Mardi 26 septembre 2023

- Présidence de M. Pierre Henriet, président -

La réunion est ouverte à 17 h 00.

Hommages

M. Pierre Henriet, député, président de l'Office. - Mes chers collègues, avant d'entamer nos travaux, je profiterai de cet instant pour remercier particulièrement deux de nos membres, Mme Catherine Procaccia et M. Gérard Longuet, pour leur contribution exceptionnelle et l'exemple qu'ils nous donnent à l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst). Nous marquons leur retrait de la vie politique et, par la même occasion, nous honorons leur contribution à l'Office.

Madame Procaccia, votre engagement depuis 2004 à l'Office, année où vous entrez au Sénat, force l'admiration et le respect. Vous vous penchez sur l'ensemble des sujets que traite régulièrement l'Office, ce qui vous donne une expertise à nulle autre pareille parmi les parlementaires. Votre passion pour la matière scientifique et le dialogue a profondément enrichi les travaux de notre Office, pour lequel vous avez toujours été une excellente communicante.

De vos nombreux centres d'intérêt émergent deux thèmes : la politique spatiale et la santé. Sur l'espace, vous avez établi un rapport de référence et animé plusieurs auditions publiques en 2012, 2015 et 2019, préalables à la tenue du conseil ministériel de l'Agence spatiale européenne. Vous avez également présenté une note scientifique sur l'exploration de Mars. Sur la santé, vous avez fait preuve d'une remarquable constance puisque le premier rapport que vous avez réalisé pour l'Office portait sur les pesticides aux Antilles - c'était en 2009, avec votre compère d'alors, Jean-Yves Le Déaut -, avec le chlordécone en ligne de mire. Votre dernier rapport, publié en février dernier, portait précisément sur l'impact de l'utilisation de la chlordécone aux Antilles françaises.

Nous savons tous l'impact qu'ont eu ces rapports, tant dans la communauté scientifique et le monde antillais que dans les sphères gouvernementales. En assurant ainsi, à quatorze ans d'intervalle, le suivi d'un sujet d'intérêt majeur, votre action a été primordiale. Cette action de suivi doit être un modèle pour les rapports de l'Office.

Mais votre apport à notre Office va bien au-delà des notes ou des rapports scientifiques réalisés, parmi lesquels je pourrai encore mentionner le rapport sur les biotechnologies ou la note sur la phagothérapie. Nombre d'entre nous ont connu le feu roulant de vos questions précises, percutantes, mais toujours bienveillantes, lorsque nous présentions nos propres travaux devant l'Office. Après dix-neuf années de service, vous seriez l'unique sénatrice à pouvoir prétendre au titre de membre honoraire de l'Office s'il devait exister !

Nous serons évidemment très heureux de rester en lien avec vous et nous vous remercions pour votre dévouement à l'Office et pour tout ce que vous lui avez apporté. (Applaudissements.)

Monsieur Longuet, vous avez rejoint l'Office en septembre 2015. Vous êtes donc à nos yeux un membre beaucoup plus jeune ! Votre parcours politique est aussi savoureux que la confiture de groseille de Bar-le-Duc. Député, sénateur, président de région et ministre à trois reprises, vous avez toujours affiché un engagement ferme en faveur de la défense nationale, des télécommunications et de l'amélioration des conditions de vie de nos concitoyens. Cela n'a pas manqué d'influencer nos travaux au sein de l'Office.

Je ne m'étendrai pas sur les travaux que vous y avez accomplis : vos fonctions de président ou de premier vice-président vous ont en effet conduit à corapporter de très nombreuses auditions publiques. En faire la liste serait fastidieux mais je voudrais souligner votre intérêt particulier pour les sujets en lien avec l'énergie et les technologies innovantes.

Ce qui marque votre contribution à l'Office est la hauteur de vue que vous montrez en toutes occasions : pour éclairer le choix des travaux, pour interroger les nombreuses personnes entendues par l'Office, pour exposer les conclusions de vos travaux, pour commenter, discuter, questionner les réalisations des autres membres de l'Office. Cela s'explique, bien sûr, par votre grande expérience politique, mais j'y vois aussi l'effet d'une réelle passion pour la science et la technologie, ainsi que pour la culture scientifique et technique.

Merci donc, monsieur le premier vice-président, pour votre dynamisme et votre enthousiasme, qui nous ont permis d'être à la hauteur de notre réputation, ici, à l'Office. (Applaudissements.)

M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office. - L'immense avantage de se retirer du Sénat sans s'être représenté, c'est qu'on peut entendre de son vivant son éloge funèbre !

M. Pierre Henriet, député, président de l'Office. - L'interaction entre la science, la technologie et la société est complexe et demande une vigilance constante, une rigueur intellectuelle et une responsabilité morale.

C'est un défi que vous avez tous les deux relevé avec brio, en apportant une vision équilibrée et éclairée aux discussions et aux décisions de notre Office. À l'heure où nous tournons cette page, la pensée de François Rabelais résonne à travers ses mots intemporels : « Science sans conscience n'est que ruine de l'âme. » Cette citation pourrait d'ailleurs être la devise de l'Office, car elle nous rappelle sans cesse la mission noble et cruciale qui est la nôtre.

Je ne cite pas Rabelais par hasard, pas uniquement parce qu'il fit ses études et devint moine dans mes contrées vendéennes du marais poitevin, mais aussi et surtout parce que vous êtes issu de la promotion Rabelais de l'École nationale d'administration (ENA).

En vous disant au revoir, nous sommes à la fois nostalgiques du chemin parcouru et emplis d'espoir pour l'avenir. Vos carrières respectives nous montrent l'importance de servir la société, toujours avec détermination et intégrité, tout en navigant dans l'océan vaste, et souvent tumultueux, du progrès scientifique et technologique.

Merci à vous deux de vos contributions remarquables et remarquées au sein de notre Office. (Applaudissements.)

M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office. - Michèle Meunier mérite les mêmes compliments et les mots très gentils, mais excessifs, du président.

Examen de la note scientifique sur les nouveaux produits du tabac ou à base de nicotine

M. Pierre Henriet, député, président de l'Office. - Nous allons à présent examiner la note scientifique sur les produits alternatifs au tabac à fumer, qui est présentée par Catherine Procaccia, sénateur, et Gérard Leseul, député, rapporteurs.

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office, rapporteur. - En préambule, j'espère que tous ceux qui feront à l'avenir partie de l'Opecst éprouveront le même intérêt et le même plaisir que moi à y siéger. L'Office permet de faire travailler ensemble députés et sénateurs, c'est un atout qu'il faut conserver.

La note scientifique sur les produits alternatifs au tabac à fumer que nous allons vous présenter fait suite à une saisine de la commission des affaires sociales du Sénat. Celle-ci souhaiterait pouvoir s'appuyer sur des conclusions scientifiques solides sur la dangerosité des produits du tabac ou à base de nicotine, afin notamment d'alimenter les débats à leur sujet dans le cadre de l'examen des projets de loi de financement de la sécurité sociale.

En introduction, il convient de rappeler l'important enjeu de santé publique que représente le tabac : il est la première cause de mortalité évitable en France et il a un coût social important. La prévalence du tabagisme, particulièrement élevée en France, est marquée par de fortes inégalités sociales. Elle est corrélée au niveau de diplôme, de revenu et à la situation professionnelle.

Bien qu'une part importante des fumeurs déclare vouloir sortir du tabagisme, la majorité des tentatives d'arrêt se solde par un échec. Les traitements de substitution nicotiniques, actuellement recommandés en première intention comme aides au sevrage, augmentent de 50 % à 70 % les chances d'arrêt.

Depuis une dizaine d'années, plusieurs nouveaux produits ont été présentés comme des solutions de remplacement au tabac fumé, supposées réduire les risques sanitaires associés au tabagisme. L'objectif de cette note est d'effectuer un bilan des connaissances concernant leur nocivité et leur impact en tant qu'outils de sevrage, d'initiation ou de maintien dans le tabagisme.

M. Gérard Leseul, député, vice-président de l'Office, rapporteur. - Quels sont ces produits ?

Les cigarettes électroniques, que vous connaissez tous, sont apparues autour des années 2010 en France. Elles reproduisent les sensations d'une cigarette traditionnelle, tout en évitant l'exposition aux substances toxiques émises lors de la combustion. Elles contiennent non pas du tabac, mais un liquide composé, le plus souvent, mais pas nécessairement, de nicotine. Ce produit est relativement répandu aujourd'hui : il est utilisé de façon quotidienne par 5,5 % des adultes et par 6,2 % des jeunes de 17 ans.

Depuis 2021, des cigarettes électroniques à usage unique, couramment appelées puffs, ont également fait leur apparition. Malgré l'interdiction, peu respectée, de les vendre aux mineurs, ces dispositifs visent volontairement une jeune clientèle, notamment au travers d'emballages et de prix attractifs. En raison de leur caractère jetable, et alors qu'ils sont faiblement recyclés, ils ont une importante empreinte environnementale.

Moins répandu et apparu en France en 2017, le tabac chauffé est un dispositif électronique qui utilise du tabac, qu'il chauffe, mais ne brûle pas, contrairement aux cigarettes traditionnelles.

Les tabacs à mâcher et à priser ne sont pas des produits récents, mais ils font également partie des produits aujourd'hui présentés comme étant à risques réduits puisque leur consommation n'implique pas de combustion. Ils font toutefois l'objet d'une consommation limitée en France.

Enfin, depuis 2022, des sachets de nicotine sont apparus sur le marché. Placés entre la lèvre et la gencive, ils sont sucés comme le tabac en sachet suédois, appelé snus et interdit dans le reste de l'Union européenne. N'étant ni des produits du tabac ni des traitements de substitution nicotiniques qui auraient montré leur efficacité, ces sachets de nicotine se situent actuellement dans une zone juridique grise.

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office, rapporteur. - Le débat qui entoure ces produits se cristallise notamment sur l'évaluation de leur nocivité. Contrairement au tabac fumé, dont la dangerosité a été très largement documentée, on dispose de peu de connaissances scientifiques sur ces produits, qui sont mis sur le marché sans évaluation préalable. Les études disponibles, en nombre limité et souffrant d'un manque de recul, ne permettent pas d'évaluer précisément le risque sanitaire qui leur est associé.

Pour les cigarettes électroniques, la plupart des experts s'accordent pour affirmer que l'aérosol produit est moins nocif que la fumée du tabac. Cependant, cette moindre nocivité des émissions ne signifie pas nécessairement une diminution proportionnelle du risque sanitaire pour l'usager.

Pour l'Agence de santé publique britannique, l'usage de la cigarette électronique serait à 95 % plus sûr que celui du tabac fumé. En France, le Haut Conseil de la santé publique (HCSP), très prudent, estime que les données disponibles ne permettent pas de démontrer une réduction du risque sanitaire lors du passage du tabac fumé à la cigarette électronique, tout en reconnaissant qu'il est possible d'en faire l'hypothèse dans le cas d'un usage exclusif de la cigarette électronique.

En revanche, cela ne serait pas le cas pour les fumeurs qui se contenteraient de réduire leur consommation de tabac grâce à la cigarette électronique, mais qui continueraient de fumer, pratique qualifiée de « vapofumage » et qui concerne plus de la moitié des vapoteurs en France. Cette pratique serait dangereuse et on ne le sait pas.

En ce qui concerne le tabac chauffé, dont l'usage est pour l'instant marginal en France - il est consommé par 0,1 % des adultes -, les études scientifiques émanent majoritairement de l'industrie du tabac. Au vu des données disponibles, la réalité d'une réduction des risques sur la santé de l'utilisateur reste à démontrer.

La consommation des formes orales du tabac serait associée à une augmentation du risque de problèmes bucco-dentaires, de certains cancers - mais pas de celui du poumon - et d'accidents vasculaires. Cependant, selon certaines études, le passage à une consommation exclusive de snus pourrait réduire les risques sanitaires pour les fumeurs. Le snus est interdit dans l'Union européenne, sauf en Suède. Nous avons d'ailleurs découvert avec étonnement que l'adhésion de ce pays à l'Union s'est faite à la condition qu'il reste possible d'utiliser le snus ! De la même façon, l'Institut fédéral allemand pour l'évaluation des risques a estimé que, pour les fumeurs, le passage aux sachets de nicotine pourrait représenter une réduction des risques pour la santé.

Au-delà de la question de leur nocivité, la réduction des risques susceptible d'être engendrée par ces différents produits dépend de leur efficacité à remplacer l'usage du tabac fumé.

En ce qui concerne les cigarettes électroniques, certaines revues de la littérature concluent que leur usage permet d'obtenir de meilleurs taux d'arrêt tabagique que les traitements de substitution nicotiniques, quand d'autres estiment que les données disponibles sont insuffisantes pour tirer une telle conclusion.

Pour autant, la cigarette électronique fait partie des aides au sevrage les plus fréquemment utilisées par les fumeurs français. Celle-ci semble donc susceptible de jouer un rôle pour une part de la population qui ne pourrait ou ne souhaiterait pas utiliser les traitements nicotiniques traditionnels.

En revanche, sur le tabac chauffé, les formes orales du tabac et les sachets de nicotine, les connaissances actuelles semblent insuffisantes pour tirer des conclusions quant à leur capacité à remplacer l'usage du tabac fumé.

M. Gérard Leseul, député, vice-président de l'Office, rapporteur. - Les risques associés à ces différents produits doivent être appréciés non seulement du point de vue individuel, mais également à l'échelle de la société. En effet, ils pourraient exposer des non-fumeurs à un risque nouveau ou retarder la sortie du tabagisme pour certains fumeurs. Plusieurs acteurs de santé publique, dont l'Organisation mondiale de la santé (OMS), craignent notamment le rôle d'initiation au tabagisme que ces produits pourraient jouer.

D'après Santé publique France, les vapoteurs majeurs sont en très grande majorité des fumeurs ou ex-fumeurs. Pour les adultes, le risque d'un effet passerelle vers le tabac semble dès lors très limité.

Pour les adolescents, la question semble plus délicate en raison de données contradictoires. Si plusieurs études menées à l'échelon international suggèrent que l'utilisation de la cigarette électronique à un jeune âge serait significativement associée à une entrée dans le tabagisme dans le futur - sans que la causalité ne puisse être démontrée -, une étude conduite en France chez des jeunes de 17 ans a observé une tendance inverse.

Récemment, l'apparition des cigarettes électroniques jetables a fait évoluer les représentations associées à la cigarette électronique chez les plus jeunes et a contribué à sa plus grande popularité, renouvelant le débat sur l'entrée dans le vapotage et dans le tabagisme.

De manière plus générale, les arômes - ils sont très attractifs : fraise, barbe à papa ou coca-cola ! - sont considérés comme jouant un rôle majeur dans l'initiation et la consommation des produits de vapotage par les adolescents. Toutefois, les liquides aromatisés sont également utilisés de manière importante par les adultes et il a été constaté qu'ils permettaient d'augmenter l'efficacité de la cigarette électronique en tant qu'outil de sevrage tabagique. Aussi, si l'interdiction de certains arômes pourrait permettre de réduire le vapotage chez les jeunes, elle serait à l'inverse susceptible de rendre les cigarettes électroniques moins attractives comme outils de sevrage.

Pour le tabac chauffé, quelques études semblent montrer qu'il agirait comme un produit d'entrée dans le tabagisme, mais celles-ci doivent encore être confirmées.

Concernant les formes orales du tabac, des études états-uniennes indiquent que leur utilisation pourrait conduire à la consommation de cigarettes traditionnelles, tandis que les données suédoises n'observent pas de telle tendance avec le snus.

Enfin, bien qu'aucune étude ne soit pour l'instant disponible sur le risque d'association entre tabagisme et sachets de nicotine, ceux-ci sont susceptibles d'être particulièrement addictifs en raison de fortes doses de nicotine et d'un mode de consommation favorisant son absorption rapide.

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office, rapporteur. - Les incertitudes scientifiques entourant l'évaluation de la nocivité de ces produits et de leur impact en tant qu'outil de sevrage, d'initiation ou de maintien dans le tabagisme sont à l'origine des controverses quant aux politiques publiques à adopter.

En raison d'un rapport bénéfices/risques sur le long terme qui reste encore mal connu et qui fait l'objet de débats dans le milieu scientifique, les législations encadrant les cigarettes électroniques varient fortement entre les différents pays du monde : 34 pays recensés par l'OMS interdisent la vente de ces dispositifs tandis que le Royaume-Uni les considère comme l'un des outils pouvant permettre de faire sortir le pays du tabagisme d'ici à 2030. Plusieurs pays ont interdit ou envisagent d'interdire la commercialisation des puffs et ont restreint les arômes contenus dans les e-liquides.

À l'échelle internationale, l'OMS invite à une certaine prudence. En France, c'est également le cas du Haut Conseil de la santé publique qui, après avoir reconnu en 2016 que la cigarette électronique pouvait être considérée comme un « outil de réduction des risques du tabagisme », considérait en 2021 qu'elle ne pouvait être présentée comme telle de manière générale.

Concernant les produits du tabac non fumé, pour lesquels les données disponibles sont plus restreintes, un consensus semble exister sur la nécessité d'une régulation.

L'ensemble de ces éléments nous conduit à formuler plusieurs recommandations.

Nous proposons tout d'abord de lancer des études indépendantes à l'échelle nationale sur la nocivité propre et relative de ces différents produits, ainsi que sur leurs effets sur le tabagisme. Il est notamment nécessaire de conduire des études indépendantes sur le tabac chauffé afin de disposer des connaissances nécessaires pour guider d'éventuelles futures décisions publiques. Nous souhaitons qu'à l'avenir des études soient engagées dès l'émergence de nouveaux produits du tabac ou connexes pour en évaluer la nocivité. Au vu des coûts humains et financiers que constitue cet enjeu de santé publique, il conviendrait de mobiliser l'ensemble des organismes de recherche compétents et les guichets de financement en ce sens.

Nous suggérons de mettre à contribution les fabricants pour le financement de ces travaux, par exemple en augmentant les droits qu'ils versent pour la déclaration de nouveaux produits. Une part importante des études existantes sont financées par les fabricants eux-mêmes et ne sont donc pas crédibles de ce fait.

Nous recommandons par ailleurs de demander à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) de publier rapidement l'évaluation qu'elle conduit concernant les risques sanitaires de l'ensemble de ces produits, et d'actualiser régulièrement ses travaux pour mettre à disposition les données les plus fiables possible. L'étude des dangers du tabac fait partie des missions de l'Anses. Une étude est en cours mais elle ne sera pas terminée avant 2025. Personnellement, je n'ai pas l'impression que l'Agence soit très mobilisée sur ce sujet.

Nous proposons aussi que les décisions législatives et réglementaires concernant ces produits, qu'il s'agisse de limitations ou d'interdictions, soient fondées sur les meilleures connaissances scientifiques disponibles.

Nous conseillons de fournir aux consommateurs des informations claires, complètes et objectives sur les connaissances et les incertitudes sur ces produits. En France, on ne communique pas sur ces produits, par exemple sur la cigarette électronique, car on ne saura que dans quarante ans s'ils sont moins dangereux que le tabac à fumer !

Nous suggérons d'étudier la pertinence d'un « noci-score » permettant d'éclairer le consommateur sur la nocivité relative des différents produits.

M. Gérard Leseul, député, vice-président de l'Office, rapporteur. - Nous proposons également de mener une campagne grand public de prévention sur les risques associés au vapofumage, c'est-à-dire à l'utilisation concomitante de cigarettes traditionnelles et d'une cigarette électronique.

Nous recommandons d'interdire les arômes dits « pièges à enfants », inspirés de sucreries ou au nom abstrait. Il faut conduire des études sur la dangerosité des arômes et sur les effets qu'ils peuvent avoir tant pour sortir du tabagisme que pour y entrer, et adapter en conséquence la liste des restrictions.

Il est par ailleurs nécessaire d'augmenter les contrôles et d'alourdir les sanctions en cas de vente de produits du tabac et de la nicotine aux mineurs.

Il faut également étudier l'instauration d'un emballage neutre pour réduire l'attractivité des produits de vapotage.

Nous recommandons d'interdire les puffs pour prévenir leur impact écologique et, par principe de précaution, en raison du risque que peut représenter leur attractivité.

Si le sevrage doit constituer l'objectif à atteindre pour l'ensemble des fumeurs, il faut adopter une approche de réduction des risques pour les fumeurs qui ne pourraient ou ne souhaiteraient pas utiliser les traitements nicotiniques traditionnels, à l'instar du Royaume-Uni, qui intègre la cigarette électronique à sa stratégie de lutte contre le tabagisme.

Enfin, il importe de développer rapidement un cadre réglementaire pour les nouveaux produits oraux de la nicotine, notamment les sachets, et pour les produits susceptibles d'émerger.

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office, rapporteur. - J'ajoute que, dans le cadre de mes travaux à l'Opecst, c'est la première fois que je suis témoin de pressions de la part d'associations, certaines ayant tenté de nous empêcher de faire notre travail. Il aurait fallu n'auditionner que les anti-tabac, les anti-vapotage, les anti-nicotine, en bref les anti-tout ! Nous avons pour habitude à l'Office d'entendre toutes les parties prenantes.

M. Gérard Leseul, député, vice-président de l'Office, rapporteur. - Les déontologues des deux assemblées ont rappelé que nous travaillons en toute transparence et que nous communiquons la liste des personnes auditionnées.

M. Stéphane Piednoir, sénateur. - Avez-vous constaté un effet rebond ? Certains usagers compensent-ils leur baisse de consommation de tabac fumé par une augmentation de celle de produits nouveaux, au motif qu'ils seraient moins nocifs ?

Quelle est la réglementation en vigueur concernant la vente de cigarettes électroniques et de sachets de nicotine ?

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office, rapporteur. - Nous disposons de très peu d'études en France, nous ne savons donc pas s'il existe un effet rebond. En revanche, il est clair que certaines personnes se donnent bonne conscience en réduisant leur consommation de tabac fumé tout en augmentant le vapotage. Or il est aussi dangereux de fumer un demi-paquet par jour et de vapoter que de fumer un paquet par jour. C'est la seule chose que les études montrent.

Selon Santé publique France, si de nombreux vapoteurs continuent de fumer parallèlement, il y a également une importante proportion de personnes qui parviennent à arrêter de fumer grâce au vapotage.

M. Gérard Leseul, député, vice-président de l'Office, rapporteur. - Le point essentiel à retenir, c'est qu'il faut éviter le vapofumage. Il faut absolument communiquer sur le fait que, pour améliorer sa santé, il faut arrêter complètement le tabac. Il n'existe pas de réglementation sur les sachets de nicotine.

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office, rapporteur. - En revanche, toutes les formes de tabac et les produits de vapotage sont interdits aux mineurs, ce qui n'empêche malheureusement pas les jeunes de fumer et d'acheter des cigarettes électroniques ou des puffs, que l'on trouve aux caisses des supermarchés ou de certaines grandes enseignes. Il faut donc que la réglementation en la matière soit appliquée.

Alors que nous nous étonnions que la réglementation ne soit pas respectée, il nous a été dit que la police municipale n'avait qu'à faire des contrôles dans les bureaux de tabac et les boutiques de vapotage. Nous avons un problème de respect de la réglementation.

En France, on préfère interdire un produit plutôt que de faire respecter une réglementation qui serait pourtant protectrice pour tout le monde. Aux États-Unis, il faut produire une pièce d'identité pour acheter de l'alcool...

Mme Michelle Meunier, sénatrice. - Je fais partie de ceux qui ont arrêté de fumer grâce à la cigarette électronique. Ne faudrait-il pas prévoir un accompagnement des fumeurs qui passent à la cigarette électronique ?

Je suis d'accord avec vos préconisations, notamment concernant les études, lesquelles doivent en effet être financées par les fabricants. Ne faudrait-il pas réaliser des études genrées ? Les femmes et les hommes réagissent-ils de la même manière à la cigarette électronique ? À une époque, les jeunes filles voulaient faire comme les garçons, fumer et boire. En sommes-nous toujours là ? Une jeune fille entre-t-elle dans le tabagisme comme un garçon ? On sait que le tabac est à l'origine de plus d'une quinzaine de cancers...

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office, rapporteur. - Le cancer est une cause nationale, mais lorsqu'on creuse la question du tabac et des produits connexes, on se rend compte qu'il existe peu d'études mesurant les conséquences de leur consommation.

Mme Michelle Meunier, sénatrice. - Mais c'est une question de santé publique, compte tenu du nombre de décès par an liés au tabac ! Il faudra revenir sur ces questions de santé publique, de prévention, de sanction et d'interdiction lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Les puffs ont failli être interdites, mais on a fait marche arrière...

Mme Florence Lassarade, sénatrice. - La nicotine est la pire des drogues en termes de dépendance. Avec la cigarette électronique, il n'y a certes plus de dépôt de goudron sur les bronches, mais le comportement addictif subsiste. La cigarette électronique ne devrait-elle pas devenir un produit médical ?

Autre question : l'usage du tabac permettait souvent le passage au cannabis. Le cannabis est-il aujourd'hui remplacé par d'autres drogues ?

Par ailleurs, la vapeur que peut inhaler l'entourage des utilisateurs de cigarettes électroniques n'est-elle pas nocive ? A-t-on des informations à cet égard ?

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office, rapporteur. - Nous n'avons pas de retour sur le cannabis. Peut-être existe-t-il des addictions à la cigarette électronique, mais nous avons tous des addictions, que ce soit au chocolat ou aux séries télé. Un monde idéal dans lequel personne n'aurait envie de rien serait triste !

M. Gérard Leseul, député, vice-président de l'Office, rapporteur. - Concernant l'usage de la nicotine qui résulte des cigarettes électroniques, il est difficile de connaître les pratiques des consommateurs, des mélanges étant notamment réalisés. Ce qui est sûr, c'est que le taux de nicotine dans les flacons est plafonné et que de nombreux vapoteurs se déprennent progressivement de la dépendance à la nicotine et ne mettent plus de nicotine dans leur cigarette électronique. Il faut cependant veiller à l'addiction au geste, qui concerne les adolescents. Avec les sachets de nicotine, cette habitude au geste n'existe pas.

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office, rapporteur. - Il n'existe pas d'étude sur le caractère dangereux ou addictif des sachets de nicotine. Le traitement de première intention pour arrêter de fumer, ce sont les produits à base de nicotine vendus en pharmacie, les patchs ou les gommes. On ne sait pas si les sachets de nicotine actuellement vendus pourraient permettre le sevrage comme ces produits. Il est certain que les producteurs de sachets ne vont pas solliciter une autorisation de mise sur le marché et se soumettre aux contrôles des laboratoires pharmaceutiques. Il faut au moins que l'État fixe des normes concernant ces sachets.

Mme Huguette Tiegna, députée. - Votre proposition d'instaurer un noci-score est intéressante. Un tel score permettrait d'éclairer nos concitoyens. Les efforts faits sur les emballages des paquets de cigarettes afin de dissuader la consommation - je pense aux photos qui y figurent - ont-ils eu une efficacité ? Existe-t-il des addictions à la cigarette électronique ? Disposez-vous de chiffres sur ce sujet ?

Des personnes seraient décédées aux États-Unis à cause de cigarettes électroniques, probablement parce qu'elles contenaient du tétrahydrocannabinol (THC). Y a-t-il eu des cas en France ?

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office, rapporteur. - Non, il n'y a pas eu de cas en France. La réglementation et la surveillance aux États-Unis ne sont pas les mêmes que chez nous.

M. Gérard Leseul, député, vice-président de l'Office, rapporteur. - Les liquides responsables de ces décès aux États-Unis étaient frelatés. La traçabilité de certains produits commercialisés est parfois assez floue.

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office, rapporteur. - Tous les produits commercialisés en France, en dehors du tabac, n'ont pas besoin d'autorisation, mais ils sont tout de même surveillés par l'Anses.

Sachant que le taux de prévalence du tabagisme en France n'a quasiment pas diminué depuis des années, je ne suis pas sûre que le paquet neutre ait été utile, mais les agences sanitaires diront que si. Le nombre de fumeurs a un peu diminué, mais la prévalence demeure importante.

M. Gérard Leseul, député, vice-président de l'Office, rapporteur. - À titre personnel, je pense que le paquet neutre a été utile. On constate une baisse du nombre de consommateurs, mais je pense qu'on a atteint un palier.

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office, rapporteur. - La France est l'un des pays où le nombre de fumeurs ne diminue pas beaucoup.

Mme Sonia de La Provôté, sénatrice, vice-présidente de l'Office. - Il existe deux approches de l'addiction, dont l'approche comportementale. Rendre dépendant à un produit n'est pas neutre. Il ne faut donc pas négliger la dépendance à la nicotine des jeunes, qui vapotent et fument du cannabis. C'est un enjeu sanitaire.

On sait que le vapotage provoque des maladies, comme le syndrome de détresse respiratoire aiguë, qui peut conduire en réanimation, et pas parce que le produit est frelaté. On suspecte également des syndromes asthmatiformes et des bronchites chroniques. On a désormais du recul sur la cigarette électronique et sur les pathologies pulmonaires autres que les cancers qu'elle provoque.

Par ailleurs, ces substituts sont-ils taxés comme la cigarette ?

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office, rapporteur. - Je crois que la fiscalité appliquée aux tabacs à chauffer a été alignée sur celle qui est appliquée aux tabacs manufacturés dans le dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale. Cela étant, le tabac à chauffer ne représente que 0,1 % de la consommation en France.

M. Gérard Leseul, député, vice-président de l'Office, rapporteur. - À ma connaissance, la fiscalité n'est pas identique pour le tabac à fumer et pour les cigarettes électroniques, d'une part, et pour les arômes et les liquides consommés, d'autre part.

Mme Sonia de La Provôté, sénatrice, vice-présidente de l'Office. - On reproduit aujourd'hui avec un certain nombre de produits qu'on a laissé entrer sur le marché la même bêtise qu'avec le tabac ! On ne contrôle pas, puis on s'affolera dans quelques années quand on mesurera leurs effets sanitaires. La difficulté, c'est qu'il existe une grande diversité de produits et que les composants diffèrent d'une marque à l'autre, de même que les arômes.

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office, rapporteur. - Je ne partage pas complètement ce point de vue. La Grande-Bretagne rembourse la cigarette électronique, car elle a permis de faire considérablement chuter le nombre de fumeurs. En outre, il existe des cigarettes électroniques sans nicotine. Je pense qu'il ne sert à rien d'interdire ces produits, les gens s'en procureront tout de même ! Selon une étude, 30 % ou 40 % des cigarettes consommées en France sont soit importées, soit des produits de contrebande.

Mme Sonia de La Provôté, sénatrice, vice-présidente de l'Office. - Le problème que je soulève est celui du suivi sanitaire. Si l'on avait évalué les risques du tabac, on se serait rendu compte beaucoup plus tôt qu'il provoquait des maladies cardio-vasculaires !

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office, rapporteur. - La difficulté est la même pour le protoxyde d'azote : cela faisait quatre ans que nous alertions sur ses dangers lorsque la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca) nous en a parlé. On attend d'avoir du recul et de constater que c'est dangereux avant d'agir !

M. Alexandre Sabatou, député. - Je vous remercie d'avoir souligné les effets passerelles. Nous ne savions pas que certains produits pouvaient être une incitation au tabagisme pour les jeunes. Ne devrions-nous pas faire le même pari que la Grande-Bretagne ?

Par ailleurs, dans la mesure où la production de tabac n'est pas très élevée en France, ne faudrait-il pas s'orienter vers la cigarette électronique pour des raisons de souveraineté et de pragmatisme ?

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office, rapporteur. - Nous n'avons pas creusé cette question, l'audition des industriels a déjà provoqué un tel tollé...

M. Gérard Leseul, député, vice-président de l'Office, rapporteur. - Nous n'avons pas la même culture du risque que les Britanniques. Bien sûr, nous laissons entendre que nous pourrions changer de paradigme, notamment au travers du noci-score, mais un tel pari ne semble pas pertinent dans notre culture.

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office, rapporteur. - S'ils ne vont pas jusqu'à affirmer que certains substituts du tabac manufacturé sont moins nocifs, plusieurs pays n'estiment toutefois pas qu'il ne faut pas en parler. Aussi, je regrette la position des autorités françaises qui, elles, recommandent de ne rien faire, à l'instar des médecins que nous avons auditionnés. Or si l'on ne parle de rien, les gens continueront de fumer des produits qui peuvent être dangereux. Voilà pourquoi ne rien faire n'est pas le bon choix, à mon sens.

M. Bruno Sido, sénateur. - Il est utile de rappeler régulièrement les méfaits du tabac. Je regrette que cette étude parle de tout sauf de la pipe...

Plus sérieusement, j'ai entendu dire précédemment que la diminution de la consommation de tabac n'entraînait pas la réduction de ses effets nocifs. C'est peut-être vrai, mais il ne faut ni le dire ni l'écrire. Cela ne peut pas faire de mal de diminuer la consommation de tabac, sauf aux caisses de l'État...

De même, certains médecins affirment que, à 65 ans, cela ne vaut plus la peine d'arrêter de fumer, car le mal serait déjà fait. C'est peut-être vrai, mais il ne faut pas le dire non plus ! Il est des vérités qu'il ne faut pas écrire dans un rapport.

Mme Sonia de La Provôté, sénatrice, vice-présidente de l'Office. - Les études épidémiologiques montrent qu'en matière de consommation de tabac la durée du tabagisme importe plus que la quantité de cigarettes fumées par jour. Autrement dit, il est dangereux de fumer une cigarette par jour pendant vingt ans !

M. Gérard Leseul, député, vice-président de l'Office, rapporteur. - Nous n'avons pas considéré la pipe comme un substitut du tabac, car il s'agit de tabac fumé. Au reste, nous n'avons pas non plus traité le cannabis, qui est un produit illicite.

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office, rapporteur. - D'ailleurs, nous avons également attiré votre attention sur le problème du vapofumeur. Il n'est pas moins dangereux de vapoter et de fumer en alternance que de fumer seulement.

L'Office adopte la note scientifique « Nouveaux produits du tabac ou à base de nicotine : lever l'écran de fumée » et en autorise la publication.

Examen de la note scientifique sur les modes de stockage de l'énergie

M. Gérard Leseul, député, vice-président de l'Office, rapporteur. - Avant de présenter le contenu de la note scientifique comparant les modes de stockage de l'énergie, je souhaite partager l'honneur que j'ai eu d'accompagner Catherine Procaccia dans sa dernière note, de même que j'ai été fier de préparer la présente note avec Gérard Longuet. Je me réjouis d'être à leurs côtés pour leur ultime réunion au sein de l'Opecst.

Notre travail fait suite à une précédente note scientifique de l'Office relative au stockage de l'électricité, laquelle présentait trois modes de stockage - le pompage hydraulique, les batteries et l'hydrogène - mais ne les comparait pas. Cette note avait été préparée pendant l'hiver 2018-2019 par notre ancienne collègue Angèle Préville.

Gérard Longuet est à l'initiative de notre note, qui prolonge et complète ce premier effort de clarification. J'ajoute qu'il avait eu lui-même l'occasion d'évoquer brièvement le sujet du stockage de l'hydrogène lors de la préparation en 2021 d'une autre note scientifique de l'Office relative aux modes de production de l'hydrogène.

La note scientifique que nous vous présentons aujourd'hui vise non pas à exposer les différents modes de stockage de l'énergie, mais à les comparer les uns aux autres.

L'intérêt pour le stockage de l'énergie est croissant, notamment pour équilibrer l'offre et la demande sur les réseaux d'énergie, notamment électriques. C'est une question décisive à l'heure où la transition énergétique passe par les énergies renouvelables et les véhicules électriques. Or le déploiement des énergies renouvelables nécessite, en raison de leur intermittence, d'identifier des solutions de stockage stationnaire. De même, l'essor de l'électricité embarquée, dans les véhicules électriques, mais aussi dans les smartphones, appelle des solutions de stockage de plus en plus performantes, c'est-à-dire de plus en plus miniaturisées.

Il faut toujours avoir en tête que l'énergie électrique elle-même ne se stocke pas. Il faut donc convertir cette énergie pour la stocker, puis la reconvertir en électricité pour l'utiliser, le cas échéant. Le stockage lié à l'énergie électrique n'est toutefois pas la seule forme de stockage de l'énergie, puisqu'il existe aussi sous forme thermique.

Nous avons distingué quatre grands modes de stockage de l'énergie : le stockage mécanique, le stockage électrochimique, le stockage électromagnétique et le stockage par vecteur, qu'il s'agisse de l'hydrogène, du stockage chimique ou du stockage thermique.

Je donnerai trois exemples de stockage mécanique. Premier exemple, le stockage gravitaire ou pompage hydraulique, qui fonctionne grâce à des stations de transfert d'énergie par pompage (Step), est la forme de stockage d'énergie la plus courante et la plus économique à grande échelle. En 2023, ce mode de stockage représente 80 % de l'énergie stockée dans le monde, au lieu de 95 % avant 2020 ; les 20 % restants étant principalement stockés dans des batteries.

Les Step sont des centrales de pompage-turbinage, lesquelles forment une sorte de barrage à double sens. En effet, un ensemble turbines-alternateurs et pompes est placé entre deux bassins situés à des altitudes différentes. Lorsque la production électrique est excédentaire, l'eau est pompée de l'aval vers l'amont, afin de remplir un réservoir. Lorsque la demande est excédentaire, la descente gravitaire de l'eau de l'amont vers l'aval transforme l'énergie potentielle de l'eau en énergie électrique au moyen d'un turbinage qui entraîne un générateur. Le rendement des Step varie de 70 % à 85 %.

Elles offrent une grande capacité et ont une longue durée de vie. Cependant, elles nécessitent des investissements élevés, leur emprise au sol est considérable et elles dépendent de la présence de sites adaptés. Ennoyer des surfaces importantes pour construire ces barrages aura de plus en plus de mal à être accepté, car cela contrevient à l'idée que nous nous faisons de la préservation de la nature, même s'il s'agit de produire de l'électricité propre.

Deuxième exemple, le stockage par air comprimé ou compressed air energy storage (CAES), qui fonctionne de la même façon que les pompes hydrauliques grâce à un système à double sens, mais qui utilise non pas l'eau, mais l'air, pour faire tourner les turbines des générateurs. Ainsi, des compresseurs injectent de l'air comprimé refroidi dans un réservoir. Les rendements sont variables - de 40 % à 50 % -, mais ils demeurent très inférieurs au pompage hydraulique, alors qu'ils nécessitent eux aussi des sites géologiques appropriés, à savoir des cavités souterraines. Un schéma de ce type de stockage figure à la fin de la note.

Troisième exemple, le stockage par volant d'inertie, ou flywheel energy storage (FES), utilise l'énergie cinétique d'un cylindre à haute vitesse dans une enceinte sous vide pour générer de l'électricité. Son rendement, élevé à court terme, diminue rapidement. Il s'agit donc d'une technologie complémentaire aux batteries qui permet d'offrir une puissance ponctuelle. Vous trouverez également un schéma de FES à la fin de la note.

J'en viens au stockage électrochimique, qui est le mode de stockage des batteries. Celles-ci s'appuient sur la différence de potentiel électrique entre deux matériaux conducteurs formant des électrodes conduisant à un échange d'ions à travers un électrolyte. Un schéma résume ce fonctionnement à la fin de la note.

Plusieurs technologies de batteries existent, lesquelles sont fonction du couple oxydo-réducteur impliqué dans les réactions électrochimiques. Ces différentes technologies se caractérisent par leurs écarts de potentiel, la quantité d'électricité stockée dans les électrodes, la vitesse à laquelle elles se chargent et se déchargent, ce qui donne la puissance disponible, le tout en fonction de leur masse et de leur volume. D'autres caractéristiques importantes sont leur durée de vie au regard de la cyclabilité -- à savoir le nombre de cycles de charge ou de décharge avec une dégradation qui doit être la plus limitée possible --, leur durée de vie globale, en incluant le stockage calendaire, leur autodécharge en fonction du temps, leur rendement énergétique, ou encore leur sensibilité à la température.

Les batteries au plomb, qui reposent sur la plus ancienne technologie, sont peu coûteuses et offrent une énergie de l'ordre de 30 wattheures par kilogramme ; leur cyclabilité est moyenne et leur rendement, situé autour de 85 %, est inférieur à celui des batteries à technologie lithium-ion. Bien que coûteuses, ces dernières ont un rendement de 90 % à 95 %, une énergie de l'ordre de 250 wattheures par kilogramme, une meilleure cyclabilité et sont donc de plus en plus largement utilisées.

D'autres solutions subsistent, mais sont dépassées ou réservées à des usages très précis tandis que les technologies émergentes, qui seront présentées par Gérard Longuet, se caractérisent par leur faible maturité.

Nous soulignons que la progression des capacités de stockage des batteries est particulièrement lente. Elle a à peine triplé en un siècle et demi, principalement au cours des trente dernières années, notamment grâce aux batteries à technologie lithium-ion.

Les supercondensateurs stockent l'énergie dans un champ électrique. Ils relèvent donc davantage d'un stockage électrostatique qu'électrochimique. Ils ont une densité énergétique plus faible et une autodécharge plus élevée, mais leur bon rendement, 95 %, et, surtout, leur puissance les rendent adaptés à des charges et à des décharges rapides. À l'instar des FES, ils peuvent être complémentaires aux batteries.

J'en viens désormais au stockage électromagnétique sous la forme du superconducting magnetic energy storage (Smes), lequel consiste à envoyer un courant électrique dans une bobine constituée d'un fil supraconducteur puis à laisser circuler le courant, et donc les électrons, une fois la bobine fermée. Cela conduit à la formation d'un champ magnétique stable. Les rendements du Smes sont élevés, 95 %, mais, à la différence des supercondensateurs et des FES, cette technologie reste peu mature et peu compétitive, car la supraconductivité nécessite des températures très basses, proches du zéro absolu. Vous trouverez également un schéma présentant un Smes dans les notes de fin.

Je laisse maintenant la parole à Gérard Longuet qui va poursuivre la présentation des solutions de stockage, à savoir le stockage par vecteur, qu'il s'agisse de l'hydrogène, du stockage chimique ou du stockage thermique. Il présentera ensuite une comparaison de ces différentes solutions ainsi que nos conclusions.

M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office, rapporteur. - En réalité, c'est la transition énergétique, et plus particulièrement la décarbonation de notre système de production et de consommation, qui est à l'ordre du jour.

Le combat est très inégal entre les énergies fossiles, dont il faut se passer, qui sont stockées, par définition, depuis plusieurs centaines de millions d'années, et qui peuvent être utilisées à tout moment, et les énergies renouvelables, qui ne sont pas disponibles à coup sûr. Par exemple, il est impossible d'arrêter la production d'électricité d'un panneau photovoltaïque, laquelle n'est pas utilement consommée, comme l'illustre l'éclairage des rues l'été en pleine journée en Allemagne. Les capacités de stockage de l'énergie hydraulique sont limitées et l'énergie éolienne n'est pas nécessairement disponible quand on en a besoin. Les capacités de stockage de la biomasse sont faibles au regard des besoins en énergie des sociétés modernes. Nous ne pouvons pas la mobiliser pour répondre pleinement à l'ensemble de nos besoins réels.

En résumé, il faut passer d'une énergie fossile qui se stocke à une énergie qui ne se stocke pas. Or, la société est de plus en plus exigeante sur la façon dont l'énergie est utilisée. Par exemple, la mobilité électrique nécessite un stockage embarqué extrêmement complexe.

L'impossibilité de stocker l'énergie électrique, qui est la plus consommée, soulève le problème de l'équilibre dans le temps du système électrique. Or nous ne savons pas comment gérer les excédents et les pénuries, qui seraient tragiques pour l'ensemble de l'économie. Aussi, le stockage semble être une réponse de bon sens, sauf que nos capacités en la matière ne sont pas adaptées aux grands besoins de notre société.

Les progrès sont constants, si l'on pense à la technologie lithium-ion et aux diverses technologies mises au point par le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). De telles solutions sont prometteuses, mais elles ne sont pas mûres sur le plan industriel.

Les solutions immédiates les plus accessibles au grand public sont l'hydrogène et le thermique. Je rappelle que l'hydrogène est non pas une source mais un vecteur d'énergie. Pour produire un kilogramme d'hydrogène, il faut entre 45 et 50 kilowattheures. Environ 1 million de tonnes d'hydrogène sont consommées en France par les industries traditionnelles ; elles sont produites à 99 % par reformage du méthane, c'est-à-dire à partir d'un produit fossile générateur de gaz à effet de serre. Si l'on veut que cette production d'hydrogène soit neutre en carbone, il faudrait l'équivalent de quatre à cinq réacteurs nucléaires EPR pour faire fonctionner les électrolyseurs nécessaires. Aussi, pour décarboner les industries qui représentent à elles seules 20 % à 30 % des émissions de gaz à effet de serre de la France, à savoir la sidérurgie, la chimie et la cimenterie, il faudrait un programme électronucléaire insensé !

L'hydrogène est un système absolument parfait lorsque l'énergie fatale ne coûte pas grand-chose. Lorsque l'énergie renouvelable est inutile à l'instant t, il vaut mieux produire de l'hydrogène, qui peut être stocké. Lorsqu'elle est utile, l'énergie renouvelable est destinée à la consommation.

Avons-nous les moyens de produire de l'électricité pour faire fonctionner un nombre suffisant d'électrolyseurs ? La question reste ouverte, mais, à mon avis, aujourd'hui, la réponse est non. Cela impliquerait de mettre en concurrence la consommation de l'électricité nucléaire qui alimente déjà les batteries automobiles, accompagne le développement du numérique et favorise la décarbonation des processus industriels.

Est-ce techniquement possible ? Oui. L'hydrogène est un gaz universel et disponible sans limites. L'électricité qui produit de l'hydrogène consomme de l'eau dans des quantités acceptables ; et les piles à combustible à hydrogène n'ont que l'eau comme sous-produit fatal. Le système ne pose donc que deux problèmes, celui du coût d'investissement, qui est considérable, et celui de l'acceptation des sites de production électrique.

Est-il possible de stocker autrement que par l'hydrogène ? Je rappelle que pour 100 kilowattheures d'électricité stockés par l'hydrogène il y a environ 75 % de pertes, notamment pour des raisons thermiques. Bien sûr, il existe d'autres solutions, thermiques cette fois-ci, notamment les batteries de Carnot, à condition qu'elles soient utilisées dans des sites industriels adaptés. Ces batteries fonctionnent au moyen de sels liquéfiés à 600 °C qui emmagasinent la chaleur tout en ayant une faible déperdition d'énergie. Elles produisent une vapeur capable de faire tourner des alternateurs traditionnels.

Le projet est de récupérer les centrales thermiques à gaz ou à charbon et de remplacer la chaudière thermique fossile par une batterie de Carnot, laquelle est chauffée à l'électricité en période de faible demande et la restitue en période de forte demande. On retrouve entre 40 % et 50 % d'électricité à la fin. Ce système repose sur l'hypothèse d'une production pilotable, décarbonée, et donc nucléaire, qui fonctionnerait 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, soit 8 000 heures par an, sans compter l'entretien.

Les périodes creuses sont utilisées pour fabriquer de la chaleur, stockée dans des batteries de Carnot, ou de l'hydrogène, qui servira ensuite à décarboner les processus industriels. Cela permet d'optimiser le patrimoine nucléaire et celui des énergies renouvelables. Dans ces conditions, le système peut s'équilibrer, c'est-à-dire profiter des heures creuses pour générer et stocker de l'électricité à partir de processus peu productifs et la restituer lors des périodes de pointe, où le coût de l'électricité peut atteindre jusqu'à dix fois son prix moyen.

En somme, le problème du stockage de l'électricité est moins technique qu'économique. Comme il n'est pas possible de stocker l'électricité, l'enjeu est de consommer de l'électricité bon marché et d'en vendre lorsque son prix augmente, c'est-à-dire en période de pointe.

Dans un excellent article cité dans notre note, Patrick Bernard, directeur de la recherche chez Saft, une filiale de TotalEnergies, montre très bien que les recherches actuelles visent à trouver des matériaux moins coûteux et moins disruptifs. Par exemple, la technologie lithium-ion est un immense progrès, mais elle détruit d'autres équilibres, notamment dans les minerais. Les recherches actuelles en matière de batteries préconisent d'utiliser des produits banals, tels que le soufre et le fer, qui sont très présents à la surface de la Terre.

Selon moi, seuls un réseau décentralisé et un ruban optimisé dans les périodes creuses rendront pertinentes des techniques d'économie d'énergie qui sont, de toute façon, peu performantes.

Les Step me semblent être le système le plus pertinent, mais étant donné les difficultés à maintenir le moindre petit barrage sur une rivière en raison des aménagements très coûteux exigés par les pêcheurs ou les malheurs qu'entraînent ceux qui visent simplement à irriguer les cultures agricoles, je pense qu'il n'y en aura pas de nouvelles dans notre pays.

M. Bruno Sido, sénateur. - Au fond, quel est l'intérêt du stockage de l'énergie ? Je comprends que l'on veuille stocker de l'énergie fatale, mais est-il économiquement pertinent de faire tourner des centrales nucléaires pour faire remonter de l'eau dans les Step ?

M. Gérard Leseul, député, vice-président de l'Office, rapporteur. - La consommation n'est pas linéaire. Il y a des pics en journée, des pics hebdomadaires, des pics intersaisonniers : certains sont prévisibles, d'autres ne le sont pas. De plus, le transport de l'énergie électrique peut occasionner d'importantes déperditions. Il faut donc toujours être en surcapacité de production. À défaut, le stockage doit équilibrer les besoins à toute heure du jour et de la nuit.

M. Bruno Sido, sénateur. - N'est-il pas plus pertinent d'arrêter une centrale pour éviter qu'elle ne s'use plutôt que de la faire tourner pour vendre de l'électricité à prix modique ?

M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office, rapporteur. - Les modalités du stockage de l'énergie n'ont de sens qu'au regard des usages que l'on peut en faire. Ainsi, les volants d'inertie répondent à un besoin immédiat parfaitement défini pour une durée limitée, parfois de quelques secondes à peine.

Le coût marginal décroît fortement, car une centrale nucléaire nécessite davantage de Capital Expenditures (Capex) que d'Operational Expenditures (Opex). En revanche, pour les turbines à gaz, l'investissement est plus faible, mais la consommation est forte et coûteuse.

M. Bruno Sido, sénateur. - Le coût marginal est un leurre et les industriels le savent ! Tous ceux qui ont trop compté là-dessus se sont fourvoyés !

M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office, rapporteur. - Je suis un disciple du regretté Marcel Boiteux, qui vient de nous quitter à 101 ans, et qui a théorisé l'analyse du coût marginal de l'énergie électrique. Soyons clairs : c'est vraiment pertinent ! Du point de vue des industriels, c'est différent, je l'entends. Mais l'électricité est une prestation qui ne se stocke pas.

M. Gérard Leseul, député, vice-président de l'Office, rapporteur. - Les taux de rendement sont différents en fonction des modalités de stockage, on l'a dit. Le rendement d'une Step est de 95 %. Aussi, la question de la surproduction ne se pose pas, car le surcoût est très faible. Le coût de restitution est presque nul.

Mme Sonia de La Provôté, sénatrice, vice-présidente de l'Office. - Selon moi, un éventuel projet de loi de programmation de l'énergie devrait être adossé à un projet de loi de programmation du stockage de l'énergie. Où en est la réflexion sur l'organisation du stockage de l'énergie en fonction des besoins et du type de consommation, laquelle permettrait de gérer de façon raisonnée nos productions ? Au reste, les technologies sont-elles suffisamment avancées pour la mettre en oeuvre ?

M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office, rapporteur. - C'est Réseau de transport d'électricité (RTE) qui a pour mission d'assurer l'équilibre entre la production et la consommation sur le système électrique national. Or jusqu'à présent il n'y a jamais eu de gros problème. Même en Californie, qui a la réputation d'avoir un réseau électrique très avancé, il y a des défaillances lorsque tous les climatiseurs se mettent à fonctionner en même temps et que les barrages manquent d'eau.

Notre système mixte n'est pas si mal. Il y a un producteur principal, des producteurs indépendants plus petits et de tout petits producteurs. Tout cela fonctionne. On peut imaginer que l'intelligence artificielle aidera. Cela marche au prix d'un réseau beaucoup plus coûteux qu'auparavant.

M. Gérard Leseul, député, vice-président de l'Office, rapporteur. - Dans le cadre de futurs projets de loi de finances (PLF) ou projets de loi de programmation, nous devrons nous saisir de la question du stockage de l'énergie. Nous avons l'habitude de concentrer nos débats sur l'aspect productif. Si nous les concentrions davantage sur la question du stockage, nous pourrions trouver des arguments pour amoindrir les détracteurs d'énergies renouvelables.

M. Pierre Ouzoulias, sénateur. - J'aimerais vivement remercier Mme Catherine Procaccia et M. Gérard Longuet avec qui j'ai passé des moments tout à fait exceptionnels dans une vie parlementaire qui peut être parfois ingrate et difficile... Je me souviens notamment d'un débat de l'Opecst sur la science et la rénovation de la cathédrale Notre-Dame de Paris, dans cette même salle, et qui nous a conduits vers des questions liturgiques et architecturales. Nous avions vécu une forme de communion laïque, si je puis dire ! Je vous remercie particulièrement de la place que vous avez accordée, avec notre ancien Président, le député Cédric Villani, aux sciences humaines dans les travaux de l'Opecst, qui leur ont donné une dimension tout à fait intéressante et que l'on retrouve encore aujourd'hui dans ces rapports.

D'ailleurs, en tant qu'archéologue, je puis témoigner que l'histoire de l'énergie est celle du passage d'une production humaine, animale, puis éolienne et hydraulique à une production issue de l'extraction des ressources fossiles. Cela a marqué un changement prodigieux, qui a eu pour conséquence la révolution industrielle, avec les suites que l'on connaît.

En vous écoutant, on peut penser que le grand progrès technique qui permettra de dépasser la crise des énergies fossiles que nous vivons n'est pas encore là. Il s'agit de technologies prometteuses certes, mais d'attente. Au fond, on doit changer de vélo tout en continuant à pédaler !

Ainsi, la course à l'autonomie des batteries des voitures se fait aux dépens de leur productivité énergétique. Ces dernières deviennent de plus en plus lourdes, ce qui entraîne leur surconsommation énergétique. Avez-vous des informations à propos des technologies de recharge par induction, qui entraîneraient la diminution du volume des batteries et qui permettraient aux automobilistes de recharger leur voiture tout en roulant ?

M. Stéphane Piednoir, sénateur. - Nous avons déjà évoqué cette solution qui, encore à l'étude, est extrêmement coûteuse, me semble-t-il. C'est la quadrature du cercle... Certains modes de stockage sont très consommateurs d'espaces : à l'heure de l'objectif « zéro artificialisation nette » (ZAN), ces modes, malgré leur efficacité, semblent peu pertinents. Le rendement de certains autres modes de stockage tombe à 20 % parfois s'agissant de solutions pourtant vertueuses comme l'hydrogène... Sans être pessimiste, j'ai l'impression que la complexité de la situation contraste avec la simplicité du système précédent, où la production était unique. Toutes les évolutions de notre civilisation nécessitent de l'énergie, quoi qu'en pensent quelques décroissants acharnés. Nous avons besoin d'un nouveau mix électrique. À l'occasion d'un rapport pour l'Office sur la fin de la commercialisation des véhicules thermiques, Huguette Tiegna et moi sommes allés en Norvège, où près de 95 % de l'électricité provient des chutes d'eau. Là-bas, tout le monde se chauffe à l'électricité. De plus, le pays dispose d'un fonds souverain reposant sur les actifs pétroliers qu'ils ne se privent pas de vendre à l'étranger. En somme, les Norvégiens sont gagnants sur tous les tableaux, mais nous n'avons pas cette chance. En outre, si le stockage par batterie est extrêmement vertueux au regard du rendement, où en est-on du recyclage des batteries usées ?

M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office, rapporteur. - La création d'unités de batteries a été annoncée. On peut réutiliser des batteries embarquées pour en faire des batteries stationnaires. Le stock de batteries modernes embarquées dans l'automobile n'est pas suffisant, car les batteries ont une durée de vie de cinq à sept ans. En revanche, les batteries au plomb sont entièrement recyclées, car le parc est suffisamment important. D'ailleurs, Orano va mettre au point une activité de recyclage de batteries lithium-ion pour l'automobile.

Nous n'avons pas les moyens de faire des batteries pour que disparaisse entièrement l'automobile thermique, ce qui n'a d'ailleurs été annoncé que dans l'Union européenne.

Mme Huguette Tiegna, députée. - Le mix énergétique n'est plus le même qu'au moment où j'ai travaillé avec Stéphane Piednoir sur la fin des véhicules thermiques, puisqu'à l'époque la fermeture des centrales nucléaires était envisagée. Il serait donc pertinent de procéder à de nouvelles auditions pour mettre à jour nos connaissances dans ce domaine.

M. Pierre Henriet, député, président de l'Office. - Nous pourrons examiner cette suggestion pour notre prochaine feuille de route après le renouvellement du Sénat et du bureau de l'Office, qui aura lieu au cours du mois d'octobre.

L'Office adopte la note scientifique « Comparer les modes de stockage de l'énergie » et en autorise la publication.

Suivi des travaux relatifs à la phagothérapie (note scientifique n° 24)

Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente de l'Office, rapporteur. - Je me suis déplacée du 4 au 6 septembre dernier en Géorgie afin d'effectuer un suivi de la note scientifique n° 24 de 2021 sur la phagothérapie.

Avant de vous parler de ce déplacement, je rappelle que les phages sont des virus tueurs de bactéries. Inventée par Félix d'Herelle, un Franco-canadien, la phagothérapie a été utilisée jusqu'à la fin des années 1940 en France, à l'époque où les antibiotiques n'existaient pas. Ces derniers se sont par la suite révélés plus efficaces et moins coûteux que les phages, lesquels s'attaquent à une seule bactérie.

La phagothérapie présente de nouveau un intérêt thérapeutique à cause de l'antibiorésistance. Aux Hospices civils de Lyon, les équipes chargées de cette thérapie, que j'ai rencontrées, peuvent utiliser et créer des phages mais uniquement en cas d'échecs thérapeutiques. Pour préparer ma note, j'avais auditionné toutes les équipes qui s'intéressent à la phagothérapie en France, en Belgique et en Suisse, mais il me manquait celles de l'Institut George Eliava de Géorgie, du nom d'un ami médecin de Félix d'Herelle, qui est un centre de fabrication des phages et de phagothérapie.

À l'occasion de ce déplacement, j'ai rencontré la directrice de l'Institut Eliava et un Français qui organise des voyages médicaux pour des patients français, car les phages ne sont pas autorisés en France puisqu'ils n'ont pas d'autorisation de mise sur le marché (AMM) et qu'ils ne sont pas considérés comme des médicaments. J'ai également rencontré l'ambassadrice de France et son service scientifique, qui étaient à la fois étonnés et contents que les phages soient à l'ordre du jour de nos préoccupations.

La première leçon que je tire de ce séjour est celle de l'utilité des visites de terrain. Aller voir le centre de la phagothérapie, qui fournit des phages à toutes les équipes qui s'y intéressent en Europe et ailleurs, est intéressant. Y sont conservés 800 à 850 monophages et 1000 mélanges de phages. Mais il s'agit d'un laboratoire typique du XXe siècle et non d'un hôpital moderne, alors même qu'y sont soignés des patients du monde entier. La Géorgie souhaite entrer dans l'Union européenne mais les chercheurs ne sont pas en état de pouvoir bénéficier pour leurs produits d'une AMM de l'Agence européenne des médicaments (EMA).

Le danger est donc que les phages puissent disparaître alors qu'ils peuvent être l'une des solutions à l'antibiorésistance. La phagothérapie me semble toujours utile, même s'il n'existe pas de données sur les taux de réussite, malgré mes demandes auprès de l'Institut Eliava et de l'intermédiaire français. D'ailleurs, l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a récemment autorisé l'utilisation de deux phages en France. De plus, les Hospices civils de Lyon vont créer une bibliothèque de phages pour aider différentes équipes à les utiliser.

Cela permettrait de réduire le nombre de décès dû à l'antibiorésistance, qui s'élève à environ 25 000 morts par an en Europe. L'enjeu de la phagothérapie n'est pas mince ! J'invite donc mes collègues de l'Office et de la commission des affaires sociales du Sénat à continuer de défendre cette piste.

La deuxième leçon que je retiens est l'indispensable soutien à la recherche. L'enjeu est d'identifier le bon phage pour chaque bactérie. De plus, les phages sont également utiles pour les animaux. J'ai rencontré une start-up qui travaille sur les phages à usage vétérinaire. Celle-ci a réussi à soigner un élevage d'huîtres grâce aux phages, mais le producteur n'a pas eu le droit de vendre ses produits en France, alors même que les pays asiatiques l'autorisent. J'y insiste : la phagothérapie n'est pas une médecine folklorique.

La troisième leçon que je retiens est celle de l'importance du suivi de nos travaux, qu'il s'agisse du chlordécone, des biotechnologies ou du spatial. La force de l'Office est de suivre ses travaux et de ne pas laisser les tomber les chercheurs que nous auditionnons ! Je vous invite à poursuivre cette démarche. (Applaudissements.)

La réunion est close à 19 h 15.