023. Cette résorption du déficit résulte principalement du dynamisme des recettes, lié à la progression de l'emploi et de la masse salariale.

Si l'on peut se réjouir que le déficit se réduise, il est toutefois inquiétant qu'il diminue moins qu'attendu. En effet, les dépenses ont également davantage augmenté que prévu.

Les revalorisations des prestations sociales au regard de la montée de l'inflation ont contribué à la dégradation du solde à hauteur de 3,7 milliards d'euros. Surtout, le sous-objectif « soins de ville » de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) a connu un dépassement de 1,1 milliard d'euros en 2023, principalement du fait du dynamisme des indemnités journalières, qui y contribue à hauteur d'environ 300 millions d'euros, et de la hausse des prix des médicaments, à hauteur d'environ 200 millions d'euros. Au total, l'Ondam connaîtrait un dépassement de 2,8 milliards d'euros en 2023. Le Comité d'alerte sur l'évolution des dépenses de l'assurance maladie (Cadam) s'en est d'ailleurs alarmé à deux reprises cette année.

En revanche - et c'est heureux - les surcoûts imputables à la crise sanitaire se sont considérablement réduits : ils ne représentent plus que 0,9 milliard d'euros en 2023, contre 11 milliards d'euros en 2022. Toutefois, la crise a durablement affecté la trajectoire de l'Ondam, qui s'établit en 2023 à un niveau de 14,2 milliards d'euros supérieur à un scénario sans crise et sans Ségur.

S'agissant de 2024, la dynamique des recettes ralentirait, contrairement à celle des dépenses, qui s'accroîtrait.

En ce qui concerne les recettes, le ralentissement de la hausse de la masse salariale du secteur privé, qui augmenterait de 3,9 % en 2024, contre 6,3 % en 2023, conduirait à une moindre progression des recettes. Ce ralentissement est compensé par le transfert à la branche autonomie de 0,15 point de contribution sociale généralisée (CSG), auparavant affecté à la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades). En 2024, la progression des recettes serait ainsi de seulement 4,7 milliards d'euros, contre 5,2 milliards cette année.

Si la progression des recettes ralentit, ce n'est pas le cas de l'objectif de dépenses pour 2024 qui se caractérise, quant à lui, par un véritable rebond.

Les branches accidents du travail - maladies professionnelles (AT-MP), autonomie et famille sont concernées par des mesures nouvelles qui conduisent à une augmentation de leurs dépenses, mais il ne s'agit que de montants relativement faibles. Quant à la branche maladie, ses dépenses seraient en principe modérées, l'Ondam étant fixé pour 2024 à 254,9 milliards d'euros, soit une évolution de 2,95 % par rapport à 2023. Si des mesures nouvelles pourraient accroître quelque peu ses dépenses, il s'agit de mesures de prévention qui devraient, en principe, se traduire par des économies à long terme.

La branche dont les dépenses doivent être le plus soigneusement surveillées est la branche vieillesse. Le report de l'âge d'ouverture des droits n'aura en effet d'impact que progressivement, alors que les mesures d'accompagnement, plus coûteuses, ont un effet immédiat. Le solde de la branche se dégraderait ainsi de 4 milliards d'euros en 2024.

Au total, le déficit de 8,8 milliards d'euros pour 2023 serait aggravé, et s'établirait à 11,1 milliards d'euros en 2024. Il s'agit là d'une situation inquiétante, dans la mesure où les conditions de refinancement et d'amortissement, c'est-à-dire de remboursement de la dette sociale, se sont également dégradées ces dernières années.

D'une part, la remontée des taux d'intérêt pèse sur Urssaf Caisse nationale, qui gère la trésorerie de la sécurité sociale. En conséquence, les intérêts de ses émissions, qui ne peuvent être supérieures à un an, se sont déjà élevés à 113 millions d'euros entre le 1er janvier et le 23 mars 2023.

D'autre part, le taux moyen de refinancement de la Cades a connu une hausse inquiétante, de 0,62 % début 2022 à 1,93 % aujourd'hui - certains taux approchant les 3 %. Dans le même temps, les ressources dont dispose la Cades pour amortir cette dette sociale ont diminué : 0,15 point de CSG lui sera retiré en 2024 et le versement du Fonds de réserve pour les retraites baissera, à partir de 2025, de 2,1 milliards à 1,45 milliard d'euros. Le montant des ressources de la Cades diminuerait ainsi de 8,5 %, passant de 21,1 milliards d'euros en 2023 à 19,3 milliards d'euros en 2024.

Selon les prévisions pluriannuelles, le déficit de la sécurité sociale continuerait à se dégrader, pour s'établir à 15,8 milliards d'euros en 2025 ; 17,1 milliards d'euros en 2026 et 17,5 milliards d'euros en 2027. Pire, ce scénario défavorable repose sur des hypothèses macro-économiques de croissance, et donc de masse salariale et de recettes, qui ont été jugées « optimistes » par le Haut Conseil des finances publiques (HCFP).

Dans la prévision actuelle, la situation des branches famille, AT-MP et autonomie, de même que celle du FSV, demeurerait excédentaire, mais pour des montants assez faibles. En revanche, la situation des branches maladie et vieillesse ne laisse pas d'inquiéter.

Concernant la branche maladie, la progression continue des dépenses et les dépassements réguliers de l'Ondam de ville devraient faire l'objet d'une réflexion. Avant la crise sanitaire, le respect de l'Ondam avait été obtenu par le biais d'une régulation prix-volume pesant principalement, via la tarification à l'activité (T2A), sur les hôpitaux, avec le résultat que l'on sait, en termes d'épuisement et d'endettement. Or le présent projet de loi prévoit la réduction de la part de la T2A dans le financement des hôpitaux, ce qui pourrait, selon la Cour des comptes, rendre plus difficile la régulation des dépenses des établissements de santé. Parallèlement, le Gouvernement se refuse, comme cela a été patent lors de l'examen du projet de loi de programmation des finances publiques, à envisager sérieusement une régulation des soins de ville. L'avenir de la maîtrise des dépenses d'assurance maladie fait donc l'objet d'un impensé de la part du Gouvernement.

Concernant la branche vieillesse, il est inquiétant de constater que l'impact de la réforme des retraites sera vraisemblablement moindre qu'escompté. À l'horizon 2030, l'impact net de la réforme des retraites serait de l'ordre de 7,1 milliards d'euros au lieu des 10 milliards annoncés. Toutefois la situation de la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL) est de plus en plus préoccupante : son déficit ne cesse en effet de s'aggraver et atteindrait presque 6,5 milliards d'euros en 2030.

La persistance de ces déficits, qui représenteraient un montant cumulé d'environ 60 milliards d'euros en 2027, pourrait conduire à une nouvelle reprise de dette par la Cades, ce qui allongerait la durée de remboursement de la dette sociale au-delà de 2033, date butoir pour le remboursement de la dette et l'extinction de la Cades.

Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, vous aurez compris que ma position sur l'équilibre général du texte est réservée - je considère toutefois qu'il peut être amélioré. C'est pourquoi je propose que nous donnions un avis favorable au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024, sous réserve des améliorations qui lui seront apportées par la commission des affaires sociales.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je tiens à dire que je partage les inquiétudes du rapporteur. La situation est préoccupante pour la branche maladie, plus préoccupante encore pour la branche vieillesse, avec de nombreux déficits malgré les réformes. L'existence de la Cades a déjà été prolongée il y a plus de dix ans. Or on a le sentiment qu'on ne trouve pas les modalités pour remédier à la situation. Voyez-vous un ou deux axes à prioriser pour réduire les déficits ? Il convient peut-être de concentrer nos efforts de réduction des déficits sur une branche.

M. Pascal Savoldelli. - Pourquoi le montant des exonérations des cotisations sociales n'est-il pas évoqué dans ce rapport ? Les prévisions pour 2024 seraient, selon mes sources, de 87,9 milliards d'euros.

Mme Christine Lavarde. - L'année dernière, la Cour des comptes a refusé de certifier les comptes de la sécurité sociale au regard de trop grandes erreurs de la branche famille. Comment améliorer la situation pour que les comptes soient certifiés l'an prochain ou le suivant ?

Mme Florence Blatrix Contat. - Je partage les réserves du rapporteur. Ce PLFSS se fonde sur des prévisions économiques particulièrement optimistes. La hausse de l'Ondam à 3,2 % est timide et reste en deçà de la hausse naturelle des dépenses qui s'élève à 4,6 %. Comment les exonérations de cotisations sociales sont-elles compensées par l'État ? Je rejoins la remarque de mon collègue Pascal Savoldelli sur leur coût. Nous ne sommes pas favorables à l'adoption de ce PLFSS.

M. Christian Bilhac. - Ma première question porte sur le solde des régimes obligatoires : le déficit a fortement augmenté depuis 2019, c'est-à-dire avant la crise sanitaire. Il s'élève à 8,8 milliards d'euros en 2023. Comment l'expliquer ?

Ma deuxième question concerne la situation alarmante de la CNRACL : de nombreux recrutements sont intervenus après les lois de décentralisation ; nul besoin d'être grand clerc pour imaginer des départs en retraite massifs trente-cinq ans plus tard. Avez-vous une idée des montants prélevés dans la caisse de la CNRACL et savez-vous à combien s'élève aujourd'hui le déficit ?

M. Arnaud Bazin. - L'augmentation du prix des médicaments a été présentée comme l'une des raisons de l'augmentation des dépenses des soins de ville. Or, des millions de Français sont dans l'impossibilité d'accéder aux médicaments qui leur sont prescrits, y compris des médicaments non substituables, en raison de ruptures d'approvisionnement parfois très longues, ou rencontrent de grandes difficultés pour se les procurer. Cette carence s'expliquerait par le prix trop bas des médicaments en France, comparativement à ce qui se pratique à l'étranger, ce qui conduirait les fabricants à s'installer ailleurs. Comment expliquer à la fois l'existence de ces nombreuses carences de médicaments et la hausse du prix des médicaments ? Peut-on également avoir l'ordre de grandeur de cette dépense l'année passée ?

M. Vincent Delahaye, rapporteur pour avis. - Monsieur le rapporteur général, il me semble que les efforts pour réduire les déficits doivent porter sur les branches maladie et retraite, mais je n'ai pas encore d'orientation plus précise à vous donner. La réforme des retraites, accouchée dans la douleur, ne suffira pas à résoudre le financement des retraites.

Monsieur Savoldelli, les exonérations de cotisations sociales sont assez dynamiques, car elles augmentent plus vite que les recettes : elles suivent l'évolution du Smic. Le Smic augmentant plus rapidement que l'évolution générale des recettes, on a une évolution des exonérations de cotisations assez forte.

Madame Lavarde, sur la certification des comptes, je vais poser la question et vous informerai de la réponse.

Madame Blatrix Contat, la compensation par l'État des exonérations de cotisations sociales se fait par l'affectation de la TVA.

Monsieur Bilhac, le déficit est plus élevé, car les effets de la crise sanitaire se font encore sentir. Celle-ci a creusé le déficit à 40 milliards d'euros. En 2023, l'impact est encore important, il sera bien moindre en 2024, de l'ordre de 900 millions d'euros, mais l'augmentation des dépenses sera plus importante que l'augmentation des recettes. C'est une évolution très dangereuse, car on accumule des dettes - 60 milliards en quatre ans. Comment pourra-t-on continuer à assurer le financement avec la hausse des taux ? Qui plus est, est-ce moral de laisser les générations futures payer nos dépenses ? Cela ne me semble pas acceptable. On peut comprendre qu'il y ait des déficits importants en période de crise, mais les comptes devraient revenir à l'équilibre une ou deux années plus tard. Or, malheureusement, ce n'est pas le cas.

Concernant la CNRACL, les départs à la retraite n'ont pas été anticipés. Le déficit prévu pour 2024 est de 3,7 milliards d'euros. Va-t-on augmenter les cotisations des collectivités ?

Monsieur Bazin, on a en effet l'impression de vivre une contradiction avec le prix des médicaments. En réalité, on a maintenu un prix bas en pensant réduire ainsi les remboursements. Simplement, peu de médicaments - ou beaucoup moins qu'auparavant -sont produits en France, car ce n'est pas rentable, les investisseurs préfèrent les fabriquer à l'étranger. Cette année, les prix des médicaments ont augmenté, ce qui a alourdi l'Ondam de ville de 200 millions d'euros. Mais cela n'a d'effet ni sur la production ni sur la disponibilité des médicaments.

Tels sont les éléments de réponse que je peux vous apporter.

La commission émet un avis favorable sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024, sous réserve de l'adoption des amendements de la commission des affaires sociales.

Projet de loi de finances pour 2024 - Mission « Santé » - Examen du rapport spécial

M. Vincent Delahaye, rapporteur spécial. - La mission « Santé » s'amenuise d'année en année. Chaque année, mon prédécesseur, Christian Klinger, émettait des doutes sur la pertinence de cette mission, et il est vrai qu'il y a des raisons de s'interroger.

De nombreuses actions financées par le programme 204 « Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins » ont été transférées à l'assurance maladie au fil des années. Les dépenses restantes se concentrent sur quatre postes principaux : dépenses de contentieux, prise en charge du système de santé à Wallis-et-Futuna, subventions pour l'Institut national du cancer (INCa) et l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), lesquels reçoivent aussi des crédits d'autres missions.

La dotation de l'Institut national du cancer connaîtrait une diminution de 6 millions d'euros en 2024. L'Institut aurait en effet accumulé des excédents ces dernières années, et s'est constitué un fonds de roulement important qui justifie une baisse de sa dotation de fonctionnement. Toutefois, ses comptes semblent en déficit ; la situation financière de l'INCa constitue donc un point de vigilance et pourra faire l'objet, pour les années à venir, de mesures d'économies ou d'abondements, selon l'évolution de son solde.

Néanmoins, au cours des trois dernières années, l'État a rapatrié sur ce programme, pour les besoins de la gestion de la crise sanitaire, des crédits provenant de l'assurance maladie, en créant un fonds de concours alimenté par Santé publique France. Ce sont au total un peu plus de 1 milliard d'euros qui ont été consommés à ce titre entre 2020 et 2022. En 2023, il est prévu un abondement plus modeste de 41,2 millions d'euros au titre du fonds de concours, aucun versement n'étant prévu en 2024. Nous avions émis le souhait, et la Cour des comptes en avait fait de même, de voir cette façon de faire se tarir. Seuls des restes à payer subsistent en 2024, je suis satisfait que l'extinction de ce fonds semble en voie d'être atteinte.

Comme les années précédentes, le programme 204 finance également un grand nombre d'actions extrêmement dispersées, pour des montants généralement faibles. Ces dernières paraissent loin de disposer d'une masse critique suffisante pour produire un réel impact sur les objectifs de santé publique.

Le nouveau programme 379, créé à la fin de l'année 2022, recueille les crédits européens de la facilité pour la reprise et la résilience (FRR) européenne destinés à la France, qui soutiennent le volet investissement du Ségur de la santé. Ce volet représente un montant total de 19 milliards d'euros, dont 6 milliards d'euros proviennent de cette facilité de relance européenne. Entre 2021 et 2023, un peu plus de 2 milliards d'euros ont été versés à la mission « Santé » par ce biais.

Si ce programme améliore la traçabilité des fonds européens, il ne constitue toutefois qu'un simple canal de transmission à l'assurance maladie et ne redonne aucune substance particulière à la mission « Santé » en termes de politique publique.

Par ailleurs, je rappelle que, sur l'initiative du Sénat, un programme relatif à la carte Vitale biométrique a été créé dans le cadre de la mission « Santé » pour améliorer l'efficacité de la lutte contre la fraude. Toutefois, ce programme n'a pas été reconduit par le Gouvernement.

Depuis, l'inspection générale des finances (IGF) et l'inspection générale des affaires sociales (Igas) ont rendu un rapport qui met en avant le coût important et les difficultés de mise en oeuvre d'une carte Vitale biométrique. Il semble judicieux d'en prendre acte, tout en réaffirmant la volonté du Sénat de soutenir l'émergence de solutions contre la fraude aux prestations sociales. Ainsi, je vous proposerai de financer, à hauteur de 5 millions d'euros, deux développements d'ores et déjà envisagés et qu'il convient d'accélérer pour un déploiement rapide, à savoir la dématérialisation de la carte Vitale par le biais d'une application ainsi que la fusion entre la carte Vitale et la carte nationale d'identité électronique.

J'en viens enfin à l'aide médicale d'État (AME) qui constitue l'élément principal de la mission « Santé ». Les dépenses d'AME représenteraient environ 1,2 milliard d'euros en 2024, un montant qui semble en légère diminution, de 0,33 %, par rapport à la loi de finances initiale (LFI) pour 2023.

Il s'agit toutefois d'une diminution en trompe-l'oeil, faciale, le montant consacré à l'AME ayant été largement surestimé dans la loi de finances initiale pour 2023. Les dernières prévisions d'exécution indiquent des dépenses d'AME moindres que prévu, et le projet de loi de finances de fin de gestion demande l'annulation de 65,8 millions d'euros de crédits liés à l'AME.

En 2024, les dépenses d'AME progresseraient donc de 5,4 % par rapport à l'exécution attendue pour 2023. Cette évolution résulte notamment de la hausse du nombre de bénéficiaires de l'AME : alors qu'ils étaient plus de 380 000 à la fin de 2021, ce nombre est passé à plus de 411 000 à la fin de 2022 et à plus de 422 000 à la fin du premier trimestre 2023.

Pour endiguer cette augmentation continue, des mesures de régulation ont été mises en place depuis 2020 : pour prendre quelques exemples, depuis le 1er janvier 2020, une condition de durée minimale de séjour irrégulier de trois mois est nécessaire pour obtenir le bénéfice de l'AME, afin d'éviter un accès immédiat au dispositif dès l'expiration d'un visa touristique ; de même, une obligation de dépôt physique de la première demande d'AME a été instituée à compter du 1er janvier 2020.

L'impact de ces mesures de régulation apparaît toutefois très limité, puisqu'il est estimé à seulement 20 millions d'euros en 2024, alors que les dépenses d'AME s'élèvent à plus de 1,2 milliard d'euros.

Ces éléments conduisent à reposer la question, plusieurs fois abordée dans notre assemblée, de l'étendue des soins pris en charge par l'AME. À ce titre, je rappelle que, dans la plupart des pays européens, seuls les soins urgents, les soins liés à la maternité, les soins aux mineurs et les dispositifs de soins préventifs dans le cadre de programmes sanitaires publics sont pris en charge gratuitement pour les étrangers en situation irrégulière. Par l'éventail des soins couverts, l'AME constitue une exception par rapport aux pays voisins. Celle-ci semble difficile à justifier dans un contexte d'augmentation continue et non maîtrisée de la charge budgétaire qu'elle constitue.

À la faveur de l'examen, actuellement en cours devant le Sénat, du projet de loi pour contrôler l'immigration et améliorer l'intégration, et dans la continuité de dispositions adoptées par notre assemblée à plusieurs reprises à l'initiative de la commission des finances, la commission des lois a adopté un article 1er . Cet article tend à transformer l'aide médicale d'État en une aide médicale d'urgence (AMU), couvrant le traitement des maladies graves et les soins urgents, les soins liés à la grossesse et ses suites, les vaccinations réglementaires et les examens de médecine préventive.

Une telle AMU rapprocherait le dispositif de prise en charge des soins dispensés aux étrangers en situation irrégulière de ceux qui sont en vigueur dans les principaux pays voisins, l'AME constituant en Europe une exception difficile à justifier dans un contexte d'augmentation continue des dépenses et de non-maîtrise de la charge budgétaire correspondante.

Le texte adopté procède également au rétablissement d'un « droit d'entrée » pour bénéficier de l'AME, visant à responsabiliser ses bénéficiaires et à assurer partiellement son financement. Un tel droit d'entrée avait déjà été introduit par la loi de finances initiale pour 2011, avant d'être abrogé l'année suivante.

C'est pourquoi je vous propose d'adopter un amendement tirant les conséquences des dispositions adoptées dans le cadre de l'examen du projet de loi « Immigration ». En additionnant les gains attendus de la restriction du panier de soins, soit 350 millions d'euros comme les années précédentes, et du rétablissement du droit d'entrée abrogé en 2012 - environ 60 millions d'euros -, cet amendement permettrait de réaliser une économie estimée à 410 millions d'euros en autorisations d'engagement et en crédits de paiement.

Je propose donc l'adoption des crédits de la mission, assortis de ces modifications.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Certes, l'ampleur de la mission « Santé » se réduit, mais pas sur deux points sur lesquels je souhaite revenir.

D'abord, la lutte contre la fraude. Si les inspections missionnées estiment que la mise en place d'une carte Vitale biométrique est une solution onéreuse et inadaptée, quelles solutions proposez-vous ? Le précédent ministre des comptes publics, M. Gabriel Attal, avait évoqué sa volonté de lutter contre les fraudes sociales. Sans outil de mesure, cela reste du bavardage... Avez-vous obtenu des éléments de réponse sur ce point lors de vos auditions ?

Ensuite, l'évolution de l'AME vers une AMU permet d'apporter des solutions conformes aux besoins tout en étant empreintes d'humanité, et de faire preuve d'une relative maîtrise de la dépense. Nous ne parvenons pas à maîtriser l'augmentation des dépenses : c'est la raison pour laquelle les éléments proposés, y compris la réduction de l'enveloppe de crédits, recueillent mon soutien.

M. Grégory Blanc. - Sait-on ce que représenterait, en termes de diminution du volume de l'AME, une régularisation plus large et un accès plus rapide au travail des personnes en situation irrégulière ?

Par ailleurs, quelles préconisations formulez-vous pour renforcer le recours à l'AME dans le cadre d'une prise en charge en ville ? En effet, cela permettrait de diminuer les coûts car on constate un surrecours aux soins hospitaliers.

M. Christian Bilhac. - Je suis d'accord pour retirer 410 millions d'euros à l'AME mais, par prudence, il faudrait les verser à l'AMU. Car je crains que, par un jeu de chaises musicales, les personnes écartées de l'AME se réfugient dans l'AMU, et qu'au final il ne s'agisse que d'effets d'annonce - et pas d'efforts de gestion. L'AMU risque de coûter plus cher.

M. Victorin Lurel. - Si nous approuvons l'appréciation du rapporteur sur l'attrition des moyens octroyés à cette mission, nous ne partageons pas du tout sa conclusion. In cauda venenum ! En l'occurrence, le venin, c'est le programme 183 et l'amendement de réduction de 410 millions d'euros qui est proposé, sur un constat que nous ne partageons pas, à savoir une dynamique tendancielle des dépenses de l'AME de plus de 5 %.

Alors que nous ne comprenions déjà pas la baisse proposée par le Gouvernement dans ce projet de loi de finances (PLF), vous allez plus loin, en disant que c'était facial, nominal, qu'il faut tenir compte d'un sous-dimensionnement en loi de finances initiale et réduire les dépenses octroyées à l'AME.

C'est la dignité de la France et une certaine conception de l'homme qui sont en cause ! L'AME ne représente que 0,49 % des dépenses de santé, et à peu près 51 % seulement des personnes qui y sont éligibles en bénéficient. Ces données ne sont pas qu'allégations. D'après les conclusions provisoires du rapport commandé par la Première ministre à MM. Evin et Stefanini, l'AME n'est pas un facteur d'attractivité pour les étrangers et il n'y a aucun abus de droit. Pardonnez-moi, mais le nouvel article que la majorité sénatoriale souhaite introduire dans le projet de loi « Immigration et intégration » ne fait pas honneur à la République française !

Il faudrait suivre d'autres pays européens, qui auraient régulé autrement leur aide médicale d'État... Je déplore la contamination par une certaine idée de l'homme inspirée d'une droite très extrême qui est en train de se faire jour ici - au-delà du sénateur, c'est l'homme qui parle.

Notre groupe s'opposera à l'adoption de ces amendements et aux crédits de cette mission.

M. Christian Klinger. - J'ai une question concernant l'indemnisation des victimes de la dépakine et l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (Oniam). On sait que l'étude des dossiers est longue et fastidieuse. L'Oniam s'était engagé à réduire les délais d'instruction et d'indemnisation des victimes. Peut-on le constater ?

M. Vincent Delahaye, rapporteur spécial. - Monsieur le rapporteur général, il ne faut effectivement pas lâcher l'affaire en matière de lutte contre la fraude, même si l'Igas, dans un rapport dont nous prenons acte, affirme que la carte Vitale biométrique, que nous promouvions, n'est pas la bonne solution.

Deux autres pistes peuvent être explorées. La première est l'Application carte Vitale : elle permettrait de lutter contre la fraude, de faciliter les démarches et de moderniser notre système de soins, avec un accès sur smartphone par reconnaissance faciale, donc via la biométrie. Les travaux d'expérimentation ont été menés. La Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam) anticipe, à terme, une large diffusion du dispositif, qui serait développé progressivement.

La seconde est la fusion de la carte Vitale avec la carte nationale d'identité (CNI). Cette piste figurait dans le plan de lutte contre la fraude du ministre des comptes publics Gabriel Attal. Une mission de l'Igas est en cours pour étudier les modalités de réalisation de ce chantier. Le dernier rapport que l'inspection a remis sur le sujet, en avril 2023, jugeait la piste plutôt prometteuse.

L'an dernier, nous avons voté un amendement de 20 millions d'euros, sur lesquels 4,3 millions d'euros ont été dépensés. Cette année, nous proposons 5 millions d'euros, pour montrer que nous n'abandonnons pas ces pistes et que nous souhaiterions que le Gouvernement fasse de même. Ce montant assez raisonnable devrait tout de même permettre d'avancer sur les deux pistes que j'ai évoquées, si possible rapidement.

Pour ce qui concerne l'AME, notre collègue Grégory Blanc déclare que les régularisations pourraient avoir un impact. Il est évident que, s'il y a moins de travailleurs irréguliers, et même si 50 % seulement font appel à l'AME, le nombre de prestataires sera réduit !

Nous ne proposons pas de supprimer l'AME, monsieur Bilhac : nous proposons de la transformer en aide médicale d'urgence. Supprimer 410 millions d'euros, c'est simplement s'aligner sur la moyenne européenne. La France a, une nouvelle fois, été très généreuse. Au reste, les propositions qui ont été adoptées au Sénat sont en phase avec ce qui se fait dans les autres pays européens, comme l'Allemagne, le Royaume-Uni ou le Danemark, lesquels ne sont pas des pays inhumains qui repoussent les immigrés !

Cette évolution est raisonnable si l'on veut retrouver la maîtrise de nos finances publiques. C'est dans ce sens qu'il faut aller.

S'agissant de la dynamique des dépenses, cher Victorin Lurel, ce sont les sommes inscrites au début de l'année dernière qui connaissent une baisse de 0,33 %, mais les réalisations de 2023 devraient être inférieures à ce qui avait été inscrit. Ce sont 65,8 millions d'euros qui vont être annulés.

J'ai comparé le budget inscrit pour 2024 avec ce que l'on envisage de réaliser pour 2023 : c'est ainsi que l'on trouve 5,4 % d'augmentation. Ce n'est tout de même pas négligeable ! Et que l'on se mette en accord avec ce que l'on a voté sur le projet de loi « Immigration » en cours de discussion me paraît aussi assez logique.

Je vous rappelle enfin qu'un rapport de l'Igas de 2019 constatait l'existence d'une immigration pour soins. On ne saurait donc nier celle-ci, même si elle ne concerne pas la totalité des 411 000 personnes qui profitent des prestations de l'AME.

Mon cher collègue Christian Klinger, malheureusement, rien n'a changé concernant la dépakine et l'Oniam, ni le temps d'étude des dossiers ni la dotation budgétée sur la mission « Santé ». Je suis désolé de ne pouvoir vous rassurer sur ce sujet.

Article 35

M. Claude Raynal, président. - L'amendement FINC.1 a pour objet de diminuer de 410 millions d'euros les autorisations d'engagement et les crédits de paiement de l'action « Aide médicale de l'État » du programme 183.

L'amendement FINC.1 est adopté.

M. Claude Raynal, président. - L'amendement FINC.2 vise à prévoir 5 millions d'euros dans le cadre d'un nouveau programme « Sécurisation de la carte Vitale ».

L'amendement FINC.2 est adopté.

La commission décide de proposer au Sénat d'adopter les crédits de la mission « Santé », sous réserve de l'adoption de ses amendements.

Projet de loi de finances pour 2024 - Mission « Régimes sociaux et de retraite » et compte d'affectation spéciale « Pensions » - Examen du rapport spécial

Mme Sylvie Vermeillet, rapporteure spéciale de la mission « Régimes sociaux et de retraite » et du compte d'affectation spéciale « Pensions ». - Mes chers collègues, comme chaque année, je vais vous présenter conjointement les crédits de la mission « Régimes sociaux et de retraite » et ceux du compte d'affectation spéciale (CAS) « Pensions », qui représentent, à eux deux, un montant global de 74 milliards d'euros de crédits pour 2024. Ils constituent les dépenses auxquelles le budget de l'État doit faire face en matière de pensions de retraite, soit directement, envers les fonctionnaires civils et militaires, pour 67,6 milliards d'euros, soit indirectement, en apportant une subvention d'équilibre à certains régimes spéciaux déficitaires, pour 6,2 milliards d'euros.

L'année 2024 est une année particulière, dès lors qu'elle est la première de pleine application de la réforme paramétrique des retraites de 2023, votée, dans les conditions que nous avons tous à l'esprit, au printemps dernier et entrée en vigueur à compter du 1er septembre 2023. Cette réforme ne suffira pas à équilibrer à moyen terme notre système de retraite.

En effet, les projections actualisées publiées par le Conseil d'orientation des retraites (COR) en juin dernier sont très nettes : si le recul de l'âge de départ permettra, à moyen terme, de limiter le flux des départs en retraite, cet effet ne suffira pas à compenser la hausse des dépenses de retraite, qui devrait se traduire, selon les projections du COR, par un déficit de 0,3 % du PIB du système de retraite à l'horizon 2027.

En ce qui concerne la mission « Régimes sociaux et de retraite », les crédits proposés pour la mission atteindraient 6,2 milliards d'euros, fléchés, à plus de 70 %, vers les régimes de retraite spéciaux des agents de la SNCF et de la RATP. Ils couvrent aussi les besoins des régimes des marins, des employés des mines, de la Seita, ainsi que, depuis cette année, les régimes de l'Opéra de Paris et de la Comédie-Française, ce qui satisfait l'une de mes demandes de l'an passé.

La hausse de 1,5 % des crédits demandés pour la mission illustre le déficit croissant de ces régimes spéciaux, qui connaissent une situation démographique dégradée et qui doivent faire face à la hausse des pensions moyennes versées sous l'effet de l'allongement des carrières des nouveaux pensionnés. Pour exemple, la SNCF compte 115 000 cotisants pour 235 000 pensionnés.

Cependant, la réforme paramétrique n'a pas d'effet significatif sur les dépenses des régimes de la SNCF et de la RATP, dès lors que le Gouvernement a prévu qu'elle n'entrerait pas en vigueur avant le 1er janvier 2025 pour ces deux régimes.

Au-delà de cette dynamique, qui poursuit la tendance engagée depuis plusieurs années, la réforme de 2023 a également eu pour effet de fermer aux nouveaux entrants le régime de la RATP à compter du 1er septembre 2023. Depuis cette date, les nouveaux agents de la RATP sont affiliés au régime général. Cependant, la caisse de retraite de la RATP reste responsable du paiement et de la liquidation des cotisants, qui étaient affiliés au régime avant sa fermeture, et la date d'extinction effective du régime devrait intervenir aux alentours de 2116 - l'ouverture à la concurrence sera passée par là...

L'incidence sur la forme ne sera pas neutre, car, à l'article 9 du projet de loi de financement de la sécurité sociale, qui a été adopté par « 49 3 » à l'Assemblée nationale, le Gouvernement propose une refonte du schéma de financement des régimes sociaux fermés. Dans ce schéma, l'ensemble des régimes spéciaux fermés, dont ceux de la SNCF et de la RATP, mais également tous les régimes fermés de la mission « Régimes sociaux et de retraite », seraient intégrés financièrement à la Caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav).

Par conséquent, l'État ne verserait plus annuellement une subvention d'équilibre pour ces régimes, mais affecterait au régime général une fraction de TVA ayant pour objet de compenser globalement les charges associées à ces subventions d'équilibre.

Cette nouvelle architecture de financement, qui entrerait en vigueur dès 2025 et aurait pour conséquence de vider la mission « Régimes sociaux et de retraite » de 87 % de ses crédits, soulève deux préoccupations majeures.

Premièrement, l'architecture proposée réduit - pour ne pas dire « supprime » - la lisibilité du financement des régimes spéciaux, car elle fait disparaître les subventions annuelles versées par l'État à chacun de ces régimes, qui permettaient d'identifier clairement la part des dépenses de ces régimes payée par la solidarité nationale.

Deuxièmement, l'architecture proposée a pour effet de dessaisir le Parlement, et singulièrement notre commission, de sa mission de vote annuel et de contrôle sur ces subventions d'équilibre. Demain, avec l'adoption du nouveau schéma de financement, l'examen annuel des crédits disparaîtra, au profit d'un vote unique sur la fraction de TVA affectée au régime général.

Il me paraît important de développer devant vous ces éléments, qui pourraient avoir rapidement des conséquences sur la maquette budgétaire de la mission. Cependant, l'adoption de ce schéma de financement relève du projet de loi de financement de la sécurité sociale, et non du projet de loi de finances. Je vous propose donc d'adopter les crédits proposés pour 2024, qui seront en tout état de cause nécessaires pour verser aux régimes spéciaux concernés leur subvention d'équilibre.

Dans un second temps, nous examinons les crédits proposés pour le CAS « Pensions ». Les contributions ministérielles à ce compte d'affectation spéciale vont inéluctablement augmenter dans les prochaines années.

Comme l'ensemble des régimes de retraite, le régime de la fonction publique se trouve dans une conjoncture particulièrement délicate, qui est le résultat de deux facteurs. D'un côté, il connaît une hausse très dynamique de ses dépenses, du fait de l'indexation des pensions sur l'inflation, qui se traduira par une revalorisation prévue de 5,3 % en janvier 2024. De l'autre, la hausse de ces recettes est limitée par le fait que les rémunérations publiques ne sont pas aussi dynamiques que l'inflation et que leur rythme de croissance devrait être de 1,8 % seulement en 2024.

Le résultat de ces deux tendances est un déficit croissant pour le CAS « Pensions », dont le déficit atteindra 2,5 milliards d'euros en 2024 et est estimé à 4,6 milliards d'euros pour 2026.

Le creusement du déficit du régime des retraites de l'État aura des conséquences sur l'ensemble des missions du budget général. En effet, en application d'une règle de bonne gestion inscrite dans la loi organique relative aux lois de finances (Lolf) en 2001, le solde cumulé du CAS « Pensions » doit obligatoirement être équilibré à tout moment. Excédentaire de 9,5 milliards d'euros en 2021, le solde cumulé du CAS « Pensions » n'a cessé de décroître en raison du niveau moyen des pensions servies, en hausse, et du nombre de cotisants, en baisse. Dans les projections actuelles, ce solde cumulé risquerait de devenir négatif dès 2026.

Par conséquent, le Gouvernement sera forcé de réagir pour augmenter les recettes du régime. L'hypothèse la plus probable, sauf à imaginer une désindexation des pensions publiques, est celle d'une hausse par le Gouvernement du taux de contribution de l'État employeur, c'est-à-dire de la part des crédits prise dans chacun des ministères sur les dépenses de personnel pour alimenter le CAS « Pensions ». Le taux de contribution de l'État employeur, qui est aujourd'hui de 74,28 % pour la fonction publique d'État et de 126,07 % pour les militaires, ne doit pas être comparé avec le taux moyen de cotisations patronales du régime général. Il est celui qui permet d'équilibrer les besoins de pensions au regard de la masse des traitements indiciaires, intégrant en cela le déséquilibre démographique entre le nombre de pensionnés et le nombre d'actifs.

La nécessaire hausse du taux de contribution de l'État employeur, qui devra couvrir les déficits du régime pour respecter la règle organique que j'ai mentionnée, aura une traduction très concrète dans l'augmentation des crédits des missions que nous examinons tous successivement, comme rapporteurs spéciaux.

Eu égard au montant des déficits estimé en 2026, il faudra donc répartir une hausse de crédits de l'ordre de 4,5 milliards d'euros entre les missions du budget, ce qui pourrait avoir des conséquences sur l'activité des ministères concernés et sur le respect des différentes lois de programmation.

Étant donné la proximité de l'échéance et l'importance des enjeux budgétaires de cette question, je regrette que les interlocuteurs de l'administration que j'ai auditionnés n'aient pu me transmettre d'hypothèse précise et chiffrée sur le montant de la hausse envisagée du taux de contribution de l'État employeur. Cette question reste donc très largement ouverte, et je nous invite collectivement à être attentifs à la manière dont le Gouvernement entend équilibrer, dans les années à venir, le régime des fonctionnaires de l'État et le CAS « Pensions ».

Au bénéfice de ces observations, et dans la mesure où les crédits du CAS « Pensions », comme ceux de la mission « Régimes sociaux et de retraite », ont pour objet de verser des pensions à des ayants droit, je vous propose, mes chers collègues, d'adopter, sans les modifier, les crédits de la mission et du compte d'affectation spéciale.

Mme Pascale Gruny, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales sur la mission « Régimes sociaux et de retraite ». - Je suis complètement d'accord avec madame Vermeillet.

Le régime est in fine équilibré par l'État, bien qu'il soit déséquilibré démographiquement. Je trouve donc assez étonnant que le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) transfère au régime général les gains tirés de la réforme des retraites pour le régime des fonctionnaires.

Reprenant, cette année, la branche vieillesse, j'ai participé à l'audition des dirigeants du service des retraites de l'État pour la première fois. Je peux vous dire que je n'ai senti aucune volonté de transparence ! Je pense que Sylvie Vermeillet a eu le même ressenti. Les réponses qui nous ont été données étaient tellement confuses qu'il nous est impossible d'avoir une vision claire sur les ajustements paramétriques qui seront rendus nécessaires par la conjoncture.

S'agissant de l'adossement au régime général des régimes spéciaux fermés, qui va entraîner une perte de visibilité sur la part de leurs ressources que finance le contribuable, je vous proposerai, dans le cadre du PLFSS, un amendement sur le sujet.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Merci, madame la rapporteure spéciale. Il est vrai que ce sujet reste assez opaque !

Nous allons essayer d'évaluer par anticipation pour mieux comprendre ce que l'administration ne nous aide pas à comprendre. Nous devrons réfléchir à ce que nous inscrirons à notre programme de travail sur ce sujet du CAS « Pensions », qui n'est pas une mince affaire, loin de là - je renvoie au dernier débat que nous avons eu sur les retraites...

Je pense que cela nécessitera une fine expertise. Je devine que madame la rapporteure spéciale s'y attellera avec plaisir et pugnacité !

M. Victorin Lurel. - Merci, chère collègue, pour ce rapport.

Nous avons voté une réforme des retraites au radar et à l'aveuglette. Nous découvrons aujourd'hui les conséquences, qui auraient pu être anticipées, d'une loi mauvaise, à tout le moins peu opportune.

Quand on tente de comprendre à quel horizon prévisionnel l'équilibre serait assuré, c'est le noir total ! J'avoue que je suis assez estomaqué par le dernier graphique de votre document de synthèse : l'État devrait, d'ici à quelques années, verser une subvention d'équilibre fictive de 39 milliards d'euros pour la fonction publique d'État - si j'ai bien compris, toutes choses égales par ailleurs, c'est-à-dire sans modification du taux de contribution de l'État employeur. Pourriez-vous m'éclairer ?

M. Vincent Delahaye. - Merci à notre rapporteure spéciale. Il est vrai que le sujet est assez compliqué...

Je souscris aux propos de Pascale Gruny : dès que l'on cherche à creuser un peu - c'est vrai s'agissant d'un certain nombre de missions -, on a du mal à obtenir des informations claires, lisibles, compréhensibles par tous.

Je reviens à mon tour sur le dernier schéma de la note de synthèse, qui a attiré mon attention, parce qu'il retrace des cotisations patronales et une subvention d'équilibre fictives. Les cotisations salariales, ce sont les cotisations des fonctionnaires d'État actuels, et, 7 milliards d'euros représentent 12,5% de 56 milliards d'euros, ce qui signifie que l'État assure 87 % du financement. J'ai cru entendre que les taux de cotisations annoncés n'étaient pas comparables aux taux des entreprises. À combien s'élèvent ces derniers ? Pour ma part, il me semblerait normal que l'État employeur utilise le même taux de cotisations que celui des entreprises, la subvention complémentaire venant s'ajouter. J'ignore quel montant cela représente au total.

Le tableau date de 2021. J'imagine que la rapporteure spéciale n'a pu avoir d'actualisation pour 2023 ni, à plus forte raison, pour 2024, mais, comme les choses évoluent assez vite, il serait intéressant que l'administration le mette à jour chaque année, même si la maquette change - en tant que rapporteur pour avis du PLFSS, cela m'intéresse tout particulièrement.

Mme Sylvie Vermeillet, rapporteure spéciale. - Comme l'a dit Pascale Gruny, il est toujours compliqué d'obtenir des réponses du côté de l'administration. À la vérité, ce que je sens, au fil des années, c'est un manque d'anticipation.

Nous nous préoccupons des évolutions, qui sont importantes - le budget s'élève tout de même à 74 milliards d'euros ! Tant que le CAS « Pensions » était très excédentaire - 9,5 milliards d'euros en 2021 -, tout allait bien. Or il s'est mis à être structurellement déficitaire. Nous avons alerté sur cette évolution, ainsi que sur la nécessité de faire quelque chose.

Il est vrai que, lors des auditions de cette année, nous avons eu le sentiment que les projections sur le relèvement du taux de contribution de l'État employeur, à l'horizon 2026 vraisemblablement, n'avaient pas été réalisées. Le manque d'anticipation est criant.

Monsieur le rapporteur général, oui, la question des retraites est un labyrinthe, et la lisibilité est d'autant plus nécessaire que la réforme va se traduire par un effacement des subventions d'équilibre en direction des régimes spéciaux, au profit d'une fraction de TVA. Je crains que cela ne conduise à ce que nous disposions de moins de détails sur les évolutions.

Bien évidemment, il est nécessaire de continuer à garder de la lisibilité afin de connaître l'effort de la solidarité nationale pour chaque régime spécial, effort rendu nécessaire par les déséquilibres démographiques, mais pas seulement.

Enfin, depuis cette année, les régimes de la Comédie-Française et de l'Opéra sont intégrés, pour la première fois, dans le périmètre de cette mission. C'est très bien ! Pour ce qui concerne la Comédie-Française, il y a 347 cotisants pour 439 pensionnés. Le tout-petit déséquilibre démographique requiert une contribution de l'État de 5 millions d'euros annuels. À l'Opéra de Paris, on compte 1 859 cotisants pour 1 829 pensionnés. Il n'y a pas de déséquilibre démographique, mais, compte tenu de la durée de cotisation, il existe un vrai régime spécial, qui nécessite 19 millions de compensations par l'État.

On pourrait évidemment parler plus dans le détail du régime de la SNCF, dont la fermeture, en 2020, n'a pas entraîné de perte de lisibilité. D'une part, la SNCF a mis en place un panel de cotisations différencié en deux blocs : les cotisations salariales et patronales. Ce que l'on appelle le « T1 » correspond au régime de droit commun - les salariés de la SNCF et l'employeur cotisent. Le « T2 » correspond aux dispositifs dérogatoires dont bénéficient les affiliés dans le cadre du régime de la SNCF. Lors de la fermeture du régime, la SNCF a conclu une convention avec la Cnav et avec Agirc-Arrco, qui encaissent les cotisations des nouveaux entrants, alors que la SNCF continue à verser les pensions des retraités affiliés au régime. Cela a pris un peu de temps, mais on y est arrivé... On aurait presque voulu que cela existe pour les autres régimes !

Je crains notamment que la fermeture du régime de la RATP ne conduise à une dilution encore plus grande, surtout avec l'ouverture à la concurrence au 1er janvier 2025, pour les bus, puis les métros à une date ultérieure. Je redoute que l'on ne perde la lisibilité existante, alors que chacun doit être informé de l'effort de la contribution nationale envers tous ces régimes spéciaux.

Monsieur le rapporteur général, il y a beaucoup à dire sur la lisibilité. Les retraites, c'est 361 milliards d'euros au total. Là, je ne parle que des 74 milliards d'euros qui concernent l'État ! Pour nous guider dans ce labyrinthe, il faudrait que les taxes affectées soient ajoutées dans le périmètre de la mission. De fait, le régime des industries électriques et gazières auquel on met fin est alimenté par des taxes affectées. Le montant des taxes affectées par l'État au financement des régimes spéciaux atteint au total 5,4 milliards d'euros.

Si l'on ajoute de la complexité à un schéma déjà bien assez compliqué comme cela, le Parlement aura beaucoup de mal à contrôler quoi que ce soit.

Monsieur Lurel, on prévoit, sur le CAS « Pensions », un déficit de 2,5 milliards d'euros en 2024. Ce déficit va amputer le solde cumulé, lequel s'établissait à 9,5 milliards d'euros en 2021. En 2026, le solde cumulé sera de -2,4 milliards d'euros.

Dans un premier temps, la réforme des retraites atténuera les dépenses, puisque les fonctionnaires prendront leur retraite un peu plus tard, mais, à long terme, il faut s'attendre à une bombe à retardement, car le niveau moyen des pensions qui seront servies à l'avenir sera plus élevé, du fait que les fonctionnaires travailleront plus longtemps. À partir de 2045, on estime que la réforme engendrera des surcoûts pour le régime.

Monsieur Delahaye, les cotisations salariales des fonctionnaires sont de 11,1 %. Ce sont quasiment les mêmes dans la fonction publique que dans le régime général. Nous avons retenu des cotisations patronales fictives à 10 milliards d'euros, qui correspondent à l'application du taux patronal du régime général. Le Gouvernement calcule le montant des dépenses de pensions à honorer, le montant des cotisations salariales à défalquer, et le taux de contribution de l'État employeur est fixé de manière à équilibrer le CAS.

Le taux de cotisations patronales est de 74 % pour la fonction publique d'État, quand la cotisation patronale vieillesse dans le régime privé s'établit à 16,46 %. Pour les militaires, le taux est de 126 %. Jusqu'à présent, le taux suffisait à honorer l'ensemble des pensions, mais cette situation ne va plus durer. Le Gouvernement devra décider de rehausser ce taux d'ici à 2026. Cette hausse va forcément faire mal ! On a beau dire qu'un CAS « Pensions » n'a pas de traduction financière, les retraites ont un coût, et ce coût aura une traduction dans les budgets de chaque ministère, a priori dès 2026. La nécessité de trouver une solution sur le taux employeur coûtera donc nécessairement de l'argent à l'État.

J'espère avoir été assez claire car je sais que le sujet est compliqué !

M. Claude Raynal, président. - C'est en effet complexe, mais nous avons bien compris l'essentiel : comme d'habitude, cela ne va pas dans le bon sens.

Mme Pascale Gruny, rapporteur pour avis. - Pour tenir compte des règles de la recevabilité financière, je précise que je proposerai un amendement au PLFSS qui prendra la forme d'une demande de rapport sur les conséquences financières des compensations. Vous savez, monsieur le président, que j'aime beaucoup les rapports, que nous n'obtenons jamais d'ailleurs... Nous insisterons pour que celui-ci nous soit remis, du moins.

Je déposerai par ailleurs un autre amendement visant à refuser au Gouvernement la possibilité de geler les taux de la contribution tarifaire d'acheminement (CTA), supportée par le consommateur final d'énergie pour financer les droits spécifiques des assurés du régime des industries électriques et gazières, qui a vocation à s'éteindre progressivement, au même rythme que les droits qu'elle finance.

La commission décide de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, les crédits de la mission « Régimes sociaux et de retraite » et du compte d'affectation spéciale « Pensions ».

Projet de loi de finances pour 2024 - Mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural » - Examen du rapport spécial

M. Christian Klinger, rapporteur spécial de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et du compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural ». - Il faut bien reconnaître que les enjeux couverts par la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales », et par le compte d'affectation spéciale (CAS) « Développement agricole et rural » (DAR), qui y est rattaché, sont particulièrement transversaux.

Entre la concurrence économique, les conséquences de la situation géopolitique mondiale, le réchauffement climatique, le manque d'attractivité d'une partie des professions agricoles, les crises sanitaires successives, les handicaps propres à la ruralité, le recul de notre souveraineté alimentaire, la nécessité de mettre la recherche au service de l'innovation agricole et j'en passe, c'est peu dire que presque toutes les politiques publiques sont concernées par cette mission. Dès lors, seul un volontarisme politique fort peut contribuer au renouvellement de l'agriculture française.

Or, ces dernières années, ce volontarisme politique a fait défaut sur le plan budgétaire. Alors que, régulièrement, notre assemblée tirait la sonnette d'alarme sur la situation du monde agricole, les gouvernements successifs se sont entêtés à sous-dimensionner le budget de l'agriculture, ce qui avait probablement conduit à rejeter, l'an dernier, les crédits de la mission.

Il faut croire que nous avons davantage été entendus cette année, puisque le total des concours publics consacrés à l'agriculture, l'alimentation et la forêt atteindra 25,5 milliards d'euros en 2024.

J'inclus dans ce montant 9,4 milliards d'euros de cofinancements européens, 8,5 milliards d'euros de dispositifs fiscaux et sociaux, ainsi que les crédits de la présente mission, revalorisés de 38 % par rapport à l'an dernier, pour atteindre 5,3 milliards d'euros en autorisations d'engagement.

Présenté ainsi, vous pourriez avoir le sentiment d'un « quoiqu'il en coûte agricole », mais je tiens à rassurer la commission des finances : en dehors de nouvelles actions supplémentaires destinées à verdir le budget, et si l'on fait abstraction des quelques compétences transférées aux régions, le Gouvernement présente finalement un projet de budget proche de l'exécution moyenne des derniers exercices.

Le budget 2024 apparaît plus près des besoins réels que par le passé, en tenant compte notamment des aléas, qui n'ont paradoxalement plus rien d'aléatoire. Il faut y voir un rattrapage du sous-dimensionnement antérieur, ainsi que l'occasion, peut-être, de porter de nouvelles ambitions.

L'effort budgétaire est donc important concernant la question du verdissement et sur les moyens de contrôler, à l'avenir, les nouvelles règles en place. En revanche, il est plus inégal sur d'autres grands postes de dépenses.

D'abord, on constate que, en matière agricole comme ailleurs, l'État a tendance à transférer aux collectivités des compétences qui ne sont pas durablement assorties de moyens correspondants. Je fais confiance aux régions pour gérer les aides à l'installation si on leur en donne les moyens. En revanche, je constate que l'État se désengage rapidement de politiques jusqu'alors nationales, puisque l'action qui portait la dotation jeunes agriculteurs (DJA) ainsi que diverses aides à l'installation sera dotée de 123 millions d'euros, contre 172 millions d'euros jusqu'alors.

Sur le premier exercice budgétaire, cela devrait être neutre. En revanche, sur les suivants, nous serons très attentifs, en tant que rapporteurs spéciaux, à la question des moyens conférés aux régions et, plus généralement, au contenu du pacte et du projet de loi d'orientation et d'avenir agricoles, pour lequel les attentes sont fortes pour rendre au secteur son attractivité. Nous avons d'ailleurs eu récemment l'occasion d'aborder l'une des composantes de cette attractivité, à savoir l'accès au foncier.

Lors des auditions que nous avons organisées, en commun avec nos trois collègues de la commission des affaires économiques, nous avons eu le sentiment que les attentes du secteur agricole tournaient davantage autour de questions qui ne relèvent finalement qu'indirectement de la mission, que ce soit la lutte contre la concurrence déloyale, l'adéquation entre la fiscalité d'entreprises et les objectifs poursuivis, ou encore la question des revenus agricoles.

En revanche, l'objectivité commande de reconnaître un réel effort budgétaire, consenti ou maintenu, sur d'autres dispositifs, en particulier ceux qui sont consacrés aux travailleurs agricoles - c'est l'un des points qu'abordera Victorin Lurel.

M. Victorin Lurel, rapporteur spécial de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et du compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural ». -, Mes chers collègues je me satisfais partiellement des nouvelles orientations de cette mission. Dans le rapport, nous mettons en avant, entre autres, deux aspects positifs de ce budget 2024. Premièrement, les moyens en personnel sont consolidés, sans toutefois exploser, afin que le ministère puisse assumer ses nombreuses missions de contrôle - écologique, sanitaire, alimentaire, préventif... La liste est longue. Les dépenses en personnel sont ainsi en augmentation de 4,5 %. Au regard des missions et compte tenu des critères exogènes qui conduisent à la hausse des frais de personnel, il s'agit d'une augmentation nécessaire, mais finalement mesurée.

Deuxièmement, certains dispositifs favorables aux travailleurs sont consolidés. L'agriculture est un secteur très concurrentiel et, si l'on n'adapte pas nos règles, on favorisera une certaine précarisation. L'exonération de certaines charges ou cotisations dont bénéficient 71 000 entreprises - soit à peu près la moitié des structures agricoles employant un salarié - assure le maintien de 31 % du volume global des heures salariées dans le secteur agricole, tout en donnant lieu à compensation à la Mutualité sociale agricole (MSA). C'est l'un des moyens de lutter contre le travail illégal et les conséquences qu'il entraîne, en particulier pour les emplois à faible valeur ajoutée. C'est également un point auquel je prête évidemment une attention particulière dans les outre-mer, car le salariat agricole y joue un rôle central.

Notre proposition finale consistera en l'adoption des crédits, sans amendement à ce stade, du fait d'un bilan coût-avantages positif résultant des nouveaux moyens. Cela ne nous empêchera pas, ensuite, de soutenir des amendements.

Vous noterez, à la lecture du rapport, que nous précisons le fonctionnement de certains dispositifs, comme le régime spécifique d'approvisionnement, l'aide à la transformation du programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité (Poséi), ou encore les soutiens à des filières comme la canne à sucre ou la banane. Ce n'est sans doute pas étranger à des positions que mon groupe politique pourra porter.

Reste à souligner deux caractéristiques du budget. La première, que précisera Christian Klinger, porte sur le verdissement. Quelle que soit notre position politique, il nous semble aujourd'hui impossible de rejeter les moyens supplémentaires consacrés à la transition écologique du secteur agricole.

M. Christian Klinger, rapporteur spécial. - La mission « Agriculture » du PLF 2024 contribue particulièrement au verdissement du budget. Certes, toute l'agriculture ne peut pas s'organiser en fonction de la transition écologique, mais nous ne pouvons plus faire l'économie de politiques adaptées et soutenues par l'État. Deux des programmes de la mission comprendront désormais une action « Planification écologique ».

Sans être exhaustif, je note que des sous-actions sont consacrées au soutien au renouvellement forestier, pour 250 millions d'euros, au dynamisme du lien bois-matériaux, à hauteur de 200 millions d'euros, mais également que 15 millions d'euros sont alloués à la préservation de la forêt en Guyane, 110 millions d'euros au financement d'un « plan haies », 80 millions d'euros à la stratégie de décarbonation, tandis que 65 millions d'euros porteront un « plan protéine » visant à structurer davantage les recherches sur les protéines végétales. En outre, 20 millions d'euros seront consacrés à la réalisation d'un bilan carbone au moment de la transmission des exploitations. Enfin, la nouvelle action dédiée à la planification écologique du programme 206 permettra de consacrer 250 millions d'euros à la réduction de l'utilisation des produits phytosanitaires.

En tout, 1,25 milliard d'euros supplémentaires sont donc inscrits dans le programme pour verdir l'agriculture, ce qui me semble, tout comme le renouvellement des générations, la possibilité de vivre dignement des métiers agricoles ou l'adéquation de la fiscalité aux objectifs poursuivis, un objectif louable.

M. Victorin Lurel, rapporteur spécial. - Nous développons, dans le rapport, le rôle crucial des dix opérateurs rattachés à la mission. La plupart d'entre eux voient leurs moyens consolidés, car ils jouent un rôle en matière de développement durable. Je ne citerai que l'Office national des forêts (ONF), dont je ne me satisfait pas des moyens que je juge encore insuffisants, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) ou encore l'Office de développement de l'économie agricole d'outre-mer (Odéadom).

La dernière caractéristique des crédits que nous avons examinés porte sur le compte d'affectation spéciale « développement agricole et rural ». Dès lors que l'on parle de « compte d'affectation spéciale », le débat pourrait apparaître comme celui de techniciens, mais nous souhaitons, comme nos prédécesseurs, vous soumettre cette question de principe.

Précisons d'abord que les objectifs visés par les deux programmes de ce compte ne souffrent d'aucune remise en cause. Qu'il s'agisse de concevoir des systèmes agricoles plus innovants et performants ou de favoriser l'émergence de projets contribuant à des diffusions de compétences en matière agricole, les ambitions portées relèvent sans nul doute de la politique publique que nous détaillons. En revanche, le fait de porter ces crédits sur un compte d'affectation spéciale plutôt que sur le budget général nous semble critiquable. D'abord, en raison de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf), tous les types de comptes spéciaux doivent présenter un lien direct entre les recettes et les dépenses. Or, la Cour des comptes souligne que ce lien s'est progressivement étiolé dans le CAS DAR.

Par ailleurs, le différentiel entre les recettes et les dépenses se creuse année après année. Le plafond de dépenses du CAS a, certes, été rehaussé de 15 millions d'euros en 2024, pour atteindre 141 millions d'euros, mais c'est un montant qui devrait, malgré tout, rester inférieur aux recettes, générées uniquement par la taxe sur le chiffre d'affaires des exploitants agricoles. Ce différentiel a conduit le compte à présenter un solde comptable positif, en cumulé, de 121,09 millions d'euros fin 2022, et ce solde représentera bientôt l'équivalent d'une année de dépenses.

De plus, comme le souligne régulièrement la Cour des comptes, le CAS DAR déroge en tous points aux principes d'annualité et d'universalité budgétaires auxquels il est en théorie soumis, par la pratique systématique et massive des reports de crédits, et parce que des politiques qui devraient en relever sont isolées du budget général. Nous notons, avec un étonnement relatif, la contradiction qui consiste à conférer au programme 776 une mission d'appui à la « souveraineté alimentaire », alors même que c'est une politique publique d'autant plus générale qu'elle figure depuis 2022 dans l'intitulé même du ministère. Nous préconisons donc une réflexion sur la rebudgétisation du compte.

Si nous avons insisté sur les facteurs d'amélioration, le nouveau dimensionnement des crédits et la tentative, même timide, de réorienter budgétairement la politique agricole française, nous incitent à préconiser l'adoption des crédits de la mission et du compte d'affectation spéciale.|

M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques sur la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et le compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural ». - Une fois n'est pas coutume, nous souscrivons à ce budget - comment ne pas être d'accord avec l'augmentation de plus de 1,3 milliard d'euros en 2024, et 750 millions d'euros en crédits de paiement (CP) sur la même année ? Cependant, nous avons plusieurs réserves marquées, que je développerai en quatre grands points.

Avant cela, j'apprécie que, pour une fois, nous n'ayons pas à nous battre pour conserver certaines lignes, habituellement critiquées. Je pense, par exemple, aux travailleurs occasionnels-demandeurs d'emploi (TO-DE) ou encore au CAS DAR lui-même, dont la suppression a maintes fois été évoquée par le passé. Une alerte importante a toutefois été faite sur la hausse du taux d'accis sur le gazole non routier (GNR), compensé pour partie par des mesures fiscales en faveur de l'agriculture, qui, je le rappelle au passage, ont été reprises de la proposition de loi Compétitivité, - elles avaient été diminuées par la commission des finances, pour finalement être reprises par le Gouvernement dans leur version initiale.

J'en reviens aux quatre réserves que j'évoquais, qui correspondent malheureusement à la politique du Gouvernement, c'est-à-dire à beaucoup de communication et à une dépense excessive.

Premièrement, nos réserves concernent le plan France 2030, qui, certes, est en dehors du périmètre de la mission, mais qu'il importe de mentionner puisqu'il consacre 2,9 milliards d'euros à l'agriculture et à la forêt sur cinq ans. Notre étonnement est lié à l'utilisation de cette somme, puisque seulement 17 % de son montant ont été engagés à mi-parcours. Il va falloir aller très vite sur la fin, sans quoi nous risquons une déconvenue sur la consommation des crédits.

Deuxièmement, je veux évoquer le fonds « entrepreneurs du vivant », annoncé à grand renfort de communications par le ministre de l'agriculture et le Président de la République, doté de 400 millions d'euros, dont à peu près 15 % seraient consacrés au foncier, sans que l'on comprenne très bien à quoi cette somme servira, si ce n'est à un fonds de portage foncier ou à une aide au groupement foncier agricole d'épargnants (GFAE) - en tout état de cause rien de très précis ni de très correct pour appuyer la transmission et l'installation des jeunes agriculteurs ou du moins favoriser les entrepreneurs du vivant.

Troisièmement, l'augmentation du budget s'explique en totalité par « la planification écologique », soit plus de 1,3 milliard d'euros, qu'il serait bien d'expliquer plus dans le détail pour les représentants du peuple... Par exemple, on nous explique que l'on consacre 150 millions d'euros aux haies pour planter 50 000 kilomètres de haies. En clair, nous ne disposons que de trop peu d'explications et, surtout, de très peu d'éléments d'appréciation, et d'aucun élément de mesure permettant de vérifier si l'utilisation des moyens correspond bien aux objectifs fixés - de fait, nous ne pouvons même pas réellement connaître les objectifs de départ. Au final, nous sommes amenés à voter un budget totalement à l'aveugle et, comme la majorité l'approuve, nous devons la suivre.

Enfin, ma quatrième réserve concerne le plan Écophyto, qui, selon moi, se trompe d'objectif. Celui-ci s'appuie, au départ, sur un principe simple : réduire le volume des produits phytosanitaires. Or, aujourd'hui, nous tentons, de façon dogmatique, de réduire, non pas les volumes, mais le nombre de molécules phytosanitaires. Si l'on peut se féliciter, dans ce domaine, de la réussite depuis 2008 des fermes Dephy, nous peinons malheureusement à les vulgariser auprès des agriculteurs. Je pense à l'augmentation de 37 millions d'euros cette année de la redevance pour pollution diffuse - elle atteindra 217 millions d'euros -, alors que l'on demande aux agriculteurs d'être plus compétitifs, mais aussi à la hausse de 10 millions d'euros de la redevance eau, en décalage avec les évolutions du climat. Si l'on voulait réorienter correctement les 250 millions d'euros destinés à la réduction des phytos, il faudrait inciter les agriculteurs à investir dans du matériel innovant capable de diminuer drastiquement les volumes. Des techniques basées sur l'intelligence artificielle existent déjà et permettent, dans certaines cultures, de diminuer jusqu'à 80 % les volumes de phytos, mais, comme ce n'est pas l'objectif que nous visons, bien que ce soit celui qui est affiché, les chemins que nous prenons ne sont, par définition, pas les bons.

M. Franck Menonville, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques sur la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et le compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural » - La forêt n'est pas en reste et figure au coeur du budget de cette mission, puisqu'elle bénéficie de 509 millions d'euros en autorisations d'engagement et de 359 millions d'euros en CP de la planification écologique, pérennisant ainsi, en particulier, le soutien au renouvellement forestier, engagé dans le plan de relance et relayé par France 2030.

C'est un effort financier important, nécessaire, qui doit être salué, mais, assurément, il n'est pas de trop, tant la forêt française souffre et a souffert, ces dernières années, notamment en raison des dépérissements liés aux scolytes et à la crise sanitaire. À titre d'exemple, l'ONF a évoqué, lors des auditions, une division par deux du puits de carbone en dix ans, à cause des sécheresses à répétition et alors même que la forêt progresse.

Afin de ne pas être redondants avec le travail des rapporteurs spéciaux, nous avons souhaité réaliser deux focus sur ce thème de la forêt. Le premier porte sur un inventaire forestier outre-mer, le second sur les moyens de l'ONF et du Centre national de la propriété forestière (CNPF) pour la bonne application de la loi du 10 juillet 2023 sur les feux de forêt.

S'agissant de l'inventaire forestier outre-mer, force est de reconnaître que le Gouvernement a enfin pris la mesure de l'enjeu, car il en finance l'amorçage parmi 15 millions d'euros de la planification écologique dédiés à la forêt outre-mer. Il était temps : rappelons que cette mesure a été votée dès 2014 dans la loi d'avenir et précisée à nouveau à travers les travaux du Sénat dans la loi Climat et résilience en 2021. Cependant, la réalisation d'un tel inventaire forestier prendra au minimum quatre ou cinq années, d'après l'Institut national de l'information géographique et forestière (IGN) et l'ONF, qui en seront les maîtres d'oeuvre. Or aucun des 24 équivalents temps plein (ETP) associés à cette hausse ne figure précisément dans le budget. Nous craignons que cela ne renvoie cet inventaire à l'horizon 2030, alors que nous en aurions un besoin crucial au plus vite, surtout quand on sait que la forêt guyanaise stocke, à elle seule, autant de carbone que la forêt hexagonale. Nous appelons le Gouvernement à accélérer la cadence et à clarifier les ambitions affichées en termes de moyens humains.

Pour ce qui concerne les moyens des deux établissements publics chargés de la forêt, dans la lignée des travaux de nos collègues Anne-Catherine Loisier, Olivier Rietmann, Jean Bacci et Pascal Martin sur les feux de forêt, notre diagnostic, encore en cours d'affinage, est qu'il faudrait 15 ETP de plus pour le CNPF en 2024, quand le budget n'en prévoit que 5, et au moins une stabilisation durable des effectifs pour l'ONF jusqu'en 2025.

Nous proposerons donc un amendement en ce sens pour le CNPF, afin qu'il soit au niveau des nouvelles missions de la défense des forêts contre l'incendie (DFCI), mais également pour assurer le flux supplémentaire de documents de gestion durable de la forêt, puisque le seuil de 25 hectares a été ramené à 20 hectares.

Pour l'ONF, la suspension du schéma d'emplois a été une bouffée d'air frais, après des années de diminution des moyens. L'ONF comptait, voilà plus d'une dizaine d'années, plus de 12 500 employés ; ils ne sont aujourd'hui plus que 7 500. Plutôt que demander de nouveaux ETP, la priorité nous semble d'abord de garantir cette stabilisation durablement dans le temps, même si nous sentons aujourd'hui, au regard des moyens redéployés dans l'ONF, de véritables tensions sur les territoires. Il convient donc, parallèlement à ce budget, de veiller à la dynamique et à l'attractivité des entreprises de travaux forestiers, qui, aujourd'hui, rencontrent de grandes difficultés pour répondre aux besoins croissants des forêts, publiques comme privées.

M. Claude Raynal, président. - Merci, messieurs les rapporteurs pour avis, pour vos remarques.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je constate que le budget de l'agriculture suscite plus d'apaisement cette année.

Néanmoins, on ne peut rattraper le retard aussi vite qu'on le souhaiterait. Concernant la performance de la ferme France, nous sommes, en effet, encore loin de redonner à l'agriculture française toute son attractivité. Il faudrait continuer à travailler de la manière la plus harmonieuse possible, sans privilégier l'une ou l'autre des pratiques ou des productions agricoles.

J'entends, à ce propos, les remarques de M. Duplomb au sujet des produits phytosanitaires. Si l'on prend l'exemple de la jaunisse de la betterave, il est possible que les travaux de recherche phytosanitaire sur cette maladie ne soient pas au rendez-vous à l'horizon 2026. Prenons garde à ne pas handicaper nos agriculteurs et nos producteurs par rapport à leurs concurrents exerçant chez un certain nombre de nos partenaires et qui sont moins précautionneux.

Enfin, si le CAS DAR n'est pas un sujet de tension cette année, je note tout de même qu'une question reste en suspens sur sa compatibilité avec la Lolf. Pourrait-on formuler nous-mêmes des propositions sur cette question?

Sur tous ces sujets, nos deux commissions pourraient unir leurs efforts pour redonner de la vigueur, du dynamisme et de la performance à ce secteur, qui a longtemps fait la fierté de la France, y compris dans sa capacité exportatrice au niveau européen. Ce serait, il me semble, une bonne initiative, que je laisse le soin à nos rapporteurs respectifs d'étudier.

M. Stéphane Sautarel. -Votre rapport mentionne que l'État renforce les effectifs de certains de ses services, ce qui se traduit par une hausse des dépenses du titre 2. Quels seront l'impact de ce renforcement et son poids financier ?

Je veux également évoquer la gestion de l'ONF. Pour avoir participé dernièrement à une assemblée générale des communes forestières de mon département, de nombreuses insatisfactions nous sont remontées, sur le service lui-même, sur sa contractualisation, sur les prix et sur les conditions d'exploitation mises en place. Par-delà le renforcement du service, dont on peut se satisfaire, je voudrais m'assurer que ses moyens permettent bien d'accompagner nos territoires sur le terrain et de répondre aux enjeux de la forêt française et des communes forestières.

Mme Florence Blatrix Contat. - Je salue les moyens consacrés à la planification écologique. Les enjeux d'adaptation, mais aussi d'atténuation du réchauffement climatique sont essentiels pour l'agriculture.

Comme M. Menonville l'a rappelé, la forêt est en grande difficulté et ne satisfait plus à sa mission de puits de carbone. Je souscris, bien sûr, au budget supplémentaire dont bénéficient la gestion forestière et le renouvellement forestier. Toutefois, je tiens à souligner que, dans certaines régions, la gestion forestière est rendue difficile par un important morcellement forestier, lié à de multiples successions de parcelles, dont on ne sait plus très bien qui en sont les propriétaires - eux-mêmes, parfois, ne savent pas qu'ils le sont. Des crédits sont-ils prévus pour accompagner les collectivités dans une forme de remembrement forestier ?

Par ailleurs, si l'on peut se satisfaire de la fin de la décrue des postes à l'ONF, j'observe une hausse de 7 millions d'euros de son budget cette année. Peut-on savoir comment celle-ci sera ventilée concrètement ?

Je souscris aux propositions d'amendement sur le renforcement des moyens du CNPF et de l'ONF.

Mme Christine Lavarde. - Je m'interroge sur le milliard d'euros supplémentaire compris dans les 7 milliards d'euros de communication qui figurent au budget « Écologie » du PLF 2024 : quelle va être son opérationnalité immédiate ? Ce n'est pas demain que les haies produiront les services agrosystémiques espérés... On note un décalage entre la communication et l'argent mis à disposition, mais c'est bien normal lorsque l'on agit sur le vivant.

Je comprends toutes les raisons pour lesquelles il serait pertinent de rebudgétiser le CAS DAR, mais n'y a-t-il pas un risque de reproduire les ratés du fonds Barnier ? Lui aussi avait été rebudgétisé. Or, aujourd'hui, on constate que les recettes collectées sont inférieures au plafond de dépenses. Au regard de ce que fournit le CAS, de nombreuses dépenses entrent en interaction, y compris avec d'autres missions que la mission « Agriculture ». Il faudrait au moins s'assurer que tout ce que les agriculteurs versent pour la politique agricole leur revient bien in fine.

M. Bernard Delcros. -Je partage l'avis de mes collègues sur les enjeux liés à la forêt, qui doit se renouveler pour tenir compte de la nouvelle donne climatique.

Je note que 110 millions d'euros seront affectés au « plan haies ». Avez-vous des précisions sur la déclinaison concrète de ce plan sur le terrain ? Qui en aura la charge ? J'observe que nous n'avons pas attendu ces financements pour réimplanter des haies dans les territoires et réparer ainsi les dégâts causés dans les années 70 - toutes les haies, sans distinction, avaient alors été supprimées.

De même, concernant les 80 millions d'euros consacrés à la stratégie de décarbonation, connaissez-vous les déclinaisons concrètes de ce plan ? Les haies peuvent mettre effectivement un peu de temps à pousser, mais, plus tôt on commence, mieux c'est.

M. Victorin Lurel, rapporteur spécial. - Nous avons rencontré quelques difficultés pour obtenir certaines précisions, notamment sur les moyens décentralisés dans les territoires.

Je note, comme M. Duplomb et M. le rapporteur général, que les débats sont plus apaisés cette année, y compris dans les auditions que nous avons menées. L'augmentation des crédits et la mise en place d'une planification écologique y sont peut-être pour quelque chose.

Ensuite, certaines mesures ont été bien acceptées, comme la pérennisation du TO-DE, qui contribue à la compétitivité et à l'amélioration des conditions de travail.

S'agissant du CAS DAR, nous avons nous-mêmes été dubitatifs sur le plan juridique. Comme Mme Lavarde nous l'a fait remarquer, le fonds Barnier est un précédent qui s'est avéré décevant. Nous devons donc être prudents et nous poser la question de l'efficacité des moyens mis à la disposition de nos agriculteurs, afin que le financement qu'ils fournissent leur revienne.

La question relative au GNR concerne la partie fiscale du PLF, dont le rapporteur général a la charge. C'est une question importante, qu'il faudra approfondir.

La communication est la marque de fabrique des gouvernements du président Macron. Dans le cadre de France 2030, le programme 362, « Écologie » de la mission « Plan de relance » prévoit bien des sommes importantes, malgré des crédits de paiement dégressifs.

Concernant le plan Entrepreneurs du Vivant, des crédits sont bien évidemment prévus dans le cadre de France 2030 pour le financement des écosystèmes - pas seulement agricoles, d'ailleurs. Il y a effectivement une relation entre ce plan de relance et la mission « Agriculture ». Dans le plan, 15 % des crédits seraient consacrés au foncier, mais je ne saurais vous dire s'il s'agit d'un portage selon des vecteurs à trouver, ou bien d'un financement par les groupements forestiers d'investissement (GFI).

Mon collègue Christian Klinger développera les objectifs de départ de la planification écologique, ils sont expliqués dans le projet annuel de performances, même si je conviens qu'ils ne sont pas très complets. Ce que je peux dire, c'est que les objectifs sont clairs, même s'ils sont généraux : il s'agit d'assurer la transition écologique et de se donner les moyens budgétaires de verdir le budget. Un effort budgétaire important est fait en ce sens ; il faudra en observer l'exécution. Le programme 149 compte 1,04 milliard d'euros, auxquels s'ajoutent 250 millions d'euros du programme 206, ce qui fait bien 1,3 milliard d'euros consacrés à la planification écologique. Celle-ci se décline en dix sous actions, qui décrivent les objectifs recherchés.

Mon collègue reviendra sur le plan Écophyto, mais l'objectif est bien de réduire le volume, et non les molécules ! Il y aura un nouveau vote sur le glyphosate le 16 novembre prochain au Parlement européen, pour savoir quelle attitude il convient d'adopter vis-à-vis de cet herbicide.

Oui, monsieur Menonville, j'ai changé d'opinion sur la Guyane : c'est un puits de carbone qu'il nous faut préserver d'urgence. Aurons-nous le temps de dépenser 15 millions d'euros en CP pour réaliser la cartographie ? Avec les drones et autres nouvelles technologies de type radar, par exemple, nous pourrons peut-être aller très vite. J'accueille donc les crédits favorablement.

Au sujet du CNPF, nous nous félicitons d'avoir renversé la dynamique de suppression de postes. 5 ETP sont créés. C'est mieux que rien, même s'il est vrai que c'est insuffisant, d'autant plus que l'on ne sait toujours pas comment ce sera délégué au niveau des centres régionaux de la propriété forestière (CRPF).

Pour ce qui concerne l'ONF, je suis d'accord : il faut faire plus. Voilà des années qu'il y a trop de suppressions de postes - je le sais d'expérience.

Vous nous avez fait remarquer, monsieur le rapporteur général, que l'on ne rattrapait pas le retard accumulé. Si 1,3 milliard d'euros sont générés par la création de la nouvelle action, il est vrai que les autres programmes sont tout au plus stabilisés par rapport aux dépenses exécutées auparavant, et donc - soyons honnêtes - que, compte tenu de l'inflation, on fait plutôt face à une diminution.

Ensuite, je partage l'interrogation de notre collègue Christine Lavarde sur la manière d'anticiper ce qui relève de l'agrosystémique. Cela s'appelait auparavant « la vulgarisation agricole », et il y avait alors un vrai lien entre la recherche appliquée et ce qui était diffusé par les chambres d'agriculture, les organisations de producteurs et les interprofessions auprès des agriculteurs. Aujourd'hui, on a l'impression que le lien est plus lâche. À cet égard, l'action de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae) peut sembler décevante.

Oui, il faut être prudent sur le changement qui va affecter le CAS DAR.

Mme Blatrix Contat nous demande comment lutter contre le morcellement forestier ou l'indivision forestière. C'est un problème de droit civil et d'économie. Je n'ai pas de réponse spécifique sur la transmission des propriétés foncières. Peut-être faut-il voir cela plutôt avec le CNPF et les CRPF.

M. Christian Klinger, rapporteur spécial. - Concernant, monsieur Sautarel, l'augmentation des dépenses de personnel, l'évolution est de +4,5 % et se traduit par le recours à des personnels supplémentaires pour assurer des opérations de contrôle dans des missions budgétaires, comme le contrôle de la sécurité alimentaire ou le contrôle des cosmétiques et tatouages, ainsi que du personnel supplémentaire qui vient renforcer les missions de contrôle existantes mais ayant vocation à être accentuées, comme le respect de la législation sur les pesticides.

La fiscalité agricole du GNR ne relève pas directement de notre mission, mais nous avons tout de même eu quelques réponses lors de nos auditions. La hausse sur le gazole non routier serait compensée par une augmentation du plafond du microbénéfice agricole, mais aussi par une dotation d'épargne de précaution ainsi que par une modification des règles d'imposition des plus-values agricoles.

Pour ce qui concerne le 1,3 milliard d'euros avancé pour la planification écologique, ce montant ne sera évidemment pas décaissé en totalité en 2024. Si l'on prend le « plan haies », par exemple, les 110 millions d'euros prévus, auxquels il faut ajouter des crédits provenant de la politique agricole commune (PAC), de l'agence de l'eau et de l'Office français de la biodiversité, vont, bien sûr, s'étaler au fur et à mesure. L'objectif est d'implanter 7 000 à 8 000 kilomètres par an, soit 50 000 kilomètres de haies d'ici à 2030. Plusieurs actions doivent être menées, dont le premier axe consiste à faire l'inventaire des dégâts opérés. Nous ne connaissons pas la répartition géographique à ce jour, n'ayant pas de définition juridique d'une haie - quelles doivent être sa largeur, sa hauteur ? Un travail de concertation doit donc être mené avant d'implanter les premiers kilomètres de haies.

La philosophie est la même pour la décarbonation, avec trois composantes : la réduction d'épandage des déjections d'élevage, celle des engrais azotés et celle des émissions liées aux énergies fossiles. Les 80 millions d'euros budgétés seront décaissés au fur et à mesure de l'avancement de ces projets.

La commission décide de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, les crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et du compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural ».

La réunion est close à 17 h 00.

Mercredi 8 novembre 2023

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Projet de loi de finances pour 2024 - Examen des principaux éléments de l'équilibre - Tome I du rapport général

M. Claude Raynal, président. - Nous examinons ce matin les principaux éléments de l'équilibre du projet de loi de finances (PLF) pour 2024.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je vous présente ce matin mon analyse des prévisions macroéconomiques et de l'équilibre général du projet de loi de finances pour 2024. Je rappelle que nous nous retrouverons mercredi prochain, le 15 novembre, pour traiter en détail des articles de la première partie du PLF.

Un certain nombre des observations dont je vous ai fait part lors de l'examen en nouvelle lecture du projet de loi de programmation des finances publiques pour 2023-2027 restent valables, en particulier en ce qui concerne le scénario macroéconomique proposé pour l'année 2024. Celui-ci apparaît en effet trop optimiste et détonne dans le contexte d'une politique monétaire particulièrement restrictive et d'une multiplication des incertitudes.

Le PLF 2024 s'inscrit dans les conditions particulières d'une sortie de la crise sanitaire et d'une sortie progressive de la crise énergétique et de l'inflation. Il est temps de dresser un bilan économique de la gestion de ces crises.

Le niveau de richesse de la France dépasse désormais franchement celui atteint en 2019. Toutefois, depuis l'entrée dans la crise sanitaire, le taux de croissance annuel moyen n'est que de 0,65 %. Plus problématique encore, si l'on compare l'activité française à la trajectoire de croissance observée avant 2020, la situation est détériorée. La France se retrouve, sur ces deux points, dans la moyenne basse de ses principaux partenaires européens.

Quand le ministre de l'économie, en poste depuis six ans, affirme que « la politique de l'offre, ça marche », je réponds donc que cela ne suffit pas.

Ce bilan pour le moins mitigé explique sans doute l'obstination avec laquelle le Gouvernement propose des prévisions macroéconomiques trop optimistes.

Je veux, à ce sujet, revenir sur un point : le Gouvernement proclame que ses prévisions de croissance pour 2023, critiquées l'an dernier pour leur optimisme, se sont révélées justes. Je note pourtant que le taux de croissance pour 2023, qui devrait en effet approcher 1 %, est dû à un deuxième trimestre particulièrement favorable, où la progression de l'activité a été qualifiée de « surprise » par la Banque de France, et d'événement « ponctuel » par l'Insee. Or, on ne peut fonder un scénario macroéconomique sur des « surprises ».

Le Gouvernement retient donc la prévision d'un taux de croissance du PIB de 1 % en 2023 et de 1,4 % en 2024. Ces prévisions ont été révisées depuis la présentation du programme de stabilité, à l'été dernier, où le taux de croissance prévu pour 2024 était de 1,6 %. Le Gouvernement se montre désormais moins optimiste.

Dans le détail, il estime que la consommation des ménages portera l'essentiel de la croissance en 2024, alors qu'elle l'avait freinée en 2023. La contribution à la croissance de l'investissement des entreprises reculerait, mais resterait positive, et l'investissement des ménages serait le seul frein réel.

Je considère que la prévision de croissance retenue par le Gouvernement pour l'année 2024 est trop optimiste. En effet, elle dépasse de 0,6 point la moyenne du consensus des économistes et s'établit au-dessus de la prévision la plus élevée.

Est-ce à dire, comme s'y risquait Sandrine Duchêne lors de la table ronde que la commission a organisée récemment, que l'ensemble des prévisions se caractérise par un biais optimiste ? Cela est fort probable et le PLF pour l'année 2024 me semble clairement construit sur des hypothèses de croissance trop fragiles.

Tout d'abord, le Gouvernement sous-estime singulièrement les effets de la politique monétaire. Je rappelle que la Banque centrale européenne (BCE) a procédé en quatorze mois à une augmentation de 450 points de base de ses taux d'intérêt directeurs, ce qui correspond au durcissement le plus sévère de son histoire. Il faudrait remonter au début des années 1980 et à l'ère où Paul Volcker était président de la Réserve fédérale des États-Unis (Fed) pour trouver des resserrements aussi brutaux dans les pays développés. Au total, l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) estime que cette contraction monétaire amputerait la croissance française de 0,9 point en 2024.

Ce serrement de vis monétaire pourrait se traduire par un recul de l'investissement des entreprises. Certes, le Gouvernement prévoit un ralentissement de sa hausse, mais la combinaison de l'extinction progressive des aides publiques, des échéances de l'Urssaf et des prêts garantis par l'État avec le durcissement monétaire pourrait renforcer cette tendance et se traduire par un recul net de l'investissement des entreprises.

Je rappelle que les effets de la politique monétaire sont, comme le montre la littérature économique, généralement retardés de plus d'un an. Les entreprises commencent par puiser dans leurs réserves - qu'elles ont accumulées grâce à des taux de marge élevés - puis, selon leur solvabilité et leur rentabilité, interrompent plus ou moins rapidement leurs projets, et, pour les plus fragiles, font faillite.

Le plein effet de ces restrictions monétaires devrait donc se faire sentir d'ici à la fin de l'année 2024, alors que le Gouvernement estime qu'il est majoritairement déjà derrière nous, ce qui ne me semble pas crédible.

Par ailleurs, compte tenu des défaillances d'entreprises, qui ne manqueront pas d'intervenir - le niveau de 2019 est d'ores et déjà atteint -, le chômage risque d'augmenter. Alors que le Gouvernement anticipe des créations d'emplois en 2024, la Banque de France prévoit quant à elle des destructions d'emplois. Selon elle, le taux de chômage s'établirait à 7,5 % en 2024, l'OFCE anticipant plutôt un taux à 7,9 %. Le taux de chômage n'augmenterait donc pas en flèche, mais nous sortirions d'une période d'accalmie.

Cette hausse du chômage, conjuguée à l'augmentation des taux d'intérêt, contribuerait à dégrader l'investissement des ménages dans une proportion supérieure à ce que prévoit le Gouvernement. Au total, le taux d'investissement augmenterait, selon le Gouvernement, de 0,3 % en 2024, mais il diminuerait de plus de 1 % selon la Banque de France et l'OFCE. L'optimisme du Gouvernement ne me paraît pas marqué du sceau de la modération.

Par ailleurs, cette reprise du chômage, même modérée, pourrait freiner la consommation des ménages, pourtant moteur essentiel de la croissance prévue en 2024.

Je précise aussi que l'instabilité de l'environnement international et la faiblesse de la croissance mondiale risquent de peser sur la croissance française. Le taux de croissance de la zone euro s'établirait, selon la Commission européenne, à 1,3 %, restant inférieur à 1 %, en Allemagne et en Italie, en raison de la diminution de la demande extérieure, due au ralentissement de l'économie chinoise qui enregistrerait son plus faible taux de croissance depuis cinquante ans.

Enfin, en matière de prévisions macroéconomiques, il faut rappeler les propos du président du Haut Conseil des finances publiques selon lequel la prévision du Gouvernement combine des hypothèses toutes favorables et prend donc peu en compte les nombreux aléas auxquels est soumis son scénario macroéconomique.

J'ai déjà en partie souligné les conséquences du recours à des hypothèses favorables, en mentionnant le manque d'anticipation de la politique monétaire.

Par ailleurs, le Gouvernement table sur un recul du taux d'épargne, de 18,6 % à 18,2 %. Or, des comportements de précaution, liés à la hausse probable du taux de chômage, à la réforme des retraites, voire à des anticipations d'inflation élevées, pourraient conforter le maintien du taux d'épargne à un haut niveau. La faible confiance des ménages ne joue pas non plus en faveur d'un mouvement de désépargne comparable à celui que l'on a pu observer cette année aux États-Unis.

Enfin, la prévision du Gouvernement a été élaborée avant l'attaque d'Israël par le Hamas, le 7 octobre dernier. Elle ne pouvait donc pas prendre en compte ses retombées économiques, encore impossibles à prévoir, ni pondérer le scénario des incertitudes qui lui sont associées, ce que l'on peut à peine commencer à faire. Un rapport de la Banque mondiale du 30 octobre 2023 envisage trois scénarios d'intensification du conflit, selon le degré de perturbation des approvisionnements en pétrole : le prix du pétrole pourrait passer de 90 dollars à une fourchette comprise entre 93 dollars et 157 dollars. Le risque de reprise de l'inflation existe donc. Selon la gravité du conflit, les effets positifs de la baisse de l'inflation pourraient se trouver annulés, avec pour conséquence possible un nouveau durcissement de la politique monétaire. Cet exercice de prospective, sans doute un peu sombre, reste évidemment très incertain : il vise surtout à comprendre les aléas profonds auxquels sont exposées les prévisions macroéconomiques pour 2024.

De manière générale, les perspectives de la croissance mondiale s'assombrissent et l'augmentation de la demande mondiale adressée à la France, que le Gouvernement estime à 3 % en 2024, doit être considérée avec réserve et circonspection.

En outre, il est légitime de se demander si la contribution du commerce extérieur à la croissance sera toujours positive en 2024.

J'en viens à la présentation de la situation des finances publiques. Je veux tout d'abord vous alerter sur la position particulièrement dégradée de la France dans le peloton européen, à l'heure où la hausse des taux d'intérêt et le poids croissant de la dette imposeront des mesures de consolidation plus amples.

En 2024, le déficit public devrait atteindre 4,4 % du PIB, selon le Gouvernement. Il s'agit, encore une fois, d'une estimation optimiste, puisque si la croissance est plus faible que prévu, les recettes publiques le seront aussi. Si l'on retient les prévisions du Fonds monétaire international (FMI), en pourcentage du PIB, la France aurait en 2024 le deuxième déficit public le plus élevé de la zone euro.

L'endettement public se maintiendrait, en pourcentage du PIB, à un taux avoisinant  110 %, ce qui représente une hausse de près de 12 points depuis 2017. Là encore, la France serait sur le podium des pays les plus endettés de la zone euro en 2024, juste derrière la Grèce et l'Italie, et cela alors que notre pays n'a pas été soumis à des chocs économiques plus violents que ses partenaires européens.

Les recettes publiques progresseront de presque 100 milliards d'euros entre 2022 et 2024. Cette hausse est bien répartie entre 2023 et 2024, malgré une croissance du PIB en valeur beaucoup plus forte en 2023 du fait de l'inflation. En effet, l'élasticité des recettes à l'activité serait très faible en 2023, estimée à 0,6, et reviendrait à un niveau normal, à 1,1, en 2024.

Plusieurs mesures nouvelles viendront réduire le rendement fiscal, comme la moindre contribution sur les rentes inframarginales des producteurs d'électricité ou encore le lissage de la suppression de la deuxième tranche de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) en quatre ans.

Les dépenses progresseront également de 100 milliards d'euros entre 2022 et 2024. En réalité, cette hausse des dépenses sera encore plus importante, car il faut intégrer dans cette évolution celles liées aux crises de l'année 2022. Les dépenses progresseraient alors de 131 milliards d'euros en deux ans.

Enfin, en comptabilité nationale, la charge de la dette augmenterait d'environ 11 milliards d'euros sous l'effet, principalement, de la hausse des taux d'intérêt - le renchérissement des intérêts versés au titre des obligations indexées sur l'inflation est déjà intervenu en 2021 et 2022.

Le solde public restera particulièrement dégradé en raison de la situation financière de l'État - j'y reviendrai dans un instant.

Les administrations locales, pour leur part, parviennent à relever le défi de l'équilibre des comptes en 2024, l'essentiel du très faible déficit étant dû aux lourdes dépenses d'investissement de la Société du Grand Paris (SGP), largement pilotées par l'État. Il faudra attirer l'attention du Gouvernement sur ce point.

Le solde des administrations sociales demeurerait en excédent. Sa légère dégradation s'expliquerait, d'une part, par la hausse des prestations vieillesse, due aux revalorisations liées à l'inflation, et, d'autre part, par la progression des dépenses dans le champ de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam), liée notamment aux mesures d'attractivité à l'hôpital, comme la revalorisation des heures de nuit pour les infirmiers et les aides-soignants, l'augmentation des primes du week-end pour les infirmiers ou encore l'augmentation des tarifs des gardes.

Enfin, il me faut aborder le sujet de la charge de la dette, qui ne devrait pas cesser d'augmenter d'ici à 2027. En effet, la hausse des taux d'intérêt que nous connaissons actuellement - le taux français à dix ans est passé de 0 % à près de 3,5 % en deux ans - se répercutera progressivement sur la charge de la dette.

Or - Patrick Artus nous a alertés sur ce point dans le cadre de la table-ronde des économistes que la commission a organisée récemment - les taux réels, dont l'augmentation provient en grande partie d'une politique monétaire très restrictive, pourraient à moyen terme devenir supérieurs au taux de croissance réelle, ce qui produirait une augmentation auto-entretenue de la dette.

Le ministre de l'économie vante sa politique de l'offre. Pourquoi pas ? Mais en réalité je vois surtout une politique de la dette.

Si la consolidation budgétaire ne doit pas être brutale, ce qui risquerait de ralentir la croissance, elle doit être déterminée. Or, elle est inexistante. Comme je vous l'avais indiqué lors de l'examen en nouvelle lecture du projet de loi de programmation des finances publiques, des économies sont nécessaires et ce, dès le PLF pour 2024.

Voyons à présent comment la situation des finances publiques se décline dans le budget de l'État, qui fait l'objet de l'autorisation parlementaire de la loi de finances.

En 2023, le montant du déficit budgétaire atteindrait 172 milliards d'euros, contre 164 milliards d'euros prévus en loi de finances initiale. Il y a un an, le budget qui nous était soumis prévoyait une amélioration du solde de 14 milliards d'euros entre 2022 et 2023. On constate finalement une dégradation du solde de 20 milliards d'euros entre les deux années. D'une part, le déficit avait été très surévalué en 2022, ce qui renvoie aux difficultés que rencontre le Gouvernement à prévoir l'état des finances, même en fin d'année ; d'autre part, le solde en 2023 a été affecté par plusieurs phénomènes. Les recettes fiscales se sont bien tenues, en partie parce que l'État a décidé de prélever 2 milliards d'euros de TVA, en cours d'année, à l'Unédic. Les recettes non fiscales, en revanche, sont moindres que prévu et, surtout, la charge de la dette dépasse les prévisions de 3,8 milliards d'euros, sous l'effet de l'inflation et des charges d'intérêt. Nous examinerons tous ces éléments plus en détail, la semaine prochaine, dans le cadre du collectif budgétaire.

Le montant du déficit budgétaire est prévu à 144,5 milliards d'euros en 2024, représentant 45,7 % des ressources nettes sur le périmètre du budget général. Espérons que les quatre années précédentes, au cours desquelles le déficit a été systématiquement sous-estimé par le projet de loi de finances, ne se répéteront pas.

J'aurais pu choisir un autre chiffre : la somme des dépenses et des dettes à rembourser en 2024 sera égale à 608 milliards d'euros, soit le double de ces mêmes ressources. D'où des émissions de dette proches de 300 milliards d'euros.

La prévision d'une baisse du déficit entre 2023 et 2024 est surtout liée à la diminution des crédits alloués aux mesures d'urgence, sur laquelle je reviendrai plus en détail dans un instant. En effet, hors mesures d'urgence, les dépenses augmentent encore de 5,8 milliards d'euros.

La France entrera en 2024 dans la cinquantième année consécutive de déficit budgétaire, mais depuis cinq ans nous vivons dans une nouvelle ère, celle des déficits extrêmes.

En effet, la crise sanitaire a conduit le Gouvernement à établir un nouveau socle de déficit de l'ordre de 150 milliards d'euros par an, contre 90 milliards d'euros dans les années précédentes, ce qui était déjà considérable. Ce nouveau mode de gestion budgétaire, qui pouvait s'expliquer durant les deux premières années par la nécessité de faire face à la crise sanitaire, aboutit à l'accumulation d'un surcroît de déficit de 400 milliards d'euros en cinq ans.

Le budget général n'est pas seul concerné. Il faut par exemple s'inquiéter de l'évolution du plus important des comptes spéciaux, celui qui finance les pensions : d'ici à 2026 une action de l'État - sans doute un abondement - sera certainement nécessaire.

L'accumulation des déficits a pour conséquence directe, lorsqu'on ne dispose pas de recette exceptionnelle, d'accroître la dette. Il en ressort, d'une part, l'explosion de la charge de la dette, dont j'ai déjà parlé ; d'autre part, la nécessité de rembourser chaque année un montant croissant de titres de dette arrivant à échéance. La seule manière de les rembourser étant d'émettre de nouvelles dettes, les deux courbes se « poussent » en quelque sorte l'une l'autre. Cela signifie que la hausse des taux d'intérêt n'accroît pas seulement le coût de financement des 145 milliards d'euros du déficit annuel, mais que si par miracle le déficit passait à zéro l'an prochain, il faudrait encore contracter quelque 160 milliards d'euros de dette, aux taux actuels, afin de faire rouler la dette existante.

Ce phénomène caractérise également la politique de la dette du Gouvernement.

Quant aux recettes fiscales nettes et non fiscales du budget général, elles progressent de 3,9 % en valeur, soit 1,4 % hors inflation. Leur composition continue toutefois d'évoluer dans le sens d'une plus grande dépendance à la conjoncture économique.

Les recettes fiscales nettes passeraient de 332,1 milliards d'euros en 2023 à 349,7 milliards d'euros en 2024.

Si les produits de la TVA et de l'impôt sur le revenu progressent à peu près au rythme de l'activité économique, celui de l'impôt sur les sociétés connaîtrait un nouveau rebond pour atteindre 72,2 milliards d'euros. Cet impôt représentait autour de 10 % des recettes fiscales il y a cinq ans ; il dépasse désormais les 20 % alors que la part de la TVA, à l'inverse, est passée de 50 % à 28 %. Cette évolution est due à l'affectation croissante de parts de TVA à d'autres administrations, qui se poursuivra encore en 2025 pour le financement des régimes spéciaux. Il faut y prêter attention.

En effet, la TVA est une recette assez prévisible, comme l'impôt sur le revenu. L'impôt sur les sociétés, quant à lui, dépend de l'évolution annuelle de la production, car il est assis sur les bénéfices des entreprises. Il subit également les conséquences de ses règles de report, ce qui le rend beaucoup plus volatile. Le discours du Gouvernement sur la hausse du produit de l'impôt sur les sociétés qui découlerait mécaniquement de la baisse de son taux, et d'une meilleure situation des entreprises, ne doit pas être pris au pied de la lettre : en réalité, les ressources de l'État sont beaucoup plus aléatoires.

En outre, du point de vue des collectivités territoriales et des administrations de sécurité sociale, le financement par la TVA est un moyen commode pour faire accepter des transferts de charge ou des suppressions de ressources, mais cette pratique n'a rien d'idéal, dans la mesure où elle déconnecte l'impôt de l'action locale et favorise la perte de souveraineté fiscale des collectivités. L'État exerce une forme de gouvernement à distance par l'affectation de parts d'impôts nationaux. Le cas de l'Unédic est éclairant : en effet, l'État a décidé de prélever plusieurs milliards d'euros sur la trésorerie de cet opérateur. Si, en apparence, l'État ne garde dans ses caisses qu'un tiers des 300 milliards d'euros payés par les contribuables français au titre de la TVA, il conserve en réalité la pleine maîtrise juridique du dispositif.

Pour le reste, le produit de l'impôt sur le revenu progresse à peu près au même rythme que le PIB nominal et devrait s'établir à 94,1 milliards d'euros.

Il en va de même pour la TVA, dont le produit global est réparti entre les remboursements et les dégrèvements, les administrations de sécurité sociale et les collectivités, ainsi que l'audiovisuel public depuis 2022, la part résiduelle revenant à l'État.

Un émiettement comparable caractérise, à une échelle moindre, la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), dont le produit reste globalement stable en 2024 à 31,7 milliards d'euros.

Le montant des recettes non fiscales, soit 22,6 milliards d'euros, inclut depuis trois ans les versements européens au titre du plan de relance. Un versement de 10,9 milliards d'euros est prévu cette année, qui a été demandé à la fin du mois de juillet dernier. Si la somme était versée au début du mois de janvier prochain plutôt qu'à la fin du mois de décembre, il faudrait ajouter ce montant dans le calcul du déficit budgétaire de 2023 et le retirer de celui de 2024.

Pour clore le chapitre des recettes, je dois dire un mot des dépenses fiscales qui les minorent de 78,7 milliards d'euros en 2024, montant qui est en réalité sous-estimé d'environ 10 milliards d'euros. En effet, le Gouvernement a choisi de comptabiliser désormais les dépenses fiscales relatives à la TVA à hauteur de 50 % environ de leur coût réel, sous prétexte qu'il s'agit là de la part de TVA nette qui revient à l'État. Ce choix me paraît très contestable, car les parts de TVA affectées à d'autres administrations ont été calculées selon leurs besoins à un moment donné et ne dépendent donc que très peu des dépenses fiscales. Par conséquent, les documents budgétaires nous livrent désormais une vision incorrecte du coût réel de ces dépenses fiscales et il faut espérer que le Gouvernement reviendra sur ce choix l'an prochain.

Les dépenses budgétaires sont examinées après les recettes parce que, en bonne gestion budgétaire, elles devraient être déterminées en fonction de celles-ci. En pratique, la dérive des dépenses est telle que le Gouvernement semble avoir supprimé tout lien avec l'évolution des recettes. C'est là une conséquence toxique du « quoi qu'il en coûte ».

L'État n'agit pas seulement par les crédits budgétaires et on peut mesurer les dépenses réelles de plusieurs manières. Les crédits de paiement, hors pensions, remboursements et dégrèvements, sont de 392,8 milliards d'euros. On peut aussi considérer les moyens globaux en incluant les contributions aux pensions, les dépenses fiscales et les autres ressources décidées en loi de finances.

Dans les deux cas, les deux principaux postes de dépense sont l'enseignement scolaire et, désormais, les engagements financiers de l'État. Cette évolution se poursuivra dans les années à venir. En 2026, les engagements financiers de l'État devraient représenter le premier poste de dépenses, avec un montant égal au budget conjoint des armées et des forces de sécurité.

En 2024, si l'on se limite au champ des crédits budgétaires hors pensions, la plupart des missions du budget général verront leurs crédits augmenter, d'un montant supérieur à 1 milliard d'euros pour sept d'entre elles.

Les crédits de l'enseignement scolaire augmenteront pour financer les revalorisations de rémunération. Ceux de la défense et d'autres missions bénéficieront des hausses prévues par leurs lois de programmation respectives. Dans le cadre de la mission « Travail et emploi », France Compétences recevra une nouvelle dotation de 2,5 milliards d'euros.

Les diminutions de crédits correspondent à la réduction naturelle des dispositifs mis en place pendant la crise sanitaire, que ce soit le plan de relance, ou les aides pour faire face à l'inflation.

Il faut le dire : le Gouvernement affiche en trompe-l'oeil 16 milliards d'euros d'économies et celles qu'il envisageait de réaliser à la suite de la revue de dépenses du printemps dernier sont repoussées à 2025 et 2026 dans le projet de loi de programmation. S'agissant par exemple des opérateurs de l'État, le ministre de l'économie et des finances annonçait à la télévision, au mois de juillet dernier, une réduction de leur trésorerie de 1,2 milliard d'euros, jugée excédentaire par l'Inspection générale des finances. En réalité, les moyens des opérateurs concernés augmentent dans ce projet de loi de finances.

En 2017, le candidat Emmanuel Macron déclarait : « Nous réaliserons 60 milliards d'euros d'économies, en responsabilisant les ministres sur leurs objectifs de réduction des dépenses ». Or, en euros constants, les dépenses ont augmenté de plus de 20 % depuis 2017, soit un montant de 90 milliards d'euros.

Les grandes missions du budget sont toutes concernées par l'augmentation des crédits. La mission « Écologie », après le gonflement considérable de ses crédits dans le cadre du bouclier tarifaire, reste en hausse de 62 % par rapport à 2017. Les seules véritables économies ont porté sur la politique du logement et concernent les bénéficiaires des aides au logement et les bailleurs sociaux.

Enfin, l'un des signes les plus sûrs de l'absence de volonté de maîtrise des finances de l'État est l'évolution de l'emploi public, car les embauches d'aujourd'hui déterminent les dépenses pour plusieurs décennies.

Le 27 septembre dernier, le Gouvernement nous a présenté un projet de loi de finances prévoyant un accroissement des effectifs de 8 273 équivalents temps plein (ETP). Quelques heures plus tard, il engageait sa responsabilité sur un projet de loi de programmation des finances publiques promettant la stabilité de l'emploi jusqu'en 2027.

Encore une fois, les ministères prioritaires sont favorisés, conformément aux lois de programmation, sans que soient identifiés des ministères et des politiques moins prioritaires : cette année, aucun ministère ne connaît de diminution significative de ses effectifs. Le Gouvernement semble céder à la facilité.

Quant à la masse salariale, elle a augmenté en volume de près de 10 % depuis 2017, ce qui correspond à une augmentation de 23 % en euros courants.

Pour conclure, je considère que le Gouvernement ne prend pas la mesure de la situation. Il est intoxiqué au « quoi qu'il en coûte ». Le déficit public s'installe à des niveaux extrêmes parce que la dépense publique progresse très fortement. La croyance selon laquelle on pourrait repousser les problèmes budgétaires et financiers à plus tard n'est, de mon point de vue, ni raisonnable ni courageuse. En réalité, dans ce contexte de hausse des taux d'intérêt, la charge de la dette aura plus que doublé entre 2017 et 2027. Il est d'autant plus urgent d'y remédier que nous devons aussi faire face à l'urgence climatique. Nous ne pouvons laisser porter la majeure partie de ce fardeau aux jeunes générations. C'est pourquoi nous devons faire preuve d'esprit de responsabilité.

M. Marc Laménie. - Dans une page du document, le total des recettes publiques est estimé à 1 511 milliards d'euros et celui des dépenses publiques à 1 640 milliards d'euros. Les montants indiqués dans une autre page sont nettement inférieurs. Comment expliquer ces gros écarts ?

M. Vincent Delahaye. - Ce rapport établit un constat objectif de la situation catastrophique de nos finances publiques. Le Gouvernement ne semble pas l'entendre et poursuit dans le « quoi qu'il en coûte ». Il remplace des dépenses exceptionnelles par des dépenses pérennes et donne l'impression qu'il suffit d'augmenter les moyens pour rehausser la qualité des services publics et les résultats obtenus. En réalité, ce n'est pas le cas : il suffit d'observer la situation dans l'éducation nationale.

Nous sommes nombreux à nous interroger sur les évolutions assez erratiques du produit de la TVA. Sur quels critères s'appuyer pour avoir des prévisions plus fiables sur ce sujet ?

Enfin, si l'on veut que les Français nous comprennent, nous devons employer des termes compréhensibles. Or, la notion de « rente inframarginale » n'a rien d'évident, pas même pour nous.

M. Éric Bocquet. - Je me demande s'il ne faudrait pas modifier l'intitulé de ce rapport, car l'équilibre semble une cause perdue ou reste, du moins, difficile à trouver. Le texte prévoit des dépenses nettes d'un montant de 511 milliards d'euros et des recettes à 372 milliards d'euros, soit un déficit de 139 milliards d'euros. Le budget est déséquilibré et le Gouvernement s'apprête à réemprunter 285 milliards d'euros. Aucun ménage ni aucune entreprise ne survivrait à un budget que l'on équilibre en creusant la dette. Le rapporteur général a rappelé que nous nous apprêtions à voter pour la cinquantième année un budget en déséquilibre, financé en partie croissante par la dette. Je ne peux que saluer son courage et son volontarisme face à cette situation.

Votre proposition consiste à réduire la dépense publique, qui contribue - rappelons-le tout de même - à nourrir la croissance, car si les salaires augmentent, la consommation croît, ce qui produit davantage de TVA. Un cercle vertueux pourrait s'enclencher.

Sur les intérêts de la dette, n'est-il pas temps de remettre en cause les obligations à terme (OAT) indexées sur l'inflation ? Elles ont été créées il y a une vingtaine d'années et sont la cause principale de l'augmentation des intérêts, hormis le volume de la dette qui s'accroît. Sans doute faudrait-il envisager un autre type de financement. Je précise toutefois que la pratique de l'équilibre par la dette est bien antérieure à la présidence de M. Macron.

Le rapporteur général emploie le terme de « déficit extrême » après le « déficit excessif » qui avait suscité la méfiance de la Commission européenne. Je crois que l'on pourra parler d'un « déficit spectaculaire », « alarmant » ou « catastrophique » dans les années à venir.

Les créanciers, que nous risquons de devoir solliciter à nouveau, sont-ils inquiets ?

La Cour des comptes a publié, en juillet dernier, un rapport sur les dépenses fiscales. On recense 464 dispositifs en France pour un montant total de 94,2 milliard d'euros. Nos collègues du groupe Union centriste ont déjà travaillé sur le sujet et devraient poursuivre dans cette voie. Certaines dépenses fiscales ont leur intérêt, mais d'autres mériteraient d'être revues, car elles n'ont pas forcément d'efficacité réelle sur l'économie ou la croissance.

Soutiendrez-vous la suppression de la CVAE ? En effet, vous ne pouvez pas d'un côté dénoncer le déséquilibre du budget et de l'autre être favorable à une mesure qui contribue à l'aggraver.

Enfin, il manque un volet de propositions dans ce rapport. Quelle sera votre méthode pour arriver à l'équilibre tant réclamé par tous ?

M. Thierry Cozic. - Nous sommes face à une équation impossible. Ce rapport analyse l'équilibre général du PLF pour 2024, mais le Gouvernement, qui ne veut surtout pas toucher aux recettes, se concentre uniquement sur les dépenses. La baisse du déficit public qu'il envisage pour 2024 reste principalement due au rabot sur le bouclier tarifaire et à la hausse des recettes fiscales, en partie liée à l'inflation. Dans cet exercice d'équilibriste, le Gouvernement tente tant bien que mal de ménager les contraires, entre l'engagement de réduire drastiquement le déficit public et les promesses hasardeuses d'investissement pour des lendemains meilleurs.

Depuis 2018, les dogmes ne varient pas et le Gouvernement reste fidèle à sa politique de baisse d'impôt. Il prévoit ainsi d'indexer le barème de l'impôt sur le revenu sur l'inflation de 2023, ce qui représentera un manque à gagner pour les caisses de l'État de 6,1 milliards d'euros en 2024. Il aurait pourtant été opportun de limiter cette indexation en ne l'appliquant qu'aux contribuables les plus modestes.

Face à l'absurde, le Gouvernement persiste et signe : c'est un principe auquel il ne déroge pas. Depuis 2018, il entreprend systématiquement de diminuer la fiscalité du capital pour les entreprises et nos concitoyens les plus aisés, en espérant que cela finisse par ruisseler sur l'économie.

Pourtant, les études scientifiques peinent à trouver les effets vertueux de telles réformes pour l'économie française. Les rapports de France Stratégie se succèdent et ne changent pas. Celui du comité d'évaluation confirme que, concernant l'instauration du prélèvement forfaitaire unique (PFU), « aucun effet n'a pu être identifié sur l'économie réelle ». Le constat est le même pour ce qui est de la transformation de l'impôt sur la fortune (ISF) en impôt sur la fortune immobilière (IFI).

Or, ces mesures ont un coût pour la collectivité, puisque le produit des impôts supprimés depuis 2017 représente plus de 50 milliards d'euros. C'est autant de recettes fiscales manquantes. Elles pourraient participer à un meilleur équilibre du budget en donnant la priorité aux engagements financiers qui correspondent aux besoins de l'époque.

M. Albéric de Montgolfier. - Pendant le précédent quinquennat, la charge de la dette était contenue par la baisse des taux d'intérêt. Chaque année, nous répétions que nous n'étions pas à l'abri d'une remontée de ces taux. Celle-ci s'est désormais installée de manière durable, à hauteur de 3,5 %. C'est inquiétant. La charge de la dette augmentera d'ici trois ans jusqu'à atteindre 84 milliards d'euros, soit l'équivalent du produit de l'impôt sur le revenu. Y a-t-il un autre pays dans l'Union européenne qui accepte que le quart de ses recettes fiscales serve uniquement à payer les intérêts de la dette ?

M. Vincent Capo-Canellas. - Les perspectives ne sont pas favorables. Je retiens néanmoins la notion de flou, car les incertitudes au niveau international sont fortes. Albéric de Montgolfier vient de mentionner la stabilisation éventuelle des taux d'intérêt. Peut-on envisager leur desserrement et quelles seraient les conséquences sur l'économie globale, notamment sur l'inflation ?

La productivité est un sujet de fond. L'Europe décroche par rapport aux États-Unis. S'agit-il simplement d'une conséquence de la crise covid et du développement du télétravail ? Le chômage ayant baissé, les personnes qui sont revenues à l'emploi sont-elles moins productives ? Le taux d'activité peut être une solution, même si le débat s'annonce compliqué, comme on a pu le constater lors de l'examen du texte sur la réforme des retraites.

La Société du Grand Paris est financée par les impôts des Franciliens. Sa dette entre dans les chiffres globaux des administrations publiques. La décision concernant ce mode de financement est ancienne : elle date de Nicolas Sarkozy et l'on s'en félicite.

Mme Sylvie Vermeillet. - Vous indiquez que les émissions de dette semblent stables entre 2010 et 2019, avec un encours entre 188 milliards d'euros et 200 milliards d'euros, puis un décrochage au moment de la crise sanitaire, puisque l'encours passe à 260 milliards d'euros et atteint désormais 285 milliards d'euros. Qu'est-ce qui relève des conséquences de la crise sanitaire dans la hausse des émissions de dette ? Est-il possible d'isoler cet élément ? En outre, le temps d'amortissement de la dette covid est-il le même que pour les emprunts classiques ?

M. Bruno Belin. - Que représentent les 94 milliards d'euros de niches fiscales mentionnés par mon collègue Bocquet ?

Monsieur le rapporteur général, quelles seraient les trois premières mesures que vous prendriez si vous étiez nommé à Bercy ?

M. Emmanuel Capus. - J'ai bien noté les remarques du rapporteur général sur l'augmentation des effectifs de l'État et je partage son inquiétude à ce sujet. Notre groupe propose chaque année, lors de l'examen du PLF, de réduire la masse salariale de l'État. Toutefois, ce sont les effectifs des ministères régaliens qui augmentent et, dans le contexte actuel, il paraît difficile de les réduire. Par conséquent, dans quel ministère pourrait-on plus facilement procéder à des réductions d'effectifs ?

M. Bernard Delcros. - La situation est compliquée et nous souhaitons tous redresser les finances publiques, réduire le déficit et stabiliser notre endettement. Nous n'y parviendrons pas sans agir sur le levier des recettes. En effet, les dépenses engagées sont pour un certain nombre d'entre elles incontournables, notamment celles qui relèvent des lois de programmation ou bien celles qui concernent des secteurs comme la transition écologique, la santé, la justice ou l'éducation.

Ne pensez-vous pas que, dans ce contexte, il serait opportun de différer la suppression de la deuxième partie de la CVAE, qui représente tout de même 1 milliard d'euros de recettes par an dans les années qui viennent ?

M. Stéphane Sautarel. - La dette est la préoccupation majeure de chacun. Il ne faut pas désespérer quant à la prise de conscience de nos concitoyens sur ce sujet et c'est à nous de faire preuve de pédagogie. La dette effraie tout le monde et cela d'autant plus que l'on manque d'information. La dépense fiscale et la réduction des effectifs sont les deux sujets majeurs auxquels nous devons nous attaquer.

Sur la réduction des effectifs, est-il possible d'avoir une approche différenciée entre ceux qui sont producteurs du service public auquel ils sont affectés et ceux qui relèvent de l'administration « administrante » ? Au moment de la crise sanitaire, on évaluait que dans les hôpitaux français les soignants représentaient 56 % de la masse salariale contre 70 % en Allemagne. Les chiffres ne doivent pas être très différents dans d'autres secteurs comme, par exemple, l'éducation nationale. Peut-on envisager de suivre cette piste afin de construire une trajectoire de réduction des effectifs qui ne diminue pas pour autant la production du service public à laquelle nous sommes tous attachés ?

M. Grégory Blanc. - Je nourris les mêmes inquiétudes que le rapporteur général quant à la sous-estimation du taux de croissance et à l'augmentation de la dette. L'absence de prise en compte du mur d'investissement climatique est préoccupante. Ce budget se caractérise par un refus de choisir, car rien n'est engagé pour tenir compte de la dette environnementale ni pour soutenir l'investissement privé des entreprises en matière de préservation de l'environnement. Le texte met en oeuvre une politique de la dette, mais cette dette ne sert qu'à soutenir l'affaiblissement de certaines recettes.

Dans ce contexte, l'étalement de la suppression de la CVAE est-il pertinent ? Comment travailler pour faire émerger une fiscalité plus verte ? La projection du déficit en 2027 envisage un montant de 84 milliards d'euros. Si l'on poursuit dans cette voie, il sera très difficile d'agir sur la dette climatique, voire sur la dette tout court.

M. Christian Bilhac. - Le rapporteur général n'a pas fait preuve d'un optimisme débordant, mais ses analyses sont le reflet de la réalité.

La TVA nette donne lieu à un tour de passe-passe digne de celui du compté à part au moment de la crise covid. Le produit de l'impôt sur les sociétés est évalué à 70 milliards d'euros, celui de l'impôt sur le revenu à 90 milliards d'euros et celui de la TVA à 100 milliards d'euros, ce qui paraît relativement équilibré. En réalité, le montant total de TVA dont s'acquittent les Français équivaut à 300 milliards d'euros. Il faudrait clarifier la situation pour que chacun puisse disposer d'une approche du budget qui corresponde à la réalité.

La TVA est une recette affectée, mais des dizaines d'autres chiffres figurent dans le budget, qui n'apparaissent pas forcément sous leur montant net. Privilégier le net sur le brut revient à camoufler la réalité aux Français. Nos concitoyens paient en réalité 300 milliards d'euros de TVA. Les chiffres sont là.

De manière plus générale, le Gouvernement continue de pratiquer la politique du rabot sans définir de priorités claires. Mieux vaudrait des réformes structurelles. Si l'on rapporte le coût des enseignants qui enseignent à la masse salariale de l'éducation nationale, on est loin de nos voisins européens ; idem à l'hôpital. Les coûts administratifs sont énormes. Pourquoi ne pas s'attaquer au nerf de la guerre, à ce millefeuille qui s'exerce dans tous les domaines, notamment le tourisme ? Sans réforme de structure, nous irons dans le mur.

M. Michel Canévet. - Le rapporteur général s'est montré à la fois réaliste et pessimiste.

On peut être très inquiet de la situation financière de nos comptes publics, particulièrement dégradée, avec un déficit lourd et persistant et un niveau de dette qui risque d'altérer notre capacité à restaurer l'équilibre de nos comptes publics. Le groupe Union centriste formulera des propositions, car nous devons réduire le déficit public et trouver des recettes nouvelles, qui proviendront aussi des niches fiscales.

Le rapporteur général s'est montré pessimiste sur l'évolution de la croissance. En effet, le Gouvernement doit afficher une ligne ambitieuse forte pour l'évolution économique de notre pays, s'il veut attirer des recettes.

Enfin, l'un de vos graphiques indique 64 milliards d'euros de crédits pour l'enseignement scolaire, l'autre 87 milliards d'euros. Comment expliquer cette différence de montant ?

Mme Isabelle Briquet. - Plusieurs de nos collègues ont suggéré la nécessité de supprimer des postes. Mais dans quels domaines peut-on envisager de le faire pour que ces suppressions contribuent véritablement à réduire la dépense publique ?

M. Arnaud Bazin. - L'un de nos collègues a mentionné la part d'endettement due à la Société du Grand Paris. Cela me donne l'occasion de revenir sur la distinction qu'il faut établir entre la « bonne dette », celle des investissements d'avenir, et la « très mauvaise dette », qui permet d'équilibrer les dépenses courantes. La Société du Grand Paris représente 200 kilomètres de lignes de métro neuves et 68 gares. Elle est surtout financée par la TVA et contribue à l'augmentation du PIB. C'est une opération rentable.

Peut-on établir un ordre de grandeur concernant la part de ce qui relève des investissements d'avenir et celle qui correspond à de la « mauvaise dette » dans ce budget ? Les Français gagneraient à connaître l'équilibre des dépenses courantes, même en ordre de grandeur.

La suppression de la CVAE a été décidée par le Gouvernement, malgré nous. Celui-ci avait remis à plus tard la répartition de la dynamique de la CVAE. Une partie de la CVAE semble avoir été préemptée pour financer le fonds vert. Qu'en est-il exactement de la répartition de cette dynamique ? Pouvons-nous en être informés de manière claire avant d'avoir à nous prononcer sur la suppression de la CVAE en 2024 ?

M. Claude Raynal, président. - Merci d'avoir fait ce rappel sur la « bonne » et la « mauvaise » dette, ce vieux sujet, que nous n'arrivons jamais à traiter, mais c'est bien de le rappeler.

M. Victorin Lurel. - M. Bocquet évoquait un montant de 94 milliards d'euros pour les dépenses fiscales selon le rapport de la Cour des comptes, alors que le montant indiqué dans le rapport est de 78,6 milliards d'euros. Je ne comprends pas bien la décomposition de ce montant et cet écart de chiffres, de même d'ailleurs que les montants affichés pour l'outre-mer. Peut-on avoir plus d'informations sur ces chiffres ?

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Monsieur Laménie, le premier chiffre que vous avez mentionné concerne l'ensemble des dépenses publiques, le second la dépense publique de l'État. La décomposition détaillée de l'ensemble de ces données figure dans le rapport.

Monsieur Delahaye, je partage votre analyse, qui n'est pas d'un pessimisme trop lourd, compte tenu de la situation. Les indicateurs sont clairs et lors de la table ronde que nous avons organisée avec les économistes, ceux-ci nous l'ont confirmé. On peut rester dans une forme de déni ou bien, comme le suggère Michel Canévet, tenter de faire preuve d'ambition. Toutefois, l'ambition ne suffit pas à faire une politique.

L'évolution des recettes de TVA est assez prévisible.

La rente inframarginale est, en effet, une notion peu claire. À nous de faire comprendre à nos concitoyens ce qu'elle recouvre.

Monsieur Bocquet, nous pourrons travailler plus finement avec l'agence France Trésor, qui assume sa mission avec professionnalisme, sur les intérêts de la dette et les OAT indexées sur l'inflation. Il faudrait analyser les avantages et les inconvénients de cette indexation pour déterminer les orientations futures. Quel que soit le dispositif, quand on a besoin d'emprunter, l'organisme prêteur se fait toujours rémunérer pour le service qu'il rend. L'indexation sur l'inflation a longtemps été une bonne affaire. On ne peut pas trouver le dispositif regrettable dès lors qu'il tourne à notre désavantage. La solution est sans doute dans le dosage.

Les agences de notation se sont montrées prudentes et notre notation reste stable. Évitons d'être excessivement pessimistes. Mais la situation géopolitique peut à tout moment provoquer une nouvelle flambée des prix de l'énergie. Nous devons faire preuve d'une grande vigilance.

Monsieur Cozic, nous aurons l'occasion d'aborder le sujet du barème de l'impôt la semaine prochaine. La désindexation aurait pour effet d'augmenter ce barème. Je ne suis pas certain que les Français le souhaitent, compte tenu du niveau des prélèvements obligatoires que nous connaissons déjà.

Monsieur de Montgolfier, en 2022, l'Espagne et l'Italie devançaient la France en ce qui concerne la charge de la dette en proportion du PIB.

Monsieur Capo-Canellas, la multiplication des incertitudes est réelle. Dans ce contexte, si la situation de nos finances publiques est trop dégradée, le risque est de manquer de ressources pour faire face à une nouvelle crise. Dans le PLF tel qu'il est construit, tout est très tendu.

La question de la productivité est un sujet préoccupant. La politique volontariste des États-Unis pose problème. L'absentéisme des Français au travail a doublé. On constate ainsi une augmentation du taux d'absentéisme de 3 % à 6 % chez les moins de 35 ans. Le problème tient sans doute au nombre d'heures travaillées. Pour redonner du pouvoir d'achat aux Français, il faut permettre à ceux qui veulent travailler plus et mieux gagner leur vie de le faire. Les entreprises et les partenaires sociaux doivent faire preuve de souplesse. Face à la pénurie dans certains emplois, on ne peut pas rester bloqué dans les dispositifs d'hier ou d'avant-hier. La solution n'est pas qu'arithmétique.

Monsieur Belin, les dépenses des missions nouvelles sont toutes en augmentation. C'est irresponsable. Si certaines missions nécessitent des besoins supplémentaires, y compris en personnel, rien n'empêche de fonctionner par redéploiement ou réorganisation. Par exemple, à la direction générale des finances publiques (DGFiP), les services de trésorerie ont été réorganisés et le bilan n'est pas aussi négatif qu'on pouvait le craindre. Le transfert sur les opérateurs privés comme les bureaux de tabac a bien fonctionné car l'amplitude horaire et le niveau de service se sont améliorés. Ce travail a pris du temps et tout n'est pas parfait, mais c'est un bel exemple de la possibilité de réorganiser un service en l'adaptant aux besoins de demain. Tant qu'on envisagera les dispositifs en silo, on ne progressera pas.

De la même manière, il est dommage que le Président de la République n'ait pas mis en oeuvre, comme il l'avait annoncé en 2017, le principe de responsabilisation des ministères, même si cela reste difficile à faire. Nous avions entendu en audition le responsable du personnel du ministère de l'écologie, qui devait raboter 3 % des effectifs par an. Or, le rabot est un instrument qui ne se caractérise pas par sa souplesse.

Enfin, certains opérateurs ne cessent d'augmenter leurs effectifs. Il faut apprécier la situation au regard du service rendu, de la qualité, de la disponibilité et de l'efficacité des équipes. Il reste de la marge chez les opérateurs publics. Les préfets regrettent de ne plus avoir la main sur certaines administrations puissantes dans les départements.

Madame Vermeillet, on ne peut pas isoler la dette « Covid » et mieux vaut éviter de le faire. La crise sanitaire a eu un impact considérable et a conduit à des changements d'habitude dans le travail. Le coût de cette crise doit être intégré dans la dette globale.

Sur la suppression de la CVAE, je tente d'être pragmatique. Faire et défaire, c'est toujours travailler, mais le monde économique est mécontent de cette opération à cinq coups. Le lien entre la fiscalité territoriale et le dynamisme économique des territoires en souffre. Comment améliorer la situation sans revenir en arrière ? C'est la problématique qu'a mise en évidence le groupe de travail sur la décentralisation et les ressources financières. Le sujet n'est pas simple, car l'impôt résidentiel que certains élus souhaitaient mettre en place peut susciter de vives réactions chez les Français.

Monsieur Sautarel, il existe des hôpitaux qui développent une stratégie de gestion du personnel exemplaire, notamment dans le nord de la France. Il faut s'inspirer de ces bonnes pratiques.

Monsieur Blanc, je plaide pour que nous portions le plus collégialement possible l'enjeu climatique et celui des dépenses environnementales. Cela prendra du temps. J'ai souvent dénoncé le budget vert comme un coup de peinture à l'eau. Le temps m'a donné raison puisque, au bout de deux ou trois ans, un nouveau dispositif a vu le jour sous la forme du secrétariat général à la planification écologique.

Les Français sont préoccupés par les questions environnementales, mais dès qu'il est question de fiscalité, leur réaction peut être dramatique, comme lors du mouvement des gilets jaunes contre la taxe carbone. Il faut prendre en compte la notion d'acceptation des mesures par les Français et oeuvrer de manière progressive. Il a fallu presque vingt ans à la Suède pour développer des mesures telles que les zones à faible émission.

Monsieur Bilhac, le Gouvernement doit revoir sa méthode sur la TVA. J'ai évoqué un certain nombre de réformes de structure. Le rôle des oppositions est de dénoncer et de faire des propositions, mais encore faut-il que le Gouvernement les écoute. Ce sera tout l'enjeu de l'examen du PLF au Sénat.

Monsieur Bazin, la Société du Grand Paris ne pose pas de problème particulier. Toutefois, il faut savoir effectivement distinguer la bonne dette, c'est-à-dire celle qui consiste à investir pour apporter du service. À chacun de faire avancer les choses et d'éviter de bloquer certaines décisions.

Monsieur Lurel, le graphique des moyens globaux synthétise les chiffres du nouvel état F du budget. Les chiffres sont détaillés dans le bleu budgétaire. La mission « Outre-mer » prévoit 2,7 milliards d'euros de crédits de paiement hors opérateurs et 5,6 milliards d'euros de dépenses fiscales bénéficient aux outre-mer.

Enfin, je précise que la fiscalité n'est pas toujours favorable aux plus riches. Preuve en est, la suppression de la taxe d'habitation pour tous les Français ou encore celle de la contribution sur l'audiovisuel public. Je tenais à le rappeler, même si je n'étais pas forcément favorable à ces mesures.

M. Claude Raynal, président. - Monsieur le rapporteur général, nous vous remercions.

Projet de loi de finances pour 2024 - Mission « Enseignement scolaire » (et articles 53 et 54) - Examen du rapport spécial

M. Claude Raynal, président. - Nous examinons maintenant le rapport spécial de M. Olivier Paccaud sur les crédits de la mission « Enseignement scolaire » et les articles 53 et 54.

M. Olivier Paccaud, rapporteur spécial de la mission « Enseignement scolaire ». - La mission « Enseignement scolaire » représente toujours la première mission du budget de l'État, hors charge de la dette. En y incluant la contribution au compte d'affectation spéciale (CAS) « Pensions », les crédits de la mission devraient atteindre 86 milliards d'euros en 2024 ; sans le CAS, le montant s'élèverait à 63,64 millions d'euros.

Depuis ces deux dernières années, les crédits de la mission sont en forte hausse. En 2024, ils sont supérieurs de 3,9 milliards d'euros à ceux de 2023, soit une hausse de 6,5 %, et de 7,6 milliards d'euros à ceux de 2022, soit une hausse de 13,6 %. La dynamique devrait se ralentir les prochaines années.

Cette hausse résulte, pour une large part, de mesures générales qui concernent l'ensemble de la fonction publique. Les relèvements successifs du point d'indice - 3,5 % en 2022 et 1,5 % en 2023 - contribuent à hauteur de 2,5 milliards d'euros à l'évolution de la mission en 2023 et 2024. Il s'agit d'une dynamique de rattrapage. Pendant des années, nous avons laissé la situation salariale des enseignants se dégrader.

Sans faire de misérabilisme, soyons lucides et objectifs. Le salaire de nos enseignants a diminué, en euros constants par rapport à 2002, de 8 % pour les professeurs du premier degré et de 5 % pour ceux du second degré. La dégradation de leur pouvoir d'achat a atteint 12 % en vingt ans pour les enseignants en fin de carrière. En 2021-2022, le salaire effectif moyen des professeurs des écoles, pourtant titulaires d'un master, représentait à peine les trois quarts du revenu moyen des actifs diplômés. Nous avons pris un large retard par rapport à nos voisins européens. Et si ce n'est une vocation passionnée, le chemin vers les estrades ne saurait reposer sur l'appât du gain.

En parallèle, un climat scolaire toujours plus tendu et le sentiment d'un manque de reconnaissance de leur métier par la société concourent également à détourner de nombreux jeunes de ce qui était jadis considéré comme le plus beau des métiers ; les chiffres concernant les démissions, notamment des professeurs stagiaires, sont très inquiétants. Le secteur connaît aujourd'hui une profonde crise de recrutement. L'année 2022 a été catastrophique en termes de nombre de candidats aux différents concours. Alors que le ministère de l'éducation nationale insistait sur le fait que ces résultats étaient liés à une année de transition engendrée par la réforme de la formation initiale des enseignants, l'année 2023 confirme le caractère structurel de cette tendance.

Nous ne pouvons donc que nous féliciter des hausses de rémunération prévues en 2024, qui doivent redonner un peu d'attrait au métier et quelques marges de manoeuvre aux enseignants et aux autres personnels qui en bénéficient. Mais n'oublions pas que le contexte inflationniste limite l'impact de ces moyens nouveaux sur le pouvoir d'achat.

La revalorisation dite « socle », mise en place en septembre 2023, assure un doublement des indemnités de suivi et d'orientation des élèves (Isoe) perçues par les enseignants du secondaire et des indemnités de suivi et d'accompagnement des élèves (Isae) perçues par les professeurs des écoles. Leur montant atteint 2 550 euros bruts par an, soit un gain annuel brut de 1 350 euros.

En complément, la prime d'attractivité est revalorisée durant les quinze premières années de carrière, pour un montant compris entre 600 et 1 780 euros bruts annuels. Lorsqu'on ajoute ces deux facteurs, le gain annuel brut s'élève à 2 074 euros après la titularisation. Le gain maximum est atteint par les enseignants entre six et huit ans de carrière, qui bénéficient d'une hausse annuelle s'élevant à 3 074 euros. Une fois passé ce stade de la carrière, le gain annuel moyen diminue et atteint 1 294 euros après 15 ans de carrière.

Le déploiement du pacte enseignant est une source optionnelle d'augmentation, nouvelle version du « travailler plus pour gagner plus ». Sur ce sujet, les textes d'application n'ont été publiés que tardivement au cours de l'été, ce qui a pu engendrer une certaine confusion. Les enseignants peuvent choisir de réaliser une à trois missions, rémunérées chacune à hauteur de 1 250 euros bruts annuels. Lorsqu'un enseignant opte pour les trois missions, il peut bénéficier au maximum de 3 750 euros bruts supplémentaires par an.

Ces missions peuvent concerner du face-à-face avec les élèves ; par exemple, un remplacement de courte durée ou une aide aux devoirs. Il peut également s'agir d'un engagement annuel, comme l'accompagnement de projets pédagogiques ou l'exercice de missions de coordination. Sont donc intégrées dans le pacte des missions déjà effectuées par certains enseignants.

Lors des auditions, le ministère a mis en avant ce qu'il considérait être un bon démarrage du dispositif. Les syndicats enseignants, de leur côté, sont plus nuancés. À date, environ un quart des enseignants devraient avoir souscrit au pacte, avec une forte hétérogénéité selon les établissements et les degrés. Les ambitions ont été revues à la baisse au cours de l'été. Initialement, le ministère avait déclaré qu'il aurait besoin de 900 millions d'euros en 2024, et, in fine, seulement 628 millions ont été ouverts au titre du pacte enseignant.

Ces améliorations ne doivent pas dissimuler les grandes disparités qui existent entre les enseignants. Par exemple, on peut s'étonner qu'il n'existe aucun aménagement spécifique pour les enseignants qui enseignent dans les classes multiples. Cette situation n'est pourtant pas anecdotique, dans la mesure où elle concerne neuf écoles sur dix. Dans notre pays, 44 % des classes sont à niveaux multiples, et ce pourcentage monte à 95 % en milieu rural profond. Il serait donc souhaitable d'engager une réflexion sur ce point, avec peut-être la création d'une « prime de multiples niveaux » ; mais cette possibilité n'est pas à l'étude au ministère.

Concernant les effectifs enseignants, ce projet de loi de finances (PLF) prévoit une réduction notable du nombre de professeurs. Plus de 2 300 fermetures de classes sont envisagées. Certes, la baisse démographique est importante et incontestable ; c'est l'argument avancé par le Gouvernement pour justifier ses choix. Mais les taux d'encadrement de nos élèves restant parmi les plus mauvais d'Europe, avec près de 26 élèves par classe au collège et 22 en élémentaire, on peut s'interroger sur la logique suivie par le Gouvernement qui, par ailleurs, met en exergue les bons résultats de ses dédoublements en grande section, cours préparatoire (CP) et cours élémentaire première année (CE1) en éducation prioritaire.

En matière d'éducation prioritaire, ce budget s'avère dans la continuité des précédents. Il oublie, hélas, la réforme de sa cartographie. Malgré les discours, la ruralité demeure un maillon faible du soutien aux élèves en difficulté. Et ce n'est pas le dispositif des territoires éducatifs ruraux (TER), dotés de 6 millions d'euros seulement, qui inversera la tendance.

En excluant les rémunérations des enseignants, les crédits consacrés à l'école inclusive, c'est-à-dire à la scolarisation des élèves en situation de handicap, constituent le premier facteur de hausse des dépenses de la mission au cours des dernières années. En 2024, 4,466 millions d'euros y seront consacrés, contre 3,8 milliards d'euros en 2023, et 3,6 milliards d'euros en 2022. Cette dynamique correspond à une hausse d'un quart des moyens totaux en deux ans seulement. Il s'agit évidemment d'une bonne chose. Mais cet effort quantitatif indéniable ne s'effectue-t-il pas au détriment du qualitatif ? Quid des élèves présentant des troubles du comportement et relevant de l'éducation spécialisée ? Le problème est totalement ignoré par le ministère actuel.

Les moyens humains consacrés à l'école inclusive ont été renforcés, essentiellement avec le recrutement de nombreux accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH). Nous devrions bientôt recenser 123 900 AESH, et 160 millions d'euros sont par ailleurs mobilisés dans ce PLF afin d'améliorer leur rémunération.

Enfin, je serai bref sur la réforme de la voie professionnelle, dont le principal impact budgétaire concerne la prise en charge des gratifications accordées aux élèves en stage. Son montant s'élève à 400 millions d'euros pour 2024. S'il est encore trop tôt pour avoir une idée de l'impact concret de la réforme, elle me semble aller dans le bon sens en accentuant les liens entre les élèves et le monde professionnel.

En dépit de ces remarques, je vous propose d'adopter les crédits de la mission « Enseignement scolaire » ; il s'agit d'un « oui mais » très giscardien.

J'aborderai maintenant les deux articles rattachés. L'article 53 prévoit la substitution progressive, à partir de la rentrée 2024 et étalée jusqu'à 2026, des pôles inclusifs d'accompagnement localisés (Pial) par les pôles d'appui à la scolarité (PAS). En 2024, 100 PAS devraient être mis en place dans trois départements, avant la généralisation progressive du dispositif. Ces structures devront apporter une réponse de premier niveau pour la scolarisation des élèves handicapés. Ils pourront également déterminer la quotité d'accompagnement attribué à chaque élève, une fois intervenue la décision des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH).

Il s'agirait d'une transformation d'ampleur de l'organisation de l'école inclusive, qui mérite un débat à part entière. Cet article n'a pas d'impact budgétaire certain et ne relève donc pas du domaine des lois de finances. Eu égard à l'importance de ces questions, il semble préférable de réserver notre débat à un texte portant spécifiquement sur ce sujet. Je vous propose donc de supprimer cet article.

L'article 54 prévoit la suppression du fonds de soutien au développement des activités périscolaires (FSDAP), créé en 2013 pour inciter les communes à mettre en place la réforme des rythmes scolaires. Le FSDAP constitue toujours un soutien de l'État pour aider les communes à maintenir la qualité de leur offre périscolaire. En conséquence, la suppression de ce fonds apparaît regrettable et constitue un signal défavorable envoyé aux collectivités ayant fait le choix de maintenir la semaine de quatre jours et demi.

En septembre dernier, le Gouvernement a déjà tenté de diviser par deux le montant des sommes redistribuées aux collectivités au détour d'un arrêté. La Première ministre a finalement annoncé que cet arrêté ne serait pas appliqué. Je vous propose donc également de supprimer cet article.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Ma question porte sur la réforme des lycées professionnels. Je note l'ouverture de 80 nouvelles formations ayant l'ambition d'accueillir 1 000 élèves. Cet objectif me paraît très faible au regard des coûts engagés. Pouvez-vous nous apporter des précisions sur le sujet ?

M. Vincent Delahaye. - Je regrette de ne pas disposer chaque année d'un tableau de bord général, avec le nombre d'élèves, de classes et d'enseignants par niveau. Je suis surpris que l'on étudie ce type de budget sans détenir ces éléments.

On compte actuellement 1,2 million d'agents, dont environ 850 000 enseignants. Il reste donc 350 000 personnes ; j'aimerais savoir ce qu'elles font. La hausse des salaires et l'aide à l'école inclusive me semblent des dépenses utiles, mais sans doute peut-on réaliser des économies à d'autres endroits.

Mme Florence Blatrix Contat. - Si l'on peut saluer la hausse des crédits de ce budget, en partie consacrée à la revalorisation indispensable des enseignants, celle-ci ne permet pas de rattraper le retard accumulé ces vingt dernières années. Il faudrait aller plus loin, avec un plan de revalorisation pluriannuel et de meilleures perspectives en milieu et fin de carrière.

En matière de rémunération des enseignants, la France se situe en bas du classement européen, loin derrière l'Allemagne. Le métier d'enseignant n'est plus attractif. Cette année encore, environ 3 000 postes n'ont pas été pourvus au concours. Vous avez également évoqué le nombre des démissions qui augmente depuis déjà plusieurs années.

Au-delà de la rémunération, il y a la question des conditions de travail et d'enseignement. De ce point de vue, on ne peut que regretter la suppression de 2 500 postes, qui peut certes se justifier par la baisse des effectifs. Entre 2018 et 2021, 7 500 postes avaient déjà été supprimés, alors que les effectifs augmentaient de 68 000 élèves. Le Gouvernement avait l'occasion de réduire les classes surchargées, qui nuisent aux apprentissages des élèves et aux conditions de travail des enseignants. Depuis 2017, 10 000 postes d'enseignant ont été supprimés.

Par ailleurs, ce projet de loi ne prévoit pas suffisamment de postes dans le secteur médico-social, alors que les ressources sont indispensables pour lutter contre le harcèlement scolaire, le décrochage et la détection de troubles liés à la santé mentale.

Nous partageons l'avis du rapporteur spécial concernant le FSDAP. Sa suppression aurait été une mauvaise nouvelle, et son report à 2025 n'est pas non plus une solution. Nous soutenons l'amendement visant à supprimer l'article.

M. Thomas Dossus. - Si la dépense publique a explosé, l'éducation nationale n'en a pas bénéficié. Le gel des salaires des enseignants, qui a trop duré, correspond à une baisse effective. Si l'on tient compte à la fois des décisions du passé, de l'inflation actuelle et de l'échec partiel du pacte enseignant, les hausses annoncées relèvent de l'enfumage.

La diminution du nombre de postes est une mauvaise idée. Le Gouvernement aurait pu saisir l'opportunité d'augmenter le taux d'encadrement. Par ailleurs, le manque d'investissement dans la santé scolaire constitue un maillon faible dans la lutte contre le harcèlement.

Monsieur le rapporteur spécial, vous proposez la suppression de l'article 53. Les Pial sont très décriés et il s'agit de trouver un nouveau mode d'organisation. Mais certaines dispositions de l'article 53 s'avèrent problématiques ; je partage donc la volonté de suppression, afin de pouvoir discuter du sujet dans un projet de loi dédié. De même, je soutiens la suppression de l'article 54.

M. Michel Canévet. - Concernant l'article 53, je note qu'il est présenté par le Gouvernement comme une expérimentation. Si l'on souhaite rendre le dispositif opérationnel dès la prochaine rentrée scolaire, il convient de prendre rapidement les dispositions. Des difficultés d'intégration demeurent pour les personnes en situation de handicap. Avant qu'un projet de loi sur le sujet ne soit programmé, l'année scolaire risque d'être passée.

Après l'apocalyptique tableau dressé des finances publiques, je m'étonne que le rapporteur spécial déplore la suppression de 2 500 postes. Cette réduction des effectifs tient à la baisse considérable de la démographie dans notre pays, puisque nous sommes passés de 800 000 à 700 000 naissances par an. Il s'agit d'être cohérent, et cela me paraît surréaliste de dénoncer à la fois l'augmentation des dépenses publiques et la diminution des postes d'enseignant.

M. Dominique de Legge. - Chaque année, nous assistions à des fermetures de classe. Nous savons également que la démographie ne cesse de baisser et que nos enseignants sont mal payés. Il y a un vrai sujet autour de la gestion des ressources humaines, d'autant que l'éducation nationale est le premier employeur de France.

Avez-vous une idée du pourcentage des personnels directement affectés à la tâche auprès des élèves ? Avez-vous également une idée du nombre de personnels détachés de l'éducation nationale vers d'autres opérateurs et du nombre total de personnels administrant l'éducation nationale ?

M. Arnaud Bazin. - Je soutiens la suppression de l'article 53. En effet, certains droits risquent de disparaître, et cela inquiète beaucoup les parents d'enfants handicapés.

Nous devrions disposer d'une analyse montrant le ratio entre le nombre d'enseignants auprès des élèves et le nombre d'élèves au cours des dernières années et en se projetant dans l'avenir. Peut-être faut-il neutraliser l'effet des dédoublements de classes, pour lesquels l'accord est général, afin de ne pas fausser l'analyse. Quant aux personnels non enseignants, il s'agirait de savoir le contenu exact de leurs tâches.

Mme Christine Lavarde. - Dans son introduction, le rapporteur spécial a précisé que les crédits de sa mission étaient les plus importants. Si l'on considère la part des dépenses de l'éducation nationale dans celle des dépenses non couvertes par les lois de programmation, on doit avoisiner les 50 %. Or, si l'on souhaite réaliser des économies pour réduire les dépenses publiques, il va bien falloir s'attaquer à ces gros budgets. Dans ce ministère de l'éducation nationale, la part des personnels s'occupant d'administrer semble pléthorique. Que fait-on avec ces derniers ?

Dans le département des Hauts-de-Seine, on observe des fermetures de classes liées à une décroissance des effectifs dans les écoles publiques, alors que les écoles privées, dans le même temps, présentent des listes d'attente. L'école publique est-elle encore en mesure d'assumer sa mission ? Ne devrait-on pas relâcher l'étau et revoir la loi de 1984 ?

M. Stéphane Sautarel. - Je remercie le rapporteur spécial pour son éclairage concernant l'éducation en milieu rural. J'apporte mon soutien à la proposition de suppression de l'article 54 qui, encore une fois, met en cause la continuité des décisions que subissent les collectivités territoriales.

Si je m'en tiens aux chiffres de mon département, en appliquant tous les ratios, 56 % de la totalité des effectifs se trouveraient devant les élèves : cela est inadmissible. Je ne peux pas voter un budget en augmentation de 6,5 % qui, dans le même temps, prévoit la fermeture de 2 300 classes, d'autant plus que ces fermetures, encore une fois, vont concerner nos écoles rurales. La Première ministre s'était engagée sur un moratoire de trois ans sur la non fermeture d'écoles sans accord du maire, afin d'examiner les situations démographiques. Dans nos territoires, la suppression d'un poste équivaut à la fermeture d'une classe. Il s'agit de prendre en compte la question de l'éloignement et l'intérêt des élèves. Quand seulement 56 % des effectifs se trouvent devant les élèves, on commence par supprimer des postes ailleurs.

M. Bruno Belin. - J'ai fait partie de ces parlementaires qui se sont offusqués de la suppression du FSDAP. Ces derniers jours, j'ai cru comprendre que ce fonds était finalement préservé. Pouvez-vous nous en dire davantage sur le sujet ?

La baisse de la démographie est une réalité, mais celle-ci ne se vit pas de la même manière quand on se trouve dans l'hyperruralité. En fermant des classes dans ces territoires, on condamne les enfants à passer deux heures par jour dans les bus. Je ne voterai pas un budget alors que, dans le même temps, on prévoit de fermer des classes. La Première ministre a évoqué un moratoire ; nous attendons de voir.

M. Olivier Paccaud, rapporteur spécial. - Monsieur le rapporteur général, vous m'avez interrogé sur la floraison de nouvelles formations prévues dans l'enseignement professionnel. Il s'agit d'adapter l'enseignement professionnel aux réalités économiques actuelles. Parmi les nouvelles formations, certaines sont liées à la modélisation, au prototypage en 3D, d'autres aux soins à la personne, à l'encadrement sportif. Cela va créer une douzaine de nouveaux diplômes ; à l'inverse, d'anciennes formations devenues obsolètes vont disparaître. En réalité, plus de 1 000 élèves seront concernés, car il y a tous ceux qui n'iront plus dans les anciennes formations.

Pour répondre à tous les commissaires qui m'ont interrogé sur le sujet, la suradministration de l'éducation nationale est un mythe. Les personnels détachés sont peu nombreux. Et sur les 1,2 million de salariés de l'éducation nationale, on recense 57 000 agents liés au personnel administratif et, en comptant les contractuels, environ 900 000 professeurs devant les élèves. Ensuite, il faut compter les 150 000 AESH ou les assistants d'éducation (AED).

La substitution des Pial par les PAS pose problème car il n'y a jamais eu d'évaluation du fonctionnement des Pial. Sans doute faut-il mieux accorder les décisions prises par les MDPH avec les besoins exprimés par les enseignants. Par ailleurs, l'article 53 prévoyait une création progressive - et non expérimentale, comme l'indiquait M. Canévet - des PAS. À partir de 2026, ces derniers devaient couvrir l'ensemble du territoire. Une loi spécifique sur l'école inclusive sera nécessaire dans les prochains mois ; trop de problématiques sont aujourd'hui traitées de façon quantitative, alors qu'il conviendrait de rationaliser les interventions.

Même avec un budget en hausse de 6,5 %, notre éducation nationale se porte très mal. Dans deux domaines, on se trouve en bas du classement européen : celui des salaires des enseignants et celui de taux d'encadrement, notamment dans le primaire et le secondaire. Si l'on veut une éducation nationale efficace, il faut y mettre les moyens.

Pour répondre à Bruno Belin, la Première ministre a décidé d'annuler la baisse du FSDAP prévue pour 2023. Le fonds est actuellement doté de 41 millions d'euros. On parle maintenant de reporter la mesure de suppression à 2025. Mais ce fonds est utile, et je vous propose donc la suppression de l'article 54.

La commission décide de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, les crédits de la mission « Enseignement scolaire ».

EXAMEN DES ARTICLES RATTACHÉS

Article 53

L'amendement FINC.1 est adopté.

La commission décide de proposer au Sénat de ne pas adopter l'article 53.

Article 54

L'amendement FINC.2 est adopté.

La commission décide de proposer au Sénat de ne pas adopter l'article 54.

Projet de loi de finances pour 2024 - Mission « Administration générale et territoriale de l'État » - Examen du rapport spécial

M. Claude Raynal, président. - Nous examinons maintenant le rapport spécial de Mme Florence Blatrix Contrat sur les crédits de la mission « Administration générale et territoriale de l'État ».

Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure spéciale de la mission « Administration générale et territoriale de l'État ». - La traduction budgétaire de l'engagement de « réarmement » de l'État territorial porté par le Gouvernement n'est pas à la hauteur. Les effectifs du programme 354 « Administration territoriale de l'État » augmenteront de 232 équivalents temps plein (ETP), loin en deçà de ce qui est devenu indispensable pour résoudre les difficultés auxquelles est confrontée l'administration déconcentrée du ministère de l'intérieur. Au rythme actuel, il faudrait plus d'une vingtaine d'années pour revenir au niveau des effectifs de 2012.

Dans un premier temps, je souhaite aborder les grands enjeux de la réforme de l'organisation territoriale de l'État. Les préfets sont au coeur de cette réforme et disposent de nouvelles marges d'action, en particulier pour redéployer des emplois entre les missions budgétaires. Outre la mission AGTE, plusieurs missions sont concernées : agriculture, écologie, culture, travail et emploi, solidarités, économie. Les préfets de région peuvent, en fonction des priorités locales et nationales, piocher dans ces viviers d'emplois et redéployer jusqu'à 2 000 ETP chaque année. Alors que le projet annuel de performances de la mission ne comporte aucune information sur l'utilisation de ce dispositif, je considère que l'information du Parlement devrait être assurée et que des précisions devront, à l'avenir, intervenir dès le dépôt du projet de loi de finances.

Par ailleurs, Mme Isabelle Briquet avait dressé un certain nombre de constats sur la situation des secrétariats généraux communs départementaux lors de ses travaux de contrôle, qui ont depuis été confirmés par les travaux interinspections. Les objectifs de la réforme n'ont pas été atteints et celle-ci a placé en grande difficulté les agents chargés de la mettre en oeuvre.

Dans ce contexte, les différents chantiers de convergence lancés dans le cadre de la réforme doivent permettre de rapprocher les fonctionnements en ressources humaines des principaux ministères. Ils doivent désormais se poursuivre afin de permettre que les secrétariats généraux communs départementaux fonctionnent dans de bonnes conditions.

Je souhaite également revenir sur certains constats de la Cour des comptes, exprimés dans son rapport sur les effectifs de l'administration territoriale. La Cour considère que les suppressions de postes de ces dernières années n'ont pas été réalistes au sein des préfectures ; celles-ci ne fonctionnent qu'au moyen de contrats courts qui précarisent leurs titulaires et désorganisent les services.

Elle fait le constat que le plan préfectures nouvelle génération (PPNG) de 2016 a été conçu pour adapter les missions aux réductions d'effectifs, et non l'inverse. En dix ans, le programme a enregistré la perte de 4 748 ETP, soit plus de 16 % des emplois de 2010. Aujourd'hui, la hausse proposée ne représente que 5 % des pertes d'effectifs auxquelles a été confronté le réseau des préfectures.

Par ailleurs, le ministère de l'intérieur a mis en place un document stratégique : missions prioritaires des préfectures (MPP) 2022-2025. Ce document est mal nommé ; loin de prioriser certaines missions, il rappelle l'importance de l'ensemble des missions préfectorales. En menant le chantier en trompe-l'oeil de la priorisation des missions, le Gouvernement veut faire croire que les difficultés de l'administration territoriale de l'État peuvent être résorbées à moyens constants. L'impossibilité de prioriser certaines missions pour le ministère témoigne de la nécessité d'augmenter les moyens afin de garantir la mise en oeuvre effective des différentes politiques publiques portées par la mission.

Je souhaite également revenir sur la délivrance des titres. En 2022, les délais d'obtention de cartes nationales d'identité et de passeports ont atteint des délais inacceptables. Aujourd'hui, ils ont été largement résorbés ; nous sommes revenus à des délais moyens d'obtention d'un rendez-vous en deçà de 20 jours.

Ces progrès ont été rendus possibles grâce à la mise à disposition des communes de nouveaux dispositifs de recueil indispensables pour traiter les demandes. Ainsi, entre 2021 et 2023, le nombre de dispositifs a augmenté d'un peu plus de 40 %. Outre les évolutions de la dotation titres sécurisés (DTS), indispensables pour permettre aux communes d'absorber le flux de demandes, ces nouveaux dispositifs ont permis de réduire les délais.

Aujourd'hui, la hausse du nombre de demandes de carte nationale d'identité et de passeport est structurelle ; on peut prévoir environ 14 millions de demandes de titres par an. Un rapport commandé à la Cour des comptes par la commission des finances devrait être rendu dans les prochains mois ; il permettra de mieux comprendre les raisons qui ont conduit à une telle explosion des délais, et d'évaluer si les réponses apportées à ce stade offrent une solution durable aux difficultés rencontrées par nos concitoyens. Il est aujourd'hui indispensable d'assurer un suivi beaucoup plus fin de l'évolution des demandes de titres, afin d'être en mesure de beaucoup mieux anticiper en cas de dérapage des délais de délivrance de titres.

Par ailleurs, pour permettre aux services instructeurs des préfectures de faire face à l'évolution structurelle des demandes de titres d'identité, le nombre de contractuels a été multiplié par onze. On ne saurait admettre que pour répondre à une évolution d'ordre structurel, le Gouvernement fasse le choix d'apporter une réponse conjoncturelle en mobilisant des effectifs contractuels.

Les services en charge de l'accueil et des demandes de titres étrangers sont confrontés à des problématiques similaires. Ils sont toujours en grande difficulté, et les délais n'ont pas vraiment été réduits sur les principales procédures. La dématérialisation des rendez-vous et d'une partie des démarches, dans le cadre de l'administration numérique pour les étrangers en France (Anef), est très loin d'apporter les réponses attendues à la crise de ces services.

Si l'Anef a été initialement présentée comme un gisement potentiel d'économies d'emplois, le ministère de l'intérieur est heureusement revenu sur cette appréciation. Dans la lignée des engagements pris par le ministre de l'intérieur l'an dernier, la consigne a été passée aux services de mobiliser les marges en effectifs dégagées par l'Anef pour améliorer la qualité de l'accueil et du traitement des dossiers.

Les renforts en contractuels sont maintenus pour 2024. Je regrette, encore une fois, ce choix de mobiliser des contractuels, alors que de nouveaux renforts sont déjà envisagés en 2025. On sait déjà que des renforts de long terme seront nécessaires, et la priorité devrait être de consolider des services et de fidéliser des compétences, à rebours du choix du Gouvernement.

Je souhaite enfin revenir sur le rôle du Secrétariat général du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (SG-CIPDR), une structure qui a particulièrement occupé notre commission à l'occasion de la mission d'information sur le fonds Marianne. La tutelle de la ministre déléguée sur le SG-CIPDR a mis à mal la vocation interministérielle de cette structure ; l'évolution de l'activité et des relations avec le politique du SG-CIPDR a malheureusement conduit, comme l'a montré le rapport de notre commission, à « un mélange des genres regrettable ».

Au-delà des recommandations de la mission, il me semble indispensable de tirer des enseignements sur le rôle de cette structure et sur son positionnement. La nomination, comme nouveau secrétaire général, d'un ancien magistrat, doit être vue comme allant dans le bon sens. L'engagement pris par Mme Sonia Backès, avant sa démission du Gouvernement, de transformer le Secrétariat général en délégation me semble pertinente. Cette transformation permettrait de renforcer le caractère interministériel de la structure, et de donner à celui qui la dirige, devenu délégué interministériel, la capacité d'entretenir des rapports directs avec les autres ministres et cabinets. La prévention de la délinquance doit avant tout passer par une logique interministérielle, et cette dimension doit être réaffirmée.

L'évolution doit aussi passer par la normalisation de la situation des agents de l'unité de contre-discours républicain (UCDR), qui doivent pouvoir être des agents titulaires. Il conviendrait que la direction du budget admette un rehaussement ponctuel du plafond d'emploi du programme 216 pour intégrer ces agents.

Avant de conclure, je souhaite évoquer la situation des intervenants sociaux en commissariat et gendarmerie (ISCG). Ils jouent un rôle majeur pour l'accueil des victimes en situation de fragilité, notamment les femmes victimes de violences intrafamiliales et les personnes en situation de handicap ; les retours sur le sujet, dans les territoires, sont très positifs.

Alors que le fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD) couvre 80 % du coût la première année, 50 % la deuxième et 30 % la troisième, le Gouvernement a fait le choix, raisonnable, de maintenir son financement à 30 % au-delà de la troisième année de manière pérenne. C'est une avancée importante, qui permet de soutenir ce dispositif indispensable pour l'accompagnement des victimes.

En conclusion, je souhaite évoquer la sortie du champ du SG-CIPDR des crédits dédiés au financement de la vidéoprotection. Ces financements sont désormais portés par la direction des entreprises et partenariats de sécurité et des armes (Depsa), qui a vocation à unifier la politique de l'État en direction des différents acteurs de la sécurité.

D'un point de vue budgétaire, les crédits de la vidéoprotection sortent de l'action dédiée au FIPDR et rejoignent une action ad hoc. D'après mes échanges avec le ministère, bien que retracés sur un budget opérationnel de programme et une action distincts, les crédits de la vidéoprotection seraient néanmoins toujours considérés comme des crédits relevant du FIPDR. Je déplore l'incohérence et le manque de clarté qui résulte de ce changement de maquette budgétaire.

Surtout, je considère que ces évolutions auraient pu constituer une occasion de faire évoluer les règles applicables au financement de la vidéoprotection et de les sortir du cadre rigide du FIPDR. L'installation de la vidéoprotection n'est pas une dépense d'équipement comme une autre ; elle mériterait d'être traitée comme une dépense d'investissement. Une telle évolution permettrait aussi de renforcer la dimension pluriannuelle de l'engagement de ces crédits, et de favoriser le financement d'opérations complexes ou d'une plus grande ampleur. En ce sens, les changements introduits par le projet de loi de finances auraient pu constituer l'occasion d'adapter les conditions du financement par l'État des projets des collectivités.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, je propose le rejet des crédits de la mission.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Le rapport met bien en lumière un problème déjà évoqué pour ce PLF : l'absence de priorités. La question des titres sécurisés l'illustre bien. Il a fallu batailler pendant trois ou quatre ans pour que la montée en charge du dispositif commence. Cependant, un travail important reste à fournir puisqu'il faut évaluer les besoins afin d'apporter une réponse durable, sans surcharger les effectifs et tout en assurant une bonne qualité de service. Au début de la mise en place du dispositif, il fallait une semaine pour obtenir sa pièce d'identité, mais aujourd'hui les délais sont plus longs. Les élus locaux font remonter des demandes en la matière, en réaction à une réalité vécue et non pour le plaisir de contester. Je note que les collectivités locales sont au rendez-vous de l'équilibre budgétaire et financier. Je partage l'avis de notre rapporteure spéciale.

M. Marc Laménie. - La baisse des effectifs est largement signalée depuis une dizaine d'années. Des sous-préfectures ont été supprimées il y a quelques années ; où en est-on à ce sujet ?

Pourriez-vous revenir sur l'efficacité des maisons France Services ?

Enfin, les intervenants sociaux au sein des commissariats de police et des unités de gendarmerie sont trop peu nombreux. Pourtant, ils représentent un lien et contribuent notamment à lutter contre les violences intrafamiliales.

Mme Isabelle Briquet. - La mission montre bien les conséquences du désarmement des services de l'État. Nous observons une perte de services et de compétences, ainsi qu'un recours massif à des contractuels. La Cour des comptes souligne que la situation n'est pas acceptable.

Les éléments communiqués cette année permettent-ils d'envisager le retour à un délai correct pour la délivrance des titres ?

Les crédits liés à la vidéoprotection changent d'affectation. Néanmoins, un meilleur fléchage serait souhaitable. Le FIPD montrait que ces crédits étaient insuffisants par rapport à la demande croissante des communes à tel point que, dans certains départements, la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) doit pallier ces manques. Je ne peux qu'appuyer la demande formulée pour tenter d'y voir plus clair sur la répartition et l'usage de ces fonds.

M. Grégory Blanc. - S'agissant de la délivrance des titres sécurisés, je souhaiterais obtenir quelques éclaircissements sur les plans de renfort exceptionnel pour 2024.

Par ailleurs, la dématérialisation mise en place pour la délivrance des titres pour les étrangers est une catastrophe, qui crée des difficultés et même certaines situations irrégulières. Pourriez-vous donner des précisions à ce sujet ?

M. Olivier Paccaud. - Ma question reprend celle d'Isabelle Briquet sur la vidéoprotection. Je suis issu d'un territoire dans lequel le conseil départemental comme la région ont fourni de gros efforts en la matière. Aujourd'hui, de nombreuses communes ont recours à cet outil - que leur maire soit de droite ou de gauche - et doivent faire appel à l'État pour compléter leur plan de financement. Un flou demeure sur les crédits alloués et une clarification semble nécessaire.

Mme Christine Lavarde. - Je voudrais poser une question concernant la délivrance des titres pour les étrangers, que j'ai adressée au ministre de l'intérieur il y a presque un an et à laquelle je n'ai toujours pas reçu de réponse : pourquoi le dépôt numérique n'est-il pas possible pour tous les dossiers ? En effet, cette possibilité ne concerne que les étudiants, les visiteurs, ceux qui relèvent du « passeport talent » ou demandent des duplicatas. Cet accès restreint crée des difficultés et oblige les personnes étrangères à obtenir un rendez-vous physique pour apporter leurs pièces justificatives. Ce problème aurait dû être résolu par le déploiement complet de l'Anef, prévu pour 2020. D'où vient le blocage ? S'agit-il uniquement de questions de personnel que vous avez évoquées ou aussi de problèmes techniques ?

Mme Florence Blatrix Contat, rapporteure spéciale. - Je partage les propos du rapporteur général sur l'incapacité à prioriser et sur le manque d'évaluation des besoins pour répondre aux demandes de l'administration territoriale. Nous devons adapter les moyens aux besoins et non les besoins aux moyens, ce qu'a fait le Gouvernement.

Pour répondre à Marc Laménie, six sous-préfectures ont été créées l'année dernière et il n'y a pas de nouvelles créations prévues.

Par ailleurs, les maisons France Services présentent une grande disparité. Dans mon département, certaines fonctionnent très bien et bénéficient d'une forte affluence, quand d'autres rencontrent plus de difficultés. Une évaluation est nécessaire pour que les collectivités soient accompagnées en la matière.

Enfin, je partage vos propos sur la question des intervenants sociaux.

Madame Briquet, pour la délivrance de titres, la durée moyenne pour obtenir un rendez-vous est de 18,4 jours, ce qui représente une amélioration sensible.

En ce qui concerne la vidéoprotection, nous allons mener des travaux complémentaires avant l'examen dans l'hémicycle, pour tenter de remédier au manque de clarté. Les crédits ne sont plus rattachés à l'action dédiée au FIPD au sein du programme 216. Le FIPD devra-t-il contribuer au financement de la vidéoprotection au détriment d'autres actions ? Nous le craignons.

Monsieur Grégory Blanc, selon une décision du Conseil d'État, les procédures doivent être revues pour garantir un meilleur accompagnement dans le cadre de l'Anef. Dans certains départements, des points d'accueil numérique renforcés (PAN+) sont mis en place en parallèle du déploiement du dispositif PAN-Emeraude, dont les évaluations semblent positives. Les moyens dont dispose le ministère ne permettent malheureusement pas que ce déploiement soit généralisé à ce stade.

Enfin, madame Lavarde, je n'ai pas de réponse à votre question, l'essentiel des procédures ANEF étant censées être aujourd'hui accessibles. Nous nous renseignerons pour vous répondre.

La commission décide de proposer au Sénat de ne pas adopter les crédits de la mission « Administration générale et territoriale de l'État ».

Proposition de loi tendant à tenir compte de la capacité contributive des collectivités territoriales dans l'attribution des subventions et dotations destinées aux investissements relatifs à la transition écologique des bâtiments scolaires - Désignation d'un rapporteur

La commission désigne M. Stéphane Sautarel rapporteur sur la proposition de loi n° 922 (2022-2023) tendant à tenir compte de la capacité contributive des collectivités territoriales dans l'attribution des subventions et dotations destinées aux investissements relatifs à la transition écologique des bâtiments scolaires.

La réunion est close à 12 h 40.

- Présidence de M. Thierry Cozic, vice-président -

La réunion est ouverte à 16 h 30.

Projet de loi de finances pour 2024 - Compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État » - Examen du rapport spécial

M. Thierry Cozic, président. - Mes chers collègues, nous examinons, cet après-midi, le rapport consacré au compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État » (CAS PFE).

M. Claude Raynal, rapporteur spécial du compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État ». - Je souhaiterais développer trois idées principales, en commençant par une analyse de la situation du compte, puis en effectuant un retour sur la situation du portefeuille de l'État actionnaire et, enfin, en présentant une projection sur les priorités que l'État actionnaire devrait se fixer pour les exercices à venir.

Marqué depuis 2020 du sceau des conséquences économiques de la crise sanitaire, le compte subit désormais les contrecoups du contexte international, tant pour ses dépenses, avec d'importants moyens mobilisés pour aider les entreprises du portefeuille, que pour ses recettes, du fait de l'interruption des cessions d'actifs. Il a ainsi fallu recourir à des versements du budget général pour l'alimenter.

Cette logique se poursuit en 2024, dans la mesure où les recettes du budget général représenteront environ 98 % des recettes du compte. Sur près de 10 milliards d'euros de recettes envisagées, les recettes de cession du compte, soit les recettes « normales » - si tant est que ce terme ait encore un sens - s'élèveront à 45 millions d'euros, soit 0,5 % pour une opération qui reste, à ce stade, confidentielle.

La confidentialité limite d'ailleurs très largement l'analyse prévisionnelle des crédits : à ce jour, sur 1,9 milliard d'euros dédiés aux opérations relevant du périmètre de l'État actionnaire, 97,4 % des crédits envisagés à ce titre ne peuvent être détaillés, au motif que « le caractère de ces opérations reste confidentiel, afin de ne pas porter préjudice aux intérêts patrimoniaux de l'État ». Si nous pouvons comprendre l'argument de la confidentialité des opérations, il limite très nettement la capacité d'appréciation du Parlement sur le compte pour l'année à venir.

Par ailleurs, l'inscription de 6,5 milliards d'euros au titre de la contribution au désendettement de l'État s'avère une mesure d'affichage budgétaire, dont personne n'est dupe : la contribution au désendettement vient, en réalité, nourrir d'autant le déficit prévu pour l'an prochain.

J'en arrive à la situation du portefeuille de l'État actionnaire, caractérisé par son dynamisme depuis la fin de la crise sanitaire. Le commissaire aux participations de l'État a indiqué publiquement que le portefeuille avait ainsi augmenté de 27,4 % entre le 31 décembre 2021 et le 30 juin 2023, alors que le CAC 40 avait progressé de 3,5 % sur la même période.

Les dates de référence sont cependant savamment choisies : cette différence illustre principalement une moindre reprise du portefeuille de l'État actionnaire à la fin décembre 2021, à la différence du CAC 40, qui, lui, a connu un pic de valorisation à cette période. Sur une échelle plus courte, entre juin 2022 et juin 2023, le portefeuille coté a dégagé un rendement actionnarial de 31,5 %, soit un niveau légèrement supérieur à celui du CAC 40, qui s'est élevé à 28,9 % sur la même période.

Concernant EDF, la nationalisation a été menée à son terme, aboutissant au retrait de la cote le 8 juin dernier. L'opération, d'un montant de 9,7 milliards d'euros, laisse néanmoins entièrement ouverte la question de la situation financière du groupe, dont la dette avoisine 65 milliards d'euros et dont les besoins d'investissements sont évalués entre 20 milliards d'euros et 25 milliards d'euros par an.

Par ailleurs, je tiens à évoquer une opération concernant les titres super-subordonnés souscrits par l'Agence des participations de l'État (APE) au profit d'Air France-KLM : l'entreprise a remboursé les titres et en a souscrit de nouveaux, pour un montant d'environ 700 millions d'euros. Cette opération, autorisée par la Commission européenne, a permis de lever un certain nombre de contraintes opérationnelles qui pesaient sur le groupe.

J'en viens, enfin, au rôle que pourrait jouer l'État actionnaire à l'avenir et aux défis auxquels il sera confronté. Je considère, à l'instar de mon prédécesseur Victorin Lurel, que la formalisation d'une nouvelle doctrine d'intervention par l'APE est indispensable. En effet, alors que la doctrine de 2017 est depuis longtemps dépassée, ce travail ne saurait être de nouveau reporté.

Certes, des éléments de doctrine épars apparaissent dans le rapport annuel de l'APE, mais il importe désormais qu'ils soient présentés de façon cohérente et hiérarchisée. Dans le rapport annuel, le commissaire aux participations de l'État dresse ainsi un inventaire à la Prévert des priorités de l'Agence : « responsabilité sociale et environnementale, transition énergétique, innovation, disruption, réindustralisation verte, résilience, achat responsable et local », etc. Si ces objectifs peuvent tous paraître légitimes, il est temps que l'APE et le Gouvernement clarifient la feuille de route de l'État actionnaire.

Les participations financières de l'État doivent aujourd'hui être mobilisées comme un outil de politique économique à part entière. Je considère que l'État doit être clair et déterminé pour faire face, notamment, aux défis des transitions écologique et numérique.

Avant de conclure mon propos, je souhaite revenir rapidement sur le vote, en commission des finances de l'Assemblée nationale, d'un amendement visant à nationaliser temporairement certains actifs stratégiques de l'entreprise Atos, en particulier ceux qui sont liés aux supercalculateurs et à la cybersécurité, même s'il n'est pas retenu après l'utilisation du troisième alinéa de l'article 49 de la Constitution.

Je considère que le maintien, dans le giron français, d'activités contribuant à notre souveraineté doit être défendu, et que la réorganisation comme le rachat d'une partie de l'entreprise méritent la plus grande attention. Je propose donc que nous suivions tout particulièrement ce sujet dans la perspective de la séance publique, afin d'en tirer les conséquences si une intervention en capital publique s'avérait nécessaire pour défendre notre souveraineté.

Enfin, concernant le programme 732 dédié au désendettement de l'État, nous n'avons que trop dénoncé, dans notre commission, un pur effet d'affichage. Par ailleurs, le remboursement qui apparaît sur le CAS PFE creuse le déficit. Je propose, en cohérence avec l'amendement qui sera ensuite présenté par notre collègue Albéric de Montgolfier sur la mission « Engagements financiers de l'État », de supprimer ces crédits.

Sous cette dernière réserve, je vous propose d'adopter les crédits du compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État ».

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Le rapport dresse le constat, déjà évoqué à l'occasion de l'examen d'autres missions, d'une absence de priorités clairement établies. L'État ne définit pas sa stratégie en tant qu'État actionnaire, ce qui n'est pas satisfaisant. De la même manière, je m'inscris dans les pas du rapporteur au sujet de la « dette covid ».

Concernant l'entreprise Atos, le ministre délégué chargé du numérique ne m'a pas semblé très à l'aise lorsqu'il a été interrogé en séance sur le sujet. Soyons particulièrement attentifs et prudents quant au devenir de cette entreprise à caractère stratégique.

M. Albéric de Montgolfier. - Je soutiens l'amendement du rapporteur spécial, qui converge avec le mien pour relever le caractère artificiel du programme 732.

Par ailleurs, pensez-vous que l'État peut être un bon actionnaire dès lors qu'il cherche à atteindre des objectifs contradictoires ? Il peut, en effet, demander à une entreprise telle qu'EDF de dégager un maximum de dividendes, tout en limitant en même temps, pour des raisons sociales, le prix de l'énergie.

N'existe-t-il donc pas un problème de doctrine par rapport à l'actionnaire d'une entreprise privée, qui cherche en premier lieu à la développer et éventuellement à percevoir des dividendes ? Dépourvu d'une véritable doctrine, l'État cherche à la fois à atteindre des objectifs d'intérêt général et des objectifs plus politiques, l'entreprise publique jouant le rôle de variable d'ajustement.

M. Grégory Blanc. - Comment l'État actionnaire peut-il bâtir une doctrine s'agissant des entreprises impliquées dans la transition environnementale ? Surtout, de quelle manière ces entreprises peuvent-elles s'inscrire dans une trajectoire de développement des filières économiques ?

Certes, des outils ont été déployés afin d'accompagner les conversions des structures existantes, notamment dans le cadre de la transition vers une industrie verte, mais il faudrait aussi et surtout accompagner les entreprises en vue de leur permettre de devenir des géants dans leurs secteurs respectifs. Cet enjeu de politique économique renvoie à la problématique de l'adéquation entre une stratégie de gouvernance - au travers des participations prises dans certaines firmes - et la politique de développement de véritables filières.

M. Claude Raynal, rapporteur spécial. - Le premier problème du CAS PFE est qu'il ne fonctionne pas comme un compte d'affectation spéciale. Dans le cadre du CAS PFE, l'État est censé vendre des participations - dont la valorisation est censée, en dehors des périodes de crise, croître avec le temps - et utiliser le produit de ces ventes pour racheter des parts dans d'autres entreprises, en adéquation avec des politiques données. Or nous nous sommes éloignés de ce principe, dans la mesure où le CAS PFE ne procède à aucune vente, à l'exception d'une cession aussi modeste que confidentielle, qui devrait dégager un produit de 45 millions d'euros.

Dans le même temps, le rachat intégral d'EDF fait écho à l'interrogation de M. Blanc, puisqu'il lui est à la fois demandé de développer de nouveau la filière nucléaire et de devenir un acteur majeur dans le secteur des énergies renouvelables. Si cette opération vise à refaire d'EDF un outil d'intérêt national, elle est réalisée non pas par le biais des recettes du CAS, mais au moyen d'un abondement des crédits de ce dernier par l'État.

L'État ne s'arrête d'ailleurs pas en chemin en affichant une politique de remboursements de la dette covid par l'intermédiaire du CAS : il recourt ainsi à un artifice peu glorieux, d'où la présentation d'un amendement que je vous invite à reprendre, puisqu'il avait été adopté dans des termes identiques l'année dernière.

J'en viens à la question, très ouverte, de la capacité de l'État à être un bon actionnaire : peut-il l'être ? Doit-il l'être ? S'il venait à investir dans des entreprises aussi stables et rentables que Total ou LVMH, il en retirerait à l'évidence des bénéfices, mais son rôle consiste davantage, me semble-t-il, à soutenir des projets comportant une part de risque, dont les activités appuyant la transition énergétique ou présentant un caractère stratégique. Sous cette réserve, rien ne s'oppose à ce que l'État joue un rôle d'actionnaire.

Il n'en reste pas moins qu'un manque de clarté persiste quant à la cohérence des actions de l'APE, de Bpifrance et de la Caisse des dépôts et consignations, elle-même actionnaire dans un certain nombre d'entreprises. S'il nous est répété, chaque année, que ces trois structures discutent entre elles sous l'égide du ministre de l'économie, la répartition des compétences et des priorités entre ces acteurs reste peu lisible, malgré l'apport de quelques clarifications au sujet de Bpifrance.

Cette impression d'une absence de doctrine s'illustre par l'utilisation de l'APE comme un outil d'intervention de confort, manié plutôt en fonction des politiques du moment qu'en application d'une véritable stratégie. Le rachat d'EDF constitue un cas à part, la participation à 100 % lui permettant de bénéficier de la garantie de l'État et donc de taux d'emprunt moins élevés.

L'État pourrait, en théorie, être un bon actionnaire, mais il est aujourd'hui dépourvu des moyens qui lui permettraient de l'être, dans la mesure où toutes les opérations sont effectuées par le biais de son budget, et non de la vente de participations.

En contrepoint, un élément positif mérite d'être signalé : après une période morose, le portefeuille de l'État renoue avec le dynamisme et permet d'abonder le budget général d'environ 2,2 milliards d'euros, même si, de l'autre côté, 9,7 milliards d'euros ont été mobilisés pour le rachat d'EDF.

En conclusion, la doctrine de l'État mériterait d'être clarifiée afin d'élaborer une véritable stratégie qui prendrait le pas sur des décisions par à-coups.

Article 37 (État D)

M. Claude Raynal, rapporteur spécial. - L'amendement FINC.1 vise à annuler 6,5 milliards d'euros de crédits de paiement du programme 732 « Désendettement de l'État et d'établissements publics de l'État » du CAS PFE, qui sont affectés à la Caisse de la dette publique. Il s'agit avant tout de montrer que nous ne sommes pas dupes du procédé consistant à faire apparaître un remboursement de la dette covid et tout en créant une autre dette pour l'État.

L'amendement FINC.1 est adopté.

La commission décide de proposer au Sénat d'adopter les crédits du compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État », sous réserve de l'adoption de son amendement.

La réunion est close à 18 heures.

Projet de loi de finances pour 2024 - Mission « Engagements financiers de l'État » et comptes de concours financiers « Accords monétaires internationaux » et « Avances à divers services de l'État ou organismes gérant des services publics » - Examen du rapport spécial

M. Thierry Cozic, président. - Nous examinons maintenant le rapport de M. Albéric de Montgolfier, rapporteur spécial sur les crédits de la mission « Engagements financiers de l'État », et les comptes de concours financiers « Prêts et avances à divers services de l'État ou organismes gérant des services publics » et « Accords monétaires internationaux ».

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur spécial de la mission « Engagements financiers de l'État » et des comptes de concours financiers « Accords monétaires internationaux » et « Prêts et avances à divers services de l'État ou organismes gérant des services publics ». - Nous examinons la mission « Engagements financiers de l'État » qui a pour socle le chiffre un peu effrayant d'un peu plus de 3 000 milliards d'euros de dette publique dont 2 560 milliards d'euros pour la dette de l'État en 2024. Malheureusement, d'année en année, cette mission se présente de manière de plus en plus douloureuse car elle traduit la nécessité de payer le coût de l'accoutumance à une dépense publique non maîtrisée et à des comptes publics non équilibrés - le rapporteur général Jean-François Husson l'a souligné dans sa présentation du tome I du rapport général sur le projet de loi de finances pour 2024 et j'indique à mon tour que le Gouvernement poursuit sa politique du « quoi qu'il en coûte ». En conséquence, l'alourdissement de la charge de la dette depuis 2022 devrait se confirmer et s'amplifier à nouveau l'année prochaine avec un endettement qui dépasse le seuil symbolique de 3 000 milliards d'euros.

Le fait nouveau est que l'absence de maîtrise de la dépense publique est dorénavant couplée aux effets de l'inflation et de la remontée des taux d'intérêt : la dette a donc plus que jamais un coût qui porte désormais les crédits de la mission « Engagements financiers de l'État » au rang de deuxième poste de dépenses du budget de l'État après la mission « Enseignement scolaire », en crédits de paiement, hors CAS Pensions et Remboursements et dégrèvements. Si la trajectoire des finances publiques devait poursuivre sa dérive, ces crédits pourraient devenir le premier poste de dépenses du budget de l'État d'ici 2027avec, en comptabilité nationale, environ 84 milliards d'euros d'intérêts de la dette pour l'ensemble des administrations publiques selon les prévisions du Haut Conseil des finances publiques, ce qui correspond à peu près au produit de l'impôt sur le revenu ; je précise ici que la seule prise en compte du montant des charges d'intérêt s'explique par le fait que la mission ne fait pas apparaitre les remboursements en capital puisque cette dette n'est malheureusement pas amortissable.

Pour 2024, les crédits de la mission devraient s'élever à 54,2 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et 60,8 milliards d'euros en crédits de paiement (CP). Si ces montants connaissent une stabilisation apparente par rapport à 2023, avec une diminution de 0,61 % en CP, soit 370 millions d'euros, ils se maintiennent donc à un niveau historiquement élevé. Pour mémoire, je rappelle que ces crédits ont augmenté de plus de 35 % en 2022 en CP, soit une hausse spectaculaire de 15,8 milliards d'euros par rapport à 2021. Ce que j'avais, dans un autre cadre, dénoncé depuis plusieurs années s'est donc malheureusement réalisé avec un bond de plus d'un tiers en une seule année

C'est ainsi à « l'arithmétique déplaisante » de l'alourdissement de la charge de la dette de l'État que je consacrerai l'essentiel de mon propos. Je reviendrai ensuite sur le sujet des appels en garantie au titre des prêts garantis par l'État (PGE), avant de conclure sur la situation des comptes spéciaux rattachés à la mission.

Nous sommes aujourd'hui sortis de l'insouciance de la fin de la décennie 2010 où s'est exercé l'effet quasi anesthésiant des taux qui diminuaient chaque année en permettant d'emprunter moins cher et il est vrai qu'on a constaté pendant un certain nombre de budgets une baisse du coût de cette dette. En effet, la maturation moyenne des prêts est d'environ 8 ans et lorsqu'on empruntait en fin d'échéance pour renouveler la dette, on bénéficiait de conditions plus favorables. Le temps où l'État pouvait emprunter à taux très bas ou négatifs est cependant révolu. Désormais, chaque euro d'endettement supplémentaire a un prix croissant. Les taux auxquels l'État se finance ont enregistré une forte hausse sur les deux dernières années : tous instruments confondus, à l'exception des titres indexés, l'État a émis sa dette en moyenne à - 0,3 % en 2021, à 1,0 % en 2022 et, pour les 10 premiers mois de 2023, à 3,1 %. Pour avoir mené un certain nombre d'auditions auprès de l'Agence France Trésor, la Banque de France, de spécialistes en valeurs du Trésor tels que la Société Générale et la Deutsche Bank, ainsi que d'analystes d'agence de notation, je signale que tous s'accordent à dire que le niveau des taux d'intérêt longs au voisinage de 3% devrait perdurer dans les prochaines années, ce qui validerait l'hypothèse d'un coût de la dette représentant le premier poste du budget de l'État d'ici 2027.

Les crédits liés à la gestion de la dette devraient ainsi s'élever à 50,86 milliards d'euros en 2024. Si ce montant marque une stabilisation provisoire par rapport au chiffre retenu dans le projet de loi de finances de fin de gestion pour 2023 (PLFFG 2023), à 54,65 milliards d'euros, il augmente sensiblement par rapport à la LFI 2023, de 1 milliard d'euros (+ 1,8 %). En incluant la dette de SNCF Réseau reprise par l'État (800 millions d'euros), la charge de la dette représenterait donc 51,7 milliards d'euros en 2024, soit 8,9 % des dépenses du budget général, contre 8 % en loi de finances pour 2022 et 10,8 % en loi de finances pour 2023. Je vous laisse imaginer les marges de manoeuvres que représenteraient ces 51,7 milliards d'euros si on pouvait les allouer aux infrastructures, à l'éducation ou à la sécurité, et je me limite ici aux sujets abordés pendant les questions d'actualité qui viennent d'avoir lieu ce mercredi.

J'ai indiqué que la charge de la dette connaîtrait en 2024 une « stabilisation provisoire » par rapport à 2023, révisé suivant le projet de loi de finances de fin de gestion. Je ne saurais trop souligner l'adjectif « provisoire ». En effet, la diminution de la charge de la dette prévue par le Gouvernement pour 2024, de 3,8 milliards d'euros par rapport à 2023, s'explique essentiellement par le reflux attendu de l'inflation, pour un effet favorable de - 7,2 milliards d'euros.

Cependant, cet effet inflation devrait progressivement être supplanté par un effet taux, désormais défavorable avec la remontée des taux d'intérêt et qui s'est déjà traduit, entre 2022 et 2023 révisé, par un surcroît de charge budgétaire de + 6,8 milliards d'euros. Cette remontée des taux d'intérêt fait suite au resserrement de la politique monétaire de la Banque centrale européenne (BCE) entamé en juillet 2022 et qui s'est poursuivi jusqu'à un dernier relèvement des taux directeurs en septembre 2023, le taux de la facilité de dépôt étant désormais fixé à 4 %. S'ajoute un effet volume en augmentation, avec + 3,3 milliards d'euros entre 2023 révisé et 2024, qui s'explique par l'augmentation de l'encours de la dette négociable, lui-même héritage d'un niveau de dépenses publiques trop élevé et non maîtrisé.

Comme je l'ai rappelé en introduction de mon propos, l'encours de la dette négociable de l'État devrait dépasser 2 560 milliards d'euros en 2024. Depuis 2018, cet encours a augmenté de plus de 45 % : il s'élevait alors à 1 760 milliards d'euros. Je fais observer que dans sa présentation au Sénat du projet de loi de finances pour 2018, retracée par le compte rendu analytique que j'ai relu ce matin, le ministre Bruno Lemaire avait plusieurs fois répété la formule « c'est fini » pour annoncer la fin des dérives - endettement et déficits excessifs - des comptes publics de la France. Or l'augmentation de 45 % de l'encours de la dette depuis 2018 va très au-delà de l'effet imputable au « quoi qu'il en coûte » lié au Covid : on paye également ici sans doute l'absence de stratégie pour la maîtrise de la dépense publique.

De plus, dans le contexte macroéconomique incertain que nous connaissons, les hypothèses optimistes sur lesquelles le Gouvernement fonde ses projections pourraient être remises en cause. Je mentionne ici l'exacerbation des tensions géopolitiques causée par le conflit au Proche-Orient qui, selon les modélisations de la Direction générale du Trésor, pourrait se traduire par une augmentation sensible du prix du baril de pétrole, ce qui pourrait aboutir à des impacts significatifs sur l'inflation et plus encore sur le solde primaire. Les conséquences potentielles sur le déficit primaire pourraient ainsi aller de 0,0 % en année 1 et 0,1 % en année 2 dans le cas d'une hausse du prix du baril de 8 %, à 0,3 % en année 1 et 1,2 % en année 2 pour une hausse du prix du baril de 66 %. Le pire n'étant pas toujours sûr, l'impact reste néanmoins contenu pour le moment avec un prix du baril oscillant autour de 90 dollars.

S'agissant du périmètre de la mission, je souhaiterais, d'une part, saluer une avancée partielle et, d'autre part, souligner un artifice budgétaire persistant.

L'avancée partielle, c'est l'intégration à la mission « Engagements financiers de l'État » du programme 355 « Charge de la dette de SNCF Réseau reprise par l'État », précédemment rattaché à la mission « Écologie ». En effet, l'extraction de la charge de la dette de SNCF Réseau en dehors de la mission « Engagements financiers de l'État » était source de confusion, en ce qu'elle alimentait un doute sur les crédits que devait consacrer l'État à la charge de la dette. S'il convient donc de saluer cette avancée, on peut regretter que le Gouvernement n'ait pas retenu l'option consistant à supprimer le programme 355 et le mécanisme spécifique institué pour la reprise de la charge de la dette de SNCF Réseau, afin de réunir dans un programme unique, le programme 117, les crédits alloués à la charge de la dette assumée par l'État.

L'artifice budgétaire persistant, c'est le maintien du programme 369 «Amortissement de la dette de l'État liée à la covid- 19 », avec 6,5 milliards d'euros en CP ouverts pour 2024. Aucun argument économique ou budgétaire ne justifie l'isolement de la « dette covid », les recettes fiscales supplémentaires pouvant tout aussi bien servir à réduire le déficit budgétaire courant. Le Gouvernement cherche simplement à donner l'impression qu'il « gère la dette » alors que le maintien de sa politique du « quoi qu'il en coûte » et son absence totale de maîtrise de la dépense publique prouvent le contraire. Dans le même sens que l'initiative portée par notre collègue Claude Raynal pour les crédits du compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État » destinés à l'amortissement de la « dette covid », je proposerai donc d'amender les crédits de la mission « Engagements financiers de l'État » afin de supprimer le programme 369.

J'en viens aux crédits dédiés aux appels en garantie de l'État, dont le montant devrait diminuer en 2024 mais qui continuent de nécessiter une forte vigilance dans le contexte économique incertain que nous connaissons. Les crédits du programme 114 « Appels en garantie de l'État » connaissent en 2024 une baisse significative de 26 % et passent de 2,58 milliards d'euros à 1,90 milliard d'euros. Rappelons à cet égard que la baisse attendue de la sinistralité des garanties instituées pendant la crise sanitaire devrait même se traduire par une annulation de 491 millions d'euros (en AE et en CP) dans le projet de loi de finances de fin de gestion pour 2023.

Concernant plus particulièrement les prêts garantis par l'État (PGE et PGE Résilience), la direction générale du Trésor m'a tenu avant-hier soir en audition des propos rassurants mais une grande vigilance me semble s'imposer, notamment dans certains secteurs. La presse économique indique par exemple ce matin que de nombreuses petites entreprises du secteur de la micro-brasserie, très fragilisées par l'augmentation de leurs charges - surtout de leurs factures d'énergie -, risquent de ne pas pouvoir rembourser leurs prêts. Globalement, les décaissements d'appels en garantie anticipés pour 2024 s'élèvent à 1,4 milliard d'euros, soit une diminution de 500 millions d'euros par rapport à la prévision de la LFI 2023. À fin juillet 2023, le capital restant dû sur les PGE s'élève à 76,5 milliards d'euros, soit 53 % du montant total octroyé.

Certes il n'y a pas eu de sinistre important à ce stade mais 53 % du montant des PGE doit donc encore être remboursé. À cet égard, la situation en termes de besoins de trésorerie des entreprises apparaît globalement maîtrisée, mais plusieurs secteurs présentent des vulnérabilités. Nous risquons ainsi d'entrer dans une période plus difficile et restons attentifs au niveau de défaillances d'entreprises qui sera rencontré l'année prochaine.

Je conclurai mon propos par quelques mots sur les comptes spéciaux rattachés à la mission, à savoir les comptes de concours financiers « Accords monétaires internationaux » et « Prêts et avances à divers services de l'État ou organismes gérant des services publics ».

Comme pour les années précédentes, le compte de concours financiers « Accords monétaires internationaux » n'est pas doté de crédits pour 2024. Quant au compte de concours financiers « Prêts et avances à divers services de l'État ou organismes gérant des services publics », celui-ci se stabilise en périmètre et continue sa normalisation, y compris pour les programme 829 et 830 concernant les avances et prêts accordés à la métropole d'Aix-Marseille-Provence et à FranceAgriMer. Cette évolution permet ainsi la poursuite du rétablissement du solde de ce compte, attendu en excédent de 286 millions d'euros en 2024, contre un déficit de près de 102 millions d'euros en prévision pour 2023 et 190 millions en 2022.

Sur la base de ces différents constats, je vous propose donc d'adopter les crédits ainsi modifiés de la mission « Engagements financiers de l'État » ainsi que les crédits des comptes de concours financiers « Accords monétaires internationaux » et « Prêts et avances à divers services de l'État ou organismes gérant des services publics. »

En conclusion, le Gouvernement a bénéficié d'un épisode extraordinaire de taux d'intérêt négatifs : ceux-ci ont joué un rôle anesthésiant et permis de justifier toujours plus de dépenses budgétaires puisque la dette coutait moins. Cette période est révolue et laisse place à une inexorable montée en puissance du coût de la dette. Je pense que les Français n'ont pas encore pleinement conscience du fait que l'équivalent du montant de l'impôt sur le revenu, soit environ un quart des recettes fiscales, pourrait à terme servir simplement à payer les intérêts de notre dette. Voilà pour mon analyse de cette situation sur laquelle nous n'avons guère de moyens d'action à ce stade, si ce n'est de la constater.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. -Je partage à titre personnel et avec au moins la majorité sénatoriale l'analyse du rapporteur spécial. Celle-ci n'est pas nouvelle et repose sur des constats devenus malheureusement récurrents. Le tableau le plus frappant figure dans la note qui nous a été distribuée : il retrace l'évolution de l'encours de la dette négociable de l'État depuis 2018 et sa pente ascendante contraste de façon surprenante avec l'intention initialement affichée de réduction de cet endettement.

Je me souviens effectivement qu'à l'automne 2020, quand nous avions évoqué le risque de devoir faire face au mur de la dette, le ministre de l'Économie et des Finances nous avait aimablement renvoyés dans nos buts en nous expliquant qu'il fallait profiter des taux négatifs. Sans contester cette réalité, nous avions fait observer qu'en cas de retournement de la conjoncture - ce qui n'était alors pas à exclure - et même en l'absence de hausse de taux, le réveil serait douloureux. Comme je l'ai indiqué ce matin, compte tenu de la situation critique de nos finances publiques, je ne comprends pas la poursuite du « quoi qu'il en coûte » : on en redemande, dans une forme de fuite en avant. Je rappellerai en séance publique le caractère extrêmement préoccupant de cette dépendance et le refus d'y apporter des soins pour une désintoxication. À un certain moment, l'opinion pourrait, un peu comme dans le cas de la taxe carbone, avoir le sentiment de faire l'objet d'une vaste duperie et je pense qu'il est de notre responsabilité d'envoyer des messages d'alerte : il ne s'agit pas de susciter des inquiétudes excessives mais ne pas dire la vérité nous expose à mon avis à des réveils douloureux. Face à la montée d'expressions de plus en plus radicales que nous percevons tous dans notre pays, nous avons un devoir de vérité et même d'honnêteté. Ne pas présenter un constat objectif est un mauvais calcul.

Bien entendu, je suivrai les préconisations du rapporteur spécial ainsi que la mesure de sincérisation budgétaire proposée.

Mme Christine Lavarde. - J'adresserai deux questions au rapporteur spécial. Tout d'abord, l'Italie essaye aujourd'hui d'orienter l'épargne des Italiens vers l'achat de titres de dette nationale, ce qui laisse craindre un effet d'éviction pour le financement des investissements du secteur privé. En comparaison, quel regard portez-vous sur la politique d'émission de la dette française, certains critiquant le fait que la dette française est en grande partie détenue par des non-résidents, ce qui nous expose à une dépendance vis-à-vis des choix de ces derniers plutôt qu'à la volonté des épargnants de notre pays ?

En second lieu, vous avez indiqué que le taux d'émission moyen de la dette de l'État avoisine 3,1 %, ce qui est très inférieur aux niveaux proposés aux collectivités territoriales, y compris à celles qui ont une situation financière très satisfaisante, avec un désendettement continu depuis 10 ans et un niveau de dette par habitant très inférieur à celui de la dette de l'État français : pourtant ces collectivités se voient proposer des taux quasiment supérieurs, d'un point de base supplémentaire. Pouvez-vous expliquer cette différence ?

Par ailleurs, je m'interroge sur le programme 829 « Prêts destinés au financement des infrastructures de transports collectifs du quotidien de la métropole d'Aix-Marseille-Provence » qui peut bénéficier à des collectivités locales. Quel est l'avantage pour une collectivité de bénéficier d'un prêt accordé par l'État plutôt que par un prêteur classique : le taux est-il inférieur ? Je me demande également quelles collectivités pourraient demain bénéficier d'un élargissement du périmètre de ce programme 829 au moment où on constate une augmentation des besoins de financement locaux en matière d'infrastructures.

M. Marc Laménie. - À mon tour de remercier notre rapporteur spécial pour sa présentation qui complète opportunément celle du président Claude Raynal sur le compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État ». Ma première demande de précision porte sur le programme 369 « Amortissement de la dette de l'État liée à la covid 19 » et plus particulièrement sur l'échéancier de cette dette : de quel montant annuel s'agit-il ? En second lieu, les 51,7 milliards d'euros de charge de la dette prévus pour 2024 sont calculés en incluant la dette de SNCF Réseau : peut-on prévoir le calendrier de diminution de cette dernière alors même que SNCF Réseau doit poursuivre ses importants efforts d'investissement ?

M. Stéphane Sautarel. - Je m'interroge sur le reflux des intérêts de la dette dans le PLF pour 2024 : on constate une légère hausse par rapport à la loi de finances initiale pour 2023 mais une baisse d'un peu plus de 3,8 milliards d'euros par rapport au projet de loi de finances de fin de gestion. Je comprends que l'inflation peut en partie expliquer cette baisse mais l'affichage de celle-ci me semble encore troubler la pédagogie dont on essaie de faire preuve sur l'accroissement de ce poste de dépenses dont la trajectoire doit aboutir à l'échéance 2027 à un montant qui, de mémoire, avoisinerait 84 milliards d'euros pour la dette de l'ensemble des administrations publiques, en comptabilité nationale. Je crains là aussi les faux-semblants ou une estimation dont la sincérité pourrait soulever des interrogations. Je me demande si cette baisse est bien liée à la prévision d'inflation du Gouvernement pour 2024 car j'avais compris qu'en 2023 on enregistrerait les conséquences de l'inflation mais pas encore l'effet de l'augmentation des taux tandis qu'à partir de 2024 l'effet cumulé - taux et inflation - s'exercerait : d'où mon interrogation.

M. Claude Raynal. - Quelques mots à propos de cette mission dont on peut d'abord regretter le périmètre : en effet, il s'agit d'une mission limitée à la constatation de dépenses liées à la problématique de la dette. Pour lui donner une dimension plus politique, et conformément à l'intitulé de cette mission qui se nomme « Engagements financiers de l'État », on aurait pu y intégrer les données relatives aux investissements de long terme. Nous examinons donc une mission de nature comptable et gestionnaire alors qu'on pourrait imaginer de lui donner une vision prospective et structurante pour la préparation de l'avenir. En l'absence de données sur les moyens de financement des multiples projets d'investissement, cette mission a un caractère « défensif » et non pas stratégique.

D'autre part, je note, comme cela a été dit ce matin, que l'augmentation de la charge de la dette de 15 milliards d'euros en 2023 est en grande partie imputable - à hauteur de 13 milliards d'euros selon l'Insee - à l'impact de la hausse de l'inflation. L'essentiel de la hausse est donc liée aux titres indexés sur l'inflation, qui représentent aux alentours de 10 % du montant total de la dette, mais qui ont aujourd'hui une incidence considérable : je comprends bien que cette hausse a un lien avec les taux d'intérêt actuels mais le facteur principal de dégradation réside bien dans ces titres indexés.

Au final, je ne peux qu'approuver l'amendement présenté par le rapporteur spécial mais le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain que je représente aura une vision négative qui le conduira à rejeter les crédits de cette mission.

M. Grégory Blanc.- Dans le prolongement des propos précédents, je crois qu'il ne faut faire de la dette ni un totem ni un tabou. Nous savons que notre pays doit financer un important stock d'investissements pour adapter notre pays et atténuer les chocs auxquels nous allons être confrontés. Le principal sujet est bien évidemment la soutenabilité de la dette actuelle qui ne s'inscrit pas dans une trajectoire qui va permettre de financer ce stock d'investissements, faute de politique suffisamment volontariste.

Pouvez-vous préciser le taux moyen du stock de la dette et dispose-t-on d'une trajectoire pluriannuelle de son évolution ? Je note qu'on est certes sortis des taux d'intérêts négatifs nominaux mais les taux d'intérêt réels restent négatifs. L'exposé présenté ce matin montre qu'à l'horizon 2027, on risque de conserver des taux d'intérêt élevés tandis que l'inflation reculerait ; il en résulterait un « effet ciseaux » au moment même où il va falloir investir massivement pour adapter notre pays aux chocs environnementaux.

M. Michel Canévet. -Comme notre collègue Stéphane Sautarel, je suis un peu étonné de l'évolution en 2024 du niveau de la charge de la dette car il me semblait qu'on était sur une tendance extrêmement croissante qui conduirait en 2027 à ce que cette charge de la dette devienne le premier poste de dépenses du budget de de l'État. La situation me semble paradoxale parce qu'on continue à emprunter de façon massive, ce qui devrait se traduire par une augmentation de la charge d'intérêt à rembourser.

Le rattachement de la dette de SNCF Réseau à la mission « Engagements financiers de l'État » m'amène à demander au rapporteur spécial si d'autres composantes de la dette apparaissent dans des missions budgétaires distinctes de celle que nous examinons, empêchant ainsi d'avoir une vision globale de la situation de l'endettement réel de l'État et des autres administrations publiques.

Ma troisième question concerne les prêts garantis par l'État dont on constate qu'environ la moitié de l'encours a aujourd'hui été remboursée. Le niveau des risques potentiels est-il connu sur les PGE restants ? De plus, est-on en mesure d'évaluer, au cours des trois années passées, le coût réel pour l'État des PGE ? Y en a-t-il beaucoup qui n'ont pas été remboursés ? Inversement, je note par exemple que le soutien accordé à Air France a été bénéfique pour les comptes de l'État grâce aux intérêts qui lui ont été versés par la compagnie aérienne.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur spécial. - Tout d'abord, s'agissant de la question de Christine Lavarde qui a évoqué la politique italienne tendant à « domestiquer », en quelque sorte, sa dette publique : je rappelle d'abord que traditionnellement on indiquait que la dette française était détenue à hauteur d'un tiers par les résidents français, un tiers par les Européens et un tiers par les résidents étrangers hors Union européenne. Cependant, ces proportions ont évolué car la politique de déversement de liquidités par la BCE, à travers la Banque de France pour notre pays, a conduit notamment les banques et les investisseurs institutionnels français à acquérir de plus en plus de titres de dette si bien qu'aujourd'hui on est plutôt sur un partage de moitié entre la dette domestique et la dette détenue par des non-résidents. Schématiquement, retenez donc que la dette française est pour moitié détenue par les Français à travers différents produits d'épargne. Il est difficile de porter un jugement sur l'effet d'éviction de la dette publique à l'égard de l'investissement privé mais en tout état de cause la dette française est moins exposée qu'avant aux créanciers non-résidents. En particulier, des produits comme les obligations assimilables du Trésor (OAT) à 10 ans indexées sur l'inflation sont très demandés par la Caisse des dépôts et consignations ainsi que par les assureurs-vie pour garantir sécurité et rendement aux épargnants.

Vous vous demandez ensuite pourquoi une collectivité emprunte à des conditions plus onéreuses - environ 100 points de base - que l'État. J'y vois plusieurs raisons : la première qui vient à l'esprit est que les créanciers pensent que le crédit de l'État, même si celui-ci est moins bien noté qu'une collectivité, est assis sur l'épargne générale des Français, ce qui constitue une « super garantie ». La seconde raison, plus technique, tient à la liquidité de la dette. Il ressort des auditions de l'Agence France Trésor et des spécialistes en valeurs du Trésor que la dette française est très liquide et très diversifiée, avec des produits à 50 ans, trois jours ou six mois. De fait, les investisseurs recherchent souvent la possibilité de revendre leurs titres de dette sur un vaste marché secondaire ; or il est vraisemblable que la dette de telle ou telle commune se négocie moins facilement que la dette française sur le marché secondaire qui est très animé. Les transactions sont quotidiennes sur des produits à taux fixes ou variables et les émissions sont réalisées très régulièrement. C'est donc grâce à cette liquidité de marché que l'État emprunte moins cher que des collectivités qui pourtant et paradoxalement peuvent avoir une meilleure signature ; j'ajoute que celles-ci sont soumises à des ratios d'endettement, c'est-à-dire à une « règle d'or » à laquelle l'État ne s'astreint pas.

Enfin, le programme 829 me parait plutôt relever de l'affichage. Crée par la loi de finances pour 2022, il est destiné au financement des infrastructures de transports collectifs de la métropole d'Aix-Marseille. Aucun crédit n'y est ouvert en 2024 tandis que 100 millions d'euros ont été alloués en 2023 mais il semblerait qu'il n'y ait pas beaucoup de dépenses. N'espérez donc pas trop pouvoir financer les infrastructures locales de transport avec ce programme 829 qui n'est pas doté de crédits en 2024 et qui relève plutôt à mon avis de l'ornement budgétaire.

Grégory Blanc a soulevé la question essentielle de la soutenabilité de la dette et du niveau des taux d'intérêt réels, c'est-à-dire des taux d'intérêt nominaux corrigés de l'inflation. À cet égard, on peut également apprécier la soutenabilité de la dette au regard de l'écart entre taux d'intérêt et croissance : je vous invite à vous référer au tableau figurant page 22 du projet de rapport écrit qui retrace la période pendant laquelle l'endettement public a pu bénéficier de taux d'intérêt nominaux inférieurs au taux de croissance nominale, c'est-à-dire le taux de croissance incluant l'inflation. Selon les projections, le ralentissement de l'inflation conjugué au maintien de taux relativement élevés renverse la situation avec des taux d'intérêt réels positifs, ce qui renforce les inquiétudes sur le coût et la soutenabilité de la dette.

En réponse à Marc Laménie, je précise tout d'abord que la notion d'amortissement de la « dette covid » présente un caractère artificiel car il est extrêmement difficile de déterminer le périmètre de cette dernière. Plutôt que d'isoler cette « dette covid » en se demandant s'il faudrait y inclure les dépenses de santé et de soutien aux entreprises, nous étions favorables à l'intégration de cette dette dans l'endettement général de l'État.

En second lieu, nous avons salué le fait que l'État reprenne la dette de SNCF Réseau qui de toute façon est, au final, garantie par l'État. Je précise qu'il s'agit de la reprise de la dette antérieure de SNCF Réseau et que cette comptabilisation n'a pas d'influence sur les financements futurs qui seront alloués aux investissements considérables dont notre pays a besoin. Mais c'est un autre sujet qui fera l'objet d'un débat spécifique pendant l'examen du projet de loi de finances.

Michel Canévet s'est d'abord interrogé sur le périmètre global de la dette : je précise que sur les quelques 3000 milliards d'euros de dette publique, 2 560 milliards d'euros relèvent de l'État et le reste est essentiellement constitué par la dette sociale qui a théoriquement vocation à s'éteindre. La dette sociale est, elle aussi, gérée par l'Agence France Trésor avec des conditions de financement qui sont un peu moins favorables que celle de l'État - à quelques points de base près.

S'agissant des PGE, à ce stade aucun sinistre majeur n'est intervenu mais le Trésor a rappelé en audition que plus de 70% des entreprises ont choisi d'amortir les PGE sur une durée maximale et donc de les rembourser très lentement, ce qui appelle à la vigilance. Les grandes entreprises comme Air France qui ont contracté des montants de prêts très importants ne suscitent pas d'inquiétudes particulières mais un certain nombre de petites entreprises - comme les micro-brasseries que j'ai évoquées - ayant bénéficié d'un peu de trésorerie grâce aux PGE sont fragilisées et certaines risquent de fermer. Cela ne va sans doute pas représenter des montants considérables pour l'État : les pertes nettes dues aux PGE sont évaluées pour 2024 à 1,330 milliard d'euros, contre 1,372 milliard d'euros en 2023. Concrètement, en cas de défaillance de l'entreprise, les banques font appel à la garantie de l'État qui, au final, éteint la dette avec une sorte de « ticket modérateur » de 10% restant à la charge de la banque. J'ajoute que, dans certains cas, les PGE ont pu renforcer la trésorerie d'entreprises qui n'étaient pas viables à long terme ou qui ont par la suite subi l'impact de facteurs exogènes comme l'augmentation du coût des matières premières ou de l'énergie. On peut également signaler le risque de défaillances dans le secteur du bâtiment qui a, comme les autres, bénéficié de ces prêts.

Notre collègue Stéphane Sautarel s'est interrogé sur la baisse de la charge de la dette prévue pour 2024. Elle est très largement due à l'effet de l'inflation car environ 10 % des OAT sont indexés sur la hausse des prix et, l'inflation étant aujourd'hui moins forte, il s'ensuit une baisse provisoire du coût de cette indexation d'une partie de la dette. Cette baisse sera malheureusement compensée dans les prochaines années par l'augmentation des taux d'intérêt, puisque ces derniers continuent à se maintenir à un niveau élevé, à quoi s'ajoute un effet volume car notre pays va, cette année, emprunter le montant record de 285 milliards d'euros. L'augmentation des besoins de financement de l'État et le maintien d'un niveau élevé de taux d'intérêt vont donc contrecarrer les effets de la diminution provisoire de la charge de la dette que permet le recul de ses composantes indexées sur l'inflation.

Claude Raynal a regretté que cette mission « Engagements financiers de l'État » se ramène à une mission de constat et le rapporteur spécial que je suis a bien conscience des capacités de proposition limitées offertes par l'examen de ces crédits. Comme vous, je fais des constats et le premier d'entre eux est que, sur tous les bancs, personne ne peut aujourd'hui se satisfaire que d'ici environ trois ans, le premier poste du budget de l'État devienne celui qui alimente la charge de la dette. Ensuite les divergences porteront sans doute sur les chemins permettant de réduire les déficits, certains privilégiant les réductions de dépenses et d'autres l'augmentation des prélèvements obligatoires. Cependant le constat que l'on peut faire collectivement est que l'État continue à s'endetter lourdement dans un contexte où la baisse des taux qui a facilité la tâche des gouvernements est terminée : personne, au cours des auditions que j'ai menées, n'a d'ailleurs envisagé un reflux des taux d'intérêt à 1 % ou 0 %, principalement en raison de la fin de la politique accommodante de la BCE. Cela signifie qu'il faut s'habituer à des taux élevés qui vont se traduire inexorablement par un coût élevé de la charge de la dette qui atteindra environ le quart de nos recettes fiscales.

Pour résumer en une phrase ma position sur ces crédits, je rappelle que s'agissant du stock de la dette, il faut reconnaitre que beaucoup d'États sont endettés même si la France l'est sans doute un peu plus que les autres. L'élément nouveau qui commence à poindre réside dans le coût de cette dette : après avoir été pendant longtemps un poste d'ajustement facilitateur des budgets en déficit, la charge de la dette va devenir l'un des postes les plus lourds du budget de l'État et dépasser celui de l'Éducation ou de la Défense ainsi que d'autres missions tout à fait essentielles de l'État.

C'est donc à regret que je vous invite à adopter ces crédits modifiés par l'amendement que je vous soumets.

M. Thierry Cozic, président. - Merci Monsieur le rapporteur spécial ; je vous laisse présenter votre amendement.

Article 35

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur spécial. - L'amendement FINC.1 vise à supprimer le programme 369 « Amortissement de la dette de l'État liée à la covid-19 », créé par la loi de finances initiale pour 2022 et maintenu dans la mission « Engagements financiers de l'État » pour 2024. Il s'agit de s'opposer à ce qui m'apparait comme un artifice comptable et que le Président Claude Raynal a également considéré comme tel.

L'amendement FINC.1 est adopté.

La commission décide de proposer au Sénat d'adopter les crédits de la mission « Engagements financiers de l'État » sous réserve de l'adoption de son amendement.

La commission décide de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, les crédits des comptes de concours financiers « Accords monétaires internationaux » et « Prêts et avances à divers services de l'État ou organismes gérant des services publics ».

La réunion est close à 18 heures.

Jeudi 9 novembre 2023

- Présidence de M. Claude Raynal, président -

La réunion est ouverte à 10 heures.

Projet de loi de finances pour 2024 - Mission « Aide publique au développement » et compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers » - Examen du rapport spécial

M. Raphaël Daubet, rapporteur spécial de la mission « Aide publique au développement » et du compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers ». - Je commencerai par rappeler que les montants demandés de 6,2 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et de 5,9 milliards d'euros en crédits de paiement (CP) ne représentent que 46 % de l'aide publique au développement (APD) de la France.

Ainsi, quand on prend en compte les divers agrégats s'ajoutant à la mission, la France a versé 15,3 milliards d'euros d'APD en 2022, ce qui en fait le quatrième pays donateur, devant le Royaume-Uni. Ce niveau d'engagement conditionne directement notre ambition en matière d'influence internationale et de diplomatie économique, ainsi que notre capacité à être associés à la gestion des grandes crises humanitaires ou politiques, aux côtés des grands États donateurs. Ce montant représente 0,56 % du revenu national brut (RNB).

Pour mémoire, la loi de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales du 4 août 2021 avait fixé un objectif de 0,7 % du RNB pour 2025. Lors du Conseil présidentiel du développement et du comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) qui se sont tenus cet été, l'atteinte de cet objectif a été repoussée à 2030. Ce report s'imposait : l'objectif est trop ambitieux et l'état de nos finances publiques ne permet pas de progression abrupte des dépenses de la mission.

Par ailleurs, j'attire votre attention sur plusieurs manquements relatifs à la loi de programmation, deux ans après son adoption. D'abord, le texte prévoyait la remise au Parlement en juin d'un rapport sur la politique de développement, mais l'administration ne l'a toujours pas envoyé. De plus, la loi instituait une commission d'évaluation de l'APD, qui n'a toujours pas été mise en place, malgré la publication d'un décret fixant son statut. Enfin, la négociation du prochain contrat d'objectifs et de moyens (COM) entre l'Agence française de développement (AFD) - principal opérateur de la mission - et sa tutelle n'a toujours pas été finalisée, alors que le précédent COM a pris fin en 2022.

Ces points d'alerte ayant été soulignés, j'en viens au fond et à l'orientation stratégique de l'APD pour 2024.

Le Conseil présidentiel du développement et le Cicid ont fixé une nouvelle doctrine de l'APD française, qui tient compte des changements de la donne géopolitique.

Si les thématiques du climat, de la santé et de la défense des droits humains restent des priorités, on note aussi la présence d'objectifs de renforcement de l'aide humanitaire et de mobilisation du secteur privé.

Cependant, le phénomène le plus marquant reste la « repolitisation » de l'aide au développement versée par la France, qui doit devenir un véritable outil partenarial et transactionnel à destination des pays cibles, qui ne sont plus définis par la liste des 19 pays prioritaires, même si 50 % de l'aide doit se concentrer sur les pays les moins avancés (PMA). Il s'agit d'une avancée positive, qui permet de redéployer notre aide en fonction de nos priorités géopolitiques. Cette suppression permettra aussi aux pays concernés de sortir des logiques de rente et d'abonnement.

En ce qui concerne les grands pays émergents comme l'Inde ou le Brésil, le Quai d'Orsay souhaite s'orienter vers une coopération transactionnelle et utiliser notre aide comme un levier d'action et de négociation.

Si nous approuvons l'équilibre et la philosophie de la mission « Aide publique au développement » pour 2024, la situation de nos comptes publics demeure préoccupante. Sans obérer les moyens de la coopération internationale, il apparaît nécessaire que la mission participe comme les autres à l'effort de redressement de nos finances publiques. Nous proposerons un amendement visant à réduire ses crédits.

M. Michel Canévet, rapporteur spécial de la mission « Aide publique au développement » et du compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers ». - Les crédits de la mission « Aide publique au développement », qui s'élèvent à 6,3 milliards d'euros en AE et à 5,9 milliards d'euros en CP, diminuent par rapport à 2023, puisque les AE baissent d'1,7 milliard d'euros et que les CP augmentent de 5 millions d'euros.

Suivant l'architecture de la mission, je présenterai ces crédits en trois points.

En premier lieu, le programme 110, qui relève du ministère de l'économie et des finances, voit ses crédits diminuer de 1,1 milliard d'euros en AE et de 28 millions d'euros en CP. Cette baisse importante des AE s'explique essentiellement par un moindre besoin de crédits pour les cycles de refinancement des fonds multilatéraux.

Toutefois, le montant dédié à l'aide bilatérale par le programme augmente de 184 millions d'euros en CP, en raison des effets de la hausse des taux d'intérêt sur le coût des opérations de bonification des prêts. En effet, afin de permettre à l'AFD de prêter à des taux concessionnels aux bénéficiaires, l'État assume la différence entre le coût de financement de l'AFD et le taux auquel elle prête, par le versement de crédits de bonification.

En deuxième lieu, le programme 209 « Solidarité à l'égard des pays en développement », qui relève du ministère de l'Europe et des affaires étrangères (MEAE), voit également ses crédits diminuer, de 645 millions d'euros en AE et de 1,1 million d'euros en CP.

Comme pour le programme 110 et pour les mêmes raisons, l'aide multilatérale prévue par le programme 209 se contracte en 2024. En ce qui concerne l'aide bilatérale, deux éléments peuvent être soulignés.

D'abord, les crédits de l'aide-projet correspondant à la part de l'APD versée en dons connaissent un renforcement significatif depuis quelques années. Le MEAE a renforcé ce dispositif, en se concentrant sur les petits projets à fort impact en termes de communication, ce qui va dans le bon sens. Cependant, l'essentiel de l'aide-projet est géré par l'AFD pour un montant proche de 1 milliard d'euros. Cette enveloppe a particulièrement progressé ces dernières années, interrogeant la capacité de l'Agence à décaisser ces fonds. L'amendement que nous présentons vise à réduire l'aide-projet gérée par l'AFD de 150 millions d'euros.

Ensuite, en cohérence avec les objectifs affichés par le CICID, les moyens accordés à l'aide humanitaire et à la gestion de crise progressent également, pour atteindre 725 millions d'euros. La réserve prévue en cas de crise majeure, qui avait attiré notre attention l'année dernière, est maintenue et dotée de 270 millions d'euros, comme en 2023. Je précise que les crédits de cette réserve prévus pour 2023 et qui n'ont pas été utilisés sont prévus pour être annulés à hauteur de 50 millions d'euros par la loi de finances de fin de gestion.

Le montant de cette réserve nous paraît particulièrement élevé au regard de l'augmentation générale des crédits dédiés à l'aide humanitaire et à la gestion de crise. Nous proposons donc de réduire cette enveloppe de 50 millions d'euros, afin de financer les mesures d'économie demandées à la mission.

En troisième lieu, j'évoquerai le programme 365, dédié à la recapitalisation de l'AFD. Les 150 millions d'euros demandés correspondent à une opération de conversion de ressources financières de l'AFD en crédits budgétaires. Cette opération est totalement neutre pour les finances publiques en comptabilité nationale. Il ne s'agit donc ni d'accroître les engagements de l'État envers l'AFD ni de lui permettre d'augmenter son volume d'activité, figé à 12 milliards d'euros.

Enfin, j'en viens au nouveau programme 370, relatif à la restitution des biens mal acquis, qui sera abondé pour la première fois en 2024. Néanmoins, le décaissement des crédits restera subordonné à la conclusion d'un accord avec la Guinée équatoriale.

En conclusion, je vous invite à adopter les crédits de la mission et ceux du compte de concours financier « Prêts aux États étrangers », sous réserve de l'adoption de l'amendement que nous présentons.

M. Christian Cambon, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères sur la mission « Aide publique au développement ». - Nous prenons acte de la stagnation des CP des programmes 209 et 210. Ils avaient connu une augmentation sensible les années précédentes, mais il est sans doute nécessaire de dépenser mieux plutôt que plus, dans le cadre d'une maîtrise des dépenses publiques. À ce titre, la stabilisation observée depuis deux ans des crédits de l'AFD autour de 12 milliards d'euros nous semble être une bonne chose ; il s'agit de passer d'une logique d'expansion infinie à une logique plus vertueuse de réponse à des besoins bien identifiés.

Cependant, si nous comprenons certaines inflexions, liées notamment au contexte d'inflation, nous regrettons quelques points de méthode, en particulier le fait que le Conseil présidentiel du développement et le Cicid ne respectent pas la loi du 4 août 2021 sur plusieurs sujets.

Ainsi, la réalisation de l'objectif que nous avions fixé en matière de proportion d'aide bilatérale s'éloigne, puisque nous sommes passés de presque 65 % en 2020 à moins de 60 % aujourd'hui, pour un objectif de 65 % en moyenne pour la période 2022-2025.

De la même manière, le CICID a supprimé la notion de « pays prioritaire », pourtant consacrée par loi. Contrairement à M. Daubet, nous regrettons la disparition de la liste des 19 pays prioritaires, l'aide programmable constituant le coeur de notre APD, une fois délestée des frais d'écolage et des dépenses ne dépendant pas directement de cette politique.

Nous identifions deux raisons potentielles à cette suppression. D'une part, elle pourrait s'expliquer par la volonté de ne pas afficher des résultats peu reluisants, puisque nous avons reçu la confirmation, en auditionnant le directeur responsable au Quai d'Orsay du programme 209, que l'aide programmable ne représente toujours que 13 % du total de notre APD alors que la loi prévoyait qu'elle s'élève à 25 % en 2020. D'autre part, le remplacement des pays prioritaires par les PMA ou les « pays vulnérables » permettra de faire varier les bénéficiaires en fonction des priorités politiques du moment. S'il est utile de ne pas donner l'impression que l'aide constitue une rente, il faut aussi prendre garde à ne pas la politiser à l'excès. Cette politique publique vise avant tout à lutter contre la pauvreté extrême, contre la faim, pour l'amélioration de la santé publique, pour l'éducation et la formation dans les pays qui en ont le plus besoin. S'il nous faut tirer une leçon de ce qui s'est passé cet été en Afrique de l'Ouest, c'est bien que la politique sécuritaire ne peut se dispenser d'une politique de développement, faute de quoi d'autres sensibilités, plus extrémistes, nous remplacent pour rouvrir des écoles et des centres de santé, qui deviennent islamiques.

Enfin, comme les rapporteurs spéciaux, nous regrettons que la commission d'évaluation de l'APD ne fonctionne toujours pas. Nous en avons besoin pour mieux évaluer l'efficacité et l'impact de notre aide. Nous faisons face à un problème quasiment insoluble, puisque la loi précise que la commission élit son président. Or il s'agit du président de la Cour des comptes, qui n'a aucune intention d'être élu et souhaite être désigné. Il faut donc changer la loi. Depuis 2021, nous nous demandons comment contourner cette difficulté. Cette commission est pourtant essentielle, le rôle du Parlement étant de valider la qualité de nos investissements. Nous ne sommes toujours pas en mesure de le faire, alors que nous nous étions battus pour obtenir la présence de parlementaires dans cette enceinte.

M. Patrice Joly, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères sur la mission « Aide publique au développement ». - Je souhaiterais insister sur le pilotage politique qui conduit à l'évincement de nos assemblées face aux décisions de l'exécutif.

D'abord, ces décisions ont remis en cause la trajectoire financière.

Elles ont aussi concerné la question des pays éligibles puisque nous passons des 19 pays prioritaires aux PMA, qui sont une cinquantaine et dont la liste n'est pas établie, ce qui permet de prendre en compte des considérations politiques, qui ne sont pas illégitimes.

Enfin, la question des modalités d'intervention se pose, notamment en ce qui concerne la répartition entre l'aide sous forme de prêts et l'aide au moyen de dons. La répartition de 70 % pour la première et 30 % pour la seconde se maintient, alors que la volonté était d'inverser ces chiffres, sachant que la capacité d'endettement des pays les plus fragiles est atteinte et qu'ils rencontrent des difficultés de remboursement liées notamment à l'évolution des marchés financiers.

Quelles que soient les évolutions politiques des pays concernés, les besoins restent réels, notamment pour les plus fragiles. Il nous faut donc rester attentifs à la politisation en cours. Les travaux préalables à la loi de 2021 avaient ouvert la perspective d'une augmentation de la part de l'aide octroyée au travers des ONG. Aujourd'hui, celle-ci représente 5 % de l'aide publique, alors que la moyenne se situe plutôt entre 12 % et 15 % pour les autres pays de l'OCDE. Ce moyen est pourtant intéressant pour éviter l'instrumentalisation de la politique d'aide au développement.

Enfin, je m'inquiète des tergiversations qui entourent la mise en place de la commission d'évaluation de l'APD, qui paraît pourtant essentielle. Une proposition de loi relative à la mise en place et au fonctionnement de la commission a été déposée à l'Assemblée nationale en mai dernier. Il faudra avancer sur le sujet et il pourrait être utile que le Sénat prenne l'initiative de désigner ceux qui parmi nous siégeraient dans cette commission, afin de forcer un peu les autres acteurs à se mettre en mouvement.

M. Christian Cambon, rapporteur pour avis. - À plusieurs reprises, la commission des affaires étrangères s'est étonnée et émue de la réalisation du nouveau siège de l'AFD, qui s'étend sur 50 000 mètres carrés et prévoit des équipements somptuaires. Les temps ne sont pas à de pareilles dépenses, même si on nous explique que les mètres carrés non utilisés seront loués et ainsi rentabilisés. Ces investissements grandioses donnent une image forte de cette institution respectable mais coûtent très cher au contribuable, en termes d'investissement mais aussi de coût d'exploitation.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - En ce qui concerne la construction du siège, le coup est parti...

Je soutiens pleinement l'amendement proposé, qui est encore modeste au regard des montants mobilisés pour la mission. Le budget 2024 prévoit, hors extinction des mesures de crise, un peu plus de 5 milliards d'euros de dépenses supplémentaires pour toutes les missions budgétaires. Compte tenu de la situation de nos comptes publics et de leur dérive, nous pouvons adopter la politique de l'autruche ou regarder la situation en face. Il faut dépenser mieux tout en dépensant moins. Certes, il s'agit d'une formule, mais elle se réfère à des arbitrages que nous devons avoir le courage de rendre. Je crains un réveil qui pourrait être douloureux, comme celui que nous avons connu il y a cinq ans avec les gilets jaunes. La charge de la dette occupe une place de plus en plus grande, ce qui nourrit une colère qui pourrait s'exprimer. Les efforts doivent être partagés et concerner le plus grand nombre possible de politiques publiques. Il nous faut anticiper car nous finirons par être rattrapés par la réalité et l'opinion.

Enfin, je note que notre diplomatie économique et d'influence a été réduite par la force des choses et avec violence, notamment en Afrique. Quand des ressortissants français sont violemment chassés par certains pays, on ne peut pas continuer de mobiliser les mêmes moyens. Notre ligne de conduite et notre cap doivent être compréhensibles et soutenus par l'opinion.

M. Claude Raynal, président. - La tonalité de ce rapport me semble plus positive que celle des années passées. En effet, les débats autour de l'AFD évoquaient un État dans l'État ou un fonctionnement en circuit fermé et je n'ai pas retrouvé ces critiques dans le rapport de cette année ; ne sont-elles plus d'actualité ? Une clarification a-t-elle eu lieu ?

De la même façon, je ne trouve plus trace de débats sur notre soutien à des pays tels que la Chine, qui ne dépendent pas vraiment de notre aide au développement. Cette question a-t-elle cessé de se poser ?

Mme Florence Blatrix Contat. - Le Président de la République avait appelé en juin dernier à un « choc de financement public » pour les pays les plus vulnérables et nous observons finalement une stagnation, qui advient en plus dans un contexte inflationniste.

Je partage l'avis des rapporteurs spéciaux sur les objectifs abandonnés de la loi de programmation et je regrette la disparition de la liste des 19 pays prioritaires. Il s'agit de pays qui connaissent de grandes difficultés, qui sont confrontés à des questions cruciales de pauvreté, de faim, d'éducation et de santé, et qu'il nous faut accompagner. L'amendement que vous proposez leur donne un très mauvais signal, alors qu'ils subissent aussi de plein fouet le réchauffement climatique, qui trouve son origine dans les pays développés et en développement.

Nous étions prêts à nous abstenir lors du vote mais si l'amendement était adopté, nous pourrions nous opposer à l'adoption de ces crédits.

M. Bernard Delcros. - Michel Canévet a évoqué la question de la recapitalisation de l'AFD : quel est l'intérêt de cette opération ?

Nous approuvons l'amendement proposé, qui s'inscrit dans une logique de responsabilité et de maîtrise de la dépense publique, sans remettre en cause les fondamentaux de notre APD.

M. Victorin Lurel. - Depuis de longues années, nous nous interrogeons sur la doctrine de l'APD. Il s'agit du prestige international de la France, mais aussi du contrôle exercé par le Parlement. À cet égard, nous n'avons pas progressé en termes de méthodologie, d'évaluation et d'efficacité.

D'abord, une ambiguïté devait être clarifiée, puisque l'APD couvrait aussi les aides en faveur des outre-mer...

M. Michel Canévet, rapporteur spécial. - Ce n'est plus le cas.

M. Victorin Lurel. - Je ne suis pas sûr que cela soit tout à fait clair. Dans l'un des graphiques que contient votre rapport figurent les aides en faveur de l'outre-mer, qui s'élèvent à 814 millions d'euros pour 2023. Que recouvre ce chiffre ? Pourriez-vous en préciser les modalités de calcul ?

J'avais déjà évoqué la présence parmi les pays bénéficiaires d'États comme la Chine ou la Thaïlande ; pourriez-vous préciser le périmètre retenu pour l'allocation de l'APD ?

J'en viens à ce que nous appelions « zone de solidarité prioritaire » et à la question des pays prioritaires. Si vous souhaitez limiter l'immigration, il faut aider ces pays ! Or on choisit de diminuer l'enveloppe de la mission de 200 millions d'euros, sur lesquels 150 millions d'euros correspondraient à un jeu d'écriture comptable. Il s'agit tout de même d'une baisse de 50 millions d'euros.

À Pointe-à-Pitre en 2015, le président Hollande avait déclaré qu'il s'acquitterait de la dette de la France à l'égard d'Haïti, pour ensuite préciser qu'il faisait référence à une dette morale et non financière. Aujourd'hui, les Américains renforcent leur influence dans ce pays francophone et créolophone, dont l'élite fait ses études aux États-Unis et parle anglais, ce qui me fait un peu mal. Les collectivités de Guadeloupe, Martinique et Guyane font ce qu'elles peuvent sur cette question, pour se substituer à l'État défaillant et à l'AFD.

J'identifie donc des problèmes de périmètre, de doctrine, de prestige international et d'héritage colonial. Il nous faut continuer d'assurer une présence dans ces zones. Nous ne faisons même pas partie de la Banque caribéenne de développement ! Nous devons repenser notre politique dans certains bassins, comme en Amérique latine.

J'apprends également qu'un siège luxueux est en cours de construction pour l'AFD ; quelles sont nos priorités ?

Nous tentons de remplacer le multilatéral par le bilatéral, pour mieux contrôler l'aide que nous octroyons, dans nos propres intérêts. Or ces aides bilatérales sont plutôt liées ; pourrait-on les associer aux politiques que nous menons dans les régions concernées ?

Je ne voterai pas l'amendement proposé en l'absence d'une vision globale de ce que veut faire la France et de ses intérêts.

M. Raphaël Daubet, rapporteur spécial. - En ce qui concerne la gouvernance de l'AFD, monsieur le président, le sujet est encore sur la table, même si nous ne l'avons pas mis en exergue dans notre rapport. Il n'a pas non plus été central dans nos auditions. Néanmoins, des zones d'ombre persistent dans les choix opérés, notamment sur la question immobilière. Je retiens de ces auditions qu'une désinstitutionnalisation accompagne la repolitisation de l'APD, ce qui atténue un peu la question posée par l'AFD. Avec cette réorientation, le MEAE aura peut-être plus de moyens et d'impact, au travers de son aide-projet, qu'en passant par des organismes comme l'AFD.

M. Michel Canévet, rapporteur spécial. - S'agissant du siège de l'AFD, il est en cours de construction et ne sera opérationnel qu'en 2026. L'opération est engagée depuis février 2020 mais les travaux viennent juste de commencer, après l'épuisement de différents recours déposés. Il faudra suivre attentivement ce dossier, notamment en ce qui concerne l'utilisation des mètres carrés qui ne sont pas destinés à l'AFD.

La liste des 19 pays prioritaires a été supprimée et on peut regretter à cet égard que l'exécutif ait remis en cause ce que le législatif avait décidé. Cependant, cette liste a été remplacée par une autre, qui rassemble les PMA et qui est définie par le Comité d'aide au développement (CAD) de l'OCDE. Il existe donc une liste de 43 pays dans lesquels l'APD devra se concentrer. La suppression tient compte des évolutions géopolitiques qui sont intervenues, notamment au Sahel. À titre d'exemple, la junte au pouvoir au Mali dit refuser la moindre aide publique française. Il nous faut reconsidérer les choses pour que notre aide soit la plus efficiente possible. En la matière, notre philosophie doit être celle que le rapporteur général a évoquée : « dépenser mieux tout en dépensant moins ». L'efficacité ne se mesure pas seulement au volume des crédits, surtout dans ce domaine, et l'un de nos objectifs est aussi d'éviter la corruption.

Après une période où l'AFD fut considérée comme un État dans l'État, les choses ont évolué. Dans la loi du 4 août 2021, pour ce qui concerne les interventions sur le terrain par exemple, on a créé un conseil local de développement (CLD), sous l'autorité de l'ambassadeur, afin de coordonner les différentes actions de la France dans les pays.

De même, nous avons veillé à une meilleure coopération au sein du conseil d'administration de l'AFD, où siègent deux sénateurs. Il s'agit également de renforcer la tutelle de l'État, à savoir des deux ministères concernés, celui de l'Europe et des affaires étrangères, et celui de l'économie et des finances.

L'AFD continue à intervenir en Chine, mais ses interventions ne sont plus comptabilisées au titre de l'aide au développement. En Chine, l'AFD soutient des projets répondant aux enjeux de l'accord de Paris sur le climat, mais aussi concernant la question du genre et le respect des droits humains. La présence en Chine de l'AFD n'empêche pas les possibilités d'intervention de l'organisme dans les pays considérés comme prioritaires.

L'amendement se justifie d'abord par l'attention portée aux finances publiques. Par ailleurs, la semaine prochaine, nous aurons à examiner la loi de finances de fin de gestion (LFG) de l'exercice 2023 ; à sa lecture, on peut constater l'annulation de 280 millions d'euros de crédits. Comme nous l'avions exprimé l'année dernière au moment du vote de la loi de finances initiale (LFI), les moyens alloués étaient trop élevés. Nous essayons aujourd'hui de les redimensionner par rapport aux besoins.

Il existe également une provision en cas de crise majeure. Cette provision doit se situer à un niveau raisonnable.

L'aide publique française au développement ne se résume pas aux crédits inscrits dans le budget. Nous cotisons également à des fonds multilatéraux ; il s'agit de les mobiliser pour la mise en oeuvre des objectifs de la politique d'aide au développement. La France doit se coordonner avec les autres pays développés afin de mener des politiques cohérentes.

L'Union européenne (UE) intervient aussi à son niveau. Dans la mesure où nous participons au financement du nouvel instrument de voisinage, de coopération au développement et de coopération internationale (NDICI), qui prend la suite du fonds européen de développement (FED), il serait souhaitable de mobiliser les moyens de l'organisme en direction de nos priorités.

En 2021, l'AFD a connu une recapitalisation significative ; depuis lors, nous la poursuivons. Les engagements financiers de l'AFD ont été limités à 12 milliards d'euros par an. L'organisme, comme une banque, doit répondre à des critères de prudentialité auprès de l'Autorité des marchés financiers (AMF). Les ratios de fonds propres doivent donc être en rapport avec les engagements financiers ; cela explique la recapitalisation régulière, qui s'effectue par un jeu d'écriture, via le transfert de crédits concessionnels alloués à l'AFD.

L'aide aux territoires d'outre-mer n'est pas comptabilisée dans l'aide publique française au développement. Toutefois, l'AFD accompagne des projets dans les territoires d'outre-mer, dans le cadre d'une mission particulière, financée chaque année à hauteur de 1 milliard d'euros par le ministère chargé des outre-mer. Les besoins considérables en infrastructures justifient l'intervention de l'AFD.

La loi du 4 août 2021 a décidé le rapprochement de l'agence Expertise France et du groupe AFD ; ce rapprochement est effectif depuis le 1er janvier 2022. Les experts de l'agence sont mis à la disposition d'un certain nombre de pays, dans la cadre de conventions internationales, pour aider à la réalisation de projets. Cela renforce la présence de la France à l'étranger et permet d'avoir une meilleure connaissance des territoires concernés. Ces missions d'Expertise France sont, pour l'essentiel, financées par le NDICI.

M. Raphaël Daubet, rapporteur spécial. - Pour répondre à Victorin Lurel, nous n'avons pu obtenir d'argument objectif concernant l'enveloppe pour la réserve en cas de crise majeure, fixée à 270 millions d'euros. Nous aurions pu aussi bien avoir une enveloppe de 400 millions d'euros. Nous proposons donc une maille à 220 millions d'euros, en s'appuyant sur le montant de l'an dernier, notre seule année de référence. Cela reste un chiffre arbitraire, significatif d'une vision purement comptable du sujet.

M. Victorin Lurel. - Peut-on avoir une idée de ces pays rentiers bénéficiant de l'AFD ?

M. Michel Canévet, rapporteur spécial. - Avoir 19 pays prioritaires peut donner le sentiment d'un système de rente, avec des pays abonnés qui captent l'aide publique française au développement ; voilà ce que je souhaitais dire dans mon propos.

Article 35 (État B)

L'amendement FINC.1 est adopté.

La commission décide de proposer au Sénat d'adopter les crédits de la mission « Aide publique au développement », sous réserve de l'adoption de son amendement.

La commission décide de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, le compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers ».

Projet de loi de finances pour 2024 - Mission « Outre-mer » (et article 55) - Examen du rapport spécial

M. Georges Patient, rapporteur spécial de la mission « Outre-mer ». - Le principal objectif de la mission « Outre-mer » du budget général de l'État est le rattrapage des écarts persistants entre les territoires d'outre-mer et l'hexagone. Ce rattrapage doit donc demeurer une priorité. Pour autant, de nouveaux enjeux se font jour pour les territoires d'outre-mer, et les crédits de la mission « Outre-mer » devront en tenir compte à l'avenir.

La crise sanitaire a souligné la grande dépendance des territoires ultramarins aux importations alimentaires, quand la crise économique et l'inflation ont mis en exergue la dépendance énergétique des outre-mer. Il en résulte que l'autonomie alimentaire et la transition écologique doivent constituer les deux défis majeurs pour les territoires d'outre-mer dans les années à venir.

À cet égard, les annonces faites à l'issue du Comité interministériel des outre-mer (Ciom) représentent une avancée notable, mais ne répondent pas à toutes les attentes et devront se concrétiser par des moyens budgétaires.

Les crédits présentés dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2024 s'élèvent à 2,9 milliards d'euros en autorisations d'engagement et 2,6 milliards d'euros en crédits de paiement, soit une hausse respective de 6,9 % et 4,6 % par rapport à la loi de finances initiale (LFI) pour 2023. Nous saluons cette hausse supérieure au taux prévisionnel d'inflation pour 2024, qui s'établit à 2,5 %.

Entre la LFI 2023 et le PLF 2024, le programme 123, qui rassemble les crédits des politiques publiques en faveur de l'amélioration des conditions de vie dans les outre-mer, enregistre une hausse de 69,4 millions d'euros en AE et de 5,3 millions d'euros en CP. Cette hausse des crédits concerne principalement trois domaines : la poursuite de la dynamique impulsée par le plan Logement outre-mer afin de développer et rénover l'habitat et de résorber l'habitat indigne, avec un effort budgétaire par rapport à l'année dernière de 49 millions d'euros en AE et 10 millions d'euros en CP ; le renforcement de l'aide à la mobilité des populations à hauteur de 21,6 millions d'euros en AE et CP, avec la mise en place de trois nouveaux dispositifs qui permettront d'élargir les publics éligibles afin de faciliter les déplacements professionnels entre les territoires d'outre-mer et l'hexagone ; et enfin, la poursuite et le renforcement de l'aide ciblée vers certains territoires au travers des contrats de redressement en outre-mer (Corom) pour 40 millions d'euros en AE et 16 millions d'euros en CP.

Toutefois, il nous semble nécessaire de renforcer encore ce dispositif au regard du nombre de communes en difficulté. En effet, sur les 129 communes des départements et régions d'outre-mer (Drom), 30 sont dans le réseau d'alerte de la direction générale des finances publiques (DGFiP). C'est pourquoi nous vous proposons un amendement pour augmenter les crédits alloués aux Corom à hauteur de 18 millions d'euros en AE et 6 millions d'euros en CP.

En revanche, les crédits alloués à l'appui des financements bancaires et à l'ingénierie diminuent de 7 millions d'euros en AE et de 3,3 millions d'euros en CP, alors même que le besoin de financement des acteurs économiques locaux pourrait augmenter en 2024 dans un contexte de crise économique. C'est pourquoi nous proposons à l'initiative de mon collègue Teva Rohfritsch, deux amendements visant à augmenter de 3 millions d'euros en AE et de 1 million d'euros en crédits de paiement, d'une part, les crédits alloués à la société de gestion des fonds de garantie d'outre-mer (Sogefom), qui apporte une garantie partielle à des opérations de financement engagées par les établissements de crédit en faveur des très petites entreprises (TPE) et des petites et moyennes entreprises (PME) intervenant dans les collectivités d'outre-mer du Pacifique, et, d'autre part, les crédits alloués au fonds outre-mer (FOM) afin de développer le soutien à l'ingénierie des communes et intercommunalités de Polynésie. Ce deuxième point était d'ailleurs une préconisation de notre rapport sur les Corom, dans la mesure où les collectivités du Pacifique n'ont pas accès à ces contrats de redressement.

Le programme 138, qui rassemble les crédits des politiques publiques en faveur de la compétitivité des entreprises, de l'amélioration de l'employabilité des jeunes et de la qualification des actifs ultramarins, enregistre une hausse de 6,7 % en AE, soit 121,3 millions d'euros, et de 6,4 % en CP, soit 114,6 millions d'euros. Cette augmentation résulte des crédits alloués à l'exonération des charges sociales, dans un contexte d'augmentation régulière de la masse salariale en outre-mer depuis 2022 et la fin de la crise sanitaire.

Les variations constatées ces dernières années pour cette action témoignent cependant de la difficulté à établir des prévisions fiables, s'agissant de dépenses de « guichet », tributaires de la conjoncture économique.

À l'inverse, les crédits alloués au financement de l'économie, c'est-à-dire le soutien au microcrédit, les subventions d'investissement et les prêts de développement outre-mer, affichent une baisse qui s'explique par la non-reconduction d'une aide exceptionnelle adoptée en LFI 2023 pour répondre aux surcoûts d'approvisionnement en énergie des entreprises industrielles et de services des Drom.

M. Teva Rohfritsch, rapporteur spécial de la mission « Outre-mer ». - En sus des crédits budgétaires, les dépenses fiscales contribuent à la dynamisation de l'économie, à l'attractivité des territoires et à l'effort général de rattrapage de l'écart de niveau socioéconomique entre l'outre-mer et la métropole. En 2024, sur les deux programmes de la mission, ces dernières devraient s'établir à 5 559 millions d'euros, soit 1,9 fois plus que les crédits budgétaires portés par la mission « Outre-mer ». Entre 2023 et 2024, elles enregistrent une hausse de 2,23 %, soit 121 millions d'euros. Cette progression est sensiblement identique à celle constatée entre 2022 et 2023 - 2,5 %, soit 174 millions d'euros.

Dans la LFI 2023, plusieurs modifications étaient intervenues pour prolonger jusqu'en 2029 des dépenses fiscales dont le fait générateur allait s'éteindre, ou encore concernant les navires de pêche, les frais d'inscription au livre foncier de Mayotte, la prolongation de la majoration à Mayotte des seuils de revenus pour le bénéfice des allégements de taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB), et le régime de vente hors taxe au bénéfice des touristes arrivant en Guadeloupe et en Martinique dans le cadre de croisières maritimes.

Nous estimons que les dépenses fiscales sont un outil indispensable pour les économies ultramarines, mais reconnaissons aussi la nécessité de mieux les évaluer. Dans ce contexte, les démarches entreprises depuis ces dernières années vont dans le bon sens et doivent être poursuivies.

Cependant, nous tenons à alerter sur le fait que ces évaluations ne doivent pas servir de justifications systématiques pour restreindre ces dépenses. À cet égard, concernant la récente évaluation de l'inspection générale des finances portant sur le régime d'aide fiscale à l'investissement productif, nous partageons certains constats et recommandations, visant notamment à étendre ces dispositifs à la transition écologique ou à limiter les fraudes, mais nous sommes plus prudents sur les préconisations relatives au ciblage. Il est important de dire qu'une restriction trop forte du régime ne serait pas sans conséquence sur les économies ultramarines, et que toute évolution doit être envisagée avec une consultation préalable des acteurs locaux concernés et des parlementaires.

En complément des crédits portés par la mission « Outre-mer » et des dépenses fiscales, les territoires d'outre-mer bénéficient de crédits en provenance d'autres programmes du budget général. Ainsi, dans le PLF 2024, le montant total des contributions budgétaires s'élève à 21,1 milliards d'euros en AE et 22,8 milliards d'euros en CP, soit une hausse respective de 0,93 % et 2,92 % par rapport à la LFI 2023. Cette augmentation représente 195 millions d'euros en AE et 647,6 millions d'euros en CP.

Ces crédits pluriministériels permettent notamment le financement de plusieurs plans thématiques importants pour les territoires d'outre-mer : le plan d'actions pour les services d'eau potable et d'assainissement, le plan Séisme Antilles (PSA), le plan Sargasses, le plan Logement outre-mer (Plom) et le plan chlordécone ; nous saluons donc leur augmentation.

Enfin, les territoires d'outre-mer bénéficient des crédits du plan de relance et du fonds vert. Concernant le plan de relance, fin 2022, environ 1 milliard d'euros d'AE ont été consommés au titre de ces crédits en outre-mer, soit 0,5 milliard de moins que les montants d'ouverture en AE annoncés initialement. Cette consommation en deçà des attentes et des besoins s'explique par la faiblesse de l'ingénierie en outre-mer et d'autres spécificités locales, comme la difficulté à trouver du foncier disponible.

À titre d'exemple, en Polynésie française, certains dispositifs se sont révélés inadaptés au statut d'autonomie du pays. Certains prérequis, comme le Système national d'identification et du répertoire des entreprises et de leurs établissements (Sirene), n'ont pas permis de mettre en place des conseillers numériques, dispositif pourtant très attendu localement.

La mise en oeuvre du plan de relance, comme celle d'autres dispositifs auparavant, met en exergue l'absolue nécessité de tenir compte des spécificités territoriales et de développer des approches différenciées entre la métropole et les territoires d'outre-mer, mais également entre les territoires d'outre-mer eux-mêmes.

Le fonds vert, pour sa part, a été fortement sollicité en outre-mer. Ainsi, au 20 septembre 2023, 403 dossiers ont été déposés, dont 56 en Guyane et 16 en Polynésie, pour un montant total de plus de 220 millions d'euros ; et 160 dossiers ont été sélectionnés, dont 28 en Guyane et 2 en Polynésie, pour un montant total de 93 millions d'euros.

Au regard du nombre de dossiers et du montant d'aide demandé, le montant des crédits alloués en 2023 ne permettra pas l'instruction de tous les dossiers déposés en 2023. Les porteurs de projet ont donc été invités à présenter leurs dossiers non retenus en 2023 à l'appel à candidatures pour 2024. Ce succès démontre le dynamisme des territoires d'outre-mer dans les actions de transition écologique et de protection de l'environnement.

Nous vous proposons d'adopter les crédits de la mission « Outre-mer », modifiés par les amendements présentés, ainsi que l'article 55 rattaché.

Mme Micheline Jacques, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques sur la mission « Outre-mer ». - Souscrivant à la présentation complète de mes collègues, je souhaite d'abord souligner l'augmentation de la ligne budgétaire unique (LBU), ou plutôt le rattrapage effectué. En effet, après des années de baisse, le Gouvernement a beau jeu de parler d'augmentation.

Au-delà des montants, le principal défi concerne la consommation des crédits, avec en bout de chaîne la construction effective de logements dont nombre de nos territoires ont besoin. Pour construire, il faut des fonds, particulièrement en période d'inflation, et il faut également des entreprises capables de répondre aux appels d'offres et donc de s'approvisionner à des coûts compatibles avec les exigences du logement social.

Dans la lignée du Ciom et de la recommandation de mon avis budgétaire de l'année précédente, j'accueille favorablement la tenue prochaine des assises de la construction durable en outre-mer.

Pour construire, il faut également des emplois qualifiés, des compétences, de l'ingénierie. Se pose donc la question de la formation de nos jeunes, alors même que le chômage dans nos territoires ultramarins demeure structurellement élevé.

Un autre défi concerne la réhabilitation de quartiers entiers, notamment dans nos centres-villes. Je constate une réelle prise de conscience du Gouvernement ces dernières années.

Enfin, dans la lignée du rapport de mars 2023 de M. Guillaume Chevrollier et Mme Catherine Conconne, réalisé au nom de la délégation aux outre-mer, je me réjouis des mesures prises pour enfin adapter nos dispositifs de continuité territoriale à la réalité et à la diversité des besoins ultramarins, notamment ceux des étudiants et des actifs hexagonaux souhaitant travailler en outre-mer.

La réforme de l'Agence de l'outre-mer pour la mobilité (Ladom) va également dans le bon sens. Je constate que nombre de recommandations ne sont pas encore suivies par le Gouvernement ; je pense notamment au sujet de la mobilité urbaine. Mais, dans ce budget, je salue des avancées réelles. La mobilité des ultramarins ne doit pas être un luxe mais un droit effectif. Pour ces raisons, je proposerai à mes collègues de la commission des affaires économiques d'adopter les crédits de la mission « Outre-mer ».

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Le climat autour de cette mission budgétaire me paraît moins tendu cette année que les précédentes.

Je note l'écriture diplomatique intéressante lorsque vous évoquez des dépenses fiscales « utiles ». J'ignorais qu'il en existât des « inutiles »...

On peut saluer la qualité des échanges entre l'État et les collectivités, alors que l'on déplore souvent le contraire. Une dépense efficace passe par un ciblage et un calibrage adaptés. Il ne sert à rien d'afficher un haut niveau de crédits si c'est pour ne pas pouvoir réaliser les dépenses.

Quel niveau de crédits était prévu pour cette mission dans le cadre du plan de relance ? Et quel fut le niveau de consommation de ces crédits ?

M. Michel Canévet. - Nous devons faire en sorte que les dépenses fiscales soient les plus performantes possibles. Dans ces dépenses, quelle part représente le transfert relatif à la TVA « décentralisée » ? Au niveau du logement, ces dépenses répondent-elles aux besoins des territoires ultramarins ?

Les problèmes d'infrastructures dans les territoires, notamment liés à l'eau comme à Mayotte et en Guadeloupe, nécessiteraient de grands programmes d'équipement. Ce sont des questions vitales pour les populations. Des crédits spéciaux sont-ils prévus pour apporter des réponses ?

M. Victorin Lurel. - Ayant été ministre, je suis toujours un peu gêné d'intervenir sur la mission « Outre-mer ». Cette mission présente aujourd'hui des AE et des CP en augmentation. En 2017, les crédits de la mission s'élevaient à 2,1 milliards d'euros, contre 2,9 milliards d'euros aujourd'hui ; je m'en réjouis, mais, au-delà des montants, l'important est de voir la philosophie à l'oeuvre. Or, nous avons cassé une dynamique qui s'exprime notamment dans les dépenses fiscales. L'augmentation de 600 millions d'euros tient pour une large part - 400 millions d'euros - à la transformation du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) en exonération de charges patronales de sécurité sociale.

Depuis 2017, les gouvernements successifs ont retiré 980 millions d'euros aux territoires d'outre-mer, notamment en supprimant la TVA non perçue récupérable (NPR), en abaissant le plafond de l'abattement de l'impôt sur le revenu, en corrigeant, au nom de la lutte contre la fraude, le périmètre des dépenses fiscales. Sur ce dernier point, le rapporteur général à l'Assemblée nationale vient de déposer un amendement afin de revoir les dépenses fiscales et sociales, notamment dans le secteur du tourisme ; il n'y a aucune discussion préalable, alors qu'il s'agit d'un secteur essentiel pour nos économies. Nous ne sommes d'accord ni sur la vision ni sur la méthode.

Depuis six ans, on augmente les crédits de la mission et, dans le même temps, on observe une attrition de tout ce qui constitue la dynamique de nos économies gérées en autonomie par les ménages, les entreprises, les collectivités et les associations. On a décidé de tout centraliser autour des préfets, avec pour résultat des restes à payer qui s'élèvent aujourd'hui à 2 milliards d'euros, contre 1,6 milliard d'euros en 2018. En termes d'exécution, c'est une catastrophe, nous ne dépensons pas l'argent. L'État nous reproche de manquer de compétences, alors qu'il a affaibli le dynamisme porté par les acteurs de terrain.

Je comprends les amendements déposés par les rapporteurs spéciaux. Mais je préfère, contestant la philosophie générale, m'abstenir de voter les crédits de la mission.

Mme Christine Lavarde. - Concernant le fonds vert, on constate le même phénomène dans tous les départements. L'enveloppe de crédits ouverte est largement inférieure aux besoins exprimés auprès des préfectures. Cet outil s'avère-t-il plus pertinent que les autres dispositifs de financement de l'État qui existaient auparavant ?

M. Victorin Lurel. - Je déplore l'absence d'un amendement sur l'augmentation de la dotation de continuité territoriale (DCT). La Corse, par exemple, reçoit 187 millions d'euros, contre seulement 73 millions d'euros pour les territoires ultramarins. Il faut revoir ce régime de la continuité territoriale, qui constitue une liberté d'aller et venir.

M. Claude Raynal, président. - Vous déposerez donc un amendement allant dans ce sens...

M. Victorin Lurel. - Nous le ferons.

M. Teva Rohfritsch, rapporteur spécial. - Concernant les dépenses fiscales, les taux réduits de TVA en outre-mer sont la deuxième dépense fiscale en montant, après la taxe spéciale de consommation (TSC) appliquée en outre-mer et présentant des tarifs plus bas et un champ plus étroit par rapport à la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques appliquée dans l'hexagone. Les dépenses fiscales pour le logement concernent principalement le logement social.

Pour les investissements en matière d'eau, notamment à Mayotte, on observe un abondement de 10 millions d'euros du fonds exceptionnel d'investissement (FEI). Il s'agit d'une première mesure ; l'expérience nous dira si elle suffit.

Au sujet du plan de relance, la prévision de consommation s'élevait à 1,5 milliard d'euros, et seulement 1 milliard d'euros ont été consommés. Pour expliquer cette sous-consommation, on peut avancer des difficultés liées à l'ingénierie et au foncier.

En revanche, on observe une meilleure appropriation du fonds vert, avec un nombre de projets supérieur à la disponibilité budgétaire. Et cela ne risque pas de changer en 2024 avec le report des projets de 2023.

M. Georges Patient, rapporteur spécial. - Concernant le plan de relance, dès le départ, le montant alloué - 1,5 milliard d'euros, 1,5 % de l'enveloppe globale - était inférieur à la part - 4 % - que les territoires ultramarins représentent dans le budget général. Par ailleurs, il était plus aisé pour nous d'intervenir dans le cadre du fonds vert, car nous disposions de davantage de possibilités d'adaptation pour consommer les crédits.

Il faudrait que nous ayons davantage de possibilités d'adaptation s'agissant de la consommation des crédits.

Article 35 (État B)

M. Georges Patient, rapporteur spécial. - L'amendement FINC.1 concerne les Corom, dans un contexte où un tiers des communes des Drom se trouvent dans une situation difficile. Les Corom ayant démontré leur utilité en permettant à certaines d'entre elles de revenir à une situation d'équilibre, nous proposons une augmentation des moyens qui leur sont dédiés de 18 millions d'euros en autorisations d'engagement et 6 millions d'euros en crédits de paiement.

L'amendement FINC.1 est adopté.

M. Teva Rohfritsch, rapporteur spécial. - L'amendement FINC.2 vise à abonder le FOM afin de soutenir l'ingénierie financière des communes et des intercommunalités de Polynésie française.

Nous ne souhaitons pas étendre stricto sensu le dispositif Corom aux collectivités du Pacifique, mais au moins soutenir nos communes dans le domaine de l'ingénierie financière et éviter des procédures de redressement telles que celle qui avait concerné la commune de Mahina.

L'amendement FINC.2 est adopté.

M. Teva Rohfritsch, rapporteur spécial. - L'amendement FINC.3 vise à soutenir la Sogefom, qui permet d'apporter des garanties partielles à des prêts accordés aux TPE ainsi qu'aux PME.

L'amendement FINC.3 est adopté.

La commission propose au Sénat d'adopter les crédits de la mission « Outre-mer », sous réserve de l'adoption de ses amendements.

EXAMEN DE L'ARTICLE RATTACHÉ

Article 55

La commission décide de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, l'article 55.

Projet de loi de finances pour 2024 - Mission « Économie » et compte de concours financiers « Prêts et avances à des particuliers ou à des organismes privés » - Examen du rapport spécial

M. Thierry Cozic, rapporteur spécial de la mission « Économie » et du compte de concours financiers « Prêts et avances à des particuliers ou à des organismes privés » - Vous le savez, mes chers collègues, la mission « Économie » est très composite. Elle porte en effet des crédits de plusieurs administrations rattachées à Bercy, ainsi que ceux d'un nombre important d'opérateurs. En outre, elle héberge de nombreux instruments budgétaires, dont certains sont structurels et d'autres temporaires.

Le point commun de l'ensemble de ces administrations, opérateurs et instruments budgétaires réside dans leur vocation à être déployés en faveur de l'emploi, de la croissance, des exportations, de la concurrence ou encore de la protection des consommateurs.

L'année dernière, la mission avait été marquée par l'ajout par le Gouvernement, en cours de discussion du budget pour 2023, de 4 milliards d'euros de crédits. Cette hausse des crédits visait à financer le guichet temporaire d'aide aux entreprises pour le paiement de leurs factures de gaz et d'électricité. En 2024, aucun crédit n'est prévu à ce titre, dans un contexte, d'ailleurs, de relatif échec du dispositif mis en place. J'y reviendrai.

En apparence, les crédits demandés pour la mission sont donc en forte baisse. Ils se réduisent de 3,4 milliards d'euros en AE et de 3,6 milliards d'euros en crédits de paiement par rapport à 2023.

Pour comparer ce qui est comparable, il convient cependant de neutraliser la différence liée aux 4 milliards d'euros d'aides de guichet. On constate alors que le budget de la mission est en réalité en hausse par rapport à 2023 : il augmente d'environ 630 millions d'euros en autorisations d'engagement et de 375 millions d'euros en CP. Cette hausse concerne quasi intégralement le programme 134 intitulé « Développement des entreprises et régulations », qui porte d'ailleurs près des deux tiers des crédits de la mission.

Les autres programmes connaissent des évolutions plus modestes, à l'exception du programme 343 relatif au plan France Très Haut Débit. Hors mesures de périmètre, ses crédits sont en effet en baisse de près de 70 millions d'euros en AE et de 14 millions d'euros en CP.

Plutôt que d'entrer dans une analyse fastidieuse de l'évolution des nombreux outils portés par la mission, nous vous proposons de concentrer notre propos sur quelques faits saillants du budget pour 2024.

S'agissant d'abord des moyens des administrations et des opérateurs, une légère hausse globale est prévue. Si les crédits de fonctionnement sont relativement stables, les dépenses de personnel sont en hausse d'environ 4 %, soit 35 millions d'euros. Le plafond d'emplois de l'État augmente de 104 équivalents temps plein travaillés (ETPT), dont 51, toutefois, en raison de transferts. Pour les opérateurs, ce plafond augmente de 46 ETPT.

Concrètement, hors mesures de périmètre, la légère hausse des dépenses de personnel est concentrée sur la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et la direction générale du Trésor (DG Trésor), côté administrations, et sur l'Agence nationale des fréquences (ANFR), côté opérateurs.

Concernant la DGCCRF, nous avions recommandé dans notre rapport de contrôle de septembre 2022 de mettre fin à la dynamique de suppression de postes qui avait été trop marquée depuis 2007, aboutissant à la disparition de plus de 900 ETPT. Nous avions proposé de recréer 49 postes, au bénéfice de tous les territoires.

Nous avons visiblement été entendus, puisque ce sont exactement 49 ETPT qui ont été recréés en deux ans, dont 15 en 2023 et 34 en 2024. Nous espérons que toutes nos recommandations connaissent le même sort ! Les effectifs recréés serviront notamment à préparer les jeux Olympiques et Paralympiques et à davantage contrôler le commerce en ligne, ainsi que la réalité des allégations écologiques des produits.

La DG Trésor connaît quant à elle une hausse de son plafond d'emplois de 19 ETPT, dont 10 résultent toutefois d'un transfert entrant de personnel, dans le contexte de la création en 2023 de la nouvelle sous-direction en charge de l'analyse et du conseil sur les politiques relatives à la transition écologique et énergétique. Enfin, la direction générale des entreprises (DGE) et l'Insee connaissent une relative stabilité de leurs personnels.

Du côté des opérateurs, l'ANFR concentre la hausse des moyens : en 2024, ses effectifs sont en hausse de 49 ETPT et sa dotation progresse de près de 10 millions d'euros. Cette augmentation est toutefois temporaire et répond à la très forte sollicitation de l'ANFR à l'occasion des jeux Olympiques pour attribuer l'ensemble des fréquences utilisées et contrôler leur utilisation pendant la compétition. Les autres opérateurs connaissent globalement une stabilité de leurs moyens.

J'en viens aux trois principales évolutions des instruments budgétaires en faveur des entreprises portées par la mission.

La première concerne le guichet temporaire d'aide aux entreprises très consommatrices d'électricité ou de gaz. Ce guichet a été mis en place en juillet 2022 dans un contexte de fortes tensions sur le prix de l'énergie à la suite de l'invasion de l'Ukraine par la Russie, et maintenu en 2023. L'aide prévue concerne les entreprises qui répondent à deux critères cumulatifs : d'une part, leurs dépenses d'électricité ou de gaz doivent représenter plus de 3 % de leur chiffre d'affaires ; d'autre part, elles doivent avoir subi une augmentation d'au moins 50 % du prix de l'énergie pendant la période de demande d'aide par rapport à 2021.

L'aide consiste à compenser partiellement la hausse des factures d'énergie. Elle est octroyée sous réserve d'un plafond de 4 millions d'euros, qui peut être majoré à 50 millions d'euros ou à 150 millions d'euros en fonction de différents critères.

Nous avons demandé à la DGE de nous fournir les chiffres concernant ce guichet. Sur cette base, nous avons fait les comptes et pouvons aujourd'hui le dire clairement : les résultats ne sont pas du tout à la hauteur des ambitions affichées.

En effet, en 2022 et 2023, un total de plus de 7 milliards d'euros de crédits a été ouvert pour le guichet. À ce jour, sur les 44 000 dossiers déposés, seuls 17 000 ont été validés pour un montant total d'aide de 832 millions d'euros, soit moins de 12 % des crédits ouverts. Prenant acte de cette très forte sous-exécution, le Gouvernement a d'ailleurs annulé 4 milliards d'euros en septembre dernier.

Une telle situation souligne deux écueils majeurs. D'une part, les critères du dispositif sont sans doute trop restrictifs et les modalités de demande trop lourdes, en particulier pour les petites entreprises ; d'autre part, le calibrage budgétaire du Gouvernement était sans doute exagérément ambitieux.

Concernant l'avenir, le guichet d'aide doit en principe prendre fin au 31 décembre 2023. Néanmoins, il nous a été indiqué lors des auditions qu'un travail était mené aux niveaux européen et français afin de concevoir un nouveau dispositif sans doute plus resserré. En l'état, un tel dispositif ne serait toutefois pas budgété.

La deuxième évolution des instruments budgétaires en faveur des entreprises en 2024 pour la mission concerne la compensation dite « carbone ». Elle est octroyée aux sites électro-intensifs exposés au risque de fuite de carbone, pour compenser les coûts liés au système européen des quotas d'émissions, à savoir les quotas carbone. Sont notamment concernés les secteurs de la sidérurgie, du papier ou encore de la chimie. Depuis plusieurs années, la hausse du prix du carbone conduit à une hausse mécanique du coût de la compensation. En 2024, elle atteint plus de 1 milliard d'euros, soit 218 millions d'euros de plus qu'en 2023.

Enfin, la troisième évolution concerne le financement par la mission « Économie » des activités de Bpifrance en faveur des entreprises. Nombre d'entre elles, financées par l'argent public, présentent un lien naturel avec la mission, en particulier via le programme 134. Or aucune ligne budgétaire concernant cet établissement n'y était rattachée depuis quelques années. Cette situation résulte en partie du fait que de nombreuses missions transversales de Bpifrance sont financées par des circuits budgétaires et financiers complexes manquant parfois de lisibilité.

Dans notre rapport de contrôle de juillet dernier, nous avions en particulier identifié cet enjeu pour les fonds de garantie gérés par Bpifrance. Si nous constations l'efficacité des garanties sur les prêts incitant les banques à davantage financer les TPE et PME, nous regrettions les modalités d'abondement par l'État des fonds de garantie.

En effet, le financement des fonds - qui représente un besoin annuel de plusieurs centaines de millions d'euros - s'opère depuis plusieurs années au moyen d'artifices financiers, souvent en dehors de toute budgétisation. Nous considérions au contraire que cette politique publique en faveur des entreprises devait être budgétisée au sein du programme 134, et soumise annuellement au vote du Parlement.

Il semble que nous ayons été entendus, mais seulement partiellement. En effet, en 2024, une ligne de financement de Bpifrance sera rétablie au sein du programme 134. Dotée de 100 millions d'euros, elle ne répond toutefois qu'à une partie limitée des besoins de financement de Bpifrance en lien avec la mission « Économie », dans la mesure où ceux-ci sont estimés à 484 millions d'euros en 2024.

La ligne budgétaire financera les actions d'accompagnement des entreprises de Bpifrance et sa contribution au plan Quartiers 2030. En revanche, des ressources non budgétaires seront mobilisées pour financer les fonds de garantie. C'est ainsi par le biais de l'utilisation de 350 millions d'euros de résidus d'anciennes dotations budgétaires que seront abondés ces fonds en 2024.

Cette situation n'est pas satisfaisante : à compter de 2025, le financement des fonds de garantie devra être budgété sur le programme 134.

Par ailleurs, nous vous proposons un amendement visant à compléter l'information du Parlement concernant les modalités effectives de financement des fonds de garantie. En effet, depuis 2022, un jaune budgétaire relatif à Bpifrance est publié chaque année et apporte un certain nombre d'informations utiles.

Néanmoins, s'agissant du financement des fonds de garantie, les informations sont encore trop éparses et trop peu détaillées. Nous vous proposons donc que le jaune budgétaire comprenne une synthèse consolidée de l'ensemble des flux financiers provenant de l'État et alimentant spécifiquement ces fonds. Cette proposition s'inscrit dans la droite ligne de nos recommandations de juillet dernier.

Mme Frédérique Espagnac, rapporteure spéciale de la mission « Économie » et du compte de concours financiers « Prêts et avances à des particuliers ou à des organismes privés ». - J'aborderai pour ma part quatre sujets, à savoir les compensations des missions de service public au groupe La Poste, l'état du déploiement de la fibre optique, la création du nouveau fonds territorial d'accessibilité et enfin le financement des chambres de commerce et d'industrie (CCI).

S'agissant tout d'abord des quatre compensations financées par la mission « Économie » et versées à La Poste au titre de ses différentes missions de service public, l'évolution de trois d'entre elles ne pose pas de difficulté majeure.

La dotation pour financer la mission de transport postal de la presse est ainsi maintenue à un niveau comparable à celui de 2023, s'établissant à 43 millions d'euros en 2024. Quant à la compensation au titre de sa mission d'accessibilité bancaire, la baisse prévue en 2024 est conforme à la trajectoire pluriannuelle établie : la dotation sera de 287 millions d'euros. Enfin, la mission de service universel postal est compensée en 2024 à hauteur de 500 millions d'euros, en baisse de 4 % par rapport à l'année dernière.

Des questions majeures se posent toutefois pour 2024 concernant la mission d'aménagement et de développement du territoire de La Poste. Cette mission essentielle consiste, comme vous le savez, à maintenir des points de contact dans l'ensemble du pays.

Elle fait l'objet d'un financement via le fonds postal national de péréquation territoriale. Celui-ci est alimenté par deux canaux : d'un côté, des allégements de fiscalité locale ; de l'autre, une dotation budgétaire - l'objectif étant d'apporter à La Poste une compensation globale de l'État de 174 millions d'euros.

Dans un contexte de baisse de rendement des allégements de fiscalité locale, liée notamment à la baisse de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), la dotation avait été rehaussée l'année dernière, de 74 millions à 105 millions d'euros.

Mais l'enjeu aujourd'hui tient dans le fait que, pour 2024, la dotation est maintenue à ce même niveau, alors que le rendement prévu des abattements fiscaux en 2024 baissera de nouveau. La Poste estime ainsi que 15 millions d'euros manqueront en 2024 pour atteindre le niveau de compensation cible de 174 millions d'euros. Ce chiffrage nous semble cohérent.

Dans ces conditions, nous vous proposons un amendement rehaussant de 15 millions d'euros la dotation budgétaire pour cette mission. J'insiste sur le fait qu'il s'agit d'une mission de service public essentielle à nos territoires et que l'amendement n'a vocation qu'à maintenir le niveau global de compensation de cette mission par rapport à 2023.

Je souhaite également faire un point sur le plan France Très Haut Débit. Ce plan porte l'objectif d'un déploiement complet de la fibre optique à l'horizon 2025. Il est financé en particulier par le programme 343 de la mission « Économie », dont l'objet est de subventionner les réseaux d'initiative publique (RIP), dans des zones dans lesquelles le déploiement de la fibre n'est pas rentable pour les opérateurs. Ces RIP sont mis en oeuvre dans le cadre de projets portés et financés par les collectivités territoriales.

Il ressort de notre analyse que les crédits du programme 343 subventionnant les RIP ont des effets positifs sur le déploiement dans les zones concernées. En 2024, les AE du programme sont en baisse de près de 70 millions d'euros, hors mesures de périmètre. Selon le Gouvernement, cette baisse est liée au fait que les projets de RIP seraient aujourd'hui bouclés et en phase de décaissement.

Néanmoins, lorsqu'on regarde la situation d'un point de vue global, il y a en réalité de quoi s'inquiéter sur l'atteinte de l'objectif d'un déploiement de la fibre optique sur l'ensemble du territoire en 2025, dans les zones concernées par les RIP et ailleurs, comme vous pouvez le constater dans vos territoires.

À ce jour, seuls 81 % des locaux recensés en France sont éligibles à la fibre optique, c'est-à-dire raccordables. En outre, si ce taux progresse, la dynamique ralentit fortement : au deuxième trimestre 2023, 870 000 locaux ont été raccordés, contre plus de 1,2 million au deuxième trimestre 2022. Ce ralentissement touche toutes les zones, concernées ou non par des RIP.

En outre, le taux de déploiement est très hétérogène sur le territoire. Alors qu'il s'établit à 92 % dans les zones très denses, le taux chute par exemple à 62 % dans les zones dans lesquelles les opérateurs ont pourtant pris des engagements de déploiement auprès des collectivités territoriales, ce qui est très problématique.

Toujours sur le sujet de la fibre optique, nous tenons également à rappeler que pour que le déploiement de la fibre optique soit utile, il ne suffit pas que les locaux soient raccordables, encore faut-il qu'ils puissent matériellement être raccordés.

Or nous alertons depuis plusieurs années sur le sujet des raccordements finaux complexes d'un nombre significatif de locaux, qui peuvent faire échec à l'utilisation effective de la fibre. Dans ces cas, des travaux de génie civil sur le domaine public sont nécessaires pour permettre le raccordement. Comme nous l'avions demandé, une enveloppe de 150 millions d'euros d'autorisations d'engagement a été ouverte sur le programme à cette fin en 2022 et en 2023. Néanmoins, n'est prévu en 2024 le décaissement que de 3 millions d'euros : il faut aller bien plus vite.

De même, nous regrettons que les longs délais de conclusion de la nouvelle convention entre l'État et l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), qui gère désormais les crédits du programme, aient conduit à geler pendant plusieurs mois les décaissements réalisés au profit des collectivités engagés dans des projets de RIP. Cette situation, qui a fortement affecté les collectivités, aurait dû être mieux anticipée par l'État.

J'en arrive au sujet du nouveau fonds territorial d'accessibilité, dont la création avait été annoncée à l'issue de la Conférence nationale du handicap en avril dernier. Il doit porter, selon le Gouvernement, une enveloppe de 300 millions d'euros sur une période s'étendant de novembre 2023 au 31 décembre 2028.

Sur le plan budgétaire, le fonds est porté par le programme 134. En 2024, 50 millions d'euros sont ainsi ouverts en AE et 20 millions d'euros en CP.

L'objet du fonds est de participer au financement des travaux de mise en accessibilité des établissements recevant du public (ERP) de cinquième catégorie, des TPE et PME. Sont principalement ciblés les magasins de vente, les restaurants et débits de boissons, les hôtels et pensions de famille et les établissements bancaires.

Le taux de l'aide, plafonnée à 20 000 euros, sera de 50 % sur les dépenses d'équipement, par exemple l'installation de rampes amovibles, de vitrophanie ou d'éclairage adapté, et/ou sur les dépenses de travaux, comme l'élargissement des couloirs, la suppression de marches ou l'adaptation des sanitaires.

Nous souscrivons à la création de ce fonds. D'une part, il répond à des enjeux d'insertion des personnes en situation de handicap et, d'autre part, il soutient les établissements de proximité.

Néanmoins, je ne peux que constater que ce fonds ne répond qu'à un besoin spécifique, sans apporter un soutien global significatif, comme le permettait par le passé le fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce (Fisac).

Dans un contexte où les prix de l'énergie et les difficultés économiques ont fortement touché ces établissements, il est indispensable de disposer de crédits d'intervention afin de maintenir ces activités. Je vous propose donc, par un amendement, le rétablissement du Fisac.

Je souhaite enfin aborder le sujet du financement des CCI, dont la tutelle est exercée par la Direction générale des entreprises. Le Gouvernement proposait dans le texte initial du projet de loi de finances pour 2024 de réduire les taxes affectées au financement du réseau des CCI de 25 millions d'euros. Dans le texte résultant de l'utilisation de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution, la baisse de recettes s'est transformée en une ponction sur le fonds de roulement de CCI France, à hauteur non plus de 25 millions d'euros, mais de 40 millions d'euros.

Or je tiens à rappeler que le réseau a déjà fait l'objet de coupes très significatives sur ses recettes fiscales depuis plusieurs années, alors même que les CCI jouent dans les territoires un rôle très important de soutien à nos entreprises, notamment aux plus petites. Selon moi, ces mesures d'économie sont trop sévères.

En conclusion, nous considérons que le budget de la mission pour 2024 présente de bons comme de nettement moins bons points. Nous serons néanmoins favorables à l'adoption des crédits de la mission « Économie », sous réserve de l'adoption des deux amendements de crédits que nous vous proposons.

Comme indiqué précédemment, nous vous proposons aussi un amendement portant article additionnel afin d'approfondir l'information disponible dans le jaune budgétaire relatif à Bpifrance, conformément aux recommandations issues de notre rapport de contrôle sur les fonds de garantie.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je constate que le guichet de l'aide aux entreprises n'a manifestement pas trouvé son public - le Gouvernement a déjà annulé 4 milliards d'euros sur cette ligne budgétaire en septembre dernier. Sur le terrain, les entreprises éprouvent de sérieuses difficultés à identifier l'interlocuteur adéquat, tandis que le traitement des demandes se révèle très long. J'ai en tête un cas bien précis dans mon département. Quelles inflexions pressentez-vous du côté du Gouvernement à ce sujet, à la suite des auditions auxquelles vous avez procédé ?

Les missions de service public de La Poste sont importantes pour assurer le service universel et pour l'aménagement du territoire. Je ne suis toutefois pas favorable à l'amendement proposé visant à augmenter la dotation de La Poste afin d'atteindre le montant de 174 millions d'euros. Le groupe La Poste a en effet dégagé des résultats intéressants. Je préconise que le groupe fasse avant toute chose preuve de davantage de sélectivité dans ses choix d'orientations budgétaires afin de faire face à cette baisse de dotation, estimée à 15 millions d'euros, qui ne me paraît pas insurmontable.

Concernant le Fisac, il me semble toujours malaisé de ressusciter un dispositif disparu. Les contrats de ruralité devaient, pour une partie des enveloppes, participer à la dynamique commerciale, sans oublier le dispositif Petites Villes de demain, l'accompagnement apporté par les collectivités - le plus souvent par les régions, mais aussi, parfois, par les départements - et le fonds territorial d'accessibilité. J'estime qu'il serait judicieux de commencer par dresser un état des lieux de la situation et ne suis donc pas favorable au deuxième amendement.

Je suis en revanche favorable au troisième amendement, qui nous permettra d'améliorer notre niveau d'information s'agissant de l'abondement des fonds de garantie gérés par Bpifrance.

Mme Florence Blatrix Contat- J'ai bien noté que les rapporteurs ont été entendus au sujet de l'allocation d'ETPT supplémentaires pour la DGCCRF.

Je souhaite me faire la porte-parole de l'Insee, confronté depuis plusieurs années à une érosion de ses effectifs alors qu'il assume des missions essentielles, notamment en matière d'évaluation. Cet organisme devrait lui aussi pouvoir bénéficier d'une hausse de son plafond d'emplois.

Enfin, en tant que présidente du groupe d'études « Économie sociale et solidaire » (ESS), je regrette que ce secteur soit le parent pauvre de ce budget, alors qu'il représente 10 % du PIB et 14 % des emplois. Les soutiens qui lui sont consacrés s'élèvent à 20 millions d'euros, quand ils représentent pour les entreprises classiques 120 milliards d'euros. L'année dernière, deux amendements que j'avais proposés avaient été adoptés, dont l'un portant sur une demande de rapport - il n'a toujours pas été publié alors qu'il devait l'être avant le 30 juin dernier. Ne négligeons pas le financement de cette économie déterminante pour l'avenir, car elle concerne le médico-social, dont on a tant besoin dans nos territoires, mais aussi l'économie circulaire. Aussi, je proposerai, par amendement, de renforcer les fonds dédiés aux chambres régionales de l'économie sociale et solidaire (Cress) et aux acteurs de ce secteur.

M. Michel Canévet. - Je salue le travail des rapporteurs spéciaux, notamment pour avoir obtenu du Gouvernement les 49 postes demandés pour la DGCCRF - c'est remarquable !

M. Claude Raynal, président. - Oui, au poste près !

M. Michel Canévet. - Envisagez-vous une évolution de l'indemnité allouée par La Poste aux collectivités qui ouvrent des agences postales ? Il semble qu'elle ne soit pas suffisante pour couvrir les moyens mis en oeuvre par les collectivités.

Comme le rapporteur général, je suis perplexe sur l'idée de réinstaurer le Fisac. Les régions ont une responsabilité économique et peuvent intervenir en la matière, sans compter que la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) permet aussi aux collectivités d'accompagner un certain nombre de projets.

M. Thierry Cozic, rapporteur spécial. - Monsieur le rapporteur général, le guichet unique des aides aux entreprises était bel et bien de l'affichage gouvernemental. On a inscrit des crédits dont on savait pertinemment qu'ils ne seraient pas utilisés - 4 milliards d'euros ont d'ailleurs déjà été annulés. On nous a fait état de nombreuses difficultés. Concernant l'avenir, une réflexion a été engagée aux niveaux européen et français pour prolonger le dispositif d'aide, probablement dans un format plus ciblé sur les entreprises les plus affectées.

Mme Frédérique Espagnac, rapporteure spéciale. - Premièrement, les difficultés rencontrées dans nos territoires montrent bien que les besoins sont bien réels. Deuxièmement, la manière de gérer les demandes de la part de l'administration peut décourager les entreprises. Au lieu de les accompagner lorsqu'un dossier est incomplet, elle peut leur demander d'en recréer un nouveau, ce qui explique le grand nombre d'abandons en cours de route. Troisièmement, j'alerte sur la situation découlant de la durée - trois ans - de certains contrats d'approvisionnement énergétique, conclus au plus haut des prix. Les entreprises qui n'ont pas réussi à monter leur dossier au début de la mise en place du dispositif risquent de se retrouver coincées pour les deux prochaines années.

Concernant la dotation accordée à La Poste, j'insiste sur le fait qu'il s'agit d'un engagement pris dans le cadre du contrat d'entreprise signé par l'État : notre amendement vise à relever la dotation dans le seul but d'atteindre le niveau de compensation fixé à 174 millions d'euros, comme cela était le cas l'année dernière.

Sur le sujet des agences postales financées par les collectivités territoriales évoqué par M. Canévet, c'est justement l'enjeu de cette compensation. On sait pertinemment qu'elle ne répond pas suffisamment aux besoins des collectivités locales. Parallèlement, on nous demande d'installer des distributeurs automatiques de billets (DAB) en milieu rural et La Poste ne veut pas les financer au prétexte que cela lui coûte trop cher.

Sur le Fisac, je rappelle qu'un amendement de rétablissement avait été voté l'an dernier en séance publique. Que ce soit avec les contrats de ruralité ou avec Petites Villes de demain, les commerces en tant que tels ne reçoivent quasiment pas d'aide ! Avec la DETR, les commerces peuvent apporter une aide en ce qui concerne les locaux. Mais le Fisac apportait une aide à la création ou à la reprise d'un commerce. J'ai découvert il y a peu qu'il existait un « fonds d'accompagnement à l'installation des commerces en milieu rural » géré par l'Agence nationale de la cohésion des territoires, doté de seulement 12 millions d'euros et ouvert uniquement pour deux ans, en 2023 et 2024 ; seuls dix à quinze projets par région peuvent en bénéficier, c'est-à-dire à peine un par département dans certaines régions. Aucun fonds ne permet aujourd'hui d'accompagner la reprise ou la création de commerces en milieu rural. C'est la raison pour laquelle il faut réinstaurer le Fisac.

M. Thierry Cozic, rapporteur spécial. - Madame Blatrix Contat, vous vous inquiétez de l'érosion des effectifs de l'Insee, mais aujourd'hui le volume d'emplois est globalement maintenu. Il est vrai qu'un certain nombre de nouvelles missions lui ont été confiées, mais nous n'avons pas eu d'alerte spécifique sur ce sujet. Nous continuerons à suivre la situation.

Concernant l'ESS, les crédits sont très modestes mais stables. Il n'y a pas de diminution, il y a même une très légère hausse. On sera attentif à ce sujet en séance.

Mme Frédérique Espagnac, rapporteure spéciale. - S'agissant du secteur de l'ESS, il serait intéressant de connaître toutes les aides existantes - on en découvre encore de nouvelles. Ainsi, nous pourrions dresser l'année prochaine un tableau complet de la situation.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je pense, comme Mme la rapporteure spéciale, qu'il revient à La Poste de répondre aux zones blanches en matière de DAB. C'est en effet une mission de service public. Maintenant que nous disposons d'une cartographie précise, nous allons travailler à conduire les acteurs bancaires et financiers à remédier à ces zones blanches. Nous les harcèlerons s'il le faut, ils nous ont longtemps menés en bateau. Nous ferons passer le message à la Fédération bancaire française.

Article 35 (État B)

M. Claude Raynal, président. - L'amendement FINC.1 vise à rétablir les crédits du Fisac, à hauteur de 30 millions d'euros.

L'amendement FINC.1 n'est pas adopté.

M. Claude Raynal, président. - L'amendement FINC.2 vise à maintenir la compensation globale de La Poste s'agissant de la mission d'aménagement du territoire, en demandant une dotation budgétaire de 120 millions d'euros en 2024.

L'amendement FINC.2 n'est pas adopté.

La commission décide de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, les crédits de la mission « Économie ».

EXAMEN DE L'ARTICLE RATTACHÉ

Après l'article 52

M. Thierry Cozic, rapporteur spécial. - L'amendement FINC.3 tend, dans un souci de transparence, à enrichir l'information disponible sur les modalités d'abondement par l'État des fonds de garantie gérés par Bpifrance.

L'amendement FINC.3 est adopté.

La commission décide de proposer au Sénat l'adoption de son article additionnel après l'article 52.

Article 37 (État D)

La commission décide de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits du compte de concours financiers « Prêts et avances à des particuliers ou à des organismes privés ».

La réunion est close à 12 h 30.