Mardi 11 juillet 2023

- Présidence de Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, et de M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer -

Parentalité dans les outre-mer - Examen du rapport d'information

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Monsieur le Président, mes chers collègues, nous examinons cet après-midi le rapport commun de nos deux délégations sur la parentalité dans les outre-mer.

Trois ans après notre étude conjointe sur les violences faites aux femmes dans les territoires ultramarins, nous avons en effet décidé, au cours de cette session, de croiser à nouveau nos regards et expertises en menant, en commun, des travaux sur une thématique essentielle dans les outre-mer, mais pas uniquement : la parentalité et les enjeux des politiques publiques de la famille.

Nous étions quatre rapporteurs sur cette mission : les présidents respectifs des deux délégations, Stéphane Artano et moi-même, ainsi que nos collègues Elsa Schalck, membre de la délégation aux droits des femmes, et Victoire Jasmin, membre des deux délégations.

Nos travaux ont duré plus de cinq mois et ont permis d'auditionner près de 120 personnes : chercheurs, représentants des collectivités, responsables des CAF et caisses locales de sécurité sociale, acteurs associatifs, fédérations nationales, etc. Nous nous sommes rendus en Guadeloupe, à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy au cours d'un déplacement de plusieurs jours, où nous avons rencontré tous les acteurs locaux pertinents sur la sociologie des familles des Antilles et sur les politiques de soutien à la parentalité. Ce déplacement a été extrêmement intense. Je tiens à remercier Victoire Jasmin, Micheline Jacques et Annick Pétrus pour leur accueil.

Nous avons, par ailleurs, couvert l'ensemble des territoires d'outre-mer, soit en nous rendant sur place comme évoqué précédemment, soit en organisant des tables rondes en visioconférence.

Plusieurs constats communs à de nombreux territoires nous ont amenés à formuler des recommandations de nature à renforcer les politiques de soutien à la parentalité dans les outre-mer et à aider les familles les plus précaires et vulnérables. La précarité des familles est un élément qui est souvent revenu au cours de nos auditions.

Dans un contexte social où les codes de la parentalité ne cessent d'être bousculés, il nous est apparu primordial de s'interroger sur les politiques publiques déployées en faveur du soutien à la parentalité. Le défi aujourd'hui est de les dimensionner et de les adapter à la hauteur des besoins et des spécificités des outre-mer. La différenciation dont nous parlons beaucoup au Sénat est une nécessité.

Les modèles familiaux traditionnels, fondés notamment sur la matrifocalité et sur une forte solidarité intergénérationnelle, et les normes éducationnelles à l'oeuvre sont aujourd'hui en pleine mutation dans les outre-mer.

Ces évolutions récentes imposent d'approfondir les connaissances des pratiques de la parentalité dont nous disposons. En effet, pour répondre au mieux aux besoins des familles et accompagner les parents dans leur rôle, il est essentiel de comprendre les déterminants socio-économiques et les dynamiques familiales spécifiques à chaque territoire.

C'est pourquoi nous proposons, dans notre recommandation n° 1, de généraliser, dans l'ensemble des outre-mer, les Observatoires de la parentalité, en s'inspirant de l'expérience réunionnaise notamment, pour récolter, exploiter et diffuser données et connaissances. Je salue d'ailleurs notre collègue de La Réunion Nassimah Dindar ici présente et qui porte ces sujets sur son territoire.

Nous avons également constaté une forte prévalence de familles en situation de précarité économique et de vulnérabilités sociales qui rendent plus complexe encore l'exercice des fonctions parentales.

Le taux de pauvreté y est largement supérieur à la moyenne nationale : de 28 % en Martinique à 77 % à Mayotte, contre 15 % dans l'Hexagone.

Les politiques familiales jouent à ce titre un rôle essentiel d'amortisseur social. Près des deux tiers des habitants des DROM perçoivent au moins une prestation sociale ou familiale.

Ces prestations sont désormais presque identiques dans les quatre DROM historiques et dans l'Hexagone - à deux exceptions près : le versement des allocations familiales dès le premier enfant et les conditions d'octroi du complément familial. Les conditions sont en revanche très différentes à Mayotte.

C'est pourquoi, nous recommandons (recommandation n° 2) de réaliser une étude comparative des incidences budgétaires et socio-économiques sur les familles des différents systèmes existants. Nous avons besoin d'une étude d'impact approfondie pour prendre les bonnes décisions.

Les taux d'illettrisme et d'illectronisme sont également trois fois supérieurs dans les DROM et de nombreux parents ne parlent pas français au quotidien, rendant difficile l'accès aux droits ainsi que l'accompagnement des enfants dans leur scolarité.

Dès lors, nous recommandons de décliner l'information sur les politiques familiales et parentales sur des supports adaptés à la diversité des populations concernées (recommandation n° 3). Nous proposons également de développer les projets permettant de combiner lutte contre l'illettrisme et l'illectronisme et soutien à la parentalité (recommandation n° 5).

Pour évoquer la suite de nos constats et recommandations, je laisse sans plus tarder la parole aux trois autres co-rapporteurs, à commencer par notre collègue Elsa Schalck pour un panorama des spécificités socio-démographiques et culturelles des familles ultramarines.

Mme Elsa Schalck, co-rapporteure. - Je suis ravie d'avoir participé à ces travaux et au déplacement en Guadeloupe, à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy. Je remercie les collègues qui nous ont accueillis et nous ont permis d'aborder au plus près les spécificités ultramarines.

Afin d'accompagner les parents dans l'exercice de leurs fonctions parentales et de concevoir des politiques familiales adaptées, il est primordial de connaître les spécificités des structures familiales et parentales ultramarines.

Trois traits nous semblent particulièrement marquants : la place centrale des mères et l'absence en miroir des pères ; la fréquence des grossesses précoces ; et le rôle des familles élargies.

La caractéristique première de la vie familiale dans les outre-mer est la place centrale des mères. Cette « matrifocalité » est traditionnelle dans presque tous les territoires. Elle se traduit aujourd'hui par une forte prévalence de la monoparentalité, tout particulièrement aux Antilles et en Guyane, où les familles monoparentales représentent la moitié des familles avec enfants, soit deux fois plus que dans l'Hexagone.

Il s'agit en pratique de mères seules, qui cumulent les facteurs de vulnérabilité : elles sont plus précaires que les autres parents, moins souvent en emploi, plus souvent sur des emplois faiblement rémunérés, et leurs conditions de vie sont plus difficiles.

Les conditions d'entrée dans la monoparentalité sont, elles aussi, singulières : la monoparentalité ne fait pas suite à une séparation, comme c'est majoritairement le cas dans l'Hexagone, mais elle débute dès la naissance de l'enfant et se poursuit pendant toute son enfance. Retenez ce chiffre qui m'a marquée à plus d'un titre : aux Antilles comme en Guyane, deux tiers des enfants ne sont pas reconnus par leur père à la naissance !

Ce phénomène interroge inévitablement sur la place des pères : leur absence dans la vie de leurs enfants, sur les plans financier comme éducatif, est d'autant plus naturelle que ni les pères ni les mères ne semblent y trouver d'intérêt voire redoutent la reconnaissance juridique des enfants par leur père. Ils voient dans l'absence de reconnaissance une stratégie de survie économique, en lien avec le versement de prestations familiales.

Nous appelons donc, dans notre recommandation n° 14, à reconsidérer la place du père au sein des politiques familiales, à la fois en luttant contre les idées reçues relatives aux effets sur le bénéfice des prestations familiales d'une reconnaissance légale par le père et en associant davantage les pères aux dispositifs de soutien à la parentalité.

Plus globalement, nous estimons nécessaire de mieux sensibiliser aux enjeux et responsabilités de la parentalité, afin de mieux accompagner les parents dans leur rôle de premiers éducateurs de l'enfant.

Un deuxième fait marquant de la parentalité dans les territoires ultramarins est la fréquence des grossesses précoces, qu'elles se traduisent par des recours à l'IVG - plus nombreux dans les outre-mer - ou par des maternités précoces, qui restent singulièrement nombreuses en Guyane et à Mayotte, où pour 10 % des naissances la mère a moins de 20  ans.

Les facteurs explicatifs sont multiples mais il semble que la maternité soit, pour des jeunes femmes précaires, un moyen d'acquérir un statut, des aides et de gagner leur autonomie par rapport à leur famille.

Nos recommandations no 6 et 7 sont ciblées sur cette problématique. La loi prévoit trois séances annuelles d'éducation à la vie affective et sexuelle dans les établissements scolaires de l'ensemble du territoire français. Mais ces séances ne sont quasiment pas dispensées aujourd'hui. Il nous semble primordial de veiller à leur mise en oeuvre et de développer la prévention et l'accompagnement des grossesses précoces, notamment afin de lutter contre le décrochage scolaire des jeunes filles.

Nous recommandons également de conforter les dispositifs qui permettent aux jeunes mères de concilier leur vie familiale et le Service militaire adapté. Le SMA est un atout pour nos jeunes des outre-mer, c'est un outil qui a fait ses preuves et qui ne gagnerait qu'à être renforcé. C'est un dispositif auquel notre collègue Micheline Jacques est attachée.

Enfin, la troisième spécificité que nous avons souhaité mettre en avant est l'importance de la famille élargie et des solidarités intergénérationnelles.

Certes, ces solidarités traditionnelles s'atténuent sous l'effet des migrations internes comme externes et de la progression du mode de vie occidental contemporain, qui diversifient les modèles familiaux et les normes éducationnelles.

Cependant, elles demeurent importantes tant sur le plan financier que s'agissant de l'éducation des enfants et de la transmission de valeurs et savoirs. Nous sommes convaincus qu'il s'agit d'une véritable richesse, sur laquelle nos politiques familiales devraient davantage s'appuyer. Lorsqu'un enfant doit être retiré de sa famille, les services de protection de l'enfance outre-mer ont, plus souvent que dans l'Hexagone, recours au placement chez des tiers de confiance, qui permet à l'enfant de rester en contact avec des membres de sa famille élargie. Nous pensons que cette pratique doit être encouragée. Plus globalement, les dispositifs de soutien à la parentalité gagneraient à valoriser les différentes figures d'attachement de l'enfant, au-delà de la seule famille nucléaire.

Nous avons également fait un focus sur les pratiques de circulations d'enfants et d'adoption coutumière au sein des familles élargies en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française. Notre recommandation n° 10 entend sécuriser juridiquement ces pratiques.

Je laisse désormais la parole à notre collègue rapporteure Victoire Jasmin qui va développer nos recommandations visant à renforcer les services de proximité en direction des familles.

Mme Victoire Jasmin, co-rapporteure. - Je tiens à remercier nos délégations pour le choix de ce thème qui permet d'aborder les difficultés que rencontrent les familles dans nos territoires ultramarins. Le troisième axe de notre rapport souligne l'importance d'un environnement favorable à la parentalité. Cela passe par plus de services de proximité pour faciliter la vie des parents. Notre constat est qu'il faut les développer et les renforcer pour que les politiques de soutien à la parentalité soient mieux adaptées aux spécificités ultramarines.

Plus encore que dans d'autres territoires, la démarche d'« aller vers » les parents et les familles s'impose dans les outre-mer. Plusieurs outils y sont déjà expérimentés mais mériteraient d'être amplifiés.

Les Caisses d'allocations familiales (CAF) en particulier ont développé des formats d'accueil spécifiques (rendez-vous des droits, connexion en visioconférence, assistance informatique) pour aider les allocataires à réaliser leurs démarches administratives. Vous trouverez dans le rapport un tableau avec de nombreux exemples comme à La Réunion avec les Bébébus (bus aménagés itinérants), en Martinique avec les caravanes des droits, ou encore en Guyane avec la pirogue des droits ou le bus France Services...

Les CAF s'appuient sur le développement d'un large réseau de partenaires. Il peut s'agir d'espaces France Services, de centres communaux d'action sociale (CCAS), de permanences en mairie ou encore de structures partenaires comme des maisons des parents ou des centres sociaux.

Pour ce faire, les CAF disposent de leviers financiers non négligeables, leurs dotations d'action sociale ou « fonds locaux », mais également de fonds nationaux dédiés, comme le Fonds national parentalité (FNP).

Notre recommandation n° 4 est donc de : consolider la présence des CAF, notamment au travers du réseau des Maisons France Services et dans les maternités, pour faciliter l'ouverture des droits et développer des guichets uniques, sur le modèle des « maisons des 1 000 premiers jours », point d'entrée aisément identifiable pour tous les parents et les familles.

Par ailleurs, nous avons constaté que l'offre d'accueil collectif de jeunes enfants était très insuffisante dans les outre-mer. Pourtant, la demande est forte dans de nombreux territoires : je citerai notamment les exemples de la Guadeloupe, ou encore de Saint-Barthélemy où quatre-vingts parents sont en attente d'un mode de garde pour la rentrée prochaine.

Nous allons donc suivre avec une attention toute particulière la mise en oeuvre du service public de la petite enfance, lancé le 1er juin dernier par le Gouvernement. Ce dispositif vise à « garantir l'accueil de chaque jeune enfant », comme le président de la République s'y était engagé lors de sa campagne. 5,5 milliards d'euros seront mobilisés pour créer 100 000 nouvelles places en crèche d'ici à 2027 et 200 000 autres devraient voir le jour à l'horizon 2030. L'outre-mer devra y prendre toute sa place.

Notre recommandation n° 8 est de faire du futur service public de la petite enfance une opportunité pour rattraper le retard des outre-mer en matière de mode de garde.

En ce qui concerne l'offre d'accueil en dehors du temps scolaire, nous avons recensé un certain nombre de difficultés : le manque de personnels qualifiés, le manque de moyens des communes ou encore les difficultés financières des parents.

Pourtant, garantir un meilleur accueil pour les enfants au-delà du temps scolaire, sur tout le territoire, est un véritable enjeu d'égalité des chances pour les enfants et d'insertion professionnelle pour les parents.

Nous présentons dans le rapport plusieurs pistes d'amélioration, notamment :

- remédier au manque de personnels qualifiés et promouvoir la formation d'éducateurs ;

- accroître l'offre de « colos apprenantes » dans tous les territoires ultramarins, en encourageant le développement de partenariats avec des structures agréées ;

- prolonger le complément de libre choix du mode de garde (CMG) au-delà des six ans de l'enfant, afin de faciliter l'accès de tous les enfants et adolescents à l'offre périscolaire ;

- développer les dispositifs multi-parentaux à l'exemple de ceux mis en place par les communes en Polynésie française.

Il est en effet essentiel de développer l'ensemble de ces dispositifs, afin d'offrir aux parents un lieu de partages d'expérience et d'échanges avec des professionnels de l'éducation, dans une approche globale et non stigmatisante de la parentalité.

Notre recommandation n° 9 est donc de renforcer l'accueil collectif des enfants en dehors du temps scolaire.

Avant de passer la parole au président Artano pour présenter le dernier axe, je tiens à souligner l'importance de créer cet environnement général favorable aux enfants et à la parentalité. Ces actions - soutien financier via les prestations familiales, proximité de la CAF, solutions de garde dès la petite enfance, temps périscolaire - facilitent le déploiement de politiques de soutien à la parentalité proprement dites.

M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer, co-rapporteur. - Notre délégation sénatoriale aux outre-mer est heureuse d'avoir pu croiser à nouveau son regard avec la délégation aux droits des femmes, à un moment où les codes la parentalité sont bouleversés, y compris dans nos territoires ultramarins. J'en viens à présent à notre dernier axe, à savoir les politiques de soutien à la parentalité proprement dites.

Le constat est globalement celui d'un déploiement partiel et très inégal des politiques de soutien à la parentalité dans les outre-mer.

Pour rappel, une stratégie nationale de soutien à la parentalité a été adoptée en 2018, fixant des objectifs pour la période 2018-2022. Cette stratégie nationale de soutien à la parentalité comporte un axe transversal « Parentalité en outre-mer ».

En pratique, le bilan « outre-mer » est mitigé, voire clairement insuffisant pour Mayotte, la Guyane et Saint-Martin. Il en va de même pour le programme dit des « 1 000 premiers jours » lancé en 2020 et qui cible particulièrement la petite enfance. Ce programme ne comporte pas réellement de volet « outre-mer » alors que les spécificités l'exigeraient. La question de la place du père devrait faire l'objet d'une attention particulière. De même, le programme est déployé sans tenir compte de la forte proportion de parents allophones ou ne maîtrisant que difficilement le français.

Le maillage territorial de la politique de parentalité est un point essentiel pour sa réussite dans les outre-mer. Selon la Cnaf, le taux d'atteinte du panier de services - c'est-à-dire la présence d'au moins un Contrat local d'accompagnement à la scolarité (Clas), un Réseau d'Écoute, d'Appui et d'Accompagnement des Parents (Reaap) et un lieu d'accueil enfants-parents (LAEP) par EPCI - s'élève pour l'année 2021 à :

- 100 % pour la Martinique et La Réunion ;

- 50 % pour la Guadeloupe ;

- 25 % pour la Guyane.

Pour Mayotte, le taux n'a pas été communiqué, mais la plupart de ces dispositifs sont déficients.

Ce panorama très rapide fait donc apparaître un retard majeur de la Guyane et de Mayotte. Pourtant, ce sont les deux territoires français, pas seulement ultramarins, où la population est la plus jeune. Le maillage territorial y paraît dérisoire au regard de ce constat.

En matière de médiation familiale, tous les départements, sauf Mayotte encore une fois, disposent de services de médiation familiale et d'espaces de rencontre. Mais la Guyane dispose d'un seul service, doté d'un équivalent temps plein, pour un territoire vaste comme le Portugal...

Nos recommandations n° 11 et 15 font de l'accélération et de l'adaptation du programme des 1 000 premiers jours et de la densification des lieux d'accueil parents-enfants une priorité. Un plan de rattrapage est même urgent, de notre point de vue, en Guyane, à Mayotte ou encore à Saint-Martin.

Une attention particulière doit aussi être portée aux questions de santé. Les parents, et les mères en particulier, manquent, sur certains territoires isolés, d'hébergements non médicalisés avant l'accouchement ou en cas de naissance de grands prématurés. C'est en particulier le cas en Guyane, mais aussi à Saint-Barthélemy. Nous avons aussi relevé dans le rapport les graves carences de la PMI sur certains territoires, alors même qu'il s'agit d'une compétence obligatoire des départements. Ces missions essentielles et obligatoires doivent être traitées prioritairement par les collectivités responsables, avant d'aller sur des compétences facultatives. Ces deux points sont repris dans nos recommandations n° 12 et 13.

Enfin, il nous a paru que certains outils plus responsabilisants et contraignants n'étaient pas mobilisés. C'est notamment le cas des mesures judiciaires d'aide éducative ou d'aide à la gestion du budget familial. Le recours à ces mesures doit être inscrit dans les schémas départementaux des services aux familles. C'est notre recommandation n° 16.

Pour terminer, il faut évoquer la question des acteurs de la politique de soutien à la parentalité et celle de la gouvernance. La gouvernance paraît en effet fragile et complexe.

En premier lieu, il manque encore un véritable chef de file.

Les CAF sont unanimement saluées pour leur efficacité. Leur rôle de chef de file de la politique de parentalité mériterait donc d'être mieux affirmé. La prochaine convention d'objectifs et de gestion (COG) entre l'État et la Cnaf pour la période 2023-2027 sera cruciale pour renforcer ce rôle de chef de file, en particulier outre-mer. Notre recommandation n° 17 propose donc d'inscrire dans la prochaine COG un volet « soutien à la parentalité outre-mer ».

En deuxième lieu, la gouvernance apparaît très lourde. Deux recommandations visent à y remédier. D'une part, augmenter les moyens dédiés à la coordination et à l'animation des schémas départementaux de services aux familles, cette mission pouvant être déléguée par les CAF à des partenaires locaux, notamment des associations bénéficiant de l'appui d'une fédération nationale. D'autre part, alléger la composition des comités départementaux de services aux familles qui pilotent les schémas départementaux. Ces comités comptent 41 membres ! Le simple fait de les nommer et de les réunir demande aujourd'hui une énergie considérable, au détriment du vrai travail d'animation des réseaux et des actions. C'est notre recommandation n° 20.

En troisième et dernier lieu, il est indispensable de renforcer les acteurs locaux de proximité, à savoir les associations.

Il manque encore des associations de taille suffisante, disposant de l'ingénierie sociale et administrative nécessaire.

Première difficulté : celle du financement. Les associations se plaignent d'une multitude d'appels à projets, avec des financements au coup par coup. Des financements pérennes et pluriannuels, pour projeter l'action sur trois à cinq ans, sont encore trop rares. Les CAF ont commencé à réorienter leurs financements. Il faut aller plus loin.

Toujours en matière de financement, un des obstacles est le cofinancement. Les CAF financent mais ne peuvent aller au-delà de 80 %. Or de nombreuses collectivités ultramarines sont dans le rouge et peinent à cofinancer le solde. Des initiatives ou projets ne voient pas le jour pour cette unique raison.

Nos recommandations n° 17 et 18 répondent donc à ce double obstacle en privilégiant des financements pluriannuels sur des actions étendues et en autorisant les CAF à financer 100 % des actions lorsque les collectivités sont défaillantes.

Seconde difficulté des associations : leur montée en compétence. Le montage des projets devient de plus en plus complexe et simultanément, le recrutement de travailleurs sociaux devient une gageure faute de candidats.

Une solution pour accompagner les associations locales serait d'encourager les fédérations ou associations nationales à s'investir davantage outre-mer. À quelques exceptions près, comme la Croix-Rouge ou l'Unaf, rares sont les fédérations nationales présentes sur tous les territoires. Leur implication pourrait être un levier puissant pour nos territoires et je sais que certaines fédérations ont des velléités en la matière. C'est notre recommandation n° 19.

Je vous remercie pour votre attention.

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Ce rapport met en avant des constats d'autant plus importants que la parentalité s'est invitée dans le débat public ces derniers jours au-delà des territoires ultramarins.

Nous en venons à l'adoption du rapport et de ses vingt recommandations. Vous avez sous les yeux l'Essentiel et la liste des recommandations, et en avez également été destinataires hier. Nous vous proposons le titre suivant : « Soutien à la parentalité : agir pour toutes les familles des outre-mer ».

Avez-vous des commentaires ou des modifications à proposer ?

Mme Marie Mercier. - Félicitations pour la qualité de ce rapport. J'ai eu la chance de pouvoir suivre quelques auditions. Les spécificités ultramarines sont très bien éclairées et les préconisations me semblent tout à fait judicieuses. Ce que vous avez noté dans les outre-mer est, dans une certaine mesure, transposable dans l'Hexagone. C'est en effet intéressant dans le contexte actuel des émeutes. Il y a besoin d'un accompagnement à la parentalité, ce que nous demandons depuis longtemps. Il faut aussi évaluer l'efficacité des dispositifs d'accompagnement.

S'agissant des séances d'éducation à la vie affective et sexuelle, je pense qu'il faut préciser que ces séances doivent être dispensées par des professionnels formés, qui s'adaptent à l'âge des enfants.

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Sur l'Hexagone comme dans les outre-mer, l'application des séances d'éducation à la vie affective et sexuelle est défaillante. Il faut évidemment des professionnels formés ; nous ajoutons cette mention tout à fait pertinente à notre recommandation.

Mme Nassimah Dindar. - Je m'associe aux félicitations pour ce travail mené et pour le bien-fondé de la collaboration entre nos deux délégations. Ce rapport est important pour le soutien à la parentalité et pour agir auprès des familles des outre-mer, mais il va également au-delà : pour travailler sur la cohésion sociale et sociétale de nos territoires, il fallait passer par un tel état des lieux de l'exercice de la parentalité dans les outre-mer. Cet état des lieux nous ouvre des perspectives pour les dix ou vingt prochaines années, pour les familles de demain. L'absence du père domine dans tous les territoires qui ont connu l'esclavage. Cela induit des schémas mentaux et anthropologiques où les fonctions de père et d'éducateur sont dissociées. Beaucoup de familles créoles croient encore que les allocations familiales sont uniquement pour les mères. Il faut réussir à associer davantage les pères à l'éducation des enfants. Nous devons réfléchir au modèle des allocations familiales pour accompagner au mieux les familles, pour une vraie éducation, pour un « mieux vivre ».

Une mère seule ne peut pas éduquer cinq ou six enfants alors que les logements sociaux ne disposent pas de suffisamment de pièces, ni aux Antilles, ni à La Réunion, ni à Mayotte... Ce n'est pas étonnant que de telles situations puissent conduire à des carences éducatives. Notre système autorise et permet ces situations, en mettant en place des leviers financiers sans se demander quels adultes, quel modèle sociétal et quelle cohésion sociale nous voulons pour demain.

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - La question du logement est récurrente dans les outre-mer comme dans l'Hexagone. Il faut bien sûr se pencher, comme nous le faisons dans le rapport, sur les raisons objectives qui peuvent pousser des mères seules à avoir davantage d'enfants.

Mme Victoire Jasmin, co-rapporteure. - Je comprends ce que dit notre collègue Nassimah Dindar, sénatrice de La Réunion. Cependant, en Guadeloupe, comme en Martinique d'ailleurs, il n'y a presque plus de familles avec cinq ou six enfants comme il y a trente ans, la situation a évolué. Les jeunes en âge de procréer ne sont souvent plus sur le territoire et les femmes ont en moyenne seulement deux enfants.

Je pense qu'il était important de travailler sur ce sujet avec des sénateurs de territoires différents car quand les sénateurs ultramarins prennent la parole au Sénat, les spécificités de chaque territoire, dans la façon d'éduquer, de prendre en charge les enfants et de parler de la famille, ne sont pas toujours comprises. Par ailleurs, chaque rapporteur a pu apporter son propre regard sur la réalité de nos territoires, qui ont tous leurs spécificités.

Lors de notre déplacement en Guadeloupe, nous avons notamment pu visiter une maison de la parentalité à Baie-Mahault, une des seules de Guadeloupe. Nous avons aussi pu voir que malheureusement certaines politiques publiques ne sont pas suffisamment mises en oeuvre.

M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer, co-rapporteur. - Vous noterez que la moitié du rapport porte sur des constats anthropologiques et sociologiques, qui questionnent la capacité des pouvoirs publics à adapter, de manière différenciée dans nos territoires, des politiques publiques. Je pense que c'est le premier travail parlementaire de cette nature et que ces constats sont importants. La première partie du rapport compile une série de données sur lesquelles nous pourrons nous appuyer par la suite - et le Gouvernement également - dans le cadre de l'adaptation et du déploiement des politiques publiques. Les constats dressés mettent également en lumière les raisons des échecs de certaines politiques publiques menées sur nos territoires. Je pense que cette mise en perspective est intéressante, au-delà des recommandations que nous avons bien évidemment établies.

Nous avons eu, au début du mois de juillet, une rencontre avec la Secrétaire d'État chargée de l'Enfance, Charlotte Caubel, qui témoigne de l'intérêt du Gouvernement pour nos travaux. Notre rapport devrait permettre de continuer à travailler sur les sujets d'enfance et de parentalité pour nos territoires.

Mme Micheline Jacques. - Je félicite également les rapporteurs pour leur travail. J'ai été ravie de participer à leur déplacement. Des territoires très proches géographiquement comme la Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélemy, sont pourtant très différents, d'où l'importance d'adapter les politiques à chaque réalité des territoires.

Mme Dominique Vérien. - Il est important de parler des outre-mer au pluriel, comme les rapporteurs le font dans le titre choisi. J'ai pu voir que dans le rapport vous preniez en compte les spécificités des territoires, par exemple s'agissant de la question des adoptions en Polynésie française. On ne peut pas traiter de la même manière la Guyane, un territoire immense, où on parle presque plus brésilien que français, et les Antilles. Je ne parle même pas de Mayotte qui a encore d'autres spécificités. Il faut comprendre toutes les spécificités des territoires pour adapter les politiques et adapter la communication et la formation, en fonction des langues et de la culture de chacun. Le rapport montre aussi que les questions soulevées n'appellent pas forcément des réponses législatives importantes, mais surtout un travail sur une mise en oeuvre effective et rapide des politiques publiques.

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Je remercie tous nos collègues pour leurs prises de parole et constate que vous êtes d'accord pour l'adoption des recommandations et pour le choix du titre. Merci à tous !

La Délégation sénatoriale aux outre-mer et la Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes ont adopté le rapport à l'unanimité des présents.