Mardi 7 novembre 2023

- Présidence de Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente -

La réunion est ouverte à 17 h 35.

Audition de M. Patrice Vergriete, ministre délégué chargé du logement

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Monsieur le ministre, mes chers collègues, nous commençons nos auditions budgétaires par celle de M. Patrice Vergriete, ministre délégué chargé du logement auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, qui vient nous présenter son projet de budget pour 2024.

Monsieur le ministre, puisque vous vous exprimez pour la première fois devant notre commission, je me permets de rappeler rapidement votre parcours. Vous êtes né à Dunkerque, ville dont vous avez été adjoint, puis maire pendant plus de vingt ans, faisant preuve d'un bel enracinement avant votre entrée au Gouvernement en juillet dernier. Vous êtes aussi ingénieur X-Ponts et économiste, spécialiste des questions du marché du travail et de la politique de la ville, ce qui vous a conduit à travailler à l'OCDE, puis auprès de notre collègue Jean-Pierre Sueur pour son important rapport « Demain la ville », ainsi qu'au sein des cabinets de Martine Aubry et de Claude Bartolone.

Dans un contexte marqué par une crise du logement particulièrement grave, vous nous présentez un budget s'inscrivant dans le prolongement des évolutions des dernières années. La dotation des programmes 109, 135 et 177, dédiés au logement, est en progression de plus de 8 % pour 2024.

Il convient de distinguer l'évolution des programmes 109 et 177, qui progressent moins vite que l'inflation, de celle du programme 135. Le programme 109 porte les aides personnelles au logement (APL) et représente l'essentiel des dépenses avec près de 14 milliards d'euros. Le programme 177 permet d'assurer le financement de l'hébergement d'urgence et du plan « Logement d'abord ». Il pèse désormais près de 3 milliards d'euros, mais reste sous-doté d'environ 200 à 250 millions d'euros.

Enfin, le programme 135 porte notamment la subvention à l'Agence nationale de l'habitat (Anah). Il atteint 1,5 milliard d'euros, soit une augmentation de près de 100 % cette année pour assurer la transformation de MaPrimeRénov' et la création de MaPrimeAdapt'.

Au-delà de ces données, la question que l'on doit se poser est celle de savoir si ce budget est à la hauteur de la crise du logement que nous affrontons.

Élisabeth Borne s'était engagée, dans son discours de politique générale, à conclure un pacte de confiance avec le mouvement HLM, mais cet engagement est resté lettre morte. Alors que l'explosion des taux d'intérêt remet clairement en cause la réduction de loyer de solidarité (RLS), le relèvement de la TVA sur le logement social ou la réduction des APL, l'équation maastrichtienne reste la seule boussole. Pourtant, la Caisse des dépôts et consignations vient d'estimer, dans ses Perspectives, que la capacité de construction des bailleurs sociaux pour le futur s'élève à 66 000 logements neufs par an, soit la moitié de l'objectif affiché !

Le Gouvernement promeut également les logements locatifs intermédiaires (LLI). Si cette catégorie de logement n'est pas négligeable dans des territoires sous tension, nous avons en priorité besoin de logements sociaux les plus accessibles, et plus particulièrement de prêts locatifs aidés d'intégration (PLAI).

De la même manière, le projet de loi de finances (PLF) pour 2024 met en oeuvre, dans le secteur privé, les conclusions du Conseil national de la refondation (CNR) dédié au logement. Celles-ci drapent du voile de l'écologie des coupes budgétaires déclinant la vision selon laquelle la France dépense trop et construirait encore trop de logements, bien loin de la réalité vécue dans nos territoires. Dans ces derniers, l'accès au logement devient un sujet d'inquiétude croissante, voire une « bombe » sociale et politique  - la formule est de votre prédécesseur - risquant d'alimenter le vote extrême. À ce jeu des vases budgétaires communicants, c'est aussi tout un secteur économique qui trinque : la rénovation ne remplit pas les carnets de commandes des promoteurs et du secteur du bâtiment.

Sachez donc, monsieur le ministre, que nous serons particulièrement attentifs aux inflexions que vous donnerez et à la manière dont vous pourrez répondre aux besoins des Français dans le domaine prioritaire qu'est celui du logement.

Je vous laisse maintenant présenter les grandes lignes de votre budget pour 2024 et répondre à ces premiers éléments, avant de donner la parole à Mme Anne Chain-Larché, rapporteure pour avis de la commission pour les crédits du logement, puis à Mme Nadia Sollogoub, rapporteur pour avis des crédits du programme 177 au titre de la commission des affaires sociales, et enfin aux collègues qui le souhaiteront.

Ceux-ci ne manqueront pas de vous interroger, non seulement sur le PLF pour 2024, mais aussi, plus largement, sur la politique que vous entendez mener afin d'atténuer les effets de la crise actuelle et de permettre à nos concitoyens d'accéder à nouveau à un parcours résidentiel aujourd'hui bloqué. Ceux-ci devraient pouvoir trouver, autant que faire se peut, un logement abordable et conforme à leurs attentes.

M. Patrice Vergriete, ministre délégué chargé du logement. - Mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite vous apporter en préambule quelques compléments sur mon parcours au sein d'institutions auxquelles je tiens. Ainsi, j'ai également été président de France Ville Durable (FVD). J'ai par ailleurs présidé la Fédération nationale des agences d'urbanisme (Fnau), ainsi que l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afit France). Enfin, j'ai occupé la fonction de chargé du logement et de la politique de la ville au sein du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD), devenu ensuite l'Inspection générale de l'environnement et du développement durable (IGEDD). J'ai notamment eu l'occasion, après ma thèse portant sur les dispositifs d'aide fiscale à l'investissement locatif, de travailler à l'évaluation de la politique du logement.

Je souhaite, au-delà de la présentation du PLF pour 2024, dresser des perspectives pour la politique du logement pour les mois à venir.

Celle-ci s'articule autour de quatre grands objectifs : un objectif économique, lié à l'emploi et à l'enjeu de l'accessibilité au logement ; un objectif environnemental, puisqu'il convient de s'assurer que l'ensemble du parc de logements s'inscrive dans la transition écologique ; un objectif social, englobant les problématiques de l'hébergement d'urgence comme les enjeux de dignité et de décence des logements ; un objectif territorial, consistant à mener une politique du logement adaptée aux spécificités locales.

Ces quatre axes subissent actuellement les contrecoups d'une crise aux multiples facettes.

Sur le versant économique, celle-ci se traduit par la forte croissance des taux : pour l'illustrer simplement, le passage d'un taux de 1,2 % à un taux de 4,2 % équivaut à une diminution du montant de prêt que l'on peut obtenir de 180 000 euros à 130 000 euros. S'y ajoute l'inflation du coût des matériaux, ainsi qu'une forme d'attentisme dans les achats immobiliers. Un chiffre me paraît intéressant à ce sujet : sur une baisse des crédits immobiliers de l'ordre de 40 %, le refus de prêts pèse à hauteur de 15 %, mais, pour les 25 % restants, c'est le simple fait de ne pas prendre rendez-vous avec son banquier, dans l'attente d'une baisse des prix, qui entre en jeu. Cet attentisme amplifie la crise économique.

La crise revêt aussi un caractère plus structurel : l'épisode du covid-19 a profondément modifié les attentes placées dans le logement, avec des problématiques telles que le télétravail ou l'accès à un espace extérieur. Il faut y ajouter une différenciation territoriale qui s'est accentuée, avec des disparités plus marquées entre, par exemple, la région parisienne et des villes comme Montluçon ou Lunéville. En outre, l'acceptabilité des constructions par les populations a elle aussi évolué. Enfin, aux enjeux liés à la transition écologique et énergétique, s'ajoute la problématique du vieillissement de la population : un tiers de nos concitoyens aura plus de 60 ans en 2050, alors qu'une faible partie du parc de logements est adaptée à cette réalité. Peu abordée, cette crise démographique sera pourtant l'une des plus aiguës à l'avenir.

Face à ce défi, des réponses de court terme doivent être apportées pour amortir le choc de la crise économique et limiter les dégâts, notamment en termes de production de logements. C'est la raison pour laquelle le prêt à taux zéro (PTZ) se voit à la fois élargi grâce à une révision de la liste des territoires en tension et renforcé dans la mesure où les barèmes ont été revus et les publics bénéficiaires étendus.

Nous menons également, en lien avec Bruno Le Maire et le gouverneur de la Banque de France, une réflexion sur les modalités d'évolution des critères d'octroi des crédits immobiliers, plus particulièrement au niveau des sous-critères.

Une autre idée consiste à soutenir le LLI, secteur qui sera ouvert aux fonds d'investissement. Nous menons par ailleurs une réflexion sur la fiscalité locative au travers d'une mission parlementaire : initialement dédiée à la fiscalité des meublés touristiques, celle-ci a aussi pour vocation d'identifier les moyens permettant d'inciter nos concitoyens à investir dans le parc locatif privé. Ses conclusions, qui seront rendues dans le courant du mois de février, nous guideront dans l'élaboration d'une réforme de la fiscalité locative très attendue.

Le logement locatif social a, pour sa part, fait l'objet d'un accord signé à Nantes avec le mouvement HLM, autour de l'idée de concilier la poursuite de la rénovation énergétique et la production de logements. Si les bailleurs sociaux sont plutôt en avance par rapport au parc privé sur le terrain de la rénovation énergétique, il convient de maintenir ce rythme sans entraver la production, d'où la mise en place d'un fonds dédié à cette rénovation et de prêts renforcés de la Caisse des dépôts et consignations.

Le PLF pour 2024 contient en outre des premières mesures relatives au foncier, avec une série d'abattements sur les plus-values de cessions foncières. Il ne s'agit cependant que d'une première étape et nous poursuivons notre réflexion quant à la manière de mobiliser le foncier pour des coûts pertinents dans les années à venir. Le renforcement de l'action des établissements publics fonciers figure parmi les pistes envisagées.

Par ailleurs, un plan dédié au logement étudiant est en cours d'élaboration, avec pour objectifs une meilleure mobilisation du foncier universitaire, le développement des colocations étudiantes chez les bailleurs sociaux ou encore la transformation de bureaux en logements étudiants.

En cours également, le plan de soutien à la production, au travers du rachat de 47 000 logements, dont 17 000 par la Caisse des dépôts et consignations et 30 000 par Action Logement.

Au-delà de ces mesures d'amortissement de la crise, nous cherchons également à mieux mobiliser le parc existant, ce qui m'amène à la question des meublés touristiques, particulièrement attractifs pour les investisseurs et dont le développement a nui à celui des logements étudiants. Au mois de décembre, une proposition de loi sera présentée à l'Assemblée nationale et visera à mettre à la disposition des collectivités locales, en particulier des communes, un outil de régulation de ce marché.

Cette orientation me semble particulièrement pertinente, à la fois pour les communes qui en ont le plus besoin -  la ville de Saint-Malo, par exemple, agit actuellement sur les meublés touristiques via le mécanisme du quota, mais n'est pas sûre de gagner en justice - et pour celles qui n'ont en ont pas besoin, puisqu'elles n'utiliseront pas cet outil, permettant de maintenir une différenciation. La question de la fiscalité pourra quant à elle être posée après la présentation des conclusions de la mission parlementaire que j'évoquais précédemment.

J'ajoute, parmi cet ensemble de mesures, la poursuite d'un travail de lutte contre la vacance au moyen d'une taxe sur les logements vacants, le PTZ en zone détendue sur l'ancien rénové ou encore la start-up « Zéro logement vacant », qui permet aux maires de connaître les propriétaires des logements vacants et d'intervenir directement.

Comme je l'ai indiqué dans mon discours de Nantes lors du congrès du mouvement HLM, je souhaite également insister sur la mobilité au sein du parc social. Un certain nombre de bailleurs ont adopté des politiques de mobilité particulièrement pertinentes et ont mis au point de bonnes pratiques qui pourraient être utilement partagées. Je n'oublie jamais qu'un tiers des 2,4 millions de demandeurs du parc social y sont déjà installés, d'où un fort enjeu de mobilité.

Pour ce qui concerne l'habitat indigne, le rapport pour accélérer la résorption de l'habitat indigne et dégradé, remis par Michèle Lutz et Mathieu Hanotin, en octobre 2023 nous sert de référence, pour préparer à la fois un plan à caractère réglementaire et financier d'ici à la fin de l'année et un projet de loi qui vous sera présenté au premier trimestre 2024, afin d'accélérer et de simplifier l'action contre les copropriétés dégradées.

Citons, enfin, la lutte contre les passoires thermiques via MaPrimeRénov', avec 5 milliards d'euros dédiés à la rénovation énergétique des logements en 2024, dont 4,6 milliards d'euros sur le parc privé sous la supervision de l'Anah et 400 millions d'euros sur le parc social. Le dispositif MaPrimeAdapt' doit quant à lui permettre une adaptation du parc au vieillissement et au handicap. Le parc d'hébergements d'urgence devra, quant à lui, être maintenu à un très haut niveau.

Toutes ces mesures de court terme s'accompagnent d'une ambition globale, à savoir la préparation d'une loi sur le logement à l'horizon du printemps 2024 qu'a évoquée le Président de la République. L'idée consiste à adapter les outils de la politique du logement au nouveau modèle de développement territorial que nous souhaitons pour l'avenir.

La transition écologique, le vieillissement ou encore le lien emploi-logement sont autant de nouveaux enjeux qui remettent en cause le modèle de développement fondé sur une énergie peu chère qui a prévalu pendant plus de sept décennies.

Cette nouvelle réalité, qui nous conduit à repenser l'urbanisme du territoire, implique davantage de différenciation territoriale et pose la question de la décentralisation : un chapitre du futur projet de loi y sera consacré, afin de déterminer les niveaux de compétences pertinents, les ressources et les outils de régulation du marché du logement à utiliser. Nous pourrons aussi nous interroger sur le sens du logement social et sur la pertinence d'un modèle français généraliste : la loi Logement pourrait permettre d'adapter, par exemple, les modalités d'attribution du logement.

Parmi les questions connexes, le foncier deviendra un élément-clé des stratégies de la politique du logement dans les années à venir. Actuellement, les outils ne sont pas à la hauteur de cet enjeu, il faudra donc en concevoir d'autres dans le cadre du futur projet de loi afin que les collectivités soient en mesure de mieux adapter leur développement.

Mme Anne Chain-Larché, rapporteure pour avis. - Nous avons entendu en audition une série d'acteurs du logement et un rapport suivra prochainement. Par ailleurs, les nouvelles dispositions concernant le dispositif Pinel et le PTZ ne sont pas sans susciter un certain nombre d'interrogations.

Ma première question porte sur la situation des enfants à la rue : les associations en ont dénombré 2 822 en octobre 2023, soit 50 % de plus que l'an passé. Ce chiffre correspond au nombre de demandes infructueuses adressées aux services intégrés d'accueil et d'orientations (SIAO). Les mineurs vivant véritablement dans la rue seraient beaucoup moins nombreux - 200, selon le décompte des Nuits de la solidarité -, mais le nombre d'enfants placés dans des situations d'hébergement extrêmement préoccupantes, dans des bidonvilles, chez des tiers ou encore cachés, serait peut-être cinq fois plus élevé que les estimations des associations.

Sur un sujet qui me paraît humainement trop grave pour polémiquer sur des chiffres, quelles sont vos solutions ? Une augmentation du nombre de places d'hébergement est-elle, par exemple, une option que vous pourriez retenir ?

Ma deuxième question a trait à la crise de la construction neuve. La situation des promoteurs, à l'image de l'ensemble du secteur du bâtiment, est extrêmement préoccupante -vous l'avez fort bien décrite - avec un effondrement des ventes et des mises en chantier. À un horizon de deux ans, 300 000 emplois sont menacés et de nombreuses entreprises risquent de faire faillite, sans compter les répercussions pour les Français qui ne trouveront pas à se loger.

Face à cette situation, les promoteurs proposent de rééditer, sur un ou deux ans, la mesure Balladur adoptée dans la loi de finances de 1993, afin d'exonérer de droits de transmission des logements neufs achetés pour en faire une résidence principale. Que pensez-vous de cette proposition, qui pourrait stimuler de nouveau la construction de logements ?

Ma dernière question concerne le LLI. Au-delà des assouplissements que vous entendez apporter, ne serait-il pas temps qu'il soit comptabilisé dans l'ensemble des logements sociaux ?

M. Patrice Vergriete, ministre délégué. - La question de l'hébergement d'urgence rejoint à l'évidence celle des enfants à la rue. Depuis un certain nombre d'années, nous avons collectivement fait le choix d'augmenter le nombre de places d'hébergement d'urgence, passé en dix ans de 93 000 places à 203 000 places, malgré la réussite - reconnue par toutes les associations - du plan « Logement d'abord » : mis en oeuvre durant le précédent quinquennat, celui-ci a permis à 440 000 personnes qui étaient à la rue de retrouver un logement.

Nous sommes actuellement confrontés à des situations dans lesquelles les personnes restent trop longtemps en hébergement d'urgence. Le rythme des entrées ne se conjugue pas avec un flux de sorties suffisant, d'où mon annonce, ce matin, d'un renfort des effectifs dédiés à la veille sociale à hauteur de 500 postes, soit une augmentation d'un tiers. Cette hausse vise à répondre aux besoins du service du numéro d'urgence du 115, qui peinait à suivre la croissance du parc d'hébergement d'urgence, mais aussi et surtout à améliorer les maraudes, tout comme l'accompagnement social et l'orientation des personnes à la rue. J'ai été choqué de constater, à l'occasion d'un reportage réalisé par France 2 au sujet d'une famille gabonaise avec plusieurs enfants scolarisés, que des personnes pouvaient vivre cinq ans dans un hôtel.

La problématique de fond réside dans l'amélioration de cet accompagnement : au-delà de la réponse d'urgence qui peut consister à augmenter le nombre de places d'hébergement d'urgence, il faudrait être en mesure de proposer des solutions diverses face à l'hétérogénéité des situations. Le Gouvernement prévoit ainsi, de nouveau, une hausse du nombre de places d'hébergement d'urgence, notamment pour les femmes à la rue ; à terme, j'insiste cependant sur la nécessité de concevoir une nouvelle méthode de gestion de la sortie de ce mode d'hébergement. Le renforcement des effectifs de la veille sociale doit ainsi nous permettre de disposer d'une meilleure visibilité sur les solutions de nature à nous permettre de diminuer le « stock » - l'expression est malvenue, mais reflète une réalité - de l'hébergement d'urgence.

Concernant la production neuve, je pense que nous n'aurons plus jamais de solution miracle à notre disposition. En 2008, le dispositif Scellier, très incitatif, avait certes permis d'écouler la production neuve, mais avait abouti dans certaines métropoles à des programmes de promotion immobilière parfois dédiés à hauteur de 80 % à l'investissement locatif. Le refus obstiné de dégonfler la bulle des prix de l'immobilier a conduit à entretenir celle-ci et à léguer ensuite une situation encore plus dégradée, avec un prix du foncier très élevé et en total décrochage par rapport au pouvoir d'achat des Français.

Une fois cette absence de solution miracle actée, il nous faut travailler dans plusieurs directions, d'où mon évocation de l'accession à la propriété et de l'investissement locatif. Je crois encore dans les potentialités de ce dernier, tant pour les acteurs institutionnels que pour les particuliers, la réforme de la fiscalité locative devant nous permettre de mettre l'accent sur les seconds.

En lieu et place d'un produit dominant censé remédier à toutes les difficultés, recherchons désormais un équilibre dans les programmes de promotion. La mesure Balladur, elle, n'a pas nécessairement abouti aux résultats escomptés et je doute qu'elle puisse résoudre la crise actuelle. Différentes mesures du même acabit peuvent être envisagées, mais nous ne pourrons pas toutes les mettre en oeuvre, nous tentons actuellement d'encourager le développement du LLI.

Concernant d'ailleurs l'éventuelle intégration du LLI dans le décompte du logement social prévu par la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU), je rappelle que ce texte visait à développer et à rééquilibrer le logement social à l'échelle nationale. Cette loi a produit, année après année, ses effets puisqu'un logement social sur deux en est issu. S'il est toujours possible de juger cette production insuffisante, nous disposons là d'un outil précieux au développement du logement social.

Prenons donc garde à ne pas ouvrir la boîte de Pandore en multipliant les dispositifs dérogatoires à la loi SRU, sachant qu'une commission nationale examine déjà les situations particulières. Je suis pour ma part très favorable à l'exonération d'une partie de leurs responsabilités les communes qui jouent le jeu en s'inscrivant dans une logique de développement du logement social. Nous avons besoin de cette catégorie de logements, distincte du LLI à mon sens.

Cela n'empêche pas d'engager une réflexion, dans la perspective de la future loi, sur la pertinence de la coexistence de plusieurs produits, dont le PLAI et le prêt locatif social (PLS). Il n'est pas en tout cas pas prévu d'intégrer le LLI dans le décompte de la loi SRU.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous avions réussi, à l'occasion du vote de la loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (Élan), à intégrer le bail réel solidaire (BRS) dans le quota des logements sociaux, mesure qui était particulièrement attendue par les maires.

Mme Nadia Sollogoub, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. - Monsieur le ministre, je me réjouis de l'importance que vous accordez à l'hébergement des personnes vulnérables.

En revanche, je m'interroge quant à la création de 40 000 nouvelles places en intermédiation locative grâce à la mobilisation des collectivités et des associations spécialisées. Ne craignez-vous pas que ces nouvelles places ne soient soustraites de l'offre accessible à un public déjà en butte à des difficultés dans la recherche d'un logement ?

Je pense, par exemple, aux logements communaux : si les collectivités locales jouent le jeu et les mettent à disposition des populations vulnérables via l'intermédiation locative, ils seront de fait retirés de la location pour d'autres populations. Le problème ne serait, dans cette hypothèse, que transféré, avec des tensions accrues pour tous.

Je prends note, par ailleurs, de l'effort budgétaire consenti avec la création de 500 postes pour la veille sociale. Cela étant, la trajectoire des crédits pour la période 2025-2026 est orientée à la baisse. Anticipez-vous une stabilisation de la situation qui justifierait cette trajectoire ?

M. Patrice Vergriete, ministre délégué. - Nous ne pouvons pas nous satisfaire de 203 000 places d'hébergement d'urgence, ni de toutes ces personnes qui restent parfois plusieurs années dans ces hébergements. Une tendance baissière signifierait que nous aurions réussi à mieux intégrer ces personnes dans le logement. Cela suppose un meilleur accompagnement vers le logement, notamment à travers ces 500 effectifs complémentaires, ainsi qu'un meilleur fonctionnement de nos services intégrés d'accueil et d'orientation (SIAO) et un meilleur accompagnement social.

Aujourd'hui, l'ambition affichée par le Gouvernement est de construire davantage de logements, notamment de logements locatifs sociaux. Le traitement sera différencié : dans certains territoires où les vacances sont nombreuses, il conviendra de privilégier le recyclage ; dans d'autres, il faudra construire de manière importante.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Au-delà de l'accompagnement social, il s'agit de proposer à ces familles qui peuvent rester plusieurs années à l'hôtel une offre de logement adaptée à leurs ressources. On en revient au point de départ : il faut continuer à construire, en s'appuyant notamment sur les PLAI.

M. Guislain Cambier. - Monsieur le ministre, je souhaite vous interroger sur l'objectif d'adaptation à la réalité du territoire. La politique du logement néglige trop souvent la ruralité au profit des zones urbaines. Le logement dans la ruralité ne se résume pas à la maison individuelle en zone détendue ; ce sont des spécificités particulières, des problématiques d'habitats vacants, d'indivision, de succession, de bâtis anciens dégradés, de friches, etc. Tout cela a naturellement un impact sur la vie de la commune, sur son dynamisme et son renouvellement.

Les financements publics pour le logement en milieu rural sont rares et, très souvent, correspondent à deux ou trois fois le prix du bien, parfois même davantage dans les zones en déprise. Il s'agit toujours de batailler afin que les dispositifs puissent s'appliquer ; je pense notamment au dispositif Denormandie en faveur du logement ancien.

La politique de zéro artificialisation nette (ZAN) accentue l'urgence de la réhabilitation du bâti ancien et freine les constructions nouvelles. En territoire rural, la revitalisation des bourgs doit être une priorité.

Beaucoup de territoires en déprise n'auront peut-être plus l'occasion de construire ou de se renouveler. Le coût des réhabilitations rend souvent plus facile la création de lotissements ; il s'agit donc de trouver les moyens pour accompagner les réhabilitations et la transformation des friches. Monsieur le ministre, quels outils d'accompagnement et d'incitation directe mettez-vous à disposition des élus dans les territoires ruraux ?

M. Patrice Vergriete, ministre délégué. - Je partage totalement cette analyse. Nous ne disposons pas des bons outils pour répondre aux nouveaux enjeux. Pendant 70 ans, nous avons fonctionné avec un modèle économique et de développement territorial basé sur le pétrole, l'usage de la voiture, la consommation foncière, qu'il s'agit aujourd'hui de remettre en cause.

La loi sur le Logement a vocation à inventer ces nouveaux outils qui permettront de lutter contre les vacances, les dents creuses, les friches, etc. Sans doute faudra-t-il renforcer les outils d'ingénierie ; je pense notamment à ce qui a pu être initié dans le cadre du plan France Ruralités. Sans doute faudra-il également mobiliser les établissements publics fonciers et trouver de nouveaux moyens d'intervention sur ces territoires ruraux et dans les petites villes.

Il ne s'agit pas d'opposer la ruralité à la ville, ou les petites villes aux métropoles ; tous ces territoires nécessitent des outils différents, en termes aussi bien de financement que d'ingénierie. Je viens de donner quelques pistes qui seront approfondies durant les six prochains mois de concertation.

M. Yves Bleunven. - Les entreprises s'intéressent de plus en plus à la problématique du logement car, pour pouvoir embaucher, il faut des solutions de logement.

Concernant le « 1 % logement » collecté par Action Logement, la redistribution demeure très opaque. Les territoires ruraux ont le sentiment d'être oubliés et les entreprises commencent à s'en plaindre. Pour y voir plus clair, il serait temps de territorialiser cette cotisation.

Monsieur le ministre, vous avez évoqué les opérations mises en place en 2008 concernant le déstockage. Ne pourrait-on pas favoriser le logement locatif intermédiaire en impulsant un démembrement des stocks restants, ou encore en permettant l'achat de la nue-propriété par les entreprises ? Sur cette problématique du logement, nous avons besoin d'être imaginatifs et innovants. Aujourd'hui, les entreprises sont prêtes à investir avec les collectivités.

M. Patrice Vergriete, ministre délégué. - Concernant la participation des employeurs à l'effort de construction (Peec), je me méfie toujours quand on touche au paritarisme. Comme je l'ai précisé lors du congrès de Nantes, je privilégie l'écriture de conventions territorialisées pour deux raisons : premièrement, je souhaite des objectifs de production de logements sociaux à l'échelle territoriale ; deuxièmement, je pense que cela peut renforcer les liens entre Action Logement et les collectivités. Cette semaine, je vais à Dijon pour commencer à signer ces conventions territorialisées qui, pour Action Logement, seront l'occasion de décliner ses actions dans les territoires ; cela concerne la redistribution de la Peec, mais aussi le programme à destination des saisonniers.

Concernant la nue-propriété prise en charge par les entreprises, la réflexion est en cours ; le député Dominique Da Silva est notamment mobilisé sur cette question. Je suis favorable à des réflexions permettant, au-delà de la Peec, de renforcer l'engagement des entreprises. La question du démembrement est aussi intéressante. Le bail réel solidaire est une bonne idée, j'aurais même voulu aller plus loin concernant le financement de l'accession à la propriété, en jouant sur la distinction entre nue-propriété et foncier. Si les entreprises ont l'envie de se mobiliser, il y a beaucoup de travaux à initier.

Mme Sylviane Noël. - Monsieur le ministre, vous avez évoqué les enjeux de transition énergétique liés au logement. Le nouveau diagnostic de performance énergétique (DPE) issu de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets (loi Climat et résilience) vise à exclure du parc locatif de nombreux appartements jugés énergivores à partir de 2025. Ce nouveau DPE pénalise les logements anciens chauffés à l'électricité, en multipliant par 2,3 la consommation réelle affichée au compteur. Les autres énergies, comme le fioul ou le gaz, ne subissent en revanche aucune pénalité, alors qu'elles émettent de fortes quantités de gaz à effet de serre.

Cette pénalité infligée aux logements chauffés à l'électricité semble d'autant plus incohérente que 90 % de notre production électrique est aujourd'hui décarbonée. Malgré cela, avec ce nouveau DPE, un logement chauffé au gaz sera mieux noté qu'un logement chauffé à l'électricité. Envisagez-vous une évolution sur ce sujet ?

M. Patrice Vergriete, ministre délégué. - Les passoires thermiques ne seront pas exclues du parc locatif, mais les locataires auront la possibilité d'attaquer les propriétaires au moment de la relocation, à partir de 2025, en s'appuyant sur le critère de la décence. Actuellement, environ 140 000 logements classés G+ continuent d'être loués.

Au total, 673 000 logements du parc locatif privé sont classés G ou G+. Dès ma prise de fonction, on m'a sollicité sur la question du calendrier et sur le DPE. Concernant le calendrier, j'ai voulu savoir si une impossibilité matérielle pouvait empêcher la réalisation des travaux dans les délais impartis ; les professionnels m'ont indiqué que 90 % des logements concernés ne nécessiteraient pas de travaux de copropriété pour passer de G à F d'ici au 1er janvier 2025. Par ailleurs, le montant moyen de l'investissement ne semble pas excessif.

Actuellement, nous réfléchissons à renforcer le dispositif d'accompagnement des propriétaires bailleurs, par exemple en améliorant MaPrimeRénov' et Mon Accompagnateur Rénov'. L'objectif lié à la transition écologique est que 90 % de ces 673 000 logements soient classés F au 1er janvier 2025.

Le passage de F à E est prévu pour 2028, ce qui laisse le temps de réaliser des travaux de copropriété. Nous réfléchissions à la mise en place de « prêts copro » qui permettront une simplification des procédures et un accompagnement financier.

La transition écologique n'est pas une option. Si l'on déplace le calendrier du 1er janvier 2025 au 1er janvier 2028, le risque est de se retrouver d'ici à la fin de l'année 2026 à répéter exactement la même chose. Alors certes, l'investissement locatif doit être favorisé, mais il est nécessaire de maintenir la pression sur les propriétaires bailleurs.

Concernant le DPE, le mécanisme semble donner des résultats insatisfaisants pour les petites surfaces ; nous réfléchissons à une évolution sur ce point. Pour le reste, il n'est pas souhaitable de changer la règle du jeu, d'autant plus à l'approche des dates limites.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - En plus des petites surfaces, il y a également la question du confort d'été. Demain, nos concitoyens auront peut-être plus à souffrir de la chaleur que du froid, et ce paramètre doit être pris en compte dans le mode de calcul du DPE. À cela s'ajoute aussi la problématique particulière du bâti ancien, d'avant 1948.

Mme Amel Gacquerre. - Au sujet du PTZ, vous proposez de proroger ce dispositif de quatre ans, et vous préconisez également de le recentrer, en excluant les logements collectifs dans les zones tendues et les maisons individuelles. Cela signifie-t-il que le modèle de la petite maison avec petit jardin, dont rêvent beaucoup de familles modestes, est désormais abandonné ?

Je sais, monsieur le ministre, que le sujet du logement étudiant vous tient à coeur. Les étudiants sont les principales victimes du marché de l'immobilier. En septembre 2023, 15 000 étudiants supplémentaires ont effectué leur rentrée par rapport à septembre 2022, pour un chiffre total de 3 millions d'étudiants. Les résidences étudiantes ont quelque peu atténué ce fort déséquilibre entre l'offre et la demande. Autre point : les centres régionaux des oeuvres universitaires et scolaires (Crous) n'accueillent qu'un quart de la population boursière.

Aujourd'hui, des étudiants arrêtent leurs études car ils ne peuvent pas se loger, certains deviennent même sans domicile fixe (SDF). Ma question est simple : quelles mesures comptez-vous proposer pour répondre à ces difficultés ?

M. Patrice Vergriete, ministre délégué. - Le PTZ fait partie de ces outils qui doivent s'adapter et se différencier en fonction des territoires. Après, il a été ajouté des éléments sur la forme urbaine... Dont acte.

On a pu lire dans un journal que 12 % des étudiants renonceraient à leurs études ou changeraient leurs études pour des problèmes liés au logement mais je ne sais pas d'où ce chiffre vient. Dès ma prise de fonction, j'ai pris à bras-le-corps cette question et je me suis beaucoup démené pour que ce plan dédié au logement étudiant voie le jour. La Première ministre et ma collègue Sylvie Retailleau s'en sont saisies, nous sommes aujourd'hui en posture de combat.

La priorité est de développer le logement social étudiant. Nous disposons pour cela de beaucoup de foncier universitaire. Sans doute faudra-t-il revoir les règles et simplifier les procédures concernant le foncier universitaire, en plaçant des opérateurs performants et compétents sur le sujet.

Dans ce plan dédié au logement étudiant, nous explorons beaucoup de pistes. On sait, par exemple, que certaines agglomérations disposent de grands logements vides. Nous avons pris contact avec l'association de la fondation étudiante pour la ville (Afev) pour pouvoir organiser des colocations étudiantes. Dans le cadre de la diversification portée par l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru), il serait également très utile d'avoir des logements étudiants dans ces quartiers qui ont besoin de retrouver une mixité sociale.

Autre piste à laquelle je crois beaucoup : la transformation de bureaux en logements. Un outil déployé par Action Logement vise à accélérer le travail sur ce sujet. Le LLI peut également s'ouvrir à la résidence étudiante.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Avez-vous envisagé la solution du logement temporaire via des containers ?

M. Patrice Vergriete, ministre délégué. - Beaucoup d'idées circulent ; je pense notamment à celle des tiny house. Toutes les pistes, y compris celle du logement temporaire, sont à explorer.

M. Bernard Buis. - Ma question porte sur la régulation des compléments de loyer dont doit s'acquitter un locataire au titre d'une ou plusieurs caractéristiques exceptionnelles de localisation ou de confort de son logement. Si ces compléments ne sont applicables que dans certaines grandes villes et sous certaines conditions, la régulation actuelle est-elle suffisante ? Comment peut-on l'améliorer ?

M. Patrice Vergriete, ministre délégué. - Beaucoup d'associations de locataires ont évoqué des abus sur cette question des compléments de loyer. Sans doute faudra-t-il réguler et, surtout, donner une définition plus précise pour mieux cadrer le sujet.

Cela renvoie à un autre débat, qui doit faire l'objet d'une réflexion collective. Nous voulons soutenir l'investissement locatif par le particulier et, dans le même temps, nous devons affronter la question de la transition écologique et du DPE, ou encore celle des compléments de loyer. Il y a un juste équilibre à trouver afin de ne pas décourager l'investissement locatif tout en assumant certaines contraintes au regard des enjeux futurs.

Mme Viviane Artigalas. - L'accès au logement est devenu un problème à la fois pour les locataires et pour ceux qui souhaitent devenir propriétaires. Ce problème concerne désormais tous les territoires, y compris les territoires ruraux. Les causes sont multiples, je souhaite insister sur deux d'entre elles : le coût du foncier et la fiscalité locative.

Concernant le coût du foncier, nous attendons avec impatience des outils de régulation. Quant à la fiscalité locative, elle s'effectue au profit des meublés touristiques et au détriment des logements à l'année. Alors que le nombre de résidences louées sur les plateformes ne cesse d'augmenter chaque année au détriment du marché locatif transitionnel, les ajustements que vous proposez dans le projet de loi de finances pour 2024 ne permettront pas d'inverser la tendance, d'autant plus que les mesures ne concernent que les zones tendues.

Monsieur le ministre, pourquoi attendez-vous 2025 pour lancer cette réforme de la fiscalité locative, alors que des propositions existent déjà à l'Assemblée nationale ?

Vous avez évoqué un outil de régulation des meublés touristiques. Pourquoi ne pas élargir le décret dédié aux zones touristiques tendues, mais sans appliquer la méthode des prix hédoniques, choisie pour le premier élargissement, qui a parfois donné des résultats surprenants ?

M. Patrice Vergriete, ministre délégué. - Je me suis déjà exprimé sur les outils de régulation du foncier. Je partage votre analyse, il faudra inventer de nouveaux outils. Au niveau des collectivités, nous ne pouvons même pas user d'un droit de préemption pour lutter contre la spéculation foncière.

Concernant les meublés touristiques, il y a deux sujets : celui de la fiscalité et celui de la régulation du développement par la commune. Le deuxième sujet me semble le plus urgent à traiter. Avec un outil de régulation, les communes qui le souhaitent auraient les moyens, par exemple, de fixer des quotas, voire d'interdire le développement. Tel est le sens de la proposition de loi de M. Inaki Echaniz et Mme Annaïg Le Meur qui doit arriver en décembre à l'Assemblée nationale, donc au premier trimestre de 2024 au Sénat. Au mois de mars 2024, si tout va bien, nous pourrons mettre cet outil de régulation à la disposition des communes.

Mme Viviane Artigalas. - Les zones tendues seront-elles les seules concernées ?

M. Patrice Vergriete, ministre délégué. - Toutes les communes le seront. Lorsque nous disposerons de cet outil de régulation, l'autre sujet, celui de la fiscalité, pourra être posé. À mes yeux, il s'agit avant tout d'une question de justice fiscale. Est-il légitime qu'une personne louant un meublé bénéficie d'une aide publique supérieure à une personne louant un non-meublé ? D'un côté, nous ne devons pas décourager les investisseurs ; de l'autre, nous devons pouvoir réguler un certain nombre de marchés quand ils génèrent une attrition de logements, empêchant les étudiants, les saisonniers, voire certains résidents du territoire d'accéder au logement.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Il faut aussi intégrer les logements touristiques dans le calendrier de la loi Climat et résilience, car même ceux qui sont étiquetés F ou G ne sont pour l'instant pas concernés.

M. Patrice Vergriete, ministre délégué. - La mesure figure dans la proposition de loi Le Meur-Echaniz, mais sa mise en oeuvre reste difficile à cause du principe de décence. En effet, le locataire d'un logement classé G attaquera probablement son propriétaire en justice, sauf s'il s'agit d'un meublé touristique. Le système prévu pour la location de longue durée ne fonctionne pas pour les meublés touristiques. Il reste donc à l'adapter en exploitant par exemple l'outil de régulation dont dispose la commune, celle-ci pouvant refuser l'agrément aux propriétaires de meublés touristiques classés G. Toutefois, dans la mesure où le dispositif ne s'appliquera pas de la même manière sur le territoire national, nous nous heurtons à un problème d'ordre juridique.

M. Rémi Cardon. - Vous vous êtes prononcé à plusieurs reprises, dans la presse, en faveur de l'alignement de la fiscalité des meublés touristiques sur celle des meublés traditionnels et des locations vides. Vous avez également précisé qu'il fallait laisser la main aux parlementaires.

Toutefois, à l'Assemblée nationale, quelque 312 députés, soit la majorité absolue, ont proposé, dans le cadre d'un amendement au PLF 2024, d'harmoniser les abattements fiscaux des revenus des meublés touristiques avec ceux de la location de longue durée, en prévoyant un taux unique de 40 % pour tous les types de logements, ce qui mettrait fin à la niche fiscale Airbnb. Il semble que le recours à l'article 49.3 vous ait fait rentrer dans le rang, même si vous envisagez désormais des perspectives de réflexion pour 2025.

Comment expliquez-vous votre impuissance, monsieur le ministre ?

M. Patrice Vergriete, ministre délégué. - Je ne suis pas impuissant et je donne raison à la Première ministre. Certes, j'ai pu livrer une position personnelle, mais j'ai toujours précisé qu'il était plus urgent de doter les collectivités d'un outil de régulation plutôt que de travailler sur la fiscalité. C'est ainsi que l'on pourra arrêter l'explosion du phénomène de la location des meublés touristiques.

Le système de la fiscalité locative est d'une grande complexité, car plusieurs régimes différents coexistent. En outre, nous avons besoin que les investisseurs particuliers continuent de développer le parc locatif privé.

La Première ministre a souhaité soutenir la proposition de loi sur l'outil de régulation pour les collectivités, dont le parcours législatif est en cours et qui pourra être mise en oeuvre dès le mois de mars prochain - je l'espère, du moins.

Nous aurons ensuite à réfléchir sur la fiscalité locative dans sa globalité, en prenant en compte l'ensemble des régimes et des problématiques. Nous prendrons le temps d'examiner tous les effets de bord et toutes les conséquences d'un alignement des régimes, avec pour objectif de procéder à une réforme globale de la fiscalité locative.

Mme Evelyne Corbière Naminzo. - Vous connaissez la situation de crise du logement à La Réunion. On recense 41 000 demandes de logement, dont 80 % concernent des logements sociaux ou très sociaux. Or, la construction de ce type de logement n'a pas cessé de ralentir au cours des dernières années.

En outre, quelque 135 immeubles vieux de moins de dix ans sont jugés indécents. En effet, alors que nous vivons sous un climat tropical, nous produisons des logements qui répondent aux normes européennes, de sorte que les familles se retrouvent après dix ans dans des logements indécents, pleins de moisissures, au sein desquels elles développent des problèmes de santé. L'engrenage est infernal.

À quelle logique obéit la politique du logement en outre-mer, en particulier à La Réunion ?

Sur une île, la rareté du foncier constitue un problème encore plus criant qu'en métropole, car il faut préserver les terres agricoles, favoriser le développement économique et résoudre les difficultés de déplacement. La construction de logements coûte de plus en plus cher et la répercussion sur le prix des loyers est immédiate.

À cela s'ajoute une situation sociale inquiétante : 36 % de la population vit sous le seuil de pauvreté contre 14 %, en moyenne, dans l'Hexagone, et un enfant sur deux est concerné.

Le département de La Réunion est l'un des plus touchés par le phénomène des violences faites aux femmes : 98 % des familles monoparentales sont à la charge des femmes. Le dernier rapport de la fondation Abbé Pierre avait pour sous-titre « Le mal logement des femmes ». Le cumul de toutes ces difficultés laisse entrevoir un avenir sombre pour ces familles.

Enfin, la loi Pinel arrivera à expiration en 2024, ce qui rendra encore plus difficile le développement de la production de logements privés à La Réunion, d'autant que les banques acceptent de moins en moins facilement d'accorder des prêts. Nous ne faisons que nous enfoncer dans la crise du logement.

M. Patrice Vergriete, ministre délégué. - L'île de La Réunion est très belle. Toutefois, j'ai pu y constater, dans le cadre de mes travaux de thèse, toutes les aberrations du dispositif d'aide fiscale : des quincaillers devenus du jour au lendemain promoteurs, construisaient des logements de bien piètre qualité pour des métropolitains soucieux du seul avantage fiscal, qui n'avaient jamais mis les pieds à La Réunion. J'ai vu tout le mal que pouvait faire une aide fiscale mal régulée et mal contrôlée, au point que je ne suis pas certain que la fin du dispositif Pinel soit une mauvaise nouvelle pour votre territoire.

Nous travaillons à renforcer le financement des bailleurs sociaux à La Réunion, notamment dans le cadre de l'Anah. En outre, votre département pourrait très bien intégrer le programme Territoire engagé pour le logement, destiné à accélérer la production de logements dans certains sites : il faut y réfléchir.

Enfin, la situation que vous nous avez décrite est un exemple parfait du besoin de différenciation des outils de la politique du logement. L'adaptation des normes est une nécessité évidente pour les territoires d'outre-mer. Ne l'est-elle pas aussi en métropole, dès lors que Dunkerque subit des tempêtes quand Nîmes souffre de la canicule ? Faut-il suivre les mêmes normes de construction dans ces deux villes ? La métropole peut tirer des leçons de la situation en outre-mer, en matière de différenciation des normes de construction. C'est un sujet qu'il faudra prendre en compte dans le cadre de la loi Logement.

M. Daniel Salmon. - La rénovation des logements sociaux a bien progressé, ce qui montre que les bailleurs sociaux sont capables de faire ce qu'il faut quand on leur en donne les moyens. Vous avez mentionné des fonds d'aide à la rénovation. Quel sera leur montant et sous quelle forme seront-ils attribués aux bailleurs sociaux ?

Vous envisagez d'ouvrir le parc des logements intermédiaires aux fonds d'investissement. Quel rendement attendent-ils ? En outre, qu'en est-il de la valeur travail quand un couple d'ouvriers est désormais incapable de faire construire son logement comme c'était encore le cas il y a quelques décennies ? Il faut recourir à des fonds d'investissement pour produire de la construction neuve, car les individus n'ont plus la capacité d'investir.

M. Patrice Vergriete, ministre délégué. - Le fonds dédié à la rénovation énergétique pour les bailleurs sociaux bénéficiera d'une enveloppe de 1,2 milliard d'euros sur trois ans, soit 400 millions d'euros par an, et fonctionnera sur opération, sous forme de subventions.

La part des institutionnels dans le logement locatif intermédiaire est passée de 30 % à 1 %. Certes, l'investisseur particulier doit rester dominant, mais rien n'empêche que des fonds d'assurance vie ou d'épargne retraite, à vocation longue, puissent détenir de l'immobilier résidentiel dans leurs actifs, ce qui permettrait d'augmenter la part des institutionnels à 3 % ou 4 %. Si l'on peut construire quelques milliers de logements grâce à l'assurance vie ou à l'épargne retraite, pourquoi s'en priver ?

Nous devons inventer le modèle de demain, qui ne peut pas être celui d'hier. Auparavant, chacun pouvait aller construire sa maison sur un champ de betteraves et le modèle économique, fondé sur une énergie peu chère, permettait de s'acheter une voiture. Les Français habitaient à 50 kilomètres, voire à 100 kilomètres, de leur lieu de travail. Or ce modèle est en crise et l'éloignement entre le logement et le lieu de travail pose problème. Est-il en effet encore acceptable qu'un salarié vive à 100 kilomètres de son travail et mette une heure pour s'y rendre ?

Il faut inventer un nouveau modèle, dans lequel la valeur travail s'incarnera différemment en lien avec l'emploi. En effet, il ne s'agit plus de savoir si l'on peut avoir accès à la propriété grâce à son travail, mais si l'on peut avoir un logement proche du lieu de son emploi. La conciliation entre l'emploi et le logement devient l'enjeu principal. Dans cette perspective, le logement social peut être un outil intéressant : en y favorisant une répartition équilibrée entre les travailleurs clés et les personnes les plus démunies, on renforcerait la mixité sociale tout en répondant à l'enjeu de conciliation entre l'emploi et le logement. Nous pourrons en débattre dans le cadre de la loi Logement.

Mme Anne-Catherine Loisier. - L'enveloppe du fonds d'aide aux bailleurs sociaux serait de 400 millions d'euros par an. Doit-elle servir à la construction neuve ?

M. Patrice Vergriete, ministre délégué. - Il s'agit d'un fonds pour la rénovation énergétique.

Mme Anne-Catherine Loisier. - Les bailleurs sociaux sont pris dans un étau entre les obligations de rénovation énergétique et leur dette qui ne cesse de croître. Quels leviers mettrez-vous en oeuvre pour les inciter à relancer la construction de logements ?

M. Patrice Vergriete, ministre délégué. - Le Congrès HLM de l'Union sociale pour l'habitat (USH) qui s'est tenu à Nantes avait précisément pour enjeu de déterminer les moyens de tenir à la fois la rénovation énergétique et la construction de logements sociaux. L'accord trouvé avec le mouvement HLM visait un juste équilibre entre les deux.

Pour encourager la rénovation, il a été décidé de mettre en place ce fameux fonds de 1,2 milliard d'euros sur trois ans ; de prévoir des prêts bonifiés de la Caisse des dépôts et consignations, pour un montant de 6 milliards d'euros ; de prévoir des prêts de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) pour des changements de vecteurs énergétiques ; de mettre en oeuvre le dispositif sur la seconde vie.

Pour relancer la production de logements sociaux, l'accord prévoit notamment des prêts bonifiés de la Caisse des dépôts et consignations, d'un montant de 8 milliards d'euros. En outre, l'aide à la rénovation énergétique devrait permettre de remobiliser des fonds propres sur la production de logements.

Nous avons sans doute besoin de retravailler aussi les équilibres d'opérations et je tiens à vous le dire, car vous avez l'oreille des maires. Or, ils n'acceptent pas toujours de les faire évoluer, alors qu'il suffit parfois d'augmenter la part de prêt locatif social ou celle du logement locatif intermédiaire pour les relancer. Il faut aussi que les maires acceptent de travailler avec les promoteurs, car la moitié de la production des logements locatifs sociaux se fait dans le cadre d'une vente en l'état de futur achèvement (Vefa). Certaines opérations de promotion peuvent ne pas aboutir parce qu'un maire a refusé de modifier les équilibres.

Compte tenu de l'évolution des taux d'intérêt, il est nécessaire de revoir les équilibres économiques sur lesquels reposent les produits et d'adapter les programmes de promotion.

M. Frédéric Buval. - J'espère que les annonces que vous venez de faire porteront jusqu'à la Martinique, malgré la distance qui nous sépare de la métropole.

Les îliens ont tout ce qu'il faut pour ne pas être à l'aise avec la production de logements. Le foncier est une préoccupation importante sur notre île de 1 100 kilomètres carrés, dont la surface est à 80 % en zone agricole, alors qu'un tiers du territoire est en zone de prévention des risques majeurs et un autre tiers est soumis aux aléas climatiques, du fait de la montée des eaux. On nous propose de déplacer des quartiers entiers vers les mornes. Mais comment faire quand les mornes sont en zone agricole ?

La commission départementale de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF) empêche les maires qui voudraient réviser leur plan local d'urbanisme (PLU) de toucher aux zones agricoles et bloque les opérations immobilières.

Les outils permettant aux maires de travailler sur la rénovation urbaine, comme le programme Petites Villes de demain (PVD), se résument à des appels à projets qui ne peuvent satisfaire que 4 ou 5 communes sur les 34 communes que compte notre île. Certes, ils permettent de gagner en technicité, mais les maires se heurtent à un manque de financement pour assurer le suivi du programme.

Quant à la résorption de l'habitat insalubre (RHI), elle ne peut aboutir car les problèmes financiers s'accumulent. Les entrepreneurs finissent par tourner le dos quand il s'agit de mettre en place une opération de logement locatif social (LLS) ou de logement locatif très social (LLTS), car ils ne s'y retrouvent pas financièrement et que les délais de paiement peuvent atteindre six mois.

Comment comptez-vous nous aider à répondre à la demande importante de logements sociaux que nous connaissons à la Martinique ?

M. Patrice Vergriete, ministre délégué. - La situation que vous décrivez renvoie à la logique de différenciation que j'évoquais précédemment. Pour renforcer l'ingénierie et pour trouver des outils adaptés à une situation très spécifique, la solution ne peut être que locale. L'État mettra en place des mesures d'accompagnement financier, mais la solution est dans la stratégie d'aménagement urbain local.

Mme Marianne Margaté. - La flambée des taux d'intérêt renouvelle la question de l'aide à la pierre. En Seine-et-Marne, j'ai inauguré une opération de douze logements sociaux en tissu urbain, que l'État a contribué à financer à hauteur de 0,8 %. Les bailleurs sociaux peinent, voire échouent, à mener à bien les constructions qu'ils entreprennent. La disparition de l'aide à la pierre remet en question l'équilibre économique du secteur.

Le département que je représente est à la fois très urbain et très rural, et comprend aussi une partie en développement. Le dispositif du prêt à taux zéro pourrait être mieux différencié, notamment en zone tendue, où l'on devrait pouvoir l'activer pour construire des logements individuels neufs pour les bénéficiaires du RSA (BRSA), ainsi que dans le cadre d'un prêt social location-accession (PSLA). Il s'agit là d'une attente clairement exprimée par la population. Cette possibilité contribuerait en outre à fluidifier le parcours résidentiel que nous souhaitons développer.

Il convient également de prévoir l'élargissement du PTZ dans les zones non tendues pour la construction de logements neufs lorsqu'il n'y a pas de logement ancien disponible. La situation est parfois en forte tension dans la grande couronne de l'Île-de-France.

Enfin, la présidente de la région Île-de-France, Mme Pécresse, souhaite imposer un seuil minimal de 30 % de logements sociaux en PLAI et en prêt locatif à usage social (PLUS). À défaut, les communes ne pourraient pas construire de logement social. Une telle mesure interroge, car elle porte atteinte à la libre administration des communes. Comment analysez-vous la situation ? Il semble que les services de l'État soient réticents face à cette mesure dite « antighetto ».

M. Patrice Vergriete, ministre délégué. - Lors du Congrès HLM de Nantes, j'ai annoncé que des crédits restaient disponibles au titre du Fonds national des aides à la pierre (Fnap) et qu'ils devaient être utilisés en priorité pour débloquer les opérations qui n'avaient pas pu aboutir. Vous pourrez m'envoyer la liste de celles auxquelles vous faites référence.

Le PTZ est ouvert à l'ensemble de l'accession sociale sur tout le territoire national et quelle que soit la zone.

Mme Marianne Margaté. - Même pour l'individuel et en zone détendue ?

M. Patrice Vergriete, ministre délégué. - Si, les dispositifs d'accession sociale à la propriété comme le bail réel solidaire d'activité (BRSA) et le prêt social location-accession (PSLA) sont éligibles.

Quant à la décision de la présidente de la région Île-de-France, j'aspire surtout à ce que nous ayons un débat sur l'avenir du logement social. Si l'on considère, comme je le proposais précédemment, que le logement social doit fonctionner autour d'une répartition équilibrée entre les travailleurs clés, les soignants et les ménages précaires, je ne suis pas certain que la présidente de la région Île-de-France maintiendra sa décision.

Nous devons définir la vocation du logement social selon une conception à laquelle tous les élus de la République pourront se rallier. Les maires doivent se réapproprier le modèle du logement social plutôt que s'y opposer. Ils doivent pouvoir le développer sans contrainte.

Parvenir à dépassionner le logement social pour ne faire valoir que la nécessité qu'il représente pour nos concitoyens, tel est le rêve sur lequel j'aimerais conclure.

M. Daniel Gremillet. - En réalité, l'envolée des prix des matériaux a pour conséquence que de nombreuses communes renoncent à la rénovation énergétique faute de pouvoir la financer. Nous manquons d'une politique d'accompagnement pour permettre aux familles de faire face à l'accroissement des coûts de rénovation.

La loi visant à faciliter la mise en oeuvre des objectifs de lutte contre l'artificialisation des sols et à renforcer l'accompagnement des élus locaux a pour effet de restreindre la possibilité de construire de nouveaux logements. Il faut donc reconquérir du bâti qui n'a plus de vocation, comme d'anciennes fermes, par exemple, en milieu rural. Or, la fiscalité est différente selon que l'on rénove la partie logement ou le bâti correspondant à une ancienne étable, quand bien même il servira à créer du logement. C'est une difficulté de plus pour les familles qui souhaitent investir dans la rénovation.

En outre, dans les communes, certains biens n'ont plus de vocation économique. Or, comme ils ne sont soumis à aucune fiscalité, personne ne les vend. Pour inciter les propriétaires à vendre, la fiscalité reste le moyen le plus efficace.

M. Patrice Vergriete, ministre délégué. - Dans le cadre du dispositif MaPrimeRenov', le Gouvernement a prévu en 2024 une aide à hauteur de 90 % pour les ménages très modestes.

M. Daniel Gremillet. - Il n'y a pas que les ménages très modestes.

M. Patrice Vergriete, ministre délégué. - J'entends bien. Nous avons prévu une enveloppe de 5 milliards d'euros dans le projet de loi de finances pour 2024 pour la rénovation énergétique des logements dans le cadre des aides de l'Anah. Rien n'empêche de poursuivre dans cette voie.

Dans mon territoire, je constate que le facteur de blocage est moins dans le financement que dans la filière économique à monter. Certes, le coût est un obstacle, mais il y en a d'autres. Par exemple, dans les logements locatifs, l'isolation par l'intérieur, faute de technologie avancée sur les isolants minces, risque de faire perdre de la surface, donc du loyer. Le modèle économique de la rénovation énergétique n'est pas parfaitement abouti. En revanche, son évolution est positive et favorise les ménages les plus modestes.

En outre, lorsqu'un logement passe d'un DPE G à un DPE E ou D, la facture énergétique du locataire diminue, ce qui lui garantit un gain de pouvoir d'achat. L'aide de l'État ne sera sans doute jamais à la hauteur des attentes, mais elle progresse et le processus de la rénovation énergétique n'en est qu'à ses débuts.

Enfin, il existe une taxe sur les logements vacants. Pourquoi ne pas envisager de l'étendre ? C'est un sujet dont nous pourrons débattre dans le cadre de la loi Logement. Je vous livre une autre question sur laquelle il faudrait ouvrir la réflexion : faut-il déplafonner la taxe sur les logements vacants et donner la possibilité aux autorités organisatrices de l'habitat de la fixer librement ?

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Merci, monsieur le ministre, pour ces échanges passionnants et pour tous les sujets de réflexion que vous nous avez soumis. Nous aurons l'occasion d'en débattre avec vous très bientôt, notamment dans le cadre de la grande loi Logement que vous nous avez annoncée.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 19 h 35.

Mercredi 8 novembre 2023

- Présidence de Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente -

La réunion est ouverte à 9 heures.

Audition de Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État chargée de la citoyenneté et de la ville

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous auditionnons ce matin Mme Agresti-Roubache, secrétaire d'État chargée de la citoyenneté et de la ville, auprès du ministre de l'intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Nous sommes très heureux de vous accueillir, pour la première fois dans le cadre de cette commission. Votre prédécesseur cumulait à la fois le logement et la politique de la ville. Avec votre nomination, s'exprime la volonté de scinder la politique de la ville, rattachée au ministère de l'intérieur, et le logement rattaché à la Transition écologique, ministère auquel vous êtes également liée.

Cette audition est diffusée en vidéo, en direct, sur le site Internet du Sénat et elle sera disponible à la demande.

Madame la ministre, vous avez la responsabilité d'une politique plus que jamais au coeur de l'actualité, depuis les émeutes de l'été dernier, une politique dont l'importance ne date cependant pas du mois de juin, car elle a toujours été, depuis la création de ce ministère, au coeur du vivre ensemble au sein des communautés urbaines.

Dans une certaine mesure, vous incarnez la politique que vous devez mettre en oeuvre. Vous êtes née à Marseille dans une famille nombreuse, issue de l'immigration algérienne. Vous avez vécu dans une cité avant de travailler dans la production audiovisuelle jusqu'à devenir chef d'entreprise. Vous vous êtes ensuite investie en politique, devenant conseillère régionale, puis députée de Marseille en 2022, et enfin ministre depuis le mois de juillet 2023.

Vous nous présentez ce matin un budget s'inscrivant dans la continuité de la hausse constatée ces dernières années. La dotation du programme 147, dédié à la politique de la ville, est en progression de 6,2 % pour 2024, soit 37 millions d'euros supplémentaires. Cette évolution s'explique par la hausse de 35 millions d'euros du versement de l'État à l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru). En revanche, l'extension des cités éducatives, budgétée à hauteur de 28 millions d'euros, se réalisera grâce à des économies, notamment au travers de l'arrêt des bataillons de la prévention.

En réalité, hors Anru et compte tenu de l'inflation, les moyens d'intervention de la politique de la ville baisseront. Cette inflexion interpelle tant les années 2023 et 2024 apparaissent comme un tournant pour la politique de la ville, et ce au moins sous quatre aspects.

Tout d'abord, deux évolutions majeures sont attendues en 2024 : l'entrée en vigueur de la nouvelle géographie prioritaire et la signature, en métropole, des nouveaux contrats de ville pour la période 2024-2030.

Ensuite, le nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU) est désormais dans sa phase opérationnelle avec des décaissements qui s'élèvent à près de 1 milliard d'euros par an. L'État sera-t-il à la hauteur et les besoins de financement de l'Anru ne risquent-ils pas de phagocyter les moyens de la politique de la ville ?

Enfin, la trajectoire budgétaire pour 2024 contraste avec le caractère exceptionnel des émeutes urbaines que nous avons connues au début de l'été et auxquelles le gouvernement a répondu tardivement par les annonces des 26 et 27 octobre derniers et dont la traduction n'est que partielle dans le budget. Au-delà de la seule réponse budgétaire, notre commission serait très intéressée, avec l'expérience qui est la vôtre, de connaître votre analyse des émeutes.

Nous souhaiterions également vous entendre sur la mise en accusation récurrente de la politique de la ville et du renouvellement urbain à laquelle ces violences ont donné lieu. C'est d'autant plus intéressant pour nous que le Comité interministériel des villes (CIV), qui s'est tenu le vendredi 27 octobre, après quatre reports et plus d'un an d'attente, a repris nombre de propositions de notre commission.

Ainsi, c'est bien notre commission qui a obtenu en commission mixte paritaire (CMP) de faire figurer dans la loi Différenciation, décentralisation, déconcentration et simplification (3DS), dans un rapport de force avec le gouvernement, la notion de « résidence à enjeu de mixité sociale » pour éviter la concentration des difficultés. Or, la loi a été publiée il y a plus de 18 mois. Que de temps perdu ! La publication du décret annoncé par la Première ministre n'est toujours pas effective.

Le CIV reprend également nombre des mesures du rapport que nous avons publié avec Valérie Létard et Viviane Artigalas à l'été 2022, telles le soutien aux associations, le développement de l'entrepreneuriat ou encore la réforme des conseils citoyens. Comme ce rapport contient encore beaucoup d'autres propositions qui mériteraient d'être reprises, notamment sur l'entrepreneuriat féminin, je me permets de vous en remettre un exemplaire qui, je l'espère, deviendra votre livre de chevet pour que vous puissiez continuer à vous saisir des propositions que nous avons formulées.

Enfin, je relève le souhait du CIV de renforcer le rôle du maire dans l'attribution des logements sociaux que vous proposez de réaliser sous forme de circulaire, ce qui me paraît juridiquement impossible. Comme vous le savez, le Sénat a voté, dès la reprise de nos travaux parlementaires et transmis à l'Assemblée nationale le 10 octobre dernier, une proposition de loi déposée en avril par notre collègue Sophie Primas et qui pourrait, me semble-t-il, être utilement reprise par le gouvernement.

Madame la ministre, vous trouverez dans notre commission une force de proposition et d'action s'appuyant sur l'expérience des territoires que nous incarnons dans leur diversité et sur les sensibilités de chacun des membres de cette commission. Nous avons conscience que la politique de la ville n'est pas une « baguette magique », mais doit être le fruit d'une stratégie cohérente de long terme qui seule peut apporter des résultats.

Je vous laisse maintenant présenter votre budget pour 2024 et répondre à tout ou partie des questions que je viens de vous poser. Madame la Ministre, vous avez la parole.

Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État chargée de la citoyenneté et de la ville. - Madame la présidente, madame la rapporteure, pour avis, mesdames et messieurs les sénateurs, c'est pour moi un honneur d'être auditionnée aujourd'hui pour la première fois devant votre commission à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances (PLF) pour 2024.

Comme vous le savez, le programme 147 porte les crédits spécifiques dédiés à la politique de la ville, dont j'ai la responsabilité depuis le 20 juillet 2023. Dans le cadre du projet de loi de finances pour 2024, la priorité est donnée à la stabilisation des crédits locaux, notamment pour permettre le financement de la nouvelle génération des contrats de ville. En 2024, ce sont 636 millions d'euros qui seront dédiés à la politique de la ville, soit une hausse de près de 40 millions d'euros par rapport à 2023. Cette hausse permettra de financer la généralisation des cités éducatives, la jeunesse et l'éducation étant au coeur de mes préoccupations. Elle permettra également d'augmenter la participation de l'État à la rénovation urbaine via l'Anru.

Concernant les bataillons de la prévention, le projet annuel indique la fin de leur financement, comme cela a été prévu lors de la mise en place de ce dispositif. Cependant, au regard des événements du mois de juin dernier, sur lesquels nous reviendrons certainement, il me semble nécessaire de prolonger certains bataillons. J'ai donc obtenu 20 millions d'euros de dégel pour permettre leur financement dès cette année pour l'année 2024. Pour 2025, cette question sera traitée en lien avec la réforme du dispositif des adultes relais que je souhaite porter.

La priorité doit être donnée à la mobilisation des dispositifs de droit commun, mais les crédits affectés aux quartiers prioritaires de la ville doivent faire levier et compléter les dispositifs de droit commun afin d'améliorer la territorialisation de nos politiques, favoriser les synergies et développer les actions à caractère innovant et les adaptations nécessaires aux spécificités de ces territoires. J'insiste sur ce point : la mobilisation du droit commun est prioritaire et son évaluation est un véritable enjeu. Le document de politique transversale (DPT) Ville qui accompagne chaque loi de finances doit normalement jouer ce rôle, mais ses modalités de construction ne permettent pas d'avoir une vue précise à la maille de chaque quartier.

Une meilleure évaluation de ces crédits est un travail que je mène avec l'ensemble des membres du gouvernement. Selon moi, le Parlement a un rôle important à jouer dans cette évaluation. Cette mobilisation du droit commun s'inscrit bien sûr dans la droite ligne du Conseil interministériel des villes qui s'est tenu le 27 octobre dernier et dont je suivrai la mise en oeuvre avec beaucoup d'attention. Parmi les mesures que je veux devant vous souligner, je citerai la mobilisation de 15 % du Fonds vert pour les quartiers prioritaires, le déploiement du programme « Entrepreneuriat quartiers 2030 », l'ouverture des collèges de 8 heures à 18 heures ou encore le rapprochement des zonages du réseau d'éducation prioritaire, REP et REP+ avec celui des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV).

Les différentes mesures ont été concertées en amont avec les élus et associations d'élus, avec les acteurs associatifs, mais aussi avec les services de l'État déconcentrés pour apporter les réponses les plus adaptées aux besoins des territoires et de leurs habitants. Cette concertation a ainsi permis l'inscription de nouvelles mesures, mais aussi l'adaptation de mesures envisagées par le gouvernement. Je relancerai par ailleurs les conventions interministérielles d'objectifs qui comprendront des objectifs quantifiables et des indicateurs permettant leur suivi. Je souhaite que celles-ci soient déclinées au niveau local pour assurer un travail partenarial et coordonné de l'ensemble des services de l'État.

Pour le ministère de la Ville, 2024 sera une année de réforme. La géographie prioritaire sera renouvelée et le zonage, qui n'a pas été mis à jour depuis dix ans, le sera pour la métropole. Tout au long de l'année 2023, nous avons travaillé avec les élus et les préfets pour définir les contours des futurs quartiers prioritaires de la ville (QPV) au plus proche de chaque territoire pour nous assurer que ce zonage puisse répondre aux besoins des plus fragiles. Ce grand chantier est en cours de finalisation : le nouveau décret sera publié avant le 31 décembre 2023 pour une entrée en vigueur au 1er janvier 2024.

Ce zonage, comme tout zonage, n'est pas exempt d'effets de seuil. Pour y remédier, j'ai souhaité qu'une partie des crédits du programme 147 puisse, de façon circonscrite, être utilisée dans les quartiers qui ne remplissent pas ou plus tous les critères, mais qui rencontrent néanmoins des difficultés. Cette décision permettra de continuer à soutenir la dynamique des quartiers sortants. Certes, sortir d'un quartier prioritaire est plutôt une bonne nouvelle, mais un accompagnement très spécifique s'avère nécessaire.

Les particularités des territoires ultramarins doivent par ailleurs être prises en compte. C'est dans cet esprit qu'une mission gouvernementale inter-inspection de révision des contrats de ville a été mise en place. Ses conclusions permettent d'aiguiller la réflexion du gouvernement. Le zonage ultramarin sera mis à jour selon la même méthodologie partagée entre élus et préfets durant l'année 2024 pour une entrée en vigueur au 1er janvier 2025.

La réforme de la géographie prioritaire s'accompagnera aussi de la conclusion de nouveaux contrats de ville au premier trimestre 2024. Initialement prévus pour le 31 décembre 2023, ces quelques mois supplémentaires accordés pour leur signature permettront d'intégrer la nouvelle logique que nous souhaitons leur donner.

En effet, je voulais mettre fin à l'application de directives et de priorités nationales indistinctement sur tout le territoire. Désormais, l'impulsion viendra des habitants et des acteurs locaux qui définiront ensemble, et bien évidemment avec l'État, les priorités et les actions à mettre en oeuvre dans leur territoire. C'est tout le sens de la circulaire que j'ai signée le 31 août 2023 et qui a notamment permis de prolonger la phase de concertation avec les habitants jusqu'à la fin du mois d'octobre.

S'agissant des associations dont je veux ici souligner l'engagement, il m'apparaît indispensable de leur faire confiance a priori, tout en les contrôlant a posteriori. Il faut également leur donner de la visibilité. 50 % des conventions devront être pluriannuelles et les subventions de fonctionnement pour les petites associations devront être facilitées. Ces contrats doivent être appréhendés comme de véritables projets partenariaux entre l'État, les opérateurs privés et associatifs et les collectivités qui sont nos interlocuteurs naturels. J'ai souhaité qu'un volet investissement soit intégré dans les contrats de ville lorsqu'il existe des cofinancements pour favoriser une approche globale.

Ces contrats devront également permettre une meilleure coordination avec les différentes contractualisations existantes, notamment avec les contrats territoriaux d'accueil et d'intégration, mais également avec le plan pauvreté.

2024 sera également une année de transition en matière fiscale. L'ensemble des dispositifs fiscaux de la politique de la ville ont été prolongés en première lecture à l'Assemblée nationale : les zones franches urbaines en 2024, l'abattement de 30 % de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) pour les bailleurs sociaux jusqu'en 2030, les taux réduits de TVA pour la construction et la rénovation des logements dans les quartiers prioritaires. À l'heure où nous refondons le zonage des quartiers prioritaires, je lancerai dès le début de l'année 2024 une réflexion pour engager une réforme de la fiscalité aux bénéfices des quartiers prioritaires pour une mise en place dans le PLF 2025. L'objectif sera de proposer des exonérations simples et lisibles qui permettent de soutenir l'émergence des activités économiques dans les quartiers prioritaires, le développement du commerce de proximité et le soutien à l'emploi.

La dernière réforme que je souhaite mener en 2024 concerne la professionnalisation des adultes relais. Les événements de juin l'ont montré : la médiation a permis d'éviter l'embrasement de certains territoires et favoriser le retour au calme. La présence humaine est primordiale et il est indispensable que les personnes qui jouent ce rôle soient formées. Aujourd'hui, on demande à des personnes dans l'instabilité de s'occuper d'autres. Il faut sortir ces emplois d'une forme de précarité. Je veux réinventer une présence humaine, symbole de chaleur humaine, mais aussi d'autorité. Cette réforme sera menée en concertation avec l'ensemble des acteurs concernés et mise en oeuvre progressivement pour permettre la montée en compétences.

Comme vous le voyez, beaucoup de réformes sont en cours et portent en elles la même philosophie : simplification, confiance, concertation et travail partenarial. Je vous remercie.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Merci, je cède sans plus tarder la parole à notre rapporteure pour avis, Viviane Artigalas.

Mme Viviane Artigalas, rapporteure. - Madame la ministre, ma première question portera sur les moyens du NPNRU. La subvention de l'Anru est accordée sans actualisation possible et ne prend donc pas en compte l'inflation ni l'augmentation significative des coûts de construction. Cette méthode met en difficulté plusieurs villes, qui sont des communes pauvres, mais aussi des bailleurs sociaux, qui ne détiennent pas les ressources pour compléter le financement nécessaire et pourraient renoncer à leurs projets de rénovation urbaine. Face à cette situation, quelles solutions proposez-vous ?

Comment comptez-vous assurer le suivi du CIV ? Notre rapport recommandait la signature de nouvelles conventions interministérielles d'objectifs pour garantir l'arrivée du droit commun dans les quartiers. Cette proposition a été reprise, mais quel sera son calendrier de mise en oeuvre ? Au-delà, le CIV aura-t-il des suites législatives et budgétaires ? À court terme, le CIV induit-il des amendements du gouvernement au PLF ? À moyen terme, alors que plusieurs des annonces doivent se décliner sur les trois ou quatre prochaines années, une loi de programmation pour la ville est-elle envisagée comme nous le proposions dans notre rapport ? Enfin, dans quelle mesure votre ministère est-il impliqué dans les projets de loi sur l'habitat indigne et les copropriétés dégradées, qui concernent au premier chef les quartiers prioritaires ? Concernant la décentralisation de la politique du logement, la loi de 2014 mériterait d'être toilettée. La prise en charge des poches de pauvreté, souvent dans les centres anciens, était demandée dans notre rapport. Il me semble que cette demande est confortée par les émeutes de l'été qui n'ont pas uniquement eu lieu dans les quartiers politique de la ville.

Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État. - Concernant les crédits alloués par l'Anru, une augmentation budgétaire a récemment été approuvée pour commencer à compenser l'augmentation du coût des travaux en raison de l'inflation. Il est légitime de se demander si 50 millions d'euros seront suffisants, et je vous assure que je suivrai cette question de très près.

La trésorerie actuelle de l'Anru est saine, avec un montant de 839 millions d'euros. L'engagement de l'État est clair : comme l'a dit le président de la République, il n'y aura aucun défaut de paiement. Je peux affirmer ici devant vous, représentants de la nation, qu'aucune commune en difficulté ne sera abandonnée. Une telle pratique serait inenvisageable en France, sixième puissance mondiale. À Marseille, sur l'engagement Anru de 650 millions d'euros, à peine un million d'euros a été dépensé, mais c'est un autre débat. De plus, ce n'est pas ici que se concentrent les difficultés liées à l'inflation, mais plutôt dans les petites communes et les villes de banlieue, dont les associations d'élus m'alertent pour des montants de 150 000 euros, 200 000 euros voire un million d'euros. Face à ces situations, nous serons à la hauteur car nous ne pouvons pas attendre des petites communes ce que nous attendons de communes ayant d'autres ressources et moyens de financement.

S'agissant du suivi du CIV, plusieurs mesures importantes ont déjà été annoncées à Marseille courant juin par le président de la République, peu avant les émeutes. Il a été annoncé notamment l'ouverture des collèges de 8 heures à 18 heures, un dispositif auquel participent déjà près de 90 collèges volontaires. Cette mesure suppose une collaboration avec les départements et l'Éducation nationale, et ne peut évidemment pas être imposée sans concertation.

Je tiens à réaffirmer ici que mon aspiration ultime est qu'un jour il n'y ait plus besoin du budget opérationnel de programme (BOP) 147 pour nos quartiers prioritaires qui doivent in fine relever du droit commun. Bien que cet idéal ait toujours été visé, il semblerait qu'il ait été perdu de vue au cours des décennies précédentes. Pour tendre vers cet idéal, il faut évaluer la mobilisation du droit commun, tâche que, malheureusement, nous ne sommes pas capables de réaliser. Cette mission pourrait incomber au Parlement.

Le CIV a également proposé l'accueil des enfants à l'école à partir de deux ans. Cette proposition a suscité de nombreuses questions des élus relatives à son financement. Nous ne laisserons évidemment pas les communes seules face à cette responsabilité. L'Éducation nationale a aussi un rôle à jouer, que ce soit pour les horaires élargis des collèges ou pour l'accueil des enfants de deux ans dans les écoles des quartiers prioritaires. Ces propositions répondent à une demande des habitants qui soulignent le manque de solutions de garde. Cependant, cette disposition ne peut être déployée dans un premier temps que sur la base du volontariat avant d'envisager une généralisation à la rentrée 2024.

Je souhaite aussi revenir sur l'excellent fonctionnement des cités éducatives. Avec 208 cités éducatives et une mobilisation de 28 millions d'euros à partir des crédits alloués aux bataillons de la prévention, ce dispositif a prouvé son efficacité. Notre ambition est d'intensifier progressivement ce programme jusqu'à l'horizon 2027, avec l'objectif de le généraliser. Là encore, une cité éducative ne peut être imposée. Elle suppose une démarche volontaire des communes et des élus. Dans chaque PLF, des crédits seront dédiés spécifiquement aux cités éducatives. Lorsqu'une initiative démontre son utilité, son extension à plus large échelle devient une évidence.

Par ailleurs, un constat lucide doit être posé sur l'efficacité des bataillons de prévention. Force est de reconnaître que leurs résultats sont contrastés : ils ont rencontré un franc succès à Reims, Marseille et Nice, mais ce n'est pas le cas partout. C'est pourquoi j'ai demandé aux préfets et aux élus locaux de dresser un bilan. De manière très pragmatique, nous avons décidé de mettre fin aux bataillons ne donnant pas satisfaction et nous réfléchissons à d'autres dispositifs, par exemple les forces d'action républicaines (FAR). C'est un dispositif voulu par le président de la République pour qu'il n'y ait plus de rupture des services publics (justice, police, santé publique, etc.), partant du principe qu'un territoire exceptionnel justifie une politique exceptionnelle. C'est une leçon tirée des récentes émeutes, durant lesquelles les territoires les plus durement touchés étaient ceux souffrant d'une rupture de services publics, ce qui entraînait une perte de perception adéquate des réalités du terrain. Les territoires d'expérimentation des FAR sont Valence, Maubeuge et Besançon. Je crois personnellement beaucoup à l'expérimentation qui permet de pérenniser les méthodes qui font leurs preuves et d'abandonner celles qui s'avèrent inefficaces. Comme je l'ai souligné dès ma nomination, les politiques de la ville ne doivent pas être figées. Ce sont des politiques du vivant. Ce sont aussi des politiques du quotidien qui permettent de parler de tous les sujets : la transition écologique, la santé, l'éducation.

Les cités éducatives, c'est aussi l'endroit où les parents reviennent à l'école. Dans ma jeunesse, j'ai fait du soutien scolaire dans mon quartier, mais mon rôle était plus large : je récupérais les enfants à la sortie d'école, je préparais leur goûter, je les aidais à faire leurs devoirs, puis je les raccompagnais chez eux. Un effort sur le périscolaire est nécessaire afin de soulager les parents. Par ailleurs, les enfants ne doivent pas uniquement travailler et faire leurs devoirs, mais aussi se divertir. C'est la raison pour laquelle j'ai alloué 4 millions d'euros pour que des activités soient proposées aux enfants pendant les vacances de fin d'année et d'hiver, sur le modèle des « quartiers d'été », afin de proposer des activités de qualité aux enfants des quartiers prioritaires.

Permettez-moi également une parenthèse sur les jeux Olympiques et Paralympiques. Avec ma double casquette de ministre de la Citoyenneté et de la Ville, et grâce à l'affectation par la ministre des Sports de près de 20 000 places pour assister aux compétitions, j'ai décidé d'engager 3 millions d'euros du BOP 147 pour financer le transport, l'hébergement, la restauration et l'accès aux sites des jeux pour les enfants des quartiers prioritaires de la ville. Il me semble juste que chaque enfant, peu importe où il se trouve et quel que soit son éloignement des zones de compétition, puisse avoir accès à cet événement d'envergure. Je crois aussi que la participation à de grands événements culturels et sportifs contribue à l'épanouissement et à l'ouverture d'esprit de notre jeunesse.

Ai-je oublié de répondre à l'une de vos questions ?

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Une question vous a été posée sur une éventuelle loi de programmation Politique de la ville.

Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État. - J'en parlais hier avec mon collègue, le ministre délégué chargé du Logement, Patrice Vergriete. Le sujet est sur la table, mais pour le moment, ni lui ni moi ne sommes en mesure de définir précisément comment nous allons procéder. De plus, je crois beaucoup au travail du Parlement. Je compte évidemment sur mes anciens collègues de l'Assemblée nationale, ainsi que sur vous, membres du Sénat, pour vous emparer du sujet et apporter vos contributions.

Nombre de propositions du CIV concernent la transition écologique. J'ai dit solennellement aux préfets et acteurs associatifs que l'on pouvait parler de transition écologique dans les quartiers prioritaires. Cependant, il faut arrêter de demander aux enfants de ramasser les déchets le dimanche ! Il existe d'autres enjeux plus cruciaux dans ces quartiers qui manquent d'îlots de fraîcheur, de lieux de rencontre où les résidents peuvent se retrouver, qu'il s'agisse de jardiner ou de participer à d'autres activités familiales.

M. Franck Montaugé. - Je souhaite en préambule remercier tous les acteurs qui concourent au développement de la politique de la ville en France. Je suis sénateur du Gers et les actions menées dans la ville d'Auch sont plutôt positives, il faut savoir le reconnaître même si beaucoup restent à faire.

Madame la Ministre, je voudrais aborder avec vous un aspect crucial des missions qui vous sont confiées, à savoir la citoyenneté à laquelle je lie le sujet de la laïcité. Alors que nous observons des phénomènes de sécession républicaine, quel est votre plan d'action et sur quoi repose-t-il ? Le budget 2024 prévoit-il une ligne spécifique pour ce type d'action et, le cas échéant, à quelle hauteur ? Sur quel réseau d'acteurs vous appuierez-vous ?

J'aimerais aussi obtenir des éclaircissements sur la manière dont vous entendez basculer du plan dérogatoire de la politique de la ville vers le droit commun. Comment envisagez-vous cette convergence jusqu'à une application totale du droit commun ?

Vous avez abordé la question de l'éducation lors de votre intervention. Ma question pourrait choquer, mais ne faut-il pas envisager une éducation des parents, non pas pour les stigmatiser, mais pour les aider ? Je ne vois aucun plan d'action dans ce domaine si ce n'est des dispositifs reposant sur les acteurs associatifs. Quelles actions spécifiques envisage votre ministère sur cet axe ?

Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État. - Je vais commencer par le dernier point de votre question avant de revenir au début. En ce qui concerne la mobilisation du droit commun et la manière de faire converger les efforts, le plan de sauvetage de Marseille, souhaité par le Président il y a deux ans, est le meilleur exemple de mobilisation du droit commun pour une ville en souffrance. C'est l'illustration qu'une évaluation précise permet de mieux répondre aux problématiques. Je crois énormément au travail parlementaire qui permet d'évaluer, de se questionner, de travailler avec tous les acteurs locaux et se s'interroger sur les politiques mises en place. Je pense que la question de l'évaluation précède celle de la convergence. L'Assemblée nationale ou le Sénat doivent travailler ensemble à cette évaluation, et c'est ce que je vais proposer. Je soutiens cette idée avec conviction auprès de la Première ministre, du ministre Gérard Darmanin et du président de la République, car je la considère comme un préalable à tout le reste. J'espère que nous serons capables de faire cette évaluation annuellement pour mieux répondre aux demandes et aux besoins des habitants des quartiers prioritaires.

M. Franck Montaugé. - Avez-vous des indicateurs ?

Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État. - Dans une grande ville comme Marseille, c'est possible. Les préfets peuvent mener ce travail. J'ai récemment sollicité les préfets pour qu'ils me fournissent des informations sur la mobilisation du droit commun sur la vidéoprotection dans les villes avec des données précises sur les crédits affectés, dépensés et déployés. J'ai également demandé que l'on m'explique pourquoi ces crédits n'étaient pas utilisés. Nous sommes donc capables de le faire, mais nous ne pouvons pas solliciter sans cesse les préfets. C'est pourquoi je renvoie aussi cette mission vers les parlementaires. À l'instant présent, je suis dans l'incapacité de détailler la part du droit commun dans les quartiers prioritaires.

Sur le volet de la citoyenneté, vous avez raison de parler de la laïcité. Ce sujet s'inscrit dans un cadre plus large incluant la lutte contre la délinquance et contre la radicalisation. Dans ce domaine, j'ai pris une mesure simple qui consiste à effectuer un bilan des contrats de ville. Ce bilan porte sur tous les sujets à ma main, dont l'apprentissage du français puisque partout où je me déplace, les maires m'interpellent sur l'accueil des populations primo-arrivantes et sur l'apprentissage de la langue. Le bilan des contrats de ville porte sur tous les dispositifs gérés par le ministère : intégration, asile, naturalisation, lutte contre la radicalisation, prévention de la délinquance et laïcité. Puisque des crédits sont dédiés à ces dispositifs, une solution serait de les accoler aux contrats de ville et à un autre dispositif pour les quartiers non prioritaires. Ces outils seraient alors dans un même socle et placés sous la responsabilité du préfet. Je suis persuadée que cette approche peut offrir des solutions à de nombreuses problématiques.

Je souhaite également revenir sur la possibilité de financer les petites associations et de leur faire confiance a priori car, avec les élus, ce sont elles qui connaissent le mieux les populations. Il faut donc arrêter de leur demander de faire des tâches impossibles, comme élaborer un plan triennal sans avoir de financements ou répondre à des appels à projets toujours plus complexes. J'ai par conséquent demandé une simplification des procédures pour les petites associations qui représentent 50 % des budgets des crédits des contrats de ville. De plus, nous pouvons les évaluer a posteriori. Je préfère que l'on fasse une erreur avec une association sur mille plutôt que de pénaliser les 999 autres qui accomplissent un travail remarquable. De la même manière, ce n'est pas parce que les appels à projets sont complexes qu'il n'y aura aucune défaillance. Si l'on regarde honnêtement les chiffres, les associations font un travail remarquable.

Je propose maintenant de répondre à votre question sur les moyens en soulignant que la médiation est, selon moi, un vrai métier. C'est une vocation. Comment pouvons-nous attendre de quelqu'un qui traverse lui-même des difficultés qu'il puisse aider une personne qui ne va pas bien ? C'est impossible. J'ai donc demandé une refonte totale du statut des adultes relais, refonte qui ne passera pas forcément par la loi. Avec un budget de 98 millions d'euros, je préfère que les adultes relais soient moins nombreux, mais qu'ils soient mieux formés et mieux rémunérés. Il arrive en effet que des élus locaux ou des associations refusent un adulte relais car il n'est pas suffisamment formé et qu'il ne peut pas fournir le travail attendu. Dans la formation des adultes relais, je souhaite aussi que l'on intègre une formation à la laïcité, à la lutte contre la radicalisation et à la prévention de la délinquance. La formation des adultes relais est probablement le point d'entrée par lequel nous pourrons aller au-delà de la médiation sociale pour y inclure la sécurité qui est peut-être le sujet numéro un. Mieux former les adultes relais aux problématiques qu'ils rencontreront sur le terrain, mieux les rémunérer et les faire monter en compétences en leur permettant d'accéder à des qualifications pouvant équivaloir à un niveau Bac+ 2 est une option. Je préfère m'appuyer sur 5 000 adultes relais très bien formés que sur 6 500 comme aujourd'hui.

Enfin pour répondre à votre question sur la parentalité, qui est un sujet sur lequel j'avais déjà mis l'accent en tant que députée et que je continue de porter en tant que ministre, j'ai toujours considéré que les parents étaient responsables de leurs enfants, sauf en cas de grandes difficultés sociales ou lorsque leur santé mentale ne leur permettait pas de jouer pleinement ce rôle. Sur ce sujet, le mot clé est celui de la responsabilisation et de l'éducation à la parentalité. Il est certes compliqué d'être parent : c'est sans doute le métier le plus difficile au monde. Les cités éducatives sont un point d'entrée pour que les parents jouent un rôle dans l'éducation et l'instruction de leurs enfants. L'éducation, qui forge notre construction personnelle, repose sur deux piliers : l'éducation transmise par ses parents et l'école. Par la suite, c'est à chacun de faire ses propres choix, car en tant qu'êtres humains, nous sommes nés libres et égaux en droits, et nous avons la liberté de choisir notre chemin. Si l'éducation parentale est solide et l'enseignement de qualité, alors chacun peut poser ses choix sur une base saine et respectueuse de ces principes essentiels.

M. Bernard Buis. - Madame la ministre, je suis sénateur de la Drôme et j'apprécie l'arrivée de la Force d'action républicaine à Valence. Le but de ce dispositif est de pouvoir expérimenter et que les habitants redeviennent acteurs de leur quartier. Il va falloir que l'État, les départements et les agglomérations travaillent vraiment ensemble sur nos quartiers sensibles. Ma question portera sur la généralisation des cités éducatives. Pour que tous les quartiers prioritaires puissent bénéficier de cette approche, il est impératif de labelliser 650 nouveaux territoires au cours des quatre prochaines années. Cela nécessite un engagement considérable et la mise en place d'une stratégie spécifique pour garantir que, d'ici 2030, aucun quartier prioritaire ne soit laissé sans le soutien d'une cité éducative. Pourriez-vous nous donner de plus amples détails sur le plan d'action précis que vous envisagez pour atteindre cet objectif et sur les moyens que vous prévoyez de mobiliser afin de les financer ?

Mme Antoinette Guhl. - Madame la ministre, vous avez parlé de Marseille, mais je vous parlerai de Paris puisque je suis sénatrice de ce territoire. La capitale compte également des quartiers populaires qui requièrent des financements. Cependant, la récente redéfinition de la politique de la ville entraîne pour Paris une diminution du budget d'environ 20 %. Il me semble contradictoire de prôner la réalisation de nombreuses actions tout en réduisant les moyens financiers, car nous avons besoin de moyens pour mener une politique de la ville ambitieuse à Paris. Toutes nos demandes, notamment l'augmentation des dotations Anru, ont été refusées. Dans la capitale, les quartiers relevant de la politique de la ville abritent une jeunesse confrontée à une grande précarité. Ces zones subissent également des problématiques environnementales pressantes, et il en résulte un cumul d'inégalités sociales et environnementales (pollution, nuisances sonores, etc.). La transition écologique pour ces quartiers doit être une priorité intégrée à la politique de la ville, un sujet sur lequel j'aurais aimé vous entendre davantage. Par ailleurs, la réhabilitation des infrastructures, le renforcement des politiques de l'emploi s'avèrent indispensables. Comment envisage-t-on de répondre à ces enjeux avec des moyens réduits ? Pour une grande ville comme Paris, tout aussi importante que Marseille ou d'autres grandes villes, l'appui de l'État est aussi essentiel.

Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État. - Paris est une ville riche et Marseille une ville pauvre ! Un Marseillais sur deux n'est pas redevable de l'impôt sur le revenu.

Mme Antoinette Guhl. - Ce n'est pas vrai ! Vous ne pouvez pas tenir de tels propos.

Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État. - Le plan de sauvetage de Marseille a été une décision du président de la République. Le préfet Marc Guillaume m'a informé récemment des difficultés de deux zones du XVe arrondissement de Paris que j'ai intégrées dans le zonage des quartiers prioritaires de la ville. Je n'ai jamais dit que Paris n'avait pas besoin d'aide car il y existe aussi des poches de pauvreté, comme à Marseille. En outre, vous ne m'entendrez jamais dire qu'il faut favoriser une ville au détriment de l'autre.

Dans votre question, vous évoquez une baisse du budget, mais j'avance le doublement des moyens du Fonds vert dont 15 % seront fléchés sur les quartiers prioritaires. J'attends des élus et des préfets qu'ils s'emparent de ces crédits du PLF. Par ailleurs, j'ai évoqué plus tôt les enjeux écologiques et expliqué qu'il fallait proposer des actions bien plus ambitieuses que le simple fait d'organiser des opérations de ramassage des déchets dans les quartiers. Il faut aussi faire preuve d'inventivité pour changer le quotidien des habitants. Je préfère qu'on investisse dans l'habitat et dans l'alimentation, dont on parle finalement très peu, plutôt que de résumer les enjeux de transition écologique aux opérations de ramassage des déchets. Ce n'est pas une critique, mais une invitation à repenser nos pratiques.

Je réaffirme qu'il n'y a pas de baisse du budget puisque les crédits du BOP 147 augmentent. Les chiffres sont éloquents : 397 millions d'euros en 2017 face à 636 millions d'euros cette année, traduisant une intensification notable des moyens sous ce gouvernement. Quant à dire que Paris serait négligée dans notre zonage de politique de la ville, cela est inexact puisque deux nouveaux quartiers prioritaires ont été ajoutés.

En outre, d'ici 2027, 214 millions d'euros seront consacrés au soutien des 850 cités éducatives qui verront le jour, provenant majoritairement des crédits du BOP 147 (205 millions d'euros), avec un complément du BOP 230 (9 millions d'euros). Les crédits nécessaires pour conforter ces cités éducatives sont sanctuarisés.

M. Serge Mérillou. - Ma question portera sur un sujet crucial de la politique de la ville : le logement. La circulaire de la Première ministre visant à ne plus attribuer de logements dans les quartiers prioritaires aux ménages éligibles au dispositif du droit au logement opposable (Dalo) s'inscrit dans une démarche salutaire de lutte contre la formation de ghettos et de promotion de la mixité sociale. Cependant, cette intention louable soulève une question importante : quelle solution de logement sera proposée à ces ménages ? Alors que la construction de logements sociaux est en panne, quelles mesures seront prises pour redynamiser ce secteur ?

Par ailleurs, comment ferez-vous appliquer la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain (SRU) alors que les communes sont confrontées à une double contrainte : d'une part, la construction de logements sociaux ; d'autre part, le respect de la loi zéro artificialisation nette (ZAN) limitant l'urbanisation. Certaines municipalités - je pense notamment à la commune de Prigonrieux - se retrouvent dans une impasse, car elles ne disposent pas de terrains constructibles pour respecter leurs engagements en termes de logement social.

Enfin, je regrette l'absence de considération des zones rurales, qui semblent être délaissées dans la politique de construction de logements.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Ce sont des questions qui relèvent du ministre du logement et que nous avons déjà évoquées lors de son audition.

M. Fabien Gay. - Madame la ministre, je commencerai par une convergence de vues avec vous. En tant que sénateur de la Seine-Saint-Denis, et ayant grandi dans un quartier populaire de Bordeaux, je partage l'opinion selon laquelle les quartiers prioritaires, autrefois nommés zones sensibles, doivent entrer dans les politiques publiques. Par ailleurs, nous ne devons pas opposer les territoires, que nous soyons en zones urbaines denses, en zones rurales ou sur les territoires ultramarins, les problèmes étant identiques même s'ils sont vécus de manière différente. Le recul des services publics est un enjeu commun. Venant d'un quartier populaire, je ne cherche pas à opposer les réalités. Cependant, je suis las de constater que nous n'avançons pas. Édouard Philippe lorsqu'il était en fonction, avait reconnu que la Seine-Saint-Denis était un territoire discriminé, un grand plan avait suivi pour corriger les inégalités. Hélas, même avec ces rattrapages, nous continuons à accumuler du retard.

Nous avons besoin d'une vision globale, qui dépasse le cadre de la rénovation urbaine, car la République s'incarne au travers de femmes et d'hommes, mais aussi au travers des services publics. Prenons un exemple simple. J'ai pris le RER B ce matin, comme tant d'autres usagers, et je vois que le service proposé en Seine-Saint-Denis n'est pas le même qu'à Paris alors que le prix du Pass Navigo y est identique. Tous les jours, les habitants du département rencontrent des difficultés pour se rendre à leur travail. Ces difficultés concernent aussi d'autres domaines avec des difficultés pour accéder à la justice, à la sécurité, à l'éducation, etc.

Concernant la loi SRU, vous avez affirmé dans La gazette des communes que c'était à l'Association des maires de France (AMF) de faire respecter la loi. Je pense que vous vous trompez. Ce n'est pas à l'AMF de régler les problèmes, mais à l'État et aux préfets.

Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État. - Je suis intimement convaincue des conséquences néfastes de la concentration des populations précaires dans les quartiers prioritaires : regrouper systématiquement des populations en grande précarité dans les mêmes zones et faire peser ce poids sur les mêmes élus locaux ne peut que conduire à l'échec. Comme je l'ai dit dans La gazette, je crois à l'application stricte de la loi SRU. Je rappelle que, jusqu'à nouvel ordre, ce sont bien les maires qui délivrent les permis de construire. Cependant, lorsque la loi SRU n'est pas respectée, c'est vers l'État que l'on se tourne pour dire qu'il manque de logements sociaux. Que faut-il faire ? Faut-il continuer à se mentir collectivement en prétendant ignorer comment résoudre cette situation ? Vous me pardonnerez de reparler de Marseille, mais la deuxième plus grande ville de France est hors la loi en termes de logement social alors que l'État y a conventionné 650 millions d'euros de crédits Anru. Cette situation tient à l'absence de permis de construire.

Dans ce domaine, je ne crois pas du tout à la multiplication des lois et je ne proposerai pas une nouvelle loi. Nous devons nous appuyer sur les dispositifs existants. Avec un grand nombre de mesures en place, notre travail consiste à collaborer étroitement sur l'application de la loi SRU en concertation avec l'AMF. Il faut cesser de concentrer les difficultés aux mêmes endroits : c'est une question de justice. Par ailleurs, la circulaire de la Première ministre vise les populations les plus précaires, car ce sont elles qu'il faut le mieux encadrer et le mieux soutenir. Je crois résolument que la relance de la construction passera par la redynamisation de la délivrance des permis de construire.

Pour rebondir enfin sur le ZAN, c'est évidemment un dispositif vertueux. Cependant, il faut aussi tenir compte des particularités de nos territoires. Les différences régionales sont telles que je suis favorable à une territorialisation des mesures, afin d'adapter notre réponse à la complexité spécifique de chaque zone.

Certes l'État et ses représentants, les préfets, ont une responsabilité, mais les élus locaux veulent aussi avoir la main. Je propose donc de faire du réglementaire. Faire appliquer toutes les lois existantes est déjà un défi. Commençons par la voie réglementaire : par les circulaires, par des discussions plus intenses avec l'AMF et France Urbaine. Récemment, j'ai rencontré la maire de Nantes, qui a partagé des propositions pragmatiques et de bon sens. Quand il s'agit de mesures pertinentes, je suis toujours disposée à les entendre même si nous avons nos désaccords.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Madame la ministre, je vous renverrai le rapport que nous avons rédigé avec Valérie Létard sur la loi SRU intitulé « Ni un tabou, ni un totem ». Certes, il faut s'assurer que les lois sont bien appliquées, mais il faut aussi que les décrets d'application ne mettent pas des mois à aboutir, car ces situations laissent les acteurs dans de grandes difficultés.

M. Denis Bouad. - En 2024, une nouvelle cartographie des quartiers prioritaires de la politique de la ville entrera en vigueur. Mon département, le Gard, est confronté à des problèmes similaires à ceux des Bouches-du-Rhône, avec ses quartiers difficiles qui relèvent de la politique de la ville. Des efforts notables ont été réalisés : de nombreux bâtiments ont été démolis pour y reconstruire. Cette politique a été portée grâce à l'engagement financier substantiel de l'État complété par des contributions significatives des départements ainsi que des collectivités territoriales.

Après avoir déployé d'intenses efforts pour rendre ces quartiers plus agréables, grâce notamment au travail des associations sur le terrain, ces mêmes quartiers risquent de ne plus répondre aux critères de la politique de la ville en raison des opérations conduites sur l'habitat. Cela crée une double peine : malgré le travail acharné et les améliorations significatives apportées, nous sommes finalement pénalisés.

Mme Amel Gacquerre. - La politique de la ville est une politique essentielle pour notre cohésion nationale. Pour ma part, j'exprime une préoccupation quant au budget alloué dans le cadre du projet de loi de finances car, hors budget Anru, il est noté une stagnation voire une baisse.

Je ne reviendrai pas sur le constat actuel même si je souhaite indiquer qu'émergent de belles choses des quartiers prioritaires grâce à l'engagement des habitants, des élus et du tissu associatif. Cependant, il faut aussi évoquer la grande solitude ressentie par les habitants des quartiers, mais également par les maires, face à la délinquance et l'insécurité. Je le vis sur mon territoire le Pas-de-Calais. Les trafics de stupéfiants sont extrêmement compliqués à gérer et je souhaiterais vous entendre sur ce point.

Madame la ministre, vous êtes rassurante sur plusieurs points, notamment lorsque vous mettez l'accent sur la présence humaine. En revanche, pour ce qui est de la présence des services publics dans les quartiers, vous n'avez pas parlé de la santé.

Enfin, je voudrais aborder brièvement la question de la participation citoyenne. De nombreuses initiatives intéressantes ont été lancées comme la commission Mechmache. Avez-vous recadré les actions mises en place à votre prise de fonction ? Quid des conseils citoyens ? Pourriez-vous nous apporter des précisions sur ce sujet ?

Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État. - J'attends avec impatience le rapport de la commission Mechmache, les concertations ayant pris fin en octobre. Il est à présent temps de passer à l'action. Je pense que les crédits de la politique de la ville devraient financer la concertation citoyenne pour fournir des outils qui permettront aux habitants de donner leur avis et de s'impliquer. Il est primordial que les habitants soient acteurs et s'investissent car nous ne pouvons pas décider à la place des personnes directement concernées : où elles doivent dormir, ce qu'elles doivent manger, etc.

La santé est un enjeu prégnant. Dans mon acception, elle englobe la santé physique, mais aussi la santé mentale, parent pauvre de la santé publique. Notre mobilisation dans le domaine de la santé est forte : tous les élus locaux qui proposent un projet de maisons de santé sont soutenus. Il a été souvent affirmé que les quartiers devaient être désenclavés et que les habitants devaient sortir de leurs quartiers, mais ceux-ci doivent aussi pouvoir trouver les services publics en grande proximité. Aujourd'hui, des parents peuvent être amenés à faire une heure de transport pour emmener leur enfant auprès d'un professionnel de santé, puis refaire le trajet retour. Pour lever ces difficultés, je prône de concentrer les services médicaux au même endroit, afin que les parents puissent, en un seul déplacement, réaliser leurs consultations et celles de leurs enfants. En 2025, j'envisage de travailler avec les parlementaires sur la santé mentale dans les quartiers populaires. Je souhaite lancer une mission d'évaluation afin de mieux diagnostiquer les besoins en la matière et d'y répondre plus efficacement.

Je propose maintenant de répondre à l'interpellation du sénateur du Gard. J'ai décidé qu'un pourcentage de 2,5 % du budget des contrats de ville serait consacré à l'accompagnement des quartiers prioritaires qui sortent du zonage. En effet, des quartiers auparavant prioritaires, sortis brutalement de cette catégorisation, se retrouvent confrontés aux mêmes difficultés quelques années plus tard. Il me paraît donc essentiel de suivre et d'accompagner ces quartiers.

M. Jean-Luc Brault. - Le territoire que j'ai dirigé pendant 25 ans regroupe une population de 50 000 habitants. Nous sommes ici loin des zones densément urbaines évoquées plus tôt. Sur ce territoire, nous avons mis l'accent sur l'apprentissage, en prenant en charge le reste à charge des entreprises des jeunes préparant un CAP ou un brevet professionnel. En quatre ans, nous avons réussi à conclure 500 contrats avec des jeunes de 15 à 18 ans, dans des métiers variés tels que plombier, chauffagiste, maçon, plâtrier ou électricien, entre autres. En tant que chef d'entreprise dans le bâtiment, je constate que l'apprentissage des métiers manuels traverse une situation dramatique. Il est illusoire de penser que nous pourrons améliorer les indicateurs de performance énergétique des constructions sans une main-d'oeuvre qualifiée et formée. Votre secrétariat d'État peut-il donner une impulsion pour que les jeunes de nos territoires apprennent un véritable métier sachant en outre que des jeunes qui commencent leur formation par un CAP peuvent poursuivre leur cursus et prétendre à décrocher qui un bac professionnel, un BTS ou un diplôme d'ingénieur ?

Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - En octobre dernier, le CIV a prévu l'extension des horaires d'ouverture des bibliothèques dans 500 quartiers. L'État a-t-il réellement mis les moyens de sa politique dans le PLF 2024 pour soutenir cet élargissement des plages horaires ? Dans certaines bibliothèques, par exemple à Nanterre, des agents sont en grève pour dénoncer ces mesures compte tenu d'un manque criant de personnel dans ces services.

Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État. - Monsieur le sénateur, je souhaite tout d'abord vous féliciter pour vos réalisations. Bravo pour ces 500 contrats d'apprentissage. Le président de la République a annoncé une grande réforme de l'apprentissage pour faire correspondre la réalité de nos besoins avec les envies de nos jeunes. Toutefois, la difficulté est que nous ne pouvons pas forcer les jeunes à embrasser une profession. Se former dans un lycée professionnel ou dans un centre de formation par l'apprentissage (CFA) est une très bonne chose, mais le prérequis est que les jeunes aient envie d'exercer un métier précis. La réalité, c'est que les métiers du bâtiment sont en grande tension aussi parce que ce sont des métiers difficiles.

M. Jean-Luc Brault. - C'est aussi pour des questions salariales.

Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État. - Certes. Vous pointez en tout cas un problème immense auquel le président de la République a décidé de répondre en lançant une grande réforme de l'apprentissage dans les lycées professionnels, en concertation avec les recteurs, les élus locaux, les parlementaires et les entreprises qui, elles aussi, ont un rôle à jouer sur la promotion de leur métier.

J'ai été alertée par la députée de Nanterre sur les mouvements de grève observés dans des bibliothèques ouvertes le dimanche. Je pense ici que le ministère de la Culture, avec des dispositifs de droit commun, doit accompagner cette mesure. C'est aussi une disposition proposée sur la base du volontariat : on ne peut pas obliger un maire à ouvrir sa bibliothèque le dimanche et à faire travailler les employés municipaux. Il est légitime que les agents soient mieux rémunérés pour travailler le dimanche et je suis ouverte à lancer une concertation avec ma collègue Rima Abdul-Malak et tous les élus locaux qui ont envie de se mettre autour de la table pour généraliser l'ouverture des bibliothèques le dimanche.

M. Lucien Stanzione. - En mai 2023, plusieurs maires ont lancé un cri d'alarme à la suite des immenses difficultés rencontrées par les familles face à la hausse du coût de la vie. Quelle est votre approche de cette question ?

Par ailleurs, comment comptez-vous mettre en oeuvre sur le terrain les fonds structurels européens ?

M. Rémi Cardon. - Les chiffres sont éloquents : 40 % des habitants des quartiers prioritaires ont moins de 25 ans, 60 % des collégiens et lycéens des quartiers prioritaires de la ville appartiennent à une catégorie sociale défavorisée, le taux de chômage y est supérieur de 2,7 % à la moyenne nationale, etc. Au vu de ce constat, pourquoi le débat s'est-il focalisé après les émeutes uniquement sur la question de la sécurité et sur celle du port de l'uniforme dans les écoles ?

Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État. - Ce n'est pas parce que BFM TV le dit que c'est vrai !

M. Rémi Cardon. - En tout cas, les faits sont là. Quel est votre plan en termes de politique structurelle sur la santé, l'éducation, l'emploi, les questions sociales ? C'est sur ces questions que je souhaite vous entendre car vous ne pouvez pas les renvoyer vers l'évaluation à mener par le Parlement.

Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État. - Sur la mobilisation des fonds européens, je pense que nous avons une politique trop peu allante. Nous finançons beaucoup les politiques européennes, mais, selon les régions, nous pourrions récupérer davantage de crédits, car ils nous reviennent et ne sont qu'un juste retour de ce que la France investit dans l'Union européenne. J'ai proposé à des associations d'élus de travailler avec moi sur la mobilisation de ces crédits sur nos territoires. Certains territoires ont un savoir-faire pour récupérer ces financements et c'est une méthodologie à mieux partager. Ce sont certes des dossiers complexes et il nous faut des moyens d'accompagnement pour aider les territoires à aller chercher ces financements.

Monsieur le sénateur Cardon, je ne peux pas vous laisser dire que le gouvernement a circonscrit les débats post-émeutes aux questions de sécurité. De plus, en toute franchise, vous ne pouvez pas dire que la sécurité n'est pas un sujet. Vous avez rappelé que j'avais répondu à une question sur la tenue vestimentaire à l'école lors d'une de mes interventions sur un plateau de télévision, mais je ne suis pas comptable des questions que l'on me pose.

De surcroît, il me semble bien que, après les émeutes, la première responsabilité de l'État était de ramener l'ordre républicain. Vous le savez comme moi, lorsque vous êtes en déplacement, de quoi nous parlent nos concitoyens, mais aussi les élus ? Ils ne nous parlent pas de la tenue vestimentaire à porter à l'école, mais les élus, quel que soit leur parti, me disent qu'ils veulent un commissariat, davantage de policiers municipaux voire d'une police municipale qui a des pouvoirs judiciaires, etc.

M. Rémi Cardon. - Je vous interroge justement sur toutes les autres politiques à mener et vous me répondez une nouvelle fois sur la sécurité...

Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État. - Parlons alors de l'emploi avec Quartiers 2030. À Marseille, le président de la République avait annoncé qu'il croyait à l'entrepreneuriat dans les quartiers prioritaires. Des crédits de 436 millions d'euros sont affectés par la Banque publique d'investissement (Bpifrance) pour faciliter l'amorçage de ceux qui ont envie de créer leur propre entreprise. J'étais à Aulnay-sous-Bois la semaine dernière et j'y ai vu des choses remarquables. Sur ces questions, la réponse ne peut être que globale et vous avez raison de le souligner. En revanche, je ne peux pas vous laisser dire que le gouvernement a réduit ses réponses uniquement à la sécurité. La sécurité était la première des réponses et le reste, je vous invite à discuter avec moi de toutes les mesures prises lors du CIV. Et si vous avez des propositions à faire, les deux ministères dont je relève sont disposés à les entendre.

Mme Sophie Primas. - Je voudrais vous remercier d'avoir tenu le Comité interministériel de la Ville à Chanteloup-les-Vignes. Je suis sénatrice des Yvelines, mais de ces territoires du département où les habitants ne paient pas beaucoup d'impôts, pour faire écho à vos propos tenus précédemment sur Marseille. Je suis en effet élue du nord des Yvelines dans un bassin industriel désindustrialisé dans lequel nous comptons, depuis la Cité des Indes de Sartrouville jusqu'au Val-Fourré de Mantes-la-Jolie, cinq communes relevant de la politique de la ville. Dans ces zones, des communes relèvent à juste titre des dispositifs de la politique de la ville et ont besoin d'être aidées. Cependant, d'autres territoires sont aussi à soutenir, y compris des villes moyennes, y compris des villes qui respectent les quotas en matière de logements sociaux. Dans l'ancienne commune dont j'étais maire, qui est une ville ouvrière autour de l'usine Renault de Flins, 42 % des logements sont des logements sociaux, mais la ville se trouve en grande difficulté, car elle ne bénéficie plus du soutien de la politique de la ville et n'a plus les moyens d'autofinancer ses actions. Cette commune est en train de plonger car elle récupère toutes les difficultés qui étaient celles des communes relevant de la politique de ville, que l'on aide à juste titre. Je vous remercie d'avoir consacré 2,5 % du budget aux territoires sortants, mais, au-delà de cette mesure, c'est aussi la géographie qu'il faut interroger. Ne faudrait-il pas raisonner en termes de bassin de vie qui permettrait d'inscrire un soutien dans la durée ?

M. Michel Bonnus. - Vous avez parlé des acteurs de terrain et évoqué la date de décembre pour l'annonce du nouveau zonage. Cependant, les acteurs de terrain doivent pouvoir anticiper. Vous mettez en avant les préfets, dont je respecte la fonction, mais n'oubliez pas les élus, n'oubliez pas les acteurs de terrain, n'oubliez pas les enseignants. Le fléchage aura un impact déterminant sur le court, le moyen et le long terme. Des études d'impact sont donc nécessaires pour évaluer les conséquences des décisions. De la même manière, une concertation est nécessaire sur les zones franches urbaines. Un travail en commun est indispensable.

M. Henri Cabanel. - Avec le service civique, les objectifs du président de la République étaient d'enrôler 200 000 jeunes, mais je pense que cet objectif n'a pas été atteint. Par ailleurs, très peu de jeunes issus des quartiers prioritaires de la ville s'engagent dans le service civique. Que faut-il faire pour sensibiliser les jeunes des quartiers prioritaires et les encourager à s'engager dans le service civique ?

Mme Annick Jacquemet. - J'habite dans le département du Doubs, près de Besançon, une des trois villes retenues pour les forces d'action républicaine. Ce plan devant commencer en 2024, je souhaiterais savoir comment ce déploiement se réalisera de manière concrète et pratique.

Quels leviers entendez-vous activer pour mobiliser les parents dans les quartiers prioritaires de la ville ?

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Madame la ministre a déjà largement répondu à cette dernière question. Je vous propose d'apporter une réponse globale à ces différentes interventions.

Mme Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d'État. - Pour les territoires qui sortent du dispositif, un budget de 2,5 % est évidemment insuffisant. C'est la raison pour laquelle j'ai demandé à la Première ministre de maintenir certains quartiers qu'il est impossible de faire sortir du programme. Je ne peux pas prendre la responsabilité d'abandonner ces territoires. Après une étude au cas par cas, quatre territoires ont été identifiés. Prendre cette décision est un risque politique, mais qui est finalement mesuré. Il faut parfois savoir tordre le cou à quelques réglementations car la réalité ne se résume pas aux statistiques fournies par l'Insee. Je vous rejoins également sur le besoin de raisonner à l'échelle des bassins de vie. Avec le ministre de l'Éducation nationale, mon souhait est de faire correspondre le zonage de l'éducation prioritaire avec le zonage des quartiers prioritaires de la ville pour qu'il n'existe plus d'écoles orphelines. Cet examen se fera là aussi au cas par cas.

Concernant les zones franches urbaines, notre volonté est d'engager une discussion pour faire en sorte que les mesures prises en matière de fiscalité soient efficaces dans nos quartiers prioritaires. Cette discussion sera menée avec les élus locaux, les associations et les parlementaires qui ont envie de travailler sur le sujet. La question de la refonte de la fiscalité dans les quartiers prioritaires doit évidemment être menée avec les élus qui sont ceux qui connaissent leur territoire. À titre d'exemple, je n'ai pas été la seule décisionnaire pour la circulaire du 31 août, mais je l'ai travaillé avec Ville et banlieues, avec le Conseil national des villes, entre autres.

En matière de citoyenneté, il existe beaucoup de dispositifs qui restent méconnus. C'est la raison pour laquelle je souhaite que les contrats de ville regroupent tous les outils relatifs à la citoyenneté et les crédits afférents. Si les jeunes sont aussi peu nombreux à s'engager dans le service civique, ce n'est pas par manque d'envie, mais c'est parce qu'ils ne sont pas informés de l'existence de ces dispositifs. Dans ce domaine, je m'appuierai sur les associations et sur les élus.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Madame la ministre, je vous remercie du temps que vous nous avez consacré et de votre franc-parler. Je vous remercie également de votre dynamisme. J'espère que la politique de la ville va prendre un nouveau souffle. Bonne journée.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de M. Luc Rémont, président-directeur général d'Électricité de France (EDF)

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui M. Luc Rémont, président-directeur général (PG) du groupe EDF, afin d'échanger avec lui sur le secteur de l'énergie, et notamment sur la programmation et la régulation électriques, un an après l'audition préalable à sa nomination.

En un an, les sujets se sont enchaînés avec les lois sur la relance de l'énergie nucléaire et l'accélération des énergies renouvelables, désormais en vigueur, et celles sur la programmation et la régulation énergétiques et la sûreté nucléaire, en attente d'examen. Sur le plan réglementaire, une nouvelle programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) et un nouveau prix de l'électricité ont aussi été annoncés.

Dans ce contexte, je souhaiterais recueillir votre avis sur plusieurs sujets liés à la relance de l'énergie nucléaire.

En premier lieu, pouvez-vous nous indiquer où en est l'instruction de la construction des EPR2 et du SMR ? La construction des six EPR2 a été annoncée à Penly, à Gravelines et au Bugey. Si l'échéance de 2023 pour le dépôt des autorisations du premier site a été respectée, celles de 2025 et 2027 le seront-elles également ? Est-il nécessaire de convenir de la construction des huit autres EPR2 dès 2023, dans le cadre de la loi de programmation énergétique et de la PPE ? Avez-vous une idée des sites en lice pour les accueillir ? Quant au SMR Nuward, sa mise en service, d'ici 2030, est-elle tenable ?

En second lieu, pouvez-vous nous préciser comment financer la relance de l'énergie nucléaire ? EDF doit prendre en charge la construction des six EPR2, pour un montant de 50 milliards d'euros, et le Grand Carénage, pour un montant de 65 milliards d'euros. Or l'entreprise est grevée d'une dette de 65 milliards d'euros, sa notation financière étant « BBB+ ». Comment faire ? Plusieurs modèles de financement existent à l'échelon européen : par fonds propres, par emprunt, par prix régulé ou encore par participations de consommateurs électro-intensifs. La Cour des comptes a clairement indiqué qu'EDF ne peut financer seul ces chantiers. Qu'en pensez-vous ? Les contrats pour différence, obtenus dans le cadre de la réforme du marché européen de l'électricité, constituent-ils le moyen de financement idoine ? Ou faut-il envisager d'autres outils ? Je rappelle que les hypothèses de garanties d'emprunts, d'avances remboursables voire de mobilisation du livret A ont, tour à tour, été évoquées par la presse. Quant au dispositif de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh), la mission d'information que j'ai eu le plaisir de conduire avec mon collègue Fabien Gay a clairement rappelé qu'il s'agissait d'un mécanisme à « bout de souffle ». Son prix, de 42 euros par mégawattheure (MWh), apparaît largement obsolète, EDF ayant préconisé une revalorisation à 74,8 euros sur la période 2026-2030, contre 60,7 euros pour la Commission de régulation de l'énergie (CRE). Qu'est-ce qui explique ce différentiel ?

En troisième lieu, pouvez-vous nous livrer votre avis sur la future programmation énergétique ? Il y a quinze jours, le président de Réseau de transport d'électricité (RTE) nous a présenté son étude Futurs énergétiques 2050 et son bilan prévisionnel 2023-2035. Avez-vous une préférence parmi les mix électriques proposés par RTE, allant de 100 % d'énergies renouvelables à 50 % d'énergie nucléaire ?

En dernier lieu, pouvez-vous nous préciser l'organisation de votre groupe pour faire face à la relance de l'énergie nucléaire ? Où en êtes-vous dans les recrutements nécessaires ? S'agissant des six EPR2, EDF a évalué en juillet 2022 les besoins à 30 000 pour leur construction et à 10 000 pour leur exploitation. Jusqu'à 15 000 recrutements ont été lancés en novembre 2022. Par ailleurs, où en êtes-vous dans les réorganisations induites ? Un projet de réorganisation, autour de cinq piliers, a été annoncé en juin 2023. Enfin, que pensez-vous de l'écosystème des entreprises liées à l'énergie nucléaire ? Entre le rachat par EDF des turbines Arabelle, le refus par l'État de la cession des fabricants de robinetterie Segault et Velan, ou encore la mobilisation de parlementaires contre la cession du fabricant de systèmes de commande-contrôle Atos, les sujets de préoccupation sont nombreux !

Je vous laisse répondre à ces premières questions. Nos collègues rapporteurs et nos autres collègues vous interrogeront ensuite.

M. Luc Rémont, président-directeur général d'EDF. - Je suis très heureux d'être de retour parmi vous, presque un an après ma prise de fonction à la tête d'EDF.

Je vais essayer de répondre à vos questions en commençant par vous donner quelques nouvelles à court terme, EDF ayant été fortement sollicité ces dernières semaines.

Le court terme, ce sont les tempêtes, notamment Ciaran, qui a très profondément touché notre pays, en particulier la Bretagne et la Normandie. 1, 2 million de clients ont été coupés jeudi 2 novembre au matin. Sept cent mille ont été raccordés dans les 24 heures et, à l'heure où nous parlons, 97 % d'entre eux environ sont à nouveau reconnectés.

Ceci est dû à une forte mobilisation des équipes d'Enedis et de l'ensemble de nos partenaires industriels, et à une anticipation de la tempête. Deux jours avant, nos équipes sont montées au front avec 3 400 collaborateurs d'Enedis et de nos partenaires industriels. Ils se sont rendus sur les zones qui allaient être touchées pour être à pied d'oeuvre au moment des dégâts.

Nous déplorons malheureusement la disparition tragique d'un collaborateur de 46 ans, Frédéric Despeaux, technicien d'intervention d'Enedis originaire d'Auch, venu aider ses collègues en Bretagne. Je veux dire ici la solidarité du groupe à sa famille.

Il reste à ce jour 40 000 de nos concitoyens qui ne sont pas reconnectés. Je sais que nos collaborateurs ne prendront de repos que lorsque tout le courant sera rétabli pour tout le monde.

L'impact climatique est là, et nous devons continuer à travailler pour être prêts à faire face à ce type d'événement. L'anticipation d'Enedis a été à la hauteur et a également permis de gérer la tempête Domingos dont l'impact, bien que moindre, a néanmoins engendré 160 000 coupures à 7 heures du matin. 112 000 foyers étaient cependant rétablis à 18 heures.

Un mot de la production. Nous abordons en effet l'hiver, et les tempêtes montrent que cette saison peut réserver des surprises. La mobilisation de l'entreprise depuis la découverte du phénomène de corrosion sous contrainte (CSC), fin 2021 permet d'aborder cet hiver avec une marge de production très supérieure à l'année dernière, puisque nous sommes aujourd'hui à 40 gigawatts (GW) de production disponible en novembre. Nous serons à 45 GW en décembre et à 50 GW en janvier, soit une marge productible significative par rapport à l'an dernier.

Le remplissage hydraulique est par ailleurs supérieur à la moyenne historique, avec une capacité de turbinage qui nous permet d'avoir une marge bien plus confortable que l'année précédente. Cela ne veut pas dire qu'il faut abandonner les efforts de sobriété.

Nous avons en effet tous ensemble réussi à passer l'hiver dernier en partie grâce à un effort de sobriété de 8 % à 9 %. L'énergie qu'on ne consomme pas est par définition la meilleure.

Nous devons donc continuer à y être collectivement attentifs, car si cet effort de sobriété n'est pas strictement indispensable du point de vue de la sécurité énergétique et de la sécurité électrique pour cet hiver, il continue néanmoins à nous pousser collectivement dans la bonne direction.

Vous m'avez interrogé sur la relance du nucléaire. Nous sommes à un moment charnière de l'histoire d'EDF et de notre pays. Après deux décennies durant lesquelles nous avons bénéficié d'un parc nucléaire répondant à nos besoins sur le plan électrique, nous entrons dans deux décennies durant lesquelles nous allons devoir pérenniser ce parc, mais également faire face à une demande d'électricité croissante, qui doit trouver sa réponse dans une production d'électricité décarbonée qui réponde à l'ensemble des enjeux du pays et qui soit capable, à terme, de remplacer le parc nucléaire lorsqu'il aura atteint son obsolescence, ce qui finira par arriver un jour.

Cette période charnière doit nous amener à mener de front à la fois un investissement estimé à 5 milliards d'euros par an sur le parc existant pour continuer de le pérenniser en toute sûreté, et à investir sur le réseau électrique, pas seulement pour augmenter sa résilience, ce qui a été fait de façon constante depuis la tempête de 1999, mais également pour raccorder davantage d'énergies renouvelables. Celles-ci viennent compléter le dispositif électrique, mais nécessitent un effort constant. En effet, 80 % des raccordements sont réalisés sur le réseau de distribution. Il s'agit donc d'un investissement très important. Il nous faut préparer l'avenir en ayant des moyens de production commandables décarbonés dans les technologies matures et maîtrisables, que sont le nucléaire et l'hydroélectricité.

En matière nucléaire, nous devons continuer à avancer sur le programme EPR2. Nous sommes dans une phase de définition détaillée dans laquelle nous devons définir l'objet que nous devrons construire. Nous travaillons en parallèle avec chaque site sélectionné pour passer par la phase de consultation du public absolument indispensable, puis pour entrer dans les procédures administratives préalables à l'engagement des travaux.

En parallèle, nous continuons à mobiliser l'ensemble de la filière électronucléaire. Ce travail industriel est destiné à finaliser la définition des EPR2 que nous allons construire et à faire en sorte que nous optimisions l'objet à construire, avec pour objectif d'être les meilleurs dans la construction en série. Il ne s'agit pas d'être les meilleurs dans la réalisation des premiers EPR2 mais dans les séries à venir et de pouvoir accélérer la construction au fur à mesure.

Comme dans toute industrie, on s'améliore lorsqu'on en fait beaucoup, et c'est bien cette faculté de construire en série dans les meilleures conditions possible que nous devons travailler.

Nous entrons donc dans une phase d'optimisation qui va tirer tout le parti des travaux déjà réalisés et de la revue de maturité du programme en cours ainsi que des recommandations qui en sortent. Cette revue de maturité a été réalisée par des personnels internes à EDF, mais également par des experts extérieurs et avec la participation des services de l'État. C'est sur la base de ces recommandations que nous entrons dans la phase d'optimisation de ce projet, qui va prendre plusieurs mois au moins. Notre objectif est de nous mettre dans les meilleures conditions pour engager ensuite la phase décisionnelle de construction.

Quant au projet Nuward, qui est moins avancé à ce stade que l'EPR2 pour ce qui est de la définition des objets à construire, nous sommes dans une phase préliminaire, avec des connaissances fortes concernant l'ensemble des éléments qui doivent constituer ce projet, et nous souhaitons aller vite pour avoir un réacteur modulaire facile à construire et réplicable de façon simple pour des clients en France, en Europe ou dans le monde. Ceci correspond à une demande bien identifiée : il s'agit en effet, pour beaucoup de pays, de remplacer une centrale au charbon sur le même site, avec la même source froide et le même raccordement au réseau, beaucoup de pays souhaitant accélérer leur décarbonation. Nous ne serons pas prêts à le mettre en service en 2030, mais à le construire.

J'en viens aux questions de financement.

De manière générale, on ne peut, dans quelque industrie que ce soit, aborder ces questions sans parler du modèle économique. Nous sommes à ce stade également à la croisée des chemins. Nous avons, depuis quelques semaines, un accord historique à l'échelle européenne en matière de marché électrique. C'est la première fois depuis que ce marché européen existe qu'un accord clair intervient avec l'ensemble des États membres à propos du fait que notre marché électrique doit permettre la formation de prix à long terme.

C'est la meilleure façon pour notre marché électrique d'obtenir une stabilité et une visibilité des prix à long terme, pour les consommateurs comme pour les industriels qui investissent dans la capacité de production. C'est ce qui manquait principalement à notre marché électrique depuis sa création. Ce premier élément est un élément historique pour cet accord européen.

Le deuxième élément historique vient du fait que ces règles de marché sont agnostiques sur le plan technologique. Il existe un accord clair qui, dès lors qu'on vise tous, à l'échelle européenne, la décarbonation de l'électricité, ne fait pas de différence entre les différentes technologies qui y concourent. Ces deux éléments sont fondateurs d'une nouvelle approche qui va nous permettre, à l'échelle française, de réinventer notre modèle.

Cela veut dire, pour être capable de financer les infrastructures, qu'il nous faut avoir une visibilité équilibrée pour les consommateurs, qui souhaitent avoir une électricité compétitive, à un prix connu, visible à l'avance. Les producteurs, EDF au premier rang, ont également besoin d'une visibilité économique pour être capables de se lancer dans le programme d'investissements que je viens de décrire.

Nous y travaillons main dans la main avec nos clients, notamment industriels, très impliqués dans la définition de ce que sera le futur marché électrique français. Nous discutons également intensément avec le Gouvernement et les administrations pour rechercher la meilleure voie possible, EDF recherchant autant l'intérêt des clients que sa propre soutenabilité et l'État recherchant autant la soutenabilité d'EDF que l'intérêt des clients. Ce travail est intense. Il nécessite de repenser notre modèle et que nous osions réfléchir différemment. Les règles n'étant plus les mêmes, il nous faut élaborer quelque chose de nouveau.

EDF a un certain nombre d'éléments à apporter dans le débat en tant qu'industriel commerçant responsable. Ces éléments concernent tout ce que le contrat de long terme permet de faire.

Il existe de nombreux contrats de long terme. On parle beaucoup de Corporate Power Purchase Agreements (Corporat PPA) dans le secteur des énergies renouvelables. Il s'agit de contrats de long terme entre un industriel qui crée une capacité de production renouvelable et une entreprise qui s'engage à acheter cette électricité sur le long terme. Ces contrats peuvent se répliquer dans d'autres domaines, et cela fait partie de la panoplie de co-investissements ou de partenariats industriels qu'EDF souhaite développer pour donner de la visibilité à ses partenaires industriels sur le long terme, y compris à partir de la capacité de production nucléaire.

En second lieu, il nous faut être capable de tirer l'ensemble de notre marché électrique vers le long terme. EDF a pris il y a plusieurs mois l'initiative d'aller vers la création d'un produit coté sur le long terme sur le marché électrique, permettant de donner des prix pour 2027 et 2028 accessibles à nos concurrents. Nous sommes donc prêts à vendre à nos concurrents sur ces horizons de temps. Les prix qui sortent sur ce marché de long terme sont aujourd'hui autour de 77 euros du MWh pour 2028 et autour de 83-85 euros du MWh pour 2027. La formation d'un prix normal n'est donc plus dans les « prix de guerre ».

Le fait d'avoir pris cette initiative nous permet d'aborder nos clients en ayant une discussion qui n'est pas limitée à la vente de l'électricité pour l'année prochaine ou pour l'année suivante et d'envisager d'emblée un horizon de long terme bien moins susceptible d'être affecté par la volatilité que nos structures commerciales actuelles. Ceci doit être complété par des instruments permettant aux pouvoirs publics de garder le contrôle du marché, notamment dans les situations tendues.

Ces discussions relèvent davantage d'instruments permettant aux pouvoirs publics de récupérer sur les producteurs - notamment EDF - une capacité de financement et de redistribution mise en oeuvre à partir d'un certain nombre de seuils en cours de discussion.

Il est impossible d'avoir une stratégie sans visibilité sur le modèle économique, à la fois pour les clients et pour les producteurs. C'est donc bien là-dessus qu'il faut se focaliser en premier.

Les outils que vous avez cités peuvent naturellement être appelés dans la stratégie de financement. Pour l'instant, il y a encore beaucoup de travail à faire. Je ne peux vous apporter de certitudes sur les modèles qui seront appelés pour le nouveau nucléaire. À ce stade, le groupe EDF n'aura pas les capacités de financer seul ces objets.

En effet, dans le monde électrique d'aujourd'hui, aucun investissement ne se fait sans une forme de soutien public. Si EDF pouvait y arriver seul, ce serait un miracle, mais nous ne sommes pas dans les bonnes conditions pour cela. Il faut donc une forme de garantie ou de soutien publics pour compenser l'absence de profondeur financière qui existe quand on doit aborder un programme de cette ampleur. Les marchés financiers n'ont pas aujourd'hui la capacité, même lorsqu'il s'agit d'un acteur public, de prendre des volumes de financement aussi importants sans une forme de garantie ou de soutien publics.

Je ne peux vous fournir à ce stade les paramètres ou les instruments qui seront utiles, mais il y en a beaucoup. Nous les examinons avec les administrations et le Gouvernement. Dès lors que nous aurons un modèle économique qui nous donne de la visibilité, nous pourrons accélérer ce travail.

Un mot sur la structure de marché. Elle maintient dans le futur un tarif réglementé de vente. Celui-ci n'est pas modifié par les nouvelles règles de marché européennes. Pour les clients non industriels ou ceux qui ne sont pas des entreprises, le tarif réglementé reste un élément de stabilisation et de protection.

Je reviens à la programmation énergétique du futur. Il est clair que nous allons vers davantage de besoins électriques parce que les usages électriques augmentent, à commencer par la mobilité, qui accélère son transfert vers l'électrification. Nous aurons donc besoin de davantage d'électricité.

Nous avons également un potentiel d'efficacité énergétique inexploité. Nous arriverons à tenir nos engagements si nous allons chercher ce potentiel. J'ai consacré plus de dix ans de ma carrière industrielle à ce métier : je sais que ce potentiel est extrêmement fort. Même si le métier d'EDF est de produire et de vendre des MWh, je pense qu'il faut poursuivre nos efforts d'efficacité énergétique dans l'intérêt du système.

S'agissant du mix électrique, il ne sera pas in fine défini ex ante par ce vers quoi nous devons converger. Nous avons besoin d'un système électrique qui fonctionne tout le temps. Chaque moyen de production a ses propres caractéristiques, et tous les moyens de production décarbonés ont un rôle à jour dans ce système électrique, qui doit simplement être résilient et utiliser la totalité de ses moyens de production.

Nous devons être capables, à l'horizon 2035, 2040, 2050, d'avoir un système qui répond à la demande de nos concitoyens, qui ne nécessite pas toujours la même puissance électrique disponible, mais que celle-ci soit au rendez-vous lorsqu'ils en ont besoin.

Nous avons face à cela des moyens de production décarbonés intermittents qui produisent quand les éléments le décident. C'est l'ensemble du renouvelable. Nous avons des éléments carbonés commandables, comme l'électricité électronucléaire et hydraulique. Nous avons même dans l'hydraulique des capacités de stockage que nous pourrons augmenter. Nous aurons d'ici là une forme de commandabilité associée à des formes de stockage, y compris une partie du véhicule électrique dont on pourra déplacer la charge en fonction des besoins.

Nous avons cependant besoin de continuer à développer la flexibilité de notre dispositif électrique pour qu'il soit résilient face à de plus en plus d'instabilité structurelle des consommations et des productions. C'est ce qui doit in fine déterminer notre stratégie en termes de mix de production. Nous y travaillons. L'intérêt des travaux de RTE vient de ce qu'ils donnent un éventail de possibilités fondées sur une analyse économique très sérieuse, qui permet de positionner les politiques publiques, mais également les travaux des opérateurs pour être en capacité de répondre à ces enjeux.

S'agissant des recrutements, nous sommes dans une phase d'accélération et de remontée en puissance industrielles. Après un an dans l'entreprise et après avoir rencontré beaucoup de clients, mais aussi de collaborateurs d'EDF et de partenaires industriels, je vois que la filière industrielle est prête pour remonter en puissance. Les compétences sont là. Elles ont été mobilisées à très brève échéance et à très grande échelle sur l'énorme chantier de CSC, même si l'impact de ce problème industriel a été fort.

La capacité de réagir et de structurer notre industrie est là. Il nous faut simplement monter en puissance pour les années qui viennent. Nous avons encore un peu de temps avant que la construction proprement dite des EPR2 soit à son pic.

Je rappelle qu'un tel chantier emploie 10 000 à 12 000 personnes sur site pendant la construction pour ce qui concerne le génie civil et l'intégration électromécanique. Il nous faut être au rendez-vous. C'est d'abord un travail territorial. Nous devons être capables de monter avec les élus des territoires correspondant l'ensemble des capacités humaines et des structures d'accueil permettant d'aborder ces chantiers - les plus grands d'Europe - pour être au rendez-vous au moment où la construction se fera.

Nous abordons cette préparation avec chaque territoire désigné. L'ensemble des recrutements nécessaires se fait de façon extrêmement organisée, du collège jusqu'à l'Université des Métiers du Nucléaire (UMN), ce qui nous amènera, je l'espère, à avoir beaucoup de jeunes collaborateurs formés au moment où nous en aurons besoin. Cela ne s'arrête pas là. Il faut que nous continuions à travailler sur notre propre organisation et sur la façon dont nous travaillons, au sein du groupe EDF et vis-à-vis de l'ensemble de nos partenaires industriels. C'est une filière que je connais pour ma part en tant que fournisseur. Nous avons engagé une transformation du groupe pour être prêt à aborder cette phase industrielle.

Je ne veux pas être trop long, mais les principes de cette transformation sont de renforcer les métiers concourant au succès industriel de ce projet, en commençant par la maîtrise d'ouvrage, qui a la capacité de dire ce que le client souhaite en tant que producteur d'électricité, et en créant à nouveau au sein du groupe EDF une grande direction de la construction, comme dans les années 1980-1990, au moment où EDF a raccordé au réseau jusqu'à quatre réacteurs par an mais qui, en l'absence de constructions à l'échelle, s'était dispersée à l'intérieur du groupe. Il nous faut recréer cette capacité de piloter la construction et les projets de façon industrielle.

Ensuite, il faut gérer les autres métiers au sein du groupe au meilleur niveau mondial, toutes industries confondues. Cela concerne le pilotage de l'ensemble de notre filière industrielle, l'ingénierie et nos propres activités industrielles qui sont autour de Framatome et, demain, d'Arabelle.

Enfin, nous portons une vigilance de tous les jours à l'écosystème, comme n'importe quel industriel tête de filière. Nous travaillons avec nos partenaires pour anticiper au maximum leurs besoins, leurs stratégies, leurs évolutions potentielles et, lorsque des situations particulières se produisent, nous suivons avec les pouvoirs publics l'évolution de chacun aussi bien que nous le pouvons. Nous avons donc suivi toutes les situations que vous avez citées.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - La parole est aux rapporteurs qui ont travaillé sur les différents travaux liés à l'énergie.

M. Daniel Gremillet, rapporteur sur le projet de loi « Nouveau nucléaire ». - Le Sénat a été un élément moteur de la loi d'accélération du nouveau nucléaire. Lorsque nous avons voté ce texte, EDF avait estimé le gain de temps à 56 mois. Est-on toujours dans cette perspective ?

Ma deuxième question concerne la fusion entre l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), qui va bientôt nous être soumise. Quel est votre point de vue à ce sujet ? Rencontrez-vous des difficultés dans vos relations avec l'autorité de contrôle ou l'experte en sûreté, et partagez-vous les lignes rouges fixées par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) dans son étude sur le sujet ? Je pense ici à la séparation des fonctions de contrôle et d'expert, à la publicité des décisions d'expertise, au maintien « en bloc » des activités de recherche ou à la prise en compte spécifique des activités commerciales et de défense.

Enfin, nous sommes à la croisée des chemins. L'énergie sera un élément stratégique pour la décarbonation et la réindustrialisation de la France. Or l'électricité en fait partie. Des décisions ont été prises sur la création de six nouveaux réacteurs. On sait que c'est largement insuffisant. Le Sénat avait d'ailleurs déjà pris position à ce sujet.

Nous avons besoin d'aller plus vite et plus fort sur le nucléaire, l'hydroélectricité et le renouvelable. Il faut les financer. Vous avez commencé à aborder cette question avec les contrats à long terme. On a besoin d'avoir une visibilité et une stabilité des prix pour les consommateurs électro-intensifs. C'est à ce prix que nous les garderons et qu'ils se développeront en France, mais il n'y a pas qu'eux. L'ensemble de l'économie est concerné.

On est tout prêt de la fin de l'Arenh. Je pense que nous gagnerions la réindustrialisation, mais elle n'apportera de réponse à la question de la neutralité carbone que si nous sommes clairvoyants et compétitifs sur le prix de l'énergie, notamment celui de l'électricité. C'est le cas dans le monde entier, et j'aurais besoin d'y voir un peu plus clair.

M. Pierre Cuypers, président de la mission d'information « Méthanisation : au-delà des controverses, quelles perspectives ? ». - Je souhaiterais connaître votre point de vue sur les futures lois de programmation énergétique et PPE.

La ministre chargée de la transition énergétique a annoncé, dans ce cadre, une hausse de la production d'électricité nucléaire, entre 360 et 400 TWh, ainsi qu'une multiplication totale par 2 voire 3 du solaire et une augmentation annuelle de 2 GW de l'éolien. Cela vous paraît-il faisable ? Il nous semble que la production nucléaire n'a pas dépassé 279 TWh en 2022, que la multiplication prévue pour le solaire est inférieure à celle de 4 à 5 proposée par RTE, et que l'augmentation prévue pour l'éolien est supérieure à celle de 0,7 à 1,5 GW suggérée par RTE.

Que pensez-vous des énergies décarbonées omises de ses annonces gouvernementales ? Les filières nous avaient soumis, pour 2030, des objectifs de 27,5 GW de capacités pour l'hydroélectricité, 680 000 tonnes de production pour l'hydrogène et 80 TWh de production pour le biogaz. Nous les avons soutenus, dans nos travaux législatifs comme de contrôle. Les hypothèses de RTE s'élèvent jusqu'à 28 GW pour l'hydroélectricité, 800 000 tonnes pour l'hydrogène et 10 TWh pour les bioénergies. Pouvez-vous nous préciser votre vision sur ces énergies ? Ne doit-on pas faire davantage en direction de l'hydroélectricité ? Et pour quelle stratégie faut-il opter en matière d'hydrogène ? Faut-il le produire ou l'importer ?

M. Franck Menonville. - Monsieur le président, je voudrais recueillir votre avis sur l'application de la loi « Accélération de la production d'énergies renouvelables ».

Ce texte a introduit de nombreuses dispositions en faveur des énergies renouvelables. Il a simplifié l'implantation et le raccordement des projets, avec l'introduction de zones d'accélération, de comités de projets et la révision des schémas régionaux de raccordement. Il a rénové les appels d'offres en leur appliquant un bilan carbone et une contribution territoriale. De nouveaux outils de financement ont aussi été institués, tels que des contrats de long terme ou des prises de participation.

À l'initiative du Sénat, un cadre législatif a été conféré à l'agrivoltaïsme, tandis que des souplesses administratives ont été appliquées à l'hydroélectricité et à l'hydrogène. Enfin, la décarbonation des zones non interconnectées (ZNI) a été promue, en substituant de la biomasse aux énergies fossiles dans les centrales thermiques outremer. Quel est l'avis d'EDF sur ces novations ?

Si ce texte a rénové le cadre législatif des concessions hydroélectriques, il n'a pas, s'agissant des augmentations de puissance et du financement des investissements, répondu au contentieux européen qui obère les perspectives du secteur depuis plus de vingt ans. Le regroupement des activités hydroélectriques de votre groupe dans une quasi-régie et le basculement du régime des concessions vers celui des autorisations ont, tour à tour, été envisagés par la presse. Quelle est la piste privilégiée à date ? Quand sera-t-elle mise en oeuvre ?

Enfin, un dernier point : au-delà des énergies renouvelables, quelle place doivent occuper les SMR dans la relance du nucléaire ?

M. Jean-Jacques Michau, rapporteur de la mission d'information « Nucléaire et hydrogène : l'urgence d'agir ». - Monsieur le président, je souhaiterais vous interroger sur le rapport de la mission transpartisane « Nucléaire et hydrogène : l'urgence d'agir » de juillet 2022, conduite avec mes collègues Daniel Gremillet et Jean-Pierre Moga.

Parmi nos propositions, nous avons appelé à garantir à l'énergie et à l'hydrogène nucléaires une complète neutralité technologique dans le cadre des textes européens : la taxonomie verte européenne, la directive sur les énergies renouvelables ou le règlement sur la réforme du marché de l'électricité.

Les compromis trouvés, s'agissant de l'inclusion de l'énergie nucléaire à la taxonomie ou de l'hydrogène nucléaire à la directive, vous semblent-ils suffisants pour garantir la compétitivité des activités de votre groupe ?

Les outils de financement de long terme proposés dans le cadre de la réforme du marché de l'électricité, tels que les contrats pour différence ou les accords d'achat d'électricité, vous paraissent-ils adaptés pour le nucléaire, nouveau comme existant ?

Pour notre part, si nous saluons les avancées réalisées, il nous semble que les conditions fixées sont, tout à la fois, ambiguës et restrictives.

M. Fabien Gay, rapporteur de la mission d'information « Mieux prévenir et réprimer la fraude à l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh) ». - Permettez-moi tout d'abord d'avoir un mot pour l'agent d'Enedis qui est décédé, ainsi que pour sa famille et ses camarades. On ne le dit pas assez souvent, mais les gaziers-électriciens, comme beaucoup de métiers qui agissent pour le service public, payent parfois leur engagement de leur vie. Ce sont d'ailleurs les mêmes qu'on brocarde lorsqu'ils agissent pour défendre leurs droits. Ils ont aussi tout mon soutien.

Monsieur le président, votre principal problème, ce sont ces 60 milliards de dettes. Il faut produire, investir et rendre service. Comment faire avec l'Arenh ?

Notre mission - Mme la présidente l'a rappelé - préconisait d'augmenter le prix, tout en restant sous le même quota. Personnellement, je pense qu'il faut en finir avec ce système, qui a sucé le sang d'EDF et n'a pas permis la concurrence promise. La réforme de l'Arenh va occuper EDF comme les Parlementaires pendant un an. Quelle est donc votre vision ? Personne ne nous regarde : vous pouvez vous lâcher ! Vous dirigez une entreprise nationale ré-étatisée, avec un actionnaire unique, l'État. On sait le débat que vous avez avec celui-ci. Nous sommes de tout coeur avec vous.

Concernant le marché, je ne crois pas qu'on puisse avoir un marché ouvert aux quatre vents, avec des entreprises privées et un EDF étatisé. L'électricité ne peut pas être sur le marché. Il n'y a pas de marché sans stock : on produit, on consomme. Je pense personnellement qu'il faut aller vers un grand service public et renationaliser Engie et TotalEnergies.

On a en effet un problème qui vient du fait que le prix ne se rapproche plus du coût. Les contrats pour différence et les PPA sont en réalité faits pour sauver le marché, mais je pense qu'il faut sortir du marché européen. On est au centre des interconnexions. Si on en sort, il n'y a plus de marché européen. On ne peut s'en sortir autrement avec 12 millions de précaires énergétiques. Quelle est votre vision à propos du retour des tarifs réglementés pour les collectivités territoriales et les petites et moyennes entreprises (PME) ? Tout cela est-il réalisable si EDF ne se concentre pas sur le territoire national et continue de s'occuper de questions internationales, compte tenu des 60 milliards de dettes ?

M. Luc Rémont. - Monsieur le sénateur Gremillet, la loi d'accélération du nucléaire est un vrai plus, car elle offre notamment la capacité de gérer en parallèle toute la phase de préparation des projets, sur lesquels nous avions jusqu'ici des problématiques d'autorisation en série. En parallélisant les processus nous avons effectivement gagné beaucoup de temps. Je ne sais pas vous dire s'il s'agit de 56 mois. Soyez-en remerciés.

Concernant l'ASN et l'IRSN, vous permettrez à l'entreprise contrôlée d'observer une réserve sur la façon dont elle doit être contrôlée, sur une réforme aussi essentielle pour la sûreté nucléaire. Ce que je peux dire simplement, c'est que nous devons, compte tenu des enjeux, fonctionner comme nous le faisons aujourd'hui avec l'ASN et l'IRSN mais avec une vision d'organisation et de fluidité du travail cohérente avec l'ambition industrielle que nous avons, qui est de construire beaucoup et d'opérer un parc qui en même temps a besoin de continuer à se moderniser.

La façon dont l'ASN et l'IRSN, ensemble, s'organiseront pour permettre de poursuivre la relation de confiance que nous avons avec l'un et l'autre avec des outils devant faciliter le travail en commun, nous permettra de relever l'un des défis fondamentaux de l'industrie nucléaire, qui est de gérer en toute sûreté, dans un temps compatible avec nos défis industriels, l'ensemble des enjeux qui sont devant nous.

S'agissant des besoins en énergie, même si nous avons en France l'énergie électrique la plus décarbonée au monde, deux tiers de l'énergie consommée est carbonée. L'enjeu principal est de faire le plus vite possible, et cela inclut plus de capacités électriques. Notre situation est assez simple. Si nous voulons être sérieux, il faut aller chercher les deux tiers de la consommation carbonée. Cela suppose de faire le maximum partout.

Monsieur le sénateurs Cuypers, merci de vos questions sur la loi de programmation énergétique. EDF n'est que l'opérateur industriel d'une partie de l'énergie française et n'a pas la visibilité ni même les données que seuls les pouvoirs publics peuvent agglomérer en matière de prévisibilité. C'est donc bien aux pouvoirs publics de définir la trajectoire de nos besoins énergétiques et les options que nous devons aller chercher.

S'agissant de notre capacité à produire, nous étions à 279 TWh. Nous serons cette année dans la fourchette de 300 à 330 TWh. Nous continuerons d'augmenter l'année prochaine et l'année suivante, notre objectif étant d'atteindre 360 à 400 TWh, en intégrant le raccordement de Flamanville et en continuant à travailler sur la puissance disponible sur les réacteurs existants, puisque nous avons la capacité d'augmenter marginalement la puissance. Une augmentation, même marginale, sur l'ensemble des réacteurs, ce n'est pas rien.

Cet objectif de 400 TWh, qui peut paraître un peu mythique, n'a été atteint que durant quelques années lorsque le parc était jeune ; je considère qu'il s'agit d'un objectif managérial devant être poursuivi dans les années qui viennent.

S'agissant des modes de production autres que le nucléaire, il est difficile de faire des projections sur ce qui se passera. Aujourd'hui, le solaire décentralisé a une courbe d'accélération réelle qui permet à notre pays de rattraper ou, en tous cas, de suivre celle des pays qui n'ont pas la chance de disposer d'un parc nucléaire stable depuis longtemps ou qui ont des expositions solaires plus importantes que nous. Par exemple, l'autoconsommation des particuliers va doubler en 2023 par rapport à 2022 et une centaine de milliers de clients de plus vont être raccordés en autoconsommation par rapport à l'année dernière. Ce potentiel permet à beaucoup de clients d'abaisser leur facture électrique. C'est certes un investissement, mais cela minore la facture électrique et fait partie des éléments de production disponibles à l'échelle du pays.

Cette partie solaire a une dynamique extrêmement forte et rejoint celle que j'ai pu observer dans mon métier précédent, dans des pays comme l'Australie ou autres, qui sont bien plus avancés, ce qui vient avec les problématiques de stabilité et de gestion de l'intermittence, auxquelles nous devrons apprendre à faire face.

Vous avez parlé de l'hydroélectricité : celle-ci fait partie des potentiels qui ne sont pas complètement exploités dans notre pays. Nous avons, sur le seul périmètre d'EDF, probablement 3 GW de potentiel sans création de nouveaux barrages, en améliorant la puissance disponible grâce à la rehausse du barrage, ce qui permettrait d'avoir davantage de productible commandable décarboné disponible et une faculté de retenue en amont pour des usages autres. Cela permettrait d'adapter les régions du Sud au changement climatique.

Pour cela, il faut un certain nombre d'évolutions du cadre juridique dans lequel nous opérons dans l'ensemble du secteur puisque, à ce stade, le régime des concessions lui-même bloque l'investissement en réalité. Le sujet n'est pas de renouveler telle ou telle autorisation mais il faut donc être capable d'imaginer un nouveau régime adapté aux besoins de davantage d'hydroélectricité et de retenues d'eau pour des besoins de soutien d'étiage ou d'usage différencié de l'eau.

Nous avons beaucoup travaillé pour ce faire avec les administrations et les pouvoirs publics. Nous proposons d'aller dans la direction du régime d'autorisation, qui est à très large échelle le plus utilisé en Europe et qui permet de dépasser cette problématique. Ce n'est pas simple. Le travail est en cours, et il appartiendra au Gouvernement de décider du choix le plus adapté pour notre pays.

Concernant l'hydrogène, celui-ci est à un stade de maturité industrielle qui n'est pas comparable aux autres. Il doit évidemment prendre sa place dans l'ensemble des dispositifs d'énergie décarbonée. L'hydrogène a besoin d'être produit et utilisé. Nous participons, au travers de notre filiale Hynamics, à un certain nombre de projets de production et d'utilisation d'hydrogène, qui a besoin d'un modèle économique.

Pour l'instant, pour des raisons de maturité technologie ou de modèle économique - et souvent les deux -, les projets sont préindustriels, consistent en des démonstrateurs et portent sur des puissances de dizaines de MW ;ces projets sont, la plupart du temps, couplés à un usage industriel immédiat, soit du transport, soit de l'usage d'hydrogène décarboné. Ce sont des projets intéressants dont nous apprenons beaucoup. La principale question que nous nous posons est de savoir comment passer à l'échelle.

Pour être capable de produire des dizaines de TWh, il faut franchir cette première étape. Il n'y a pas de raison que nous n'y arrivions pas. D'autres secteurs y arrivent depuis longtemps - nucléaire, énergies renouvelables. Ils ont commencé par des projets de démonstrateurs et ont connu une montée en puissance industrielle. Nous souhaitons évidemment être au rendez-vous de ces enjeux. Pour l'instant, il nous semble que cette filière est au stade préindustriel.

Monsieur le sénateur Menonville, s'agissant des énergies renouvelables, je répète qu'il nous faut davantage de production électrique, quelle qu'elle soit, mais dans un système équilibré, en gardant un oeil vigilant car s'il existe trop d'énergie intermittente, on ne peut compenser pour assurer la stabilité du réseau en permanence. L'accélération des énergies renouvelables est donc parfaitement souhaitable et la loi permet de le faire. On le voit dans différents domaines. Le consensus doit être travaillé pour que la production au sol d'éolien ou de solaire soit admise et comprise - et ce n'est pas toujours facile.

Celle qui a la plus grande progression est celle, la plus consensuelle, qui est basée sur des zones déjà artificialisées. Nous constatons dans ce domaine une très forte accélération. Elle permet de disposer d'une puissance disponible supplémentaire. En outre, les clients, particuliers ou entreprises, dès lors qu'ils deviennent producteurs, font attention à leur consommation. Cela permet également de réaliser des pas gigantesques dans le sens de l'efficacité énergétique.

Quant à la décarbonation en ZNI, il s'agit évidemment d'une problématique fondamentale. Nous étudions chaque territoire un par un, avec l'objectif d'être en avance sur la France hexagonale par rapport au zéro carbone.

Je suis très heureux, après un long parcours parsemé de procédures diverses, d'avoir enfin lancé le chantier de la centrale de Larivot, en Guyane, qui est essentiel pour l'équilibre du réseau électrique guyanais, soumis à nombre de difficultés et totalement décarboné. Notre objectif est d'être, sur chaque territoire, parmi les premiers à être à zéro carbone en matière de production électrique.

Monsieur le sénateur Michau, pour ce qui est de la neutralité technologique, je sais que c'est un combat de chaque instant, mené avec beaucoup d'opiniâtreté par l'ensemble des pouvoirs publics et, en particulier, par la ministre de l'énergie. Il faut en permanence faire preuve de vigilance.

Nous ne sommes qu'un opérateur industriel, mais nous pouvons contribuer à la vigilance, et vous pouvez compter sur nous. Dès lors qu'on est d'accord sur l'objectif de décarbonation, tout ce qui y concourt doit être considéré de façon homogène.

S'agissant des financements, la « boîte à outils » est assez large et bien fournie. Tous les éléments peuvent être utiles à un moment. Ce qui détermine l'intérêt d'utiliser tel ou tel instrument - contrats pour différence, garanties -, ce sont les circonstances particulières à chaque projet, à chaque industriel ou à chaque situation, qui peuvent être assez nombreuses et diverses en Europe.

Cette approche est plutôt positive. Elle a contribué à dépassionner le débat européen sur « qui aide quoi ? », générateur de frictions, de délais et d'imperfections en termes de développement d'infrastructures énergétiques, notamment décarbonées.

M. le sénateur Gay m'a invité à me lâcher. Je ferai preuve d'un contrôle irréprochable, malgré la tentation à laquelle vous me soumettez. J'espère avoir répondu sur la façon dont nous pouvons aborder le futur. Il est clair qu'un système dans lequel l'opérateur industriel a l'obligation de vendre les deux tiers de sa production nucléaire en dessous de ses coûts n'a pas d'avenir.

Ce dispositif prend fin légalement en 2025. Tout le travail en cours est destiné à trouver un remplacement qui satisfasse l'ensemble des parties prenantes. Des règles où EDF serait libre de faire ce qu'il veut sans tenir compte des clients ne dureraient pas longtemps. Il nous faut donc donner de la pérennité, de la stabilité et de la visibilité à tout le monde.

Cela peut-il s'inscrire dans l'économie fixée il y a dix ou douze ans, qui n'a pas bougé depuis ? Non, ce ne peut être le cas. Cela doit-il s'inscrire dans une économie qui permette une vision à long terme ? Oui, c'est d'abord notre objectif. Ceci est bon pour les clients et bon pour EDF. C'est pourquoi nous poussons dans cette direction. Cela doit naturellement être complété par des garanties ou des capacités de contrôle données aux pouvoirs publics pour demeurer dans des domaines cohérents avec notre économie de l'électricité et celle d'EDF.

Vous poussez le raisonnement jusqu'à imaginer un autre mode d'organisation. En tant que chef d'entreprise, je crois que je saurais comment gérer EDF dans un monopole régulé, en ayant la totalité de la capacité de production électrique du pays. Cela a bien fonctionné un certain nombre d'années. Mais il se trouve que ce n'est pas le monde dans lequel nous sommes. On a créé un marché européen, dont nous avons aussi bénéficié. L'année où il a fallu importer beaucoup d'électricité en raison d'un problème industriel, nous avons été contents de pouvoir en disposer. Les autres années, dont cette année, durant lesquelles on a exporté entre 7 et 15 GW par jour vers nos voisins, nous n'étions pas mécontents non plus.

M. Fabien Gay. - Vos prédécesseurs exportaient depuis 1977 !

M. Luc Rémont. - Mais cela fonctionnait moins bien.

Il faut être capable d'inventer des règles qui fonctionnent dans ce monde - et je pense que nous n'en sommes pas loin. C'est donc là-dessus que nous travaillons.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - La parole est aux commissaires.

M. Pierre Médevielle. - Les discussions sur l'Arenh sont au coeur de l'actualité. Le nouveau mécanisme vers lequel on se dirige est celui des contrats pour différence. Le règlement européen en cours de discussion parle aussi de prix plancher au cas où la situation de marché se renverserait et qu'il faille aider EDF si les prix sont trop bas. Néanmoins, la mise en place d'un prix plancher ne semble pas encore actée.

Si nous n'avons pas de prix plancher, que se passera-t-il si les prix baissent soudainement et entraînent des pertes pour EDF et une nécessaire intervention de l'État et des contribuables français ?

Pouvez-vous nous confirmer que vous oeuvrez pour la mise en place d'un plancher, comme le règlement européen nous y invite ?

M. Serge Mérillou. - Monsieur le président, allez-vous, avec RTE, prendre un certain nombre d'initiatives pour accélérer la mise sous terre des lignes électriques qui posent problème ? C'est aussi le rôle d'EDF.

Concernant l'Arenh, si je m'en tiens au rapport de l'ancienne présidente de la commission des affaires européennes, Sabine Thillaye, qui date de 2021, l'Arenh « explique en grande partie la situation déficitaire d'EDF. Ce mécanisme affaiblit l'entreprise publique et limite ses revenus ». Qu'attendez-vous concrètement de la fin de l'Arenh en tant que prédisent d'EDF ? Quelle option privilégiez-vous dans le mécanisme de fixation des prix et comment la fin de ce dispositif peut-elle être selon vous une opportunité pour renforcer notre souveraineté énergétique ?

Enfin, pourquoi ne pas utiliser 2025, qui est un moment important, pour freiner ou revenir sur la libéralisation du marché de l'énergie ? Quelle place doit jouer selon vous l'État dans le processus de régulation des prix ?

M. Luc Rémont. - S'agissant du prix plancher, nous disposons d'une « boîte à outils » qui est permise par le règlement européen. Il n'y a aucune obligation d'utiliser telle ou telle partie de cette « boîte à outils ».

Nous avons devant nous un certain nombre de sujets qu'il nous faut traiter. Le premier, c'est la fin de l'Arenh : que faisons-nous après ? Le deuxième, c'est de savoir comment financer nos futurs réacteurs. La boîte à outils doit être utilisée pour ce qu'elle apporte à l'ensemble de ces questions.

La discussion sur le post-Arenh nous conduit à regarder, dans la « boîte à outils », ce qui permet de tirer nos relations commerciales le plus possible vers le long terme. C'est en effet l'instrument commercial, sans aide de l'État, qui apporte la meilleure garantie aux clients et à EDF. Cela ne suppose pas que nous ayons une discussion en matière d'aides d'État.

S'agissant des contrats pour différence, à partir du moment où il y a un prix plancher, que ce soit sur un futur projet ou sur un actif existant, celui-ci doit être négocié comme une aide d'État. Or il peut y avoir des contreparties concernant l'entreprise ou d'autres paramètres.

La discussion actuelle est destinée à trouver le meilleur chemin possible, à la fois sur le post-Arenh sur nos actifs existants et sur le financement du futur, en ayant un chemin soutenable pour EDF, économiquement et industriellement. Un accord commercial et industriel, à la plus large échelle possible, tirant nos relations vers le long terme, est ce qu'il y a de meilleur pour les clients et pour nous. Cela doit être complété par un pouvoir de contrôle, qui reste dans la main des pouvoirs publics, pour surveiller le marché dont EDF et leur donner la capacité d'intervenir pour compléter ce que le marché ne ferait pas bien.

Je crois que je réponds par là même à la question sur l'Arenh - je l'espère en tout cas.

Concernant RTE et l'enfouissement, je ne me sens pas compétent pour ce qui est des lignes très haute tension, qui constituent une problématique particulière. En revanche, s'agissant des lignes basse ou moyenne tensions d'Enedis, qui sont les plus touchées par les chutes d'arbres, l'enfouissement est déjà réalisé à l'échelle industrielle. 98 % des chantiers que nous faisons depuis 1999 sont enfouis.

Néanmoins, il existe des dizaines de milliers de kilomètres de lignes existantes qui, pour une partie, ne sont pas enfouissables, par exemple lorsqu'on est en présence de rochers. Enfouir la totalité du réseau nécessiterait un temps extrêmement long. Pour autant, on a fait passer la quote-part du réseau de distribution enfoui, en passant de plus de 30 % en 1999 à 50 % aujourd'hui. Nous sommes en cela dans la moyenne européenne. Certains pays plus denses que la France ont évidemment des taux d'enfouissement plus élevé parce qu'ils sont urbains ou périurbains dans leur quasi-totalité. Nous nous rapprochons des pays qui ont la même densité que la nôtre.

Nous avons beaucoup progressé depuis 24 ans en matière d'intervention, de planification et d'identification des problématiques de coupure. Enedis est reconnu, année après année, comme le meilleur réseau mondial, notamment en matière de capacité de pilotage. Un organisme indépendant considère notre réseau comme le plus intelligent au monde.

L'impact de la dernière tempête sur la Bretagne et la Normandie représente trois fois celui de la tempête de 1999. Marianne Laigneau, la présidente du directoire d'Enedis, a utilisé le terme « haché menu » : c'est exactement ce qui s'est passé. Tout est détruit dans certains endroits du réseau. En l'occurrence, l'enfouissement n'aurait pas changé grand-chose, puisque ce sont les postes eux-mêmes qui ont été détruits. Il nous faut donc pouvoir reconstruire très rapidement. Ce qui fait la différence aujourd'hui par rapport à 1999, c'est que nous disposons d'une planification mais aussi de systèmes d'information qui permettent de savoir exactement où se passe le problème. Nous sommes capables d'aller très vite à l'endroit où la coupure a eu lieu.

Le deuxième élément, c'est l'anticipation. Grâce à l'initiative de mon prédécesseur, François Roussely, qui a créé des forces d'intervention rapides de l'électricité après la tempête de 1999, nous avons pu mobiliser 3 400 personnes avant même que la tempête n'ait lieu.

Les gens étaient sur place, avec des hélicoptères, au moment où les dégâts ont eu lieu et ont pu intervenir dès que le vent a baissé.

M. Sébastien Pla. - Monsieur le président, vous avez évoqué, à propos des échanges que vous avez avec le Gouvernement, la possibilité de barèmes pour récupérer une partie des bénéfices d'EDF sur le marché de gros en se basant sur un prix de 140 euros le mégawatt via un contrat pour différence. Certaines estimations font état de chiffres pouvant aller jusqu'à 7 milliards d'euros sur une année.

Compte tenu des prix élevés de l'électricité et de la nécessité de soutenir les entreprises, le tissu économique français et les ménages, ne faudrait-il pas mieux agir sur le prix plutôt que de générer autant de bénéfices ?

Par ailleurs, dans son bilan prévisionnel de 2023, RTE considère que la France a les moyens de nourrir une double ambition de réindustrialisation et de décarbonation de l'industrie grâce à une électricité décarbonée et compétitive. Pour ce faire, quel niveau de prix visez-vous pour réussir cette réindustrialisation, sachant que le gouvernement allemand appelle à un prix cible de 60 euros par mégawatt pour ses industries ? Malgré notre parc nucléaire, pourra-t-on conserver pour notre industrie un avantage compétitif sur nos voisins allemands ?

M. Yannick Jadot. - Monsieur le président, heureux que vous n'ayez pas encore démissionné - mais il paraît que les négociations se déroulent bien. Tant mieux !

Vous avez dit qu'il vous fallait définir l'objet que vous voulez construire. À quel pourcentage évaluez-vous l'état d'avancement de conception d'un EPR2 ?

Par ailleurs, comment arrivez-vous à donner le prix au MWh d'un EPR2 avec une telle incertitude sur l'objet que vous voulez construire ? On entend des chiffres inférieurs à celui que vous réclamez pour le nucléaire amorti, ce qui est toujours un peu surprenant.

Quel pourcentage de votre investissement donnez-vous entre le nucléaire et les énergies renouvelables, pour les cinq à dix ans à venir ?

Enfin, nous sommes dans un monde très instable. On parle beaucoup de « dérisquer » nos investissements en Russie. Comment évaluez-vous votre stratégie de réduction du risque vis-à-vis de la Russie ou des pays sous emprise, que cela concerne le nucléaire ou d'autres technologies ?

M. Luc Rémont. - Monsieur le sénateur Pla, l'ordre de grandeur de 140 euros du mégawattheure n'est pas dans l'épure de ce que nous imaginons.

Tout le monde a en tête les travaux de la CRE sur l'estimation des coûts d'EDF, y compris la façon dont il faut les interpréter. La présidente de la CRE elle-même a indiqué que ces travaux étaient réalisés dans l'hypothèse où EDF aurait un prix fixe, ce qui n'est pas le cas, nous avons bien évidemment un prix mobile. Les coûts d'EDF, sur la partie nucléaire historique, sont au-dessus de 60, proches de 70. Voilà un ordre de grandeur qui définit notre économie sur le parc existant.

Il nous faut naturellement être capables de vendre en moyenne notre électricité un peu au-dessus, pour contribuer au financement de notre continuité d'exploitation, c'est-à-dire du renouvellement du parc à partir d'actifs nouveaux. Nous avons des discussions, dans ces niveaux-là, qui permettent d'avoir, je l'espère, un cadre soutenable pour le pays et pour EDF.

Tout le monde n'a pas besoin de la même électricité. Un industriel qui a besoin d'une grande quantité d'électricité est capable de passer un accord avec EDF dans lequel il prend des risques de production, d'effacer sa propre consommation de façon immédiate ou de façon prédictive, et de s'engager sur quinze ans. Cela nous permet d'avoir une discussion d'industriel à industriel. Un particulier n'a pas le même type de besoins ni les mêmes capacités pour qu'EDF forme un prix aux mêmes endroits. Il nous faut être capable d'établir une distribution de prix qui reflète la nature différente de ces relations et de ces clientèles.

Dans ce cadre, nous souhaitons avoir l'électricité la plus compétitive possible pour les industriels - pas seulement électro-intensifs. Cela fait partie des objectifs stratégiques du pays, annoncés par le Président de la République dès son discours de Belfort, dans lequel s'inscrit bien évidemment le groupe.

Monsieur le sénateur Jadot, notre EPR2 est à un stade de conception détaillé. Je ne sais pas quel parallèle je peux faire pour représenter ce qu'est la conception détaillée. J'ai tendance à choisir la cuisine Ikea comme point de comparaison.

On est à ce stade à 80-90 % des objets essentiels du réacteur. Pour monter une cuisine Ikea, il faut disposer de tous les éléments, y compris les plus petits.

M. Yannick Jadot. - Ces éléments finissent toujours par terre !

M. Luc Rémont. - Nous entrons dans la phase de conception, jusque dans le détail du schéma d'exécution. Cela répond en partie à votre question sur le prix, qui représente l'objet que l'on conduit, le temps qu'on y met et sa structure de financement. Il nous faut encore un peu travailler sur l'objet - ce qu'on fait avec l'ensemble de la filière industrielle -, et beaucoup sur le temps et sur la structure de financement.

C'est pourquoi nous devons nous focaliser stratégiquement sur la performance des objets récurrents que nous atteignons pour faire en sorte qu'ils soient dans la zone de performance souhaitée à cet horizon de temps.

Suis-je capable de dire quelle sera la zone de performance de l'électricité en 2040 ou en 2050 ? Si j'étais capable de le dire, peut-être ne ferai-je pas ce métier. Nous devons tout faire pour être capables d'être au rendez-vous. Pour cela, il nous faut travailler sur ces trois paramètres. C'est l'objet de la phase d'optimisation dans laquelle nous entrons.

Nous sommes aujourd'hui dans une phase intense du projet Hinkley Point C au Royaume-Uni, qui nous permet d'être au rendez-vous. Notre équilibre d'investissement est de 65 % pour la France et de 35 % hors France. L'ensemble des enjeux de la transition énergétique française vont nous amener à 80 % pour la France. Cela ne veut pas dire que nous ferons moins à l'international. Nous ferons différemment.

Nous sommes dans un métier qui attire beaucoup d'investisseurs mais qui possède peu de savoir-faire. Il se trouve que nous avons ce savoir-faire et que nous sommes capables de travailler depuis longtemps - mais nous allons le faire à plus grande échelle - avec des co-investisseurs et une quote-part d'EDF beaucoup plus faible.

Pour ce qui est des pourcentages des investissements dans le nucléaire et les énergies renouvelables, je pense que le ratio doit se situer à environ 70-30 au sein des investissements de production d'EDF.

Enfin s'agissant de la réduction du risque vis-à-vis de la Russie, nous ne sommes pas dépendants. Nous avons la capacité - que peu de pays ont, y compris les grandes puissances - de traiter l'ensemble de la filière amont-aval, construction comprise. Dans l'ensemble de nos métiers. Cela suppose de la vigilance, mais nous ne sommes pas dépendants d'industriels liés à la Russie, en quoi que ce soit. Cela ne veut pas dire que nous n'avons pas d'utilité à travailler avec tel ou tel, dès lors que nous sommes à 100 % compatibles avec les régimes de sanctions. Nous ne sommes pas et nous ne nous mettrons jamais en situation de dépendance, sur aucune de nos technologies.

Mme Sylviane Noël. - Monsieur le président, concernant les concessions hydroélectriques, vous militez pour le passage du régime concessif au régime d'autorisation. Pensez-vous que cette solution permette de solder définitivement le contentieux entre la France et la Commission européenne à ce sujet ?

Mme Martine Berthet. - J'aimerais revenir sur les enjeux des discussions actuelles avec les industriels, particulièrement les électro-intensifs et les hyper électro-intensifs.

Il faut bien sûr des prix fixés ex ante et non ex post pour assurer une meilleure visibilité, mais le plafond est encore trop haut pour que les industriels puissent être compétitifs à l'international et répondre aux enjeux de décarbonation de leur production.

Quelle est votre vision à ce sujet ? Ne pensez-vous pas que le temps est venu, à côté des contrats à long terme de type contrat d'allocation de production nucléaire (CAPN), qui concerneraient un petit nombre d'industriels qui en ont vraiment besoin, de lancer la deuxième phase d'Exeltium, solution déjà disponible et déjà négociée et validée par la Commission ?

M. Luc Rémont. - Madame la sénatrice Noël, la réponse à propos du contentieux est oui, selon nos analyses. Il faudra naturellement que nous partagions ces analyses le moment venu, avec les autorités européennes. C'est au Gouvernement de décider d'un schéma, des modalités et des calendriers.

Madame la sénatrice Berthet, la discussion avec les industriels et les fédérations de l'industrie est intense, à juste titre, et a lieu tous les jours, plusieurs fois de suite. Notre mission est de faire réussir l'industrie française, pas seulement EDF. C'est le chemin que nous essayons de trouver.

Le point fondamental pour réussir tous ensemble à ce stade est d'être capable de trouver un équilibre contractuel qui fonctionne avec différentes catégories d'industriels. Encore une fois, les besoins ne sont pas les mêmes en fonction des différentes catégories.

Vous avez parlé des CAPN. Ce sont des partenariats industriels qui constituent une forme de mutualisation de production avec des risques partagés. C'est un des outils possibles. Au-delà, les industriels peuvent utiliser également les fameux contrats à cinq ans, qui peuvent compléter les partenariats industriels.

En général, quand un industriel achète du cuivre ou de l'électricité, il regarde ce qui est à sa disposition et comment couvrir ses besoins à long, moyen et court terme, en optimisant l'ensemble des conditions d'achat sur la durée. Ce que nous voulons proposer aux industriels d'abord, ce sont les outils permettant de répondre à l'objectif de compétitivité.

Pour un grand nombre, ces échanges relèvent de la discussion commerciale. Nous avons évidemment une approche qui permettra à nos concurrents, à l'horizon de cinq ans, d'offrir la même chose puisqu'ils peuvent se sourcer aux mêmes conditions.

Une approche de type consortium, comme Exeltium, est-elle possible ? Elle l'est lorsqu'il existe une valeur ajoutée, comme le fait de permettre à des clients qui n'auraient pas la taille critique individuellement de se grouper parce qu'ils ont un intérêt similaire - un même type de consommation, un même type d'effacements - pour former un partenariat industriel avec nous. Nous y sommes ouverts.

Exeltium stricto sensu doit-il être répliqué ? Je ne veux pas me lancer dans le débat technique. Certains éléments, de notre point de vue, ne sont pas optimaux et n'ont pas forcément atteint les objectifs recherchés à l'origine, mais nous travaillons tous les jours sur le principe d'accepter plusieurs types de clientèles, notamment les plus petites et les moyennes.

M. Rémi Cardon. - On a parlé des investissements massifs et du choix politique qui est derrière, simple mais plutôt coûteux : selon RTE, on est en effet autour de 25 à 35 milliards d'euros par an.

En matière de planification écologique, dont vous avez parlé de manière assez conséquente, on va devoir accélérer la sobriété collective en recourant aux transports en commun, que ce soit en zone rurale ou périurbaine, et aux bornes de recharge. On va devoir également accélérer la relocalisation sectorielle des emplois et les investissements individuels avec l'électrification des usages.

Vous avez une certaine proximité avec le bras droit du Président de la République. Je suppose que vous aurez l'occasion d'organiser des dîners. Je voulais vous proposer de méditer une citation d'Harry Bernard : « La manière d'utiliser l'énergie dépend de la structure économique et sociale du pays, structure qui devra évoluer radicalement dans la décennie à venir face à l'urgence climatique ».

Ma question est simple : cette électrification est-elle compatible avec l'adaptation de la société dans le court délai imposé par le changement planétaire ?

M. Philippe Grosvalet. - Je voudrais revenir sur la tempête pour saluer le travail et l'engagement de l'ensemble des salariés d'EDF, des entreprises et des agents du service public. On ne le fait jamais assez, surtout lorsqu'ils accomplissent leurs tâches au péril de leur vie.

J'ai bien noté que vous évoquiez la capacité que vous avez à repérer en amont les points de vulnérabilité, mais êtes-vous capable de le faire à plus long terme en considérant qu'à la foi les phénomènes climatiques que nous connaissons dans l'Ouest seront bien plus fréquents et surtout violents ? Je suis sénateur de Loire-Atlantique : des vents à 70 noeuds ou à plus de 120 noeuds ne sont pas tout à fait la même chose.

Pouvez-vous mesurer votre capacité, non à réparer, mais à investir pour que l'ensemble des éléments de production, de transport et de distribution puisse résister à des phénomènes plus violents ? Connaissant les capacités d'investissement dans la production dont nous avons parlé, aurez-vous encore quelques capacités, avec RTE, à faire face à ces phénomènes ? Produire, c'est bien, mais les Français seront attentifs à ce que l'électricité parvienne jusqu'à leur domicile.

Enfin, je ne peux pas ne pas vous interroger sur le projet d'Écocombust. Si, dans l'Ouest, nous n'avons pas de nucléaire, nous avons quelques idées !

M. Luc Rémont. - Monsieur le sénateur Cardon, si j'avais une réponse certaine à cette question, la vie serait plus facile. Je pense que c'est le défi de notre génération. Quand on veut, on peut. Voilà la seule réponse que je puisse faire à ce stade. Je pense que c'est absolument compatible avec la vie de nos concitoyens. C'est pourquoi j'insiste en permanence sur l'efficacité énergétique.

Quand on prend la transition énergétique, avec les bénéfices de l'efficacité énergétique, et qu'on fait attention à notre énergie consommée, l'ensemble de l'exercice peut être fait dans des conditions économiquement soutenables. C'est donc possible, mais il faut d'abord le vouloir. C'est vraiment le défi de notre génération.

Monsieur le sénateur Grosvalet, merci pour nos équipes. Oui, les phénomènes climatiques sont appelés à être plus fréquents et plus violents. C'est pourquoi nous continuons à travailler sur le réseau - je parle plus d'Enedis que de RTE - avec une anticipation des risques supplémentaire.

Cela ne veut pas dire qu'on arrivera à 100 % d'enfouissement. Il existe par ailleurs des cas dans lesquels l'enfouissement n'est pas une bonne idée, même du point de vue de la résilience, comme lorsqu'on est dans des zones qui bougent ou des zones inondables.

Il n'y a pas forcément une seule réponse, mais une approche pragmatique à l'approche du risque climatique, que ce soit sur le réseau ou sur les moyens de production. Nous menons un travail très approfondi sur l'ensemble de nos moyens de production, en matière d'adaptation et de préparation au changement climatique dans tous les domaines.

Écocombust concerne le futur de la centrale de Cordemais. Il s'agit de la partie de production de pellets portée par un industriel, avec qui nous travaillons pour voir, dans toute la mesure du possible, comment celui-ci pourra être réaliste sur le plan économique.

Pour ce qui nous concerne, nous souhaitons continuer à faire en sorte que le site de production continue de bénéficier à l'ensemble de la production nationale, en adaptant son moyen de production pour décarboner le plus vite possible.

M. Bernard Buis. - Monsieur le président, dans un récent rapport, la Cour des comptes a pointé des dérives importantes du comité d'entreprise d'EDF, qui gère 386 millions d'euros sans contrôle interne efficient.

Quelle est votre analyse de la situation ?

M. Daniel Laurent. - Monsieur le président, sortir du marché européen semble être une affaire compliquée, avec des divergences de fond entre la France et l'Allemagne.

Comment l'accord européen sur l'électricité affecte-t-il la stratégie globale d'EDF en matière de production d'électricité et de distribution ?

L'accord prévoit une plus grande intégration des marchés de l'électricité : comment cela impactera-t-il les activités commerciales d'EDF et sa position sur ces marchés ?

Quelles répercussions l'accord pourrait-il avoir sur les prix de l'électricité pour les consommateurs en Europe et en France ? Des mesures pour atténuer ces impacts potentiels sur les clients sont-elles prévues ?

M. Luc Rémont. - Monsieur le sénateur Buis, j'ai pris bonne note du rapport de la Cour des comptes. Le dirigeant d'EDF a beaucoup de choses à gérer, mais pas le comité central d'entreprise (CSE). Nous serons un partenaire en soutien et vigilant de ceux qui en ont la charge pour faire en sorte que les remarques de la Cour des comptes puissent conduire à un progrès.

Monsieur le sénateur Laurent, je parlais tout à l'heure d'un accord historique s'agissant de la plus grande intégration du marché de l'électricité. C'est la première fois qu'il existe un consensus européen sur la façon dont ce marché est structuré. Or ce qui manquait à ce marché, c'était la vision de long terme.

J'y vois une bonne nouvelle : à partir du moment où l'ensemble de nos voisins et nous-mêmes avons la capacité de nous projeter en tant qu'industriels en ayant cette vision de long terme du marché de l'électricité, les défauts du marché d'aujourd'hui, qui résultent de son instabilité due au fait qu'il est à trop court terme, sont appelés à s'atténuer. C'est en tout cas notre objectif commun et c'est ce qu'appelle l'accord sur les règles de marché. J'en attends donc un impact positif pour nos concitoyens.

Notre avenir énergétique, à ce stade, est difficilement envisageable à la seule échelle hexagonale. Nous sommes très interdépendants. Il nous faut donc pouvoir bâtir avec nos voisins européens, en dépassant de temps en temps nos barrières, même si c'est parfois difficile, pour arriver à construire un projet commun autour de la décarbonation qui permette son succès. Je crois qu'on peut y arriver. Cela nécessitera certainement beaucoup de travail.

L'élément sur lequel je souhaite être vigilant en tant qu'opérateur, c'est la stabilité du système électrique dans son ensemble. Si nous avons un système électrique par construction équilibré, entre des moyens de production décarbonés, commandables, et des moyens intermittents, alors que tous nos voisins ont fait des choix de production intermittente, cela aura évidemment des conséquences systémiques pour nous. Nous devons donc bâtir ensemble un système électriquement robuste et que nos voisins aillent vers un équilibre entre intermittence et commandable décarboné.

C'est, je pense, le point le plus important des dix à quinze ans à venir. Sans cela, nous serons potentiellement en difficulté à l'échelle européenne pour des raisons d'instabilité.

M. Yves Bleunven. - Monsieur le président, merci pour les mots que vous avez employés à propos de ce qui s'est passé en Bretagne. Je suis sénateur du Morbihan : nous avons vécu des moments difficiles. Quand on a vu les colonnes de techniciens arriver dès le mardi, on s'est dit que tout cela était bien organisé et bien anticipé. Bravo donc, et surtout bravo pour le sens du service public de vos agents sur le terrain. Comme tout le monde, nous avons une pensée pour votre agent décédé à Pont-Aven, dans le Finistère.

Un goulet d'étranglement est à déplorer dans vos services concernant les énergies renouvelables, en plein développement sur notre territoire, à propos des contrats d'EDF « Obligation d'achat », qui connaissent des retards de signature de neuf à douze mois. Inutile de vous dire que cela pose des problèmes de trésorerie pour les porteurs de projets et présente des conséquences financières non négligeables. Quels moyens pensez-vous mettre en oeuvre pour raccourcir ces délais, qui deviennent insupportables sur le terrain ?

Par ailleurs, les TPE et les petits commerçants ont vécu des moments très difficiles avec leurs contrats d'électricité. N'est-il pas possible de revoir vos contrats et ces fameux seuils de 36 kivoltampères (kVA) ? Un commerçant qui utilise de l'électricité est un élément essentiel dans la vie de nos territoires, particulièrement de nos territoires ruraux. On a vu le nombre de commerçants qui ont dû mettre la clé sous la porte à cause de l'électricité.

Le seuil de 36 kVA est une chose, mais n'y aurait-il pas une possibilité d'amender vos contrats pour faire en sorte d'être capable de répondre à leurs besoins en matière de tarif ?

M. Franck Montaugé. - Je voudrais à mon tour, avec un peu d'émotion, rendre hommage à Frédéric Despeaux, occitan comme moi, dont la mort illustre les grandeurs et les servitudes du service public de l'énergie jusqu'au tragique absolu. J'ai une pensée particulière pour son épouse et ses trois enfants, sa famille et l'ensemble des collègues d'Enedis qui, jusqu'à il y a peu, étaient aussi mes collègues.

Monsieur le président, on se focalise à juste titre sur les moyens de production. On parle peu, bien que vous les ayez évoqués, des réseaux haute tension A et B (HTA et HTB), et de la nécessité de les faire évoluer pour pouvoir répondre à l'évacuation de l'énergie sur l'ensemble du territoire, par rapport à des zones de production qui ne sont pas aujourd'hui toutes clairement identifiées. Pour l'énergie renouvelable, par exemple, ce n'est pas évident. Je suppose que vous avez anticipé ces difficultés. Le volume d'investissement dans les réseaux est considérable. Pouvez-vous nous dire quelque chose là-dessus ?

Par rapport à ce que vous avez dit des financements et de l'accès à ceux-ci, votre propos m'inquiète beaucoup. Faut-il comprendre que vous rendez explicitement l'État responsable de la mobilisation des marchés financiers, le modèle économique propre d'EDF ne le permettant pas à lui seul ? Peut-être ai-je mal compris.

S'agissant de la question de l'attractivité de l'entreprise et des métiers à développer, quelles sont les grandes lignes du projet social qui est le vôtre ? Je suppose que vous le travaillez avec les personnels et leurs représentants, a fortiori au sortir d'une séquence gouvernementale catastrophique, qui s'est traduite par la régression sociale qu'est l'extinction progressive du régime des retraites des industries électriques et gazières (IEG). On se prive d'un point d'attractivité et d'intérêt évident, notamment pour les jeunes. Ce n'est pas votre faute : cela a été voulu et voté ainsi. Quelles sont donc les grandes lignes du projet social qui participera de cette attractivité future et nécessaire de l'entreprise ?

M. Luc Rémont. - Messieurs les sénateurs, merci à tous les deux pour avoir évoqué notre collègue décédé et sa famille.

Merci également d'avoir pointé les obligations d'achat. C'est un sujet de préoccupation majeur pour moi, qui est en grande partie lié au fait que nous connaissons une explosion de la demande. Nos capacités doivent s'adapter à un doublement de la base installée d'une année sur l'autre.

Nous travaillons avec nos équipes pour accélérer le plus possible les processus. J'appelle à la plus grande anticipation possible des clients, notamment lorsqu'il s'agit de professionnels. Ceci nous aide à planifier le travail. Nous revoyons évidemment nos systèmes informatiques et l'ensemble de nos procédures pour aller le plus vite possible, mais j'ai bien conscience du sujet. Croyez que nous sommes mobilisés pour revenir à un niveau de service acceptable, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.

Les petits commerces et les PME ont subi, fin 2022-début 2023, une phase d'explosion des prix très difficile à soutenir. Le Gouvernement a pris des mesures permettant d'amortir le choc que cela a constitué pour ces entreprises. Ce dispositif est le résultat de l'explosion des prix associée à la guerre en Ukraine, mais aussi de la structure constituée par deux tiers de l'Arenh, le reste étant limité par essence au marché SPOT, donc bien plus vulnérable à une explosion des prix.

Pour les très petites entreprises, des options sont possibles dans le cadre de la discussion sur le nouveau marché de l'électricité tel que nous pouvons l'envisager, sans faire de ce seuil de 36 kVA, qui est un seuil technique, la limite du tarif, par exemple. Il y a des avantages et des inconvénients, mais il existe des solutions pour considérer les TPE dans leur ensemble. Cela fait partie des discussions que nous avons avec la CRE et le Gouvernement.

Monsieur le sénateur Montaugé, merci pour votre témoignage. Il y a beaucoup de choses à faire sur la partie HTB et HTA. Nous avons une quote-part d'investissements programmés qui fera évidemment l'objet de discussions ad hoc avec la CRE dans le futur plan d'Enedis. Il porte les investissements à un ordre de grandeur de 5 milliards d'euros par an, ce qui est du jamais vu, avec deux objets principaux - peut-être trois.

Les deux objets les plus coûteux sont d'abord le raccordement des nouvelles capacités de production, avec un délai de raccordement que l'on veut le plus court possible. Cela concerne essentiellement les énergies renouvelables, qu'elles soient dites centralisées
- fermes solaires ou fermes d'éoliennes - ou décentralisées - tous les autoconsommateurs d'une certaine puissance. Le deuxième pilier est la modernisation du réseau pour faire en sorte que nous continuions d'enfouir et de rendre le réseau plus résilient, face au changement climatique notamment.

Cela représente 5 milliards d'euros d'investissement par an par rapport aux investissements du groupe, qui sont aujourd'hui compris entre 20 et 25 milliards, soit de l'ordre du quart des investissements d'une année sur l'autre. C'est beaucoup et indispensable. Nous allons continuer à nous focaliser sur la capacité du réseau et sur sa résilience - et il ne s'agit que d'Enedis.

Je ne me prononce pas sur RTE, qui n'est pas dans le périmètre de responsabilité du groupe. Je pense que le président de son directoire Xavier Piechaczyk vous a communiqué les données.

S'agissant du financement, je ne demande pas à l'État de se substituer à EDF. Cependant, comme tout opérateur électrique, nous avons besoin d'éléments que seule la puissance publique peut donner pour faciliter l'agrégation des financements d'EDF nécessaires pour réaliser ces différents projets.

Concernant l'attractivité de l'entreprise, je crois qu'il faut fondamentalement commencer par celle des métiers. C'est l'élément fondamental. J'aurais autant de mal à trouver des électriciens ou des électrotechniciens dans une entreprise industrielle que je pourrais en avoir chez EDF si nous ne travaillons pas l'attractivité du métier.

Il faut naturellement offrir au sein de l'entreprise des conditions d'accueil, de développement de carrière, de formation, d'apprentissage au fur à mesure de la carrière dans différents profils, mais le premier élément est de nous assurer que nos métiers attirent.

Nous avons pour cela deux initiatives majeures en cours si on considère les métiers fondamentaux du groupe EDF que sont les métiers de la production, qui reposent beaucoup sur la mécanique, la thermodynamique, la plomberie, la tuyauterie, la chaudronnerie, etc., tous ceux qui permettent de transformer une énergie en électricité. Nous avons aujourd'hui, autour de l'université des métiers du nucléaire, de plus en plus de lycées, de collèges et d'universités - ingénieurs, techniciens - qui nous rejoignent grâce à des accords passés, territoire par territoire, pour faire en sorte de les attirer.

Ce ne sont pas les écoles des métiers que l'on a connues, mais c'est le même esprit. Il faut que nous réfléchissions en filières. Nous créons donc des écoles des métiers de la filière. Il en va de même - et c'est d'ailleurs Enedis qui en est pilote pour le groupe - concernant les métiers de l'électrotechnique, des réseaux HTA et HTB, deuxième métier à parité du groupe EDF.

M. Daniel Salmon. - Nous avons en Bretagne un certain nombre d'îles qui ne sont pas connectées, en particulier l'Île de Sein, où il existe des projets qui sont prêts depuis dix ou vingt ans mais qui sont bloqués à l'heure actuelle. Comment envisagez-vous de lever ces points de blocage importants s'agissant de champs d'expérimentation exceptionnels ? Notre dernière hydrolienne ne bénéficie d'ailleurs plus aujourd'hui de tarif de rachat : c'est aussi un souci.

Concernant la souveraineté, nous n'avons pas tout à fait les mêmes chiffres : pour moi, la totalité de notre uranium de retraitement part encore en Russie, et la totalité de notre uranium réenrichi en revient. Une bonne partie de notre uranium enrichi - on parlait d'un tiers - provient également de Russie. Notre uranium naturel, sur lequel Rosatom à la mainmise, provient d'Ouzbékistan - sans oublier la problématique du Niger.

Où est notre souveraineté, et comment comptez-vous la faire vivre ?

M. Lucien Stanzione. - Je suis élu du Vaucluse, l'un des plus beaux départements, qui est très ensoleillé ! Quel est votre point de vue sur la question de l'énergie renouvelable solaire, et notamment au sujet des questions de stockage, mais aussi par rapport à la distribution en fonction de la saison ? Quelles sont vos techniques ?

M. Christian Redon-Sarrazy. - Monsieur le président, je voudrais revenir sur les commerçants et les artisans qui ont des contrats supérieurs à 36 kVA et qui, dans le cas auquel je pense, ont dû faire face à des factures de 21 000 euros, puis à une annulation de 15 000 euros et, malgré tout, à une demande de versement de 11 000 euros, somme totalement impossible à régler pour un boulanger en zone rurale.

Je ne vous demande pas de résoudre ces cas, mais j'ai eu ces factures sous les yeux : c'est totalement incompréhensible en termes d'information des consommateurs, professionnels voire particuliers, et certains, comme cet artisan, sont mis en difficulté. Même le correspondant de la Direction générale des finances publiques (DGFiP), que j'ai sollicité, ou d'autres interlocuteurs, à Lyon, ont été incapables de me fournir une explication intelligible. Les outils clients évolueront-ils aussi de leur côté ?

Mme Anne-Catherine Loisier. - Monsieur le président, on comprend bien que le développement de la production des énergies renouvelables va se traduire par davantage de modulation sur les unités pilotables et les centrales nucléaires à venir. Dans quelle mesure cela impacte-t-il le rendement et le plan d'amortissement futur ?

Une remarque, suite à la dernière tempête : il faut aussi mener une réflexion sur les réseaux numériques, qui ne sont pas aujourd'hui prioritaires en matière d'interventions, alors qu'ils sont pourtant d'une importance vitale en matière de communication.

M. Luc Rémont. - Tout d'abord, je vois que la passion de votre commission pour les sujets énergétiques ne baisse pas. Cela ne fait que renforcer mon énergie. C'est toujours un plaisir de venir répondre à vos questions.

Monsieur le sénateur Salmon, je connais le projet de l'Île de Sein. J'y ai envoyé en octobre le dirigeant qui, auprès de moi, suit toutes les ZNI, afin de comprendre où en était le projet et quelles en étaient les options. Il a établi le contact : nous allons regarder ce que l'on peut faire. Selon mon expérience, les systèmes insulaires, en général, ont des contraintes mais aussi des opportunités de faire des choses qu'on ne peut pas spontanément réaliser sur un territoire continental. Ce sont aussi pour nous des territoires d'innovation. Il me semble que les Sénans le souhaitent et sont effectivement motivés.

Pour le reste, nous ne sommes pas dépendants de la Russie en matière de fournitures. Il existe des technologies sur lesquelles la Russie est en pointe, comme l'uranium de retraitement (URT) mais, pour autant, nous ne dépendons pas de cette filière pour notre propre approvisionnement et pour les ressources de nos centrales.

Quant à l'Ouzbékistan et au Kazakhstan, j'y ai accompagné le Président de la République la semaine dernière : je peux vous confirmer qu'Orano ne dépend en rien de la Russie dans ces deux territoires. Il est là pour contribuer au développement de nos propres capacités en matières minières et en termes de ressources. Orano a un partenariat minier ancien au Kazakhstan.

La meilleure façon d'aborder ces questions sur le long terme, c'est évidemment de continuer à diversifier nos sources d'approvisionnement. C'est la stratégie que nous partageons avec Orano, et sur laquelle nous avons un soutien plein et entier des pouvoirs publics.

Monsieur le sénateur Stanzione, on pourrait y passer beaucoup de temps : il y a en effet plein de choses à dire sur la façon d'utiliser le solaire, notamment décentralisé, que nos concitoyens peuvent utiliser eux-mêmes.

Le solaire a ses caractéristiques. Par définition, il produit quand il y a du soleil. Cela ne fonctionne donc pas la nuit ni en cas de couverture nuageuse. Le reste du temps, c'est une production intéressante, supplémentaire, sans coût variable. Le soleil forme ce qu'on appelle une cloche dans le domaine électrique. On la voit lorsqu'on est autoconsommateur, mais également pour ce qui est de la production nationale.

Avec de plus en plus de capacités décentralisées, cette cloche solaire prend une forme de plus en plus fréquente, notamment durant les périodes estivales. Cela finit au bout d'un moment par poser des problèmes d'équilibrage, qui ne peuvent être compensés que par la mobilisation des moyens de production commandables.

Les pays plus avancés que nous dans le développement de cette cloche solaire, comme l'Australie ou la Californie, ont rendu le stockage quasi obligatoire. C'est ce qui permet d'élargir la cloche et de faire en sorte qu'elle ne soit pas provocatrice d'une instabilité de réseau.

Nous devrons donc travailler sur les moyens de stockage et pour que le pilotage de la recharge de la voiture électrique puisse corresponde à cette cloche solaire. Dans les régions ensoleillées, mettre la climatisation en face de la cloche solaire est une bonne chose. La mettre la nuit est moins bon du point de vue du système.

M. Lucien Stanzione. - Il faudra adapter le tarif.

M. Luc Rémont. - Cela ne compte pas pour les autoconsommateurs, puisque c'est de l'énergie qu'ils consomment directement et qu'ils auraient de toute façon payée la nuit, même moins cher.

Voilà la « boîte à outils » : il nous faut travailler.

Enfin, pour ce qui est des commerçants, j'ai bien conscience du problème. La totalité de nos collaborateurs qui travaillent en liaison avec la clientèle a passé un hiver 2022-2023 extrêmement tendu. Je leur rends d'ailleurs hommage pour leurs réponses aux clients.

L'un de nos enjeux, dans le nouveau monde électrique que nous devons créer dans les mois qui viennent au-delà de 2025, est aussi d'arriver, au travers de contractualisations plus stables et prévisibles, à simplifier les choses pour nos clients. Plus on met d'étages dans une formation économique d'un prix, plus on arrive à des situations compliquées pour les clients. La simplification fait donc partie de nos objectifs.

Oui, Madame la sénatrice Loisier, nous avons besoin de simuler l'impact de la modulation sur nos propres moyens de production. Nous le faisons, bien entendu, pour incorporer les éléments intermittents dans le réseau, au sein de notre propre production. À l'horizon visible, cela reste dans un domaine gérable, mais cela induit l'hypothèse que nous travaillons sur le déplacement d'un certain nombre de charges et le stockage dynamique. Il faut que nous soyons donc capables de relancer l'investissement sur le stockage. C'est une hypothèse fondamentale. Sans cela, nous serions, à l'horizon 3035, à un niveau assez élevé en termes d'intermittence.

Ces hypothèses sont réalistes. Nous sommes capables, en matière d'hydroélectricité et de stockage par batterie, à l'échelle du réseau, de faire des progrès. Il nous faudra également travailler sur la capacité d'optimiser la charge des véhicules. C'est l'élément le plus déterminant dans la capacité d'absorption de l'intermittence.

Enfin, concernant les réseaux numériques, nous sommes en relation très étroite avec nos partenaires gestionnaires de réseaux numériques pour faire en sorte que tous les clients et tous les établissements qui accueillent des personnes en situation de fragilité soient repérés dans les priorités de reconnexion.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Merci.

Je vous remercie du temps passé à répondre à nos questions ici, comme vous l'avez fait lors de votre déplacement dans les Alpes Maritimes. C'est très appréciable.

Je pense que nous aurons à nouveau l'occasion de converser ensemble, car il y a, pour l'année 2024, un certain nombre de véhicules législatifs et d'enjeux qui vous concernent.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 12 h 50.