Mercredi 14 juin 2023

- Présidence de Mme Catherine Deroche, présidente -

La réunion est ouverte à 8 h 30.

Échec des négociations conventionnelles et actualités de la caisse - Audition de M. Thomas Fatôme, directeur général de la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam)

M. Philippe Mouiller, président. - J'excuse Catherine Deroche, qui va nous rejoindre dans les prochaines minutes. Nous recevons ce matin M. Thomas Fatôme, directeur général de la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam).

Je vous précise que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site du Sénat.

Monsieur le directeur général, nous avons souhaité vous entendre à la suite de l'échec des négociations entre l'Assurance maladie et les représentants des médecins libéraux afin d'établir une nouvelle convention médicale et de la publication d'un règlement arbitral en avril.

Nous souhaitons que vous nous indiquiez quels ont été les principaux points d'achoppement des négociations et comment la Cnam applique désormais le règlement arbitral. Nous souhaitons également que vous fassiez le point sur la perspective de reprise des négociations, dans un contexte semblant encore plus tendu par le début de l'examen de la proposition de loi du député Frédéric Valletoux.

Je vous invite à aborder ces différents points dans le cadre d'un propos liminaire.

Bien entendu, les échanges avec les membres de la commission, en premier lieu la rapporteure de la branche maladie, Corinne Imbert, et la rapporteure générale, Élisabeth Doineau, permettront sans doute d'élargir le champ de cette audition à d'autres actualités de la caisse - notamment l'examen de la première loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale (Lacss) ou encore le plan de lutte contre la fraude sociale annoncé par le ministre des comptes publics.

Monsieur Fatôme, vous avez la parole.

M. Thomas Fatôme, directeur général de la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam). - Je vous remercie de me donner l'occasion d'intervenir sur ces différents sujets.

Le dynamisme des discussions conventionnelles ne se limite pas aux médecins. Il faut rappeler l'importance de ces discussions, qui servent à la fois à fixer les tarifs des différents professionnels de santé et à apporter des transformations au système de soins. Nous avons signé le 13 avril, avec les transporteurs sanitaires, un accord pluriannuel 2023-2025. Nous finalisons actuellement la négociation avec les sages-femmes sur un nouvel avenant accompagnant la profession, soutenant l'intervention des sages-femmes en matière de santé publique et dans l'accompagnement au sein des maternités. Nous avons ouvert quatre « négociations flash » avec des professions paramédicales, infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes, orthophonistes et orthoptistes, autour d'une réponse au contexte d'inflation. Nous espérons terminer d'ici l'été une négociation avec les dentistes, sur la nouvelle convention dentaire. Je voulais partager avec votre commission ce dynamisme de la vie conventionnelle.

Concernant les raisons de l'échec des négociations, elles ont essentiellement achoppé autour de la revalorisation de la consultation de médecine générale à 30 euros. Nous avions proposé cette bascule à 30 euros mais dans le cadre d'un engagement territorial qui mettait en face de ces revalorisations très significatives, près de 20 % de revalorisation des honoraires, des réponses à apporter, afin de mieux répondre aux besoins des territoires et des patients, dans les domaines des permanences des soins, des soins non programmés et de l'exercice coordonné. C'est autour de cette problématique que la négociation n'a pas abouti. Nous avions proposé une revalorisation socle à 26,50 euros et à 30 euros dans le cadre de l'engagement territorial. Beaucoup d'autres items étaient proposés : mesures de lutte contre les déserts médicaux, soutien à l'exercice en zones sous-denses, simplification de la rémunération sur objectifs de santé publique, évolution de l'option pratique tarifaire maîtrisée (Optam), dispositif permettant le dépassement d'honoraires... Ces dispositions n'ont pas trouvé d'accord avec les partenaires conventionnels, ce qui a abouti à la saisine d'un arbitre, Mme Annick Morel, qui a rédigé le règlement arbitral après audition des différentes parties prenantes. Elle a édicté un règlement qui vaut convention médicale pour cinq ans, obligation étant faite aux parties de se mettre autour de la table dans un délai de deux ans. Ce règlement porte essentiellement sur la revalorisation à 26,50 euros au 1er novembre, l'assouplissement des conditions de recours aux assistants médicaux et la mise en place d'une consultation à 60 euros pour les médecins qui accepteront de devenir médecins traitants d'un patient en affection de longue durée (ALD) qui n'en dispose pas. Le règlement arbitral pérennise également les mesures autour des soins non programmés avec la majoration des consultations régulées de 15 euros et le tarif de 100 euros/heure pour l'activité de régulation. Ce règlement arbitral se met en oeuvre.

De notre côté, nous avons engagé l'accompagnement des médecins libéraux autour de deux sujets. Le premier axe concerne le plan d'action autour des personnes en ALD et qui n'ont pas de médecin traitant. C'est un objectif fixé par le Président de la République et repris par le ministre de la santé, qui en a confié à la Cnam le déploiement opérationnel. Nous sommes mobilisés avec les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), les élus locaux, les associations de patients et les maisons de santé pluridisciplinaires autour de solutions pour trouver un médecin traitant aux patients qui n'en n'ont pas et qui sont en ALD, soit un peu plus de 700 000 patients fin 2022. Nous avons écrit à l'ensemble des assurés concernés pour les avertir de notre mobilisation et leur permettre d'exercer leur droit d'opposition. Nous sommes en train d'écrire à l'ensemble des médecins libéraux qui voient régulièrement ces patients sans être leur médecin traitant. 20 % de ces 700 000 patients n'ont pas vu de médecin de l'année. Un quart d'entre eux voient régulièrement le même médecin. Les situations sont très variées. Une mobilisation locale se déploie aussi au niveau des CPTS pour notamment identifier les médecins libéraux, soit 50 000 généralistes, qui seraient volontaires pour prendre davantage de patients et partager l'effort. Nous pensons qu'il est possible d'infléchir la courbe, sinon nous aurons 800 000 patients concernés en fin d'année.

Notre deuxième axe de mobilisation porte sur les assistants médicaux. Dans nos propositions largement consensuelles avec les syndicats de médecins, nous allons engager une campagne de communication et d'information importante sur les nouvelles règles. Dorénavant, il n'y a plus de lien avec la zone d'exercice, ni avec un exercice coordonné. Chaque médecin libéral peut bénéficier d'un assistant médical, y compris à temps plein, avec une aide de l'Assurance maladie. Cette aide est pérenne dès lors que les objectifs de patientèle fixés dans le cadre du contrat sont tenus. C'est une aide significative à l'emploi, représentant 21 000 euros par an pour un équivalent temps plein. Avec le recul, depuis son lancement en 2019, le dispositif fonctionne. Les conditions de travail du médecin sont modifiées et améliorées, ils augmentent leur file active d'environ 10 %, sans travailler plus.

Ces deux éléments, plan d'action ALD et assistants médicaux, sont essentiels, même si on est sous l'égide d'un règlement arbitral qui n'a pas porté sur une transformation structurelle, mais qui s'est plutôt situé dans une logique de continuité. En 2023, nous sommes mobilisés pour mettre en oeuvre une feuille de route ambitieuse sur l'accès aux soins telle qu'elle a été définie par le ministre de la santé. Même si ce n'est pas un sujet strictement conventionnel, je citerai également le plan d'action autour de la simplification administrative. Nous avions missionné le docteur Jacques Franzoni et M. Pierre Albertini, ancien directeur général de la caisse primaire d'assurance maladie de Paris, pour nous faire des propositions en matière de simplification de la vie administrative des médecins. Un plan présenté par le ministre de la santé en février est en cours de mise en oeuvre, notamment concernant l'allègement des pièces justificatives et l'amélioration des réponses apportées par les caisses d'assurance maladie. Le ministère travaille également sur la diminution de la demande de certificats médicaux inutiles.

S'agissant de la reprise des discussions, nous sommes très attachés au dialogue conventionnel avec les différentes professions de santé et avec les médecins libéraux. Ce sont les seuls à même d'accompagner la transformation du système de santé, de répondre aux enjeux d'attractivité de la médecine libérale et de réponses aux besoins de soins de la population. Nous sommes en train de travailler aux conditions de la reprise des discussions en termes de méthode, de calendrier et d'objectifs. Si les parties prenantes repartent avec les mêmes positions et les mêmes propositions, nous aboutirons au même résultat. Il faut bien réfléchir aux conditions qui permettront de repartir dans un climat de sérénité, tout en partageant un calendrier particulièrement chargé. Nous espérons une reprise fructueuse.

M. Philippe Mouiller, président. - Nous allons poursuivre le débat avec les questions.

Mme Corinne Imbert, rapporteure de la branche maladie. - Je vous remercie pour ces propos introductifs. Les négociations conventionnelles se sont passées dans un climat crispé, avec dans l'actualité une proposition de loi sur l'accès aux soins qui n'a pas arrangé l'ambiance autour de la table. Ce projet de convention médicale proposé par la Cnam a été refusé par les syndicats. Quels enseignements tirez-vous de cet échec ? La Cnam abandonne-t-elle l'idée d'une augmentation tarifaire conditionnée ? Quels autres outils conventionnels envisagez-vous pour améliorer l'offre de soins sur le territoire ? Vous avez évoqué les patients en ALD et les assistants médicaux. Cela va dans le bon sens. Avez-vous d'autres outils ? Sur le règlement arbitral que les professionnels jugent insuffisant, ils souhaitent une réouverture urgente des négociations. Avec le calendrier chargé que vous avez évoqué, êtes-vous pour une réouverture des négociations avant l'été, ou à la rentrée, comme l'envisage plutôt le ministre ? De votre point de vue, quand les négociations pourraient-elles reprendre ? Quelles doivent être les priorités de cette négociation ? La Cnam envisage-t-elle de faire progresser les rémunérations forfaitaires des médecins libéraux ?

Concernant l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) pour 2022, l'exécution montre une nouvelle fois un dépassement par rapport aux dernières prévisions actualisées en loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) 2023 pour 2022. Par rapport à la LFSS 2022, le dépassement est de 10,4 milliards d'euros. Vous conviendrez que cela n'est plus seulement le fait de la crise sanitaire. Cette dépense de près de 250 milliards d'euros apparaît comme absolument non pilotable. Pour 2023, le comité d'alerte appelle à une « grande vigilance », sans tirer encore la sonnette d'alarme. Comment anticipez-vous la trajectoire 2023 ? Vous préparez-vous à des mesures d'économies pour tenir la trajectoire initiale ?

M. Thomas Fatôme. - Repartir sur une négociation qui n'a pas fonctionné implique d'avoir des propositions nouvelles et différentes, de part et d'autre. L'un des éléments mal compris a été le lien entre la revalorisation de l'acte et un certain nombre de contreparties. Nous réfléchissons à la manière de réaborder le sujet. Les problèmes n'ont pas disparu. La difficulté des 700 000 patients en ALD à trouver un médecin traitant est réelle. Nous connaissons les perspectives démographiques, qui se résument par un effet de ciseaux bien connu, plus de patients et moins de médecins. En 2021, 2 500 médecins généralistes se sont installés sur le territoire, ce qui est deux fois plus qu'au début des années 2010. La dynamique démographique commence à s'infléchir, même si elle ne compense pas le flux des départs à la retraite, qui s'accélère. Nous savons que nous allons connaître ces prochaines années des tensions importantes. Comment y répondre ? Comment accompagner la profession médicale dans des transformations permettant de répondre à ce défi d'une demande d'accès aux soins plus importante ? Nous avons porté cette logique d'engagement territorial. Maintenant nous réfléchissons sur les moyens d'incitation. Aujourd'hui, les médecins libéraux sont principalement rémunérés à l'acte, même si la part forfaitaire a augmenté ces 15 dernières années. Le forfait médecin traitant est un outil bien appréhendé par les médecins. Faut-il davantage utiliser ce levier ? Cela fait partie de nos réflexions. Il faudra de nouvelles propositions et des solutions qui répondent aux besoins de santé des assurés sociaux. Je redis notre conviction que le maintien de l'attractivité de la médecine libérale est un enjeu essentiel. Les médecins généralistes libéraux voient un million de patients par jour, c'est le même chiffre pour les spécialistes. On parle souvent des 20 millions de passages par an aux urgences. C'est majeur pour l'Assurance maladie. Nous devons trouver le moyen de maintenir cette attractivité, voire de l'améliorer. Il faut permettre à ces professionnels de répondre à une demande de soins qui augmente. Les outils que nous mettons en place, notamment avec les assistants médicaux, permettront d'augmenter le temps médical disponible. Il n'est pas toujours nécessaire de réinventer des choses très compliquées.

Sur le calendrier, toute reprise de négociation passe par l'envoi de lignes directrices de la part du ministre de la santé. Le calendrier doit être synchronisé. On partage la nécessité de réenclencher les choses. Le règlement arbitral est un outil permettant d'assurer une forme de continuité et de laisser la main aux partenaires conventionnels. Cet outil se traduit tout de même par un investissement de l'Assurance maladie de 700 millions d'euros, plus 100 millions d'euros de la part des organismes complémentaires. Les 26,50 euros représentent, en effet, une augmentation de la lettre-clé de 6 %. Nous souhaitons effectivement réenclencher les discussions. Les négociations précédentes se sont faites dans un climat très difficile. Nous avons fait face à une campagne très violente sur les réseaux sociaux, qui a déformé les propositions de l'Assurance maladie. Nous n'avons jamais voulu obliger tous les médecins libéraux à travailler le samedi matin, ni à travailler plus. Ce n'était pas le sens de l'engagement territorial que nous avions proposé. Nous devons aussi travailler sur une méthode pour mieux nous faire comprendre et mieux intégrer la réalité des réseaux sociaux, qui sont désormais un élément de la négociation conventionnelle. Nous sommes tous sous la pression de ce mode d'expression.

Sur l'Ondam, je mesure très bien l'ampleur des chocs qu'il a connus en 2020, 2021 et 2022. Le premier semestre 2022 a connu la vague Omicron ; cela a représenté un niveau d'arrêts de travail et de tests jamais vu et une campagne de vaccination qui, bien qu'un peu moins intense qu'en 2020 et 2021, demeurait importante. Ces chocs exogènes et imprévisibles expliquent très largement la dynamique de la dépense. Nous sommes en train d'en sortir. L'Ondam reste et doit rester un outil pilotable. Nous devons nous fixer des règles et des objectifs sur ces dépenses de 250 milliards d'euros. Sinon, ce serait très problématique, à la fois en termes financiers et politiques. Heureusement, les mécanismes de supervision fonctionnent, le comité d'alerte s'est réuni et a appelé à une « grande vigilance ». Il n'a toutefois pas déclenché le mécanisme d'alerte. Nous participons à cette vigilance. Techniquement, il nous est encore difficile de bien mesurer l'explication des dynamiques de dépenses. Les chiffres du premier trimestre 2023 sont difficiles à lire car le premier trimestre 2022 a été très chahuté par le comportement des acteurs de soins. Est-ce le résultat d'une dynamique plus importante ? C'est ce que l'on regarde aujourd'hui. Compte tenu du fait que le mécanisme d'alerte n'a pas été déclenché, un plan d'économie n'est pas à l'ordre du jour. Mais nous restons très attentif aux différents éléments qui peuvent impacter l'Ondam 2023. De toute façon les négociations en cours n'auront pas d'impact sur 2023, car les négociations conventionnelles ne prennent effet qu'avec six mois d'écart par rapport à la date de signature.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Je vous remercie pour vos propos et les explications qui ont suivi. Je souhaite remercier, à travers vous, l'ensemble des agents des caisses départementales d'assurance maladie, qui sont les interlocuteurs privilégiés de nos concitoyens. Je salue leur efficacité et leur exemplarité.

Je voudrais quelques précisions sur les outils à notre disposition pour faciliter l'accès aux soins. Pouvez-vous nous donner quelques éléments sur les infirmières en pratique avancée (IPA) ? Concernant les patients en ALD, un certain nombre ont reçu un courrier leur disant qu'ils n'avaient pas de médecin traitant, alors qu'ils en avaient. Quel est votre système de vérification de ces données ? J'aimerais aussi connaître le chiffre des déconventionnements. Un certain nombre de médecins ne veulent plus être conventionnés. J'aimerais avoir confirmation de cette tendance par des chiffres. Je crains que les propositions qui sont faites actuellement sur les incitations à s'installer dans les « déserts médicaux » ne soient contreproductives.

Sur les questions budgétaires, la Cour des comptes a consacré tout un chapitre de son dernier rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale (Ralfss) à la fraude aux prestations sociales. Dans le cas de la Cnam, elle présente des évaluations réalisées par celle-ci dans six domaines, correspondant au total à une fourchette entre 1,1 et 1,3 milliard d'euros. Sur la base d'une extrapolation de ces éléments, elle évalue la fraude, dans le cas de la Cnam, entre 3,8 et 4,5 milliards d'euros. Cette estimation vous semble-t-elle cohérente ? Pourrez-vous tenir votre objectif d'estimer en 2024 l'ensemble des fraudes aux prestations versées par les caisses ? Qu'est-ce que la Cnam prévoit de faire concrètement, et selon quel échéancier, pour améliorer sa connaissance de la fraude ?

Le paiement à bon droit correspond au paiement par la branche maladie de ce qu'elle doit aux assurés. Dans son rapport sur la certification des comptes de la sécurité sociale pour 2022, la Cour des comptes indique que, dans le seul cas du remboursement des frais de santé, les erreurs, souvent au bénéfice de l'assuré, sont passées de 1,9 milliard d'euros en 2020 à 2,5 milliards d'euros en 2021 et à 3,4 milliards d'euros en 2022. Comment inverser cette tendance ?

M. Thomas Fatôme. - Je vous remercie de vos propos, que je transmettrai au réseau. Concernant les chiffres sur les patients sans médecin traitant, je souhaite apporter des clarifications. Parmi les 720 000 patients sans médecin traitant fin 2022, il y a des situations extrêmement différentes. Une personne sur cinq n'a vu aucun médecin dans l'année. Un quart voit régulièrement le même médecin. Il y a clairement des gens qui ne sont pas administrativement enregistrés dans les bases de l'Assurance maladie comme ayant déclaré un médecin traitant mais qui voient régulièrement le même médecin. Nous écrivons à ces médecins pour leur demander s'ils seraient d'accord pour être le médecin traitant des patients qu'ils voient régulièrement. Certains ne le souhaitent pas. Cela doit rester un choix du médecin. Nous espérons qu'un certain nombre d'entre eux vont accepter cette charge. Il y a une très grande diversité de situations. Il faut différencier la consommation de soins de ces personnes. C'est certainement un problème de santé publique et donc nous allons continuer à nous mobiliser. Un nouveau comité de pilotage sera présidé par le ministre début juillet. Nous ferons le point et redonnerons les éléments chiffrés.

Concernant les chiffres de déconventionnement, depuis la fin des négociations, nous avons enregistré 22 demandes de déconventionnement pour les médecins généralistes et trois demandes pour les médecins spécialistes. Nous restons attentifs à ce sujet et lorsqu'on reçoit une demande, j'ai demandé aux caisses de rentrer en contact avec le médecin pour avoir des explications car c'est une décision lourde pour les patients. Cela les prive potentiellement d'une partie de leur remboursement. Je regrette ces appels au déconventionnement lancés par certains responsables.

S'agissant des sujets liés à la fraude, je laisserai Marc Scholler, directeur délégué de l'audit, des finances et de la lutte contre la fraude au sein de l'Assurance maladie, apporter des éléments complémentaires. Nous poursuivons le travail d'évaluation des différentes fraudes aux arrêts de travail, à la complémentaire santé solidaire (C2S), à la tarification à l'activité (T2A), à l'identité, etc. Nous ne cherchons pas un chiffre mais plutôt une évaluation la plus scientifique possible. Ce sont des méthodes statistiques assez lourdes, donc c'est long. Cela justifie une mobilisation renforcée. Nous avons fixé, conjointement avec le ministre délégué chargé des comptes publics, un objectif ambitieux de 500 millions d'euros de rendement des opérations de lutte contre la fraude en 2024. Avant 2022, le montant maximum atteint était de 290 millions d'euros. Cela montre une très nette accélération des opérations et de leur rendement. Nous avons atteint un nouveau record de 315 millions d'euros en 2022. Je précise que ce montant n'intègre pas la T2A, les contrôles sur la T2A ayant été suspendus du fait de la crise sanitaire et de la garantie de financement. Enfin, il est important d'intégrer les spécificités des années 2021 et 2022. Les comptes de l'Assurance maladie ont à nouveau été certifiés en 2022, alors même que nous avons dû faire face à une typologie de dépenses et d'opérations dérogatoires, ce qui témoigne de l'investissement des équipes pour piloter et gérer rigoureusement les comptes.

M. Marc Scholler, directeur délégué de l'audit, des finances et de la lutte contre la fraude de la Cnam. - En complément des chiffres cités, je voudrais vous indiquer que l'on a produit une évaluation pour six catégories de droits ou de professionnels de santé. Nous avons une stratégie des dispositifs de contrôle au sens large et les dispositifs de lutte contre la fraude sont organisés autour de quatre axes.

Le premier axe concerne l'évaluation, qui permet de savoir comment et où cibler nos actions là où sont les plus importants préjudices financiers. C'est fondamental et cela nous permet de mieux connaître les erreurs de facturation et autres abus. Pour chaque catégorie d'évaluation, nous avons une estimation haute et basse. En 2022, pour les deux branches Maladie et Accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP), ont été liquidés environ 257 milliards d'euros de prestations. Cela représente 1,6 milliard de factures unitaires reçues dans le système d'information. Ce sont des flux très importants. Une grande partie des contrôles sont réalisés par le système d'information, qui rejette environ 30 millions de factures, souvent pour des questions de droits ou de cohérence entre nos bases. S'y ajoutent 16 millions de contrôles à vocation plus ciblée. Cela nous a permis d'atteindre un montant total de préjudices stoppés et détectés en 2022 d'un montant de 667 millions d'euros. Dans le cadre de la certification, c'est important, d'autant plus que la Cour des comptes suit aussi les évolutions.

Le deuxième axe regroupe les dispositifs de prévention intégrés dans le système d'information ou d'accompagnement des professionnels de santé à l'installation. Les professionnels de santé attendent qu'on les rembourse vite et nous, nous attendons qu'ils nous facturent correctement. Nous accompagnons sur un plan pédagogique le professionnel de santé qui s'installe, afin qu'il nous facture correctement. Des contrôles informatisés doivent être mis en place.

Le troisième axe consiste dans le contrôle et la détection. Comment intègre-t-on un peu plus d'intelligence dans nos outils de contrôle pour avoir un meilleur ciblage ?

Puis le dernier axe concerne les sanctions, qui doivent être adaptées et rapides. Nous sommes engagés dans une orientation de moyen terme avec un certain nombre de priorités (bandes organisées, internet, réseaux sociaux...) et de nouvelles pratiques (comme dans le cas du 100 % santé et des centres de santé).

M. Thomas Fatôme. - Sur les IPA, l'Assurance maladie souhaite accompagner cette jeune profession. Nous avons signé avec les trois syndicats d'infirmiers libéraux en juillet 2022 un nouvel avenant qui améliore les financements de l'Assurance maladie, dans le démarrage de l'activité des IPA et dans les niveaux de forfait, qui ont augmenté de près de 20 %. C'est également une demande des médecins dans les maisons de santé. Il y a une vraie volonté de travail en commun de beaucoup de médecins avec les IPA. C'est une profession jeune, qui comprend 220 IPA installés en libéral, les flux de formation étant encore limités. On attend, par la suite, entre 700 à 800 IPA par an. Ils vont plutôt vers l'hôpital. Les ministres de la santé et de l'enseignement supérieur souhaitent augmenter encore les volumes de formation et nous, notre rôle est d'accompagner ces IPA durant leur parcours de formation et leurs premières années d'exercice.

M. Daniel Chasseing. - Je vais commencer par quelques réflexions. C'est par les maisons de santé réunies au sein de CPTS au niveau rural, qu'on arrivera à effectuer des soins non programmés. Sur les IPA, le Sénat a modifié la proposition de loi portant amélioration de l'accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé, devenue la loi du 19 mai 2023 (dite « loi Rist 2 »), afin de réserver l'accès direct aux IPA exerçant au sein des structures d'exercice coordonné les plus intégrées, comme une maison de santé.

Ma question porte sur les infirmières libérales, qui n'ont pas bénéficié de revalorisation depuis longtemps. La revalorisation des actes médicaux infirmiers date de 2009, et celle des déplacements de 2011. Les actes aux soins sont remplacés par des bilans de soins infirmiers. Certains infirmiers, qui voient leur revenu baisser, se posent la question de savoir s'ils vont arrêter, alors qu'on a grand besoin de cette profession avec le vieillissement de la population et la prise en charge de la dépendance et des maladies chroniques. Avez-vous l'intention de leur donner satisfaction en relevant leur revenu ?

- Présidence de Mme Catherine Deroche, présidente -

M. Bernard Jomier. - Vous faite face à un défi bien complexe. Dans votre analyse sur les raisons de l'échec des négociations, vous nous dites que cela a échoué sur les 30 euros. On sait tous que cela n'est que le marqueur d'un symptôme de quelque chose de plus profond. Je pense qu'il y a un vrai malentendu sur la notion de « travailler plus pour gagner plus ». Vous nous dites qu'on ne leur demande pas de travailler plus, je ne suis pas d'accord. On leur demande bien de prendre plus de patients. Il me semble qu'il y a un vrai changement à l'oeuvre dans cette profession, c'est qu'ils ne veulent pas travailler plus car ils travaillent déjà beaucoup. Cela est aggravé par la perte d'environ 10 000 médecins traitants sur une dizaine d'années. Dans la réalité, ils ont déjà une charge de travail importante. Ils travaillent en moyenne 52 heures hebdomadaires. Je n'ai pas de solutions. Mais je pense que vous faite face à une vraie difficulté et à une distorsion dans la négociation. L'Assurance maladie défend l'accès aux soins et la nécessité de mieux répondre à la demande, et en face nous avons un corps professionnel épuisé. Je ne porte aucun jugement, je constate juste que ce « ras le bol » de la profession grandit.

J'ai plusieurs questions. La première porte sur l'évolution des dépenses en lien avec les phénomènes existants. Vous tentez de piloter ces 250 milliards d'euros de dépenses. Nous voyons surgir une financiarisation, qui touche les établissements de santé privés depuis longtemps, et qui touche maintenant l'ambulatoire. L'imagerie est prise en main par des groupes. Et là, il faut faire beaucoup d'actes. On voit arriver ce phénomène dans l'offre de soins primaires. Se multiplient les centres de consultation rapide, ou « fast consultation ». On vient de franchir un nouveau palier avec l'offre d'abonnement d'un groupe. La médecine ne se pratique pas comme un commerce. Il est interdit de faire trois consultations pour le prix de deux. Par contre, on peut prendre un abonnement. Nous sommes dans une dérive financière et d'ubérisation de la santé. Comment maîtriser la dépense ? Nous connaissons le nombre de téléconsultations que font les médecins quand ils sont en ligne.

En matière de fraude sociale, je renouvelle une question que je vous ai posée il y a un an sur les fraudes alléguées de l'institut hospitalo-universitaire Méditerranée Infection en termes de facturation, à laquelle je n'ai jamais reçu de réponse, malgré plusieurs relances de vos collaborateurs. Il s'agit de millions d'euros. Y a-t-il une action entreprise pour récupérer ces fonds ?

Ma dernière question dépasse la stricte actualité. L'année dernière il y a eu un débat sur la « grande Sécu ». La piste a été écartée mais n'épuise pas le sujet pour les prochaines années. La mutualité a mis sur la table une proposition sur la santé au travail et a proposé de participer à son financement. Poursuivez-vous la réflexion ? Souhaitez-vous rester dans votre périmètre actuel ? Réfléchissez-vous à une nouvelle articulation avec les organismes complémentaires pour une meilleure efficience ?

Mme Annie Le Houerou. - Vous avez déjà répondu sur le sujet des ALD. L'objectif fixé par le ministre de la santé était-il assez ambitieux ? Avez-vous une évaluation au fil de l'eau de son fonctionnement ? Avez-vous des chiffres ?

Je vois la prolifération du nombre de cabines de téléconsultation en supermarché et dans nos communes rurales. Cela peut apparaître comme une solution pour les déserts médicaux même si je n'en suis pas convaincue car il n'y a pas de vision globale de la situation du patient. Quel est votre regard sur le sujet ? Peut-on y mettre des limites ?

Le préalable à une utilisation et à une bonne exploitation des données de santé passe par le renseignement du site « Mon espace santé ». Où en est-on de son utilisation, à la fois par le patient et par les professionnels de santé ? Je reste perplexe sur l'ambition du Gouvernement sur le sujet.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - Je reviens sur le sujet de la fraude. Vous nous aviez annoncé plusieurs chiffres il y a un an. Vous aviez évoqué un plan car cela concerne beaucoup de professions. Pouvez-vous nous donner aujourd'hui de nouvelles évaluations pour les différentes professions concernées, infirmiers, médecins généralistes, médecins hospitaliers... ? Quel est le plan ? Dans quel délai aurons-nous ces chiffres ? J'attends de votre part des précisions que vous nous aviez annoncées dans l'année.

Concernant le plan de lutte contre la fraude sociale lancé par le ministre délégué chargé des comptes publics, le Gouvernement a lancé une mission de préfiguration pour examiner la fusion entre la carte nationale d'identité et la carte Vitale. Un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) et de l'Inspection générale des finances (IGF) du mois d'avril 2023 indique que vous avez fait part de réserves à ce sujet. Pouvez-vous nous préciser votre point de vue ? Quelles sont les pistes à suivre ? Quelles appréciations portez-vous sur le plan du Gouvernement ?

M. René-Paul Savary. - Depuis des années nous posons les mêmes questions et nous avons les mêmes réponses. Vous ne commentez pas le nombre des déconventionnements, il est vrai qu'il y en a peu. Mais vous en aurez plus dans les mois qui viennent, au détriment des patients et de l'Assurance maladie, car tout cela est de plus en plus commercial et de moins en moins solidaire. Je partage l'inquiétude de Bernard Jomier.

Que pensez-vous des centres de soins non programmés ? Les médecins se prennent en main sans faire partie de groupes. Soyons attentif à soutenir ce type de démarche solidaire.

J'ai une question plus technique sur la convention d'objectif et de gestion (COG) pour 2023-2027, qui n'a pas encore été signée. Qu'en est-il de vos moyens ?

M. Thomas Fatôme. - Je rejoins le sénateur Chasseing sur l'intérêt de bien articuler l'intervention des IPA avec les exercices coordonnés, comme le permet la loi Rist 2. Sur les infirmières libérales, je partage aussi avec vous l'importance de soutenir les quelques 100 000 infirmières libérales, qui sont des acteurs primordiaux de la prise en charge des assurés, notamment à domicile. Au-delà de l'acte ou du déplacement, l'Assurance maladie a fortement soutenu la profession, ces dernières années, notamment au travers de l'instauration du bilan de soins infirmiers (BSI), qui permet de mieux rémunérer leur intervention. C'est 2 500 euros supplémentaires par infirmière libérale par an. C'est un nouveau mode de paiement plus forfaitaire et un investissement de l'Assurance maladie. Je vous rappelle, par ailleurs, que nous avons ouvert des « négociations flash » avec quatre catégories de professions paramédicales. Nous devrions déboucher très prochainement sur une augmentation des indemnités de déplacement pour les infirmières libérales. C'est la profession qui se déplace le plus auprès des patients.

Je partage l'analyse de l'état de la profession médicale présentée par M. Jomier. Il est nécessaire d'être à l'écoute de la génération la plus ancienne, qui a beaucoup travaillé et qui ne souhaite pas travailler davantage, et d'une nouvelle génération qui n'a pas envie d'adopter le même modèle. C'est la raison pour laquelle je redis que l'enjeu n'est pas de faire travailler plus mais de répondre à une réalité, qui est qu'il y a moins de médecins et plus de patients. Nous accompagnons ces professionnels avec plus d'exercices coordonnés, plus de délégations et de transferts de tâches et plus de soutien aux médecins traitants. C'est aussi plus de maisons de santé pluridisciplinaires (MSP). L'objectif est de 4 000 maisons pluridisciplinaires. La dynamique est significative. Près de 15 % des médecins généralistes travaillent aujourd'hui dans une maison de santé. Les conditions de travail sont meilleures. La dynamique des CPTS est également réelle. Les médecins s'emparent de ces solutions.

La financiarisation est un sujet de préoccupation pour l'Assurance maladie. Les négociations ont fini par aboutir dans le secteur de la biologie médicale. Nous sommes très attentifs à ce qui peut se passer dans d'autres domaines, comme la radiologie ou les soins primaires. Nous allons essayer d'établir un diagnostic et de proposer des solutions dans le rapport « charges et produits » sur lequel nous travaillons. Si nous avons besoin d'acteurs publics et privés lucratifs et non lucratifs, la dérive de la financiarisation est problématique. J'ai déjà eu l'occasion de rappeler que l'offre du groupe Ramsay n'était pas financée par l'Assurance maladie, ni les abonnements, ni les téléconsultations ; seule la prescription est prise en charge. Pour nous, un tel dispositif ne répond pas à un système de santé solidaire. L'organisation du système de soins ne doit pas dépendre de la capacité des gens à payer un abonnement. Il y a une grande différence entre recourir aux soins et payer un abonnement téléphonique ou à Netflix. Je vous indique que des contrôles sur l'IHU Méditerranée Infection sont en cours pour vérifier la tarification. Je vous rappelle que cet établissement était en garantie de financement en 2020, 2021 et 2022, ce qui explique que les contrôles aient une portée mécaniquement limitée. Néanmoins, le contrôle porte sur la part complémentaire. Nous vous informerons des résultats du contrôle. Sur la « grande Sécu », pour ma part, je suis convaincu de l'intérêt d'un partenariat renforcé entre l'Assurance maladie obligatoire et complémentaire et les professionnels de santé. Des progrès ont été permis par le 100 % santé. Cela a permis de faire progresser l'accès aux soins dans de nombreux domaines. Nous avons engagé avec les complémentaires santé et les professionnels de santé des discussions sur les soins dentaires, afin de poursuivre cette dynamique. Je crois à ce travail coordonné pour améliorer l'accès aux soins et à la prévention. Un certain nombre de complémentaires santé ont une capacité d'intervention en entreprise que nous n'avons pas.

Concernant les questions de Mme Le Houerou, nous faisons face à une dynamique forte, où l'on a plus de malades chroniques, plus de patients en ALD et moins de médecins traitants. L'objectif de stopper cette évolution est ambitieux. Le plan est récent et est en train d'être mis en oeuvre. Nous souhaitons avoir un suivi trimestriel des résultats. Nous prévoyons un premier bilan dans les prochaines semaines. En complément de ma réponse à M. Jomier sur la téléconsultation, nous souhaitons qu'elle ait une place régulée dans le parcours de soins. Nous participons aux travaux pilotés par le ministère de la santé sur l'article 53 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2023, qui prévoit un cahier des charges pour les plateformes de téléconsultations afin d'intégrer des exigences de qualité, de transparence et d'éthique. Je ne pense pas que leur place soit dans des supermarchés ou dans de lieux qui ne correspondent pas à l'exercice normal de soins. Les études menées par le ministère ont montré, à ce stade, que le recours à la téléconsultation n'était pas plus important dans les déserts médicaux qu'ailleurs. La dynamique de « Mon espace santé » se poursuit en termes d'activation des espaces santé, avec environ 9 millions de profils activés, plus de 200 000 par mois. Nous pensons que cette dynamique va s'accélérer, dès lors que l'équipement en logiciels des professionnels de santé, notamment les médecins de ville, les laboratoires de biologie et de radiologie et les hôpitaux, sera terminé. Nous avons aujourd'hui plus de 67 millions de documents alimentés dans les dossiers médicaux partagés (DMP).

M. Vanlerenberghe, je vous confirme que nous poursuivons nos travaux d'évaluation sur la fraude. Le rapport de la Cour des comptes en fait état sur la complémentaire santé solidaire (C2S), les médecins généralistes, les transporteurs sanitaires, les infirmiers, les masseurs-kinésithérapeutes et les pharmaciens. Nous espérons terminer nos travaux fin 2023 ou début 2024, en veillant au dialogue avec les professions concernées. Les chiffres sont dans le rapport. Pour la C2S, la fourchette est entre 25 et 176 millions d'euros, pour les médecins généralistes, la fourchette est entre 185 et 215 millions d'euros, pour les transporteurs sanitaires, entre 145 et 177 millions d'euros, pour les infirmiers, entre 286 et 393 millions d'euros, pour les masseurs-kinésithérapeutes, entre 91 et 105 millions d'euros, pour les pharmaciens, entre 166 et 234 millions d'euros. Ce sont des estimations de la fraude sur la base de l'extrapolation de nos résultats par rapport à une estimation du phénomène de la fraude. Nous allons poursuivre avec les autres professions.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - Vous nous aviez exposé vos méthodes de redressement de cette fraude. On a parlé du nombre croissant des contrôleurs. Au vu des chiffres, il me paraît intéressant de multiplier les contrôles avec les outils algorithmiques que vous mettez au point.

M. Thomas Fatôme. - Je vous confirme que cela justifie un investissement renforcé et des augmentations d'effectifs dédiés à la lutte contre la fraude. Le ministre délégué chargé des comptes publics a évoqué, pour l'ensemble des branches de la sécurité sociale, le chiffre de 1 000 contrôleurs supplémentaires.

En réponse à M. Savary sur la COG, elle n'est pas encore totalement bouclée ; les discussions devraient se finaliser dans les prochaines semaines. La trajectoire qui se dessine devrait nous permettre de renforcer nos moyens de façon importante en matière de lutte contre la fraude, avec comme objectif 500 millions d'euros de préjudice financier détecté et évité à l'horizon 2024.

Concernant le rapprochement de la carte nationale d'identité et de la carte Vitale, le ministre a annoncé une mission interministérielle pour instruire un tel scénario. Dans ma réponse que vous évoquez à la mission Igas-IGF, je souligne l'importance que l'Assurance maladie attache à la lutte contre la fraude à l'identité et à la vérification à l'existence de droits. C'est pourquoi nous opérons plus de 70 millions de traitements statistiques par an et près de 1,5 million de contrôles individuels autour de la protection universelle maladie. J'évoquais également dans ma réponse la nécessité que les avantages et les inconvénients d'un tel scénario soient soigneusement analysés. Enfin, sur les centres de soins non programmés, je pense qu'ils devraient rester subsidiaires au médecin traitant et à l'équipe de soins. Je pense qu'il faut éviter d'en faire le premier mode de recours aux soins. C'est un recours ponctuel, qui marque rarement une continuité dans la prise en charge. Il y a toujours le risque que cela contribue à détruire du temps médical disponible. Pour soutenir les médecins traitants, il existe différents leviers, et il faut leur donner envie d'exercer leur fonction et éviter qu'ils intègrent les centres de soins, qui optimisent une forme de consommation de soins que nous ne souhaitons pas.

Mme Nadia Sollogoub. - Les médecins vont mal, les patients aussi. L'accès aux soins est devenu une difficulté majeure sur tout le territoire national. À côté de cela, il est difficile de mener les négociations, car les médecins vont mal aussi. Ce n'est pas qu'une question d'argent. Il y a une crispation générale et les derniers textes et ceux à venir ont peut-être compliqué la situation. Deux sujets reviennent régulièrement : la délégation de tâches et les contraintes à l'installation. J'ai quelques remarques. On a parlé des IPA. Sur mon territoire, ceux qui souhaitent faire cette formation souhaiteraient être accompagnés durant le temps de la formation, qui dure deux ans. Les infirmiers vont également mal. Je suis heureuse d'apprendre que les « négociations flash » avec les infirmiers pourraient aboutir. Malgré tout, je note la complexité de la tarification, qui rend difficile la bonne visibilité sur les augmentations. J'ai également une inquiétude sur le maillage des pharmacies en milieu rural. Sur les installations encadrées, on risque d'accentuer la crispation des médecins. Vous nous avez parlé des 700 000 patients en ALD sans médecin traitant, a-t-on une répartition géographique de ces patients pour savoir s'il est vraiment judicieux de tordre le bras aux médecins au moment de leur installation ?

M. Jean-Luc Fichet. - Vous nous avez déjà répondu sur la situation des infirmiers libéraux. Sur la question de la fraude, je suis assez surpris de voir comment on en parle sans y apporter de remèdes depuis si longtemps. C'est un vrai souci. C'est l'argent des assurés sociaux. Sans être particulièrement favorable aux algorithmes, je pense que l'intelligence artificielle et les algorithmes devraient nous permettre un meilleur contrôle. Aujourd'hui, tous les secteurs professionnels disposent d'algorithmes leur permettant de d'effectuer des contrôles de leurs dépenses, de leurs recettes ou de leurs salariés. La sécurité sociale devrait pouvoir s'équiper de moyens, non pas pour travailler sur l'évaluation de la fraude mais en vue d'éviter la fraude. J'aimerais avoir des réponses et des signes de souci d'efficacité pour empêcher la fraude. J'ai également une question sur le déconventionnement. 22 médecins généralistes se sont déconventionnés depuis la fin des négociations. Sont-ils sur un territoire précis ? Le déconventionnement suppose qu'un certain nombre de personnes n'ont plus accès à ces médecins car elles ne sont pas remboursées. Aujourd'hui, un certain nombre de médecins généralistes facturent leur consultation à 30 euros. Que se passe-t-il dans ce cas-là et quelle est votre position ?

Mme Florence Lassarade. - Je vous trouve, M. Fatôme, très optimiste sur les négociations. Les médecins se sentent humiliés et beaucoup vont arrondir le tarif de leur consultation à 30 euros. Il y a d'autres chiffres inquiétants. On annonce pour 2022 une surmortalité de 54 000 personnes. Il y a peut-être un effet après covid. Est-ce que cette hémorragie de décès ne va pas prendre le pas sur la négociation, qui semble ridicule ? Les gens ne se soignent plus. Avez-vous des chiffres sur la consommation des médicaments en automédication ? On entend parler d'opiacés surconsommés depuis deux ans, comme le Tramadol. Je voudrais savoir si les médecins auront les moyens de se doter d'assistants médicaux au vu de la faible augmentation de leurs tarifs. La CPAM interviendra-t-elle pour les salarier, ou cela reviendra-t-il au médecin ? Nous manquons également de dentistes. Certains proposent de délocaliser la formation des étudiants. Les hôpitaux où sont formés ces étudiants commencent à dire que ces étudiants ne sont pas rentables. A-t-on réellement le désir d'améliorer la situation et de donner des moyens pour développer les bonnes idées ou ne va-t-on pas vers un exercice salarié généralisé ? Je vois mal un jeune médecin s'installer dans ces conditions. La consultation à 26,50 euros n'est pas un bon signal.

M. Alain Duffourg. - Beaucoup de sujets ont déjà été évoqués. Les déserts médicaux demeurent la question récurrente dans nos territoires. Les assistants médicaux et les IPA sont des pistes pour améliorer la situation. Dans certains territoires, il y a encore peu de formations. J'ai une seule IPA formée à ce nouveau statut dans mon département. Le salariat se développe à travers les centres territoriaux de santé financés par le conseil départemental. En outre, des médecins étrangers viennent conforter l'offre dans ces territoires. Je trouve énorme la fraude dans ce domaine, entre 4 et 5 milliards d'euros, soit l'équivalent de 2 % du budget de l'Assurance maladie, et de 1 % du budget total de la sécurité sociale. Quels sont les remèdes et les outils pour remédier à cette fraude ? J'ai l'exemple d'une personne au chômage qui va se faire établir un certificat médical d'un mois pour repousser ses droits.

Mme Michelle Meunier. - La question du contrôle intéresse beaucoup la commission des affaires sociales. J'ai travaillé sur ces aspect l'année passée avec mon collègue Bernard Bonne dans le cadre du médico-social. Votre triptyque, contrôle, accompagnement pédagogique et sanction, nous convient. Nous pourrions juste ajouter l'interdépendance avec les autres corps d'inspection, travail, répression des fraudes... Qui contrôle, quels sont vos moyens ? Avez-vous des inspecteurs dédiés à ce contrôle ? Dans le domaine du médico-social, l'année dernière 7 500 établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) ont été inspectés. On a découvert que la sécurité sociale était amenée à payer des dépenses indues, comme par exemple des compléments alimentaires à la place d'un morceau de fromage. Qu'avez-vous observé en un an ? Quels enseignements en tirez-vous ? Et quelles sanctions ont-elles été données ?

M. Jean Sol. - Face au défi auquel nous sommes confrontés (plus de patients, moins de médecins), certains médecins retraités consacrent un peu de leur temps pour prendre en charge certains patients dans les territoires où la désertification est amplifiée. Or vous exigez que ce temps soit de deux jours et demi ou rien. Envisagez-vous un assouplissement de vos règles ?

M. Alain Milon. - Mon attention a été attirée par la question de mon collègue Jomier sur la financiarisation de la santé. J'ai remarqué que dans le Vaucluse, qui n'est pas spécialement un désert médical, une pharmacie gérée par un groupe propose une cabine de téléconsultation. Sur la chaîne de télévision France info, j'ai entendu également un grand nombre de publicités sur Parapharma, sur le groupe Ramsay, et sur d'autres groupes mutualistes qui prennent en charge la santé, etc. Or il me semble que pour les professionnels de santé, la publicité est interdite. Seriez-vous d'accord si le Sénat, tous groupes confondus, faisait une proposition de loi pour interdire la publicité en matière de santé ?

Mme Catherine Deroche, présidente. - On fait aussi des lois sans demander l'accord de la Cnam.

Mme Victoire Jasmin. - J'ai plusieurs questions. Concernant les disparités en outre-mer, outre la situation des médecins et le manque de médecins traitants, se pose aussi la question de l'évacuation sanitaire, qui suscite des surcoûts importants. Il y a des archipels en Guadeloupe où il n'y a pas d'offre suffisante pour des soins qui devraient être maîtrisés. Le manque de spécialistes entraîne des déplacements parfois vers l'Hexagone, ce qui engendre aussi des surcoûts et des difficultés pour le déplacement des familles. Il y a aussi des difficultés concernant la psychiatrie et la pédopsychiatrie. Nous n'avons pas de chaire de pédopsychiatrie en Guadeloupe. Il y a de vrais problèmes de prévention. Là encore, il faut se déplacer. D'autre part, la question des jeunes médecins ultra-marins se pose : ils commencent sur place puis vont dans l'Hexagone. Quand ils veulent revenir, ils n'ont plus la priorité. La situation est amplifiée par la question des congés bonifiés. Nous avons de plus en plus de médecins étrangers. Les congés bonifiés sont un droit mais il y a de plus en plus de demandes de la part des médecins étrangers pour retourner dans leur pays d'origine. Nous devrons prendre en compte tous ces éléments. Sera-t-il permis à nos jeunes d'être prioritaires pour revenir pour aider à une meilleure maîtrise du budget ?

Mme Émilienne Poumirol. - Ce sujet passionne tout le monde. Je voudrais revenir sur le problème soulevé par Bernard Jomier et Alain Milon, sur la marchandisation et la financiarisation de la santé, qui se révèle être un danger majeur. J'ai déjà alerté MM. Olivier Véran et François Braun sur cette dérive, qui touche maintenant les centres de soins primaires. Sur le site de Ramsay, ils s'adressent à vous comme client et non comme patient. J'avais posé la question du rachat par Ramsay de centres tenus jusqu'à présent par la Croix-Rouge. Cette dérive va entraîner des dépenses supplémentaires pour la CPAM, le but étant de faire le plus d'actes possibles. Je suis d'accord pour travailler sur une proposition de loi pour interdire la publicité, mais qu'est-ce que la Cnam compte faire pour limiter, vérifier, contrôler cette financiarisation ? Sur les centres de soins non programmés évoqués par mon collègue Savary, le chef urgentiste du CHU de Toulouse m'a signalé que les urgentistes quittent l'hôpital alors que l'on est déjà en situation de pénurie, pour former des centres de soins non programmés avec des horaires fixes, pas de nuits, pas de week-ends et mieux payés qu'à l'hôpital. Il faut faire quelque chose. Enfin sur la reconnaissance des médecins traitants, cela passe aussi par la rémunération. J'ai du mal à comprendre un tel différentiel entre la consultation d'un médecin spécialiste et d'un généraliste. De mon temps, les généralistes faisaient sept ans et les spécialistes dix. Aujourd'hui, ils font tous dix ans. Cette différence est difficile à comprendre.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Je souhaiterais également vous poser des questions, mais le temps passe. Elles portent sur un système de téléconsultation particulier qui existe dans l'Est, sur les opticiens à domicile, sur la vaccination contre le virus du papillome humain, sur le fait que la Cnam reprenne les convocations pour les centres de dépistage concernant notamment le cancer du sein et le cancer colorectal. Enfin, nous entendons beaucoup parler de l'ubérisation de la médecine ; cela fera l'objet d'une mission d'information de notre commission. Comment l'hôpital public va-t-il pouvoir tenir, si ce qui faisait sa force et sa valeur en matière d'enseignement et de recherche est désormais capté par d'autres structures ? Comment arrêter alors l'hémorragie des professionnels de santé ? Je vous enverrai un courrier regroupant ces questions.

M. Thomas Fatôme. - Au sujet des IPA évoqués par plusieurs d'entre vous, je vous confirme que nous souhaitons les aider durant leurs deux années de formation, qui ont un impact sur leur niveau de rémunération et leur niveau de vie. Il y a plusieurs dispositifs pilotés par les agences régionales de santé. Nous travaillons étroitement avec elles et le ministère pour voir si la Cnam peut mettre à leur disposition un mécanisme conventionnel. Il faut mieux accompagner ces professionnels.

Sur la complexité de la nomenclature, elle est réelle. C'est aussi le fruit de la discussion avec les partenaires conventionnels. Il faut simplifier, et aussi mieux accompagner toutes les nouvelles installations d'infirmières libérales sur le territoire pour la prise en main de la nomenclature. Nous ne souhaitons pas être dans le seul contrôle, mais voulons également être dans l'accompagnement. Cette complexité traduit aussi la diversité des tâches des infirmiers.

Je ne reviens pas en détail sur la coercition, sujet actuellement débattu à l'Assemblée nationale. Je vous avais déjà fait part de mes réserves sur les mécanismes de coercition au regard d'une démographie médicale globalement atone. On voit des tensions partout. La répartition est néanmoins moins déséquilibrée que pour d'autres professions de santé et nous envoyons des signaux en termes d'attractivité.

Je laisserai mon collègue répondre au sénateur Fichet sur les outils que nous déployons pour accélérer le repérage, le ciblage et l'anticipation des fraudes. Notre système d'Assurance maladie est construit pour rembourser rapidement les patients. Mettre en place des systèmes qui s'intègrent dans ces dispositifs de paiement rapide, de contrôles a priori, nécessite des refontes en profondeur de nos outils car tout le système de paiement est construit sur l'objectif de payer bien et rapidement. Des évolutions technologiques nous permettent de faire évoluer le système et d'intégrer des contrôles embarqués. Nous allons progressivement mettre en oeuvre le programme METEORe (moteur évolutif de traitement et organisation de l'Assurance maladie) en 2023,2024 et 2025, qui va intégrer le contrôle embarqué.

M. Marc Scholler. - Les risques sur le paiement à bon droit ou la fraude, c'est soit des surfacturations d'actes, soit la facturation d'actes fictifs, soit des droits ou déclarations pour les assurés qui sont falsifiés. C'est complexe à identifier. L'Assurance maladie reçoit la facture mais n'est pas présente pendant l'acte médical. Dans ce contexte de garantie de paiement et de tiers payant, l'Assurance maladie est conduite à liquider des volumes importants, soit 1,5 milliard de factures par an. Le système a été conçu comme ça. Concernant la partie préventive, le professionnel de santé doit savoir coter correctement lorsqu'il prend ses fonctions. Il a été formé à la pratique médicale, mais pas forcément à l'ensemble de la nomenclature. Il doit entrer dans une relation de facturation correcte avec l'Assurance maladie. Nous profitons des nouvelles technologies pour intégrer dans le système d'information des compteurs nous permettant de contrôler plus en amont, et donc avant paiement, ce qui pourrait être atypique ou anormal. Pour ce qui concerne la détection, nous avons une analyse comportementale des professionnels de santé, notamment par différence par rapport à leurs pairs. Nous sommes en train de mettre en place des outils qui nous permettent de détecter les fausses ordonnances en circulation et faire en sorte que les pharmacies en soient informées. C'est un moyen de lutter contre les trafics de médicaments. Nous avons aussi des outils de modélisation des bandes organisées, notamment quand un professionnel de santé prescripteur s'écarte d'un flux normal par ses relations avec certaines populations prescrites ou pharmacies. Nous regardons aussi la surfacturation kilométrique. Dans le plan évoqué par le ministre, un des outils important est de remettre l'assuré au centre du jeu, car avec le tiers payant et la garantie de remboursement, les assurés sont moins vigilants sur les dépenses prises en charge. Ils doivent avoir la possibilité de signaler à l'Assurance maladie des actes qui n'auraient pas eu lieu ou qui auraient été facturés à des montants supérieurs à ceux réellement réalisés.

M. Thomas Fatôme. - Je rajouterai quelques éléments complémentaires. Sur la consultation à 30 euros, il existe des règles fixées dans la convention médicale, reprises dans le règlement arbitral, fixées conjointement avec les médecins. Un médecin peut pratiquer un dépassement pour exigences particulières du patient dans un certain nombre de cas. Une revendication tarifaire est légitime, mais si elle se traduit par un exercice systématique d'une cotation à 30 euros, on se situe en dehors des règles fixées par la convention. On expose le patient à un reste à charge qui n'est pas justifié et l'Assurance maladie rappellera les règles du jeu. De plus, la discussion tarifaire va reprendre. C'est important de le redire.

La surmortalité est un sujet qui n'entre pas dans le champ de responsabilité de l'Assurance maladie. Cela concerne plutôt Santé publique France. En 2022, plusieurs facteurs, notamment la grippe et la canicule, peuvent expliquer cette surmortalité.

Nous allons renforcer l'accompagnement des recrutements d'assistants médicaux en simplifiant les démarches administratives, côté Assurance maladie. Nous allons aussi accompagner les groupements d'employeurs qui se créent et qui portent les contrats des assistants médicaux. Cela libère les médecins des tâches administratives.

La répartition des dentistes est un sujet que nous abordons avec les syndicats dans les négociations en cours. Comment mieux accompagner leur installation dans les zones sous-dotées ? Faut-il réguler leur installation ? Les discussions sont engagées sur ces thèmes. On soutiendra également le recours à l'assistant dentaire.

Sur l'attractivité de la médecine générale, le ministre a fait des annonces sur la quatrième année de médecine générale, qui permettent d'envoyer un signal fort d'attractivité, avec une structure de la formation qui devient identique à celle des autres spécialités et des conditions de rémunération attractives. Cela doit augmenter le nombre de généralistes.

Je ne reviens pas sur la fraude. Le contrôle des arrêts de travail fait partie de nos priorités, en ce qui concerne les assurés comme en ce qui concerne les prescripteurs. Le contrôle de la facturation en Ehpad est également réalisé. Nous vérifions qu'il n'y ait pas de double facturation. Nous avons un rendement d'environ 32 millions d'euros sur ces opérations.

Sur la question des médecins retraités posée par M. Sol, je n'ai pas connaissance de contraintes qui les empêcheraient, en libéral, de travailler. Nous avons aujourd'hui 13 000 médecins libéraux en cumul emploi-retraite, avec un nombre de jours de travail qu'ils déterminent. Nous soutenons cette démarche.

La financiarisation a été évoquée par plusieurs d'entre vous. Je suis favorable à tout ce qui pourra permettre de réguler et d'encadrer le recours aux soins afin qu'ils ne soient pas considéré comme un bien de consommation comme les autres. Il serait en effet utile que le Sénat s'empare du sujet. La particularité du système français est d'avoir des acteurs salariés ou libéraux, publics ou privés, lucratifs ou non lucratifs, et qu'il faut trouver des voies de régulation en essayant de conserver cette pluralité. Nous travaillons actuellement sur une campagne de communication sur le bon usage du système de santé. On parle beaucoup des rendez-vous non honorés. Il est de notre responsabilité de rappeler les bons réflexes pour un recours au système de soins pertinent.

Mme Jasmin a fait remarquer que la caisse générale de sécurité sociale de la Guadeloupe était très attentive aux transports sanitaires des familles et aux évacuations. Nous essayons d'être en appui des familles. Nous sommes favorables au prolongement des discussions pour voir s'il y a encore des voies d'amélioration.

Concernant les négociations avec les médecins évoquées par Mme Poumirol, nous sommes favorables à l'engagement d'évolutions permettant d'équilibrer les niveaux de rémunération entre les généralistes et les autres spécialistes. Les enveloppes financières prévues dans la négociation étaient très favorables aux médecins généralistes. Un généraliste a un revenu aujourd'hui avant impôt d'environ 90 000 euros et un spécialiste environ 140 000 euros. Il faut se poser la question d'un rééquilibrage. Mais il y a des spécialités cliniques qui ont un niveau de revenu inférieur à celui des généralistes, notamment les pédiatres et les psychiatres. C'était aussi l'objectif des négociations que de soutenir ces spécialités cliniques.

Enfin, Madame la Présidente, notre objectif n'est absolument pas de remettre en cause le rôle des centres régionaux de coordination des dépistages des cancers (CRCDC). Nous sommes en discussion avec eux, pour trouver le bon mode de relations. Nous avons repris la responsabilité des convocations à la suite d'un rapport de l'Igas qui témoigne d'un système à améliorer. Nous souhaitons travailler en bonne intelligence avec eux, y compris sur le partage des informations. Il est important de simplifier le système d'invitation et multiplier les interventions. Nous allons mettre notre force de frappe au service de ces centres. Il est hors de question de faire sans eux.

Mme Catherine Deroche, présidente. - M. Fatôme, je vous remercie pour cet échange très riche.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion, suspendue à 10 h 30, est reprise à 10 h 35.

Proposition de loi visant à lutter contre le dumping social sur le transmanche - Examen du rapport et du texte de la commission

Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - Cette proposition de loi traite d'un sujet rarement abordé par notre commission : celui du droit du travail des gens de mer embarqués sur des navires assurant le transport international de passagers.

Je tiens à remercier notre présidente, qui m'a fait plonger, pour mes dernières semaines de mandat, dans une proposition de loi qui n'est pas aussi simple qu'il n'y paraît, surtout quand seules la Marne et la Seine traversent votre département. De plus, j'ai découvert un ovni : la loi de police, sur laquelle je reviendrai.

Je remercie également Nadège Havet, rapporteure pour avis de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, avec laquelle nous avons conduit l'ensemble des auditions, ainsi que Jean-Marie Vanlerenberghe, qui m'a donné des pistes de réflexion intéressantes.

Le droit du travail applicable au personnel embarqué sur des navires assurant le transport international de passagers est différent de celui que nous connaissons. Il est encadré par le droit international et le droit de l'Union européenne (UE), qui laissent peu de marges de manoeuvre aux États pour imposer des normes sociales aux armateurs.

Les compagnies maritimes choisissent librement le pavillon de leurs navires et donc l'État dans lequel ces derniers sont immatriculés.

La Convention des Nations unies sur le droit de la mer, adoptée en 1982 et dite de Montego Bay, stipule que chaque État fixe les conditions auxquelles il soumet l'attribution de sa nationalité aux navires, les conditions d'immatriculation des navires ainsi que celles qui sont requises pour battre son pavillon. Dans l'UE, le principe de la libre prestation des services permet aux navires de choisir librement leur pavillon.

Concernant le droit social applicable aux employés embarqués sur ces navires, le droit de l'UE prévoit que le contrat individuel de travail est régi par la loi choisie par les parties. La loi applicable au contrat de travail peut donc être celle d'un autre État que celui du pavillon. Les navires battant pavillon français sont tenus de respecter le droit du travail français, mais certains pavillons n'imposent presque aucune garantie sociale.

En matière de salaire, il existe seulement une recommandation de l'Organisation internationale du travail (OIT), qui indique que le salaire minimum mensuel des marins doit s'élever au moins à 658 dollars américains. Dans ce cadre, certaines compagnies assurant des liaisons entre la France et le Royaume-Uni ont opté pour des pavillons n'offrant que de faibles garanties en matière de droits sociaux, leur permettant ainsi d'optimiser leurs coûts et de baisser leurs tarifs. Si ces choix ont été faits pour le transport de passagers, ils affectent aussi le fret maritime, particulièrement les navires opérant sur la ligne Calais-Douvres, qui combinent généralement les deux prestations.

Le 17 mars 2022, la compagnie P&O Ferries a licencié 786 marins, avec effet immédiat. Ils ont été remplacés par des employés qui sont rémunérés à des niveaux bien inférieurs au salaire minimum britannique et qui subissent des conditions de travail dégradées.

Selon Armateurs de France, les compagnies P&O Ferries et Irish Ferries, dont les navires battent pavillon chypriote, utilisent un modèle social « moins disant » pour leurs liaisons transmanche. Elles font appel à du personnel très faiblement rémunéré, recruté par des sociétés de placement des gens de mer. Les salaires de base pourraient être inférieurs de 60 % aux salaires français et le coût de production du transport est inférieur de 35 % à celui des navires battant pavillon français.

En outre, dans ces compagnies, la durée d'embarquement du personnel navigant est bien supérieure à la durée de repos à terre, alors que Brittany Ferries et DFDS, dont les navires battent pavillon français et britannique, respectent une équivalence entre ces deux durées, sur le fondement d'accords d'entreprise.

Si ces pratiques sont légales, elles perturbent significativement le marché du transport maritime transmanche. Elles se traduisent par des droits sociaux très limités pour le personnel employé et fragilisent la sécurité de la navigation sur l'un des détroits les plus fréquentés au monde.

Que peut faire le législateur français face à cette situation ?

Le droit international et le droit européen offrent la possibilité aux États de faire valoir leurs intérêts nationaux pour imposer certaines règles impératives, dans un cadre bien limité.

Ainsi, l'article 25 de la Convention de Montego Bay prévoit que, pour les navires qui se rendent dans les eaux intérieures ou dans une installation portuaire située en dehors de ces eaux, l'État côtier a le droit de prendre les mesures nécessaires pour prévenir toute violation des conditions auxquelles est subordonnée l'admission de ces navires dans ces eaux ou cette installation portuaire.

En outre, le droit européen donne la possibilité aux États membres d'adopter des lois de police, qui comportent des dispositions impératives dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics, au point d'en exiger l'application à toute situation entrant dans son champ d'application, quelle que soit, par ailleurs, la loi applicable au contrat.

Une telle restriction des libertés économiques garanties par le droit de l'UE revêt le caractère d'une loi de police conforme au droit de l'Union si elle répond à la sauvegarde d'un intérêt national essentiel qui ne serait pas protégé par une norme déjà applicable et si elle est proportionnée à l'objectif poursuivi.

Dans le contexte du dumping social constaté sur les liaisons transmanche et sur le fondement de la possibilité offerte par le droit européen d'édicter une loi de police, l'article 1er de la proposition de loi vise à imposer deux obligations aux employeurs du personnel embarqué sur les navires assurant le transport de passagers sur certaines liaisons entre la France et un pays étranger, quelle que soit la loi applicable aux contrats de travail des salariés concernés : le versement du salaire minimum horaire de branche applicable en France et une organisation du travail fondée sur l'équivalence entre la durée d'embarquement et le temps de repos à terre.

Si les liaisons transmanche sont visées, la proposition de loi renvoie à un décret en Conseil d'État le soin de fixer les critères qui permettront de déterminer les lignes internationales concernées. Ce décret devra donc veiller à bien circonscrire le dispositif pour rester dans le cadre d'une loi de police.

Le Royaume-Uni s'est engagé dans une démarche analogue et son Parlement a adopté un projet de loi qui rend l'obligation de respecter le salaire minimum horaire britannique applicable aux navires assurant un service international de transport de passagers ou de marchandises, sous réserve que ces navires entrent dans un port britannique au moins 120 fois au cours de l'année considérée. Ce texte, qui n'est pas tout à fait identique aux dispositions de la proposition de loi, devrait entrer en vigueur au début de l'année 2024.

En cas de manquement aux nouvelles obligations, l'article 1er instaure un double régime de sanctions.

D'abord, il prévoit des sanctions pénales. Les employeurs et armateurs en infraction seraient passibles d'une amende de 7 500 euros par salarié concerné. En cas de récidive, ils risqueraient une amende de 15 000 euros par salarié et une peine de six mois d'emprisonnement. À la troisième infraction, le texte prévoit qu'une peine d'interdiction d'accoster dans un port français pourrait être infligée à tous les navires de la compagnie fautive.

Ensuite, en l'absence de poursuites pénales, des sanctions administratives sont prévues, qui peuvent aller jusqu'à 4 000 euros d'amende par salarié concerné.

Les pratiques à l'oeuvre déstabilisent le marché du transport maritime transmanche. En outre, la dégradation des conditions de rémunération et de travail du personnel employé sur ces navires n'est pas acceptable. Ces conditions de travail dégradées, notamment par la diminution du temps de repos, fragilisent la sécurité de la navigation dans une zone très fréquentée. Cette situation compromet la sauvegarde de l'organisation sociale et économique de notre pays, portant ainsi atteinte à un intérêt crucial de la France.

Les dispositions de l'article 1er me semblent justifiées et pourraient revêtir le caractère d'une loi de police. Cependant, pour limiter les risques qu'une juridiction considère cet article comme non conforme au droit de l'UE, je me suis attachée à mesurer la proportionnalité des obligations envisagées. J'ai sollicité l'avis des administrations centrales compétentes, d'universitaires spécialistes du droit européen et du droit maritime, ainsi que des services de la Commission européenne. Cette dernière n'a pas voulu nous répondre et a indiqué qu'elle devait analyser en profondeur la proposition de loi.

Le risque de recours ne pouvant être écarté, je proposerai de le limiter en proportionnant l'article 1er à son objectif. Notre préoccupation est que cette loi soit effective.

À cette fin, je suggérerai de supprimer la peine d'interdiction d'accoster dans un port français prononcée en cas de troisième infraction. Cette sanction risque de méconnaître les principes constitutionnels d'individualisation des peines et de légalité des délits et des peines, et de revêtir un caractère manifestement disproportionné. Les peines prévues en cas de première infraction puis de récidive, qui peuvent aller jusqu'à six mois d'emprisonnement, semblent suffisamment dissuasives.

Je proposerai également que la sécurité de la navigation et la lutte contre les pollutions marines soient concrètement prises en compte pour déterminer par décret la durée maximale d'embarquement. En alternative à une amende, l'autorité administrative pourrait adresser un avertissement à l'employeur ou à l'armateur en cas de manquement aux obligations posées par cet article, afin d'aligner le régime de sanctions administratives créé à l'article 1er sur le droit commun du travail.

En outre, je proposerai de fixer au 1er janvier 2024 l'entrée en vigueur de cet article, afin de donner aux employeurs une prévisibilité suffisante pour tirer les conséquences des règles de droit du travail imposées au personnel à bord des navires.

L'Assemblée nationale a souhaité aller au-delà du sujet déjà complexe du dumping social sur le transmanche en insérant, par voie d'amendements adoptés en séance publique, deux articles additionnels, qui ont trait aux sanctions pouvant être prononcées dans le cadre du dispositif dit de l'État d'accueil.

Ce dispositif, prévu par le règlement européen du 7 décembre 1992, constitue un aménagement au principe de libre prestation des services, qui garantit l'application de règles uniformes en matière de droit du travail et de protection sociale à bord des navires opérant sur certaines liaisons de cabotage maritime, ou réalisant certaines prestations de services à l'intérieur des eaux d'un État membre. Les lignes reliant la Corse et la France continentale relèvent de ce dispositif.

Quel que soit leur pavillon, ces navires sont soumis aux mêmes dispositions que les navires battant pavillon français. En ce qui concerne le droit du travail, les dispositions légales et les stipulations conventionnelles sont celles qui s'appliquent aux salariés employés dans les entreprises de la même branche d'activité établies en France, en matière de salaire minimum, de durée de travail, de santé et de sécurité au travail, ainsi que des libertés individuelles et collectives dans la relation de travail.

Par ailleurs, les gens de mer bénéficient obligatoirement du régime de protection sociale d'un État membre de l'UE.

Il existe bien des enjeux de concurrence entre une compagnie opérant sous pavillon français et une entreprise qui, bien qu'établie en France, a recours au pavillon international italien et bénéficie de conditions fiscales et sociales plus favorables. Mais les liaisons maritimes entre la Corse et le continent sont protégées des pratiques de dumping social contre lesquelles l'article 1er de la proposition de loi entend lutter.

Dans ce contexte, l'article 1er bis vise à renforcer les sanctions pénales applicables en cas de non-respect du salaire minimum légal ou conventionnel et à les aligner sur celles qui sont prévues dans le cadre de la loi de police, s'écartant ainsi du droit commun du travail.

Quant à l'article 1er ter, il crée un régime de sanctions administratives dans d'autres domaines que celui du salaire minimum, pour lequel elles existent déjà.

L'alignement des sanctions applicables pour les liaisons Corse-continent avec le régime proposé pour le transmanche ne va pas de soi et apparaît en décalage avec l'objet du texte. En effet, si de réelles problématiques de concurrence existent sur ce marché, les mesures proposées, qui ne portent que sur les sanctions et ne modifient pas les normes sociales applicables sur les navires concernés, ne sont pas de nature à y répondre, et ce pour deux raisons.

D'une part, ces enjeux de concurrence relèvent essentiellement du niveau de l'UE, notamment en ce qui concerne l'harmonisation de l'encadrement du recours aux pavillons internationaux pour les liaisons internes. D'autre part, il serait plus efficace de renforcer les moyens de contrôle et d'appliquer effectivement les sanctions existantes pour veiller au respect des règles de l'État d'accueil et lutter contre d'éventuelles fraudes.

Les auditions que j'ai menées n'ont pas permis de mettre en évidence la nécessité d'introduire ces mesures adoptées à l'Assemblée nationale en séance publique, dont la rédaction aurait nécessité des travaux plus approfondis. Intégrer des mesures concernant le cabotage en Méditerranée dans un texte visant à lutter contre le dumping social sur les liaisons transmanche risque de brouiller les intentions du législateur, alors que les situations des deux marchés sont difficilement comparables. Je proposerai donc de supprimer ces deux articles, qui fragilisent le texte.

Le dernier volet de la proposition de loi vise à sécuriser le contrôle de l'aptitude médicale des marins.

En principe, leur aptitude est contrôlée par le service de santé des gens de mer, un service de médecine préventive relevant du secrétariat d'État chargé de la mer. Cependant, un certificat d'aptitude médicale établi à l'étranger peut être reconnu sous certaines conditions.

L'armateur ou le capitaine qui admet à bord de tout navire battant pavillon français un membre d'équipage ne disposant pas d'un certificat d'aptitude médicale valide, délivré dans les conditions de droit commun, est passible de six mois d'emprisonnement et de 3 750 euros d'amende. Toutefois, cette sanction pénale n'est pas applicable en présence d'un certificat non valide établi à l'étranger.

Afin de pallier cette lacune, l'article 2 prévoit que la sanction pénale soit également applicable lorsque le certificat d'aptitude a été établi à l'étranger. Ce dispositif me semble bienvenu. Il serait toutefois opportun de l'étendre aux gens de mer autres que les marins.

En cohérence avec l'objet de cet article, dont la portée ne se limite pas aux liaisons transmanche, mais concerne tout navire battant pavillon français, ainsi qu'avec les objectifs poursuivis à l'article 1er, je présenterai un amendement visant à modifier l'intitulé de la proposition de loi pour indiquer qu'elle tend également « à renforcer la sécurité du transport maritime ».

Enfin, suivant la position constante de notre commission, je proposerai de supprimer les articles 3 et 4, qui prévoient la remise de rapports par le Gouvernement au Parlement.

Pour terminer, il me revient de vous proposer un périmètre pour l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution. Ce périmètre comprend des dispositions relatives à la rémunération des salariés employés sur des navires assurant le transport de passagers sur des liaisons maritimes internationales touchant un port français et aux documents mis à la disposition de ces salariés, ainsi qu'aux sanctions applicables en cas d'admission à bord d'un navire d'un marin présentant un certificat médical d'aptitude non valide. En revanche, des amendements relatifs à la réglementation de la navigation maritime et du statut des navires, aux ports maritimes, à la régulation des entreprises de transport maritime, ainsi qu'au droit commun du travail et à la protection sociale des marins ne me semblent pas présenter de lien, même indirect, avec le texte déposé et seront considérés comme irrecevables.

Il en est ainsi décidé.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Ce texte présente effectivement des fragilités, sachant que nous avons, face à nous, des personnes qui ne s'embarrassent ni de considération ni de valeurs, se montrent très attentives à ce texte et ont déjà annoncé qu'elles feraient des recours si la proposition de loi devait être adoptée. Mme Procaccia a donc raison de tenter de sécuriser le texte au maximum.

M. Jean-Luc Fichet. - Il s'agit d'un sujet très important. On imagine la violence de ce qui s'est passé dans l'entreprise P&O Ferries quand près de 800 marins ont appris, par visioconférence, qu'ils étaient licenciés sans préavis. De plus, un tel licenciement a pu avoir lieu sans que l'employeur ne commette de faute, puisqu'il est sous pavillon chypriote. Le Brexit a conduit à ce genre de comportements.

Le trafic transmanche représente un camion toutes les secondes et un navire toutes les trois minutes. Traverser le rail d'Ouessant pour un petit bateau revient à traverser une quatre voies en courant pour un piéton.

Cette proposition de loi contient trois sujets importants. D'abord, elle prévoit le versement du salaire minimum français aux équipages de toutes les compagnies maritimes, peu importe le pavillon, dès lors que des liaisons régulières internationales touchent un port français. Les lignes en question devant être définies par décret, il faudra s'assurer que ces derniers soient pris en temps et en heure.

Ensuite, le texte se penche sur le temps de repos. Dans le cas de Brittany Ferries, les marins passent huit jours en mer et huit jours au sol. Les deux durées sont donc équivalentes, ce qui n'est pas le cas pour d'autres compagnies et crée une concurrence déloyale.

Enfin, le texte prévoit le contrôle du certificat d'aptitude médicale pour l'ensemble des marins. En effet, les compétences et capacités physiques ne sont pas toujours testées, ce qui pose problème, sachant notamment que les conditions de vie sur les navires peuvent être terribles.

Nous soutenons cette proposition de loi, qui représente une première étape importante. Elle constitue également un appel lancé vers l'UE, pour qu'elle fasse évoluer sa législation.

Il s'agit aussi de bien coordonner le processus avec celui que les Britanniques ont entamé, pour que les deux législations soient applicables. Depuis le Brexit, le Royaume-Uni n'est pas tenu d'appliquer la législation européenne, ce qui a contribué à ces dérives.

Dans un deuxième temps, il faudra revenir sur certains sujets, dont l'application du registre international français (RIF).

Considérant qu'il n'était pas nécessaire de complexifier les choses, nous n'avons pas proposé d'amendements et nous soutiendrons le rapport.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - Notre objectif est de protéger à la fois les marins et le droit de la concurrence, ce qui est compliqué.

British Ferries a bouleversé les règles qui étaient appliquées, ce qui n'est pas sans lien avec le licenciement d'une grande partie du personnel de P&O Ferries.

Aujourd'hui, la plupart des compagnies travaillent avec des étrangers et notre droit ne s'applique qu'en partie sur les eaux territoriales françaises et dans les ports français, mais pas sur les bateaux lorsqu'ils assurent des liaisons internationales. Brittany Ferries travaille avec une grande partie de marins français ; Irish Ferries emploie essentiellement des Britanniques, en Irlande, mais aussi entre Douvres et Calais, et dit appliquer le droit européen. Cette complexité méritait qu'on s'attarde sur le sujet, ce que fait cette proposition de loi, qui ne pourra pas répondre à toutes les questions.

J'approuve largement l'analyse de Catherine Procaccia. Ses propositions de suppression semblent bienvenues, car il ne faut pas mélanger les sujets. De plus, étendre aux gens de mer le dispositif sur les certificats médicaux me semble souhaitable. En ce qui concerne les demandes de rapports, notre commission a toujours adopté une position claire. Notre groupe soutiendra la proposition de loi ainsi modifiée.

Mme Frédérique Puissat. - Je remercie Catherine Procaccia de vouloir rendre opérationnelle cette proposition de loi. Dans cette perspective, la prise effective et rapide des décrets constituera un enjeu très important.

La question de la cohérence avec le projet de loi britannique se pose, en termes de contenu et de délai. Le processus avance vite au Royaume-Uni, la mise en application du texte étant prévue pour début 2024. Dans quels délais la proposition de loi française, si elle n'était pas votée conforme, pourrait-elle être mise en application ?

Mme Mélanie Vogel. - J'aurai deux questions. D'abord, l'intitulé de la proposition de loi fait référence aux liaisons transmanche, mais, dans le champ d'application, on lit que le texte est applicable « aux navires transporteurs de passagers assurant des lignes régulières internationales touchant un port français ». S'il s'agit de traiter d'autres liaisons entre la France et des pays tiers, il faudrait peut-être l'adapter.

Ensuite, il est écrit à l'article 1er : « Le présent article ne s'applique que pour les périodes au cours desquelles les navires sont exploités sur les lignes régulières internationales mentionnées à l'article L. 5591-1. » Comment cette application fonctionnera-t-elle d'un point de vue pratique ? Si un navire opère des liaisons transmanche pendant une semaine et fait autre chose la semaine suivante, faut-il respecter le salaire minimum pendant une semaine, et plus la suivante ? Comment détermine-t-on la période du transport régulier ?

M. Olivier Henno. - J'avais produit un rapport au nom de la commission des affaires européennes sur la question du droit de la concurrence. L'UE s'est largement construite sur ce droit, auquel une importante direction est consacrée à Bruxelles. Ce droit de la concurrence européen s'est d'abord construit pour assurer un moindre prix au consommateur, ce qui a fonctionné pour certains sujets. Il s'est donc davantage fondé sur cette préoccupation, sur les ententes et les monopoles que sur le souci du respect du droit social.

Ce droit participe-t-il à l'uberisation de la société ? N'est-il pas davantage responsable des difficultés actuelles que le Brexit ?

Mme Brigitte Devésa. - J'ignore si j'aurais soutenu vos amendements de suppression il y a encore quelques jours. En effet, l'alignement des sanctions dans le cadre du dispositif de l'État d'accueil, qui sont intra-européennes, aux sanctions de transmanche, qui sont extra-européennes, ne me semblait pas entraîner de confusion. L'alignement paraissait justifié et nécessaire, d'autant que les propositions de loi portant sur la mer ne sont pas fréquentes.

Néanmoins, un événement a modifié mon raisonnement : un préavis de grève a été déposé. La grève, qui s'annonce musclée, aura lieu la semaine prochaine et sera liée au sujet transmanche. Corsica Linea nous a signalé son inquiétude, les salariés n'ayant pas compris que la proposition de loi n'aurait aucun impact sur eux. J'ai donc décidé de ne pas m'opposer aux amendements de suppression, pour que le texte soit simplifié. La situation est déjà tendue, et je ne voudrais pas en rajouter.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - Le texte a été voté à l'unanimité à l'Assemblée nationale et nous ne le modifions pas pour le plaisir de le modifier ; un vote conforme ne m'aurait posé aucun problème. Cependant, les auditions ont démontré la fragilité de cette proposition de loi. Nous craignons tous qu'elle s'applique au 1er janvier et que, deux mois plus tard, elle ne soit annulée par un juge pour des raisons juridiques. Nous avons donc tenté de sécuriser le texte, dont je ne garantis pas qu'il le soit entièrement.

En découvrant le texte, j'ai tout de suite été frappée par la présence de la question de la Méditerranée dans un texte portant initialement sur les liaisons transmanche.

Le Brexit a fragilisé le trafic transmanche, qui a été fortement réduit pendant deux ans. Les navires français et britanniques ont diminué le nombre de navires opérant ces liaisons et, quand le trafic a repris, la compagnie irlandaise a saisi cette occasion pour arriver sur le marché. La fragilisation actuelle vient davantage de cette évolution liée au Brexit qu'au Brexit lui-même.

En ce qui concerne les décrets, j'ai rencontré le secrétaire d'État chargé de la mer, qui rêve d'un accord international et européen alors que, hormis la France, personne n'applique les normes françaises. Penser pouvoir harmoniser toutes ces normes semble optimiste. Par ailleurs, je lui ai demandé si les décrets étaient déjà prêts, le texte ayant été travaillé de manière rapprochée avec le Gouvernement. Il m'a répondu que son ministère y travaillait et que les décrets seraient prêts pour le 1er janvier.

Quant au modèle d'organisation de Brittany Ferries - une semaine à bord, une semaine à terre -, il ne doit pas s'appliquer à toutes les compagnies. Certaines n'emploient que des Européens et, quand ceux-ci viennent par exemple des pays de l'Est, ils ne veulent pas rester une semaine à terre et préfèrent travailler deux ou trois semaines sur le bateau pour rentrer ensuite chez eux. Il s'agit d'étendre à tous les navires un type d'organisation reposant sur une équivalence entre temps de travail et temps de repos, mais le décret ne doit pas imposer un modèle.

J'en viens au certificat d'aptitude médicale, pour lequel les contrôles sont insuffisants. Les représentants de la direction générale du travail (DGT) nous ont expliqué que décortiquer des contrats de travail correspondant aux normes d'autres pays leur prenait un temps fou. Nous souhaitons protéger les marins. Passer sept ou huit semaines sur un bateau, sans temps de repos, c'est beaucoup. Ce n'est pas le Brexit mais le droit européen qui permet ce dumping social, qui existe dans toute la mer du Nord, mais pas vraiment en Méditerranée. Nous voulons aussi privilégier les marins français, mais j'ai compris au cours des auditions qu'il y avait pénurie en la matière. Des marins étrangers sont aussi employés sur nos navires parce qu'on ne parvient pas à recruter en France.

En ce qui concerne la période d'application de l'article 1er, les conditions sociales seront applicables sur toute la durée des traversées transmanche effectuées par les navires concernés. Lorsqu'ils effectueront d'autres traversées, ces obligations ne s'appliqueront pas. Cependant, ces navires sont affectés à une liaison et il est très rare qu'ils en opèrent plusieurs.

L'intention est bien de viser les liaisons entre la France et le Royaume-Uni. Néanmoins, en écrivant « Royaume-Uni », nous fragiliserions la proposition de loi, raison pour laquelle des critères objectifs devront être fixés par décret.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - L'amendement COM-16 vise à proposer que l'article 1er soit exclusivement applicable aux lignes régulières internationales entre la France et le Royaume-Uni ou les îles anglo-normandes. Les liaisons transmanche sont effectivement visées, mais il ne me paraît ni juridiquement possible ni opportun d'apporter cette précision dans la loi.

En vertu du principe d'égalité, ne viser qu'un seul pays poserait un problème en matière de concurrence. Il est préférable que le décret détermine les lignes concernées en prenant en compte des critères qui ne seront pas exclusivement géographiques, comme les enjeux de sécurité maritime et la fréquence des liaisons. Avis défavorable.

L'amendement COM-16 est retiré.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - L'amendement COM-1 vise à supprimer la mention du Conseil supérieur de la marine marchande, l'article 2 du décret n° 2002-647 prévoyant déjà que ce conseil doit être obligatoirement consulté sur les projets de décret.

L'amendement COM-1 est adopté.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - L'amendement de coordination COM-2 vise à ajuster le champ d'application des dispositions de l'article.

L'amendement COM-2 est adopté.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - L'amendement COM-3 a trait à la règle d'équivalence entre le temps d'embarquement et le temps de repos, qui nous paraît pouvoir justifier la loi de police. Il s'agit de contribuer à la sécurité de la navigation et de lutter contre les pollutions marines. Il est préférable que ces considérations soient prises en compte pour déterminer le décret portant sur la durée maximale d'embarquement, plutôt que de l'affirmer dans les objectifs de la loi.

L'amendement COM-3 est adopté.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - L'amendement COM-4 vise à supprimer l'interdiction d'accoster dans un port français prononcée à l'encontre des navires appartenant à la compagnie fautive. Il s'agit d'un des éléments qui fragilisent le texte.

L'amendement COM-4 est adopté.

L'amendement rédactionnel COM-5 est adopté.

L'amendement de correction COM-6 est adopté.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - L'amendement COM-7 vise à introduire la possibilité pour l'autorité administrative de prononcer un avertissement au lieu d'une amende, dans le cadre des sanctions administratives.

L'amendement COM-7 est adopté.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - L'amendement COM-8 vise à proposer une entrée en vigueur de l'article 1er au 1er janvier 2024.

L'amendement COM-8 est adopté.

L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 1er bis (nouveau)

L'amendement de suppression COM-9 est adopté.

L'article 1er bis est supprimé.

Article 1er ter (nouveau)

L'amendement de suppression COM-10 est adopté.

L'article 1er ter est supprimé.

Article 2

Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - L'amendement COM-11 vise à étendre les sanctions en cas de certificat non valide établi à l'étranger à tous les gens de mer.

L'amendement COM-11 est adopté.

L'amendement de correction COM-15 est adopté.

L'article 2 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 3 (nouveau)

Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - L'amendement COM-12 vise à supprimer cet article, qui prévoit la remise par le Gouvernement d'un rapport au Parlement.

L'amendement COM-12 est adopté.

L'article 3 est supprimé.

Article 4 (nouveau)

Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - Mon argumentation est identique pour l'amendement COM-13.

L'amendement COM-13 est adopté.

L'article 4 est supprimé.

Intitulé de la proposition de loi

Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - L'amendement COM-14 vise à proposer cet intitulé, qui est plus complet : « Proposition de loi visant à lutter contre le dumping social sur le transmanche et à renforcer la sécurité du transport maritime. »

L'amendement COM-14 est adopté.

L'intitulé de la proposition de loi est ainsi modifié.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

TABLEAU DES SORTS

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article 1er
Application du salaire minimum conventionnel au personnel assurant certaines liaisons maritimes internationales

Mme Mélanie VOGEL

16

Application de l'article 1er aux seules lignes reìgulieÌres internationales entre la France et le Royaume-Uni ou les i^les anglo-normandes

Retiré

Mme PROCACCIA, rapporteur

1

Suppression de la mention de l'avis du Conseil supérieur de la marine marchande

Adopté

Mme PROCACCIA, rapporteur

2

Coordination relative au champ d'application des dispositions de l'article 1er

Adopté

Mme PROCACCIA, rapporteur

3

Prise en compte de la sécurité de la navigation et de la lutte contre les pollutions marines pour déterminer par décret la durée maximale d'embarquement

Adopté

Mme PROCACCIA, rapporteur

4

Suppression de la peine d'interdiction d'accoster dans un port français prononcée à l'encontre des navires appartenant à la compagnie fautive

Adopté

Mme PROCACCIA, rapporteur

5

Rédactionnel

Adopté

Mme PROCACCIA, rapporteur

6

Coordination

Adopté

Mme PROCACCIA, rapporteur

7

Possibilité pour l'autorité administrative de prononcer un avertissement à l'employeur ou à l'armateur fautif

Adopté

Mme PROCACCIA, rapporteur

8

Entrée en vigueur de l'article 1er le 1er janvier 2024

Adopté

Article 1er bis (nouveau)
Renforcement des sanctions pénales dans le cadre du dispositif de l'État d'accueil

Mme PROCACCIA, rapporteur

9

Suppression de l'article

Adopté

Article 1er ter (nouveau)
Création d'un régime de sanction administratives dans le cadre du dispositif de l'État d'accueil

Mme PROCACCIA, rapporteur

10

Suppression de l'article

Adopté

Article 2
Contrôle de l'aptitude médicale des gens de mer

Mme PROCACCIA, rapporteur

11

Extension aux gens de mer autres que les marins

Adopté

Mme PROCACCIA, rapporteur

15

Correction d'erreurs de référence

Adopté

Article 3 (nouveau)
Rapport sur le dumping social sur les lignes régulières de ferries au sein de l'Union européenne

Mme PROCACCIA, rapporteur

12

Suppression de l'article

Adopté

Article 4 (nouveau)
Rapport sur les besoins humains et financiers des services chargés de l'inspection du travail maritime

Mme PROCACCIA, rapporteur

13

Suppression de l'article

Adopté

Intitulé de la proposition de loi

Mme PROCACCIA, rapporteur

14

Mention du renforcement de la sécurité du transport maritime dans l'intitulé de la proposition de loi

Adopté

Proposition de loi visant à mettre en place un registre national des cancers - Examen des amendements au texte de la commission

Mme Catherine Deroche, présidente. - Nous examinons maintenant l'amendement de séance déposé sur la proposition de loi visant à mettre en place un registre national des cancers.

EXAMEN DE L'AMENDEMENT AU TEXTE DE LA COMMISSION

Article unique

Mme Nadia Sollogoub, rapporteur. - Deux amendements ont été déposés, dont l'un a été déclaré irrecevable au titre de l'article 40 de la Constitution. L'amendement n°  1 rectifié aurait sans doute pu être déclaré irrecevable au même titre. Cependant, la proposition est intéressante. Il s'agit d'élargir le registre national à toutes les données relatives aux cas détectés d'anomalies génétiques prédisposant au cancer. L'amendement vise donc en quelque sorte à créer un autre registre, qui impliquerait un travail et des coûts supplémentaires. Cependant, il serait intéressant que M. Pellevat puisse exposer sa proposition dans l'hémicycle. Avis défavorable.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Il s'agit d'un domaine extrêmement sensible.

Mme Raymonde Poncet Monge. - L'analyse du registre national populationnel devrait permettre une extraction de données.

Mme Nadia Sollogoub, rapporteur. - M. Pellevat propose autre chose. Les registres rassemblent les données liées à des personnes qui ont développé des cancers alors que, dans ce cas, il s'agirait de personnes génétiquement exposées n'ayant pas nécessairement été diagnostiquées d'un cancer. Par ailleurs, certaines personnes ne veulent pas savoir quelles sont leurs prédispositions génétiques.

M. Olivier Henno. - J'avais été corapporteur du projet de loi relatif à la bioéthique de 2021. Cet amendement pose de nombreuses questions, qui sont du ressort de l'éthique et du droit public. En 2021, nous avions discuté de ces sujets pendant des heures et des heures et avons parfois décidé de ne pas trancher. Aller si vite sur un sujet si sensible ne semble pas justifié.

Mme Annie Delmont-Koropoulis. - Pour avoir produit un rapport avec l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst), mes conclusions sont les mêmes.

Mme Victoire Jasmin. - Il peut aussi y avoir des mésusages de ces données et des conséquences pour les assurances.

Mme Émilienne Poumirol. - Cet amendement a été jugé recevable et le nôtre ne l'a pas été, alors qu'il portait sur les conditions environnementales de déclaration de certains cancers et visait seulement à apporter une précision. J'ai du mal à comprendre pourquoi l'article 40 s'est appliqué.

Mme Nadia Sollogoub, rapporteur. - Je pense par ailleurs qu'il est largement satisfait.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 1 rectifié.

La réunion est close à 11 h 40.

- Présidence de Mme Catherine Deroche, présidente -

La réunion est ouverte à 16 h 30.

Projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale pour 2022 - Audition de M. Gabriel Attal, ministre délégué chargé des comptes publics

Mme Catherine Deroche, présidente. - Mes chers collègues, nous recevons M. Gabriel Attal, ministre délégué chargé des comptes publics.

Je vous précise que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site du Sénat et disponible en vidéo à la demande.

Monsieur le ministre, le Sénat est saisi du premier projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale (Placss), portant sur l'exercice 2022.

Comme vous le savez, cette catégorie de loi a été créée par la loi organique du 14 mars 2022, qui reprenait sur ce point une disposition figurant dans la proposition de loi organique déposée par Jean-Marie Vanlerenberghe et cosignée par plusieurs de ses collègues, dont moi-même.

Comme pour les lois de règlement du budget de l'État, les Placss ont pour objet de distinguer le temps de la reddition des comptes et du contrôle de l'exécution et de la performance et le temps de la prospective et de la réforme, incarnée par les PLFSS de fin d'année.

Elles donnent donc au Parlement un espace - dont il devra s'emparer au fil des ans - afin de se pencher sur le passé, de voir si ce qu'il a voté a été correctement exécuté et d'en tirer les conséquences politiques.

Je relève, à cet égard, que l'Assemblée nationale a rejeté en première lecture ce projet de loi.

Outre les travaux de la rapporteure générale, la commission des affaires sociales et la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (MECSS) organiseront des auditions plénières dans ce cadre.

Monsieur le ministre, je vais vous laisser la parole pour un propos introductif. La rapporteure générale, Élisabeth Doineau, et les autres commissaires, notamment les rapporteurs de branche qui le souhaiteront, vous interrogeront par la suite.

Monsieur le Ministre, vous avez la parole.

M. Gabriel Attal, ministre délégué chargé des comptes publics. - Merci Madame la présidente.

Madame la rapporteure générale, Mesdames et Messieurs les rapporteurs, Mesdames et Messieurs les sénateurs, je tiens à souligner le caractère inédit de cette audition organisée dans le cadre de la nouvelle loi financière voulue par la révision organique de 2022.

Je forme avec vous le voeu que ces débats permettent d'enrichir le temps consacré à l'évaluation des comptes de l'exercice clos, tant sur le champ de l'État que de la sécurité sociale. Je répète ce que j'ai dit à l'Assemblée nationale sur ce texte comme sur le projet de loi de règlement de l'État. Il me semble que c'est un texte et un support très utiles pour une évaluation partagée, pour que nous puissions rendre des comptes sur l'exécution des budgets, mais il ne s'agit que d'une photographie des comptes exécutés l'année passée, comme un compte administratif.

Je fais partie des quelques membres du gouvernement qui sont également élus locaux. Je suis conseiller municipal d'opposition dans ma commune depuis dix ans mais cela finira peut-être par changer. J'assistais vendredi soir au conseil municipal au cours duquel le compte administratif de la commune nous a été présenté. Alors même que je n'avais pas voté le budget présenté par la majorité municipale, j'ai voté le compte administratif et je n'ai pas de souvenir d'une année où j'aie voté contre un compte administratif, puisqu'il ne s'agit que d'une photographie. Il en va de même pour ce texte. J'ai malheureusement constaté à l'Assemblée nationale que l'ensemble des oppositions ont voulu faire échec à ce texte, comme au projet de loi de règlement, au motif qu'elles sont en désaccord avec la politique gouvernementale. C'est évidemment très sain qu'il y ait des désaccords avec la politique gouvernementale, c'est la raison pour laquelle il y a des votes sur les textes budgétaires ou sur des motions de censure, mais il ne s'agit que d'une photographie de l'année précédente. On ne peut pas changer le passé, on peut s'en inspirer pour essayer de changer l'avenir, mais voter contre ce texte par principe ne me semble pas utile pour le pays.

Ce projet de loi donne une image sincère des comptes de la sécurité sociale. Trois branches sur cinq sont excédentaires : la branche autonomie affiche, pour sa deuxième année d'existence, un excédent de 200 millions d'euros ; la branche famille un excédent de 1,9 milliard d'euros ; la branche accidents du travail et maladies professionnelles un excédent 1,7 milliard d'euros. Cependant, les comptes de la sécurité sociale et du Fonds de solidarité vieillesse restent globalement déficitaires de 19,6 milliards d'euros car les deux principales branches sont en déficit, la maladie pour 21 milliards d'euros et les retraites pour 3,8 milliards d'euros.

Le déficit de la branche maladie tend à se résorber, même s'il reste élevé, notamment en raison des dépenses liées à la crise sanitaire qui ont atteint 11,7 milliards d'euros en 2022 et qui ont permis de financer la poursuite, en début d'année, des tests de dépistage et des campagnes de vaccination.

La situation de la branche vieillesse s'est dégradée par rapport à 2021 mais améliorée par rapport à 2020. C'est parce que la trajectoire de la branche n'était pas soutenable que nous avons porté une réforme des retraites qui permettra au système de revenir progressivement à l'équilibre.

Par rapport à 2021, le déficit de la sécurité sociale s'est réduit de 4,6 milliards d'euros. Outre les moindres dépenses de crise, cette amélioration est largement le fruit de nos politiques économiques, qui ont permis la création de 1,7 million d'emplois depuis 2017, dont 337 000 en 2022. Ces 337 000 emplois représentent 5 milliards d'euros de cotisations en plus par an pour la sécurité sociale, 5 milliards en plus pour nos hôpitaux, pour nos crèches, pour nos établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad).

Combinées aux hausses de salaire, ces créations d'emplois ont permis une croissance de la masse salariale de 8,9 % en 2022. Au total, les recettes de la sécurité sociale, y compris la fiscalité affectée, ont progressé de 5,4 %.

Toutes les créations d'emplois depuis 2017 représentent 25 milliards d'euros de cotisations supplémentaires pour la sécurité sociale. Si nous n'avions pas favorisé la création de ce 1,7 million d'emplois, la sécurité sociale enregistrerait un déficit supplémentaire de 25 milliards d'euros.

J'ajoute que, pour la troisième année consécutive, l'État n'est plus débiteur mais créancier de la sécurité sociale, à hauteur de 100 millions d'euros, alors qu'il avait accumulé au cours de la décennie passée des dettes s'élevant jusqu'au milliard d'euros. C'est aussi un progrès pour la transparence de nos comptes dans les relations financières entre l'État et la sécurité sociale.

En 2022, la sécurité sociale a également continué à rembourser ses dettes à travers la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades), qui a amorti 19 milliards d'euros et va continuer à les rembourser jusqu'en 2033, date de son extinction prévue par la loi organique du 7 août 2020.

Nous prenons par ailleurs acte du refus de la Cour des comptes de certifier les comptes 2022 de la branche famille. Ce n'est pas le premier refus de certification, il y en a eu huit depuis 2006, dont deux sur la branche famille, mais nous prenons les observations de la Cour très au sérieux et nous nous mobilisons sans attendre pour y répondre.

La majorité des erreurs de calcul soulignées par la Cour concernent le revenu de solidarité active (RSA) et la prime d'activité. Nous avons pour priorité d'en fiabiliser la liquidation avec l'usage du dispositif ressources mensuelles (DRM), qui sera généralisé d'ici début 2025. Les caisses d'allocations familiales (Caf) disposeront d'informations fiabilisées, ce qui réduira drastiquement les cas d'erreur de calcul. Je souligne également que, sans attendre 2025, dès juillet prochain, le montant net social que doivent déclarer les allocataires sera inscrit sur les bulletins de paie, ce qui permettra de réduire les erreurs de bonne foi.

Enfin, je ne pourrais conclure sans confirmer l'intention du Gouvernement de mener une lutte inlassable et implacable contre toutes les fraudes aux finances publiques. En matière de fraude sociale, je viens d'annoncer un plan complet, avec un arsenal de mesures pour lutter contre le travail non déclaré, la fraude aux prestations de santé et la fraude aux prestations sociales.

En 2022, nous avons obtenu des résultats historiques dans la lutte contre la fraude, avec 50 % de redressement en plus en cinq ans dans les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (Urssaf) au titre du travail dissimulé, 30 % de préjudice détecté et évité par l'assurance maladie en plus, comme pour les caisses Caf et les caisses de retraite.

En matière fiscale, les mises en recouvrement par la direction générale des finances publiques ont atteint 14,6 milliards d'euros, un montant historique, mais nous pouvons et nous allons faire mieux, parce que notre modèle social est aussi porteur d'une exigence de justice, afin que le prélèvement dû soit bien acquitté et que les prestations dues soient versées aux bonnes personnes.

Mesdames et Messieurs les sénateurs, financer notre modèle social par le travail, c'est le choix que nous assumons depuis 2017. C'est la condition essentielle pour assurer sa pérennité. Je vous remercie.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Merci Monsieur le ministre pour ce propos liminaire, je ne doute pas que nous éclaircirons plus avant ces éléments.

Vous avez comparé ce nouvel exercice à une photographie, comme le compte administratif est la photographie d'un budget exécuté. En filant la métaphore, je dirais que tout dépend de la façon dont nous réglons l'appareil.

La photographie peut être appréciée de différentes façons. Vous avez quelques éléments de satisfaction, que nous pouvons partager. Certains considéreront que la photographie est un peu floue et qu'il est peut-être nécessaire de poursuivre les réglages. Nous inaugurons un nouvel exercice, plein de promesses, et nous attendons qu'elles soient à la hauteur de nos attentes.

La Cour des comptes a refusé de certifier les comptes de la branche famille, en pointant une augmentation substantielle de la proportion de paiements erronés. Quelle a été votre réaction quand vous avez eu connaissance de ce refus ? Votre plan de lutte contre la fraude vous permettra-t-il d'éviter un tel refus au cours des prochaines années ? Prévoyez-vous des actions spécifiques pour réduire les erreurs ?

Dans son dernier rapport, la Cour des comptes recommande d'avancer de quinze jours la production des comptes sociaux. Je suis favorable à cette proposition qui nous laisserait plus de temps pour apprécier les informations qui nous sont communiquées. Cette anticipation vous semble-t-elle possible ?

Par ailleurs, je trouve que la photographie est un peu floue et j'ai besoin de confirmations. La Cour des comptes estime que l'annexe 6 du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) 2023 relative aux établissements de santé n'est pas conforme aux exigences de la loi organique. En effet, elle n'indique pas les dotations dont ils bénéficient, leur répartition par région et l'évolution prévisionnelle de leur dette. Pouvez-vous me confirmer que dans le prochain PLFSS cette annexe sera mise en conformité avec les exigences de la loi organique ? Dans le cadre des rapports d'évaluation des politiques de sécurité sociale (Repss), la plupart des indicateurs s'arrêtent en 2020 ou en 2021, ce qui est paradoxal dans une loi d'approbation des comptes 2022. Je comprends que cette actualisation a pu être difficile mais pouvez-vous confirmer que ces rapports seront à jour dans les prochaines lois d'approbation ?

Enfin, la loi organique prévoit que l'annexe 2 du Placss relative aux niches sociales propose une évaluation de l'efficacité de ces niches, un tiers devant faire l'objet d'une évaluation tous les trois ans. Or, cette annexe ne comporte aucune évaluation. La loi organique n'est donc pas respectée. Comme nous sommes dans le cadre d'un premier exercice, il s'agit sans doute d'un incident isolé. Pouvez-vous confirmer que cette disposition organique sera respectée pour les prochains Placss et qu'un tiers des niches sera évalué ?

M. Olivier Henno, rapporteur pour la branche famille. - Votre comparaison avec les comptes administratifs des collectivités territoriales est très juste. C'est une photographie d'une bonne exécution. Pour autant, quand nous discutons de ces comptes financiers, il nous arrive régulièrement d'aborder le présent et le futur.

La non-certification des comptes de la branche famille n'est pas anodine. Envisagez-vous de prendre des mesures concrètes, notamment en matière de ressources humaines, pour que cette situation ne se reproduise plus ? Quelles actions envisagez-vous en termes d'organisation des Caf pour éviter les erreurs de distribution des prestations ?

La Première ministre a évoqué en séance la création de 200 000 places de crèche. Même si les comptes de la branche famille sont aujourd'hui excédentaires, comment envisagez-vous le financement du plan du service public de la petite enfance dans les années à venir ?

Enfin, nous sommes au milieu de l'année 2023. Si l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) devait être révisé, proposeriez-vous le même taux que celui que nous avons voté dans le PLFSS ?

M. Philippe Mouiller, rapporteur pour la branche autonomie. - Vous avez évoqué un excédent de 200 millions d'euros de la branche autonomie alors que les prévisions annonçaient un déficit de 500 millions. Ce résultat s'explique par des recettes supplémentaires mais aussi par une progression des dépenses moins forte qu'attendu, de l'ordre de 200 millions d'euros, dans un contexte d'insatisfaction du personnel du secteur médico-social en raison du manque de moyens alloués à cette branche. Si nous nous réjouissons des recettes supplémentaires, nous nous inquiétons de la non-consommation des moyens inscrits au budget, alors que les besoins sur le terrain sont criants. Quelle est votre position par rapport à cette situation ?

Par ailleurs, nous ne disposons pas de chiffres précis sur la revalorisation salariale dans le secteur médico-social. Enfin, le nouveau service à domicile a été mis en place, avec une compensation de l'État aux départements, avec l'instauration du tarif plancher national. Ce volet a-t-il généré des économies ?

Mme Corinne Imbert, rapporteure pour la branche assurance maladie. - La branche maladie a enregistré, vous l'avez rappelé, un déficit de 21 milliards d'euros, soit le montant du déficit total de la sécurité sociale.

L'Ondam 2022 affiche un dépassement de 10,4 milliards d'euros par rapport à la prévision initiale. Ce dépassement ne s'explique pas uniquement par la crise sanitaire.

Même si cette audition porte sur les comptes 2022, je souhaite parler de 2023 et de l'avenir.

Pour 2023, dans son avis du 7 juin, le comité d'alerte appelle à une « grande vigilance », sans pour autant tirer la sonnette d'alarme. Comment anticipez-vous la trajectoire 2023 ? Préparez-vous des mesures d'économie pour tenir cette trajectoire ?

L'Ondam s'élève à environ 250 milliards d'euros et ne semble plus pilotable, même si le directeur de la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam), que nous avons auditionné ce matin, considère qu'il l'est encore. Cependant, il n'est pas à même de rendre compte au législateur des actes effectifs de dépenses et des choix politiques du gouvernement, encore moins de les arbitrer. Quand disposerons-nous d'un Ondam utile, avec un découpage plus fin des dépenses ? Les missions du budget général sont votées une par une, alors que leur montant est bien souvent inférieur aux montants des sous-objectifs en dépenses de l'Ondam. Je pense qu'il n'est plus tenable de voter 250 milliards d'euros de dépenses en seule fois.

Le dynamisme des dépenses de médicaments est mis en avant dans une annexe du Placss. Sans régulation, ces dépenses ont augmenté de plus de 9,6 % en 2022 et de 4,1 % avec régulation. Le montant de la clause de sauvegarde augmente très fortement et dépasse 1 milliard d'euros, pour une prévision de 125 millions d'euros. Comment expliquez-vous cet écart entre l'étude d'impact et l'exécution ? Quelle doit être la place de cette clause de sauvegarde dans la régulation des dépenses de médicaments, clause que les laboratoires qualifient de fiscalité ? Elle tend à rattraper voire dépasser les mécanismes conventionnels puisque le PLFSS demande un effort de 1 milliard d'euros aux laboratoires avec des baisses de prix. Les industriels dénoncent cette évolution. Comment la jugez-vous ?

Par ailleurs, plusieurs facteurs tendent à faire croître structurellement les dépenses de produits de santé, comme des innovations, avec des prix très élevés exigés par certains laboratoires, le vieillissement de la population, le développement des maladies chroniques. De quelle manière le gouvernement envisage-t-il de maîtriser dans les prochaines années la croissance des dépenses de produits de santé ? Sur quels produits faut-il prioritairement faire porter l'effort ?

Enfin, on parle beaucoup des pénuries de médicaments et du prix très bas des médicaments anciens. Pour autant, le comité économique des produits de santé (CEPS), lors de son audition par la commission d'enquête sur la pénurie de médicaments, nous a dit qu'il allait continuer à proposer une baisse de prix, dans le cadre de l'élaboration du PLFSS, sur les médicaments anciens. Je crains que cette baisse de prix nourrisse les pénuries.

M. Gabriel Attal, ministre délégué. - Je vous remercie pour vos nombreuses questions, qui montrent l'utilité de cet exercice à ce moment de l'année.

Sur le refus de certification des comptes de la branche famille, je rappelle que la Cour des comptes ne remet pas en cause leur sincérité, la branche a bien dégagé un excédent de 1,9 milliard d'euros. Par ailleurs, ce n'est pas le premier refus de certification, les derniers quinquennats ont en connu. Enfin, ce n'est évidemment pas satisfaisant. Je n'ai pas été très content quand j'ai appris la nouvelle. Ce refus de certification est lié à plusieurs milliards d'euros d'erreurs. Des personnes reçoivent des prestations auxquelles elles n'ont pas le droit et d'autres, qui auraient droit à des prestations, ne les reçoivent pas. Comme nous sommes tous attachés à notre modèle social, nous ne pouvons pas nous satisfaire d'une telle situation.

Nous y répondons avec des mesures du plan fraude et facilitant l'accès aux droits. Le pré-remplissage des déclarations de ressources pour le RSA et la prime d'activité, avec le DRM (dispositif ressources mensuelles), constituera un vrai progrès. C'est la première brique du versement à la source voulu par le président de la République et annoncé dans la campagne présidentielle. Notre objectif est de verser directement aux Français les aides auxquelles ils ont droit. Dès lors que nous connaissons leurs ressources pour prélever les impôts, nous devons être capables de déterminer les aides auxquelles ils ont droit. Je souhaite que le DRM soit généralisé le 1er janvier 2025 et nous le testerons dès cette année dans plusieurs départements.

Nous créerons également dans les caisses de sécurité sociale 1 000 emplois dans les cinq prochaines années, notamment pour lutter contre la fraude, et nous investirons un milliard d'euros dans les systèmes d'information, certains étant vraiment très vétustes. Par exemple, les Caf ne peuvent pas recouvrer les indus frauduleux au-delà de deux ans. Je souhaite qu'elles puissent remonter cinq ans en arrière.

Vous m'avez interrogé sur le calendrier et notre capacité à l'avancer de 15 jours. Un groupe de travail coordonné par la direction de la sécurité sociale (DSS), associant la Cour des comptes et les organismes, s'est réuni fin 2022 pour étudier l'avancement du 15 avril au 31 mars de la production des comptes. Il a conclu qu'un tel mouvement faisait peser un risque sur la fiabilisation des données. Pour poursuivre sur l'image de la photographie, une photo retirée trop tôt du produit dans lequel elle baigne pour révéler l'image n'est pas claire. En revanche, je pense que nous pouvons améliorer la transmission des documents à la commission des comptes de la sécurité sociale, qui arrivent la veille de la réunion. Le délai est aussi lié à la date à laquelle ces comptes sont présentés en Conseil des ministres et il serait préférable de fixer une date de réunion de la commission éloignée de celle du Conseil des ministres.

Sur l'annexe 2 du Placss, comme nous nous y sommes engagés sur l'évaluation des niches sociales, nous publions le rapport de l'inspection générale des services (Igas) et de l'inspection générale des finances (IGF), qui formule des recommandations pour la méthodologie et la gouvernance de l'évaluation de ces niches. Nous allons par exemple associer France Stratégie au pilotage d'un comité d'évaluation sur les principales niches sociales, qui associera des experts indépendants et qui remettra des rapports publics, qui enrichiront les débats parlementaires. Ces évaluations suivront le rythme prévu par la loi organique, c'est-à-dire une évaluation des niches tous les trois ans.

Sur les indicateurs des Repss qui s'arrêtent en 2020 ou en 2021, les chiffres sont issus des comptes clos et beaucoup de sources statistiques ne sont disponibles qu'après le mois de mai, notamment les comptes de l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee). Les comptes de la santé de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) ne sont disponibles qu'en septembre et le « Panorama des établissements de santé » et le document « Retraites et retraités » en fin d'année. C'est la raison pour laquelle il existe un décalage. Nous verrons dans quelle mesure nous serons capables, dans le cadre des Placss, de disposer de données de manière anticipées. J'ai dû présenter à l'Assemblée nationale un amendement au Placss en première lecture pour actualiser le taux de croissance constaté en 2022. Je pense que l'édition de mai 2024 présentera des améliorations.

Le projet de loi sur la programmation des finances publiques (LPFP) prévoit une provision de 900 millions d'euros à l'horizon 2027 pour financer le service public de la petite enfance. Ce financement a vocation à permettre la création d'un nombre très important de places de crèche supplémentaires et éviter la suppression de certaines places. En effet, nous n'atteignons pas nos objectifs en termes de nombre de places car elles sont insuffisamment financées et les professionnels sont insuffisamment rémunérés. Ces crédits doivent nous permettre de financer des revalorisations travaillées dans le cadre du comité de filière.

Sur le taux d'Ondam, je suis ministre des Comptes publics. Par définition j'aurais choisi un taux moins élevé que celui qui a été retenu par le gouvernement et par le Parlement. J'ai reçu le Comité d'alerte, qui constate des dépassements mais qui n'a pas signalé de « risque sérieux » au-delà de 0,5 %, seuil qui est fixé par le décret du 20 juin 2014. En revanche, une grande vigilance est nécessaire pour respecter l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) en concrétisant les mesures d'économies prévues, en mobilisant toutes les marges d'exécution et en prenant, en tant que de besoin, certaines mesures de régulation.

La branche autonomie dégage effectivement un excédent, les dépenses progressant, comme les recettes, de 2,6 milliards d'euros. C'est pourquoi l'excédent reste stable à 200 millions d'euros, pour des dépenses de 35 milliards d'euros, en hausse de 10 milliards par rapport au précédent quinquennat.

Pour répondre à Madame Imbert sur les dépassements, je précise que l'essentiel de ces dépassements est lié aux indemnités journalières et à l'explosion des arrêts maladie de 7,9 %. J'avais introduit dans le PLFSS une disposition, malheureusement censurée par le Conseil constitutionnel, sur la prescription d'arrêts maladie par téléconsultation. Il suffit aujourd'hui d'ouvrir un réseau social ou un article de presse pour constater combien il est facile de se procurer un arrêt maladie. Un article récent du Parisien expliquait comment l'obtenir en 10 minutes pour 10 euros sur Snapchat. Certains groupes privés développent des offres par abonnement à 11 euros par mois, avec des téléconsultations illimitées permettant d'obtenir un arrêt maladie. Ces pratiques explosent et nous devons y être très attentifs car les indemnités journalières représentent 15 milliards d'euros par an. Si la tendance actuelle se poursuit, elles atteindront 23 milliards d'euros en 2027. J'espère que nous trouverons une solution sur les téléconsultations, sans attendre la nouvelle campagne de contrôle que j'ai annoncée dans le plan fraude sur la prescription des arrêts maladie. Nous regarderons les professionnels qui prescrivent le plus d'arrêts, nous serons attentifs aux faux arrêts du lundi ou du vendredi et nous examinerons les arrêts sans prescription de soins ou de médicaments.

La clause de sauvegarde est un mécanisme ancien, qui date de 1999. Je pense que plus nous mettrons en place des mesures d'économies intelligentes (baisse des prix des médicaments anciens pour financer l'innovation, réduction des surdosages, favoriser les biosimilaires et les génériques, responsabilisation des prescripteurs et des assurés), moins nous aurons besoin de ce dispositif. Certaines franchises n'ont par exemple pas évolué depuis 2004. Nous débattrons prochainement de toutes ces questions.

En 2022, nous avons procédé à environ 1 milliard d'euros de régulation sur les médicaments et les dispositifs médicaux. À l'échelle des dépenses, cette régulation correspond à la maîtrise du tendanciel et non à une amputation massive de nos dépenses. Si nous n'avions pas réalisé ces économies, nous aurions dû prélever davantage au titre de la clause de sauvegarde. Je rappelle que cette clause est plafonnée entre 50 et 70 % des dépassements. Par ailleurs, les entreprises qui contractent une convention avec le CEPS sur des remises sont exonérées de clause de sauvegarde et il n'est pas question de modifier ce dispositif.

Enfin, les questions sur le pilotage de l'Ondam et sur un vote par sous-objectifs peuvent se poser. Néanmoins, les débats sont nourris au moment de l'examen du PLFSS et le Placss nous permet également de creuser certains sujets.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Merci Monsieur le ministre. Je donne la parole à nos collègues pour une deuxième série de questions.

M. Bernard Jomier. - C'est la première fois que nous débattons de la Lacss. Votre exposé liminaire était très politique. La loi organique a modifié le processus d'adoption des comptes sociaux pour permettre à la représentation nationale de mieux les apprécier. Si vous considérez que le Placss se limite à un compte administratif, nous pouvons mettre en avant la non-certification des comptes de la branche famille pour refuser de l'approuver. C'est pour moi un temps d'échange sur l'évolution des comptes sociaux. Je considère que la réforme n'a pas répondu à la question fondamentale du pilotage. Par exemple, nous ne fixons pas d'objectifs de santé en amont des débats sur l'Ondam. 25 % des Français sont fumeurs. Nous pourrions par exemple fixer un objectif de réduction du nombre de fumeurs à cinq ou dix ans. Retenons-nous l'objectif de la Suède dont le taux de fumeurs est de 10 % ? Quels programmes mettons-nous en place et finançons-nous pour atteindre notre objectif ? Je peux aussi prendre l'exemple du surpoids, en augmentation constante et qui entraîne de nombreuses conséquences de santé. Quels programmes retenons-nous pour lutter contre ce surpoids ?

L'Ondam me semble déconnecté des objectifs de notre politique sociale, chaque secteur faisant pression pour préserver ses intérêts. Je n'ai pas une vision pessimiste mais l'absence de pilotage et la tendance structurelle à l'augmentation de la dépense du fait de l'évolution de la population et de ses caractéristiques donnent le sentiment que nous sommes encore dans des processus très balbutiants de production, de validation et d'évaluation de nos comptes sociaux.

M. Daniel Chasseing. - Nous sommes tous attachés à la sécurité sociale, qui est la colonne vertébrale de notre République. L'objectif de la réforme des retraites est de parvenir à un équilibre du régime en 2030.

Sur la branche maladie, il reste, malgré la prévention, beaucoup à faire. Vous avez dépensé depuis 2017 57 milliards d'euros pour le covid-19 et les salaires mais il reste le financement de l'hôpital, les investissements, l'augmentation du personnel à traiter. J'espère que le plan grand âge promis par le président de la République arrivera car les Ehpad ont besoin de plus d'infirmières et d'aides-soignantes. Je pense que l'Ondam devra augmenter de 3 %

Pour équilibrer la sécurité sociale et le budget de l'État, je pense que vous disposez que de la croissance et de la création d'emplois et de la lutte accrue contre la fraude.

Mme Cathy Apourceau-Poly. - Vous l'avez dit monsieur le ministre, ce projet de loi est la photographie des comptes 2022 de la sécurité sociale. Nous constatons une logique d'austérité et de réduction des dépenses imposée par Bruxelles. Je rappelle que la Commission européenne ne vise que la réduction de la dépense publique de la France.

Nous sommes évidemment contre toutes les fraudes. Vous avez décidé de faire de la fraude sociale votre principal cheval de bataille. Vous avez annoncé la création d'emplois supplémentaires alors que vous en aviez supprimé quelques milliers auparavant.

La fraude sociale est estimée à 6 ou 7 milliards d'euros et je rappelle que 70 % de cette fraude correspond à la fraude aux cotisations et non à celle des plus pauvres. Une partie de la population rencontre de grandes difficultés pour accéder aux services publics. Nous rencontrons chaque jour des citoyens qui ne savent pas se servir d'internet et qui vivent la fracture numérique. Remplir une déclaration pour la Caf nécessite d'avoir un bac+20 ! Il y a aussi des citoyens de bonne foi. Je ne veux pas que vous pensiez que les plus pauvres fraudent délibérément. De nombreuses personnes sont confrontées à des difficultés parce qu'elles n'ont plus d'agents face à elles pour les aider dans leurs démarches.

Vous mettez beaucoup de coeur à lutter contre la fraude sociale. J'aimerais que vous mettiez autant d'énergie à vous battre contre la fraude fiscale, qui représente 80 milliards d'euros.

Enfin, vous avez fait des choix contre-productifs avec la réforme des retraites imposée, qui va conduire la population à travailler jusqu'à 64 ans, dans des conditions très pénibles et qui va multiplier les arrêts maladie et les accidents de travail, coûteux pour la sécurité sociale.

Vous avez abordé la téléconsultation. Elle est indispensable aux patients qui vivent dans des déserts médicaux et qui sont contraints de recourir à ce dispositif pour obtenir un arrêt de travail. Je vous assure que ces patients préféreraient consulter un médecin en face-à-face.

Votre réforme des retraites va engendrer un surcoût jusqu'en 2024 et elle ne dégagera qu'un milliard d'euros d'économies en 2025 et 1 ou 2 milliards en 2026.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - Je me réjouis de la mise en oeuvre de la loi organique, pour laquelle nous avons beaucoup oeuvré au Sénat, et des échanges anticipant les débats que nous aurons dans le cadre de l'examen du PLFSS 2024.

Nous sommes dans un exercice d'approbation des comptes et nous souhaitons disposer d'une finesse de ces comptes. Le gouvernement n'a pas répondu à notre demande, indiquant qu'elle était difficile à mettre en oeuvre. Cependant, si nous disposions de comptes plus détaillés, nous pourrions les rapprocher des objectifs de santé publique fixés par le gouvernement.

Sur la fraude sociale, nous sommes réjouis que votre prédécesseur, Olivier Dussopt, ait envoyé une feuille de route à tous les organismes de sécurité sociale. Certains y ont répondu rapidement, la caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) ou la caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav), d'autres moins rapidement, comme l'Assurance maladie. Je pense qu'il y a beaucoup à gagner dans la mise en oeuvre de méthodes de ciblage sur les différents opérateurs de l'Assurance maladie. Je me souviens qu'un rapport de la Cour des comptes dénonçait 6 à 8 milliards d'euros de fraude aux cotisations sociales et que son dernier rapport fait état de 5 à 6 milliards de fraudes aux prestations. Pouvez-vous confirmer ces chiffres, qui sont très éloignés de ceux mentionnés au cours de l'élection présidentielle de 2022 ?

Enfin, vous avez, conformément à vos engagements, je vous en félicite, lancé un plan de lutte contre la fraude sociale, après celui contre la fraude fiscale. Vous suggérez de fusionner la carte nationale d'identité et la carte Vitale. Cependant, dans un rapport publié en avril 2023, l'Igas et l'IGF indiquent que le directeur général de la Cnam a fait part de très fortes réserves à ce sujet. Ce matin, il nous a dit que des investigations supplémentaires étaient nécessaires pour évaluer l'intérêt d'une telle fusion et éviter la fraude à l'identité.

J'ajoute que notre rapport sur la fraude à l'inscription des étrangers évalue son montant à 140 millions d'euros et non à 14 milliards comme certains le laissaient entendre.

Mme Raymonde Poncet Monge. - Je ne partage pas, Monsieur le ministre, votre appréciation selon laquelle nous n'avons d'autre choix que d'approuver ce compte administratif. Nous ne sommes pas commissaires aux comptes. L'évaluation est l'une des trois grandes fonctions des parlementaires. Si vous acceptez que la Cour des comptes ait refusé de certifier les comptes de la branche famille, vous devrez peut-être accepter que le Sénat n'approuve pas votre projet de loi.

Vous avez filé la métaphore de la photographie. Je regarde plutôt ce qui n'est pas sur la photo !

Comme l'a déjà dit la rapporteure générale, le projet de loi de comporte pas l'évaluation d'un tiers des niches sociales.

Vous avez beaucoup insisté sur le caractère technique de ce Placss mais votre discours était très politique. Nous aurons nous aussi une approche politique au moment de discuter ce projet de loi. Vous avez affirmé que vous aviez créé de nombreux emplois. Je note que le projet de loi sur le pouvoir d'achat a désocialisé de nombreuses primes et les heures supplémentaires et que, contrairement à ce qu'impose la loi Veil, vous ne le compensez pas. Vous avez répondu qu'il n'était pas pertinent de socialiser des cadeaux. Or, les analyses de l'Insee montrent que ces mesures se sont substituées à des hausses générales de salaire. Si nous neutralisons les effets de loi sur le pouvoir d'achat, les recettes tirées des cotisations sociales n'ont pas augmenté autant que vous l'affirmez.

Vous vous êtes félicité des excédents dégagés par les branches autonomie, famille et AT/MP. Cependant, que faites-vous pour les enfants pauvres ? Quant à l'AT/MP, doit-on vous rappeler le nombre de morts au travail et l'explosion des maladies professionnelles ?

Il serait pertinent, comme l'a dit Bernard Jomier, de réfléchir à des objectifs de santé publique et à des plans de prévention. Il n'y aura pas de maîtrise des dépenses sans politique partant des besoins et sans prévention.

Par ailleurs, je ne suis pas étonnée par le dépassement de l'Ondam, qui est sous-dimensionné, en deçà de l'inflation et de la croissance mécanique liée à transition démographique, à l'innovation médicale ou aux maladies chroniques. L'Ondam n'est donc pas fixé de manière sincère.

Enfin, vous attendez beaucoup de la solidarité à la source et je me réjouis que vous envisagiez également le versement à la source.

Mme Laurence Cohen. - Nous sommes membres de la commission des affaires sociales. Vous nous demandez d'examiner les comptes de la sécurité sociale, ce qui est normal, mais nous sommes chaque jour confrontés à des hôpitaux à bout de souffle, qui manquent de moyens. Les besoins sont pourtant connus. Nos hôpitaux subissent trois chocs. Le premier est lié à l'inflation. L'Observatoire français des conjonctures économiques anticipe une inflation de plus de 6 % mais l'Ondam n'est pas aligné sur ce niveau. Le deuxième est dû à des fermetures de lits, faute de personnel, ce qui se traduit par une baisse des recettes. Enfin, les hôpitaux sont confrontés à l'explosion du prix de l'énergie.

Pourtant, vous prévoyez une évolution des dépenses beaucoup plus lente que celle des besoins. Soit vous continuez à restreindre au maximum les dépenses de santé, sans prendre en compte la réalité du terrain, soit vous changer de politique. Ce n'est malheureusement pas ce que j'ai entendu dans vos propos.

Néanmoins, je suis ravie que vous vous rendiez compte que la création d'emplois permet de faire rentrer des cotisations sociales. En effet, ma famille politique se bat depuis des années pour résorber le chômage ! Si vous arrivez sur nos propositions, c'est une bonne chose.

Je vous invite également à cesser d'exonérer de cotisations sociales les entreprises. Ces exonérations représentent 75 milliards d'euros. Vous allez répondre que vous compensez ces exonérations mais vous ne les compensez que partiellement et cet argent sort toujours des caisses de l'État. Ce n'est donc pas une bonne opération.

M. Gabriel Attal, ministre délégué - Je vous confirme que la croissance est le coeur de notre stratégie pour le financement de notre modèle social. C'est bien le travail qui crée de la richesse et pas les impôts supplémentaires. Il est même parfois nécessaire de les baisser pour qu'il y ait davantage de travail et d'activité économique dans notre pays.

Les allégements de cotisations sont quasiment intégralement compensés. Par ailleurs, sans ces allégements, les entreprises n'auraient pas créé 1,7 million d'emplois depuis 2017 et la sécurité sociale n'aurait pas perçu 25 milliards d'euros de cotisations supplémentaires. Si nous avions un taux d'emploi identique à celui de l'Allemagne, je n'aurais aucune difficulté à équilibrer les comptes publics. Or, notre taux d'emploi est inférieur de 10 points à celui de notre voisin.

Pour l'améliorer, nous disposons de deux leviers, les jeunes et les seniors. Pour les jeunes, nous travaillons sur l'apprentissage, sur la réforme de la voie professionnelle. Pour les seniors, nous avons mené la réforme des retraites, qui a surtout pour objectif, indépendamment de l'économie budgétaire, d'améliorer leur taux d'emploi. En 2010, après la réforme Fillon, nous avons constaté une amélioration de 15 points de ce taux d'emploi.

Les « primes Macron » ont représenté 4,4 milliards d'euros, qui ont été distribués à 5,5 millions de salariés. Je ne pense pas qu'on puisse les balayer d'un revers de la main. Vous avez aussi noté que l'accord national interprofessionnel signé par les partenaires sociaux il y a quelques semaines prévoit la pérennisation de la « prime Macron » désocialisée dans les entreprises de moins de 50 salariés. Ce que vous critiquez est soutenu par la CFDT, la CFE-CGC et Force Ouvrière. Nous sommes évidemment à leurs côtés.

Je tiens également à vous rappeler que je lutte contre toutes les fraudes, fiscales, sociales ou douanières. Il y a, dans le plan de lutte contre les fraudes que j'ai présenté, des mesures assez fortes sur la fraude fiscale, dont certaines sont inspirées des propositions de votre camarade Éric Bocquet, qui a participé au groupe de travail contre la fraude que j'ai piloté.

L'évaluation de la fraude sociale est compliquée. Une des mesures de mon plan est la mise en place d'un vrai Conseil d'évaluation de la fraude. C'est un enjeu démocratique car nous avons vu, à l'occasion de l'élection présidentielle, une candidate, Mme Le Pen, qui gageait l'intégralité de son programme sur la lutte contre la fraude, en annonçant des dépenses absolument somptuaires. Plus nous parviendrons à évaluer ce que recouvre la fraude dans notre pays plus les débats démocratiques à venir seront sincères et plus nous empêcherons des candidats de raconter n'importe quoi à propos de la fraude.

La fraude fiscale serait de 30 milliards d'euros selon certaines estimations, 100 milliards d'euros selon d'autres. Je souhaite que tous ceux qui travaillent sur ce sujet puissent se retrouver au sein d'une même instance pour piloter des évaluations. 30 milliards, c'est déjà beaucoup et nous en recouvrons aujourd'hui la moitié.

Sur la fraude sociale, je confirme l'ordre de grandeur évoqué sur les cotisations. La Cnaf évalue la fraude aux allocations à 2,8 milliards d'euros par an.

Sur l'assurance maladie, nous ne disposons pas encore d'évaluation fiable, mais nous y travaillons.

J'ajoute que les bénéficiaires peuvent aussi être victimes de la fraude aux prestations sociales quand leur relevé d'identité bancaire (Rib) est remplacé par un Rib frauduleux et qu'ils ne reçoivent plus leur minimum vieillesse. J'ai rendu visite à la Cnaf il y a quelques jours et on m'a présenté un nouveau dossier de fraude dans lequel 437 familles roumaines, qui ne résident pas en France, se sont inscrites à la Caf avec des fausses attestations de salariat et de fausses domiciliations, via une association. C'est un préjudice de 8 millions d'euros sur le seul département du Val de Marne !

Lutter contre la fraude ce n'est pas « faire la chasse aux pauvres ». C'est s'assurer que la solidarité nationale aille vers ceux qui en ont besoin ! C'est aussi un enjeu d'accès aux droits et je renvoie au versement à la source qui reste notre objectif.

Sur la fraude aux arrêts maladie, je précise que 80 % des arrêts prescrits en téléconsultation concernent des patients en milieu urbain. Ce ne sont donc pas ceux qui sont le plus éloignés de l'accès aux soins, même si je n'ignore pas qu'il y a des déserts médicaux en ville.

Je pense que la logique consistant à fixer des objectifs de santé publique et les décliner sur le plan budgétaire est la bonne. Je ne suis pas certains qu'il nous manque des données. Les annexes du Placss comportent mille pages, nous disposons également du Ralfss (rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale), du rapport de certification de la Cour des comptes, etc. Nous avons un enjeu de sélection des bons indicateurs pour prendre les bonnes décisions.

Toujours sur la fraude, vous m'avez interrogé sur la fusion entre la carte d'identité et la carte Vitale. Ce serait un moyen de lutter contre la fraude à l'identité sur les prestations de santé. Contrairement à ce qu'a affirmé Mme Le Pen, il n'y a pas plusieurs millions de cartes Vitale surnuméraires en circulation. Le rapport Igas / IGF confirme qu'elles ont été désactivées.

Certains affirment, en utilisant le répertoire national interrégimes des bénéficiaires de l'assurance maladie (RNIAM), qu'il y aurait 73 millions d'assurés sociaux alors que nous ne sommes que 68 millions d'après le recensement. Comparer des fichiers qui n'ont rien à voir n'a pas de sens. Le recensement décompte les personnes résidant en France, alors que le fichier RNIAM comporte 1,2 million de retraités qui ont cotisé toute leur vie mais qui ne résident plus en France mais ont droit à l'assurance maladie. De même, certains expatriés n'ont plus droit à l'assurance maladie mais ils ne sont pas radiés des fichiers, pour que leurs droits soient rapidement réactivés à leur retour, comme le demandent d'ailleurs les sénateurs des Français de l'étranger.

Il y a néanmoins des personnes qui viennent sur le territoire national, se font prêter ou louent une carte Vitale, pour recevoir des soins auxquels elles n'ont pas droit. Pour résoudre ce sujet, plusieurs pistes ont été avancées, notamment au Sénat, dont celle de la carte Vitale biométrique. La mission Igas / IGF écarte cette piste. La commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) considère qu'elle ne respecterait pas les libertés individuelles, les syndicats médecins sont contre, ils militent pour la réduction des tâches administratives. Enfin, ce dispositif coûterait 250 millions d'euros par an et un certain nombre d'obstacles sont difficilement surmontables, comme l'achat de médicament pour un membre de votre famille.

La mission Igas / IGF recommande de privilégier la fusion de la carte Vitale avec la carte d'identité, en intégrant les observations de l'assurance maladie, qui doivent pouvoir être surmontées. Pour les étrangers en situation régulière, il suffira de mettre une puce sur les cartes de séjour. Pour garantir l'intégrité des données personnelles, la Cnil exige qu'il y ait deux compartiments dans la puce.

Je regrette qu'au moment où nous réfléchissons à cette évolution, de nombreuses personnes, y compris dans les administrations, expliquent que ce projet est trop ambitieux et donc impossible à mettre en oeuvre. Pourtant, plusieurs pays européens comme la Belgique, le Portugal ou la Suède fonctionnent de cette manière. Les Estoniens disposent quant à eux d'une seule carte qui intègre la carte d'identité, la carte Vitale, le permis de conduire, la carte bancaire et la carte d'électeur. Je ne m'arrêterai pas à ce type de remarques, je suis très motivé pour avancer sur ce dossier et je sais que je pourrai compter sur votre soutien.

Enfin, j'observe que la première fois dans l'histoire de notre pays, le budget de l'hôpital public dépasse 100 milliards d'euros. Ce sont des budgets dont nous aurions rêvé il y a quelques années, notamment quand je travaillais au ministère de la santé au cours d'un précédent quinquennat. Il y a bien sûr un enjeu de réforme du système, mais c'est le travail de mon collègue François Braun.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Merci Monsieur le ministre.

La réunion est close à 17 heures 50.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.