Mercredi 7 juin 2023

- Présidence de M. Laurent Lafon, président -

La réunion est ouverte à 8 h 45.

Proposition de loi relative à la réforme de l'audiovisuel public et à la souveraineté audiovisuelle - Examen du rapport et du texte de la commission

M. Laurent Lafon, président. - Nous débutons cette matinée extrêmement riche, puisque trois textes sont inscrits à l'ordre du jour de notre réunion, par l'examen du rapport de notre collègue Jean-Raymond Hugonet sur la proposition de loi relative à la réforme de l'audiovisuel public et à la souveraineté audiovisuelle.

Je vous rappelle que l'examen de ce texte en séance publique est programmé lundi prochain, 12 juin, en second point de l'ordre du jour. C'est la raison pour laquelle nous serons contraints de nous réunir ce jour-là à 18 heures afin d'examiner les amendements de séance déposés sur ce texte.

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. - Nous examinons aujourd'hui la proposition de loi relative à la réforme de l'audiovisuel public et à la souveraineté audiovisuelle déposée par le président Laurent Lafon le 21 avril dernier. Un mois et demi seulement pour passer du projet à sa réalisation législative, on aurait aimé que sur ce sujet le Gouvernement fasse preuve de la même célérité !

Si je me réjouis de la rapidité d'action dont notre commission a fait preuve c'est véritablement qu'il y a urgence. On le mesure en effet chaque jour, le développement des plateformes de vidéos à la demande, des sites de partage de vidéos, des réseaux sociaux et des plateformes audio changent les usages mais également nos références culturelles et, peut-être même, notre façon de faire vivre notre démocratie. Pour une part croissante de nos concitoyens, la télévision et la radio ne sont, en effet, plus les principaux moyens de se divertir, de s'informer, de suivre des débats, de se cultiver...

Cette évolution pose question car ces nouveaux services pour l'essentiel délinéarisés sont également porteurs de valeurs qui peuvent ne pas être les nôtres concernant, par exemple, la laïcité, l'acceptation d'une certaine forme de violence, le rapport aux faits historiques ou même la préservation de l'environnement.

Par ailleurs, il ne faut pas oublier que le modèle des médias généralistes a besoin d'une offre de programmes diversifiée pour assurer son financement et son attractivité. L'information, le documentaire, la culture coûtent cher. Leur place sur les médias publics et privés dépend également de la présence de programmes puissants dans le sport, le cinéma et la création audiovisuelle pouvant drainer audiences et revenus publicitaires. La migration d'un nombre croissant de ces programmes attractifs sur les plateformes menace donc l'écosystème des médias et, à terme, leur pérennité mais également notre souveraineté culturelle et audiovisuelle.

J'ajoute que dans cette bataille qui a commencé le sort des médias publics et privés sont liés. Un jeune Français qui passe son temps sur Netflix, Tik Tok et Spotify est perdu pour France Télévisions et Radio France tout comme pour TF1 et NRJ...

Voilà pourquoi il est devenu urgent d'entreprendre une réforme du secteur des médias audiovisuels français afin, d'une part, de faire émerger des acteurs publics et privés disposant d'une taille critique et, d'autre part, de corriger certaines anomalies de la loi du 30 septembre 1986 qui freinent leur développement.

La proposition de loi revient donc tout d'abord sur l'organisation de l'audiovisuel public dans le droit fil des travaux menés par notre commission depuis 2015. Contrairement à ce que l'on pourrait croire en comparant l'audiovisuel privé et public, il y a également urgence à réformer ce dernier.

En effet, les audiences du service public sont plutôt bonnes mais ne nous trompons pas, comme les étoiles qui brillent encore mais sont déjà mortes au fond de l'univers, l'audiovisuel public est également menacé à brève échéance.

Les antennes de Radio France, par exemple, bénéficient d'un avantage comparatif exceptionnel en termes de nombre de fréquences FM qui leur permettent d'être bien mieux exposées que leurs concurrentes du privé, ce qui rend le groupe plus résilient ; mais Radio France subit de la même façon la baisse de la durée d'écoute.

Selon les chiffres officiels du ministère, la durée d'écoute par auditeur s'établissait en 2021 à 2 heures 42 minutes, contre 2 heures 52 minutes cinq ans plus tôt. L'écoute de la radio recule en particulier parmi les plus jeunes : en 2021, l'audience cumulée des 13-24 ans a reculé de 16 points de pourcentage en cinq ans (56 % en 2021), celle des 25-34 ans de 12 points de pourcentage (65 %). Le recul est plus modéré pour les tranches d'âge supérieures.

À noter également que les modalités d'écoute évoluent vers des supports numériques qui ont pour effet de désintermédier la relation entre la radio et les auditeurs et de favoriser la substituabilité avec les programmes des plateformes audio.

Le problème n'est pas différent pour les chaînes de télévision qui sont confrontées à une concurrence féroce de la part des plateformes de vidéo à la demande (SVOD). Cette concurrence a pour effet de tarir l'accès des chaînes aux séries et aux films américains qui deviennent de plus en plus des exclusivités des plateformes. Dans ce contexte, France Télévisions fait preuve, grâce à ses productions françaises, d'une certaine résilience qu'il ne faut néanmoins pas surestimer puisqu'elle tient au fait que ses programmes plaisent à un auditoire de plus en plus âgé. L'avenir du groupe public n'est donc pas davantage assuré.

Selon les données fournies par Delphine Ernotte, on peut même considérer que les perspectives sont déjà inquiétantes pour l'ensemble des chaînes puisque, sur le public jeune, les courbes se croisent en soirée entre les plateformes de vidéos (Youtube, Tik Tok...) et les chaînes de la TNT. Si on tient compte des plateformes SVOD, on peut même estimer que la télévision hertzienne a déjà perdu une grande partie de la jeunesse aux heures de plus grande écoute.

Cette évolution a toutes les raisons de s'accélérer à mesure qu'émergeront les nouvelles générations avec comme perspective un effet « falaise » une fois que les jeunes d'aujourd'hui et leurs successeurs seront devenus majoritaires dans la population.

La situation est encore plus défavorable pour les chaînes privées qui ne peuvent s'appuyer sur une dotation publique conséquente pour investir dans la création et qui ont dû renoncer progressivement à l'essentiel de leurs droits sportifs au bénéfice des chaînes payantes et des plateformes. Ces chaînes privées connaissent depuis début janvier 2023 une baisse de leur chiffre d'affaires publicitaire de 7 % à 10 % en France et jusqu'à 15 à 20 % dans certains pays européens qui risque de menacer à terme leur existence même.

Tous les médias audiovisuels sont donc obligés de repenser leur modèle, leur offre et leur organisation.

Comment expliquer cependant que près de dix ans après l'apparition de Netflix en France et des plateformes audio comme Deezer et Spotify, la télévision et la radio n'aient toujours pas réussi à réinventer leur modèle ?

Les erreurs d'analyse des dirigeants publics et privés permettent assurément d'expliquer une partie de ce phénomène. Les différents acteurs ont, en effet, mis du temps à comprendre qu'il leur fallait développer une offre attractive à 360° sur tous les supports. Ils ont engagé des projets avec plus ou moins de succès. M6 a ainsi été un des premiers acteurs à investir dans une plateforme de replay qui connaît un vrai succès. France Télévisions pour sa part n'a pas réussi à développer sa propre plateforme SVOD et la plateforme Salto créée conjointement avec TF1 et M6 n'a pas survécu à l'échec du rapprochement entre les deux groupes privés. Les grandes radios ont créé une application commune, Radioplayer, mais elles demeurent pénalisées par la pénurie de fréquences FM, des règles contraignantes en termes de mentions légales obligatoires sur la publicité et une réglementation très complexe et défavorable en matière de diffusion musicale.

Quand je dis que nos médias n'ont pas encore réussi leur mue, je me dois cependant de faire deux exceptions qui concernent Canal+ et Arte France.

Le groupe qui a historiquement développé la télévision par abonnement en France est probablement passé au bord de la faillite il y a 5 ans après l'échec de sa plateforme Canalplay. Mais il a réagi à temps en développant un nouveau modèle fondé sur un contrôle draconien des coûts, des créations originales de haut niveau, des accords de distribution nombreux avec les plateformes et l'agrégation de contenus diversifiés au sein d'une application (MyCanal) digne des plateformes américaines.

Arte France n'a pas suivi une stratégie très différente puisque la pertinence de son offre associée à son accessibilité sur tous les supports lui ont permis de renouveler son image et développer sa relation avec un public rajeuni.

Ces deux exemples qui concernent un acteur privé et un acteur public démontrent que le déclin n'est pas une fatalité. Des acteurs français peuvent relever le défi du numérique. Mais, pour autant, ces deux succès s'expliquent également par les particularités de ces deux acteurs. Canal+ a bénéficié du soutien de son actionnaire pour investir dans la création, dans le sport et se développer à l'étranger tandis qu'Arte a bénéficié de son statut franco-allemand et de sa souplesse d'organisation pour innover et s'adresser aux publics les plus jeunes.

La présente proposition de loi vise à permettre aux grands acteurs publics et privés de l'audiovisuel de trouver leur propre chemin qui les mènera au redressement. Pour le secteur public, ce chemin passe par un rapprochement des structures et des services. Pour le privé, il peut passer par l'arrivée de nouveaux investisseurs, une meilleure maîtrise de leurs programmes et une réduction des asymétries avec les plateformes.

Le chapitre Ier vise ainsi à engager le regroupement de l'audiovisuel public à travers la création d'une société holding dénommée France Médias. Ce projet est le fruit du travail de nos collègues Jean-Pierre Leleux et André Gattolin qui en avaient défini les principes et les contours dans leur rapport de septembre 2015. Il avait été repris par Franck Riester dans son projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle qui avait été adopté par la commission des affaires culturelles de l'Assemblée nationale en mars 2020, puis abandonné du fait de la crise sanitaire.

Nous connaissons tous les objectifs de ce regroupement. La France est le seul pays d'Europe à connaître un audiovisuel aussi éparpillé avec pas moins de six sociétés de l'audiovisuel public.

Je ne reviendrai donc pas sur l'ensemble des raisons qui nous ont amenés à préconiser ce regroupement.

Je souhaite surtout aujourd'hui expliquer ce qu'on est en droit d'attendre de la création de cette holding et expliquer pourquoi l'argument selon lequel cette structure serait inutilement coûteuse m'apparaît inopérant.

Tout d'abord, permettez-moi de revenir à une question de base : à quoi servira la holding ?

La question n'est pas si simple en réalité. La mission de la société holding France Médias consistera moins à se substituer aux dirigeants des quatre filiales qu'à incarner les choix de l'actionnaire.

Car là est le principal paradoxe. Il n'y a pas dans cette majorité depuis trois ans de ministre de la communication de plein exercice. Ce manque d'attention pour un secteur qui représente la moitié des crédits du ministère de la Culture ne serait pas trop préjudiciable si l'administration de celui-ci était en mesure d'élaborer les priorités stratégiques du secteur de l'audiovisuel public, mais ce n'est pas véritablement le cas.

Bien entendu, le ministère assure un suivi régulier de l'activité de ces entreprises. Le contrôle d'État s'assure que la gestion est conforme aux objectifs. Mais l'administration n'a pas de compétence particulière dans la gestion des entreprises de médias dans un monde en profonde révolution. Dans les faits, le ministère se contente le plus souvent de valider les propositions des entreprises sans véritablement les interroger.

Et les exemples sont légion des décisions dont on peine à comprendre pourquoi elles ont été acceptées par l'actionnaire. Permettez-moi de vous en citer quelques-unes :

Pourquoi avoir autorisé FTV à développer une offre payante avec TF1 et M6 ? N'est-ce pas le propre du service public d'être gratuit ?

Pourquoi, par ailleurs, avoir développé une chaîne d'information en espagnol en Amérique latine alors que le pays le plus important de la région est lusophone ? Là encore c'est l'entreprise qui a eu le mérite de proposer un projet mais d'autres choix auraient été possibles.

Pourquoi également n'avoir pas imposé que la chaîne France Info s'appuie davantage sur France 24 pour bénéficier de son expertise reconnue ? Six ans après sa création, la chaîne France Info n'a toujours pas d'identité claire et végète à 0,7 % d'audience tandis que les journalistes de France 24 ne cessent d'intervenir sur les plateaux de LCI qui a triplé son audience en un an en pariant sur l'international.

Pourquoi, enfin, n'avoir pas imposé à Radio France d'investir le DAB+ il y a 10 ou 15 ans quand le groupe ne voulait pas en entendre parler ? Nous serions aujourd'hui bien plus avancés dans l'usage de cette technologie et le basculement de la FM au DAB+ serait beaucoup plus aisé au moment où il apparaît indispensable pour contrer les plateformes de musique en ligne et de podcasts...

À travers ces quelques exemples, il apparaît clairement que les tutelles publiques ne jouent pas véritablement leur rôle d'actionnaire, tout simplement parce qu'elles n'ont pas toutes les compétences pour le faire.

À ces errements de la tutelle s'ajoute un problème dans le choix du management des entreprises. Le mode de nomination des présidents des sociétés de l'audiovisuel public par l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, l'Arcom, comprend, en effet, un biais fâcheux. L'autorité n'étant pas en mesure de garantir l'anonymat des candidatures, seuls des candidats issus du secteur public ou des candidats du privé en recherche d'emploi peuvent se permettre de candidater. Depuis 10 ans, aucun candidat d'envergure en poste dans le secteur des médias privés n'a ainsi fait acte de candidature pour diriger France Télévisions, Radio France ou France Médias Monde.

Pour résumer, nous voyons bien que l'organisation actuelle ne permet pas de trouver une personnalité ayant l'expérience suffisante et la vision qui permettraient aux entreprises de l'audiovisuel public de se réinventer, de se réorganiser et de renouer avec une culture de l'offre offensive, innovante et originale.

La création de la holding doit donc permettre de répondre à trois objectifs complémentaires : recruter une personnalité avec une expérience et une vision au terme d'un processus de sélection rigoureux pour lui assurer une pleine légitimité ; confier à cette personnalité et à ses équipes le soin d'élaborer une stratégie qui sera approuvée par l'État actionnaire ; et mobiliser les moyens nécessaires à la mise en oeuvre de ce projet avec le concours des personnels.

J'en viens maintenant à la question du coût de la holding qui semble être l'argument principal des opposants au projet. Nul n'a été en mesure d'évaluer ce coût puisqu'aucune étude n'a été conduite comme nous l'a confirmé Delphine Ernotte. Or la présidente de France Télévisions a reconnu que ce coût ne serait pas le même si la structure était légère ou si elle devenait pléthorique pour se substituer aux directions existantes.

Le président Lafon a toujours exprimé sa préférence pour une structure souple et légère. Quel pourrait être le coût de cette structure d'une vingtaine de personnes composée de quelques directeurs et collaborateurs ? Je ne pense pas me tromper, compte tenu des grilles de rémunérations que j'ai pu consulter, en estimant qu'une telle structure pourrait coûter entre 3 millions et 4 millions d'euros par an à comparer aux 3,4 milliards d'euros de dotation publique qui sont attribués chaque année à FTV, Radio France, France Médias Monde et à l'Institut national de l'audiovisuel (INA).

On peut donc estimer que le coût de la holding pourrait représenter un millième de la dotation publique...

Mais allons plus loin pour estimer ce coût si vous le voulez bien.

Peut-être que ces 3 millions auraient permis à France Télévisions de ne pas perdre 80 millions d'euros dans Salto, un projet dont nous avons toujours dit ici au Sénat qu'il était un non-sens ? Peut-être que cette somme aurait permis d'éviter de dépenser des dizaines de millions d'euros chaque année pour la chaîne France Info pour seulement 0,7 % d'audience ? Peut-être également que la création de cette holding il y a déjà quelques années aurait permis de regrouper efficacement l'ensemble des équipes de France Bleu et de France 3 dans des locaux communs avec à la clé là encore des millions d'économies ? Je ne parle pas des dizaines de millions dépensés par France Télévisions dans sa stratégie numérique depuis 2018 sans résultats très probants...

Au final, les partisans du statu quo surestiment le coût de la holding - sans jamais le chiffrer - tandis qu'ils oublient d'évoquer les économies considérables qu'elle pourrait permettre de réaliser pour redéployer l'audiovisuel public vers ses nouvelles priorités.

L'audiovisuel public a en effet besoin de moyens nouveaux pour développer un portail numérique commun, pour créer de véritables chaînes régionales avec des productions locales plus nombreuses, pour innover dans le traitement des datas... À l'international, France Médias Monde souhaiterait aller plus loin pour développer des rédactions en ukrainien et en turc pour peser davantage sur les confins de notre continent en guerre.

Mais aucun de ces projets ambitieux ne pourra aboutir dans le cadre actuel avec des organisations qui passent plus de temps à s'empêcher mutuellement d'avancer qu'à essayer d'aller de l'avant.

Comme l'a indiqué le président de l'Arcom lors de son audition, je le cite : « face aux investissements nécessaires dans la technologie pour aller chercher les publics et du fait de la concurrence des talents, il est nécessaire de regrouper les forces et les énergies de l'audiovisuel public. » Roch-Olivier Maistre poursuivait en ajoutant que « si les entreprises de l'audiovisuel public sont livrées à elles-mêmes, les convergences s'effectueront avec lenteur, c'est pourquoi on ne peut se reposer sur la volonté des parties ».

La proposition de loi du président Lafon aurait pu se limiter à réformer l'audiovisuel public mais cela n'aurait pas été suffisant car, comme je l'ai indiqué, l'écosystème de la télévision et de la radio a besoin du public et du privé pour offrir une alternative attrayante aux plateformes.

C'est la raison pour laquelle la proposition de loi prévoit, en particulier, que l'ensemble des chaînes de la TNT puisse bénéficier de la visibilité appropriée accordée aux services d'intérêt général (SIG).

Cette disposition est fondamentale pour permettre aux chaînes de conserver un accès sur les télécommandes et sur les interfaces utilisateurs des télévisions connectées qui ont tendance à privilégier l'exposition des plateformes. Le soutien au développement de la norme HbbTV qui permet de développer l'interactivité de la TNT et les dispositions qui visent à encourager le développement du DAB+ participent du même esprit de défense de notre souveraineté audiovisuelle.

Je vous présenterai dans un instant une quinzaine d'amendements qui permettront d'ajuster certaines dispositions et de compléter la proposition de loi. C'est le cas notamment pour l'article 10 sur les événements sportifs d'importance majeure pour lequel je vous proposerai une nouvelle rédaction qui vise à réduire les asymétries qui pénalisent les acteurs français sans pour autant s'écarter du droit européen. C'est aussi le cas de l'amendement à l'article 12 qui doit permettre d'attirer de nouveaux investisseurs dans l'audiovisuel qui seront capables de financer des projets nouveaux.

Permettez-moi en conclusion de revenir sur l'esprit qui nous anime. Il y a urgence à agir pour accompagner le secteur de l'audiovisuel avant qu'il ne soit trop tard. Nous ne sommes pas les seuls à le penser puisque dans leur rapport les députés Jean-Jacques Gaultier et Quentin Bataillon défendent de nombreuses orientations similaires aux nôtres notamment à travers la création d'une holding.

Je saisis à cet égard l'occasion de cette présentation pour vous indiquer que je vous proposerai d'intégrer certaines propositions du rapport de la mission de l'Assemblée nationale dans la proposition de loi afin de bien affirmer la convergence de vues entre nos deux assemblées. Je pense, en particulier, au mode de nomination du président de la holding France Médias. Plusieurs personnalités auditionnées nous ont indiqué que la nomination par un décret en Conseil des ministres ne leur semblait pas nécessaire. Je souscris pleinement à cette analyse ! C'est pour cela que j'ai décidé de travailler à une rédaction qui permettra de conserver une nomination par l'Arcom sur proposition du conseil d'administration de la société. Je sais que ce sujet est important pour nombre d'entre vous et nous pourrons je l'espère avancer vers une rédaction qui recueillera un large assentiment lors du débat en séance publique.

Nous vivons un moment particulier au cours duquel une initiative parlementaire transpartisane réunissant des députés et des sénateurs de différents horizons pourrait permettre de faire aboutir un texte raisonnable, équilibré et considéré, par beaucoup, comme indispensable.

Je forme le voeu que nos débats nous permettront de montrer, au-delà de nos différences légitimes, notre même attachement à permettre au secteur de l'audiovisuel de répondre aux urgences qu'il doit affronter.

Je vous propose enfin que le périmètre de la proposition de loi porte sur : l'organisation, le financement et la gouvernance des sociétés de l'audiovisuel public ; les asymétries de réglementation entre les éditeurs de programmes et les plateformes numériques notamment concernant l'acquisition et l'exploitation des programmes sportifs et audiovisuels ainsi que les règles relatives à la publicité et au parrainage ; la mise en oeuvre d'une visibilité appropriée des éditeurs de programmes reconnus comme services d'intérêt général sur les interfaces utilisateurs, notamment ceux des récepteurs de télévision connectés à Internet et enfin le développement de normes de diffusion modernes pour la radio et la télévision permettant le recours à l'interactivité.

Il en est ainsi décidé.

M. David Assouline. - Notre rapporteur a insisté sur l'urgence. Mais si urgence il y a, elle n'est pas de réformer l'audiovisuel public ! Notre commission d'enquête sur la concentration des médias a mené un travail précis et minutieux et a bien explicité les enjeux. Notre paysage audiovisuel subit un bouleversement complet avec la révolution numérique. Pourtant, on continue à se référer à une loi caduque, celle de 1986. Celle-ci visait les concentrations horizontales, mais, à l'époque où elle a été votée, les plateformes numériques n'existaient pas, non plus que les concentrations verticales. Leur apparition a constitué une révolution. Les acteurs du numérique imposent désormais leur loi. Le législateur en est réduit à mettre des rustines pour tenter d'adapter les règles, mais à aucun moment on ne réfléchit à la manière de réaffirmer le principe de la liberté d'expression et de communication ni de réguler l'espace numérique. Celui-ci constitue pourtant un bien commun. Il en va de l'information, du respect de la liberté, de l'indépendance et du pluralisme des médias.

L'audiovisuel public s'est rarement mieux porté. Certes, il subit la concurrence étrangère, mais pas plus que les chaînes privées, comme TF1 ou M6, qui ont d'ailleurs cherché à se regrouper. L'urgence, c'est de revoir la loi de 1986. Telle était la conclusion de notre commission d'enquête. Je ne suis toutefois pas surpris, monsieur le rapporteur, de vous voir pointer du doigt aujourd'hui l'audiovisuel public. Lorsque, au sein de notre commission d'enquête, nous évoquions le danger que représentaient, pour le pluralisme, les concentrations des médias et l'extension du groupe Bolloré, vous disiez qu'il en allait de même dans l'audiovisuel public et dénonciez le gauchisme qui y prévalait selon vous. Vous voulez jeter l'audiovisuel public en pâture à l'opinion, dire que cela ne marche pas. Il me semble que la priorité est plutôt de faire en sorte qu'il ait les moyens de vivre. Celui-ci a été privé d'une ressource pérenne qui garantissait son indépendance. Vous semblez même dire qu'il dépense trop. J'espère que ne reprendrez pas la proposition des députés Jean-Jacques Gaultier et Quentin Bataillon de supprimer la publicité, y compris les parrainages d'émissions, sur les chaînes publiques entre 20 heures, le soir, et 6 heures, le matin. La suppression de la publicité dans le public ne répondait pas à un projet culturel : il s'agissait tout simplement de donner satisfaction aux médias privés qui espéraient récupérer le produit de cette manne publicitaire. Ils continuent aujourd'hui. Inutile donc de présenter cette mesure comme une mesure d'ordre culturel, elle est dictée par le souci de garantir les intérêts du privé !

J'en viens à la création d'une holding, qui constitue le coeur de cette proposition de loi. Or aucun professionnel ne prétend que l'audiovisuel public a besoin d'une telle structure. On parle souvent du millefeuille territorial : on crée sans cesse de nouvelles structures de gouvernance, sans supprimer les précédentes, et finalement les strates s'empilent. Il risque d'en aller de même avec l'audiovisuel public. La création d'une holding est présentée comme un effort de rationalisation, mais, comme aucun échelon n'est supprimé, il faut s'attendre à un alourdissement de la bureaucratie, sans rationalisation ni synergie. La création d'une holding au sein du groupe RTL a simplement entraîné la création de 50 postes supplémentaires, sans dégager d'économies. Au contraire l'audiovisuel public a su développer des synergies - entre France Bleu et France 3 par exemple -, mettre en place des partenariats dans le numérique, utiliser les nouvelles technologies, tout en respectant les spécificités de chaque métier : la radio, la gestion des archives, la télévision constituent en effet des univers différents. Il faut laisser à chaque secteur la souplesse nécessaire pour se développer. La holding n'est donc pas l'actualité. Plutôt que de vouloir rationaliser, et donc réduire encore les coûts, il importe de garantir des financements pérennes à l'audiovisuel public, car ces derniers se sont réduits. Le service public a fait des efforts considérables, les plans sociaux se sont enchainés. N'envoyons pas le message qu'il coûte trop cher. Ce secteur a besoin d'un message de confiance. Soulignons plutôt la qualité des programmes.

À l'heure où les concentrations dans le secteur se multiplient et font peser un risque sur la démocratie, où un milliardaire ne cesse d'étendre son empire dans les médias et répand son idéologie mortifère, vous décidez de légiférer sur l'audiovisuel public. Ce n'est pas notre choix !

Mme Monique de Marco. - Alors que notre commission d'enquête sur la concentration des médias a émis des recommandations intéressantes, vous préférez cibler l'audiovisuel public par un rapport à charge.

Nous ne pouvons pas être favorables à la création de cette holding. Il est difficile d'évaluer le coût de cette nouvelle strate. L'enveloppe financière du service public n'est pas extensible. Soit il s'agit d'un coût supplémentaire pour les finances publiques, auquel cas le texte serait passible de l'article 40 de la Constitution ; soit il s'agit d'une mutualisation des moyens humains, et nous ne pouvons pas la soutenir.

Ce texte est une attaque contre le service public. Alors que ce dernier a été fragilisé par la suppression de la redevance audiovisuelle, il est urgent désormais de le doter de financements pérennes. Le président de la holding serait nommé par l'Arcom, pour éviter le fait du prince - je note que vous avez retenu à cet égard les suggestions formulées lors des auditions. Pour le reste, nous soutenons plutôt les propositions de la ministre de la culture visant à développer les coopérations. Si l'objectif du texte est de faire en sorte que les différentes entités du groupe travaillent davantage ensemble, un renforcement du contrat d'objectif et de moyens serait plus efficace et permettrait d'accentuer les coopérations déjà engagées. En outre, comment cette holding pourra-t-elle garantir le respect des obligations en matière de diversité et d'innovation dans la création ? Il nous faudrait des assurances en la matière.

Cette holding n'est pas une simplification. La pertinence des rapprochements n'est pas démontrée. Ce texte pose de nombreuses questions. Il nous semble que la priorité est plutôt de doter le service public de moyens supplémentaires, notamment pour lutter contre les fausses informations.

M. Jérémy Bacchi. - Je ne reviens pas sur la nécessité de réviser la loi de 1986 et le cadre de diffusion des grands événements sportifs.

Le coeur du sujet est la création de la holding et la définition de sa mission. Je ne peux que saluer l'évolution du rapporteur sur la procédure de nomination de son président.

La question du coût de cette nouvelle structure n'est pas le principal problème. Nous sommes tous d'accord pour faciliter les synergies, mais il ne faudrait pas que celles-ci se transforment en rationalisation. Je rappelle que l'audiovisuel public a déjà subi de nombreuses suppressions de postes ces dernières années.

Ce texte renforce la centralité et la verticalité. Il comporte un angle mort : celui de la diversité et de la liberté de création. Comment la holding pourra-t-elle les garantir ? Il est à craindre aussi que la radio ne devienne le parent pauvre du service public dans la mesure où la répartition des crédits sera décidée par la holding et que cette dernière aura essentiellement comme objectif de concurrencer les grandes plateformes.

M. Bernard Fialaire. - À l'heure où les innovations techniques se multiplient, il est nécessaire de réviser la loi de 1986. Il convient en effet de renforcer la coordination pour renforcer l'efficacité du service public et assurer sa survie. Ce dernier a déjà fait des efforts - restructuration, réduction de personnels - qui ont portés leurs fruits, preuve que l'on peut à la fois rationaliser et être plus efficace.

La création de la holding vise-t-elle à accélérer les mutualisations ? Notre pays a besoin d'autorité, qu'elle soit fonctionnelle ou hiérarchique, car celle-ci est un gage de cohérence. Notre rapporteur a rappelé les nombreuses dépenses inutiles qui ont été réalisées faute de cohérence et de coordination.

L'information est un enjeu essentiel. L'audiovisuel public doit être indépendant, tout en respectant les grandes orientations définies par les pouvoirs démocratiquement élus. La suppression de la contribution à l'audiovisuel public a été une bonne chose. Quant à la suppression de la publicité après 20 heures, elle est cohérente avec la volonté de développer des programmes éducatifs et de faire en sorte que les enfants les regardent. Notre audiovisuel public devra être doté des moyens nécessaires à son fonctionnement.

M. Max Brisson. - Je tiens tout d'abord à remercier Laurent Lafon d'avoir déposé cette proposition de loi. La France est un curieux pays : alors que les mutations sont particulièrement fortes dans le secteur des médias, on s'arcboute sur une loi votée en 1986 ! Plus cela bouge, moins la loi n'évolue ! Étrange conservatisme, encore illustré par les propos des orateurs précédents...

La réforme de l'audiovisuel public est un serpent de mer qui a coûté cher à différents ministres. Cette proposition de loi vise à mettre le Gouvernement face à ses responsabilités. Le texte prévoit une holding. Le groupe Les Républicains fait preuve de constance dans ses propositions. Le rapport de nos collègues Jean-Pierre Leleux et André Gattolin évoquait déjà la création d'une holding. Roger Karoutchi et Jean-Raymond Hugonet envisageaient même une fusion des chaînes dans leur rapport sur le financement de l'audiovisuel public l'an dernier.

Les frontières entre les médias ne cessent de bouger. Les journalistes aujourd'hui sont souvent reporters d'image. Ils travaillent pour la presse écrite, la radio et la télévision - voilà au moins un « en même temps » qui marche ! Il est donc normal d'adapter la structure à cette flexibilité. L'auteur de la proposition de loi souhaite interpeller le Gouvernement sur les ressources et l'indépendance de l'audiovisuel public. Le Gouvernement doit trancher et assumer les conséquences de la décision du Président de la République, qui a promis, pendant la campagne électorale, de trouver une ressource pérenne garantissant l'indépendance du secteur public.

M. Pierre Ouzoulias. - Je voudrais insister sur la diversité des différents métiers. La radio est un métier spécifique. L'essor du numérique l'a profondément modifié. L'écoute de balados, ou podcast en anglais, est devenue courante. Les balados de France Culture et France Inter, par exemple, ont un grand succès. Il faut veiller à ce qu'une société faîtière, ou holding, n'aboutisse pas à la production de contenus totalement indifférenciés, susceptibles d'être diffusés à la télévision comme à la radio. Les journalistes radio sont inquiets pour la spécificité de leur métier.

Mme Catherine Morin-Desailly. - Il ne me semble pas, pour répondre à Monique de Marco, que notre rapporteur ait fait un réquisitoire à charge contre l'audiovisuel public. Il a plutôt souligné la défaillance des différents gouvernements pour réformer le cadre en vigueur pour l'audiovisuel, aussi bien public que privé, et pour réviser la loi de 1986 afin de l'adapter à l'ère du numérique. La loi de 2009 relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision est restée au milieu du gué : elle n'a pas clarifié le modèle économique et financier - elle n'a pas abordé la question de la redevance audiovisuelle et de sa modernisation - et elle n'est pas allée jusqu'au bout dans la refonte de la gouvernance et dans l'adaptation à la révolution numérique. C'est pourquoi d'ailleurs notre commission a publié un rapport sur le sujet en 2015.

Toutefois, en dépit d'une gouvernance déficiente et de la crise de la covid, la télévision publique produit des programmes d'une très grande qualité. Les sociétés ont réalisé des gains de productivité. L'échec de Salto s'explique en grande partie par la défaillance de la tutelle qui n'a pas su énoncer clairement l'ambition de créer une plateforme européenne pour concurrencer les grandes plateformes internationales. Notre commission a eu l'occasion plusieurs fois de regretter le décalage par rapport aux ambitions initiales et l'absence de débat au Parlement sur ce point. Mme Delphine Ernotte espérait d'ailleurs un rassemblement plus important de toutes les entreprises de l'audiovisuel autour de cette plateforme, dont le périmètre s'est finalement réduit à une peau de chagrin, autour de FTV, TF1 et M6. La tutelle a failli : il lui appartient de définir clairement une stratégie globale et offensive.

Il y a donc urgence à réviser la loi de 1986. L'échec de la fusion entre TF1 et M6 montre qu'il est temps de modifier nos règles de concurrence, qui sont en décalage avec les règles en vigueur ailleurs. Le secteur a aussi été victime de la concurrence des plateformes numériques, qui ont bénéficié des possibilités offertes par une régulation complaisante pour se développer de manière prédatrice et capter l'essentiel du marché. Il faut donc mieux armer notre audiovisuel, public comme privé, pour faire face à la concurrence des plateformes.

Cela implique également - ce qui n'est pas l'objet de la proposition de loi que nous examinons - de clarifier le modèle économique et d'assurer la pérennité de la ressource affectée à l'audiovisuel public. Aujourd'hui, rien n'est sûr dans ce domaine : le déficit de l'État est abyssal, les agences de notation nous pointent du doigt, et il faut tenir compte également des répercussions économiques de la guerre en Ukraine.

Je suis favorable, dans la ligne du rapport d'André Gattolin et Jean-Pierre Leleux, à une clarification totale du modèle pour libérer l'audiovisuel public des contraintes commerciales. Toutefois, il faut pour cela que la ressource publique soit entièrement garantie. Or nous en sommes loin.

Je rappelle également que le mécanisme de compensation de la suppression de la publicité après 20 heures voulue par le législateur en 2009 - soit l'affectation à France Télévisions de la taxe sur les services fournis par les opérateurs de communications électroniques, dite « Toce » ou « taxe Copé » - n'existe plus, ce qui a contribué à la fragilisation du modèle économique de l'audiovisuel public. Ces éléments de contexte sont importants. Pour mieux armer l'audiovisuel public, il y aura plusieurs sujets à traiter.

La holding est un outil stratégique pour conduire un projet permettant à la fois les mutualisations et une meilleure inscription dans la mutation numérique. L'État tutelle n'en devra pas moins énoncer un cahier des charges précis pour les entreprises de l'audiovisuel public. Je plaide pour une structure légère qui préserve l'identité des entreprises, car elles ont fait un travail remarquable. Je m'inquiète à ce titre des propositions qui sont faites dans le rapport Bataillon, notamment celle qui vise à démanteler tout le travail réalisé pendant plusieurs années afin de rassembler RFI et France 24. J'espère que nous y serons attentifs.

La holding, par le mode de nomination de son président, doit voir son indépendance assurée, moyennant l'octroi de ressources publiques. Toutefois, nous devons aussi pouvoir nous appuyer sur le travail effectué par les entreprises du secteur.

M. Julien Bargeton. - Nous partageons des objectifs communs, notamment la nécessité de toiletter la loi de 1986. Cependant, contrairement à ce qui a été dit, celle-ci a fait l'objet de nombreuses modifications législatives. Il reste néanmoins que le monde a changé, que le numérique est venu affecter l'audiovisuel, et que des sujets comme la concurrence, ou la concentration ont pris de l'importance.

Il faut donc réagir. Se pose alors la question des moyens. La proposition de constitution d'une holding avait déjà été présentée en 2020. Or le contexte de ce débat semble avoir changé en trois ans. En effet, les réticences aux mutualisations que nous avons pu observer semblent s'être apaisées. Plusieurs dirigeants de l'audiovisuel public ont ainsi signé récemment un texte pour souligner la nécessité de travailler ensemble. Les mutualisations sont en cours, comme le montre l'exemple de France Bleu et France 3. Une contrainte forte ne paraît plus autant nécessaire.

Par ailleurs, il ne faudrait pas que cette nouvelle strate, coûteuse, vienne déposséder à la fois l'État actionnaire et les sociétés qui la composeraient. C'est sur ce point que nous devons débattre.

Les enjeux sont multiples : l'audiovisuel public français est qualifié par certains de « média d'État ». Se pose également la question de la désinformation et du fact checking. Or ces sujets nécessitent une approche concrète et pragmatique.

Le rapport présenté ce matin en commission à l'Assemblée nationale souligne la nécessité de prendre tout d'abord connaissance du résultat des contrats d'objectifs et de moyens (COM) et de n'envisager la constitution d'une société faîtière qu'en cas d'échec de ces derniers. Pourquoi anticiper ainsi leur échec et imposer d'entrée de jeu une telle contrainte, qui n'apportera pas forcément plus que des coopérations interentreprises ?

À ce stade, le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants n'est pas favorable à cette proposition ni à d'autres dispositions du texte, notamment celles qui ont trait à la production indépendante et au DAB+.

Tout en souscrivant aux objectifs de cette proposition de loi, j'observe donc que le contexte a changé et qu'il convient d'en tenir compte. Des moyens plus pragmatiques et plus efficaces permettraient peut-être d'atteindre les objectifs fixés.

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. - Aucun changement n'est prévu pour la création. Le cahier des charges pris par décret s'imposera à la holding comme il s'impose déjà à ses futures filiales.

Par ailleurs, une évolution est nécessaire pour la radio, qui fait face également à une concurrence féroce. L'idée n'est certainement pas d'en faire le parent pauvre du système, mais de miser sur son agilité.

Enfin, la holding respecte l'identité des structures.

EXAMEN DES ARTICLES

Avant l'article 1er

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. - Je propose de déclarer l'amendement  COM-20 irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution sur la recevabilité des amendements.

L'amendement COM-20 est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. - L'amendement  COM-34 est satisfait par la création de la holding, qui aura pour mission principale de coordonner les actions de ses quatre filiales. Avis défavorable.

L'amendement COM-34 n'est pas adopté.

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. - L'amendement  COM-35 recrée une taxe affectée dont le montant serait proportionnel au revenu. Outre qu'il ne précise pas ses modalités d'application - sachant que des dispositions existent pour financer l'audiovisuel public par une fraction du produit de la TVA -, il n'apparaît pas opportun de créer une telle taxe dans le contexte économique actuel, afin de ne pas porter atteinte au pouvoir d'achat des Français. Je doute par ailleurs de la possibilité d'examiner une telle disposition en dehors du cadre d'une loi de finances. Avis défavorable.

L'amendement COM-35 n'est pas adopté.

Article 1er

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. - Les amendements identiques  COM-1 et COM-23 sont des amendements de suppression. Avis défavorable, ainsi, par coordination, qu'à tous les amendements de suppression des dispositions du chapitre 1er relatif au regroupement des quatre entreprises de l'audiovisuel public national.

M. David Assouline. - Hormis les amendements de suppression que nous avons déposés sur les articles du texte, nous avons réservé nos amendements propositionnels à la séance. Je préviens néanmoins le président qu'il ne faudrait pas commencer à copier l'Assemblée nationale en mettant trop souvent en avant les irrecevabilités au titre de l'article 40 et de l'article 45. Évitez de tuer l'initiative parlementaire en abusant de ces articles. Il s'agit d'une proposition de loi. De plus, il est possible de décider d'un mode de financement sans passer par une loi de finances. J'aimerais que nous défendions ensemble la démocratie parlementaire.

Mme Monique de Marco. - Je rejoins ces propos. Je précise par ailleurs, en réponse à Catherine Morin-Desailly, que c'est l'introduction du texte que j'ai jugée à charge, non le texte lui-même.

Les amendements identiques COM-1 et COM-23 ne sont pas adoptés.

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. - Les modifications apportées par l'amendement COM-36 visent à prévoir que l'Institut national de l'audiovisuel (INA) est également chargé de la conservation des programmes diffusés sur les services délinéarisés des sociétés nationales de programme, qu'il a également pour mission de mettre à disposition de ces sociétés les archives qu'il conserve, et qu'il est chargé de la conservation et de l'exploitation des archives de toute filiale de France Médias et de ses sociétés filles ayant une activité d'édition de services ou une activité de production de programmes.

L'amendement supprime par coordination la dernière phrase de l'alinéa 8 de l'article 1er et procède à la correction d'une erreur matérielle à l'alinéa 9.

L'amendement COM-36 est adopté.

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. - L'amendement  COM-37 concerne le rôle de l'INA en matière de formation continue des personnels de l'audiovisuel public.

L'amendement COM-37 est adopté.

L'article 1erest adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Après l'article 1er

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. - L'amendement COM-38 reprend la rédaction prévue pour l'article 46 de la loi du 30 septembre 1986 par le projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l'ère numérique afin de reconnaître dans la loi de 1986 TV5 Monde ainsi que ses missions spécifiques.

M. David Assouline. - Je suis surpris de voir que cet amendement n'est pas déclaré irrecevable alors que son objet n'est pas réalisable, le capital de TV5 Monde n'étant pas détenu à 100 % par l'État français. Nous ne pouvons prendre ainsi des décisions quant à son financement.

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. - Il s'agit uniquement du financement de la part française de la chaîne. Le périmètre de la proposition de loi inclut l'organisation, le financement et la gouvernance des sociétés de l'audiovisuel public. Or TV5 Monde fait partie de l'audiovisuel public français.

L'amendement COM-38 est adopté et devient article additionnel.

Article 2

Les amendements identiques de suppression  COM-2 et COM-24 ne sont pas adoptés.

L'article 2 est adopté sans modification.

Article 3

Les amendements identiques de suppression  COM-3 et COM-25 ne sont pas adoptés.

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. - L'amendement  COM-39 répond en partie aux propos de Catherine Morin-Desailly touchant l'importance de France Médias Monde, en soulignant la nécessité de nommer au sein du conseil d'administration de France Médias des personnalités possédant des compétences reconnues à l'international.

L'amendement COM-39 est adopté.

L'article 3 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 4

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. - Avis défavorable sur les amendements  COM-4 et COM-26.

Les amendements COM-4 et COM-26 ne sont pas adoptés.

L'article 4 est adopté sans modification.

Article 5

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. - Avis défavorable sur l'amendement  COM-5, par coordination avec les avis défavorables prononcés sur les amendements COM-1 et COM-23

L'amendement COM-5 n'est pas adopté.

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. - Concernant l'amendement  COM-27, il n'apparaît pas souhaitable de porter de cinq à huit ans la durée des contrats d'objectifs et de moyens, compte tenu des incertitudes qui entourent des prévisions de ressources réalisées sur une période dépassant la durée d'une législature. L'expérience a montré que les contrats d'objectifs et de moyens n'étaient pas respectés lorsqu'ils portaient sur une durée qui ne coïncidait pas avec les échéances démocratiques. Avis défavorable.

L'amendement COM-27 n'est pas adopté.

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. - J'en viens à l'amendement  COM-40 rectifié. Les recettes issues de la publicité et du parrainage prennent une place croissante dans les revenus de France Télévisions et de Radio France, notamment sur les supports digitaux, ce qui affaiblit la spécificité de l'offre de ces entreprises publiques et nuit aux entreprises du secteur privé gratuit dont elles constituent la seule et unique ressource.

Si la suppression de la publicité sur les antennes du service public doit demeurer un objectif à long terme, le plafonnement en valeur de ces recettes apparaît dans l'immédiat indispensable afin de mieux distinguer et préserver l'offre du service public.

Mme Catherine Morin-Desailly. - Je comprends l'objectif de clarification du mode de financement de l'audiovisuel public et privé. Notre commission plaide depuis longtemps pour une libération de l'audiovisuel public par rapport aux contraintes commerciales. Cependant, les conditions ne sont pas réunies pour mettre en oeuvre le système proposé. Il faut tenir compte en effet des conséquences de la suppression de la contribution à l'audiovisuel public - que le groupe Union Centriste aurait souhaité voir reporter d'un an, moyennant la réalisation d'une étude sérieuse sur le modèle économique de l'audiovisuel.

Quoiqu'étant hostile à la publicité, je peux comprendre qu'une forme de tolérance s'exerce actuellement compte tenu des circonstances et de la nécessité pour l'audiovisuel public de sécuriser des ressources. Le ministère de l'économie et des finances s'est privé d'une véritable réforme de la redevance - cela a pourtant été effectué dans d'autres pays, avec succès. En outre, l'affectation de la Toce à France Télévisions a été supprimée. En l'état, les conditions ne sont pas réunies pour libérer l'audiovisuel public de la publicité. Pourrions-nous avoir plus de précisions sur la stratégie que l'on compte mener à ce sujet ?

M. David Assouline. - Il me paraît important de réfléchir à cette question. Au moment où une déclaration conjointe de l'ensemble du secteur privé est publiée pour demander la suppression des parrainages sur France Télévisions, un amendement est déposé au Sénat sur ce point - amendement relativement modéré, par rapport aux dispositions présentées à l'Assemblée nationale. On accepte donc d'être instrumentalisés par un lobbying extérieur au champ parlementaire.

Sur le fond, même si je n'aime pas le commerce à la télévision, je suis paradoxalement favorable à l'ouverture de fenêtres de publicité pour permettre à l'audiovisuel public d'obtenir les droits de diffusion des grandes manifestations sportives. Il n'est pas acceptable en effet de voir les meilleurs matches de tennis programmés en soirée à Roland-Garros diffusés sur Amazon.

L'amendement COM-40 rectifié va dans le sens inverse de ce qu'il faudrait faire. La télévision trouve sa raison d'être dans la diffusion en direct - information en continu, événements sportifs. Or l'amendement vient affaiblir la possibilité, pour le service public, de diffuser du sport. Je propose d'avancer dans le sens inverse. Ce débat sera fondamental dans l'hémicycle.

Mme Céline Boulay-Espéronnier. - Même si je comprends l'objectif de cet amendement, je comprends aussi les interrogations qu'il suscite. L'instauration d'un plafond pour les recettes issues des parrainages entraînerait une perte financière comprise entre 130 et 150 millions d'euros pour France Télévisions. La question de la compensation se pose. Il sera important d'avoir ce débat dans l'hémicycle, d'autant que nous pouvons craindre une fragilisation de l'audiovisuel public au profit des plateformes de streaming et de Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft (Gafam).

M. Thomas Dossus. - Nous sommes opposés au modèle publicitaire dans sa globalité, mais il y a là une véritable hypocrisie. L'amendement vise à réserver les bénéfices issus de la publicité au secteur privé, sans prévoir aucune ressource pour le service public. Nous nous abstiendrons sur cet amendement.

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. - Il reviendra à la convention stratégique pluriannuelle conclue entre l'Etat et France Médias de fixer le montant de ce plafond. Un plafonnement s'applique déjà par ailleurs pour Radio France, que nous proposons d'appliquer également à France Télévisions par souci de cohérence. Enfin, il convient de s'en tenir au principe suivant : pour le service public, financement public ; pour le secteur privé, financement privé.

L'amendement COM-40 rectifié est adopté.

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. - L'amendement COM-41 vise à rappeler que la dotation publique accordée par la France à la société TV5 Monde est, tout comme pour les autres sociétés de l'audiovisuel public, constituée par une ressource publique de nature fiscale, pérenne, suffisante, prévisible et prenant en compte l'inflation.

L'amendement COM-41 est adopté.

L'article 5 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 6

Les amendements identiques de suppression COM-6 et COM-28 ne sont pas adoptés.

L'article 6 est adopté sans modification.

Article 7

Les amendements identiques de suppression COM-7 et COM-29 ne sont pas adoptés.

L'article 7 est adopté sans modification.

Article 8

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. - Avis défavorable sur les amendements identiques de suppression COM-8 et COM-30.

Les amendements identiques COM-8 et COM-30 ne sont pas adoptés.

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. - L'amendement  COM-42 vient corriger une erreur matérielle concernant l'intérim du président de France Médias.

L'amendement COM-42 est adopté.

L'article 8 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 9

Les amendements de suppression COM-9 et COM-31 ne sont pas adoptés.

Avant l'article 10

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. - L'amendement  COM-11 vise, non pas à corriger une asymétrie entre les éditeurs de programmes et les plateformes, mais à clarifier les rapports entre les chaînes et leurs distributeurs. En dépit de l'intérêt qu'il peut susciter, il n'entre pas dans le périmètre de l'article 45 et ne peut donc être considéré comme recevable.

L'amendement COM-11 est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. - L'amendement  COM-21 ne porte ni sur la gouvernance de l'audiovisuel public ni sur la réduction des asymétries entre les éditeurs de programmes et les plateformes ni sur la mise en oeuvre de la visibilité appropriée ni sur la modernisation des normes de diffusion hertziennes qui constituent les quatre composantes du périmètre de la proposition de loi. Il n'est donc pas recevable au titre de l'article 45 de la Constitution.

L'amendement COM-21 est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. - L'amendement  COM-22 ne semble pas non plus recevable au titre de l'article 45 de la Constitution.

L'amendement COM-22 est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.

Article 10

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. - L'amendement COM-43 vise à corriger certaines asymétries existantes entre les différents acteurs de la diffusion des compétitions et manifestations sportives et à garantir que l'ensemble des candidats attributaires de droits d'exploitation audiovisuelle de manifestations ou compétitions sportives, quels que soient leurs modes de commercialisation, soient soumis aux mêmes règles et obligations.

Il complète ainsi les dispositions des articles L. 333-1 et L. 333-2 du code du sport relatives à la commercialisation des droits d'exploitation audiovisuelle, afin d'y intégrer les conditions de respect des règles relatives à la retransmission des événements d'importance majeure ainsi que de celles qui encadrent la publicité et le parrainage audiovisuels.

Il reviendra à la fédération sportive, à l'organisateur de compétitions sportives, ainsi qu'à la ligue professionnelle ou à la société commerciale qu'elle a créée de s'assurer du respect de ces règles par les candidats attributaires de droits d'exploitation audiovisuelle.

L'amendement COM-43 est adopté. En conséquence, les amendements COM-32 et COM-19 deviennent sans objet.

L'article 10 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 11

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. - Certaines dispositions de l'amendement  COM-16 sont satisfaites par mes amendements COM-44 et COM-45.

Par ailleurs, il n'apparaît pas opportun de prévoir dans la loi que seuls les services gratuits peuvent entrer dans la catégorie des services d'intérêt général (SIG). En effet, les services de communication audiovisuelle privés se financent soit par la publicité soit par abonnement, et il n'y a pas de raison de considérer que la publicité répondrait davantage à des objectifs d'intérêt général que l'abonnement ni de défavoriser certains médias privés par rapport aux plateformes qui reposent sur un modèle d'abonnement. Avis défavorable.

L'amendement COM-16 n'est pas adopté.

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. - L'amendement  COM-44 vise à tenir compte du fait que certains groupes audiovisuels confient à une filiale le soin d'éditer leurs applications, ce qui pourrait les empêcher, compte tenu de la rédaction actuelle de l'alinéa 4, d'être reconnus comme service d'intérêt général.

L'amendement COM-44 est adopté.

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. - L'amendement  COM-45 tend à préciser les modalités de la mise en oeuvre de la visibilité appropriée, en prévoyant que le nombre d'actions à accomplir pour l'utilisateur pour accéder aux services et programmes d'intérêt général ne doit pas être supérieur de plus d'une action au nombre d'actions nécessaires pour accéder aux services et programmes les mieux exposés sur l'interface utilisateur.

Cette précision rédactionnelle vise à exposer le bouton de la télévision numérique terrestre (TNT) ou l'icône TNT au même niveau que les autres services proposés, et non chacun des programmes et services qui composent ces services d'intérêt général qui seront accessibles à travers une action supplémentaire.

L'amendement COM-45 est adopté.

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. - L'amendement  COM-46 vise à donner pour mission à l'Arcom d'assurer la visibilité appropriée des programmes et services de TV5 Monde sur les interfaces des distributeurs et sur les télévisions connectées.

L'amendement COM-46 est adopté.

L'article 11 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Après l'article 11

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. - Concernant l'amendement  COM-18, il apparaît effectivement pertinent de laisser plus de temps à l'Arcom pour réorganiser les modalités de diffusion hertzienne afin de favoriser le développement de la télévision à ultra-haute définition (UHD). Avis favorable.

L'amendement COM-18 est adopté et devient article additionnel.

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. - Je propose de déclarer l'amendement  COM-13 irrecevable au titre de l'article 45 de la Constitution. Le second paragraphe de cet amendement vise en effet à obliger les distributeurs à reprendre des chaînes comportant des décrochages régionaux. En dépit de l'utilité de cette disposition, force est de constater qu'elle ne rentre pas dans le périmètre de l'article 45 qui exclut les dispositions qui ne concernent que les chaînes et les distributeurs.

La situation du premier paragraphe de cet amendement est toutefois différente puisqu'il vise en particulier à exclure du « must carry » la reprise du signal des chaînes publiques par les plateformes. Cette disposition pourrait donc être reprise dans un amendement dans la perspective du débat en séance publique la semaine prochaine.

M. David Assouline. - Une étude juridique est en préparation, en prévision du débat en séance, sur tous les moments où le rapporteur évoque les irrecevabilités au titre de l'article 45. Je trouve cela scandaleux ! Le périmètre que vous avez évoqué initialement recouvre en réalité tous les sujets touchant à l'audiovisuel. Nous avons déjà légiféré sur l'audiovisuel par le passé. Tous les amendements devraient pouvoir être examinés en séance, en vertu d'une vision ouverte et bienveillante de la législation.

Je vous demande à tous, indépendamment des groupes auxquels vous appartenez, d'être vigilants sur ce point. Nous assistons à une dérive du parlementarisme en France, où le droit d'amendement comme le temps de parole n'ont cessé de se réduire depuis mon arrivée au Parlement en 2004. Or le droit d'amendement est le sang qui coule dans les veines des parlementaires. Je vous demande donc d'arrêter d'invoquer ainsi les irrecevabilités au titre de l'article 45.

Si elles sont évoquées en séance plénière, je leur opposerai des arguments juridiques visant à montrer qu'il s'agit d'une façon d'empêcher l'initiative parlementaire. Par le passé, traditionnellement, pour laisser de la place à l'initiative parlementaire, l'article 40 n'était jamais utilisé, et l'on invoquait modérément les irrecevabilités au titre de l'article 45.

Mme Catherine Morin-Desailly. - Je représenterai donc en séance la première partie de mon amendement.

Il serait sans doute plus facile pour les parlementaires de préparer leurs amendements en commission si le champ des textes était défini en amont. Une telle mesure serait profitable à tous, car nous perdrions moins de temps. Ce texte, étant une proposition et non un projet de loi, a certes vocation à être restreint et efficace. Néanmoins, nous pouvons améliorer notre méthode de travail.

L'amendement COM-13 est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution, de même que les amendements COM-14, COM-15 et COM-12.

Article 12

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. - La disposition contenue dans les amendements identiques COM-10 et COM-33 aurait pour conséquence de bloquer jusqu'en 2032 tout projet d'évolution de l'actionnariat de contrôle des chaînes de la TNT, ce qui occasionnerait leur affaiblissement par rapport aux plateformes. Avis défavorable.

M. David Assouline. - L'article 12 de la proposition de loi revient sur une disposition qui avait été votée au Sénat afin de lutter contre les reventes spéculatives de fréquences attribuées par la puissance publique - opération par laquelle Bolloré a construit son empire médiatique. L'idée était de rendre ces reventes impossibles en deçà d'un délai de cinq ans, au lieu du délai de deux ans appliqué précédemment. Tout le monde avait jugé scandaleuse à l'époque la spéculation sur les fréquences. Or, parce que le secteur privé l'a demandé, certains sénateurs se font le relais des spéculateurs, pour revenir sur la disposition adoptée. Vous proposez, en catimini et sans rappeler toute cette histoire, de revenir sur ce qui a été fait. Pourriez-vous nous dire pourquoi ?

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. - La disposition que vous citez ciblait à l'époque la vente, scandaleuse, de la chaîne Numéro 23, et non M. Bolloré. Nous assistons à présent à la vitrification totale du secteur, qui ne peut plus évoluer conformément à ses besoins. Vous pouvez interpréter la disposition contenue dans le texte comme vous le souhaitez, elle n'en est pas moins cohérente avec la situation actuelle et n'a rien à voir avec la spéculation.

Mme Catherine Morin-Desailly. - Ce sujet mérite d'être débattu dans l'hémicycle. Ce qui a scandalisé l'opinion, à l'époque, c'était de voir un affectataire de fréquences gratuites devenir multimillionnaire en deux ans, la fréquence de Numéro 23 ayant été vendue pour 98 millions d'euros. La question s'est posée de savoir comment prévenir ce genre de dérive grave touchant un bien public.

Si une dynamisation du secteur est certes nécessaire, il faut des règles claires pour empêcher que cela ne se reproduise. Mme Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication de l'époque, avait d'ailleurs soutenu les amendements déposés à ce sujet.

Les amendements COM-10 et COM-33 ne sont pas adoptés.

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. - L'amendement  COM-47 vise à autoriser l'Arcom à agréer une modification de contrôle d'une société détenant une autorisation TNT, sans contrainte de délai après délivrance de l'autorisation lorsque la modification du contrôle ne porte pas atteinte à l'impératif de pluralisme et à l'intérêt du public et lorsqu'elle n'a pas un objectif manifestement spéculatif.

L'amendement COM-47 est adopté.

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. - L'amendement  COM-48 tend à autoriser l'Arcom à modifier les conventions des chaînes en cours d'exécution afin de tenir compte de l'évolution rapide de leur écosystème. Cette souplesse apparaît indispensable pour préserver l'attractivité du média télévision face à la concurrence des plateformes.

L'amendement COM-48 est adopté.

L'article 12 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 13

L'article 13 est adopté sans modification.

Après l'article 13

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. - L'amendement  COM-49 reprend des dispositions qui figuraient à l'article 10 du projet de loi sur la communication audiovisuelle et la souveraineté culturelle afin d'autoriser une troisième coupure de publicité dans les films de plus de deux heures, ainsi que les informations sur les programmes dans les coupures de publicité.

M. David Assouline. - Quand on relie plusieurs points à l'aide d'un trait, cela forme une ligne. Cette proposition de loi vise à répondre aux exigences du secteur privé, et non à soutenir le secteur public. En l'occurrence, il serait possible d'introduire plus de publicité dans les films pour le secteur privé, non pour le service public. Vous voulez défaire l'exception culturelle française, que nous avions pourtant réussi à préserver, parce que le secteur privé vous le demande.

L'amendement COM-49 est adopté et devient article additionnel.

Article 14

L'article 14 est adopté sans modification.

Article(s) additionnel(s) avant l'article 15

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. - L'amendement  COM-17 vise à accompagner le développement de l'UHD en prévoyant les modalités de sa généralisation. Ces dispositions introduites par le Sénat dans le cadre de l'examen de la loi du 25 octobre 2021 avaient été censurées par le Conseil constitutionnel pour des raisons de procédure. Avis favorable.

L'amendement COM-17 est adopté et devient article additionnel.

Article 15

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. - L'amendement  COM-50 touche au DAB+.

M. David Assouline. - Le DAB+ est une technologie coûteuse, dont le développement nécessite la mobilisation de nombreuses aides publiques, notamment dans les radios associatives. Or la disposition contenue dans cet amendement risque de favoriser encore davantage les acteurs étrangers comme Amazon, et de mettre en danger le média radio. En effet, les distributeurs ne disposant plus que de douze mois pour ne vendre que des postes compatibles avec le DAB+, le nombre des auditeurs risque de diminuer faute d'appareil adapté. Il conviendrait, à l'image de la Belgique et de l'Angleterre, de ne pas imposer de contraintes brutales sur cette technologie. Je présenterai des propositions en séance sur ce sujet, afin de voir comment les pouvoirs publics peuvent investir davantage dans l'audiovisuel public.

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. - En réalité, l'amendement porte de 9 à 18 mois le délai imposé aux industriels pour ne plus proposer que des récepteurs compatibles avec le DAB+, tandis que les distributeurs disposeraient de 24 mois au lieu de 12 pour ne vendre que des postes compatibles avec la nouvelle norme de diffusion.

L'amendement COM-50 est adopté.

L'article 15 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Mme Catherine Morin-Desailly. - Nous voterons la proposition de loi et remercions son auteur d'avoir repris le travail laissé au milieu du gué par l'abandon du projet de loi sur l'audiovisuel, ainsi que le travail de fond mené par notre commission.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Proposition de loi relative à la réforme de l'audiovisuel public et à la souveraineté audiovisuelle

Chapitre Ier : Réforme de l'audiovisuel public

Article(s) additionnel(s) avant Article 1er

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Mme de MARCO

20

Prise en compte de la protection de l'environnement et de la sobriété énergétique dans le droit régissant les entreprises publiques et privées de l'audiovisuel

Irrecevable art. 45, al. 1 C (cavalier)

Mme de MARCO

34

Obligation pour les entreprises de l'audiovisuel public de coopérer

Rejeté

Mme de MARCO

35

Création d'une taxe progressive sur le revenu
pour financer l'audiovisuel public

Rejeté

Article 1er

M. ASSOULINE

1

Suppression de l'article

Rejeté

Mme de MARCO

23

Suppression de l'article

Rejeté

M. HUGONET, rapporteur

36

Précision relative à la transformation de l'INA
en société anonyme

Adopté

M. HUGONET, rapporteur

37

Compétence de l'INA pour assurer la formation continue des personnels de l'audiovisuel public

Adopté

Article(s) additionnel(s) après Article 1er

M. HUGONET, rapporteur

38

Inscription de la société TV5 Monde
dans la loi du 30 septembre 1986

Adopté

Article 2

M. ASSOULINE

2

Suppression de l'article

Rejeté

Mme de MARCO

24

Suppression de l'article

Rejeté

Article 3

M. ASSOULINE

3

Suppression de l'article

Rejeté

Mme de MARCO

25

Suppression de l'article

Rejeté

M. HUGONET, rapporteur

39

Désignation au sein du conseil d'administration
de France Médias d'au moins une personnalité bénéficiant d'une expérience reconnue à l'international

Adopté

Article 4

M. ASSOULINE

4

Suppression de l'article

Rejeté

Mme de MARCO

26

Suppression de l'article

Rejeté

Article 5

M. ASSOULINE

5

Suppression de l'article

Rejeté

Mme de MARCO

27

Maintien des contrats d'objectifs et de moyens actuels

Rejeté

M. HUGONET, rapporteur

40 rect.

Inscription dans la convention stratégique pluriannuelle de France Médias d'un plafond de recettes publicitaires et de parrainage, y compris digital pour les sociétés France Télévisions, Radio France et France Médias Monde

Adopté

M. HUGONET, rapporteur

41

Attribution à la société TV5 Monde d'une dotation publique de même nature que pour les autres sociétés de l'audiovisuel public

Adopté

Article 6

M. ASSOULINE

6

Suppression de l'article

Rejeté

Mme de MARCO

28

Suppression de l'article

Rejeté

Article 7

M. ASSOULINE

7

Suppression de l'article

Rejeté

Mme de MARCO

29

Suppression de l'article

Rejeté

Article 8

M. ASSOULINE

8

Suppression de l'article

Rejeté

Mme de MARCO

30

Suppression de l'article

Rejeté

M. HUGONET, rapporteur

42

Correction d'une erreur matérielle

Adopté

Article 9

M. ASSOULINE

9

Suppression de l'article

Rejeté

Mme de MARCO

31

Suppression de l'article

Rejeté

Chapitre II : Préservation de notre souveraineté audiovisuelle

Article(s) additionnel(s) avant Article 10

Mme MORIN-DESAILLY

11

Accès des éditeurs aux données d'usage de leurs programmes dans les environnements de distribution tiers, sous le contrôle du régulateur

Irrecevable art. 45, al. 1 C (cavalier)

Mme de MARCO

21

Publication par l'Arcom d'une base de données précisant la composition du capital des titres de presse et des services de communication audiovisuelle et l'identité des membres de leurs organes dirigeants

Irrecevable art. 45, al. 1 C (cavalier)

Mme de MARCO

22

Obligation faite aux candidats à l'affectation d'une fréquence hertzienne de télévision de prévoir un droit de veto des journalistes dans la nomination de leur directeur de la rédaction ; un droit d'agrément permettant à la rédaction d'agréer le nouvel acquéreur, ou, à défaut, de proposer un acquéreur alternatif ; une meilleure transparence sur les actionnaires

Irrecevable art. 45, al. 1 C (cavalier)

Article 10

M. HUGONET, rapporteur

43

Nouvelle rédaction de l'article afin de soumettre l'ensemble des candidats attributaires de droits d'exploitation audiovisuelle de compétitions sportives aux mêmes règles et obligations

Adopté

Mme de MARCO

32

Événements sportifs d'importance majeure

Satisfait ou sans objet

M. FIALAIRE

19

Suppression d'une disposition visant à interdire l'attribution de la totalité des droits d'une compétition sportive à des candidats extérieurs
à l'Union européenne

Satisfait ou sans objet

Article 11

Mme MORIN-DESAILLY

16

Précision apportée à la définition des services d'intérêt général et à la mise en oeuvre de la visibilité appropriée

Rejeté

M. HUGONET, rapporteur

44

Prise en compte des services de communication audiovisuelle des chaînes de la TNT dans le périmètre des services d'intérêt général

Adopté

M. HUGONET, rapporteur

45

Précision que l'utilisateur d'un service ou programme d'une chaîne de la TNT ne doit pas avoir à effectuer plus d'une action que le nombre d'actions nécessaires pour accéder aux services et programmes les mieux exposés sur l'interface utilisateur

Adopté

M. HUGONET, rapporteur

46

Prise en compte du caractère francophone des programmes dans l'ordre d'affichage des services
et des programmes d'intérêt général

Adopté

Article(s) additionnel(s) après Article 11

Mme MORIN-DESAILLY

18

Prolongation des autorisations à diffuser
des programmes en UHD sur la TNT

Adopté

Mme MORIN-DESAILLY

13

Obligation faite aux distributeurs de reprendre des chaînes comportant des décrochages locaux

Irrecevable art. 45, al. 1 C (cavalier)

Mme MORIN-DESAILLY

14

Accès par défaut sur le canal 3 de la TNT à la chaîne France 3 correspondant à son bassin de vie (décrochages régionaux et locaux compris)

Irrecevable art. 45, al. 1 C (cavalier)

Mme MORIN-DESAILLY

15

Obligation du maintien d'une prise TNT sur les box des FAI et de la mise à disposition d'un paramétrage par défaut pour que le FAI privilégie la TNT plutôt que les flux IPTV

Irrecevable art. 45, al. 1 C (cavalier)

Mme MORIN-DESAILLY

12

Obligation aux distributeurs de faire droit aux demandes des éditeurs d'accéder aux données relatives à la consommation de leurs programmes - sans préjudice du RGPD et du code des postes et des communications électroniques

Irrecevable art. 45, al. 1 C (cavalier)

Article 12

M. ASSOULINE

10

Suppression de l'article

Rejeté

Mme de MARCO

33

Suppression de l'article

Rejeté

M. HUGONET, rapporteur

47

Possibilité pour l'Arcom d'autoriser une modification du contrôle sans contrainte de délai lorsque celle-ci ne porte pas atteinte à l'impératif de pluralisme et à l'intérêt du public et qu'elle n'a pas un objectif manifestement spéculatif

Adopté

M. HUGONET, rapporteur

48

Possibilité pour l'Arcom de modifier l'autorisation accordée à un éditeur de programmes justifié
par un motif d'intérêt général

Adopté

Article(s) additionnel(s) après Article 13

M. HUGONET, rapporteur

49

Autorisation d'une troisième coupure publicitaire pour les films de plus de deux heures

Adopté

Article(s) additionnel(s) avant Article 15

Mme MORIN-DESAILLY

17

Généralisation de l'UHD sur les nouveaux récepteurs
de télévision

Adopté

Article 15

M. HUGONET, rapporteur

50

Accroissement des délais avant l'obligation de compatibilité de l'ensemble des récepteurs de radio
avec la norme DAB+

Adopté

Proposition de loi visant à renforcer la protection des mineurs et l'honorabilité dans le sport - Examen du rapport et du texte de la commission

M. Laurent Lafon, président. - Nous poursuivons cette matinée par l'examen du rapport de notre collègue Jean-Jacques Lozach sur la proposition de loi visant à renforcer la protection des mineurs et l'honorabilité dans le sport, déposée par notre collègue Sebastien Pla, que je salue, et les membres du groupe socialiste.

Je vous rappelle que l'examen de ce texte en séance publique est programmé jeudi prochain, le 15 juin, en second point de l'ordre du jour de l'espace réservé au groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Le sport est longtemps resté le parent pauvre de la protection des mineurs. Plus que dans d'autres secteurs, il y a régné une omerta au nom de la sacralisation de l'entraîneur et de la performance. Il existe certes une obligation d'honorabilité pour les éducateurs sportifs. Toutefois, pendant plusieurs années, seuls les éducateurs professionnels ont fait l'objet d'un contrôle systématique et annuel. Pour les éducateurs bénévoles, celui-ci n'avait lieu qu'à l'occasion d'un contrôle effectué sur place par les services déconcentrés du ministère des sports.

Les bénévoles sont pourtant un rouage essentiel de la pratique sportive : on compte en effet 2 millions d'éducateurs sportifs bénévoles pour environ 250 000 éducateurs professionnels. Autrement dit, environ 90 % des éducateurs sportifs sont des bénévoles.

Cela signifie également que l'honorabilité de 90 % des éducateurs sportifs était jusqu'alors peu contrôlée. La mission d'information sur les violences sexuelles sur mineurs en institutions, demandée par le groupe socialiste en 2018 dans le cadre de son droit de tirage avait dressé un constat sévère : le contrôle d'honorabilité des bénévoles sportifs est « un dispositif aléatoire et insuffisant qui présente des failles exploitables par les auteurs de violences sexuelles ».

Des avancées significatives ont cependant eu lieu depuis 2020. Les révélations concernant les violences sexuelles subies par la patineuse Sarah Abitbol associées à la libération de la parole dans le cadre du mouvement #MeToo ont constitué l'électrochoc dont le secteur sportif avait besoin. C'est également à cette époque que la cellule ministérielle de signalement de faits de violences ou de violences sexuelles a été mise en place. En l'espace de trois ans, cette cellule a recueilli plus de 900 signalements, conduisant à 424 interdictions d'exercer. Le 5 juin, la fédération française de voile a signalé qu'elle faisait un signalement à cette cellule en raison de gestes inappropriés de l'un de ses skippers. Cette cellule ministérielle ne rassemble actuellement que trois personnes, mais voyez son efficacité !

Le cadre législatif a évolué, à l'initiative de notre commission : en 2021, à l'occasion de l'examen du projet de loi confortant le respect des principes de la République, nous avons introduit l'obligation pour les clubs, au moment de la prise de licence, de recueillir l'identité complète de toute personne susceptible d'exercer une fonction d'éducateur sportif ou d'intervenir auprès des mineurs. C'est le préalable indispensable à la mise en place d'un contrôle automatisé de leur honorabilité. L'examen de la proposition de loi de notre collègue Sebastien Pla, membre de la commission des affaires économiques, est l'occasion de faire un bilan de l'application de cette disposition législative.

Après des débuts compliqués, les premiers résultats sont encourageants : on est passé d'une quasi-absence de contrôle des bénévoles en août 2021, date d'entrée en vigueur du dispositif, à 500 000 contrôles effectués fin 2022 et 1 million en mai 2023. En l'espace de quelques mois, la moitié des bénévoles ont vu leur honorabilité vérifiée. Cela a permis de notifier 130 incapacités d'exercer. Si vous me permettez cette expression, 130 bénévoles ont été « contrôlés positifs » sur leur honorabilité et écartés des clubs.

Les clubs et les fédérations sont des acteurs essentiels de ce dispositif de contrôle : à partir des informations recueillies par les clubs, le référent honorabilité de chaque fédération dépose la liste des personnes devant faire l'objet d'un contrôle sur une plateforme dédiée du ministère des sports.

La mise en place de ce système automatisé de contrôle ne s'est pas faite sans difficulté. Les fédérations ont rencontré des difficultés techniques ou des problèmes de compatibilité de fichiers. Certaines fédérations ont d'ailleurs nommé comme référent honorabilité la personne chargée des systèmes informatiques. En effet, les principales difficultés étaient d'ordre technique, et des compétences informatiques étaient nécessaires pour les résoudre. Des différences séparent sur ce point les fédérations en fonction de leurs moyens humains et financiers.

Le second problème réside dans l'absence de correspondance entre certains noms transmis et les bases consultées. Ces personnes apparaissent comme n'ayant « aucune identité applicable » (AIA). Il peut s'agir d'erreurs de saisie, de non-respect des règles typographiques - je pense aux accents et aux tirets -, ou encore des codes Insee des communes de naissance non reconnues. Lorsque ces anomalies apparaissent, les fédérations doivent d'abord identifier la ligne erronée dans leur fichier, puis contacter le club, qui se rapproche alors de la personne concernée pour vérifier les informations. Ce travail est chronophage. Ce sont parfois plusieurs milliers de noms qui ne sont pas identifiables et nécessitent des recherches par les fédérations et les clubs. C'est aujourd'hui le principal point de difficulté. Le contrôle d'honorabilité reste donc perfectible.

Dans les faits, la saison sportive 2022-2023 a été la première saison d'application de ce nouveau dispositif. Je pense que, d'ici quelques saisons sportives, ce contrôle deviendra routinier.

Nous avons auditionné la direction de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative (DJEPVA) qui gère les accueils collectifs de mineurs. - centres de loisirs, centres d'hébergement, colonies de vacances, etc. Il y existe un contrôle automatisé des intervenants depuis onze ans. Il m'a été indiqué qu'il s'écoulait à peine 24 heures entre la déclaration par le directeur de centre, sur la plateforme dédiée, de l'identité de l'animateur et la transmission d'une alerte en cas de problème d'incapacité. Le contrôle est donc extrêmement rapide et efficace.

Parce que nous avons peu l'habitude au sein de notre commission d'évoquer la procédure pénale, voici quelques éclaircissements nécessaires à la compréhension du texte. Le contrôle porte sur le casier judiciaire. Il existe trois bulletins dans le casier judiciaire. Le bulletin n° 1 recense l'intégralité des condamnations pénales. Il est réservé à l'usage exclusif des autorités judiciaires et pénitentiaires. Le bulletin n° 2 est principalement réservé à l'administration pour le contrôle des incapacités d'accès à certains emplois publics ou l'accès à certaines activités professionnelles. Il recense la plupart des condamnations d'une personne, à l'exception des décisions prises à l'encontre des mineurs, des contraventions, des condamnations assorties d'une dispense de peine, ou encore des condamnations avec sursis lorsque le délai de mise à l'épreuve est passé sans nouvelle condamnation. Enfin, le bulletin n° 3 recense les condamnations les plus lourdes. C'est l'extrait du casier judiciaire que nous connaissons. Chacun de nous peut demander le sien auprès du ministère de la justice. Il est parfois demandé par certains employeurs directement à leurs futurs employés avant l'embauche. Enfin, le fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (Fijais) recense les personnes majeures ou mineures condamnées pour certaines infractions sexuelles ou violentes. Ce fichier a pour vocation de prévenir la récidive, les personnes inscrites devant indiquer leur adresse à intervalles réguliers.

Ces précisions apportées, j'en viens à l'objectif de ce texte. Je salue l'initiative de notre collègue Sebastien Pla qui vise à renforcer la protection des mineurs dans le milieu sportif. C'est un objectif que nous partageons au sein de notre commission. Il s'agit de compléter en quelque sorte la loi d'août 2021. La proposition de loi prévoit notamment un contrôle d'honorabilité systématique à la fois au regard du bulletin n° 2 du casier judiciaire et du Fijais. Il est en effet essentiel de consulter ces deux fichiers qui sont complémentaires.

En revanche, je m'interroge sur l'opportunité de l'obligation imposée aux présidents de club de demander le bulletin n° 3 du casier judiciaire à leur futur éducateur, y compris bénévole, avant sa prise de fonction. Je comprends l'idée sous-jacente de notre collègue : en raison de l'impossibilité pour l'État de vérifier l'honorabilité de l'ensemble des éducateurs, une vérification du bulletin n° 3 serait de nature à garantir, club par club, l'absence d'incapacité à exercer.

Cependant, il me semble important que le contrôle de l'honorabilité demeure une prérogative de l'État. Un contrôle du bulletin n° 3 par les dirigeants de club pourrait être perçu comme un transfert de responsabilité. Par ailleurs, tant les fédérations que le ministère nous ont alertés sur un risque d'alourdissement des charges pesant sur les présidents de club dans un contexte de crise du bénévolat - ces derniers ayant vu le nombre de licenciés diminuer de 15 % par rapport à l'année 2019. Enfin, le bulletin n° 3 n'est pas exhaustif. Il ne comprend que les condamnations les plus graves. Un dirigeant de club pourrait, de bonne foi, à la consultation de l'extrait judiciaire transmis par l'éducateur sportif, penser que celui-ci remplit les conditions d'honorabilité sans que cela soit juridiquement le cas. Comment expliquer alors aux sportifs et aux parents que, après vérification, les services du ministère des sports se sont aperçus que l'éducateur présent depuis des mois dans le club et dont le président de club avait garanti en début de saison l'honorabilité n'était, en fait, pas honorable ?

En outre, avec le déploiement progressif du système automatisé de contrôle, dans peu de temps, l'ensemble des éducateurs sportifs seront contrôlés chaque année au regard du Fijais et du bulletin n° 2. C'est la raison pour laquelle je vous proposerai de supprimer l'obligation de contrôle du bulletin n° 3 du casier judiciaire par les responsables des clubs.

Je reviendrai dans quelques instants plus en détail sur les deux amendements que je vous propose. Ils visent trois objectifs.

Le premier objectif est d'introduire dans le champ sportif le renforcement du contrôle d'honorabilité dont a bénéficié le secteur social et médico-social par la loi Taquet en 2022. L'une des mesures importantes prévoit qu'une inscription d'une condamnation au Fijais maintient l'incapacité d'exercer, même si la condamnation a disparu du bulletin n° 2 de la personne.

Le deuxième objectif est de mettre en place pour les dirigeants de club l'obligation de signaler au préfet des comportements au sein de leurs clubs présentant un danger pour la sécurité ou la santé morale et physique des sportifs. Je pense notamment aux agissements déviants d'un éducateur sportif. Jusqu'à présent, cette obligation de signalement ne s'appliquait qu'en direction du parquet, donc du procureur de la République.

Enfin, le troisième objectif est de sanctionner administrativement par une interdiction d'exercer les dirigeants sportifs peu enclins à lutter contre les violences commises sur les sportifs.

Je conclurai en indiquant avoir senti, lors des auditions, les fédérations et les services du ministère favorables à un renforcement du contrôle de l'honorabilité. Les amendements que je vais vous proposer répondent d'ailleurs à plusieurs de leurs préoccupations. À titre d'exemple, le Comité national pour renforcer l'éthique et la vie démocratique dans le sport, mis en place par la ministre il y a quelques mois, comporte parmi les orientations inscrites dans sa lettre de mission la protection des pratiquants et des pratiquantes du sport. Ce comité est coprésidé par Marie-George Buffet et Stéphane Diagana.

M. Laurent Lafon, président. - Avant d'ouvrir la discussion générale, j'invite notre rapporteur à définir le périmètre retenu pour l'application de l'article 45 de la Constitution.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Le périmètre de l'article 45 pourrait comprendre les mesures relatives à la protection des mineurs et à la lutte contre les violences et les violences sexuelles dans la pratique sportive.

Il en est ainsi décidé.

M. Sebastien Pla, auteur de la proposition de loi. - Tout d'abord, je tiens à vous remercier de cette invitation qui me permet de présenter devant votre commission l'esprit de la proposition de loi que je porte, en collaboration avec Sarah Abitbol, les nombreuses associations de victimes et certaines fédérations sportives dont la fédération française de tennis (FFT), concernant la lutte contre les violences sexuelles dans le sport.

Face à l'ampleur du phénomène des violences sexuelles sur les mineurs dans le sport, nous plaidons pour que la honte change de camp par le renforcement de la loi sur la protection des mineurs et l'honorabilité dans le sport.

Les chiffres sont alarmants. D'après la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise), près de 160 000 enfants sont victimes de violences sexuelles chaque année, en France. Une autre étude démontre que près d'un enfant sur cinq est victime de violences sexuelles en Europe. Cela concerne des attouchements sexuels, des viols, du harcèlement et des agressions. Le monde du sport n'échappe pas, hélas, à ce phénomène. Dans les faits, on estime qu'un enfant sur sept est victime de violence. Un sportif sur dix assure par ailleurs avoir été victime d'agression sexuelle durant sa carrière.

Le sport fournit un terreau favorable à l'apparition de ces violences et engendre des situations à risques. Je pense aux vestiaires, aux douches, aux covoiturages, aux déplacements, aux stages, et au fait que le genre masculin prédomine et peut conduire à des abus de position dominante. Il s'agit en outre d'un milieu où les incidents sont facilement étouffés et où l'omerta prédomine, comme la presse vient encore de le révéler récemment.

Depuis la sortie du livre-témoignage de Sarah Abitbol, Un si long silence, en 2020, l'omerta a été brisée, et de nombreuses voix s'élèvent pour dénoncer des agressions sexuelles et des viols subis dans le cadre sportif - comme celles de la joueuse de tennis Isabelle Demongeot et du rugbyman Sébastien Boueilh. Toutes les fédérations sont touchées.

Nous appelons ainsi, avec des associations de protection de l'enfance, des sportifs et des personnalités engagées, à des actes forts pour muscler le cadre légal de la pratique sportive des mineurs, rassurer les parents et lever les soupçons qui pourraient planer sur les clubs.

La pratique d'un sport est fondamentale pour l'épanouissement des enfants, c'est l'école des valeurs de la vie et du vivre-ensemble et un puissant vecteur d'égalité. Les pratiques sportives doivent donc être sanctuarisées et le sport éthique érigé en valeur cardinale. La question des violences sexuelles fait l'objet d'un long travail dans lequel le Sénat a toujours été à l'avant-garde. Il mérite donc d'être poursuivi.

En 2019, la mission commune d'information sénatoriale sur les politiques publiques de prévention, de détection, d'organisation des signalements et de répression des infractions sexuelles susceptibles d'être commises par des personnes en contact avec des mineurs dans le cadre de l'exercice de leur métier ou de leurs fonctions, conduite par nos collègues Catherine Deroche, Michelle Meunier, Marie Mercier et Dominique Vérien, appelait à un renforcement du contrôle de l'honorabilité des adultes en contact avec les enfants, en appliquant partout les « standards les plus hauts ».

En 2021, la loi confortant le respect des principes de la République a introduit un contrat d'engagement républicain pour les associations, ce qui a conforté l'obligation d'honorabilité dans le milieu sportif.

En l'état actuel des choses, le contrôle de l'État consiste en l'interrogation du bulletin n° 2 du casier judiciaire national, du Fijais, mais aussi de la base des cadres interdits qui recense les personnes faisant l'objet d'une mesure de suspension. À ces fins, un système d'information automatisé du contrôle d'honorabilité des éducateurs sportifs et des exploitants d'établissement d'activités physiques et sportives (EAPS) bénévoles disposant d'une licence sportive a été mis en place.

Cependant, comment s'assurer que l'ensemble des intervenants auprès des mineurs en milieu sportif - bénévoles, administratifs, parents accompagnateurs - n'ont fait l'objet d'aucune condamnation pour des faits d'agression sexuelle ? Bien que la loi prévoit cette obligation d'honorabilité, force est de constater qu'il demeure des situations où des adultes sont placés au contact des enfants sans avoir fait preuve de leur honorabilité. Ils ne sont donc pas contrôlés.

J'ai aussi constaté, dans mes échanges avec les clubs sportifs, un réel manque d'appropriation de la charte d'honorabilité au sein des clubs. Nombre de présidents de clubs, voire de ligues avaient une connaissance très partielle du phénomène, ou même n'y étaient pas sensibilisés. Les moyens de prévention mis à disposition - la formation, par exemple - manquent donc d'efficacité. Le travail engagé par le ministère des sports mérite d'être souligné. Il a permis de faire progresser le débat, il encourage la libération de la parole des victimes, mais gardons à l'esprit que les dispositifs en vigueur sont encore perfectibles. C'est pourquoi nous devons continuer à faire oeuvre utile, de manière transpartisane, afin de poursuivre ce long chemin pour défendre l'intégrité de ce que nous avons de plus précieux : nos enfants.

Ce texte prévoit d'agir plus en amont, pour couper l'herbe sous le pied des prédateurs. Un pas supplémentaire est fait avec l'inversion de la charge de la preuve par l'instauration d'un double contrôle d'honorabilité a priori de l'ensemble des bénévoles et des salariés - un nouvel outil sera mis à disposition des présidents de club et des fédérations avec l'appui des services de l'État.

Notre objectif ultime est de faire en sorte que plus aucun intervenant en milieu sportif placé au contact des mineurs n'ait fait l'objet d'une inscription contraire au contact des enfants, ou d'une condamnation qu'il aurait omis de déclarer.

Il faut que les adultes se responsabilisent, car, selon la cellule ministérielle qui recense les violences sexuelles dans le sport, depuis fin 2021, sur 2 millions d'éducateurs à contrôler, un peu moins de la moitié l'ont été, et le résultat est sans appel. En effet, 900 affaires ont été signalées à la cellule, affaires dans lesquelles 84 % des victimes sont des mineurs. Il a été prononcé 130 incapacités d'exercer, dont 55 concernent des présidents-entraîneurs. En parallèle, 424 interdictions d'exercer ont été prises via la cellule de signalement. Soit 1 400 affaires en deux ans de contrôle.

Mais le dispositif connaît quelques failles. Des éducateurs sous le coup d'une interdiction d'exercice ont obtenu l'effacement de leur casier B2 par le procureur. Cela a d'ailleurs généré des contentieux avec leur fédération. Je remercie le rapporteur des propositions faites pour combler ces failles.

Face à ce constat, la ministre des sports, Amélie Oudéa-Castéra, pleinement engagée dans cette cause, a d'ores et déjà annoncé vouloir poursuivre l'effort en doublant, dans le prochain projet de loi de finances, les effectifs dédiés du ministère pour assurer le contrôle d'honorabilité. C'est un pas de plus, que je tiens à saluer.

Mais ne nous voilons pas la face : pour assurer la lutte contre les violences, il faut des moyens, et le ministère des sports ne pourra tout assumer seul. Il est aussi nécessaire que les fédérations et les clubs s'engagent plus fortement. Nous ne parviendrons à relever ce challenge qu'en jouant en équipe !

Même si j'ai pleinement conscience des craintes que ce texte peut susciter dans les clubs et associations sportives qui sont confrontés à l'érosion du bénévolat, gardons tout de même à l'esprit que l'esprit de la loi est avant tout d'éloigner tout prédateur sexuel du monde sportif. Je sais pouvoir compter sur vous, sur la sagesse du Sénat, pour enrichir par le débat et faire prospérer ce texte.

Alors que la France va tenir dans les jours qui viennent les assises du sport, qu'elle accueillera la coupe du monde de rugby à l'automne et les jeux Olympiques en 2024, accompagnons le ministère des sports et apportons une pierre supplémentaire à cet imposant édifice de la lutte pour la prévention des violences sexuelles sur mineurs.

Pour conclure, je voudrais remercier le rapporteur et vous toutes et tous de m'avoir permis de m'exprimer au sein de votre commission et de l'intérêt que vous portez à la question des violences sur les mineurs dans le milieu sportif.

M. Pierre-Antoine Levi. - Merci à l'auteur de la proposition de loi qui vise à lutter contre les violences sexuelles. Ce texte est le bienvenu, car ces actes aux conséquences dévastatrices persistent. Il est essentiel d'améliorer la législation existante pour intensifier ce combat. Le sport est un élément fondamental de l'épanouissement des jeunes, mais certains individus profitent de leur proximité avec les jeunes athlètes pour commettre des actes inqualifiables.

En tant que législateur, il est de notre devoir de prendre des mesures fermes pour éradiquer ce fléau. Le contrôle exercé par les clubs sportifs est souvent malheureusement insuffisant. Il est donc primordial que l'État joue un rôle actif dans le processus de contrôle en mettant en place des protocoles clairs pour s'assurer de l'honorabilité des adultes intervenant auprès des mineurs dans le sport.

Les statistiques sont alarmantes : plus de 15 % des adultes déclarent avoir subi des violences sexuelles pendant leur enfance. Ces violences engendrent des troubles psychologiques graves qui rendent difficile la libération de la parole. Les témoignages courageux de personnalités comme Andréa Bescond ou Sarah Abitbol, qui a participé à l'élaboration de cette proposition de loi, ont permis de sensibiliser le grand public à cette réalité insoutenable. Nous ne pouvons pas rester les bras croisés.

La proposition de loi initiale comprenait des dispositions assez compliquées, que le rapporteur souhaite corriger par ses amendements. Un vote du texte en l'état aurait mis à mal le bénévolat dans les clubs. Les améliorations apportées par le rapporteur permettront à la proposition de loi de poursuivre son chemin au Sénat et à l'Assemblée nationale.

Le groupe centriste votera favorablement le texte.

Mme Sabine Van Heghe. - Je salue l'auteur de la proposition de loi, notre collègue Sebastien Pla. Il a travaillé avec Sarah Abitbol qui, en 2020, a dénoncé les viols dont elle a été victime de la part de son entraîneur, brisant le silence et l'omerta sur les violences sexuelles dans le sport.

On le sait, 84 % des victimes sont des mineurs ; 906 enquêtes sont en cours et la majorité des fédérations sont concernées. Nous avons progressé sur la question avec la charte d'honorabilité mise en place en 2021. Actuellement est effectué un contrôle annuel a posteriori. Notons qu'il n'y a pas assez d'agents assermentés pour examiner tous les clubs.

La proposition de loi de notre groupe entend donc entourer de garanties supplémentaires le recrutement des personnels enseignant, animant et encadrant des activités physiques et sportives en améliorant le contrôle d'honorabilité. L'objectif du texte est de contribuer au renforcement de l'éthique dans le sport en faisant en sorte qu'aucun encadrant sportif ne passe au travers des mailles du filet. Les contrôles ne sont pas assez systématiques ou sont incomplets.

Je salue l'excellent travail du rapporteur Jean-Jacques Lozach qui, en réécrivant par un amendement l'article unique, consolide le cadre juridique de la proposition de loi et renforce le contrôle de l'honorabilité des éducateurs sportifs professionnels ou bénévoles. Les modalités de ce contrôle sont alignées sur celle des personnes intervenant auprès de publics fragiles. Autre disposition bienvenue de son amendement : l'explicitation de l'incapacité d'exercer en raison d'une condamnation par une juridiction étrangère. Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera donc cet amendement du rapporteur.

Nous sommes également favorables à l'article additionnel après l'article unique qui prévoit la création d'une mesure administrative et d'une sanction pénale pour les dirigeants dont le comportement est contraire à la démarche éthique recherchée.

Notre groupe votera cette proposition de loi améliorée et consolidée juridiquement par les amendements du rapporteur.

M. Michel Savin. - Je veux tout d'abord remercier l'auteur et le rapporteur de la proposition de loi pour leur présentation. Le sujet des violences sexuelles dans le sport a été plusieurs fois abordé au sein de cette commission. Dès 2018, le Sénat avait fait des propositions concrètes visant à renforcer la protection des mineurs, avec un volet relatif au milieu sportif.

Aujourd'hui, la proposition de loi que nous examinons a pour objectif de renforcer le dispositif de contrôle de l'honorabilité des adultes intervenant auprès des mineurs au sein des établissements dans lesquels sont pratiquées des activités physiques ou sportives. Elle ne modifie pas l'esprit de la loi ; elle apporte deux moyens supplémentaires pour mieux l'appliquer.

Aux termes de l'article L. 212-9 du code du sport, « nul ne peut enseigner, animer ou encadrer une activité physique ou sportive auprès de mineurs s'il fait l'objet d'une mesure administrative d'interdiction de participer, à quelque titre que ce soit, à la direction et à l'encadrement d'institutions et d'organismes soumis aux dispositions législatives ou réglementaires relatives à la protection des mineurs accueillis en centre de vacances et de loisirs, ainsi que de groupements de jeunesse ou s'il fait l'objet d'une mesure administrative de suspension de ces mêmes fonctions ».

La proposition de loi vient compléter cet article avec deux alinéas.

Le premier précise que toute personne qui peut enseigner, animer ou encadrer une activité physique sportive auprès des mineurs devra faire l'objet d'un contrôle d'honorabilité réalisé par les services de l'État. Les clubs comprennent des animateurs bénévoles licenciés, et des animateurs, entraîneurs ou encadrants bénévoles non licenciés. Revient-il au club de faire ces déclarations ?

Je m'interroge : toute personne qui souhaite bénévolement enseigner, animer ou encadrer devra-t-elle être obligatoirement licenciée d'une fédération ? Cela permettrait un contrôle automatisé par les fédérations. Les dirigeants de club bénévoles, qui sont de moins en moins nombreux et qui ont déjà des tâches très importantes, n'auraient plus à s'en occuper.

Le second alinéa concerne les responsables des établissements d'activités sportives, qui devront vérifier le bulletin n° 3 du casier judiciaire. Pourquoi cette disposition concerne-t-elle uniquement les responsables bénévoles, et non les services de l'État ? On donne une responsabilité supplémentaire aux présidents souvent bénévoles des clubs, alors qu'il devrait revenir à l'État de contrôler l'honorabilité des encadrants des enfants.

Les préfets sont très frileux à prendre des mesures d'interdiction au regard des risques d'insécurité juridique. Ne reportons pas cette responsabilité sur les dirigeants de club qui peuvent se voir demain attaqués par des parents !

Enfin, faire peser de nouvelles obligations sur les clubs alors que le contrat d'engagement républicain n'est pas encore bien appréhendé par tous, peut faire fuir davantage encore les dirigeants bénévoles...

Nous serons très attentifs aux amendements de notre rapporteur, même si nous partageons évidemment l'objectif poursuivi avec ce texte.

Mme Céline Brulin. - Merci à l'auteur de la proposition de loi et au rapporteur Jean-Jacques Lozach pour leur présentation. Il faut continuer à travailler pour mettre fin aux violences sexuelles, particulièrement dans le sport, qui doit être un lieu d'épanouissement dans lequel l'ensemble des pratiquants, notamment les plus jeunes, doivent être protégés. Il a fallu que des affaires créent un électrochoc pour que de premières mesures voient le jour. L'édifice est à parfaire : c'est en ce sens que cette proposition de loi est la bienvenue.

Les modifications apportées par le rapporteur sont très opportunes pour sécuriser et améliorer le dispositif initialement proposé. Le système d'information automatisé qui prend modèle sur celui qui s'applique aux personnes travaillant auprès des publics fragiles est pertinent. La responsabilité du contrôle doit peser sur les services de l'État. Les clubs, les fédérations et les ligues ont un rôle à jouer, mais plutôt en faisant de la formation et de la prévention.

Si j'ai bien compris, le signalement se ferait également auprès du préfet, et non plus seulement auprès du parquet. J'ai des doutes sur le rôle que pourrait jouer le préfet : vu le nombre de tâches qui lui incombe, il n'est pas certain que son intervention puisse être véritablement utile.

Enfin, je me dis que le terme d'« honorabilité » n'est peut-être pas le plus approprié. Les mots « probité » ou « intégrité » seraient plus parlants, l'honorabilité pouvant recouvrer l'idée d'un jugement de valeur.

M. Bernard Fialaire. - Je voudrais féliciter le rapporteur et l'auteur de la proposition de loi, Sebastien Pla.

Je reviendrai sur la question de la licence qui peut être exigée des éducateurs. Une licence, c'est aussi une assurance, et je ne conçois pas qu'on puisse être éducateur et participer à la vie d'un club sans en bénéficier.

Dans la charte qui doit être diffusée auprès des éducateurs, il faut évoquer le harcèlement moral. En effet, des entraîneurs et des éducateurs mettent la pression sur les enfants, et ont des comportements, notamment lors des compositions d'équipe, s'apparentant à des brimades, lesquelles peuvent être traumatisantes.

M. Thomas Dossus. - Merci à l'auteur et au rapporteur d'avoir présenté cette proposition de loi. La libération de la parole est parfois très difficile, le silence qui règne étant alors vécu comme une violence supplémentaire par les victimes. En parler, c'est déjà faire preuve d'utilité publique. Le sport n'est pas exempt de ces violences, notamment en raison du contexte d'emprise des entraîneurs et des coachs sur les enfants.

Il est indispensable de faire voter cette proposition de loi. Mais il faut aussi mener un travail de formation de l'ensemble de la chaîne des fédérations et des encadrants pour mettre la parole des enfants au-dessus d'un corporatisme qui peut faire peser une chape de plomb et de silence sur les dérives de certains entraîneurs. Un accompagnement financier doit être prévu. D'ailleurs, lors du projet de loi de finances pour 2023, nous avions adopté un de mes amendements qui permettait d'accompagner la formation contre les violences sexuelles dans le sport - cet amendement n'a malheureusement pas été conservé dans la suite de la navette.

Je veux citer l'exemple du club de football de Lyon : La Duchère qui a mis en place une cellule d'accompagnement psychologique : celle-ci a permis de libérer la parole des enfants pour dénoncer des violences, y compris exercées dans un cadre extrasportif - je pense notamment aux violences intrafamiliales.

Nous voterons cette proposition de loi dans sa version remaniée par le rapporteur. Nous avons néanmoins quelques réserves, que nous évoquerons en séance.

Mme Annick Billon. - Je m'associe aux félicitations adressées à notre collègue Sebastien Pla pour l'écriture de cette proposition de loi et à Jean-Jacques Lozach pour son rapport. La protection des mineurs contre les violences sexuelles dans le milieu du sport a fait l'objet de nombreuses actualités depuis plusieurs années. On doit tout mettre en oeuvre pour lutter contre ce phénomène. Des moyens nous sont proposés aujourd'hui, et je m'en réjouis.

Michel Savin a parlé de la responsabilité, qui doit être partagée. Nous avions voté deux propositions de loi pour favoriser l'engagement associatif : la responsabilité des dirigeants était l'un des sujets qui avaient été abordés, car il fallait éviter de faire peser toute la responsabilité sur eux.

Je voudrais évoquer la formation. Les violences sexuelles existaient avant ces affaires médiatisées. Désormais, on en parle, ce qui est une bonne chose, et nous essayons de trouver des solutions. Il faut former les bénévoles, les dirigeants et tous ceux qui sont en contact avec les enfants, et cela ne peut être laissé à la charge de chaque fédération. Les choses ne doivent pas se faire au petit bonheur la chance !

Il est aussi important de mettre l'État face à ses responsabilités. En tant que présidente de la délégation aux droits des femmes, je regrette que l'éducation à la sexualité soit dispensée dans moins de 10 % des établissements scolaires. Nous devons nous inspirer de ce qui existe dans d'autres pays. Il est urgent d'avoir une véritable éducation au corps dès le primaire, sinon nous n'arriverons pas à enrayer les violences sexuelles et sexistes. Les enfants doivent apprendre à reconnaître ce type d'agression.

Enfin, je veux évoquer le recueil de la parole. Un enfant est sous la pression de l'adulte. Vous avez évoqué l'inversion de la charge de la preuve, qui fait écho avec la loi que j'avais portée sur le seuil de non-consentement. Comment créer un cadre qui permette le même recueil de la parole partout - dans tous les départements, toutes les fédérations et toutes les associations ?

Quand les instances dans le domaine du sport seront davantage paritaires, les victimes pourront plus facilement trouver la bonne personne pour parler. Car, on le sait, dans le cadre de violences sexuelles et sexistes, il est parfois plus facile pour une femme de parler à une femme, par exemple.

Les prédateurs essayent toujours de trouver les moyens d'arriver à leurs fins, en passant d'un département à un autre, et en réussissant à faire retirer des peines de leur casier judiciaire. J'espère que ce texte permettra de protéger plus d'enfants.

Mme Alexandra Borchio Fontimp. - À mon tour, je remercie le rapporteur pour son travail, et je salue l'auteur de la proposition de loi. Ce sujet ne peut plus être mis sous le tapis ; en parler, c'est déjà sensibiliser.

On ne peut qu'observer avec tristesse que 610 affaires ont été enregistrées depuis 2020, que 84 % des victimes sont des mineurs et qu'un sportif sur dix a subi des violences. Bien sûr, il faut renforcer les contrôles des adultes qui travaillent avec des mineurs au sein des structures sportives. C'est déjà le cas d'ailleurs des titulaires de la carte professionnelle : je pense notamment au brevet professionnel de la jeunesse, de l'éducation populaire et du sport (BPJEPS) et au brevet d'État. Il en va également d'autres activités qui s'exercent auprès des mineurs : enseignants de l'éducation nationale, animateurs titulaires du brevet d'aptitude aux fonctions d'animateur (Bafa).

Je souhaitais évoquer le contrôle du casier judiciaire, qui devrait être effectué par l'État et non par le président d'une association sportive. Un président de club n'a pas à connaître le casier judiciaire d'un intervenant, surtout si ses condamnations n'ont rien à voir avec l'activité exercée. Cela lui rajouterait une responsabilité supplémentaire en cas de litige. Le bulletin n° 3 n'est pas totalement exhaustif, comme l'a rappelé le rapporteur.

Nous attendons la suite de l'examen du texte, au travers de la discussion et du vote des amendements, pour décider de notre position.

M. Jacques Grosperrin. - Je voudrais à mon tour remercier l'auteur et le rapporteur de la proposition de loi. Nous condamnons tous les violences sexuelles dans le sport - le judo que je pratique n'échappe pas à ce phénomène. Il ne faut pas oublier qu'il y a aussi des violences morales et physiques.

On ne peut qu'être d'accord avec l'objectif de la proposition de loi de mieux protéger les mineurs. Des dispositifs existent déjà : ne sont-ils pas suffisants ? Je doute de l'impact du texte. J'ai le sentiment que l'on judiciarise encore plus la vie en société et que l'on complexifie le travail des clubs, des associations, des fédérations... Pourquoi prévoir des dispositions seulement pour le sport ? On pourrait très bien faire une proposition de loi pour le milieu de la musique, pour celui du théâtre, de la danse... Bref, toute activité où un adulte est en contact avec des enfants.

Un autre point d'entrée me semble plus efficace pour limiter « les trous dans la raquette ». Il s'agirait de mettre en place un pilier supplémentaire dans le socle commun de compétences pour enseigner à tous les enfants de 3 à 16 ans que leur corps leur appartient et que de tels comportements ne sont pas acceptables. Une inscription au socle commun de compétences signifie une évaluation lors du brevet. Plutôt que d'agir par la loi, il faut faire les choses par l'intermédiaire des enfants, dont la parole sera libérée.

En matière de harcèlement, les choses changent grâce aux ambassadeurs. Des ambassadeurs pourraient aussi être créés au sein des clubs sportifs.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Tout le monde est d'accord sur le constat. La situation est en train d'évoluer dans le bon sens. Le tournant a été pris très récemment, depuis trois ou quatre ans, à la suite d'affaires qui ont défrayé la chronique - Catherine Moyon de Baecque, Sarah Abitbol, Isabelle Demongeot, etc. - et qui ne concernent pas seulement des mineurs - Catherine Moyon de Baecque étant une sportive majeure.

Cette proposition de loi est l'occasion de rappeler notre conception de l'éthique du sport et de mettre en avant les bonnes pratiques de certaines fédérations, qui n'ont pas attendu des textes de loi pour agir. Ainsi, la Fédération française de gymnastique a introduit dans ses statuts l'interdiction pour un entraîneur d'héberger un sportif chez lui - on le sait, c'est très souvent dans ce cadre que les dérives interviennent.

Ce texte est aussi l'occasion de rappeler certaines réformes engagées par l'État. Roxana Maracineanu s'est emparée à bras-le-corps de la problématique de la violence, et pas seulement de la violence sexuelle dans le sport. On constate une continuité entre l'action de l'ancienne ministre des sports et la ministre actuelle. Ainsi, vingt équivalents temps plein (ETP) ont été créés dans le budget pour 2023 dans les délégations régionales académiques à la jeunesse, à l'engagement et au sport (Drajes), c'est-à-dire dans les services déconcentrés de l'État, pour s'occuper de cette problématique. Lors de son audition, la ministre des sports s'est engagée à créer de nouveau vingt équivalents temps plein dans les Drajes pour poursuivre l'action engagée.

Sur un sujet aussi grave, il faut parler vrai. Une ancienne ministre disait en 2017 qu'il n'y avait pas d'omerta dans le sport... C'est vraiment le contraire du parler vrai ! L'État a un rôle d'exemplarité à jouer.

M. Savin et Mme Billon ont évoqué l'acceptabilité par le mouvement sportif. On ne peut pas réformer le sport sans un minimum de contribution du mouvement sportif. Au centre du dispositif, il y a le club, et j'ai tout à fait conscience qu'il ne faut pas trop charger la barque des présidents de clubs. C'est la raison pour laquelle le texte prévoit un double mouvement, à la fois, d'allégement et de responsabilisation.

D'un côté, l'allégement des obligations du dirigeant d'établissement. Le club serait chargé de transmettre le fichier à la fédération, qui le dépose sur la plateforme créée par le ministère permettant un croisement des fichiers. Le contrôle à strictement parler continue de relever de la fonction régalienne de l'État.

De l'autre, la responsabilisation du président de club, qui doit assumer pleinement son rôle. Quand il constate des comportements mettant en danger les sportifs, il a l'obligation de transmettre un signalement au parquet et, ajout de ce texte, à l'autorité administrative, c'est-à-dire au préfet, lequel peut agir très rapidement, par exemple par une mesure d'éloignement de la personne incriminée.

Cette proposition de loi répond aussi à une lacune. La loi d'août 2021 ne prévoyait pas de clause de revoyure. Nous avions largement débattu du contrat d'engagement républicain. Mais il faut un suivi très régulier de l'application de cette loi, dont l'impact sur le milieu associatif est fort.

J'en viens à la terminologie - probité, honorabilité, intégrité -, sur laquelle nous ne nous sommes pas interrogés. Il y a peut-être effectivement matière à modification.

Nous partageons l'idée de faire davantage de sensibilisation et de formation. En la matière, un certain nombre d'associations joue un rôle important. L'association Colosse aux pieds d'argile, présidée par un rugbyman victime de violences sexuelles quand il était mineur, compte 40 permanents qui accompagnent les victimes et font de la prévention et la sensibilisation dans les clubs, les écoles, etc. Je veux aussi citer l'association de Sarah Abitbol.

Le texte concerne les bénévoles ; les professionnels sont soumis à un contrôle d'honorabilité tous les ans, la profession étant réglementée depuis les années 1990.

M. Michel Savin. - Vous avez précisé que les présidents devaient envoyer les fichiers aux fédérations. Les bénévoles non licenciés sont-ils concernés ?

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Le relevé d'identité se fait avant la délivrance de la licence. Le respect de l'honorabilité concerne tous les intervenants auprès de mineurs.

EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE

Article unique

L'amendement COM-2 est adopté. En conséquence, l'amendement COM-1 devient sans objet.

L'article unique est ainsi rédigé.

Après l'article unique

L'amendement COM-3 est adopté et devient article additionnel.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Proposition de loi visant à renforcer la protection des mineurs et l'honorabilité dans le sport

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article unique

M. LOZACH, rapporteur

2

Renforcement des modalités de contrôle de l'honorabilité des éducateurs sportifs et des personnes intervenant auprès de mineurs

Adopté

Mme Nathalie DELATTRE

1

Contrôle du B3 par les dirigeants de club

Satisfait ou sans objet

Article(s) additionnel(s) après Article unique

M. LOZACH, rapporteur

3

Obligation de signalement pour les dirigeants de club à l'autorité administrative en cas de comportements à risque et création d'une mesure administrative d'interdiction de diriger un club sportif

Adopté

Proposition de loi visant à assurer la pérennité des établissements de spectacles cinématographiques et l'accès au cinéma dans les outre-mer - Examen du rapport et du texte de la commission

M. Laurent Lafon, président. - Nous poursuivons nos travaux par l'examen du rapport de notre collègue Sylvie Robert sur la proposition de loi visant à assurer la pérennité des établissements de spectacles cinématographiques et l'accès au cinéma dans les outre-mer, déposée par Catherine Conconne.

Je vous rappelle que l'examen de ce texte en séance publique est programmé jeudi prochain, le 15 juin, à 10 h 30, en premier point de l'ordre du jour de l'espace réservé au groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Mme Sylvie Robert, rapporteure. - Cette proposition de loi poursuit, comme son titre l'indique, un objectif louable et pleinement légitime de pérennisation de l'exploitation cinématographique en outre-mer.

Pour autant, elle illustre un sujet qui nous est familier, celui de la nécessaire adaptation de notre droit aux spécificités ultramarines, qui sont nombreuses et méritent toute notre attention. Au travers de la question du prix de la place de cinéma, c'est notre capacité à agir pour l'égalité réelle et les droits culturels qui est testée.

J'essaierai de résumer simplement l'objet de l'article unique de la proposition de loi dont je suis rapporteure, mais également signataire.

Il y a deux semaines, nos collègues Céline Boulay-Espéronnier, Sonia de La Provôté et Jérémy Bacchi ont présenté un rapport complet sur la filière cinématographique. Il traduisait une vision pleine d'espoir du secteur, et traçait des perspectives dans lesquelles nous pouvons nous inscrire.

Dans ce rapport, le mécanisme de répartition du prix du billet est exposé de manière précise. Deux taxes sont appliquées : la TVA, au taux de 5,5 % ; la taxe sur le prix des entrées, la fameuse taxe spéciale additionnelle (TSA), au taux de 10,72 %. Le reste constitue ce que l'on appelle la « base film ». Elle fait l'objet d'une répartition entre, d'un côté, l'exploitant de la salle et, de l'autre, le distributeur, chargé de distribuer les oeuvres dans les différentes salles, mais aussi de rétribuer toute la chaîne de la création : producteurs, ayants droit, etc.

Le code du cinéma et de l'image animée fixe des bornes à cette répartition. Ainsi, la part du distributeur, ou taux de location, est obligatoirement comprise entre 25 % et 50 % de la base film. Symétriquement, celle de l'exploitant est comprise entre 50 % et 75 %. En réalité, le taux de location évolue en fonction du film et de la semaine de projection. Il est en moyenne de 47,1 %.

Les cinémas ultramarins obéissent cependant à des règles différentes.

Tout d'abord, la fiscalité y est plus avantageuse. Le taux de TVA n'est que de 2,1 %, contre 5,5 % pour la métropole. Pour des raisons historiques que j'ai développées dans le rapport, le taux de la taxe sur les billets y est limité à 5 %, contre 10,72 % en métropole. Ainsi, la base film est plus importante, car moins frappée par la fiscalité, d'autant plus que le prix du billet est plus élevé : 7,83 euros en moyenne, contre 7,3 euros en métropole.

Ensuite, le taux de location des films n'est pas de 47,1 %, mais limité à 35 %, là encore pour des raisons historiques. En effet, pendant très longtemps, les distributeurs n'ont pas exercé directement leur activité en outre-mer, mais ont délégué cette fonction à des sous-distributeurs locaux, en général liés aux exploitants. Ces derniers prélevaient ainsi la moitié du taux de location, soit 17,5 % environ, une même part de 17,5 % revenant au distributeur.

La base film est donc plus élevée en outre-mer qu'en métropole en raison de la fiscalité et d'un prix du billet plus élevé. En revanche, les distributeurs ne percevaient in fine que 17,5 % de la base film, contre près de 50 % en métropole.

Cette situation dérogatoire paraît justifiée, tant les charges qui pèsent sur les établissements ultramarins sont importantes : normes antisismiques, sécurité, coût de construction.

Cependant, à partir de 2022, les parties prenantes ont acté que ce mécanisme de délégation avait atteint ses limites. Les distributeurs ont souhaité reprendre directement la main sur l'outre-mer. Le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) a mené à l'automne dernier une campagne de médiation pour trouver une solution qui ne mettrait pas en péril l'exploitation cinématographique en outre-mer.

Hélas, cette médiation a échoué, et les distributeurs ont fait part de leur volonté d'appliquer en outre-mer un même taux de location, proche de 50 %. Notons au passage que cela les conduirait à passer d'un taux de 17,5 % à un taux supérieur de près de trente points, qui s'appliquerait à une base film plus élevée.

La présente proposition de loi vise à modifier le code du cinéma pour fixer un taux maximal de location à 35 % en outre-mer, contre 50 % en métropole, pour permettre la poursuite de l'exploitation. Sous des abords techniques, la question est en réalité simple. Faute d'accord entre les distributeurs et les exploitants, nous sommes contraints de passer par un vecteur législatif pour amener un peu d'équilibre dans des relations qui menacent de conduire à une véritable hémorragie de l'exploitation cinématographique en outre-mer.

La position que je vous propose me semble équilibrée. Les distributeurs capteraient maintenant directement l'intégralité du taux de location, ce qui constituerait une nette amélioration. Quant aux exploitants, ils pourraient continuer à exercer leur profession et offrir à nos compatriotes d'outre-mer ce grand loisir populaire qu'est le cinéma.

Il existe cependant un risque, que je ne peux vous cacher : celui d'une volonté des distributeurs de moins diffuser les oeuvres en outre-mer. J'ai pu m'en entretenir avec eux et, si je comprends leur position, en réalité largement de principe, je déplore fortement que les négociations menées à l'automne n'aient pas abouti sur des bases qui auraient pu être différentes, et dont le cinéma serait sorti vainqueur.

Il est important de réaffirmer clairement notre attachement aux droits culturels partout sur le territoire, et ce mécanisme en fait partie. Je formule le souhait que la proposition de loi permette d'instaurer les conditions d'un dialogue plus apaisé entre les parties.

Je vous invite donc à adopter tel quel l'article unique de la proposition de loi.

Concernant le périmètre de l'article 45 de la Constitution, je vous propose de considérer que ce périmètre inclut les dispositions visant à encadrer le taux de location dans les cinémas d'outre-mer.

Il en est ainsi décidé.

M. Pierre-Antoine Levi. - Merci pour votre présentation. Je regrette que nous devions légiférer ; une bonne négociation entre distributeurs et producteurs aurait permis d'éviter cela.

Le taux de location est la part du revenu généré par chaque billet vendu qui revient au distributeur. Historiquement, ce taux était de 35 % dans les outre-mer où il est appliqué de manière forfaitaire. Les distributeurs les plus importants souhaitent un alignement des taux de location sur ceux de l'Hexagone, plus proches du plafond de 50 % fixé par le code du cinéma et de l'image animée.

Cette augmentation serait insoutenable pour les exploitants ultramarins et pourrait aboutir à la fragilisation extrême du secteur, ainsi qu'à la fermeture d'établissements, laissant certains territoires dépourvus de salles de cinéma.

La proposition de loi vise à plafonner à 35 % le taux de location. Cette mesure permettrait d'assurer la pérennité des établissements et l'accès au cinéma pour les ultramarins. Sur le principe, nous y sommes favorables.

M. Jérémy Bacchi. - Il est important que la diffusion des films soit la plus large possible en outre-mer. Le cinéma est un art populaire, et tous nos concitoyens, quel que soit le territoire sur lequel ils vivent - y compris les territoires ruraux et les outre-mer -, doivent pouvoir accéder à une offre diversifiée.

Je regrette qu'un accord n'ait pu être possible entre les exploitants et les distributeurs. Passer par une proposition de loi est déjà un aveu d'échec. J'entends la menace que font peser les distributeurs. Même si on peut comprendre leurs difficultés, il me semble qu'ils n'emploient pas la meilleure manière pour engager le débat...

J'aimerais avoir des éléments chiffrés permettant d'évaluer le danger d'une augmentation du taux de location à l'avenir.

Notre groupe réserve sa position sur ce texte.

Mme Monique de Marco. - Je remercie la rapporteure de cette proposition de loi très technique.

On peut regretter que la négociation ait échoué, et nous comprenons les risques inhérents à ce texte, qui n'a pas été approuvé par les distributeurs. Néanmoins, nous souhaitons préserver l'activité culturelle qu'est le cinéma en outre-mer : nous voterons donc cette proposition de loi.

Mme Sylvie Robert, rapporteure. - On ne peut que regretter que la médiation ait échoué. La proposition de loi doit servir à faire bouger les choses, qui ne doivent pas rester en l'état.

Le ministre des outre-mer, qui sera au banc, est favorable au texte. La position de blocage de principe n'est pas un bon signal. Les distributeurs vont déjà obtenir plus, et le taux de 35 % correspond à la moyenne : je ne vois donc pas quels arguments ils pourraient avancer. J'espère que la raison reviendra, et que les distributeurs comprendront que cette mesure sert leurs intérêts, comme ceux des exploitants, afin que les populations des outre-mer puissent continuer à voir des films dans les cinémas. Car c'est bien d'une question d'égalité territoriale qu'il s'agit.

EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE

Article unique

L'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi est adopté sans modification.

La réunion est close à 12 h 00.

Jeudi 8 juin 2023

- Présidence de M. Laurent Lafon, président -

La réunion est ouverte à 8 h 35.

Proposition de loi relative à la restitution des restes humains appartenant aux collections publiques - Procédure de législation en commission - Examen du rapport et du texte de la commission

M. Laurent Lafon, président. - Nous examinons aujourd'hui la proposition de loi relative à la restitution des restes humains appartenant aux collections publiques, déposée le 26 avril dernier sur le Bureau du Sénat par nos collègues Catherine Morin-Desailly, Max Brisson et Pierre Ouzoulias.

Lors de sa réunion du 9 mai dernier, la Conférence des présidents a accepté que ce texte soit examiné selon la procédure de législation en commission prévue au chapitre XIV bis du Règlement du Sénat. Je vous rappelle qu'en vertu de cette procédure le droit d'amendement des sénateurs et du Gouvernement sur le texte concerné ne peut s'exercer qu'en commission.

Ce texte sera examiné lors de la séance publique du mardi 13 juin ; l'ordre du jour se limitera aux explications de vote et au vote du texte que nous allons élaborer au cours de la présente réunion. Je vous rappelle que celle-ci est ouverte à l'ensemble des sénateurs, mais seuls les membres de la commission de la culture présents dans la salle sont autorisés à prendre part aux votes.

Cette réunion fait par ailleurs l'objet, madame la ministre, d'une captation audiovisuelle diffusée en direct et en vidéo à la demande sur le site internet du Sénat.

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure, coauteure de la proposition de loi. - Depuis l'adoption de la loi autorisant la restitution de la « Vénus hottentote » il y a maintenant plus de vingt ans, le Sénat a toujours joué un rôle moteur en matière de restitution de restes humains qui constituent des collections sensibles. Je veux rendre hommage à Nicolas About et à Philippe Richert qui, comme moi avec la loi sur les têtes maories, se sont fortement engagés pour que cet enjeu soit mieux pris en compte par notre pays. Je veux aussi remercier Max Brisson et Pierre Ouzoulias, coauteurs de cette proposition de loi : ces dernières années, nous avons poursuivi le travail de notre commission en matière de restitution de biens culturels. Je remercie aussi notre président pour son soutien constant. Je salue également Claire Chastanier, adjointe au sous-directeur des collections des musées de France et présente parmi nous aujourd'hui.

C'est un sujet qui nécessite beaucoup de ténacité - j'en veux pour preuve l'échec de notre tentative l'an passé avec la proposition de loi relative à la circulation et au retour des biens culturels appartenant aux collections publiques, dont l'Assemblée nationale n'a malheureusement jamais inscrit l'examen à son ordre du jour. J'espère donc que le texte que nous examinons aujourd'hui connaîtra un sort plus heureux, car je suis convaincue que notre pays a besoin d'affirmer une position claire et de se doter d'un cadre pérenne pour répondre, en toute transparence, aux demandes de restitution. Je sais, madame la ministre, que vous êtes également sensible à cette nécessité, et je vous remercie pour le soutien que vous nous avez apporté jusqu'à présent.

Les collections de restes humains sont des collections particulières. Parce qu'il s'agit de corps humains ou d'éléments de corps humains, elles nécessitent un traitement respectueux, digne et décent.

Même si une part minoritaire des collections est d'origine étrangère et, parmi elle, seulement une minorité d'origine extra-européenne, la question de leur restitution peut se poser compte tenu des principes de respect de la dignité de la personne humaine et de respect des cultures et croyances des autres peuples. Bien que l'essentiel des restes humains provienne de fouilles archéologiques, on compte aussi dans les collections des établissements publics culturels et des universités des pièces collectées dans des conditions inacceptables, en particulier pendant la période coloniale - je pense aux trophées de guerre, aux vols, aux pillages ou encore aux profanations de sépulture.

Comme pour les biens culturels spoliés aux familles juives pendant la période nazie, le principe d'inaliénabilité fait obstacle à leur restitution. Le législateur est le seul compétent pour y déroger. C'est l'une des raisons pour lesquelles très peu de restitutions de restes humains sont intervenues jusqu'ici. On ne compte que deux restitutions par voie législative, toutes deux effectuées au cours des vingt dernières années, à savoir la Vénus hottentote et les têtes maories. La lourdeur et la complexité de la procédure législative ont conduit à privilégier à plusieurs reprises d'autres voies de restitution malgré leur licéité discutable. Nous nous étions tous émus de la restitution de crânes à l'Algérie en 2020 par le biais d'une convention de dépôt de cinq ans ; ces crânes sont désormais inhumés dans un cimetière d'Alger, mais, curieusement, ils restent toujours propriété de la France.

L'utilisation de ces stratégies de contournement est révélatrice, à mes yeux, du besoin urgent à définir un cadre juridique qui permette de simplifier les restitutions de restes humains.

La situation actuelle n'est évidemment pas satisfaisante pour les États demandeurs. Je pense à l'Australie, avec laquelle un travail scientifique conjoint sur les collections vient juste de débuter, alors que leur demande remonte à 2009 - nous avons rencontré il y a quelques semaines leurs représentants avec Pierre Ouzoulias. L'Argentine et Madagascar ont également transmis des demandes, bien que plus récemment.

J'ai pu constater aussi combien ces obstacles juridiques sont également devenus une source de difficultés pour les établissements conservant ces pièces : ceux-ci sont soumis à une pression croissante pour justifier leur présence dans les collections. Les mentalités ont considérablement évolué depuis l'affaire de la tête maorie de Rouen en 2007. L'adoption d'une dérogation de portée générale au principe d'inaliénabilité ne fait plus peur : je crois pouvoir dire qu'elle est même attendue.

Il faut dire que le travail amorcé à la demande du législateur au sein de la commission scientifique nationale des collections (CNSC) à la suite de la loi sur les têtes maories et poursuivi ensuite par le groupe de travail présidé par Michel Van Praët que nous avons reçu il y a trois ans, a permis de faire avancer la réflexion et d'identifier un certain nombre de critères de restituabilité qui font consensus. Dans son rapport remis au Président de la République, Jean-Luc Martinez souligne l'excellent travail de ce groupe de réflexion sur les restes humains. La présente proposition de loi s'en inspire très largement.

Que prévoit-elle exactement ?

Elle instaure une procédure administrative permettant à l'État et aux collectivités territoriales de faire sortir de leur domaine public, par décret en Conseil d'État, des restes humains identifiés comme étant issus du territoire d'un État étranger dans le but de les lui restituer.

Le texte définit strictement les conditions dans lesquelles cette procédure peut être utilisée. Elle concerne exclusivement des restes humains dont l'ancienneté est inférieure à 500 ans ; qui appartiennent à un groupe vivant dont la culture et les traditions restent actives ; dont les conditions de collecte portent atteinte au principe de la dignité humaine ou dont la présence dans des collections est incompatible avec sa culture et ses traditions ; et dont la demande de restitution est portée par un État étranger.

Elle n'est par ailleurs possible qu'à des fins funéraires - cela se traduira par un traitement de respect dû aux morts, et pas nécessairement par une inhumation. Cette condition n'empêche cependant pas la constitution d'un mémorial dans l'État d'origine. L'objectif est que cet hommage puisse être rendu hommage aux morts, dans le respect des croyances et cultures du pays d'origine.

Afin d'éviter que des restes humains qui ne correspondraient pas à la demande de l'État d'origine ne lui soient restitués, un comité scientifique, composé à parts égales de représentants français et de représentants de l'État demandeur, devrait être chargé de vérifier leur identification en cas de doute.

Afin de permettre au Parlement de contrôler l'action du Gouvernement une fois qu'il lui aura délégué son pouvoir d'autoriser la sortie des collections, le texte prévoit qu'il soit destinataire chaque année d'un rapport relatif à l'application de cette procédure.

J'ai le sentiment que ces dispositions répondent aux préoccupations exprimées depuis plusieurs années par notre commission. Celles-ci instaurent un cadre clair et transparent. Les critères prévus par la proposition de loi, similaires à ceux qui figuraient dans le texte que nous avions adopté en janvier 2022, sont suffisamment précis et objectifs pour justifier la dérogation au principe d'inaliénabilité consentie par le législateur. La procédure ménage par ailleurs une véritable place à l'expertise scientifique, permettant de se prémunir contre des restitutions qui seraient le fait du prince. Je vous proposerai néanmoins dans quelques instants un amendement pour sécuriser encore davantage la prise en compte du travail d'instruction scientifique. Son adoption me paraît nécessaire pour faciliter à l'avenir les restitutions de restes humains compte tenu de l'augmentation probable du nombre de demandes. À très brève échéance, ce dispositif nous permettra de régulariser la restitution des crânes algériens avant l'expiration du délai de cinq ans prévu par la convention de dépôt.

Je souhaite également attirer votre attention sur son intérêt diplomatique. Nous avons l'espoir que les comités scientifiques créés conjointement avec l'État demandeur constituent les prémices de coopérations culturelles et scientifiques à venir. Ils sont en tout cas un bon moyen de commencer à écrire en commun le récit de notre histoire passée, qui sera ainsi mieux comprise et mieux appréhendée.

Enfin, sur le plan interne, le texte constituera un outil important pour inciter nos établissements publics à adopter une démarche plus proactive et à engager un travail en profondeur d'identification et de documentation des restes sensibles qu'ils conservent dans leurs collections.

Reconnaissons en effet que l'inaliénabilité n'est pas l'unique obstacle aux restitutions. L'immense majorité des restes humains étant anonymes, leur origine vague ou inconnue constitue une réelle difficulté. Je crois pourtant que la documentation des restes humains conservés dans les collections fait partie intégrante du respect de la dignité de la personne humaine associée à ces restes.

Aussi, madame la ministre, j'en appelle à vous afin de donner aux établissements les moyens humains et financiers suffisants pour approfondir le travail de recherche sur leurs collections. Cette proposition de loi n'est qu'une amorce. Avec elle, le législateur fait sa part en levant les obstacles juridiques qui pèsent sur les restitutions de restes humains. Il revient ensuite au Gouvernement d'apporter son plein soutien à la recherche scientifique pour mettre au jour les provenances, les origines et les identités.

J'ajoute, pour finir, que cette proposition de loi ne sera sans doute qu'une première étape législative sur la voie des restitutions de restes humains appartenant aux collections publiques. Elle n'apporte en effet une solution pérenne qu'aux États étrangers, laissant de côté - pour le moment - le sujet des restitutions de restes humains d'origine française. La restitution en 2014 du crâne du chef Ataï à la Nouvelle-Calédonie illustre pourtant bien l'existence d'une problématique ultramarine particulière, qui s'explique par les liens étroits entre ces territoires et notre passé colonial. La commission avait déjà identifié cet enjeu lors de l'examen de la proposition de loi relative à la circulation et au retour des biens culturels précitée et avait alors voulu autoriser les groupes humains à pouvoir demander la restitution des restes humains d'origine française.

La question des zoos humains rend nécessaire de faciliter la restitution de restes humains ultramarins. J'ai ainsi été saisie du cas de restes humains d'Amérindiens Kaliña, conservés au Musée de l'Homme, correspondant à des individus décédés à Paris alors qu'ils étaient exhibés dans de telles manifestations ethnographiques. En Guyane, leur restitution est sollicitée à juste titre par leurs descendants, qui se sont constitués en association. Je les ai longuement auditionnés. Il serait légitime qu'ils puissent retourner sur leurs terres d'origine à des fins funéraires.

Je vous proposerai dans quelques instants un amendement pour que nous puissions prendre date afin d'avancer rapidement sur cette question, qui préoccupe également nos collègues ultramarins. En attendant de trouver une solution pérenne à cette problématique, Pierre Ouzoulias propose l'idée de déposer, dans les établissements culturels des territoires concernés, certains des restes humains ultramarins conservés dans les établissements métropolitains. Je vous livre, madame la ministre, cette piste provisoire. Nous comptons sur vous pour avancer sur ce dossier sensible.

Mme Rima Abdul Malak, ministre de la culture. - Je remercie les auteurs de cette proposition de loi. Celle-ci est tout sauf technique : au contraire, elle renvoie à notre histoire, au plus profond de notre humanité, à notre rapport à la mort et à la fraternité. C'est, finalement, une proposition de loi assez philosophique.

Par le passé, des restes humains sont entrés dans nos collections publiques après avoir été acquis de manière illégitime, voire violente. Que l'intention fût à l'époque de recueillir des trophées ou de constituer des collections dont on croyait qu'elles disaient quelque chose des différences entre les hommes, le résultat est le même. Par ces actes, l'humanité a été blessée et des peuples ont été lésés. Aujourd'hui, nous souhaitons collectivement avancer sur le chemin des restitutions, et votre proposition de loi-cadre y pourvoit.

Comme vous l'avez dit, les restes humains ne peuvent pas pour l'instant être restitués ; la loi consacre le principe de l'inaliénabilité des collections publiques. Héritée de l'inaliénabilité du domaine royal et réaffirmée par la République, cette inaliénabilité des collections est un principe protecteur - il est important de le rappeler. Celui-ci a garanti la transmission du patrimoine de la Nation jusqu'à nos jours, dans l'intérêt de tous, pour le partage avec le plus grand nombre. Chacun en connaît la valeur et nul ne souhaite aujourd'hui le remettre en cause.

Cela dit, nous évoquons ici des restes humains - nous n'avons pas trouvé de meilleur terme. Quand ceux-ci sont arrivés dans des conditions suspectes et quand leur conservation dans un musée heurte les principes de la dignité humaine, nous devons être en mesure de nous interroger sur la légitimité de leur présence dans les collections publiques. Nous devons être en mesure de conduire avec méthode, avec raison et avec rigueur scientifique un processus de restitution dans le dialogue et la sérénité, sans pour autant renier le principe général d'inaliénabilité.

Je souhaite évoquer devant vous un exemple de restes humains mal acquis. Le squelette du fils d'un chef amérindien de la communauté Liempichún fait l'objet d'une demande de restitution par la communauté Mapuche ; celle-ci a reçu le soutien de l'Argentine, avec qui nous travaillons depuis plusieurs années. Sa sépulture semble avoir été pillée par l'équipage du comte Henry de la Vaulx, qui, entre 1896 et 1897, a parcouru la Patagonie en s'installant auprès des populations locales indiennes et en prélevant au cours de cette exposition ce qu'il appelait lui-même un butin. Je ne citerai qu'un seul passage du récit de l'exhumation du dépeçage du corps et de la cuisine macabre qu'Henry de la Vaulx décrit complaisamment dans son Voyage en Patagonie, paru en 1901. Il dit de lui-même : « Un moment, je me fais horreur. J'ai pour moi une excuse, que diable ! Car je rapporterai en France un beau spécimen de la race indienne. Qu'importe après tout que ce Tehuelches dorme en Patagonie dans un trou ou au Muséum sous une vitrine. » Parmi les 29 caisses et les 1 371 kilos du fonds la Vaulx, voilà au moins un reste dont il nous importe aujourd'hui que des experts français et argentins examinent la légitimité de sa présence dans les collections du Muséum national d'histoire naturelle.

Nous ne pouvons pas réparer les actions du passé, mais il est de notre devoir de créer les conditions d'un dialogue serein au présent. Cette loi, si elle est votée, permettra, par le consensus et l'étude historique et scientifique, d'extraire des collections des restes humains qui n'auraient pas dû y entrer. Les communautés d'origine pourront honorer la mémoire de l'un d'entre eux dans le respect de leurs rites funéraires.

On pourrait également parler des restes humains des aborigènes d'Australie. Depuis plus d'un siècle, ces restes - principalement des crânes - sont conservés dans plusieurs institutions muséales françaises, notamment au Muséum national d'histoire naturelle et au conservatoire d'anatomie de la faculté de Montpellier. Ces collections de crânes humains, grâce auxquelles on a cru pouvoir classer les individus, se sont développées dès la fin du XVIIIe siècle avec l'essor de la craniologie et de la phrénologie, ces sciences approximatives qui ont servi les théories raciales les plus sombres.

Dès les débuts de la colonisation de l'Océanie au XVIIIe siècle, ces crânes ont fait l'objet d'un commerce ignoble interdit en 1831 par le gouvernement britannique en Nouvelle-Zélande et en Australie ; celui-ci s'est malheureusement poursuivi illégalement bien après cette date. En 2014, au terme d'un long et fructueux dialogue entre la France et l'Australie, il a été décidé de mandater des experts chargés de recenser d'éventuels restes humains aborigènes figurant dans les collections de musées français en vue de leur rapatriement. Je salue la récente installation du comité conjoint franco-australien : les recherches d'identification et d'authentification de restes humains conduites depuis 2014 permettront de conclure un accord. Si elle est adoptée, cette proposition de loi facilitera leur restitution prochaine.

Jusqu'à présent, seules deux lois d'exception ont permis d'aller au bout d'une démarche de restitution avec l'Afrique du Sud et la Nouvelle-Zélande, grâce à votre implication et votre détermination, madame Morin-Desailly. Comme vous l'avez souligné, le Sénat s'est montré pour ces deux textes à l'avant-garde des préoccupations légitimes de notre époque et à l'initiative de ces deux textes. Certes, ces deux lois d'espèce furent l'occasion de débats de qualité dans nos assemblées ; elles ont en outre facilité l'émergence de ces sujets dans l'opinion publique. Elles ne concernent toutefois que des cas particuliers et n'ont pas permis de dégager des principes généraux.

Cette proposition de loi répond à ce manque. Dès mon arrivée au ministère de la culture, j'ai voulu engager un dialogue avec le Parlement autour de l'adoption de trois lois-cadres sur les restitutions. Je me réjouis que la première d'entre elles, la loi relative à la restitution des biens culturels ayant fait l'objet de spoliations dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées entre 1933 et 1945 ait fait l'objet d'un vote unanime au Sénat le 23 mai dernier. Je me réjouis également que le Sénat soit de nouveau en première ligne avec l'examen de cette proposition de loi. Madame Morin-Desailly, je tiens à saluer le travail que vous avez mené avec Max Brisson et Pierre Ouzoulias ; le rapport de décembre 2020 de la mission d'information fera date.

Contrairement à la loi sur les spoliations antisémites qui prend appui sur un cadre méthodologique éprouvé et des structures existantes, telles que la Commission pour l'indemnisation des victimes de spoliations intervenues du fait des législations antisémites en vigueur pendant l'Occupation (CIVS), le sujet que nous abordons aujourd'hui est en réalité un terrain vierge. Aussi cette loi est-elle très importante, car elle fixera pour la première fois une méthode et un cadre. Je sais que de nombreux échanges ont eu lieu avec les services de l'État, notamment les équipes du ministère, les professionnels du droit, des musées, mais aussi des instances internationales. Cette proposition de loi a également été éclairée par le rapport demandé par le Président de la République à Jean-Luc Martinez. Dans ses conclusions, ce dernier livre un panorama général de la situation et une synthèse des différentes solutions retenues par les États. Vous vous êtes également appuyés sur les dossiers en cours d'instruction avec l'Algérie, l'Australie, Madagascar ou encore l'Argentine. Vos propositions réaffirment la nécessité du dialogue bilatéral, du respect des personnes et des communautés, et aussi de la recherche scientifique. J'y souscris pleinement, et je m'engage à tout faire pour faciliter les recherches de provenance et les travaux d'identification.

Une fois encore, je remercie Mme Morin-Desailly et MM. Ouzoulias et Brisson pour cette proposition de loi empreinte de justice et de dignité.

M. Pierre Ouzoulias, coauteur de la proposition de loi. - Je tiens à rendre hommage à Catherine Morin-Desailly pour ces dix années de travail et d'abnégation afin d'imposer une question fondamentale que l'institution muséale a longtemps traitée par le déni. Sa force de persuasion a permis de parvenir à ce texte fort.

Les sénateurs ne doivent pas réparer l'Histoire, mais ils peuvent faire avancer le droit de manière à prendre en compte des idées philosophiques plus communément partagées aujourd'hui.

Madame Morin-Desailly, je vous ai accompagnée dans les derniers moments de votre odyssée - les plus favorables ! J'ai partagé avec vous le retour à Ithaque, mais je n'ai pas vécu l'épisode des sirènes ni celui des Lotophages. J'espère que ce texte sera adopté sans difficulté.

Par le biais de cette proposition de loi, nous défendons une certaine idée de l'universalisme : collectivement, nous pensons que le traitement des morts fait partie de toutes les sociétés. La dignité de la personne humaine se prolonge au-delà de la mort. Nous devons aussi respecter la façon dont tous les peuples rendent hommage à leurs défunts ; nous ne devons jamais portement de jugement : la formule retenue dans le texte est très juste. Ainsi, les zoroastriens exposent leurs morts dans des tours du silence et les corps sont livrés aux vautours. Certes, nous ne partageons peut-être pas leur vision du monde, mais celle-ci n'est pas moins digne que la nôtre.

Alors que les musées français se définissent comme porteurs de valeurs universelles, il était nécessaire de prendre en compte la valeur universelle de la dignité rendue aux morts. Cette proposition de loi contribue à réparer cette incongruité.

Il faut maintenant lancer un immense travail de récolement des collections. Madame la ministre, c'est l'occasion d'engager une belle collaboration entre les universités et les étudiants. Les musées pourraient demander aux étudiants de mener à bien cette tâche, à l'occasion de leurs travaux universitaires. Ainsi, nous dépasserions le simple récolement technique réalisé au sein d'un musée.

Nous avons essayé de prendre en compte la question des restes humains provenant des territoires d'outre-mer de la République. Mais il est vrai que la solution législative est complexe à élaborer, même s'il est indispensable de faire droit à ces revendications. Ma proposition d'organiser un déménagement des restes sur place, dans des collections publiques, satisferait - au moins provisoirement - certaines demandes.

Le ministère de la culture doit mener un travail important sur les restes humains. L'Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) développe des protocoles adaptés au traitement de ces vestiges osseux. Madame la ministre, il serait utile que vous puissiez adresser des instructions à vos services afin de faire respecter l'esprit de la proposition de loi lors des fouilles. Les vestiges humains ne sauraient être considérés comme des objets archéologiques comme les autres.

Madame la ministre, je vous remercie pour la qualité de nos échanges, tant avec vous qu'avec vos services. Je me réjouis de la profondeur de notre réflexion commune lors de la préparation de ce texte.

M. Cédric Vial. - Je m'exprime au nom de Max Brisson qui n'a pu être présent ce jour. Je remercie également Catherine Morin-Desailly pour le long travail qu'elle a réalisé.

Le Sénat s'est construit une doctrine au fur et à mesure des travaux qui ont pu être menés sur la restitution des restes humains figurant dans les collections publiques. Nous n'avons pas d'opposition de principe aux restitutions, mais nous souhaitons l'établissement de règles claires pour éviter le fait du prince et ne pas rendre nos collections publiques otages des vicissitudes de notre diplomatie.

Nous réaffirmons aussi notre refus de lois de circonstance, intervenant au cas par cas, sans réflexion historique sur les objets, et conduisant à des restitutions parfois polémiques dans le cadre desquelles le Parlement a été considéré comme une chambre d'enregistrement des décisions de l'exécutif, voire informé a posteriori seulement de ces dernières et des restitutions concernées.

Notre volonté est également que toutes les restitutions bénéficient d'un accompagnement culturel et d'un échange inscrit dans le dialogue des cultures. Nous souhaitons l'instauration d'une instance indiscutable éclairant l'exécutif et le législateur sur les objets concernés, leurs histoires et les conditions de leur entrée dans les collections publiques.

Ces positions ont été affirmées une nouvelle fois dans le rapport que nous examinons ce jour. Jusqu'à l'an dernier, elles ont suscité une attitude pour le moins distante de la part du Gouvernement, ressentie parfois même comme du mépris sous le ministère de Mme Bachelot. Cela a pu créer une certaine tension avec le Sénat.

À la suite de votre arrivée, madame la ministre, voilà un an, nous avons assisté à un précieux revirement de position. Vous avez proposé au Sénat une nouvelle approche sous la forme d'un triptyque : un premier texte concernant la situation des biens culturels juifs spoliés durant la période nazie - texte rapporté par Béatrice Gosselin et adopté il y a quelques semaines à l'unanimité -, suivi d'un deuxième texte concernant les restes humains. Le texte de ce matin fait consensus : nous ne pouvons conserver certains de ces restes humains dans nos collections, leur restitution s'impose donc.

Il reste enfin à élaborer une loi-cadre qui fixerait les règles de l'ensemble des restitutions. Madame la ministre, les attentes du Sénat en la matière sont doubles : un éclairage scientifique indiscutable sur les objets pressentis, et une méthode claire qui autorise et encadre ces restitutions. Le Sénat, et particulièrement notre commission, est prêt à y travailler avec vous et votre administration. Nous voterons la proposition de loi.

M. Lucien Stanzione. - Je tiens tout d'abord à saluer l'excellent travail qui a été mené, lors des auditions particulièrement, par Mme Catherine Morin-Desailly et MM. Pierre Ouzoulias et Brisson. La proposition de loi que nous examinons revêt une importance capitale, car elle vise à préserver la dignité humaine. En permettant le déclassement des restes humains de moins de 500 ans présents dans les collections publiques, elle répond à une préoccupation fondamentale : le respect et la considération dus aux personnes dont les restes sont issus.

Lorsque les conditions de collecte ou de conservation sont susceptibles de soulever des interrogations, il est primordial de pouvoir restituer ces restes aux États étrangers d'origine qui en feraient la demande.

Pour garantir la rigueur et l'impartialité de ce processus, la proposition de loi prévoit la consultation d'un comité scientifique composé de représentants des deux États impliqués, ainsi que des institutions détentrices des restes concernés. Cette approche collaborative et pluridisciplinaire permettra d'évaluer avec précision les demandes de sortie du domaine public et de restitution, en tenant compte des aspects humains, éthiques et scientifiques de cette question.

De plus, la proposition de loi suggère d'inscrire un dispositif-cadre dans le code du patrimoine, afin d'éviter de légiférer, de manière répétitive, au cas par cas. En établissant un cadre général, nous pourrons gérer efficacement les futurs cas de restitution des restes humains, dans le respect de la dignité de chacun.

En adoptant cette proposition de loi, nous comblerons une lacune juridique majeure. Il ne nous restera plus qu'à mettre en place une loi-cadre sur la restitution des biens mal acquis détenus dans les collections françaises.

Les propositions que Mme la rapporteure nous présentera viseront à apporter des précisions quant à l'exécution du futur texte et à la possibilité d'étendre ses dispositions aux territoires d'outre-mer - après le délai requis par la réalisation d'une étude de faisabilité.

En soutenant cette proposition de loi et les amendements associés, nous affirmons notre engagement en faveur du respect de la dignité humaine, de la coopération internationale et de la justice dans la gestion des biens historiques et culturels. Nous avons pour responsabilité l'instauration de mesures législatives appropriées, afin de garantir un traitement équitable et éthique des restes humains détenus par les collections publiques. Notre groupe soutient pleinement cette proposition de loi et la votera sans difficulté.

M. Thomas Dossus. - Je salue également le travail constant de notre rapporteure, et félicite les coauteurs du texte pour leur travail. Ce texte est une loi de justice, de progrès et de dignité que nous voterons évidemment.

Ce sujet mobilise notre commission et le Sénat de façon constante - parfois en première ligne, comme cela a été dit. Nous partageons le besoin d'un cadre clair et transparent pour les restitutions. Ce texte constitue en la matière une première étape salutaire, le respect de la dignité des personnes étant au coeur de la démarche.

Nous avons besoin de progresser urgemment pour simplifier les restitutions de restes humains. Or la définition stricte du texte offre un cadre sécurisant et scientifique pour des restitutions à des fins funéraires. Le principe d'inaliénabilité du domaine public ne fait plus obstacle au respect de la dignité humaine. On nous propose une solution humaine, efficace, transparente et respectueuse à la fois des États demandeurs et des principes de nos collections. Nous voterons donc en faveur de ce texte, en espérant qu'il ne soit qu'une première étape pour élargir le cadre de ces restitutions.

M. Bernard Fialaire. - Je salue, à mon tour, le travail et l'abnégation de Catherine Morin-Desailly.

L'inaliénabilité des biens ne doit pas être totalitaire. Il faut prendre en compte dans la réflexion l'universalisme de certains biens, dont il convient d'analyser l'origine et le parcours, puis la résidence actuelle - l'ensemble de ces données devant être réétudié régulièrement. Nous avons à ce titre un travail de recherche de provenance à développer et à intégrer dans notre culture.

L'autre dimension de ce texte est le respect de la dignité humaine. Le texte invite à réfléchir au fait qu'un bien culturel n'est pas un bien commun, et que les restes humains ne sont pas non plus des biens culturels comme les autres. Cette évolution de nos consciences est nécessaire. Nous devons nous réinterroger en permanence sur ces questions, pour qu'elles fassent l'objet d'une juste prise en compte dans nos textes législatifs.

Pour toutes ces raisons, nous soutenons ce texte.

M. Pierre-Antoine Levi. - Je souhaite à mon tour féliciter la rapporteure pour sa ténacité et pour la présentation de ce texte, ainsi que Pierre Ouzoulias et Max Brisson qui y ont collaboré.

Dans la continuité du texte relatif à la restitution des biens spoliés pendant la période nazie, il nous faut légiférer sur les restes humains conservés dans les établissements publics - musées, monuments historiques, centres de conservation et d'étude archéologiques, universités. Ces collections dites « sensibles » nécessitent une attention particulière. En effet, le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort, comme cela est mentionné dans le code civil.

La question de la restitution de ces restes à leurs pays d'origine se pose avec acuité. Bien que la majorité des restes humains conservés dans les collections soit d'origine française, il existe des milliers de pièces collectées à l'étranger. Certains cas peuvent être litigieux, et susciter des demandes de restitution de la part de pays tiers. Il peut s'agir soit de personnes identifiées et clairement nommées, soit d'individus anonymes dont l'appartenance à un groupe est établie ou dont les conditions de collecte sont connues.

Cependant, la restitution des restes humains conservés dans les collections publiques est complexe, en raison du principe d'inaliénabilité du domaine public. Les restes humains, faisant partie de ce dernier, sont sous la responsabilité des entités publiques qui ne sont pas autorisées à les céder, que ce soit volontairement ou sous contrainte, à titre onéreux ou gratuit. Leur sortie du domaine public nécessite donc une intervention du législateur. C'est l'objet de la présente proposition de loi, qui vise à déroger au principe d'inaliénabilité.

Ce texte autorise la sortie définitive des restes humains du domaine public en vue de leur restitution, et fixe un cadre clair et transparent pour traiter les demandes de restitution émanant de pays tiers. Cette démarche facilitera les procédures de restitution, en évitant les délais inhérents à la procédure parlementaire, susceptibles de décourager les initiatives.

L'article unique de cette proposition de loi définit donc la procédure et les conditions dans lesquelles les restes humains pourront sortir des collections publiques.

Ce texte constitue une étape importante dans la réconciliation avec les pays et les peuples. Lors d'un débat survenu au sein du Parlement francophone bruxellois concernant la restitution des biens culturels africains, la présidente de cette instance, Julie de Groote, a résumé ainsi les enjeux associés : dignité, respect et mémoire collective. Il est de notre devoir, en tant que représentants du peuple, de veiller à ce que ces principes soient respectés. Le groupe Union Centriste votera favorablement cette proposition de loi.

M. Laurent Lafon, président. - Je salue à mon tour la longue implication de notre rapporteure sur ce sujet, ainsi que les deux autres auteurs du rapport.

Madame la ministre, le rapport de Jean-Luc Martinez prévoit d'inscrire dans le décret d'application de la loi-cadre que les frais d'analyse et de rapatriement des restes humains sont à la charge des pays demandeurs. Pourriez-vous nous rassurer sur cet aspect un peu mesquin du rapport ? Ce point pourrait-il ne pas constituer une règle intangible, mais faire au contraire l'objet de discussions entre les pays ?

Mme Rima Abdul Malak, ministre. - Ce rapport est une proposition à débattre. D'autres options sont possibles : un partage équitable des frais, ou une prise en charge par la France dans certains cas. Une plus grande souplesse sera effectivement nécessaire dans la rédaction de cette disposition.

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - Je vous propose que le périmètre pour l'application de l'article 45 de la Constitution comprenne les dispositions ayant trait à l'organisation, à la procédure et aux conditions applicables en matière de restitution de restes humains appartenant aux collections publiques. A contrario, je vous propose d'exclure de ce périmètre les dispositions relatives au cadre applicable aux restitutions d'autres types de biens culturels relevant de ces collections.

Il en est ainsi décidé.

EXAMEN DES ARTICLES

Article unique

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - L'amendement  COM-1 vise à étendre la procédure de restitution prévue par la présente loi aux demandes formulées par les populations d'outre-mer.

Comme je l'ai indiqué dans mon intervention liminaire, l'objectif de cet amendement est légitime. Il y a une vraie problématique ultramarine à ne pas sous-estimer. Pierre Ouzoulias et moi-même nous sommes beaucoup interrogés sur l'opportunité de déposer un amendement à ce sujet et sommes arrivés à la conclusion que la procédure prévue par ce texte n'était pas, en l'état, transposable aux territoires d'outre-mer. En effet, comment étendre une procédure interétatique, aussi conçue de manière à favoriser les coopérations culturelles et scientifiques, à des territoires français, qui relèvent d'une problématique nationale ? C'est la raison pour laquelle je suis contrainte d'émettre un avis défavorable sur cet amendement, non pas concernant le bien-fondé de la demande, mais concernant la proposition technique nécessaire pour y accéder.

Cet amendement soulève, de surcroît, de véritables difficultés juridiques puisqu'il met sur un pied d'égalité des États étrangers et des populations qui ne constituent pas en elles-mêmes une entité juridique.

J'ai été très sensible à la démarche des représentants de l'association Moliko Alet+Po qui sollicitent la restitution de leurs ancêtres disparus. Je proposerai donc que nous nous engagions à trouver une solution pour résoudre cette problématique ultramarine. Si l'adoption de ce nouveau cadre devait prendre trop de temps, il nous resterait toujours la possibilité d'une loi d'espèce pour faire sortir les restes humains en question, qui sont conservés dans les collections du musée de l'Homme. Toutefois, avant de pouvoir l'envisager, il faut s'assurer que l'ensemble des restes humains conservés dans ce musée ont été bien identifiés.

M. Pierre Ouzoulias. - Je partage l'avis de la rapporteure. Comme Michel Van Praët l'a montré, l'essentiel des restes humains conservés dans les collections publiques provient de France métropolitaine : on trouve des crânes de Bretons, d'Auvergnats, de Corréziens. Or on ne pourrait pas faire droit à la demande de restitution de ces biens des collectivités d'outre-mer et l'interdire à d'autres communautés, métropolitaines. Il y a là tout un travail à mener. Des solutions administratives pourraient être envisagées, l'idée étant de considérer qu'au moment de la cession des pièces aux collections, par legs, une forme de vice s'exerçait par rapport à la législation actuelle. Il est essentiel en tout cas que le récolement de ces collections nous fournisse des statistiques sur la masse des restes humains concernés.

Mme Rima Abdul Malak, ministre. - Le Gouvernement partage l'avis de Mme la rapporteure. Le travail est engagé, y compris sur un plan interministériel, pour trouver une cohérence et un équilibre au sujet de cette préoccupation légitime. Dans le cadre de la proposition de loi, il est question des demandes de restitution adressées d'État à État. Les dispositions proposées ne peuvent s'appliquer à des demandes nationales. De plus, nous ne pouvons pas créer de situation impliquant une rupture d'égalité au sein de la République, entre les territoires d'outre-mer et les autres. Il y a là un chemin à trouver, nous nous y attelons.

L'amendement COM-1 n'est pas adopté.

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - L'amendement  COM-2 vise à sécuriser davantage l'instruction scientifique des demandes de restitution. Il a pour objet d'empêcher que la sortie de restes humains des collections puisse être décidée avant que le comité scientifique mixte n'ait formellement rendu son rapport au Gouvernement et à l'État demandeur - contrairement à ce qui s'est produit pour les crânes algériens, renvoyés en Algérie avant que le comité mixte mis en place n'ait remis son rapport définitif et n'ait même finalisé son analyse concernant l'ensemble des crânes qui lui étaient soumis.

L'amendement demande donc que le rapport du ministre de la culture, qui doit servir de guide à la décision de sortie des collections, soit établi sur la base des conclusions du rapport du comité mixte, lorsqu'un tel comité est mis en place, ce qui garantit sa remise formelle au préalable.

Mme Rima Abdul Malak, ministre. - Avis favorable.

L'amendement COM-2 est adopté.

L'article unique est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Après l'article unique

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - L'amendement  COM-3 vise à octroyer au Gouvernement un délai d'un an à compter de la promulgation de la loi pour remettre au Parlement un rapport identifiant les solutions possibles pour mettre en place une procédure pérenne de restitution des restes humains originaires du territoire des collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution, et de la Nouvelle-Calédonie, conservés dans les collections publiques.

Mme Rima Abdul Malak, ministre. - Avis favorable.

L'amendement COM-3 est adopté et devient article additionnel.

La proposition de loi est adoptée, à l'unanimité, dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteure. - Je voudrais remercier notre président d'avoir soutenu notre travail, et vous remercier aussi, madame la ministre, de votre attention. Nous aboutissons à une étape essentielle, dont nous pouvons être collectivement fiers. Il sera intéressant par ailleurs de voir comment ce texte sera reçu à l'Unesco.

Mme Rima Abdul Malak, ministre. - Merci à vous pour ce travail de longue haleine qui trouve là un magnifique aboutissement. Je m'engage à ce que ce texte soit inscrit le plus rapidement possible à l'ordre du jour des travaux de l'Assemblée nationale.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Proposition de loi relative à la restitution des restes humains appartenant aux collections publiques

Article unique

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Mme PHINERA-HORTH

1

Élargissement de la procédure de restitution aux demandes formulées par les populations d'Outre-mer

Rejeté

Mme MORIN-DESAILLY, rapporteure

2

Décision de sortie des collections conditionnée au dépôt préalable du rapport du comité scientifique mixte

Adopté

Article(s) additionnel(s) après Article unique

Mme MORIN-DESAILLY, rapporteure

3

Demande de rapport du Gouvernement au Parlement sur les voies pérennes de restitution possibles de restes humains originaires de territoires ultra-marins

Adopté

Cette réunion a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 9 h 30.