Mardi 17 octobre 2023

- Présidence de M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale et de M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication -

La réunion est ouverte à 15 heures.

Mission conjointe de contrôle sur le signalement et le traitement des pressions, menaces et agressions dont les enseignants sont victimes - Audition de Mme Mickaëlle Paty

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois, rapporteur. - Il y a quatre jours au lycée Gambetta d'Arras, Dominique Bernard, professeur de lettres, a été assassiné. Un professeur d'éducation physique et sportive, un agent d'entretien et le chef de l'équipe technique de l'établissement ont également été blessés. Tous tentaient de protéger leurs collègues et leurs élèves contre un assaillant dont les motivations islamistes ne font plus de doute. Il semble que cet attentat devait prolonger celui ayant conduit à l'assassinat de Samuel Paty voilà trois ans. Il montre cruellement l'actualité de la mission de contrôle sur le signalement et le traitement des pressions, menaces et agressions dont les enseignants sont victimes, créée sur l'initiative commune de la commission des lois et de la commission de la culture.

Je remercie Mme Mickaëlle Paty, soeur de Samuel Paty, d'avoir bien voulu accepter notre invitation. Cette audition, prévue de longue date, est retransmise en direct sur le site internet du Sénat et ouverte à la presse.

Je l'ai déjà précisé à plusieurs reprises, cette mission d'information ne peut se pencher sur des faits qui font l'objet d'une enquête en cours. Elle se concentre sur les mécanismes devant permettre de prévenir de tels drames à l'avenir, notamment l'évaluation et le traitement des menaces. C'est pourquoi votre témoignage, madame Paty, est essentiel.

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, rapporteur. - Comme vient de le souligner François-Noël Buffet, cette audition s'inscrit dans un contexte pesant. Le drame qui s'est déroulé dans l'enceinte du lycée Gambetta d'Arras nous a rappelé la menace que font planer l'obscurantisme et le fanatisme sur nos sociétés. Il nous rappelle également que les écoles, lieux de transmission des savoirs et de formation à la citoyenneté, sont devenues des cibles pour les intégristes islamistes. .

Avant de débuter cette audition, nous avons bien entendu une pensée pour Dominique Bernard, lâchement assassiné, pour sa famille, pour ses proches ainsi que pour les personnels de l'éducation nationale blessés vendredi dernier à Arras.

Nous tenons aussi à vous remercier, madame Paty, d'avoir accepté de venir témoigner devant nos commissions au moment où cet assassinat ravive des souvenirs douloureux pour vous-même et pour l'ensemble de la communauté éducative.

Vos différentes prises de paroles ont été scrutées et commentées depuis l'assassinat de votre frère. Vous interveniez hier, trois ans jour pour jour après le drame, au sein du collège Françoise-Giroud à Vincennes et sur la scène du théâtre de l'OEuvre ; vous avez prononcé à cette occasion des mots particulièrement poignants.

Certains de vos propos se sont avérés tristement prémonitoires, comme lorsque vous déclariez, il y a quinze jours, dans Marianne, que « nous n'étions pas dans l'après-Samuel Paty, mais dans le pendant ».

D'autres résonnent avec une acuité toute particulière, comme lorsque vous indiquiez, à l'occasion de la remise d'un prix créé en l'honneur de votre frère, qu'« enseigner, c'est expliquer et non se taire ! ».Aujourd'hui, un enseignant sur deux déclare dans notre pays s'autocensurer par peur des contestations d'enseignements.

C'est dans ce contexte que nous conduisons cette mission commune de contrôle, destinée non pas à juger des faits - cette tâche relève des procédures judiciaires en cours -, mais à les comprendre, à les mettre en perspective et à apprécier si la situation a évolué depuis trois ans afin de formuler des propositions visant à améliorer la réactivité et l'efficacité des services publics concernés, qu'il s'agisse de la police, de la justice ou de l'éducation nationale.

Nous essayons, à notre tour et dans notre rôle, « d'expliquer et de ne pas nous taire » pour prévenir non plus l'occurrence, mais la multiplication des drames.

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois, rapporteur. - Au préalable, madame Paty, je dois vous rappeler que nos commissions s'étant dotées des pouvoirs de commission d'enquête, un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Mickaëlle Paty prête serment.

Mme Mickaëlle Paty. - Je dédie mon intervention à Dominique Bernard, professeur assassiné le 13 octobre dernier lors d'une attaque terroriste islamiste durant laquelle ont été exécutés les ordres de ceux qui veulent détruire notre école pour détruire notre démocratie. Oui, je la dédie à celui qu'on n'a pas sauvé : Dominique Bernard.

Je vous remercie pour l'ouverture de cette mission de contrôle parlementaire dotée des pouvoirs de commissions d'enquête afin de comprendre les failles administratives et politiques ayant pu concourir à l'assassinat de Samuel Paty, d'analyser les mesures correctives qui ont suivi et d'en tirer des recommandations.

En voulant vous écrire ces quelques mots, je me suis retrouvée face à l'angoisse de la page blanche. En fait, j'ai compris que cette angoisse venait non pas de la peur de n'avoir rien à dire, mais, au contraire, de celle d'avoir trop à dire. Je me suis ensuite perdue dans les méandres du politiquement correct : à trop mettre les formes, on en oublie le fond. Il m'a fallu revenir à l'essentiel : le simple fait qu'un professeur ait pu être décapité pour blasphème en France en 2020 montre bien que des failles existent.

Je vous demande de mener cette enquête au nom de mon frère : il faut partir du singulier pour comprendre ce qui nous concerne tous, car partir d'un ensemble ne permettra jamais de comprendre le destin tragique d'un homme, d'un professeur, mon frère, Samuel Paty.

Je vous demande d'enquêter bien au-delà du cercle d'imputabilité défini par la justice. La justice traite le crime en fonction du champ des possibles, mais la vérité judiciaire ne condamne que ce qui est pénalement répréhensible et néglige la responsabilité politique, celle qui prône le respect des droits fondamentaux, de l'ordre républicain et de l'intérêt commun. Cette vérité est mise entre guillemets et minimisée par tous ceux qui se retrouveraient face à leurs responsabilités s'ils devaient l'affronter sans fard. Ce comportement d'irresponsabilité illimitée est légitimé par une meute de courtisans prêts à toutes les compromissions, notamment lorsque ceux-ci délivrent des certificats de probité sans examen de conscience. Il est également encouragé par l'attribution de promotions et de décorations, même en cas d'échec ou de fiasco : ceux qui les reçoivent ont le sentiment d'avoir fait ce qui devait être fait et cela procure une immunité de fait à ceux qui les distribuent. Les inconséquences qui en découlent renforcent la méfiance et la défiance d'un peuple qui ne croit plus en ses représentants.

Ce renoncement à l'intégrité, qui ne s'explique pas par une quelconque incapacité intellectuelle, ne permet plus de mettre en harmonie la parole et les actes. Seule subsiste cette probité de façade qui laisse ouvertes des brèches immenses permettant la réalisation des actes les plus odieux. C'est bien dans ce contexte que l'absurde est devenu réalité : mon frère a été décapité le 16 octobre 2020.

Trois ans plus tard, il est temps de prendre conscience que la fameuse phrase de Jean-Michel Blanquer - « il y aura un avant et un aprèsSamuel Paty » - n'aura pas eu les effets attendus. Cet après laisse régner la violence et bloque tout débat : cela revient à imposer le respect des croyances et non plus des croyants. Nous basculons ainsi d'une démocratie laïque à une théocratie. La parole est définitivement bâillonnée lorsque le mot laïcité est objectivé afin d'en dénaturer le sens et de le transformer en une injonction à l'athéisme.

Si la référence n'est plus la loi, mais le fait de ne pas offenser certains musulmans, qui mettent leur créateur au-dessus de tout, cela n'entraînera que censure et immanquablement une application différenciée des règles en fonction de l'appartenance religieuse : tel est le véritable ferment de la discorde et du séparatisme.

Prôner la tolérance et invoquer toujours plus de bienveillance revient à sous-entendre que le professeur est un être malveillant par nature : cela ouvre la voie à des dérives incontrôlables et cela renforce les extrêmes. Peut-être faut-il cesser de dire que c'est le résultat qui est erroné, mais plutôt de reconnaître que c'est la méthode qui est mauvaise.

Je vous invite à essayer de mettre le mot empathie à la place de bienveillance et d'adopter la perspective d'autrui. La culture de l'empathie favorise la lutte contre le harcèlement - Gabriel Attal l'a souligné le mois dernier. Mais l'empathie ne se résume pas à cela : cette attitude favorise également un climat scolaire propice aux apprentissages, conforte le respect de la pluralité des opinions et permet de se prémunir contre des pensées dogmatiques. L'empathie émotionnelle, celle utilisée par mon frère dans son cours, est la seule capable d'induire un comportement moral et de favoriser l'acquisition de la notion du bien et du mal. La responsabilité morale, qui manque cruellement, consiste à reconnaître émotionnellement les préjudices ou la douleur causés. Le Danemark l'a bien compris, depuis 1993, les cours d'empathie y sont obligatoires ; les jeunes de six à seize ans bénéficient d'une heure de cours d'empathie par semaine. Sans empathie, il est impossible de comprendre les principes de la laïcité, les valeurs de la République ou la liberté d'expression. Sans empathie, on n'accorde aucun crédit à la vie de l'autre, qui est alors relégué au rang d'ennemi. C'est non pas le contenu des réseaux sociaux qui pose problème, mais bien la culture de la tête baissée : celle-ci nous ferme au monde par le biais d'un repli narcissique et elle nous empêche de dépasser la peur de l'inconnu.

L'empathie identifie qui est la victime et qui est le bourreau : grâce à elle, nous n'avons pas à nous confronter à des bourreaux prétendument victimes, sinon c'est ainsi que l'on finit avec des crimes sans coupables, voire avec des victimes un peu responsables.

L'éducation à l'empathie restaure le sens du mot fraternité : Omar Zanna, docteur en sociologie et en psychologie, professeur des universités en sciences de l'éducation au Mans, rappelle que l'empathie s'éduque. Certes, elle est inhérente à l'espèce humaine, mais si elle n'est pas éduquée, elle ne se développe pas. J'estime que les parents et l'ensemble du personnel des établissements scolaires devraient aussi en bénéficier.

Qu'est-ce qu'on devient après ça ? C'est cette question que je me suis posé le lendemain de la mort de mon frère, lorsqu'il a bien fallu que je fasse quelque chose de ce  « ça » - un « ça » sans nom, juste un visuel. À l'institut médicolégal, ma première réaction a été de dire : « ce n'est pas lui »  ; je ne voulais pas que ce corps meurtri soit celui de mon frère. Ce « ça » innommable ne prendrait sens que lorsque j'aurai eu toutes les vérités - même celles dont je n'aurais pas voulu qu'elles soient vraies. En règle générale, nous choisissons nos vérités. Dans certains cas, on observe toutefois que ce n'est pas nous qui choisissons nos vérités, mais ce sont les vérités qui nous choisissent : c'est ce qui se passe quand certains veulent nous imposer leurs vérités, celles qui sont agréables et rassurantes - peut-être pour eux, mais pas pour moi.

Tel est le sentiment que j'ai ressenti à la lecture du rapport de l'inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche. Celui-ci s'intitule - avec une sobriété forcée et anonyme - : « Enquête sur les événements survenus au collège du Bois d'Aulne (Conflans-Sainte-Honorine) avant l'attentat du 16 octobre 2020». Ce titre retire à mon frère la plus simple dignité ; celle que cette enquête soit menée en son nom. On y évoque la gestion d'un trouble, dont le cours de mon frère sur la liberté d'expression serait à l'origine. La formulation choisie trahit l'intention véritable de ce travail : il s'agit non de faire la lumière sur les responsabilités et les éventuelles erreurs des uns et des autres, mais avant tout de dédouaner l'institution de toute responsabilité éventuelle.

Je m'interroge sur la conception très particulière du dialogue de cette mission d'inspection avec les acteurs du terrain : seuls trois professeurs sur cinquante et un ont été entendus, contre quatre représentants des parents d'élèves. Ainsi, le rapport de force est inversé. Comment ne pas s'interroger également sur la rapidité avec laquelle le rapport a été rédigé ? Celui-ci a été bouclé - ou bâclé - en quinze jours.

Je tiens également à souligner la volonté constante de l'éducation nationale de faire totalement abstraction d'une quelconque notion de péril grave et imminent - comme ce fut le cas la semaine précédant l'attentat - et de continuer de transformer une campagne islamique en problème pédagogique. Cette procédure a sans doute été utilisée pour empêcher tout exercice du droit de retrait. Celui qui oserait se retirer en de telles circonstances commettrait alors un abandon de poste et serait sous le coup d'une menace de radiation. Quid des non-dits de l'éducation nationale ? On parle d'élèves et de familles compliquées, jamais difficiles, ou tout simplement impossibles à gérer et refusant de s'insérer dans la société française. Pourtant, l'administration juge que les professeurs sont en difficulté et que les chefs d'établissement sont insuffisants.

On a demandé à Samuel de formuler des excuses auprès de ses élèves. Ce comportement donne tout pouvoir aux parents d'élèves qui ont un compte à régler avec l'institution : on se retrouve avec des élèves victimes et s'ils n'y avaient pas encore pensé, on les désigne obligeamment comme tels. Le professeur devient coupable aux yeux de tous - même auprès de certains de ses collègues. L'un d'eux, faisant du zèle pour l'accabler, se mettra en scène devant ses élèves de classe de troisième ce qui aura certainement motivé ceux-ci à se retrouver à 17 heures le 16 octobre 2020 pour livrer mon frère à son bourreau. Ce petit professeur, meurtri d'avoir perdu son titre de coordinateur de matière au profit de mon frère, adoptera à son tour une posture victimaire au retour des vacances de la Toussaint, sans doute victime de ses collègues, spectateurs complices, qui se sont inventé une conscience post-attentat. Pourtant, ils ne trouvaient rien à redire à son comportement avant le drame, au moment où il aurait fallu resserrer les rangs. Comble de l'ironie, ce professeur bénéficiera ensuite de la procédure de mise en retrait de l'éducation nationale, peu après la rentrée du 2 novembre 2020. Même lorsque la vérité éclatera le 9 octobre 2020 - c'est-à-dire l'absence de la petite menteuse dans le cours incriminé -, tout le monde sans exception continuera à propager la calomnie et traitera mon frère en coupable : l'imaginaire s'est donc substitué au réel.

Je souhaite revenir maintenant sur le comptage des atteintes mensuelles à la laïcité - sans doute un terme pudique pour ne pas parler d'offensive islamique. L'ancien ministre de l'éducation nationale, Pap Ndiaye, préférait parler de la culture du signalement afin de minimiser la gravité du phénomène. Il indique tout de même deux pics annuels : l'un au moment du Ramadan, l'autre en octobre, à la date anniversaire de l'attentat contre mon frère - confirmant ainsi qu'il s'agit bien de revendications identitaires de la mouvance islamiste. Selon lui, il s'agit de phénomènes inéluctables, auxquels il faudra bien s'habituer, tout en se refusant d'admettre que le nombre réel d'atteintes à la laïcité est sous-évalué, que nombre de faits ne sont pas signalés et que l'on assiste à une recrudescence de ces actes depuis l'assassinat de mon frère. À quoi cela sert-il de jouer le jeu de la transparence sans même reconnaître que l'on navigue en eaux troubles ?

Les signalements des atteintes à la laïcité relèvent de la responsabilité des chefs d'établissement. Ceux-ci sont rédigés sur une fiche « Fait établissement », relevant du niveau 3, c'est-à-dire un fait d'une extrême gravité entraînant obligatoirement une réaction de l'institution. Contrairement aux propos tenus par Pap Ndiaye lors de son audition par vos commissions le 4 juillet dernier, tous les faits de niveau 1 à 3 remontent au ministère ; le niveau 4 relève du national et ne peut donc être traité au niveau académique. Pour les niveaux 2 et 3, sont alertés l'inspecteur d'académie- directeur académique des services de l'éducation nationale (IA - Dasen), le recteur, le référent justice et l'équipe mobile de sécurité. Pour le cas spécifique du niveau 3, les chefs d'établissement doivent, au préalable, prendre attache téléphonique auprès du Dasen ou de son adjoint, le cas échéant, avant toute retranscription de l'événement. Sur la fiche « Fait établissement », les chefs d'établissement doivent effectuer une courte narration des faits, préciser si l'événement est susceptible d'avoir un retentissement médiatique - je vous demanderais de noter ce paramètre - et remplir deux cases :« victime » et « coupable présumé ».

Comment retire-t-on l'octroi de la protection fonctionnelle ? C'est assez simple : il suffit de noter « groupe d'élèves » à côté de la case « victime », et « personnel de l'établissement » à côté de la case « coupable » ; ainsi, la faute est imputée à l'agent, faisant obstacle à l'octroi de la protection fonctionnelle, et ce même si elle est demandée par l'agent. Même cette protection dérisoire aura été refusée à mon frère.

Le 9 décembre 2022, alors que je m'exprimais à l'occasion de la Journée de la laïcité, je posais la question suivante : pourquoi laisse-t-on encore le soin aux chefs d'établissement de décider si une tenue est ostensiblement religieuse ? Cela n'a qu'un seul effet : renvoyer dos à dos les « gentils »- ceux qui les tolèrent -, et les « méchants » - ceux qui s'y opposent.

Les abayas, les qamis et même le voile affichent ostensiblement l'appartenance religieuse islamique de ceux qui les portent. Il n'y a pas besoin de savoir si ces tenues vestimentaires s'accompagnent de discours ou d'attitudes qui contestent la laïcité et s'il s'agit d'un comportement prosélyte ou communautariste. Le simple fait de les porter est un acte de défiance à l'égard de la règle commune. Il s'agit ni plus ni moins d'un appel à la désobéissance civile ; sans règle commune, sans structure, la société s'écroule. Je félicite Gabriel Attal de rejoindre mes convictions et d'avoir renoncé à la pratique du cas par cas : il faut arrêter de croire que ceux qui ne respectent pas la laïcité ne comprennent pas le sens de leurs actes. Ils le comprennent trop bien : c'est pour cela qu'ils veulent la détruire.

Il est inutile de parler de chantier, comme l'a fait le président Macron le 24 juillet dernier : les travaux coûteux de rénovation négligent les vices cachés. Il faut préciser s'il s'agit d'un chantier de construction ou de démolition.

Depuis l'attentat dont mon frère a été victime, les enseignants quittent massivement le navire de l'éducation nationale. Un rapport de votre commission des finances indique que, entre 2020 et 2022, le nombre de démissions est passé de 30 959 à 39 270, soit une augmentation de 26 %. À cela s'ajoutent les quelque 20 000 départs à la retraite chaque année qui ne sont pas remplacés intégralement par le recrutement sur concours. Pour l'année scolaire 2023-2024, 16 % des postes offerts au concours sont restés vacants, soit 3 100 postes non pourvus supplémentaires. Conséquence immédiate : le ministère doit faire appel à des contractuels non formés. On ne peut que s'interroger sur les modalités de recrutement, alors que M. Sefrioui, fiché S et mis en examen pour association de malfaiteurs terroriste criminelle dans l'assassinat de mon frère, a été maître auxiliaire en informatique pour l'éducation nationale pendant quinze ans à Paris.

Les enseignants restants se retrouvent avec des classes surchargées et ne sont plus en mesure de dispenser un enseignement de qualité. Pour pallier ce problème, le ministère demande aux enseignants de multiplier les astreintes dans le cadre du pacte enseignant ou aux assistants d'éducation d'assurer le cours grâce à un support numérique. Chacun connaît l'expression « qui peut le plus peut le moins ». En procédure dégradée, c'est « qui peut le moins fait ce qu'il peut ». Ce ne sont plus la pédagogie ni la qualité de l'enseignement qui sont attendues, mais le simple fait de fournir un service minimum. En procédure dégradée, il y a une tolérance sur les pertes.

Selon l'enquête menée par l'Institut français d'opinion publique (Ifop) en décembre 2022, plus d'un professeur sur deux avoue s'être déjà censuré. Or l'ancien ministre estimait qu'il ne saurait y avoir d'omerta dans l'éducation nationale et qu'il serait intraitable à ce sujet. Que voulait-il dire concrètement ? Qu'il ne sanctionnerait pas le professeur qui n'appliquerait pas tout le programme ? Mais quel soutien le ministère apporte-t-il au professeur qui relève le défi d'enseigner tout le programme ? Il faut bien reconnaître que le fait de défendre les valeurs républicaines est bel et bien une prise de risque ; la menace de se prendre « une Samuel Paty » est devenue l'arme de toute censure islamique.

La circulaire du ministère de l'éducation nationale « Plan laïcité dans les écoles et établissements scolaires » du 9 novembre 2022 tente d' apporter une réponse. Le premier volet consiste à sanctionner systématiquement et de façon graduée les élèves portant atteinte à la laïcité lorsqu'ils persistent dans leur comportement après une phase de dialogue. Or c'est mal connaître ces jeunes que de penser qu'un rappel à l'ordre sert à quelque chose. Ce qui est perçu comme une sanction pour l'éducation nationale est perçu tout au plus comme une humiliation aux yeux de cette jeunesse, qui n'accorde aucun crédit à l'autorité. Ces sanctions, qui ne débouchent sur rien, développent un sentiment d'impunité et entraînent des actes de récidive ou de vengeance. On traite les symptômes sans traiter le mal. Le problème est l'absence générale d'autorité envers cette jeunesse, qui n'a plus de limites et qui ne peut ni ne veut faire société. Or l'école ne peut pallier la carence de figures représentant l'autorité auprès de ces jeunes, mais il faut lui rendre celle qui lui est propre.

Il faut que l'institution endosse les rôles qui lui incombent, c'est-à-dire sa capacité à prendre sous sa responsabilité les sujets les plus fragiles. Il faut également qu'elle réponde des erreurs commises dans le dossier de mon frère, sinon pourquoi les enseignants prendraient-ils le risque de défendre les valeurs républicaines s'ils ne sont pas assurés d'être protégés ? En restaurant une République ferme sur ses principes, exemplaire et responsable, on pourra alors parler d'autorité légitime et ainsi obtenir l'adhésion par respect et non par soumission en infantilisant ou en manipulant nos sentiments de peur. Perdre l'école, ce n'est pas perdre une bataille ni offrir une prise de guerre à l'adversaire, c'est perdre la guerre.

Il convient maintenant de se pencher sur l'action du ministère de l'intérieur. La plateforme Pharos est censée effectuer une veille sur les réseaux sociaux, en s'appuyant notamment sur les signalements des citoyens. Quelques mois après l'assassinat de mon frère, Laurent Nunez, alors coordinateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme, se félicitait d'avoir triplé les effectifs de Pharos, pour atteindre un peu plus de 90 policiers et gendarmes. Mais les signalements ont eux aussi triplé entre 2020 et 2021 : mathématiquement, cela revient au même. Je m'interroge également sur les capacités et les modalités d'analyse des données et sur le traitement qui en découle.

Que dire également des réseaux sociaux, qui semblent être devenus le lieu privilégié de la calomnie et de toutes les propagandes ? La modération de ces médias est très limitée, et ses critères en sont incertains. Il m'a fallu trois mois, assistée de mon avocate, pour obtenir la suppression par Facebook France d'une vidéo de Brahim Chnina, mis en examen pour complicité d'assassinat terroriste. Étrangement, Pharos, qui avait pourtant reçu de nombreux signalements à cet égard, n'a pas agi pour la supprimer ou n'a pas été en capacité de le faire.

J'ai voudrais vous faire part de quatre articles de presse. Le premier est un article paru dans Libération le 17 octobre 2020 intitulé : « Conflans : une note de renseignement retrace la chronologie des jours précédant l'attentat ». Le deuxième est un article publié dans Marianne le 28 octobre 2020 intitulé : « Dans les Yvelines, la grande compromission d'élus avec l'islam radical ». Le troisième est un article du Parisien, paru le 30 octobre 2020, intitulé : « Après l'attentat de Conflans, le Conseil des instances musulmanes des Yvelines (Cimy) dans la tourmente ». Enfin, un article de la Gazette en Yvelines du 13 novembre 2020 est intitulé : « Mis en cause, le CIMY répond à ses détracteurs ». J'ai extrait des éléments factuels de ces articles. Les renseignements territoriaux des Yvelines - ou RT 78 - dépendent de la direction centrale du renseignement intérieur. Leur note du 12 octobre 2020 indique que « la communication a vivement permis d'apaiser les tensions. Pour l'heure, les responsables de la communauté musulmane locale ne se sont pas manifestés ». Pourtant, du propre aveu des RT, le Conseil des institutions musulmanes des Yvelines avait eu connaissance de l'affaire des caricatures, les RT rappelant que «  des démarches amiables avaient eu lieu et [que] la situation s'était apaisée. » Ces propos ont été tenus avant le 16 octobre 2020. Le Cimy s'attribue un rôle de médiateur entre la communauté musulmane et l'État. Abdelaziz El Jaouhari, ancien secrétaire du Cimy, a déploré que « nos instances avaient failli avant l'attentat, car elles n'avaient pas permis d'éteindre la polémique et d'intervenir auprès de ce père de famille ». Il mentionnera également avoir reçu la vidéo du père, Brahim Chnina, le 12 octobre 2020, par l'un des membres du Cimy. Le Conseil ne démentira pas ce partage de vidéo, mais parlera d'une « pure erreur matérielle » et condamnera cet acte a posteriori. Le Cimy a estimé avoir rempli sa part du contrat en effectuant des « démarches amiables » et en constatant que la situation était apaisée.

Quelle était donc la nature du contrat ? Quels ont été les critères objectifs pour affirmer que la situation était « apaisée » ? Ce terme et cette analyse fallacieuse se retrouvent dans la note des RT 78 mentionnée ainsi que dans le rapport du référent laïcité, également daté du 12 octobre 2020.

Je m'interroge sur le rôle de médiateur et l'impartialité d'une organisation musulmane pour mener une négociation entre deux parties adverses, ce qui sous-entend la légitimité des revendications religieuses d'un côté, et républicaines de l'autre. Les parties prenantes doivent alors effectuer des compromis pour trouver un accord. Est-ce pourtant le rôle de l'État ou de ses représentants, étant donné leur obligation de neutralité, de composer avec des revendications islamistes ?

Je vais tenter de vous montrer la fausseté de l'ensemble et comment un groupe confessionnel a réussi ce coup de maître en dupant l'État. Si l'on se fonde sur la note des RT 78, la situation a été évaluée en fonction du seul paramètre suivant  : que les responsables de la communauté musulmane locale se manifestent avec une probable médiatisation de l'affaire, à savoir « une menace de sit-in ou de manifestation »

Pour rappel, ce risque de médiatisation est également important pour l'éducation nationale. Les menaces de troubles à l'ordre public sont devenues le cheval de Troie d'intégristes musulmans prétendument offensés. Chaque offense se traduira par des manifestations bruyantes, voire violentes. C'est ainsi que l'on vide le délit de blasphème de tout caractère religieux ; le blasphème trouve ainsi sa traduction séculière La préservation de l'ordre public fait partie des prérogatives d'un État de droit, si bien qu'au nom de la préservation de l'ordre public, on finit par prôner le concept de préservation de la paix religieuse en demandant des avis, des conseils et des actions aux représentants de la communauté musulmane. Ce faisant, on réhabilite inévitablement le délit de blasphème et la condamnation par décapitation qui en découle. La neutralité de l'État en France aurait dû pourtant nous en prémunir.

Je reviens maintenant sur les propos tenus par M. Gérald Darmanin le 7 avril 2022 sur BFMTV. Celui-ci a souhaité faire écho à notre dépôt de plainte contre son ministère. Il a précisé que nul ne pouvait prévoir le passage à l'acte d'Abdoullakh Anzorov, qui habitait à plus de 80 kilomètres du collège où enseignait mon frère, qualifiant ainsi l'événement de fatalité, ajoutant que son ministère n'aurait pas à en rougir. Il indiquera également que « l'État n'a rien à cacher. L'État était au rendez-vous, il a protégé et il continue de protéger ».

Or je rappelle que les forces de police sont soumises à l'obligation de moyens, obligation en vertu de laquelle celles-ci doivent déployer tous les efforts pour atteindre l'objectif visé. Il y a eu manifestement un défaut de moyens, à moins que l'objectif visé ne fût pas de sauver mon frère.

Dans son livre intitulé Notre Solitude, Yannick Haenel, chroniqueur à Charlie Hebdo depuis 2015, évoque sa couverture du procès de janvier 2015 durant deux mois et demi. À la lecture de ce livre, je me suis sentie tantôt comme lui, dans son désarroi d'être narrateur, tantôt comme les victimes de l'attentat contre Charlie qui sont victimes sans accepter de l'être, ce que je suis aussi. Il y aura toujours un lien qui ne sera pas à la limite de la raison, mais au-delà. C'est ce qui me permet, non sans une certaine révolte, de prendre la hauteur nécessaire pour comprendre et que dans nos nuits sans sommeil, on se retrouve dans notre solitude. 

Je vous lis les pages 132 à 134. « Le téléphone sonna (...) j'ai décroché. C'était Julien, il me dit qu'il avait une bonne nouvelle et une mauvaise nouvelle.

« La mauvaise, c'était que depuis la republication des caricatures, suite aux menaces qui ne cessaient de s'amplifier, le niveau de tension était monté si haut que le ministère de l'intérieur avait décidé de nous donner, à [François] Boucq et à moi, une protection.

« Je ne comprenais pas : quelle protection ? Julien précisa : « Une protection policière. Vous aurez chacun un officier de sécurité. » (...)

« Il n'y avait pas de menace précise à l'encontre de Boucq et moi, me dit-il, le risque n'était que diffus, mais la tension internationale était à son comble, le président Erdogan et son gouvernement déchaînaient le monde musulman contre la France, et comme le président Macron lui avait résisté en défendant la laïcité à la française, nous étions entrés dans une période d'affrontement : sur les réseaux sociaux, les appels au meurtre se multipliaient, Charlie Hebdo était en première ligne, et le fait que se tienne en ce moment un procès contre le terrorisme islamiste exacerbait les passions négatives.(...)

« [Le 24 septembre] je suis allé place Beauvau, où le commissaire François B. m'a reçu pour me faire signer une lettre officielle de prise en charge par le [service de la protection] SDLP (...) ».

Les deux chroniqueurs qui ont retracé le procès de l'attentat de Charlie Hebdo ont bénéficié d'une mesure de protection par le SDLP le 24 septembre 2020, alors qu'il n'existait pas de menace précise à leur encontre. Le 25 septembre 2020, un projet d'attentat avorté contre Charlie a eu lieu à leur ancienne adresse. Deux personnes de l'agence de presse Premières Lignes ont été blessées avec une feuille de boucher.

Le mois d'octobre suivant a également été sanglant - je pense à Vincent, Simone et Nadine, assassinés dans la basilique de Nice le 29 octobre.

Si je résume, le contexte était-il différent les jours précédant le 16 octobre, jour de la mise à mort de mon frère ? La réponse est non.

Samuel avait-il reçu des menaces précises par des individus proches de la mouvance islamiste ? La réponse est oui.

Est-ce qu'il y avait rupture d'anonymat ? La réponse est encore oui.

Était-il question de caricatures de Charlie Hebdo ? La réponse est encore et encore oui.

Alors qu'avait-il de moins ou qu'avait-il de plus ? Une personne anonyme ne court-elle pas les mêmes risques qu'un sujet connu ? Une personne anonyme n'est-elle pas traitée avec autant d'égard qu'un sujet connu ? S'il y a une différence de traitement entre les individus, que devient la notion d'égalité ?

Je vous propose de vous pencher maintenant sur les propos tenus par M. Éric Dupond-Moretti, actuel ministre de justice, dans l'hémicycle du Sénat le 2 avril 2021 : « c'est toujours difficile de réécrire l'Histoire, mais nous nous sommes dit : qu'est-ce qui aurait permis d'éviter ça ? Si je vous dis « rien », c'est désespérant, mais c'est la réalité. C'est la raison pour laquelle nous avons conçu l'article 18. »

L'article 18 du projet de loi confortant le respect des principes de la République, devenu l'article 223-1-1 du code pénal, sanctionne le fait de révéler des informations relatives à une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public. Les peines encourues sont de 5 ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende.

Je m'interroge bien évidemment sur les informations détenues par M. Dupond-Moretti à cette date pour tenir de tels propos. Certes, un témoignage ne fait pas enquête, mais dire que rien n'aurait pu éviter le drame, c'est déjà un grand exercice de réécriture des faits. Le ministre, avocat au Barreau de Paris, ne peut nier l'existence d'un puissant arsenal juridique qui aurait pu protéger mon frère s'il avait été mis en oeuvre. Certes, le code pénal est perfectible, mais cela ne sert à rien de l'étoffer si la force de la loi n'est pas restaurée pour lutter contre la loi de la force. Sans doute le consensus politique manquait-il pour que les services de sécurité intérieure soient autorisés à intervenir. Ce consensus ne semble exister que lorsque l'état d'urgence est déclaré, soit après chaque attentat, et non avant.

J'invite le Président de la République à honorer les propos tenus sur Brut le 8 avril 2022, lorsqu'il affirmait : « On va tout mettre à plat et regarder». Sur BFMTV, le 7 avril 2022, M. Darmanin disait quant à lui : « Il faudra que l'État dise tout ce qu'il a pu faire. C'est normal dans un État de droit ». Eh bien, j'attends.

Je ne peux conclure : il y aurait encore tant à dire.

Oui, j'en veux bien évidemment à ceux qui croyaient accomplir un travail, alors qu'ils avaient un métier, laissant de côté leur savoir-faire, lui préférant un « savoir se taire », et, au besoin, un « savoir faire taire ». La décence était de le reconnaître et de faire amende honorable. C'est la base du savoir-être. Mais ce n'est plus le cas en ce monde : on a substitué le paraître à l'être.

Oui, j'en veux également à ceux qui choisissent une vérité alternative, défendue par quelques courtisans cherchant carrière. Cette vérité erronée est rassurante pour eux et les maintient dans l'entre soi. On n'éprouve jamais de la honte face à soi-même. Lorsque certains craignent le regard des autres, le jugement, c'est bien que celui-ci les renvoie à leur propre culpabilité. Dans ce monde, on détourne le regard de l'autre, ou bien on ferme carrément les yeux.

Oui, j'en veux à ces éternels adeptes de l'idéologie du « pas-de-vaguisme », ceux qui sont les premiers à se mettre à genoux et à regarder tomber ceux qui sont restés debout. Ils se murmurent à l'oreille : « tu vois, on a bien fait de se coucher. » Dans cette partie géante de « 1, 2, 3, Soleil », le maître mot est « T'as bougé, tu dégages ». Cette pathologie paralysante et tétanisante semble avoir atteint par contagion l'État tout entier.

C'est la culture du « pas de vague », de l'alibi et de la soumission - termes injurieux mais surtout inavouables : pour être capables et coupables du pire, il faut bien se trouver des raisons.

Dans ce monde, on valorise le sujet obéissant, passif, parfois lâche, mais on dénigre le sujet rebelle en le qualifiant de traître, alors que celui-ci a pourtant agi comme il convient au sens de la morale. Au sein d'une société fortement hiérarchisée, agir comme il convient, c'est d'abord, au contraire, faire ce que l'autorité exige, de sorte que quiconque s'oppose à elle s'expose à la réprobation générale.

Loin d'être considéré comme un héros - un terme que le président Emmanuel Macron a pourtant utilisé pour qualifier mon frère lors de l'hommage national tenu à la Sorbonne le 21 octobre 2020 -, le sujet résistant est considéré comme un paria, tenu à l'isolement et livré à la vindicte populaire. Ainsi, Samuel a été livré seul en pâture à la mouvance islamiste.

=Mon frère a été reconnu par certains, et à tort, coupable de déloyauté. Il a payé cette désobéissance en finissant seul : l'État n'honorera pas sa part du contrat social en lui assurant sa protection.

Le dernier condamné à mort pour blasphème en France n'est plus François-Jean Lefebvre de la Barre, exécuté en 1766 à Abbeville. C'est désormais Samuel Paty, exécuté en 2020 à Conflans-Sainte-Honorine.

Combien de temps vous faudra-t-il pour comprendre que la culture de l'alibi, soit religieuse, soit ethnique, est utilisée pour commettre les pires exactions ? Finalement, à vouloir éviter discrimination et stigmatisation, cette attitude amalgame et réduit au silence ceux qui, comme mon frère, pensent que « la vie de l'homme est le droit le plus sacré ».

Qu'ont-ils appris après ça ? Si je vous dis : rien, c'est désespérant, mais c'est la réalité.

Est-ce qu'il n'y a que l'horreur de ce vendredi 13 octobre qui va me donner raison ?

M. Henri Leroy. - Nous avons été très attentifs au courrier que vous avez envoyé au président du Sénat et au président de la commission des lois. Celui-ci a suscité la création de cette mission d'information dotée des prérogatives d'une commission d'enquête.

Merci pour votre témoignage d'une émouvante dignité.

Votre famille a-t-elle été informée, associée ou consultée dans les discussions concernant la sécurité de Samuel après qu'il a été menacé ?

Votre dramatique expérience vous permet-elle aujourd'hui de suggérer des mesures préventives vous paraissant indispensables à la protection et à l'accompagnement des enseignants qui vivraient actuellement la même situation que votre frère avant son assassinat ?

M. Jacques Grosperrin. - Il est difficile de réagir après des propos aussi poignants, courageux et qui incitent au respect.

Vous avez parlé de faillite politique et administrative. Vous avez indiqué vouloir vous affranchir du politiquement correct. Qu'est-ce qui vous met le plus en colère trois ans après l'assassinat de votre frère et quelques jours après celui de Dominique Bernard ? Votre frère a été attaqué à l'extérieur de l'établissement scolaire ; Dominique Bernard, aux portes de celui-ci ; il est malheureusement à craindre qu'un jour, un drame similaire survienne dans la classe.

Que pensez-vous des mesures prises depuis l'assassinat de votre frère pour éviter qu'un tel drame ne se reproduise ?

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Merci pour vos propos : il faut savoir dénoncer l'horreur avec les bons mots  alors même que nous avons tendance, depuis longtemps dans notre pays, à ne pas employer les bons mots.

Je connais votre souffrance ainsi que celle de votre famille. Je sais que témoigner aujourd'hui devant nous tous était une manière pour vous de dire : « mon frère a donné sa vie parce que la République ne l'a pas défendu ».

Nous ne sommes pas suffisamment nombreux à dénoncer ce qui met en péril notre démocratie et notre liberté. A travers l'assassinat de votre frère, tel est pourtant également l'enjeu. Merci pour les mots très forts que vous avez prononcés aujourd'hui. Vous avez mon entière admiration.

Vous vous engagez pour protéger l'école. Hier soir, vous vous êtes exprimée admirablement à ce sujet à Paris. Pensez-vous que les enseignants qui prennent aujourd'hui leur poste sont conscients des menaces pesant sur eux et l'école ? Sont-ils suffisamment armés pour défendre la laïcité et l'école de la République ? L'école devrait être le lieu où les enfants se construisent dans la liberté, et où il est possible de s'exprimer et de critiquer sans être menacé. Quelle analyse faites-vous de l'école d'aujourd'hui, où certains enseignants se censurent, ou encore refuseraient de travailler dans une école ou un collège qui porterait le nom de votre frère ? Cela vous inquiète-t-il ? Quelle est votre position sur cette vague d'offensives islamiques que subit notre école ?

Mme Marie-Pierre Monier. - Je salue votre courage et votre abnégation dans le combat que vous menez depuis trois ans. Dans le contexte actuel, nous sommes menacés par l'impuissance ; face à l'ampleur de la tâche, il faut savoir entendre les électrochocs tels que votre voix

L'obscurantisme s'attaque à la seule institution capable de former des adultes qui aimeront la différence, le dialogue, la complexité et qui chercheront l'intérêt général. Comment lutter contre cet obscurantisme pour que nos enfants deviennent des citoyens éclairés ?

Comment redonner corps à la devise républicaine « Liberté, Égalité, Fraternité » pour qu'elle soit une réalité pour tous ? Voilà d'immenses défis qu'il nous faut relever au-delà des clivages partisans.

Êtes-vous toujours en contact avec des membres de la communauté enseignante, que ce soit celle qui travaillait avec votre frère ou d'autres personnes ? Font-ils appel à vous ? Au-delà de l'approche sécuritaire, quelle réponse faut-il, selon vous, apporter aux maux de l'école républicaine ?

Au coeur de l'attentat contre votre frère, se pose la question de la laïcité. Les enseignants se sentent-ils suffisamment armés pour transmettre la laïcité d'un point de vu pédagogique ? Comment réduire les incompréhensions entourant cette notion dans l'espace public ?

Mme Mickaëlle Paty. - Notre famille n'a jamais été informée des menaces pesant sur mon frère ; lui-même ne nous en avait pas fait part, se pensant protégé Dans un mail qu'il avait adressé à la principale de son collège, il disait croire à la justice. Malheureusement, il est mort avant que les propos calomnieux de MM. Chnina et Sefrioui n'aient été jugés.

Le risque encouru par les enseignants est aujourd'hui malheureusement avéré. En conséquence, il faut que l'éducation nationale propose d'emblée une mise en retrait aux enseignants menacés, sans multiplier les formulaires à remplir. Du reste, le droit de retrait a été accordé à d'autres enseignants, qui n'encouraient pourtant pas les mêmes risques que mon frère. Le SDLP peut intervenir dans un deuxième temps, pour accorder une protection.

J'en viens aux actions menées depuis l'assassinat de mon frère. De nombreuses circulaires ont été publiées par le ministère de l'éducation nationale ; la dernière en date est certes très bien faite. Mais elle n'apporte rien de plus. Elle prévoit des actions réflexes, telles que prévenir la police, contacter le rectorat, mais cela existait déjà auparavant. Je n'ai pas vu d'amélioration. Pire, certaines procédures sont très complexes : cet aspect fastidieux empêche des réactions efficaces, et je le déplore.

Je pense que les jeunes professeurs ont conscience des difficultés. Certains sont très motivés, mais nombre d'entre eux ont une conception ouverte, à l'anglo-saxonne, de la laïcité : ils ne comprennent pas la loi de 2004. Les jeunes professeurs font figure de gentils, et les moins jeunes, de méchants :l'école d'aujourd'hui est fracturée entre les générations.

Dans les jours ayant suivi la mort de mon frère, il m'avait été dit qu'un collège porterait son nom. Rapidement, certaines personnes s'y sont opposées, notamment le personnel sur place. On ne peut certes aller contre la volonté des gens. Il me semble pourtant que c'était un beau symbole - à l'heure où nous manquons précisément de symboles en France. ... Initialement, on avait mis en avant la nécessité d'attendre que l'ensemble des élèves ayant connu mon frère aient achevé leurs années de collège et quitté l'établissement, ce qui sera effectif à la fin de l'année scolaire 2023-2024. J'ai néanmoins appris par voie de presse que le maire de Conflans-Sainte-Honorine aurait trouvé un square - non encore construit - auquel donner le nom de mon frère, ce qui permettra de dire qu'il est inutile de donner le nom de Samuel Paty à un collège.

Un an après l'assassinat de Samuel, une partie de ma famille s'est rendue dans son collège, dans le cadre du travail organisé par des membres de la communauté éducative avec les élèves. En ce qui me concerne, une fracture a eu lieu lors de l'enquête pénale. L'inspecteur chargé de l'enquête m'a demandé trois noms de professeurs du collège qui pourraient témoigner ; les enseignants en question m'ont répondu qu'ils ne voulaient pas y aller J'ai vécu leur refus comme ce qu'a vécu mon frère lorsqu'il a été lâché par ses collègues. Je leur ai précisé que s'ils recevaient une convocation pour témoigner, ils seraient obligés de se présenter. Je ne m'attendais pas à une telle réponse de la part de personnes qui avaient, depuis le mois d'octobre 2020, tenu des propos auxquels qui étaient très bien J'ai alors ressenti cette grande solitude que mon frère avait vécue lui aussi.

J'ai rencontré de très nombreux enseignants lors de mes interventions, que ce soit à l'occasion de la journée de la laïcité ou sur d'autres sujets comme les fake news ; certains sont des gens formidables. Ma présence leur fait beaucoup de bien, car nombre d'entre eux se sentent terriblement seuls.

Sur la laïcité, on leur en demande trop. Certaines interventions doivent être menées à deux. La venue d'intervenants extérieurs, en renfort des professeurs, est une bonne chose. Il me semble que c'était là le principe de la réserve citoyenne, créée en 2015 ; l'objectif était de faire appel à des acteurs de la vie civile. Or, on ne le fait pas suffisamment. Àtitre d'anecdote, je travaille avec des sages-femmes qui souhaiteraient parler aux élèves d'éducation à la contraception, mais cela leur est impossible.

M. Hussein Bourgi. - Je salue la mémoire de votre frère, un homme qui avait choisi son métier et qui était un enseignant épanoui.

J'ai été profondément marqué par vos propos graves et forts qui ont résonné chez moi comme un réquisitoire, totalement justifié contre une institution qui me fait penser à la « Grande Muette », enfermée dans un splendide corporatisme, et qui ne sait pas être à la hauteur quand l'un des siens est en danger.

Avez-vous le sentiment que la mort de votre frère a servi à quelque chose ?

Mes collègues vous ont interrogée sur les mesures utiles pour venir en aide aux enseignants. Mais que pourrait-on faire pour prendre en charge un élève ou un parent d'élève qui se serait opposé à un professeur, en proférant des menaces voire en attentant à sa vie ? Protéger l'enseignant en lui permettant, le cas échéant, de faire usage de son droit de retrait ne règle pas tout le problème. Je conclurai mon propos en vous disant qu'une école Samuel-Paty a été inaugurée à Montpellier en septembre 2022. C'est un honneur et nous en sommes très fiers.

M. Max Brisson. - En tant que professeur d'histoire, je suis particulièrement sensible à votre témoignage. J'ai du mal à trouver les mots après votre intervention empreinte de colère et de dignité.

Selon vous, avant l'assassinat de votre frère, l'institution a nié la menace islamique et invoqué des problèmes d'ordre pédagogique. Cela renvoie à la terrible injonction du « pas de vague » que nous dénonçons mais que l'institution continue de nier.

Vous mettez également en avant un problème de formation des professeurs au principe de laïcité que promeut notre République et sur lequel celle-ci s'est fondée. Comme le montrent de nombreux rapports, dans les instituts nationaux supérieurs du professorat et de l'éducation (Inspé), c'est souvent une version de la laïcité à l'anglo-saxonne plus relative, plus ouverte, qui est enseignée. Or, cette conception de la laïcité ne correspond pas à notre Histoire.

Ce qui s'est passé, et se passe encore actuellement, n'est-il pas le signe de la faillite, de la part de l'université, de la formation des professeurs du primaire et du secondaire ? N'est-il pas temps, à l'heure où le ministre Gabriel Attal évoque une Ecole normale du XXIe siècle, que l'Éducation nationale reprenne en main la formation des professeurs ?  ?

Mme Colombe Brossel. - Madame, c'est le coeur lourd que je me permets de vous interroger. L'Association des professeurs d'histoire et de géographie (APHG) a créé en 2021 un prix Samuel-Paty pour rendre hommage à votre frère - vous participez, je crois, aux travaux de son comité de pilotage. Ce prix vise à récompenser des travaux collectifs sur la laïcité menés par des collégiens. Quel est votre regard sur ce type d'action ?

M. Pierre Ouzoulias. - Je dois vous avouer mon émotion, mais aussi ma honte, devant la force et la dignité de votre discours. Vous parlez de votre frère avec une humilité qui force le respect.

Je suis d'accord avec la comparaison avec le chevalier de La Barre : votre frère est un martyr de la laïcité républicaine. Pour Ferdinand Buisson, l'école de la République devait former des Républicains. Or aujourd'hui, nous manquons d'une morale républicaine.

Depuis plusieurs mois, je porte, mais en vain, l'idée d'accorder de droit à chaque enseignant la protection fonctionnelle, quitte à la lui retirer si elle ne se justifie en fait pas.. Ce serait à mon sens une marque de confiance importante pour les professeurs.

Je partage votre sentiment s'agissant des périls qui menacent la laïcité. Comme déjà souligné, nous sommes menacés par l'idéologie islamiste, qui s'attaque à ce qui fait le coeur de notre République, c'est-à-dire l'esprit critique et la raison. Mais nous sommes également menacés par les institutions européennes, qui promeuvent actuellement la neutralité religieuse. Mais ce n'est pas la laïcité !

Il serait donc temps, dans un grand mouvement national, que nous puissions débattre de façon souveraine de ces questions. La solution ne passerait-elle pas par la constitutionnalisation de la loi de 1905, ce qui permettrait à la Nation de se réapproprier la laïcité à la française ?

Mme Mickaëlle Paty. - La mort de Samuel a-t-elle servi à quelque chose ? Si tel avait été le cas, peut-être M. Dominique Bernard serait-il encore là.. Aucune véritable analyse de l'attentat contre mon frère n'a été faite.

Certes, on peut pointer diverses responsabilités ; mais il faut surtout comprendre l'ampleur de l'entrisme islamiste dans nos écoles. Après les menaces de décapitation, à quand les menaces de bombe ? La société est devenue un chaos.

Face aux revendications exprimées par certains élèves et leurs parents, il faut également mener un véritable combat idéologique. Exclure un élève ou le changer d'établissement ; convoquer le parent, le juger et le condamner, souvent à des peines négligeables ... Aucune de ces mesures correctives ne suffit. Elles ne peuvent qu'entraîner récidive. On se contente de déplacer les problèmes, de la même façon qu'en appuyant sur une tumeur cancéreuse, on dissémine des cellules cancéreuses partout.

L'islamisme est en pleine offensive. Le combat contre lui doit être mené par tous. J'ai pu constater que certains formateurs des Inspé se fourvoient dans une laïcité ouverte, qu'ils transmettent en conséquence aux nouveaux enseignants

Pour ma part, je ne comprends pas que l'enseignement supérieur et l'éducation nationale soient séparés entre deux ministères. La loi de 2004 ne s'applique pas à l'université, ce qui pose un problème de cohérence et de continuité notamment dans l'appréhension de la laïcité.

M. Brisson a évoqué le « pas de vagues » dans l'éducation nationale. Il y a une véritable peur de la médiatisation de la part du ministère de l'intérieur comme de celui de l'éducation nationale, conduisant minimiser les incidents par peur de réactions de la mouvance islamique Au final, on dessert la cause.

Concernant le prix Samuel-Paty dès le mois de décembre 2020, la secrétaire générale de l'APHG m'a demandé mon accord pour sa création. J'ai accepté et j'ai été très présente lors de la première année, même si, n'étant pas enseignante, je ne me considère pas assez légitime pour évaluer les travaux. La deuxième année, la participation a été ouverte aux lycées généraux et professionnels ; ma soeur et mes parents ont pris le relais auprès de l'APHG.

Il y a, à l'évidence, un intérêt à faire réfléchir les enfants, ce que leur défend l'islam politique. Le sujet abordé cette année portait sur les fake news. Les enfants endoctrinés doivent être sauvés ! Ils ont besoin d'entendre un contre-discours qui soit différent de celui entendu chez eux et dans leur entourage. Le rôle de l'école est de leur donner la chance d'avoir une autre vie.

Ce prix Samuel-Paty a du sens. Il renforce également la cohésion entre les professeurs en leur permettant de se retrouver : cette année, ils étaient près d'une centaine. Ce faisant, ils se sentent moins seuls. À défaut d'avoir le soutien de l'institution, ils ont le sentiment d'avoir le soutien de certains de leurs collègues qui partagent leur point de vue.

S'agissant de la protection fonctionnelle, elle est en fait accordée de façon systématique, à condition qu'aucune faute personnelle ne soit imputable à l'agent. À partir du moment où mon frère a été considéré comme coupable, il ne pouvait pas l'obtenir.

Mme Françoise Gatel. - Je salue votre témoignage et votre dignité avec beaucoup de respect et d'émotion.

Perdre l'école, c'est perdre la guerre, avez-vous dit. Hier, j'ai assisté à l'hommage rendu à Dominique Bernard dans le lycée Émile-Zola de Rennes. Le recteur nous a rappelé cette phrase d'Émile Zola :  « La société sera demain ce que sera l'école ».

Vous avez parlé d'autocensure, qui est aussi celle de la société tout entière. Elle nous conduit à nous bâillonner et à nous faire penser qu'en taisant les choses, nous les effaçons. Albert Camus disait : « Mal nommer les choses, c'est ajouter du malheur au monde ».

On demande aux enseignants de transmettre nos valeurs sacrées dans ce sanctuaire qu'est l'école. Or, la communauté éducative, par peur, fonctionne plus par procédure que par affirmation de nos valeurs.

J'ai l'impression que le discours que nous tenons aujourd'hui n'est pas partagé par les jeunes générations. La défense de la laïcité à la française est ressentie par elles comme une atteinte à la liberté d'autrui. Hier, j'ai pu mesurer que certains élèves, tout en sachant qu'un homme venait d'être assassiné, trois ans après l'assassinat de votre frère, ne comprenaient pas qu'il s'agissait d'une attaque massive pour écraser notre société et nos valeurs.

Au-delà de l'école, toute la société ne devrait-elle pas porter avec force l'affirmation de nos valeurs, cesser d'être timide et d'avancer, comme vous le disiez Madame, tête baissée ? Mme Alexandra Borchio Fontimp. - Nous ressentons bien évidemment une émotion particulière cet après-midi.

Pour ma part, je regrette que certains élus renoncent à rebaptiser des établissements scolaires du nom de votre frère, alors même que nous devrions en faire un exemple, comme nous l'avons faitdans les Alpes-Maritimes. Vous étiez d'ailleurs présente lorsque nous avons baptisé une école maternelle à Cap-d'Ail.

À la suite du drame, l'État vous a-t-il proposé un accompagnement pour votre santé mentale et votre sécurité ?

Selon vous, l'État est-il au rendez-vous des enjeux ? Vous écoute-t-il suffisamment ? Tient-il assez compte de vos propositions pour réussir l'après Samuel Paty, et désormais, l'après Dominique Bernard ?

Mme Monique de Marco. - Je salue votre courage. Merci de ne pas lâcher. Vous avez évoqué le manque de soutien envers votre frère de la part de ses collègues et de l'administration, Vous avez également rappelé que ses collègues avaient refusé de témoigner. Selon vous, pour quelles raisons ? Ont-ils eu peur de représailles, peur d'être menacés eux aussi ?

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, rapporteur. - En janvier 2022, le Conseil des sages de la laïcité avait souhaité l'organisation d'une journée de commémoration de la mort de votre frère chaque année, la semaine du 16 octobre. À ma connaissance, il n'en a rien été. Par ailleurs, selon le sondage de l'Ifop paru en novembre 2022 que vous évoquiez, 40 % des enseignants interrogés disaient qu'aucun temps d'hommage n'avait été organisé en octobre 2022, soit deux ans après l'assassinat de votre frère. Ce chiffre ne traduit-il pas une difficulté, du côté des établissements mais également de l'éducation nationale, à parler de l'assassinat de Samuel Paty ? Mme Mickaëlle Paty. - La grande majorité des enseignants qui s'autocensurent le font par peur. Mais il y a également un manque de courage, ainsi qu'un manque de connaissances. Il me semble que les nouveaux professeurs reçoivent une formation succincte sur la laïcité. Souvent, on les jette dans la fosse en leur demandant de se débrouiller par eux-mêmes. Parfois, ces jeunes professeurs peuvent trouver appui, dans leur établissement, auprès de collègues ; des formations ponctuelles existent aussi, mais elles sont assurées par des formateurs de l'Inspé qui privilégient une conception ouverte de la laïcité. Pour moi, la conception historique française de la laïcité doit être réaffirmée et approfondie.

.

Pour cela, il faut, comme je l'ai déjà dit, reprendre la main sur l'enseignement supérieur, pour pouvoir contrôler les formations données aux futurs enseignants.

Pour ce qui est de mon accompagnement, je n'ai pas bénéficié de mise sous protection, n'ayant pas reçu de menace.

.

La sécurité sociale m'offre pendant trois ans, je crois, un suivi psychiatrique ou psychologique régulier. Les frais de consultation sont entièrement pris en charge, mais le montant correspondant est déduit du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions, ce qui me semble étonnant.

Un an après l'assassinat de mon frère, dans le cadre de l'enquête, le juge d'instruction Richard Foltzer m'a demandé si j'étais suivie ; je lui ai répondu : « j'ai essayé ». J'avais bien d'autres combats à mener que de consulter.

J'attends un « après » qui ressemble à quelque chose. Je ne suis pas venue aujourd'hui devant vous par plaisir, mais contrainte et forcée, parce que j'ai besoin de vous, Mesdames, Messieurs les sénateurs.

Beaucoup des enseignants qui ont refusé d'aller témoigner ont refusé par peur - non pas par peur du terrorisme, mais par peur de l'éducation nationale ! Le respect du devoir de réserve a été invoqué : ces enseignants craignaient, s'ils témoignaient, de subir des pressions de la part de l'éducation nationale. Ils craignaient des représailles, comme des mutations forcées.

J'ai rencontré les membres du Conseil des sages de la laïcité, qui voulaient effectivement organiser une journée d'hommage par an consacrée à la mémoire de Samuel Paty, à la laïcité et à la liberté d'expression, Mais Pap Ndiaye est passé par là et a repris la main sur cette instance, ce dont je me suis d'ailleurs émue par voie de presse. La capacité autonome d'agir de façon autonome a été retirée au Conseil, qui ne peut désormais agir que sur ordre du ministre. Leur indépendance me semblait pourtant pertinente.

Parmi les raisons aux difficultés à organiser les journées d'hommage, citons la peur, mais aussi et surtout des difficultés à mettre en oeuvre des consignes arrivées tardivement.

En 2021 et 2022, les consignes du rectorat ont été émises une semaine avant la date anniversaire ; cette année, elles ont été envoyées par mail jeudi dernier à 20h02, soit trois jours avant la date à laquelle les recteurs étaient censés organiser l'hommage. Je vous laisse juges de cette situation rocambolesque...

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois, rapporteur. - Madame, merci de votre témoignage sans concession. Nous avons auditionné hier des enseignants, et nous avons été frappés par le sentiment de solitude dont ils ont fait part. A été également souligné le fait queles jeunes générations de professeurs n'ont pas le même rapport à la laïcité que les générations plus anciennes. Nous devons réfléchir au fait que la conception de la laïcité que la France a défendue jusqu'à présent est en train de vaciller.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

- Présidence de M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale -

Projet de loi de finances pour 2024 - Désignation des rapporteurs pour avis

M. François-Noël Buffet, président. - Sont désignés rapporteurs pour avis sur le projet de loi de finances pour 2024 :

- Mme Cécile Cukierman sur les crédits de la mission « Administration générale et territoriale de l'État » ;

- Mme Muriel Jourda et M. Philippe Bonnecarrère sur les crédits de la mission « Asile, immigration, intégration et nationalité » ;

- M. Thani Mohamed Soilihi sur les crédits de la mission « Outre-mer » ;

- M. Guy Benarroche sur les crédits de la mission « Conseil et contrôle de l'État » consacrés aux juridictions administratives et aux juridictions financières ;

- Mme Catherine Di Folco sur les crédits de la mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines » consacrés à la fonction publique ;

- M.  Louis Vogel sur les crédits de la mission « Justice » consacrés à l'administration pénitentiaire ;

- Mme Agnès Canayer et Mme Dominique Vérien sur les crédits de la mission « Justice » consacrés à la justice judiciaire et à l'accès au droit ;

- Mme Laurence Harribey sur les crédits de la mission « Justice » consacrés à la protection judiciaire de la jeunesse ;

- Mme Nathalie Delattre sur les crédits de la mission « Direction de l'action du Gouvernement » et le budget annexe « Publications officielles et information administrative » ;

- M. Éric Kerrouche sur les crédits de la mission « Pouvoirs publics » ;

- M. Jean-Michel Arnaud sur les crédits de la mission « Relations avec les collectivités territoriales » ;

- M. Henri Leroy sur les crédits de la mission « Sécurités », consacrés à la police nationale, à la gendarmerie nationale, à la sécurité et à l'éducation routières ;

- Mme Françoise Dumont sur les crédits de la mission « Sécurités » consacrés à la sécurité civile.

Mission d'information sur les émeutes survenues à compter du 27 juin 2023 - Désignation des membres

M. François-Noël Buffet, président. - Sont désignés membres de la mission d'information sur les émeutes survenues à compter du 27 juin 2023, Mmes Jacqueline Eustache-Brinio, Isabelle Florennes et Corinne Narassiguin, M. Olivier Bitz, Mme Cécile Cukierman, M. Louis Vogel, Mmes Mélanie Vogel et Nathalie Delattre.

Mission d'information sur les émeutes survenues à compter du 27 juin 2023 - Demande d'octroi à la commission des lois, pour une durée de six mois, des prérogatives attribuées aux commissions d'enquête

M. François-Noël Buffet, président. - Je propose que nous demandions l'octroi, à partir d'aujourd'hui et pour une durée de six mois, des prérogatives d'une commission d'enquête pour mener cette mission d'information.

La commission décide de demander au Sénat l'octroi pour la commission des lois, pour une durée de six mois, des prérogatives attribuées aux commissions d'enquête.

La réunion est close à 16 h 30.