Jeudi 8 juin 2023

- Présidence de M. Pierre Henriet, député, président -

La réunion est ouverte à 9 h 40.

La surveillance et les impacts des micropolluants de l'eau - Audition publique (Christine Arrighi, députée, et Angèle Préville, sénatrice, rapporteures)

M. Pierre Henriet, député, président de l'Office. - Chers collègues, chers invités, je vous souhaite la bienvenue à cette audition publique de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) consacrée aux micropolluants de l'eau.

L'Office a déjà travaillé sur la question de l'eau en début d'année dernière, avec la délégation sénatoriale à la prospective. Il avait alors organisé une audition publique consacrée à la gestion quantitative de l'eau. Nous nous intéressons aujourd'hui à l'aspect qualitatif de cette ressource.

L'Office a également abordé cette thématique au travers de deux rapports récents : celui sur la pollution plastique, de nos collègues Philippe Bolo et Angèle Préville, qui ont d'ailleurs assisté il y a quelques jours à une session de négociation du futur traité international sur la lutte contre la pollution plastique, et celui sur l'impact de la chlordécone aux Antilles, de notre collègue Catherine Procaccia.

Ce sujet s'est par ailleurs récemment invité dans l'actualité médiatique, à la suite d'études faisant état d'analyses montrant la présence de certaines substances dans l'eau, dans des quantités préoccupantes : PFAS, résidus de pesticides, de médicaments, etc.

C'est dans ce contexte que la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat a saisi l'Office pour lui demander d'évaluer les différents enjeux associés à ces pollutions. L'audition publique de ce matin doit nous permettre de dresser un premier état des lieux de la situation.

Je rappelle que l'audition est diffusée en direct sur le site internet de l'Assemblée nationale et que la vidéo sera ensuite disponible à la demande sur les sites de l'Assemblée et du Sénat. Il sera par ailleurs possible aux internautes, comme nous en avons pris l'habitude, de soumettre des questions en ligne, par l'intermédiaire de la plateforme dont le lien figure sur les pages internet de l'Office. Certaines questions pourront ainsi être posées aux participants lors de l'audition.

Je laisse sans plus tarder la parole aux rapporteures, Christine Arrighi et Angèle Préville, pour introduire les débats, qui prendront la forme de deux tables rondes.

Mme Angèle Préville, sénatrice, vice-présidente de l'Office, rapporteure. - Je tiens à remercier l'ensemble des intervenants, ainsi que nos collègues présents, pour leur participation à cette audition.

Les activités humaines introduisent un grand nombre de substances chimiques dans l'environnement, notamment dans les milieux aquatiques. Si les techniques d'analyse permettent aujourd'hui de détecter la présence de ces substances à très faible concentration, seules quelques centaines d'entre elles sont recherchées actuellement, alors que, sur le marché, donc dans l'environnement, et notamment dans l'eau, elles sont en bien plus grand nombre. Je rappelle que nous avons dépassé la cinquième limite planétaire, qui correspond à la quantité de substances chimiques introduites dans l'environnement.

Quels sont les effets de ces pollutions sur la santé et les écosystèmes ? Ceci reste encore difficile à évaluer. Avec la première table ronde, nous allons nous intéresser à la question de la surveillance de ces micropolluants. Nous avons le plaisir d'accueillir Mme Hélène Budzinski, directrice de recherche au CNRS, directrice de l'UMR « Environnements et paléoenvironnements océaniques et continentaux » et membre du conseil scientifique de l'Office, M. Christophe Rosin, chef de l'unité chimie des eaux au laboratoire d'hydrologie de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) à Nancy, Mme Marie-Laure Métayer, adjointe au directeur de l'eau et de la biodiversité à la direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature, Mme Laurence Caté, adjointe à la sous-directrice de la prévention des risques liés à l'environnement et à l'alimentation, accompagnée de Mme Béatrice Jedor, adjointe à la cheffe du bureau de la qualité des eaux et de Mme Nathalie Franques, chargée du dossier « eau potable » à la Direction générale de la santé. Mme Budzinski, je vous cède la parole pour introduire cette thématique.

Mme Hélène Budzinski, directrice de recherche au CNRS, directrice de l'UMR « Environnements et paléoenvironnements océaniques et continentaux ». - Je vais faire un exposé général sur la contamination des milieux aquatiques, les éléments d'information dont on dispose actuellement sur le sujet et les enjeux de connaissances qui s'y rapportent pour améliorer à terme notre gestion du problème.

La pollution chimique est désormais un phénomène avéré, constaté. Elle fait malheureusement partie de notre société. La cinquième limite planétaire liée à la présence d'entités chimiques a été présentée comme dépassée par l'équipe de Persson en 2022. La production de produits chimiques a en effet été multipliée par cinquante depuis 1950 et les projections - optimistes - indiquent qu'elle doit encore tripler d'ici 2050. La pollution plastique, particulièrement visuelle, a quant à elle augmenté de 80 % entre 2000 et 2015 et les projections ne sont guère optimistes, malgré les premières mesures prises.

Ces composés, une fois produits, sont utilisés. Or leur usage, agricole, industriel, domestique et dans le domaine de la santé, est la cause essentielle de leur diffusion dans l'environnement, puisqu'une fois utilisés ils sont rejetés dans le milieu ambiant (atmosphère, sol, eau). Ce phénomène, très diffus et global, questionne des usages multiples, donc des sources multiples, qui concernent des milliers de molécules. La problématique posée est donc multi-classes et multi-composés. De par l'interconnexion entre les différents compartiments, on retrouve in fine ces composés dans les eaux, qui sont les réceptacles finaux de tout ce que nous consommons.

Il existe à ce sujet des réglementations à la fois nationales et européennes, mais qui sont loin d'être suffisantes car elles concernent généralement des listes très limitées de composés.

L'eau est à la fois une ressource pour l'être humain et un milieu de vie. Or nous savons désormais que les écosystèmes aquatiques sont des environnements majeurs dans l'atténuation des impacts du changement climatique, alors même que l'eau est elle-même touchée par ce phénomène.

Cette ressource, et notamment l'eau douce, est très limitée sur Terre. Par ailleurs, la population augmente, tout comme son indice de développement, ce qui concourt à diminuer de façon arithmétique la quantité d'eau utile par habitant. Si l'on prend également en considération les scénarios de changement climatique, il apparaît que la situation va s'aggraver, avec la survenue prévisible de situations de pénurie. Sur la carte actuellement projetée à l'écran, qui montre l'évolution du débit moyen des cours d'eau à l'horizon 2050/2070, on observe par exemple que le sud-ouest de la France sera très impacté, avec de fortes pénuries en eau de surface.

Cette perspective, qui invite à accorder une attention et un soin particuliers à cette ressource, est également synonyme de concentration croissante des polluants. En effet, si l'on extrapole la situation de pollution que l'on connaît à l'heure actuelle, on observe que le phénomène sera aggravé, avec une concentration des polluants.

Ainsi, il est clair que l'eau et la pollution chimique sont devenues des enjeux globaux, au même titre que le changement climatique. Depuis une trentaine d'années, des avancées ont été enregistrées dans ce domaine, essentiellement grâce aux progrès effectués en chimie analytique et en spectrométrie de masse. Ceci a permis de mettre en évidence la présence de centaines, voire de milliers de molécules dans l'environnement. Les contaminants réglementés sont suivis de manière assez fine, mais ne représentent qu'une part infime des micropolluants connus, qui ne constituent eux-mêmes qu'une petite partie des contaminants présents, sachant qu'il existe une grande quantité de polluants inconnus.

Les contaminations environnementales se situent à des niveaux faibles, de l'ordre de quelques nanogrammes, voire picogrammes par litre. Il faut toutefois savoir que c'est à ces concentrations que les molécules sont toxiques.

On questionne dans ce contexte des matrices complexes et variées : eaux souterraines, eaux de surface, eaux usées, etc. L'enjeu en terme d'analyse tient donc au fait de devoir étudier des niveaux très faibles de polluants dans des matrices complexes.

Il est important de pouvoir à terme prendre en considération des milliers de molécules, tout en gardant à l'esprit la nécessité de travailler sur les notions de variabilité, de représentativité (spatiale et temporelle) et de tendances à long terme, essentielles pour l'eau. Il convient également de comprendre les phénomènes de transformation des composés organiques.

Pour une chimiste comme moi, l'enjeu est d'améliorer la sensibilité, la caractérisation chimique des mélanges, de traiter le sujet des produits de transformation et de travailler la notion de représentativité, afin d'identifier les micropolluants pertinents et leurs sources.

Au fil du temps, nous améliorons nos connaissances. Le schéma présenté à l'écran, extrait du rapport L'état des eaux des bassins Rhône-Méditerranée et de Corse de 2020, montre ainsi que l'on détecte de plus en plus de molécules. Cela n'est pas le signe qu'elles sont de plus en plus nombreuses, mais que les scientifiques sont toujours plus performants. Cela permet d'effectuer des suivis de centaines de molécules de pesticides, comme le montre la carte de présence de molécules phytosanitaires dans les rivières du bassin Adour - Garonne qui vous est présentée. Ces suivis confirment malheureusement que la pollution est bien présente. Ils sont effectués au niveau locorégional mais aussi à l'échelle mondiale, et montrent la dimension totalement globalisée de cette pollution. Cela concerne notamment les composés pharmaceutiques, dont on a cru qu'ils constituaient une problématique très régionale jusqu'à ce qu'une étude assez récente de l'équipe de Wilkinson, à laquelle a me semble-t-il participé Jeanne Garric, montre qu'ils sont bien présents sur tous les continents, y compris en Antarctique, et très liés à la présence humaine.

S'ajoutent à cela les impacts du changement climatique sur la qualité de l'eau. Nous savons que cela va modifier la biodisponibilité, la remobilisation et le transfert des polluants. Globalement, tout va concourir à une augmentation de la concentration des polluants. Cela va donc induire un stress supplémentaire pour les organismes du milieu, associé à des changements de température, de salinité, etc. Vont également apparaître des produits de transformation, avec la survenue de phénomènes d'oxydation plus prononcés.

En conclusion, le constat actuel est celui d'une amélioration des connaissances, qui a permis de mettre en évidence l'existence d'un très grand nombre de composés chimiques et de traiter les faibles concentrations. Nous savons en outre que nos usages et nos populations vont, tout comme le changement climatique, conduire à une augmentation de ces apports et de la concentration de ces composés. L'usage de l'eau, en constante augmentation, va par ailleurs amplifier le problème, tandis que la hausse de la dégradation par oxydation induira une diminution des produits initialement suivis, mais conduira à l'apparition de produits de transformation. Un bon exemple de ce phénomène est celui des métabolites du métolachlore ou du chlorothalonil, actuellement très problématiques.

Quels sont les besoins et les enjeux ? Il conviendra d'améliorer nos capacités en matière de caractérisation, de mieux aborder les effets mélanges, de prioriser les listes de composés pertinents à suivre, d'objectiver les tendances à long terme tout en suivant les événements ponctuels extrêmes, dont on sait qu'ils sont vecteurs de pollutions conséquentes. Il est également très important de travailler à la caractérisation des produits de transformation et des composés inconnus.

Nous savons en outre qu'il faut diminuer globalement les apports en substances chimiques en quantité, donc en concentration, et en nombre. 350 000 substances chimiques ont été recensées comme présentes dans l'environnement par Wang et ses collaborateurs en 2020. Cela donne la mesure de l'enjeu.

Mme Angèle Préville, sénatrice, vice-présidente de l'Office, rapporteure. - Merci beaucoup. Je laisse maintenant la parole à M. Rosin qui va nous présenter les travaux de l'Anses sur ce sujet.

M. Christophe Rosin, chef de l'unité chimie des eaux au laboratoire d'hydrologie de l'Anses à Nancy. - Merci pour cette invitation qui va me donner l'occasion d'évoquer la thématique des micropolluants émergents dans les eaux de consommation.

J'appartiens au laboratoire d'hydrologie de l'Anses, qui réalise périodiquement des campagnes prospectives sur des micropolluants qui ne sont pas encore réglementés. Ces travaux sont réalisés en collaboration avec le ministère de la santé, la direction générale de la santé (DGS), et avec l'appui local des agences régionales de santé, avec l'objectif d'améliorer la connaissance de la contamination des eaux de consommation et de disposer de données d'exposition utiles à l'évaluation des risques sanitaires.

Un « micropolluant émergent » est une molécule organique ou synthétique qui n'est pas couramment surveillée et est susceptible de présenter des effets adverses sur la santé ou l'environnement. Il peut s'agir d'une molécule nouvellement synthétisée, utilisée en grande quantité, mais aussi d'une molécule suscitant depuis peu l'intérêt et l'interrogation de la communauté scientifique et des autorités, avec souvent un décalage dans le temps par rapport à l'utilisation de la molécule, du fait de publications scientifiques effectuées postérieurement, comme le montre l'exemple du PFOS.

Depuis les années 1930, la production mondiale de produits chimiques a été multipliée par 400. On dénombre plus de 100 000 substances commercialisées en Europe, dont 30 000 en quantité supérieure à une tonne par an. S'intéresser aux substances émergentes suppose de définir des critères : faut-il s'intéresser aux molécules cancérogènes, mutagènes, reprotoxiques, aux perturbateurs endocriniens, aux polluants organiques persistants, à des produits phytosanitaires, à des plastifiants ? Il est nécessaire, dans ce contexte, de prioriser les travaux. La démarche retenue consiste à ouvrir très largement les types d'informations à collecter afin d'établir des listes prioritaires. Cela passe par de la veille scientifique et une attention portée à des alertes locales ou émanant de pays voisins (ce fut le cas pour les PFAS dans les années 2007-2008), à l'expression de besoins d'évaluation de risques sanitaires ou encore à l'existence d'études conduites par des groupes de travail ou des collectifs d'experts.

Depuis une quinzaine d'années, plusieurs campagnes exploratoires de polluants émergents ont été menées. Cela a concerné des médicaments, des PFAS, des perchlorates, du chrome hexavalent ou tout récemment des métabolites de pesticides et des résidus d'explosifs. Il peut s'agir aussi de micropolluants en lien avec les filières de traitement d'eau potable ou la distribution de l'eau et les matériaux utilisés dans ce cadre, comme le chlorure de vinyle monomère.

L'un des principaux enjeux est d'être le plus réactif possible. Il faut en effet, entre le moment où l'on identifie une molécule d'intérêt et celui où l'on va disposer des résultats exploités, passer par plusieurs étapes : le développement et la validation de méthodes, la mise en oeuvre de la campagne exploratoire et l'exploitation des résultats, avec des calendriers difficilement compressibles à moins de deux ans.

Une autre difficulté à laquelle nous sommes confrontés lors de ces campagnes exploratoires de micropolluants émergents réside dans la stratégie d'échantillonnage. On dénombre en France environ 33 000 captages et 16 000 stations de traitement d'eau potable. Il n'est évidemment pas possible d'aller rechercher tous ces micropolluants dans l'ensemble des captages et stations. Nous avons par conséquent défini une stratégie qui nous permet, à moindre effort, de disposer d'un premier état des lieux. Cela consiste, dans chaque département, à échantillonner la ressource avec le plus gros débit de production, une ressource sélectionnée aléatoirement et une ressource connue pour sa particulière vulnérabilité aux micropolluants recherchés. Ainsi, le recueil d'environ 300 échantillons nous permet de disposer d'une photographie réaliste, avec une couverture représentative de 20 % du débit national de production. Nous ne nous focalisons pas uniquement sur les points noirs et avons un échantillon raisonnable ; mais cette méthodologie n'exclut pas de passer à côté de sites fortement impactés. La photographie obtenue correspondant à un instant t, n'est par ailleurs pas forcément adaptée pour déceler des pollutions transitoires.

Nous disposons d'instruments de plus en plus performants, qui nous permettent de quantifier des concentrations de plus en plus faibles. Nous sommes ainsi passés de la détection, dans les années 1960-1970, de concentrations de l'ordre d'un milligramme par litre, soit environ un kilogramme de sucre dans une piscine olympique, à un microgramme par litre, qui représente un sucre dans cette même piscine, pour atteindre aujourd'hui l'échelle du nanogramme par litre, soit quelques grains de sucre dans ce même volume d'eau.

Ces techniques performantes ont pour conséquence des risques accrus de contaminations croisées entre le moment où l'on effectue le prélèvement et celui où l'on procède à l'analyse en laboratoire. Cela renforce aussi le besoin d'interpréter ces résultats en lien avec l'évaluation des risques sanitaires, ce qui fera l'objet de la seconde table ronde. Puisque nous sommes susceptibles de quantifier quasiment n'importe quelle molécule dans n'importe quelle matrice, nous devons en effet obligatoirement mettre ces chiffres en perspective avec une évaluation des risques sanitaires.

Je souhaiterais vous présenter un exemple qui illustre parfaitement les liens et interactions existant entre recherche, évaluation et gestion. Lors de la dernière campagne exploratoire relative aux métabolites de pesticides, l'un d'entre eux a particulièrement retenu notre attention : il s'agit du chlorothalonil R471811, métabolite d'un fongicide interdit à la fabrication en 2019 et à l'utilisation en 2020, qui avait été identifié par une équipe suisse avec une méthode non ciblée montrant la présence de cette molécule dans un grand nombre de captages, raison pour laquelle nous l'avons retenue dans notre campagne nationale initiée en 2020. Nous avons pu mettre en évidence des teneurs dépassant la valeur de 0,1 microgramme par litre et le ministère de la santé a saisi l'Anses pour qu'elle réalise une évaluation des risques sanitaires afin de voir si cette molécule présentait un risque. S'en est également suivi un avis du Haut Conseil de la santé publique en 2022 et une instruction du ministère de la santé qui a permis d'établir des modalités de gestion pour faire face à la présence de cette molécule. Parallèlement, le ministère de la transition écologique a retenu cette molécule d'intérêt dans son arrêté « surveillance » en 2022. Ces différentes étapes se sont déroulées avant la publication du rapport et l'interprétation finale des résultats, ce qui montre la dynamique susceptible de se mettre en place lorsque l'on se trouve face à des contaminations inattendues. Nous sommes actuellement en train d'accompagner les laboratoires qui vont progressivement mettre en place la surveillance nationale de cette substance.

Je conclurai en rappelant que l'eau de consommation est probablement le bien commun le plus surveillé. La nouvelle réglementation européenne, avec la directive « eau potable », va encore renforcer cette surveillance, avec la mise en place de listes de vigilance et des campagnes prospectives permettant de mieux connaître la qualité des ressources en s'intéressant à des paramètres qui ne sont pas réglementés. Nous avons, dans ce contexte, plus que jamais besoin d'échanger avec les équipes d'universitaires, de scientifiques et les différents acteurs, de mettre en commun données et connaissances et de nous intéresser à des méthodes d'approche globales et semi-globales, puisqu'il n'est pas possible de rechercher l'ensemble des composés et que nous avons besoin d'indicateurs globaux.

Je termine cet exposé en mentionnant, à titre d'exemple, les molécules d'intérêt retenues pour la prochaine campagne de polluants émergents, qui va débuter début 2024 autour de composés PFAS, de quelques pesticides et d'approches non ciblées qui vont nous permettre de nous intéresser a posteriori à des molécules que nous n'avons pas encore identifiées aujourd'hui.

Mme Angèle Préville, sénatrice, vice-présidente de l'Office, rapporteure. - Merci. Je donne maintenant la parole à Mme Métayer pour nous présenter les modalités et les résultats de la surveillance des milieux aquatiques.

Mme Marie-Laure Métayer, adjointe au directeur de l'eau et de la biodiversité au sein du ministère de la transition écologique. - Je vous remercie de nous donner l'occasion de présenter l'organisation de la surveillance de la contamination des milieux aquatiques.

Il faut tout d'abord savoir que ce domaine est régi par la directive-cadre européenne sur l'eau, directive de référence sur la surveillance de la qualité des milieux aquatiques, qui impose depuis 2000 aux États membres de mettre en oeuvre des programmes de surveillance sur l'ensemble des masses d'eau, avec des obligations de résultat qualifiées de « bon état des eaux » et une première échéance qui était fixée à 2015.

Dès 2007, la France a organisé son programme de surveillance, conformément aux obligations européennes, en définissant un réseau représentatif de points de surveillance sur l'ensemble des masses d'eau concernées. Ce terme recouvre les masses d'eau continentales, superficielles, souterraines et côtières. Nous avons dénombré 689 masses d'eau souterraines en France, incluant les territoires ultramarins, et 11 407 masses d'eau superficielles, comprenant les plans d'eau, les estuaires, les cours d'eau et les zones côtières.

Ce programme est organisé autour de points représentatifs de ces différents types de masses d'eau. Nous avons ainsi environ 1 500 stations sur les cours d'eau, près de 2 000 sur les eaux souterraines et 150 à 200 sur le reste des eaux côtières et continentales. Bien entendu, le choix des points d'eau ne doit rien au hasard : il est effectué au regard de leur représentativité et de leur intérêt pour les recherches que l'on a besoin de conduire.

La difficulté essentielle consiste, comme exposé précédemment, à définir les listes de substances chimiques à surveiller parmi les centaines de milliers présentes dans l'environnement. Il faut savoir tout d'abord qu'une liste de substances « pertinentes, prioritaires et dangereuses prioritaires » est imposée par la directive-cadre sur l'eau. Les substances prioritaires sont celles dont il est demandé de diminuer la concentration, tandis que les dangereuses prioritaires sont celles qui doivent être éliminées. Ce socle défini à l'échelle de l'Union européenne peut être complété par les États membres, étant entendu qu'en termes de gestion de l'eau l'échelle territoriale est fondamentale puisque les substances à surveiller peuvent varier en fonction des pressions exercées sur un territoire. C'est dans cette logique que sont déterminées des listes nationales, sur la base d'un travail de recherche de substances pertinentes et d'un cycle dynamique d'identification de molécules à rechercher de façon complémentaire, mais aussi des listes locales, à l'échelle des bassins. Les agences de l'eau peuvent ainsi suivre un certain nombre de substances d'intérêt selon l'historique du territoire considéré, le niveau de pression agricole et industrielle, le nombre d'habitants, etc.

Pour que toutes les données recueillies soient exploitables et validées, elles doivent être comparables et collectées selon des méthodes fiables, de façon homogène. Tous ces protocoles sont définis par des arrêtés définissant pour chacun le cadre dans lequel doit s'accomplir la surveillance.

La coordination technique de ces programmes de surveillance est effectuée par l'Office français pour la biodiversité. Les données collectées dans le cadre de la surveillance de l'ensemble des masses d'eau sont mises à disposition du public par le biais du système d'information sur l'eau, sachant que les bases de données pour les eaux souterraines et superficielles sont distinctes.

En matière de résultats, il est évident que plus l'on cherche, plus l'on trouve. Le principe de la réglementation européenne est de rapporter régulièrement auprès de la Commission européenne sous forme d'un état des lieux, sachant que la surveillance est organisée en cycles de six ans, au cours desquels sont révisés l'ensemble des processus et tous les arrêtés définissant la liste des substances, d'où l'intérêt de travailler en temps masqué pour anticiper la révision et ajouter des substances à la liste.

Les méthodologies d'analyse, de plus en plus performantes, permettent de trouver des substances que l'on n'était pas en capacité de déceler auparavant. Dans la logique de la directive-cadre sur l'eau, si un seul paramètre dépasse la norme, alors l'ensemble de la masse d'eau est déclassé. Cela est normal, mais très sévère. Ce cadre strict peut ne pas inciter certains États membres à mener des recherches plus approfondies, puisque cela leur fait encourir un risque de déclassement plus grand. Cela constitue un sujet intéressant à creuser. En effet, même si tout est fait pour que les situations entre les pays soient homogènes et comparables, il est évident que tous les États ne mettent pas le même dynamisme pour rechercher la présence de substances, avec l'impact que cela peut avoir.

Nous sommes ainsi soumis à des obligations de bon état des eaux. Notre dernier rapportage auprès de la Commission européenne date de 2019 et nous sommes en train de préparer le suivant pour 2028, sur la base d'un état des lieux réalisé en 2025. Le rapportage européen est un processus administratif extrêmement lourd, ce qui explique le décalage entre le moment où l'on dispose des données de l'état des lieux et la finalisation officielle du rapport.

Les résultats rapportés en 2019 sont les suivants : 44,7 % des masses d'eau de surface et 70,7 % des eaux souterraines sont identifiées comme étant en bon état. Concernant les eaux de surface, ce taux monte à 70 % si l'on écarte les substances dites « ubiquistes », que l'on trouve partout et sur lesquelles il est difficile d'avoir une action efficace pour réduire la contamination de l'eau. Pour ce qui est des eaux souterraines, nous avons gagné 10 points par rapport au précédent rapportage de 2016. Il importe cependant de considérer les chiffres avec la plus grande prudence : cette amélioration globale de 10 points ne doit pas masquer le fait que la situation au regard de la présence de pesticides ne s'améliore pas. Le problème avec les eaux souterraines tient au fait que les dynamiques de contamination sont caractérisées par des pas de temps très longs, pour lesquels il est compliqué d'observer le résultat d'une action. L'amélioration globale de l'état des eaux souterraines s'explique par les efforts considérables effectués notamment en matière d'assainissement, l'interdiction d'un certain nombre de substances et de molécules phytosanitaires, et les changements de pratiques domestiques.

Pour ce qui est de la question des pesticides et des eaux souterraines, il faut savoir qu'il existe encore aujourd'hui un certain nombre de déclassements. Les pesticides constituent la première cause de déclassement des eaux souterraines. La difficulté est liée à un certain nombre de substances rémanentes. À titre d'exemple, l'atrazine, herbicide très largement utilisé en grandes cultures avant d'être interdit voici près de vingt ans, constitue encore la première cause de déclassement des eaux souterraines. Il existe par ailleurs des facteurs d'accumulation, dans la mesure où d'autres substances utilisées viennent s'y ajouter. Cette problématique est pour nous une priorité en termes d'actions de prévention. En effet, nous considérons que la meilleure façon de lutter contre les micropolluants réside dans la prévention. Il faut savoir, par exemple, que le coût du traitement est au moins trois fois supérieur à celui de la prévention. On oublie par ailleurs très souvent, lorsque l'on évoque le traitement de l'eau potable, que l'une des problématiques majeures des micropolluants est la pollution de l'environnement et les impacts sur la biodiversité des écosystèmes, avec toutes les répercussions que cela peut avoir sur la santé. Cela procède véritablement d'un enjeu global de prévention, prioritaire par rapport au traitement.

La lutte contre les micropolluants est une priorité du gouvernement. Ainsi, le plan eau, présenté par le président de la République le 30 mars 2023, associe les approches quantitative et qualitative. Pendant la période de sécheresse de l'été 2022, la France a connu un certain nombre de ruptures d'approvisionnement en eau potable et de fermetures de captages dues à l'augmentation des concentrations de micropolluants, notamment de pesticides, liée à la baisse du niveau quantitatif des réserves d'eau. Il existe un lien très étroit entre les aspects quantitatif et qualitatif.

Nous sommes actuellement en train de réviser le deuxième plan micropolluants, qui s'est achevé fin 2021. La lutte contre les micropolluants sera une priorité du douzième programme des agences de l'eau, qui démarrera en 2025.

Un accent très fort est par ailleurs mis sur les microplastiques, qui font également l'objet d'un certain nombre d'actions prioritaires de la part du gouvernement.

Mme Angèle Préville, sénatrice, vice-présidente de l'Office, rapporteure. - Je laisse maintenant la parole à Mesdames Caté, Jedor et Franques sur la surveillance des eaux destinées à la consommation humaine.

Mme Laurence Caté, adjointe à la sous-directrice de la prévention des risques liés à l'environnement et à l'alimentation à la Direction générale de la santé. - Merci de votre invitation à venir évoquer les missions et le rôle du ministère chargé de la santé et des agences régionales de santé (ARS) en matière de contrôle sanitaire de l'eau potable.

Marie-Laure Métayer m'offre l'occasion d'une transition, puisque le plan d'action pour une gestion résiliente et concertée dans le domaine de l'eau, annoncé par le président de la République le 30 mars dernier, comprend 53 mesures concrètes répondant aux grands enjeux de sobriété de l'usage, de disponibilité et de qualité de la ressource, notamment en eau potable, et de réponse face aux crises de sécheresse. L'un des objectifs est de prévenir la pollution des milieux aquatiques et de renforcer la protection des aires d'alimentation des captages.

Les micropolluants représentent plus de 100 000 molécules, parmi lesquelles des plastifiants, des détergents, des métaux, des hydrocarbures, des pesticides, qui peuvent engendrer à très faible concentration des effets négatifs sur les organismes vivants, en raison de leur toxicité, de leur persistance et du phénomène de bioaccumulation.

En France, les actions mises en oeuvre pour mieux connaître et agir sur ces micropolluants sont décrites dans le plan national d'action sur les micropolluants, piloté par le ministère de la transition écologique, qui couvre la période 2016-2021. Un troisième plan est en préparation, pour établir une meilleure connaissance des micropolluants et réduire cette pollution à la source.

Au sein du ministère chargé de la santé, la Direction générale de la santé pilote la politique et la réglementation en matière de sécurité sanitaire de l'eau potable. Elle remplit à ce titre trois missions : l'encadrement juridique du contrôle sanitaire par les agences régionales de santé et la fixation de la doctrine par la voie de différentes instructions nationales ; l'anticipation de la recherche et la détection de pollutions émergentes, en mandatant l'Anses ; la participation à différents plans et stratégies (dont les deux plans micropolluants et le récent plan sur les PFAS émanant du ministère de la transition écologique) pour intégrer la surveillance et la recherche des micropolluants dans les eaux, notamment celles servant à la production d'eau potable.

Les agences régionales de santé sont chargées de mettre en oeuvre cette politique, notamment d'exercer le contrôle sanitaire. Pour rappel, le suivi de la qualité de l'eau repose sur deux volets complémentaires : d'une part, une surveillance par les entités responsables de la production et de la distribution d'eau, c'est-à-dire les collectivités locales ou les syndicats d'alimentation en eau potable et leurs délégataires, d'autre part, un contrôle sanitaire exercé à travers les ARS. Le contenu de la surveillance et du contrôle sanitaire (analyses, fréquence, points de surveillance) est défini par le cadre national, qui découle lui-même de la réglementation européenne, en l'occurrence la directive eau potable 2020/2184, récemment transposée par la France. On peut se féliciter qu'elle soit l'un des sept États membres à avoir effectué cette transposition dans les délais impartis.

À propos des principales évolutions relatives aux substances recherchées dans le cadre du contrôle sanitaire, je souhaiterais, à l'image de Christophe Rosin, insister tout d'abord sur le fait que l'eau est un aliment très contrôlé. Le contrôle sanitaire donne lieu annuellement à environ 320 000 prélèvements et nous enregistrons dans la base de données nationale SISE-Eaux plus de 18,5 millions d'analyses, ce qui est considérable.

En fonction des paramètres, des analyses sont réalisées dans les eaux brutes, souterraines ou superficielles, utilisées pour la production, ainsi que dans l'eau distribuée, au point de mise en distribution en sortie de station de production et au robinet du consommateur. Les prélèvements et analyses sont réalisés par des laboratoires agréés pour le contrôle sanitaire des eaux, notamment par l'Anses pour la partie microbiologique et chimique, et retenus dans le cadre de marchés publics établis par les ARS.

L'évolution du nombre de molécules recherchées concerne essentiellement ces dernières années les pesticides et métabolites de pesticides. Ainsi, le programme du contrôle sanitaire de chaque région contient en moyenne 250 pesticides et métabolites recherchés. À cet égard, le ministère de la santé a diffusé le 18 décembre 2020 une proposition de méthodologie pour harmoniser les modalités de sélection de ces molécules au regard notamment des pratiques culturales agricoles et des ventes de pesticides.

Un autre élément d'évolution du contrôle sanitaire est la transposition de la directive 2020/2184, qui permettra d'ajouter d'ici janvier 2026 de nouveaux paramètres tels que les composés perfluorés, l'acide haloacétique, l'uranium et les chlorates. La directive comprend par ailleurs une liste de vigilance pour des substances à caractère de perturbateurs endocriniens, également ajoutées au contrôle sanitaire : le 17-bêta- oestradiol et le nonylphénol.

Au-delà du contrôle sanitaire, nous mandatons le laboratoire d'hydrologie de l'Anses basé à Nancy pour, comme l'a expliqué M. Rosin, réaliser des campagnes nationales exploratoires pour rechercher des paramètres émergents et non réglementés, à la fois dans les eaux brutes et les eaux distribuées. La dernière en date, qui s'est déroulée sur la période 2020-2022, a porté sur les pesticides et les métabolites de pesticides, notamment le chlorothalonil, les résidus d'explosifs et le 1,4-dioxane. Au regard de cette campagne, il est prévu que le contrôle sanitaire évolue, notamment pour intégrer le chlorothalonil. Ceci doit s'effectuer en lien avec une montée en compétences des laboratoires agréés, qui doivent s'approprier les techniques adaptées afin d'être en mesure de rendre des analyses sous accréditation, ce qui n'est pas encore le cas.

Je souhaiterais maintenant évoquer les principaux résultats du contrôle sanitaire au niveau national. À la DGS, nous exploitons à travers la base de données SISE-Eaux les données nationales concernant la qualité microbiologique de l'eau, en rapport avec la présence de nitrates et de pesticides. Ces bilans nationaux, assortis d'une synthèse, sont publiés annuellement sur notre site internet et font l'objet d'un rapportage auprès de l'Union européenne, au titre de la directive eau potable. En 2021, il apparaissait que 98,3 % de la population étaient alimentés par de l'eau respectant en permanence les limites de qualité microbiologique et 82,6 % par de l'eau respectant en permanence les limites de qualité réglementaire pour les pesticides. De plus, pour la quasi totalité de la population alimentée par une eau non conforme, les dépassements se sont avérés limités en concentration et dans le temps, ne nécessitant pas de restrictions de l'usage de l'eau du robinet. Enfin, 99,3 % de la population étaient alimentés par une eau dont la qualité respectait en permanence la limite de qualité pour les nitrates fixée par la réglementation.

Une analyse plus précise est également réalisée au niveau local par les ARS afin de connaître les tendances et les évolutions dans les territoires, et publiée sur leurs sites internet.

Toutes les données recueillies par les autorités sanitaires sont disponibles depuis de nombreuses années sur notre site internet et depuis 2019 en open data. Elles sont également publiées sur les sites des ARS et affichées en mairie, conformément à la législation. Une synthèse annuelle accompagne par ailleurs la facture d'eau des abonnés. Elle sera également bientôt transmise, grâce aux évolutions permises par la directive, aux habitants en copropriété et aux locataires.

Quelles sont les actions conduites en cas de non-conformité et pour améliorer la qualité de l'eau potable ? Les résultats du suivi de la qualité de l'eau conduisent si besoin à des mesures de gestion. Je rappelle qu'une non-conformité désigne toute situation de dépassement de la limite de qualité fixée par la réglementation en tout point de surveillance et de contrôle. Ces limites sont fondées sur des recommandations et des évaluations de l'Organisation mondiale de la santé : il s'agit donc de valeurs guides, établies sur la base de connaissances scientifiques et médicales, indiquant que la présence dans l'eau de tel ou tel composant est susceptible d'induire à plus ou moins long terme un risque pour la santé de la population. Cela procède des paramètres microbiologiques d'une trentaine de substances indésirables ou toxiques : nitrates, métaux, solvants chlorés, hydrocarbures, pesticides. Ces limites garantissent un haut niveau de protection sanitaire de la population.

Tout dépassement de limite de qualité observé soit au travers de la surveillance de l'exploitant, soit par l'intermédiaire du contrôle sanitaire doit appeler une action de la part de la personne responsable de la production et de la distribution d'eau, à savoir une investigation visant à trouver la raison de la contamination et de la non-conformité, l'information des autorités sanitaires et de la population et la mise en oeuvre d'actions correctives.

Lorsqu'une eau dépasse une limite de qualité, le droit européen, transcrit dans le droit national, autorise néanmoins sa distribution aux consommateurs dans un cadre dérogatoire fixé par arrêté préfectoral et pour une durée limitée à trois ans renouvelable, sous réserve, d'une part, qu'il n'y ait pas de dépassement de la valeur sanitaire individuelle fixée pour le paramètre lorsqu'elle existe, d'autre part, que la personne responsable de la production et distribution d'eau mette en oeuvre des actions préventives et curatives. Cela vise à améliorer la qualité de la ressource, éviter la pollution à la source (raison pour laquelle sont mis en place des périmètres de protection des captages d'eau potable) et permettre la mise en oeuvre de traitements ou d'interconnexions avec d'autres réseaux de dilution, afin de revenir à terme à une eau conforme. Cette dérogation, limitée dans le temps, comprend forcément un volet d'information de la population. En cas de non-conformité et de dépassement de la valeur sanitaire ou d'absence de valeur sanitaire (problématique rencontrée en 2022 pour un certain nombre de métabolites de pesticides), il est recommandé une restriction de la consommation de l'eau de boisson et de cuisson des aliments.

L'accompagnement des personnes responsables de la production et de la distribution d'eau s'effectue au niveau des agences régionales de santé. Il faut savoir que la distribution d'une eau de qualité nécessite, comme cela a été indiqué par Marie-Laure Métayer, la définition et la mise en oeuvre de mesures préventives, mais aussi curatives. La protection des ressources en eau passe en premier lieu par des mesures de prévention comme l'interdiction d'utiliser des polluants, notamment des pesticides, à proximité des captages d'eau : cela fait l'objet des prescriptions fixées dans les arrêtés préfectoraux et vise à éviter que la qualité de ces eaux ne se dégrade. En effet, la reconquête de la qualité de l'eau brute est déjà un enjeu, qui doit mobiliser l'ensemble des acteurs du territoire et des acteurs interministériels.

Nos missions s'exercent ainsi dans différents domaines pour améliorer les connaissances, la surveillance et les mesures de gestion sanitaire des risques associés aux micropolluants présents dans l'eau. Tout comme la préservation de la quantité d'eau et de sa disponibilité, la préservation de la qualité sanitaire de l'eau potable constitue une priorité nécessitant une action interministérielle transcrite dans le plan eau actuel, dans le plan PFAS mais aussi dans le plan d'action de gestion interministérielle des pesticides dans l'eau, pour renforcer en amont la prévention et la lutte contre ces pollutions et mettre en oeuvre en aval des mesures curatives de traitement, d'interconnexion et de dilution.

Mme Angèle Préville, sénatrice, vice-présidente de l'Office, rapporteure. - Merci beaucoup pour toutes vos présentations.

Nous abordons à présent la partie consacrée aux questions. Je souhaiterais tout d'abord que l'un des intervenants puisse nous redonner le nombre de substances recherchées actuellement, le nombre de dépassements survenus l'été dernier, si on le connaît, et nous indiquer si cela correspondait à une circonstance particulière ou si des dépassements de qualité de l'eau avaient également eu lieu à d'autres reprises lors des années précédentes.

Pourriez-vous par ailleurs nous faire part de vos projections pour les années à venir ?

Mme Christine Arrighi, députée, rapporteure. - Mme Budzinski nous a indiqué qu'il existait a priori 350 000 polluants. Or nous avons à plusieurs reprises par la suite entendu le nombre 100 000. Pourriez-nous nous apporter quelques précisions à ce sujet ?

Vous nous avez, M. Rosin, présenté un schéma sur le chlorothalonil. Je souhaiterais que vous repreniez cet exemple et nous indiquiez comment l'équipe suisse est parvenue à découvrir cette substance, si ce produit a été mis sur le marché et quelles décisions ont éventuellement été prises.

Vous avez évoqué, Mme Métayer, l'existence d'une liste de substances à surveiller. Pourriez-vous nous préciser qui établit cette liste, comment et sur quelles bases ? Les arrêtés par substances sont-ils en lien avec la remontée des données prévue pour 2025 ?

Vous nous avez par ailleurs expliqué qu'il se passait trois ans entre l'obtention des résultats et le rapportage auprès de l'Union européenne. Imaginons qu'une substance suspecte soit repérée entre ces deux dates, que se passe-t-il ?

Mme Angèle Préville, sénatrice, vice-présidente de l'Office, rapporteure. - Les PFAS sont des molécules connues depuis des années. Sans doute a-t-on déjà mesuré leurs potentiels impacts sur la santé humaine et l'environnement. Attend-on de disposer d'études supplémentaires pour agir ? Cela dépend-il de l'Europe ? J'avais, dans le cadre de la loi climat et résilience, demandé au gouvernement un rapport à ce sujet qui est sorti cette année. Je souhaitais la mise en place d'une interdiction ou d'une surveillance. Il m'a été répondu que cela relevait du champ règlementaire. Ce règlement va-t-il arriver ? Viendra-t-il de l'Europe ? J'aimerais beaucoup que vous m'apportiez quelques précisions à ce sujet.

Mme Michelle Meunier, sénatrice- L'ONG Générations futures, que nous allons entendre tout à l'heure, projette de porter plainte contre X à ce sujet. Mon département, la Loire-Atlantique, est concerné, puisque l'on y a retrouvé des PFAS dans les eaux.

Je profite de la présence de la DGS et de Mme Métayer pour savoir s'il existe déjà des orientations ou des directives concernant les PFAS, à la suite notamment de la remise en avril dernier du rapport de l'inspection générale de l'environnement et du développement durable.

M. Christophe Rosin. - Concernant le nombre de substances recherchées, on peut citer, au titre du contrôle sanitaire, le nombre de 800 molécules environ, qui font l'objet d'un agrément pour au moins un laboratoire. Parmi ces molécules figurent énormément de pesticides. La surveillance s'exerce aujourd'hui sur les quelque 18 millions de paramètres analysés tous les ans dans le cadre du contrôle sanitaire. Cela couvre au maximum environ 800 molécules.

J'ai cité dans mon exposé le nombre de 100 000 molécules : il s'agit d'une donnée indicative correspondant aux molécules commercialisées en Europe.

Mme Hélène Budzinski. - Si ma mémoire est bonne, le nombre de 100 000 provient d'une hiérarchisation de substances à partir de laquelle on définit le nombre de substances qui, en termes de quantité de commercialisation, sont intéressantes ou inquiétantes.

Le nombre de 350 000 est extrait d'une publication récente de Wang et de ses collaborateurs qui dresse un état des lieux de toutes les substances, plus ou moins bien connues, qui ont été recensées dans l'environnement. Ce nombre peut sembler important, mais reste faible au regard des millions de substances potentiellement présentes.

Mme Angèle Préville, sénatrice, vice-présidente de l'Office, rapporteure. - Ce nombre n'inclut donc pas les métabolites.

Mme Hélène Budzinski. - Le nombre de 100 000 n'inclut a priori pas de produits de transformation ou très peu, à la marge. Il y en a en revanche dans les 350 000. Je pense par exemple que les travaux de Wang intègrent les métabolites du métolachlore ou du chlorothalonil. Pour autant, on n'aborde pas pour l'instant de façon systématique les produits de transformation, parce qu'on ne les connaît pas et que l'on ne dispose pas à leur sujet de données suffisantes ou de méthodes appropriées. Il reste donc encore une masse de substances à objectiver, comme l'a montré l'étude de l'équipe suisse sur le chlorothalonil citée par M. Rosin, qui est une parfaite illustration de ce que l'on ignore parce qu'on ne le regarde pas.

M. Christophe Rosin. - Concernant cet exemple, il faut savoir que l'équipe suisse a procédé sur la base d'une approche non ciblée. Alors qu'habituellement on a tendance à trouver uniquement ce que l'on cherche, ces chercheurs ont privilégié une démarche assez novatrice, qui leur a permis de mettre cette molécule en évidence. C'est la raison pour laquelle nous l'avons retenue dans notre campagne exploratoire. Un certain nombre de mesures d'évaluation et de gestion ont suivi, qui se sont déroulées en amont de l'interprétation finale et du rendu du rapport en avril 2023. Le chlorothalonil est un fongicide autorisé dans les années 1970 et très largement utilisé. Je crois qu'il était question d'environ 2 000 tonnes par an. Il a été interdit en 2019.

Les PFAS regroupent un grand nombre de molécules. On en compte une vingtaine dans la directive sur l'eau potable et 24 dans la règlementation sur la surveillance des milieux aquatiques. Cela ne couvre pas toutes les molécules et on trouve toujours de nouvelles molécules d'intérêt. Il est donc vraiment nécessaire de développer des approches plus globales et intégratrices, permettant de disposer d'un indicateur de la contamination aux PFAS, car il n'est pas possible de suivre l'ensemble des molécules.

Mme Angèle Préville, sénatrice, vice-présidente de l'Office, rapporteure. - Cette question est d'autant plus problématique que les PFAS sont qualifiés de polluants éternels. Lorsqu'ils sont présents à un endroit, on a la certitude qu'ils le sont pour très longtemps.

M. Christophe Rosin. - Ces molécules présentent en effet des liaisons carbone - fluor très solides et très peu biodégradables.

Mme Christine Arrighi, députée, rapporteure. - S'il s'agit d'un fongicide vendu et utilisé dans les années 1970, on ne le trouve pas là par hasard. Des autorisations ont été données pour sa commercialisation et il n'a été interdit qu'en 2019. Comment se fait-il, au regard de tous les critères qui nous ont été communiqués, que ce produit n'ait pas été recherché avant, durant ces trente années ?

M. Christophe Rosin. - On sait rechercher les produits de dégradation des pesticides depuis assez peu de temps. Un accent particulier est mis aujourd'hui sur les métabolites de pesticides, molécules que l'on ne recherchait pas voici dix ou quinze ans. Les connaissances s'améliorent au fil du temps et nous permettent de mettre en évidence des produits de dégradation, malheureusement souvent plus stables que les pesticides initiaux. Nous n'avons que peu de visibilité : nous savons que la molécule a été interdite en 2019 et il est important de suivre aujourd'hui l'évolution de la qualité des eaux pour savoir si cette interdiction se traduit ou non par une baisse des niveaux de concentration. L'avenir le dira.

Mme Hélène Budzinski. - Il y a vraiment eu un progrès dans le domaine de la chimie analytique : au-delà du fait que l'on dispose maintenant de l'analyse non ciblée, la différence pour les métabolites du chlorothalonil réside dans la capacité du laboratoire de recherche à aborder les produits dits persistants mobiles, très hydrophiles et solubles dans l'eau, à la manière des PFAS. Du fait de ces caractéristiques, lorsque l'on effectue des extractions pour doser les pesticides, on perd ces métabolites et on ne les voit pas. Ainsi, dans les screenings visant les formes actives initiales ou d'autres molécules, ces composés étaient perdus. Il a fallu que le laboratoire développe une méthodologie très spécifique pour les substances hydrophiles polaires et persistantes pour les mettre en évidence. Pendant de nombreuses années, nous sommes ainsi passés à côté de ces substances, non par défaut, mais parce que la multitude chimique est tellement importante que tout ne peut pas être traité. Même actuellement, la préparation de l'échantillon conditionne le résultat qui va être obtenu. En outre, les étalons ne sont disponibles que depuis quelques années seulement.

Mme Angèle Préville, sénatrice, vice-présidente de l'Office, rapporteure. - A-t-on aujourd'hui une idée du nombre de métabolites que peut former un pesticide ? Existe-t-il des études sur le sujet, des méthodes d'anticipation ? Dispose-t-on de résultats sur des pesticides et des métabolites connus, qui permettraient d'en évaluer le nombre ?

Mme Hélène Budzinski. - On ne dispose pas d'une connaissance exhaustive des métabolites qui peuvent se former à partir de chaque pesticide. Normalement, à quelques exceptions près, une grande partie de ces informations existent et figurent dans les dossiers d'homologation, lesquels ne sont pas forcément totalement publics, surtout lorsqu'ils concernent de nouveaux pesticides. L'industrie qui commercialise le produit a l'obligation de tout étudier. Toutes ces données existent donc quelque part, mais il n'est pas facile d'y accéder de façon rapide et conjoncturelle.

Il est également possible d'effectuer de la modélisation moléculaire. Ces procédés se développent actuellement. Le laboratoire suisse dont il était question précédemment a par exemple beaucoup travaillé sur ces techniques. Grâce à des logiciels, il est possible de postuler des molécules. La difficulté tient alors au fait que l'on ne dispose pas d'étalon. Le procédé ne peut pas être appliqué à grande échelle, mais permet néanmoins de progresser.

Certaines équipes spécialisées étudient par ailleurs le devenir des pesticides et d'autres molécules en photodégradation, photo-oxydation, dégradation microbienne ou oxydative globale. Ces travaux ne peuvent toutefois s'effectuer que molécule par molécule. Nous disposons donc de plus en plus de données, mais les études menées sont encore loin d'avoir concerné l'ensemble des pesticides.

M. Christophe Rosin. - Des collègues de la phytopharmacovigilance ont effectué récemment un inventaire qui met en évidence environ 2 000 métabolites en lien avec les quelque 300 pesticides autorisés aujourd'hui. Les produits de dégradations sont donc plus nombreux que les produits initiaux : on compte environ huit à dix métabolites par substance active. Combien de pertinents ? L'avenir le dira.

Mme Marie-Laure Métayer. - Concernant les pesticides et la surveillance environnementale des masses d'eau, il faut savoir que le suivi qui nous intéresse le plus est celui des eaux souterraines, pour lesquelles les pesticides constituent le premier facteur de déclassement. En effet, pour les masses d'eau superficielles, les éléments les plus déclassants ne sont pas les pesticides, mais l'hydromorphologie, c'est-à-dire les aspects de continuité écologique.

En 2018, sur les 760 substances phytopharmaceutiques recherchées (incluant les métabolites) dans les eaux souterraines, 46 % ont été quantifiées ; pour mémoire, ce taux était de 40 % en 2010 sur 660 substances recherchées. La présence d'au moins un pesticide était par ailleurs constatée dans 80 % des 2 300 points de mesure. Cela donne un ordre de grandeur et montre l'aspect généralisé de la contamination des eaux souterraines. Pour 35 % de ces points de mesure, la concentration totale en pesticides dépassait la norme de 0,5 microgramme par litre, alors que ce taux s'établissait à 14 % en 2010. Pour 47 % de ces points de mesure, elle dépassait la norme de 0,1 microgramme par litre pour au moins une substance individuelle. Il faut savoir également que les substances majoritairement retrouvées restent l'atrazine (pourtant interdite depuis vingt ans), le chlorate de sodium et la simazine.

Mme Christine Arrighi, députée, rapporteure. - Vous parlez de 760 substances. J'imagine que vous ne recherchez pas toujours le même corpus de substances et que l'échantillonnage évolue.

Mme Marie-Laure Métayer. - À partir du moment où des substances sont d'intérêt, nous les conservons dans l'échantillon. Nous distinguons les substances prioritaires, qui sont définies au niveau européen, les substances dites préoccupantes, qui peuvent être définies à l'échelon national, et des substances supposées pertinentes, qui font l'objet d'un programme expérimental, ne figurent pas dans les arrêtés de surveillance obligatoire, mais dont le protocole est défini au niveau national avec les agences de l'eau et les laboratoires pour voir s'il est pertinent de les intégrer dans un programme national. Pour conclure sur la pertinence de retenir ou non une substance, nous croisons un certain nombre de paramètres, concernant leur toxicité, mais aussi le fait qu'elles soient ou non détectables et mesurables. L'un des enjeux est de progresser sur la mise au point de méthodes permettant de détecter davantage de substances. Plus nous améliorons nos capacités d'analyse et nos méthodologies de recherche, plus nous trouvons de substances. Pour autant, ces substances sont bien là et posent problème. Nous avons évoqué les produits phytosanitaires, mais nous aurions également pu citer les nitrates, qui constituent le deuxième facteur de déclassement de la qualité des eaux souterraines en France.

Au niveau de chaque bassin, les agences de l'eau ont par ailleurs des listes de substances spécifiques à surveiller au regard des analyses de risques locales.

Il existe donc un emboîtement d'échelles, qui procèdent toutes de la même logique.

S'ajoutent aux 760 pesticides recherchés dans les eaux souterraines, 47 substances définies comme prioritaires au niveau européen.

Pour ce qui est des eaux superficielles, environ 250 substances sont recherchées. On dénombre 45 substances prioritaires au niveau européen, dont 4 PFAS, contre 20 surveillés dans les eaux souterraines. Nous nous sommes, sur cette question des PFAS, alignés depuis 2022 sur les éléments énoncés dans la directive eau potable et avons mis en articulation la surveillance environnementale et la surveillance de l'eau potable. Dès l'arrêté de surveillance de 2022 révisant la liste des substances surveillées au titre de la directive cadre sur l'eau, nous avons ainsi ajouté 14 nouveaux PFAS aux 6 déjà surveillés dans les eaux souterraines, et en surveillons 4 au lieu d'un pour les eaux superficielles. Cela est très peu au regard du nombre des substances composant cette énorme famille, mais la perspective, en articulation avec le niveau européen, dans le cadre du plan PFAS, est d'envisager la possibilité de généraliser la surveillance de ces substances dans les eaux de surface.

L'Europe travaille en outre à l'élargissement du spectre des substances surveillées.

Au-delà de cet aspect, l'un des éléments majeurs du futur plan micropolluants sera de ne plus effectuer de surveillance substance par substance, mais par famille de substances et, lorsque l'on trouvera des dépassements sur des sommes de substances, d'aller en rechercher plus finement l'origine. Un autre exemple relatif aux phytosanitaires peut être trouvé avec les néonicotinoïdes. On a utilisé l'imidaclopride sur la betterave pendant très longtemps, si bien que les taux de contamination des eaux souterraines par ce produit sont très importants dans le bassin Nord Picardie. Des résistances à l'imidaclopride sont apparues peu à peu et on l'a remplacé par le thiaméthoxame. Actuellement, on recherche l'imidaclopride et parfois le thiaméthoxame ; or ces deux substances ont le même mode d'action et le même effet écotoxique. L'intérêt serait donc de surveiller non pas chaque substance, mais une famille de composés chimiques ayant le même mode d'action, afin d'aller vers une plus grande efficacité. Ces réflexions sont en cours dans le cadre du futur plan micropolluants.

La directive européenne prévoit une révision obligatoire des listes tous les six ans. Concernant les dates, l'une des difficultés tient au fait que les données doivent être exploitables, robustes et homogènes. Cela nécessite un gros travail de validation des données une fois qu'elles sont remontées et peut expliquer l'existence d'un décalage entre le moment de la collecte et celui du reporting. Je vous préciserai les pas de temps exacts ultérieurement.

Mme Laurence Caté. - Concernant la question de Mme Meunier et l'action de la DGS, il faut savoir que la limite de qualité fixée par la directive 2022/1184 a été transposée en droit français et s'applique depuis le 1er janvier 2023. L'intégration dans le contrôle sanitaire s'effectuera au plus tard, selon le calendrier des ARS, le 1er janvier 2026. Certaines ARS sont toutefois déjà en voie d'intégrer cette limite dans le contrôle sanitaire. Le code de la santé publique permet, en fonction des situations locales, d'ajouter un paramètre à ce contrôle lorsque cela semble pertinent.

Plusieurs ministères ont par ailleurs saisi l'Anses en novembre 2022 d'une nouvelle évaluation des risques et des expositions aux PFAS dans différents milieux, lui demandant de dresser un état des lieux des valeurs de gestion existantes dans la littérature et dans d'autres États et d'établir sur cette base des valeurs de gestion pour les 20 PFAS, avec une priorisation des plus toxiques.

Mme Béatrice Jedor, adjointe à la cheffe du bureau de la qualité des eaux, Direction générale de la santé. - Nous attendons janvier 2026 pour intégrer ces PFAS de manière obligatoire car il faut que les laboratoires chargés du contrôle sanitaire des eaux montent en compétence et acquièrent la technique nécessaire pour effectuer des analyses fiables, sur lesquelles les ARS pourront s'appuyer pour mettre en oeuvre si besoin des mesures de gestion adaptées. La directive prévoit un délai de deux ans pour la montée en compétence des laboratoires.

Mme Angèle Préville, sénatrice, vice-présidente de l'Office, rapporteure. - Il a été question précédemment de l'atrazine. Iil se trouve que j'ai assisté l'an dernier à Rouen à un prélèvement de cheveux d'enfants de cette ville pour détecter les contaminants qu'ils contenaient. Sur 100 enfants, neuf avaient de l'atrazine dans leurs cheveux. Il s'agit effectivement d'un sujet préoccupant.

Je souhaite demander à Mme Budzinski combien de nouvelles substances chimiques sont mises sur le marché régulièrement. Le problème réside, comme vous l'avez précisé, dans le fait que l'on ne fonctionne pas sur la base de grandes familles chimiques. Il est donc facile, lorsqu'une substance donnée est interdite, d'en mettre sur le marché quatre ou cinq autres ayant la même fonction, faisant partie de la même famille, mais qui ne sont pas exactement les mêmes car leur chaîne carbonée est différente. Ni l'Europe ni la France n'ont encore intégré cela. Il serait bon que l'on évolue sur le sujet et que chacun comprenne cela.

Mme Hélène Budzinski. - Je ne connais pas le nombre de nouvelles substances commercialisées. J'ignore d'ailleurs si quelqu'un connaît ce chiffre. On parle en effet de molécules appartenant à des industries très différentes : produits phytopharmaceutiques, plastifiants, etc. Il s'agit d'une question règlementaire.

Un nombre conséquent de nouvelles molécules sont mises sur le marché chaque année, parfois à la marge. L'exemple du bisphénol A est très parlant : on interdit cette substance, mais on développe d'autres bisphénols. De la même manière, on interdit l'utilisation de certains phtalates, tout en en développant d'autres. La molécule est parfois moins toxique que l'initiale (c'est le cas pour le bisphénol), tout du moins par rapport à ce que l'on en sait. La toxicité est en effet un élément à relativiser : il en existe plusieurs types. Les remplaçants du bisphénol A sont ainsi moins toxiques en matière de perturbation endocrinienne ; mais peut-être présentent-ils d'autres types de toxicité que l'on n'a pas ou imparfaitement abordés.

Quant à regarder les molécules par famille, il faut se méfier. Cela suppose en effet d'en connaître le mode d'action. Il arrive qu'une molécule n'ait pas le mode d'action toxique visé parce qu'elle a été bien conçue. Elle peut ainsi appartenir à une famille donnée, mais développer d'autres types d'activité. Il n'existe pas qu'une seule toxicité, qu'un seul mode d'action. Il est donc très compliqué d'avoir une approche globale. Les biotests tentent de répondre en partie à la problématique, mais ils ne résoudront pas tout. Il faudra de toute façon passer par la préparation d'échantillons et de l'extraction. Si des molécules ont le même mode d'action mais des paramètres physico-chimiques différents, alors on ne les détectera pas.

Cela doit selon moi conduire à interroger plutôt l'usage : a-t-on réellement besoin d'autant de molécules ? A-t-on besoin de remplacer systématiquement un usage par un autre ? Ne faut-il pas examiner globalement la situation ? Certains sociologues avaient abordé la question. Leur réponse était de diminuer les substances à la source, en amont, alors que l'on n'intervient pour l'instant qu'a posteriori. Mais je m'éloigne là de mon champ d'expertise.

Mme Angèle Préville, sénatrice, vice-présidente de l'Office, rapporteure. - Merci beaucoup. Vous mettez l'accent sur le sujet central : intervenir a posteriori est toujours très compliqué. Comment faire pour juguler tous ces problèmes et conserver de l'eau potable ? Ce sera en partie l'objet de la seconde table ronde.

Mme Christine Arrighi, députée, rapporteure. - Cette réflexion n'a de raison d'être que parce que la présence de micropolluants dans l'eau a des conséquences sur l'environnement et la santé humaine. Tel est le sujet de cette deuxième table ronde, pour laquelle nous avons le plaisir d'accueillir Mme Jeanne Garric, directrice de recherche émérite à l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE), M. Yves Lévi, professeur émérite en santé publique et en santé environnementale à la faculté de pharmacie de l'université Paris-Saclay et M. François Veillerette, porte-parole de Générations futures.

Mme Jeanne Garric, directrice de recherche émérite à l'INRAE. - Merci de m'avoir invitée à vous parler des impacts écotoxicologiques sur les écosystèmes des multiples polluants dont il vient d'être question. Je précise que réfléchir aux impacts écotoxicologiques impose de penser en termes de biodiversité et de fonctionnement des écosystèmes, ce qui ne fait qu'ajouter de la complexité au problème.

La liste des substances pertinentes à surveiller est établie grâce à divers outils et paramètres ; il existe une multiplicité de cibles, avec des sensibilités toxicologiques spécifiques et très variées, et des vulnérabilités écotoxicologiques et écologiques très différentes.

Aujourd'hui, la plateforme internationale IPBES indique que la pollution est le quatrième facteur de déclin de la biodiversité.

Les défis auxquels il convient de faire face dans ce contexte sont nombreux.

Il est par exemple question depuis tout à l'heure de « substances ». Or il existe des sources multiples, des mélanges complexes et il conviendrait de raisonner en termes de mélanges pertinents plutôt que de substances pertinentes, au-delà même des familles.

Il existe désormais moins de toxicités létales, bien qu'avec le changement climatique et les efflorescences algales, on risque de revoir des poissons morts dans les masses d'eaux. Le problème majeur aujourd'hui est la toxicité sublétale, que l'on ne voit pas.

On observe par ailleurs des expositions à très long terme, sur de nombreuses générations. Je pense notamment aux PFAS évoqués précédemment ou à la chlordécone, mais il en existe de nombreux autres exemples.

Parler d'impacts sur les écosystèmes suppose en outre de raisonner en termes d'interaction des agents stresseurs sur les vulnérabilités. Peu d'intervenants ont évoqué le changement climatique, mais cela signifie moins d'eau, des températures plus élevées, donc des impacts sur le comportement des substances et la vulnérabilité des espèces.

Il faut surtout tenir compte des relations fonctionnelles, notamment des réseaux trophiques, et des impacts sur les communautés.

Les différentes substances ont par ailleurs des mécanismes d'actions variés sur les systèmes vivants. Certaines, comme les perturbateurs endocriniens, miment les hormones. D'autres, étrangères à la vie, sont capables de se lier à un constituant biochimique du vivant. Je pense par exemple aux organo-métaux. Il existe enfin des substances naturelles (phosphore, nutriments, carbone, métaux essentiels) dont la concentration est modifiée dans l'écosystème et qui jouent également un rôle.

Tout ceci conduit à des effets globaux sur la santé des organismes (que l'on parle du poisson, du gammare ou de l'homme), en lien avec des problématiques de reprotoxicité, de cancérogénicité, de mutagénicité, de génotoxicité, de neurotoxicité et d'immunotoxicité. Quelques exemples de molécules susceptibles de produire ce genre d'effets figurent sur la diapositive projetée à l'écran.

Je souhaite revenir brièvement sur des aspects connus. Ainsi, l'alerte relative aux perturbateurs endocriniens date du siècle dernier, des années 1975, avec l'imposex chez les gastéropodes, la féminisation des poissons, le déclin des alligators et des batraciens, l'impact sur les populations de poissons.

Un élément plus subtil, dont on parle peu, est la pression toxique sur l'évolution, qui fait partie de la problématique relative à l'anthropocène. Jusqu'à présent, l'évolution s'était déroulée sur des siècles et des siècles. Or aujourd'hui, il apparaît que la pression chimique peut jouer sur l'adaptation et la vitesse d'adaptation. Je pense par exemple aux génotoxiques qui modifient le génome ou aux pressions qui vont faire mourir les individus les plus sensibles et sélectionner les plus résistants aux produits toxiques (pesticides, etc.). Ce phénomène est encore peu étudié et la recherche doit faire un effort dans ce domaine. Il faut la soutenir pour qu'elle puisse se pencher sur cette problématique, qui me semble vraiment majeure.

Prenons l'exemple de la résistance aux pesticides. Elle a fait évoluer les ravageurs, les insectes, mais aussi les plantes sur lesquelles les pesticides ont été utilisés, d'où les problèmes que nous rencontrons aujourd'hui. Avec les nouveaux produits qui vont arriver (biocides, produits de biocontrôle, etc.) et passent au travers de l'évaluation des risques dans la mesure où ils sont biosourcés, on se prépare une situation très problématique dans quelque temps.

Mme Marie-Laure Métayer. - Si je puis me permettre, les produits biosourcés ne passent pas au travers de l'évaluation des risques. Les produits de biocontrôle sont soit des substances chimiques, soit des micro- ou des macro-organismes. Ils dépendent dans ce dernier cas d'une réglementation nationale et l'évaluation des risques est effectuée par l'Anses. Les substances chimiques sont quant à elles évaluées selon le dispositif européen d'évaluation des risques.

Mme Jeanne Garric. - Je retire donc ce que j'ai dit puisqu'il s'agissait manifestement d'une erreur.

Un autre problème très important concerne les impacts indirects, en particulier la bioaccumulation et la biomagnification dans les réseaux trophiques. Parmi les exemples très classiques et bien connus figure l'augmentation de la concentration en DDT ou en mercure dans les chaînes trophiques. Aujourd'hui, ce problème est essentiellement représenté par les PFAS, qui sont une très grande famille dont les comportements et le transfert trophique vont être différents selon la longueur des chaînes carbonées. Les impacts toxiques de ces substances vont également être différents. Nous sommes ainsi face à des molécules que nous ne maîtrisons pas. Nous voyons arriver sur le marché de très nombreuses molécules, dont nous ne savons pas comment elles vont se comporter.

L'exemple du diclofénac est assez emblématique de l'impact indirect des molécules, avec des mortalités de vautours liées à la présence de cette substance dans les milieux. Cela ne concerne pas l'eau, mais le processus est similaire.

On note de même la présence d'antibiotiques dans des poissons, des invertébrés. Chacun connaît les problèmes posés par les antibiotiques aujourd'hui en matière de santé humaine.

Des impacts sont observés à toutes les échelles biologiques, mais mal connus. Dans le cadre de l'évaluation des risques, seuls quelques tests sont effectués et l'on ignore énormément de choses, en particulier sur la faune sauvage. On ne dispose que de quelques données sur les impacts sur les individus et les populations, mais au-delà, pour tout ce qui concerne l'évaluation des risques relatifs aux interactions entre les communautés, on n'a que très peu de données, d'où les problèmes qui émergent actuellement. Il faut en avoir conscience.

Je souhaite pour terminer évoquer un problème complexe, original et très récent, puisqu'il date de 2021. Il concerne, aux Etats-Unis, un phénomène de mortalité d'aigles qui consomment une espèce végétale invasive sur laquelle se trouvent des cyanobactéries épiphytes. Il apparaît que la production de la cyanotoxine, toxique pour ces oiseaux, est favorisée par la présence de brome biodisponible, entrant notamment dans la composition de certains pesticides utilisés pour éradiquer ces plantes invasives. Cet exemple montre que nous ne disposons ni des outils ni de l'imagination nécessaires pour anticiper les conséquences de ce que nous sommes en train d'introduire dans la nature.

Par ailleurs, de nouvelles questions sont posées aujourd'hui pour la recherche, dans la mesure où nous savons désormais que les risques toxiques observés dans les écosystèmes ont également des impacts sur l'humain. Il existe en effet des réseaux d'interaction très complexes, à toutes les échelles, de la molécule jusqu'aux populations. Comme pour la chimie, les outils moléculaires de la biologie nous permettent d'aller chercher des impacts au niveau des récepteurs et de disposer de marqueurs.

Avons-nous vraiment besoin de 300 000 molécules chimiques ? Ne faudrait-il pas en réduire drastiquement le nombre ? Les impacts sont avérés, connus et mon sentiment personnel est que la seule solution envisageable est de réduire l'exposition à la source.

M. Yves Lévi, professeur émérite en santé publique et en santé environnementale à la faculté de pharmacie de l'université Paris-Saclay. - Les diverses interventions auxquelles nous assistons ce matin montrent bien que le problème auquel nous sommes confrontés est véritablement colossal. C'est cette préoccupation de grande ampleur qu'il convient maintenant de prendre en considération à la hauteur des conséquences qu'il produit. C'est la raison pour laquelle je vous remercie d'organiser une matinée comme celle-ci ; nous en avons vraiment besoin.

Le contexte est celui d'une pression anthropique globale, planétaire, dont l'importance est comparable à celle du changement climatique. Tout le monde est convaincu aujourd'hui de la dimension majeure et internationale du changement climatique. La pollution chimique existe depuis très longtemps et son existence, démontrée depuis beaucoup plus longtemps que celle du changement climatique, s'est malheureusement banalisée. Or il faut lutter contre cette banalisation et placer la pollution chimique au même niveau que le problème du changement climatique.

Dans ce domaine, il n'existe pas de frontière et l'on observe une hétérogénéité mondiale considérable, similaire à celle relative aux émissions de gaz à effet de serre. Si la France arrête de polluer ses cours d'eau et que tous les autres pays continuent à le faire, nous ne ferons que récupérer les pollutions générées ailleurs.

La situation est caractérisée en outre par des mélanges extrêmement complexes et une exposition chronique à travers tout l'environnement, sachant que l'homme est au sommet de la chaîne alimentaire.

Chaque année, des millions de tonnes de substances chimiques sont produites, parmi lesquelles beaucoup ont des effets biologiques évidents. Certaines sont d'ailleurs fabriquées précisément pour cela.

L'une des propositions que je souhaite vous soumettre serait de créer un GIEC de la pollution chimique. Nous avons absolument besoin de disposer d'une comparaison entre les situations des différents pays, ne serait-ce que pour révéler les points les plus noirs ou les endroits où il n'existe aucune connaissance, et être en mesure d'agir collectivement. Le GIEC présente l'avantage d'être un organisme indépendant et objectif, au service de toutes les communautés internationales, afin d'établir un consensus de travail. Aujourd'hui, le GIEC de la pollution chimique n'existe pas.

Le contexte est celui d'« une seule santé ». La santé humaine ne peut être isolée du reste de l'environnement. Nous ne sommes que des animaux au milieu des autres animaux, à la différence près que nous sommes un prédateur ultime et récupérons de ce fait l'ensemble de la pollution accumulée auparavant par les autres éléments de la chaîne. Ce contexte est malheureusement encore trop souvent considéré en France uniquement sous l'angle des zoonoses, de la relation homme-animal dans le cadre des épidémies. Or il faut l'envisager dans sa globalité. Il importe ainsi de parler de contamination de l'eau, de l'air, des sols, des végétaux, des animaux. Aujourd'hui, nous parlons de l'eau, mais gardons à l'esprit l'idée qu'il ne faut pas se focaliser sur ce sujet, mais envisager la globalité de nos expositions à la pollution chimique.

Il convient également de ne pas réagir au coup par coup, au gré des annonces médiatiques autour des problèmes liés aux plastiques, au chlordécone, etc. Nos préoccupations sont ponctuelles, alors que la réalité de la pollution chimique est permanente, continue et en évolution majeure.

Nous disposons aujourd'hui de nombreuses études et avons réalisé de grands progrès. La situation évolue, bien que trop lentement. La France a des compétences dans ce domaine et des travaux sont en cours. Citons notamment les études d'alimentation réalisées par l'Anses ou encore les suivis de cohortes d'enfants exposés à de multiples polluants. Des choses sont faites, mais elles restent relativement ponctuelles, à l'initiative de groupes de recherche, et ne sont pas coordonnées dans le cadre d'un programme national, voire international.

Lorsque l'on parle de santé humaine (ceci est valable aussi pour la santé animale), l'enjeu majeur réside dans l'exposome, c'est-à-dire la prise en compte de l'ensemble des expositions. Cela concerne les expositions à l'ensemble des produits chimiques, durant la vie entière, y compris in utero. L'eau ne représente peut-être, dans ce contexte global, que 10 % environ des expositions. Il ne faut donc pas focaliser toute notre attention sur quelques polluants présents dans l'eau, parce que nous avons cette connaissance, en oubliant les 90 % des expositions liées à l'alimentation. Il convient d'avoir une vision globale de l'ensemble des problèmes, afin de pouvoir traiter réellement le sujet de la santé humaine.

Cela suppose d'investir, de se doter de moyens ambitieux à la hauteur du problème que constitue l'exposome. La Commission européenne a financé des programmes sur l'exposome à hauteur de quelque 100 millions d'euros, mais de façon très dispersée, si bien que les montants par équipe sont relativement faibles. En France, l'exposome n'est pas un sujet de préoccupation ni de recherche majeur, alors même que cela est essentiel pour la santé publique.

Une autre difficulté réside dans le fait d'expliquer à la population la différence entre danger et risque. La présence d'un contaminant quelque part est déjà, en soi, un problème mais il faut pouvoir évaluer le risque correspondant, de manière à concentrer le peu de moyens dont on dispose sur les cibles les plus essentielles. Cette analyse du risque est majeure. Les contaminants chimiques, en mélange, avec les effets biologiques qu'ils produisent (génotoxicité, stress oxydant, perturbation endocrinienne, antibiorésistance, etc), représentent des dangers, accrus par la multi-exposition permanente, au travers de l'eau, de l'air, des aliments, des cosmétiques. S'ajoutent à cela les phases critiques de la vie, à savoir les 1 000 premiers jours, les phases de croissance de l'enfant, de reproduction, qui sont extrêmement importantes et doivent être prioritaires : il faut par exemple protéger tout particulièrement la femme enceinte de toutes les expositions, dans le cadre professionnel notamment. Or cela peut s'avérer difficile, dans la mesure où la femme n'ose pas nécessairement faire part de sa grossesse à son employeur, si bien qu'elle reste exposée à un certain nombre de produits chimiques. Cette vision globale est très importante.

Il faut savoir par ailleurs que l'on parle de concentrations extrêmement faibles. La limite relative au bisphénol A est de 2,5 microgrammes par litre dans l'eau, ce qui n'est peut-être pas suffisant. Nous savons maintenant que les PFAS ont une influence sur notre immunité et la limite de concentration à 0,5 microgramme par litre d'eau n'est peut-être pas suffisante non plus. Pour les perturbateurs endocriniens, certains effets apparaissent avec des valeurs de l'ordre de 0,1 nanogramme par litre.

L'un des enjeux majeurs réside donc dans le calcul des risques. Nous avons tous besoin d'un tableau de bord pour prendre les bonnes décisions : or ce repère est précisément celui de la valeur du risque. Ce travail est effectué notamment par l'Anses. Je le répète : nous disposons en France de compétences, d'une expertise, mais pas avec l'ampleur et le soutien nécessaires pour organiser le tout en un programme suffisamment ambitieux. L'évaluation des risques permet d'identifier les dangers, sur la base de données toxicologiques et d'analyses de la relation entre la dose et l'effet. La mesure de l'exposition fournit une idée de la quantité de polluants arrivant chaque jour sur les individus et permet de quantifier le risque. Cette phase est cruciale, car elle permet de prendre des décisions éclairées et d'agir.

On se retrouve en général face à une découverte analytique, qui peut être le fruit du hasard ou d'une volonté. On mesure ensuite les expositions, dans l'eau, l'alimentation, etc. Si les données toxicologiques existent, les experts peuvent réaliser une évaluation et déterminer une valeur de référence, soit au niveau national, soit à l'échelle européenne. Lorsque les données sont insuffisantes, la démarche consiste à ajouter des facteurs d'incertitude pour mieux protéger la population, ce qui permet d'élaborer une valeur de référence. En l'absence de données, ce qui est souvent le cas, en particulier pour les métabolites de pesticides, on met en place une valeur de gestion ne reposant pas sur des données scientifiques. Les acteurs de ces processus sont les laboratoires de recherche, les instituts qui conduisent des études nationales, les agences sanitaires, puis les décideurs en matière de gestion et de réglementation. Ce schéma doit être développé de façon encore plus intensive. Il convient notamment pour cela de favoriser la montée en puissance de jeunes experts.

Concernant plus spécifiquement l'eau, la situation est notamment celle d'une pollution provenant de rejets d'eaux usées et de filières qui, lorsqu'elles sont bien conçues et bien gérées, arrêtent toute la contamination microbienne et beaucoup des agents physiques. Il faut aussi prendre en compte le fait que dans le réseau de distribution, voire chez les particuliers lorsqu'ils stockent leur eau dans une bouteille en plastique, l'eau peut être recontaminée. L'aval de la chaîne de production d'eau doit donc être pris en compte. Il faut ensuite répondre à la question du degré de pureté que l'on souhaite atteindre. Il n'est pas envisageable de faire de l'eau distillée partout. Répondre à cette question signifie fixer une cible à partir de laquelle on peut dire que l'on protège la population. Une fois que tous les experts conviennent qu'il n'y a pas d'inquiétude à avoir, malgré quelques traces de polluants, et que la santé de la population est protégée, encore faut-il parvenir à en convaincre les gens. Il est essentiel de restaurer la confiance dans les données de la science et de l'expertise, ce qui aujourd'hui n'est pas vraiment le cas.

En conclusion, on constate que la liste des polluants est en expansion accélérée, des micropolluants émergents venant sans cesse s'ajouter aux micropolluants classiques, qui continuent à poser problème. Ainsi, en quarante ans, nous n'avons toujours pas réglé le problème des nitrates dans l'environnement. Au-delà du champ strictement scientifique, se posent des enjeux politiques très importants.

Il convient par ailleurs de ne pas se focaliser toujours sur l'eau, même si nous disposons de nombreuses données dans ce domaine. Lorsque je vais acheter mes carottes et mes salades au marché, je n'ai aucune idée de la quantité de pesticides et de métabolites de pesticides qu'elles contiennent. Il en va de même pour les vêtements importés. Le fait que l'attention soit focalisée sur l'eau arrange certaines personnes, car cela évite que l'on s'intéresse à leur activité et aux pollutions qu'elles peuvent générer. 10 % des apports en PFAS et en pesticides viennent de l'eau ; il faut bien entendu travailler pour réduire ce pourcentage, mais aussi faire en sorte que les 90 % autres soient pris en compte.

Il faut pouvoir cibler les priorités, c'est-à-dire définir les dangers, les sources et les risques prioritaires. Nous disposons de l'expertise nécessaire pour cela ; encore faut-il lui donner des moyens ambitieux.

Les enjeux pour l'eau résident dans la fiabilité des filières de traitement, y compris pour de petites communes qui n'en ont pas les moyens. Il faut aussi trouver les sources prioritaires pour annuler les rejets dans l'environnement et travailler sur la question des stockages d'eau. Face aux perspectives de pénurie de masses d'eau, la tendance va être à une augmentation du stockage. Or stocker l'eau dans de mauvaises conditions en dégrade la qualité. La qualité des matériaux est également un enjeu important.

Il faut en outre arrêter de réagir au coup par coup et développer une vraie politique continue. Il existe de nombreux plans (plan micropolluants, etc.) : encore faut-il les doter des moyens suffisants, adaptés à l'ambition de l'exposome, de l'évaluation globale des risques. Je le répète : nous avons accompli de grands progrès depuis quinze ans. Je les ai suivis à travers mes expertises à l'Anses, au Haut Conseil de la santé publique, etc. Mais la France devrait être plus ambitieuse en la matière et surtout être présente avec cette ambition au niveau européen, pour ne pas se retrouver en minorité face à l'Allemagne ou aux Pays-Bas.

Il faut par ailleurs cesser de s'étonner à chaque nouvelle crise (chlordécone, PCB, plastifiants, etc.) et organiser un circuit court d'information entre les décideurs et la science, qui présente beaucoup de données mais reste dans un milieu spécifique, avec une lecture souvent compliquée, des rapports extrêmement longs. Cela permettrait par exemple de ne pas s'étonner de la découverte d'une pollution par les PCB dans la Seine alors que les scientifiques le savent et le disent depuis vingt ans.

On observe en outre de nombreuses pressions, lobby contre lobby. Dans ce contexte, il est essentiel de promouvoir l'exigence d'objectivité scientifique et de transparence, avec par exemple la création de ce GIEC de la pollution chimique que j'appelle de mes voeux. L'ensemble de la société a besoin de cette expertise pour éviter les polémiques, controverses et batailles entre les extrêmes.

La France dispose assurément des compétences ; il faut désormais un investissement réellement à la hauteur des enjeux.

J'en profite pour vous informer que le 14 juin prochain, dans cette même noble maison, se tiendra une après-midi organisée avec la fondation de l'Académie nationale de médecine et des parlementaires sur l'enjeu de la pression chimique globale.

M. François Veillerette, porte-parole de Générations futures. - Je ne vais pas revenir sur les éléments scientifiques, fort bien présentés dans les deux interventions précédentes, mais vous donner le point de vue de l'association Générations futures sur deux dossiers déjà évoqués longuement ce matin : celui des pesticides, et plus particulièrement des métabolites de pesticides, et celui des PFAS. J'aborderai à la fois la nature de la problématique, le suivi, mais aussi des pistes d'amélioration possibles des mesures prises. En tant qu'association, nous avons en effet une vision assez pratique et concrète : notre mission est d'essayer d'aider à améliorer la situation pour faire baisser la pression sur les milieux et les populations.

La France semble avoir découvert le sujet des métabolites de pesticides très récemment, à la suite de la publication d'un excellent rapport de l'Anses, qui a recherché, entre autres, 157 pesticides, dont des métabolites de pesticides, et les a trouvés en grand nombre. Ces travaux ont été entrepris car une équipe suisse avait effectué de telles recherches et pointé la présence de ces métabolites, notamment de chlorothalonil. Cela nous semble poser un problème : en effet, s'il faut attendre l'interdiction d'une molécule comme le chlorothalonil (interdite en 2019) pour commencer à chercher les métabolites, l'action qu'il est possible de conduire par la suite n'a plus aucune dimension préventive et ne consiste qu'à constater les dégâts. Or, en consultant les documents de la Commission européenne, une collègue toxicologue qui travaille pour Générations futures s'est aperçue que dès 2006 une alerte avait été émise sur la possibilité, pour ne pas dire la quasi probabilité, d'apparition de métabolites liés à l'utilisation du chlorothalonil. Cela signifie que l'on aurait pu anticiper une possible apparition de métabolites de ce pesticide dès 2006, donc mettre en place une surveillance au fil de l'eau. Or cela n'a pas été fait et il a fallu attendre un signal d'alerte venu d'un autre pays pour agir, malheureusement trop tard.

Tous les dossiers relatifs aux pesticides ne sont pas accessibles dans leur intégralité, mais certains éléments le sont et peuvent permettre, en étudiant le profil des molécules et les avis des experts, d'identifier les pesticides à risque d'apparition de métabolites et de mettre en place rapidement des programmes de surveillance. Notez que les industriels qui produisent les pesticides sont tenus de fournir un certain nombre de données sur les métabolites susceptibles d'apparaître, ainsi que des repères étalons permettant de les suivre dans l'environnement.

En l'occurrence, on ne peut que déplorer un manque de suivi post-autorisation au niveau européen et post-homologation à l'échelle nationale des produits contenant cette substance, qui a conduit à une situation de crise catastrophique. Je rappelle en effet que Le Monde a titré sur le fait que 20 % environ des Français, soit 12 millions de personnes, étaient concernées en 2021 par des non-conformités pour présence de métabolites. Il s'agit là selon nous d'un parfait exemple de ce qu'il ne faut plus faire. Mieux vaut essayer d'anticiper que de courir après les problèmes une fois qu'ils sont survenus : cela semble toujours de bonne politique.

Le chlorothalonil n'est pas la seule substance en cause. On a également parlé d'autres produits, comme le S-métolachlore, qui cause d'autres problèmes. L'un de ses métabolites, l'ESA-métolachlore, était considéré au regard des critères précédemment énoncés comme « pertinent » (c'est-à-dire présentant des risques) et géré à ce titre par la concentration maximale admissible de 0,1 microgramme par litre. Or, alors que le S-métolachlore venait d'être classé cancérogène possible au niveau de l'Union européenne, l'ESA-métolachlore, principal métabolite du S-métolachlore, est passé du statut de métabolite pertinent à celui de non pertinent, donc régi par une concentration maximale de 0,9 microgramme par litre. Ainsi, on s'est mis à tolérer la présence de neuf fois plus de ce métabolite de pesticide qu'auparavant, alors même que les autorités sanitaires européennes venaient d'envoyer un signal d'alerte sur le fait que la molécule mère était possiblement cancérogène pour l'homme. Ce métabolite a été classé comme non pertinent alors qu'il existait des études sur sa génotoxicité et un manque de données sur sa cancérogénicité. Nous n'avons pas compris pourquoi l'Anses a envoyé ce signal, qui a certes permis de passer de plus de 1 700 captages au-dessus des normes à seulement quelques dizaines, donc de pouvoir continuer à distribuer l'eau, mais n'a selon nous pas permis une protection efficace de la santé.

Se dessine ainsi un schéma en plusieurs points, dans lequel des autorités européennes alertent parce qu'elles connaissent certains risques de production de métabolites, bien que les études de toxicité soient lacunaires, mais autorisent néanmoins les substances actives, si bien que la contamination se poursuit sans que personne n'effectue la moindre surveillance dans la mesure où il n'existe pas de suivi des métabolites à partir de la mise sur le marché des produits contenant la molécule autorisée. Lorsque l'on se met à rechercher ces métabolites à la suite d'un signal d'alerte, il est trop tard : les normes de qualité sont déjà dépassées. Comme par ailleurs on ne dispose quasiment d'aucune donnée sur la toxicité de ces métabolites, on fixe des valeurs sanitaires à 3 microgrammes par litre comme pour les métabolites du métolachlore, avec des méthodes très approximatives basées sur des données extrêmement lacunaires. Cela ne fonctionne pas.

Nous suggérons par conséquent à l'Anses de ne pas autoriser les produits dont il est prévisible qu'ils produisent des métabolites engendrant des dépassements, en s'appuyant sur des données présentes dans les dossiers, et à la Commission européenne, en amont, de ne pas autoriser les substances actives dont les dossiers seraient incomplets sur les questions relatives aux métabolites. Il est en effet très difficile, si l'on ne dispose pas des données scientifiques sur l'ensemble des toxicités possiblement présentées par ces métabolites, de gérer d'éventuels dépassements. Il convient donc, d'une part, de ne pas mettre sur le marché, au niveau européen, des substances susceptibles de produire des métabolites de manière importante, d'autre part, de ne pas autoriser de dossiers dont les effets des substances actives et des métabolites ne sont pas suffisamment renseignés. Cela nous paraît essentiel, en plus d'une amélioration de l'évaluation des pesticides au sens large.

Il convient en outre, pour gérer complètement le problème, d'aller vers une réduction des émissions à la source. Une diminution forte de la dépendance de notre agriculture aux pesticides est absolument indispensable. Or cette démarche est un échec. Je fais partie de ceux qui suivent le plan Ecophyto depuis son origine : force est de constater qu'il n'a malheureusement pas produit beaucoup de résultats. Il reste donc énormément de progrès à accomplir.

Générations futures suit également le dossier des PFAS depuis plusieurs années. Nous disposons de moins de données sur ce sujet que sur celui des pesticides. L'enquête récente du Monde a toutefois montré qu'il existait en France plus d'une centaine de points chauds. On parle de plus de 1 000 sites contaminés. Finalement, on s'aperçoit que la surveillance de l'environnement est assez faible. Seul le PFOS fait l'objet d'une surveillance obligatoire dans les eaux de surface. Il existe une proposition de révision de la directive-cadre sur l'eau qui envisage de faire passer la liste à 24 PFAS. Pourquoi ne pas accélérer la procédure sans attendre ? Il est vrai que grâce à un arrêté d'avril 2022, trois autres substances sont suivies, mais cela ne fait que porter le total à quatre et il serait possible d'aller plus loin. De nombreux laboratoires savent déjà chercher plus de 24 PFAS.

Comme nous l'avons montré dans un rapport publié en début d'année, la pollution de l'eau par les PFAS est sous-estimée. Il est apparu que les agences de l'eau recherchaient plus que le seul PFOS et allaient ainsi au-delà des obligations. Mais cela est très variable selon les régions et le nombre de PFAS recherchés va de 1 à 16. Cela constitue une forme de rupture de l'égalité républicaine sur le territoire : nos concitoyens ne sont pas aussi bien protégés selon que leur lieu de résidence est sur le bassin d'une agence de l'eau ou d'une autre. Le nombre de PFAS recherchés est différent, tout comme les seuils analytiques, avec une variation de 1 à 500 pour les mêmes produits. Le nombre d'échantillons est également très variable, puisque notre enquête a montré qu'ils pouvaient aller de 6 à plus de 400 par département.

Face à cela, un premier plan ministériel sur les PFAS a été publié, qui a le mérite d'exister, mais présente selon nous beaucoup de limites. Il est en effet toujours mieux de mettre en place des plans interministériels, intégrant l'industrie, la recherche, l'agriculture, car cela traduit l'existence d'un effort gouvernemental. En l'occurrence, le ministère de l'écologie est très seul. Les mesures annoncées nous semblent par ailleurs insuffisantes. Il s'agit par exemple d'« étudier la possibilité d'inclure de nouveaux PFAS dans les surveillances » : ce langage nous paraît traduire un réel manque d'ambition. Concernant les eaux potables, une surveillance est annoncée, mais seulement pour 2026. Or il aurait été possible d'anticiper la montée en compétence des laboratoires et de ne pas attendre 2026. La surveillance des sols nous semble également insuffisante, puisqu'il est question dans le plan d'effectuer la surveillance des sols des sites d'utilisation ou de production de PFAS à l'occasion de la cessation d'activité. Or on sait que si les sols des entreprises sont pollués, les eaux peuvent l'être aussi. Ce plan ne comporte en outre aucun élément sur la surveillance des PFAS dans les poissons, alors même que nous savons qu'il s'agit d'une voie d'exposition importante pour les gens qui les consomment, les pêcheurs et leurs familles.

Nous pensons donc que la réponse publique comporte de nombreuses lacunes. Elle ne propose par exemple aucune norme sur les rejets industriels, alors que cela nous semble essentiel. Il y est question de mener des campagnes d'analyse sur la présence de PFAS dans les rejets, mais nous regrettons que la surveillance pérenne des rejets aqueux ne soit plus mentionnée dans le texte, au profit de surveillances ponctuelles. Effectuer un travail efficace suppose en effet de mettre en place une surveillance pérenne et continue. Dans mon département de l'Oise, les études réalisées par le laboratoire d'hydrologie de l'Anses à côté de la plateforme chimique de Villers-Saint-Paul montraient des variations importantes des taux de PFAS au cours de l'année : une surveillance ponctuelle n'est donc pas suffisante pour avoir une vision globale et précise d'une situation. Notre association a effectué une analyse de la présence de PFAS dans l'eau de l'Oise au niveau de cette plateforme : sur les 46 PFAS recherchés, nous en avons trouvé jusqu'à 14 au même point d'analyse, presque un demi-kilomètre en-dessous de l'exutoire de la zone industrielle. Les produits sont là et nous savons les trouver : il faut que la puissance publique ait le même niveau de performance.

Nous demandons que les 24 PFAS jugés prioritaires par la Commission européenne dans le contexte de révision de la directive-cadre sur l'eau soient recherchés sans attendre sur l'ensemble du territoire, en particulier dans les zones de captage pour l'eau potable, sachant que le plafond proposé dans cette directive est 4,4 nanogrammes par litre, ce qui est très peu. Cela suppose de très bonnes performances de la part des laboratoires, avec des limites de quantification inférieures au nanogramme par litre, ce qui est déjà le cas d'un certain nombre d'entre eux. Disposer de méthodes d'analyse performantes impose également de faire évoluer les couples paramètres-matrice arrêtés dans le texte d'août 2019.

Il conviendra par ailleurs d'exiger un suivi en continu des installations émettrices et de veiller à une diminution des émissions à la source, en fixant des normes pour les entreprises et en s'interrogeant sur le bienfondé de l'utilisation d'un certain nombre de PFAS. Certaines entreprises vendent par exemple des vêtements de plein air parfaitement imperméables produits sans PFAS. Il faut innover dans ce domaine : il est possible de mettre au point des produits répondant aux demandes sociétales sans utiliser de substances ultra-persistantes et toxiques.

Il faudra enfin soutenir la proposition de l'Allemagne, du Danemark, de la Norvège et de la Suède dans le cadre de la réglementation REACH, afin d'aller vers une quasi interdiction de ces produits au niveau européen, avec un nombre très limité de dérogations. Ceci permettra de régler réellement le problème, en évitant de continuer à courir d'une substance à l'autre parmi cette famille qui en comporte 12 000.

Je conclus en vous signalant d'autres points d'intérêt de l'association, parmi lesquels les perturbateurs endocriniens et les résidus médicamenteux. L'idée du GIEC de la pollution chimique, mentionnée par le Professeur Lévi, nous est également très sympathique. J'ai travaillé dans le cadre de la convention sur les polluants persistants et du programme des Nations Unies pour l'environnement à la fin des années 1990 et au début des années 2000 en tant que militant associatif pour faire adopter la convention de Stockholm, mais il faut élargir cette démarche à l'ensemble de la pollution chimique. Il me semblerait logique de considérer ce problème au même niveau que le changement climatique.

Mme Christine Arrighi, députée, rapporteure. - L'idée de créer un GIEC de la pollution chimique me semble en effet très intéressante.

Cette audition n'est qu'une première étape dans notre réflexion. Le travail va se poursuivre et nous serons susceptibles de vous entendre à nouveau.

Nous avons bien entendu, M. Lévi, que notre étude circonscrite à la question de l'eau n'était pas suffisamment large. Il s'agit toutefois d'un début visant à mettre en lumière tous ces sujets, qui pourront donner lieu à des travaux ultérieurs.

Vos interventions montrent que la possibilité existe aujourd'hui de mettre en évidence dès l'origine les effets nocifs des molécules utilisées. Vous avez fait état à plusieurs reprises du manque de données ou en tout cas de leur non mise à disposition. Outre le secret des affaires, quels sont selon vous les obstacles qui s'opposent à une meilleure visibilité ? Comment se fait-il par ailleurs, quand bien même ces données seraient protégées dans le cadre de dépôts de brevets, que ces produits sont autorisés alors même qu'ils ne remplissent pas les conditions sanitaires que vous nous avez présentées ?

Mme Hélène Budzinski. - Des données existent. Lorsque les demandes d'autorisation de mise sur le marché sont déposées et que les dossiers d'homologation sont constitués, l'industriel doit étudier les métabolites. Mais si le métabolite est dit non pertinent, alors l'étude s'arrête. La notion de pertinence et de non pertinence est liée aux tests de toxicité demandés. Souvent, quand le composé n'a pas les mêmes propriétés que son produit parent, il est qualifié de non pertinent. Il peut toutefois être toxique différemment. C'est le cas notamment pour les métabolites du métolachlore : de nombreuses études montrent des toxicités atypiques, à des doses très faibles, notamment sur des organismes marins. Pour autant, ces métabolites ont été déclarés non pertinents. Il importe donc de renforcer la base de l'évaluation toxicologique initiale.

Les données figurent dans des dossiers réglementaires, difficiles d'accès pour des universitaires ou des chercheurs. Il est très compliqué pour nous, en tant qu'universitaires, de remonter à la source des données qui se trouvent dans les dossiers d'homologation et de commercialisation, afin d'effectuer par exemple des travaux de veille. La situation s'est légèrement améliorée ; pour autant, l'accès aux informations n'est toujours pas facile et automatique. Lorsque nous menons des projets européens, la question ne se pose pas : toutes les données doivent être en open access. Il faudrait qu'il en aille de même pour les informations relatives aux substances chimiques commercialisées. Cela permettrait des évaluations, y compris sur des aspects non imaginés a priori. Le but n'est pas de pointer du doigt les industriels, mais de travailler en synergie, d'aller vers des bases de données partagées permettant une meilleure prise en compte de l'ensemble des aspects.

Les standards ne sont eux non plus pas toujours disponibles. Ils sont parfois la propriété de l'industriel qui les a synthétisés pour faire l'évaluation, mais ne les commercialise pas. Lorsqu'ils sont commercialisables, ils sont parfois horriblement chers. J'ai ainsi demandé récemment l'établissement d'un devis, qui s'élève à 8 000 euros et que je n'arrive pas à financer, pour des métabolites de plusieurs pesticides avec les étalons internes. Cela n'est pas anodin. Il faut toutefois savoir que le coût baissera si l'on réalise davantage d'analyses. C'est ce qui est arrivé pour les produits pharmaceutiques.

M. Yves Lévi. - Prenons l'exemple des résidus de médicaments dans l'environnement. Nous avons développé des programmes d'étude à ce sujet et la France a été le premier pays à élaborer un plan national contre les résidus de médicaments. Dès le début, la communauté scientifique a indiqué avoir besoin des données, ne serait-ce que pour connaître la masse de médicaments vendus par bassin versant. Tout le monde a répondu positivement, mais nous n'avons jamais pu obtenir ces éléments. Nos étudiants ont dû se rendre dans les pharmacies pour consulter d'interminables listings, alors que certaines banques de données auraient pu nous communiquer l'ensemble des informations en moins de deux minutes. Les industriels nous ont dit avoir conscience du problème, mais se sont retranchés derrière la dimension confidentielle de ces données. Ministères et agences nous ont expliqué que les masses de médicaments étaient répertoriées par des sociétés privées et qu'ils ne disposaient pas de l'argent nécessaire pour acheter ces informations. Chacun a trouvé une excuse. Le résultat est que quinze ou vingt ans plus tard, nous sommes toujours confrontés aux mêmes problèmes.

Pour ce qui est des métabolites de pesticides, l'Anses dispose fort heureusement aujourd'hui des dossiers de mise sur le marché, dans lesquels figurent des informations qu'ils peuvent, de manière confidentielle, communiquer à leurs experts. En général, l'industriel qui met un produit sur le marché dispose de données sur les métabolites. Le programme européen REACH permet des avancées dans le domaine, mais de façon très lente et pour les nouveaux produits uniquement. Pour tous les anciens produits, nous devons nous contenter des quelques éléments à notre disposition.

Mme Marie-Laure Métayer. - La question de la disponibilité de la donnée brute est un point clé, car cela permet à chacun de mettre au point et de travailler ses propres modèles. Un débat a eu lieu au moment des Monsanto papers autour de l'évaluation du glyphosate et de la problématique de la mise à disposition de la donnée. Il est apparu en effet que toutes les informations n'avaient pas été communiquées et que cela avait permis par la suite de sélectionner les études favorables et d'écarter celles dont les conclusions étaient moins acceptables.

À la suite de ce débat, a eu lieu une réforme de l'autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), qui est responsable à l'échelle européenne de l'évaluation des risques des substances actives pour ce qui concerne le volet agricole et alimentaire, sachant que les autorisations de mise sur le marché des produits sont ensuite gérées par les agences nationales. Cette réforme a porté notamment sur la transparence et la facilitation de la mise à disposition des données brutes des industriels. En effet, dans le processus de délivrance des autorisations de substances au niveau européen, il est de la responsabilité de l'industriel qui va mettre le produit phytopharmaceutique sur le marché de procéder à l'évaluation des risques - cet aspect étant d'ailleurs très débattu -, c'est-à-dire de payer pour la réalisation des analyses et d'être ainsi détenteur des données. Le sujet était donc que ces données puissent être mises largement à disposition. Dans ce contexte, les règles de confidentialité sont devenues moins restrictives, afin que les organismes de recherche notamment puissent avoir accès aux données.

Des progrès ont donc été accomplis dans ce domaine, même s'il reste encore beaucoup à faire.

Mme Angèle Préville, sénatrice, vice-présidente de l'Office, rapporteure. - Je souhaite relayer auprès de vous une question formulée par un internaute sur le sujet des microplastiques. Il demande quels moyens sont mis en oeuvre pour prévenir cette pollution et s'il serait possible à l'avenir de prévoir une surveillance et une caractérisation accrues de ces polluants.

J'ajoute que nous sommes confrontés au sujet émergent des microfibres plastiques, dû à une surconsommation croissante de vêtements dans notre pays. On estime ainsi que la consommation de vêtements, majoritairement en fibres plastiques et en provenance d'Asie, a augmenté de 50 % au cours des quinze dernières années. Ces vêtements sont à l'origine du relargage de microfibres plastiques dans l'environnement, dans l'eau lors du lavage, mais aussi dans l'air et les sols. Quelles mesures sont mises en place concernant ce micropolluant très particulier ?

Mme Marie-Laure Métayer. - Il s'agit en effet d'un enjeu majeur pour la pollution environnementale et la santé humaine, dans le cadre de l'approche « une seule santé » précédemment évoquée. Tous les microplastiques qui arrivent à la mer se retrouvent dans le cycle alimentaire et finalement dans l'estomac des nouveaux-nés. Une étude a été conduite à ce propos. Il s'agit vraiment d'un sujet d'ampleur environnementale et sanitaire très élevée.

Se pose tout d'abord, dans ce cadre, la question d'une gestion rapide du flux en restreignant et empêchant l'ajout intentionnel de microplastiques dans les procédés. Cet aspect peut être plus facilement maîtrisé que le second, visant à mieux gérer les microplastiques générés par la dégradation d'usage du produit, notamment lors des lavages des textiles.

Sur le premier sujet, il existe une restriction REACH, dont le principe a été validé par les États membres voici environ un mois et qui devrait entrer en vigueur aux alentours de 2032. D'ici là, nous réfléchissons à la meilleure manière d'avancer sur ces sujets dans le cadre du plan eau. Nous réfléchissons par exemple à mettre en place une redevance sur les microplastiques. Une disposition de la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire, dite « loi AGEC », prévoyait par ailleurs, à l'échéance 2025, que tous les lave-linges mis sur le marché en France soient équipés de filtres à microplastiques. Nous avons saisi l'inspection générale pour qu'elle nous apporte une expertise sur les modalités de mise en oeuvre de cette disposition. Il faut surtout veiller à ce que cette solution ne soit pas pire que le problème qu'elle tend à éviter et réfléchir à ce qu'il sera fait par la suite de ces filtres, à leur nettoyage, etc.

Un autre sujet est lié à la collecte des macroplastiques avant qu'ils n'arrivent à la mer, dans la logique du continuum terre-mer. Il faut en effet savoir que les macroplastiques qui arrivent à la mer finissent en microplastiques disséminés dans les océans. Nous menons dans ce domaine une politique très ambitieuse sur tout ce qui concerne les jalons à mettre en place pour traiter le sujet aux points critiques, c'est-à-dire sur les plages avec les chartes « plage sans déchet plastique », mais aussi avec un dispositif expérimental que nous souhaitons développer à grande échelle consistant en la mise en place de filets collecteurs de macroplastiques dans les déversoirs d'orage et les noeuds problématiques sur les cours d'eau, où les plastiques s'accumulent, afin de pouvoir les récupérer. Outre cette démarche d'amont terrestre, il convient de citer la politique de gestion de l'économie circulaire relative aux plastiques, avec par exemple l'interdiction des plastiques à usage unique. Une telle politique nécessite une mobilisation à toutes les échelles, y compris internationales, ainsi qu'en témoigne la récente réunion sur le traité international sur les plastiques. Il convient d'agir sur tous les fronts : le stock, le flux, les niveaux national et international, le tout dans la logique de continuum terre-mer.

Je signale enfin l'existence du programme de résorption des décharges littorales à risque de relargage des déchets, dont les plastiques en mer. Le président de la République a annoncé à Brest l'année dernière lors du sommet international sur les océans que l'on se donnait dix ans pour résorber les quelque cent décharges littorales estimées comme étant à risque de relargage de déchets dans les océans, à court ou moyen terme. Plusieurs sites expérimentaux existent d'ores et déjà, parmi lesquels celui de Dollemard, au Havre, qui est une ancienne décharge municipale utilisée dans les années 1970 par les communes environnantes, à l'époque où il n'y avait pas encore de réglementation sur le sujet. Aujourd'hui, avec le recul du trait de côte, cette décharge est grignotée par la mer, qui entraîne des plastiques, lesquels se désagrègent dans l'eau ou sont déjà à l'état de microplastiques dans les sols. Nous travaillons dans le cadre de ce programme avec le Cerema, l'Ademe et des organismes de recherche à la mise en place d'un dispositif de suivi et d'une méthodologie pour gérer les microplastiques dans les sols.

M. Christophe Rosin. - Le sujet des microplastiques a été évoqué dans le cadre des campagnes exploratoires des eaux de consommation, assorti d'un prérequis consistant à disposer d'une qualité de donnée fiable. Il faut en effet déployer une méthodologie permettant de travailler de façon harmonisée. Des travaux européens sont conduits en ce sens. Le sujet n'est probablement pas encore tout à fait mûr, mais nous avons bon espoir de pouvoir développer des données fiables, préalable nécessaire à l'évaluation des risques sanitaires liés aux microplastiques.

M. Yves Lévi. - La question centrale est celle de l'identification des risques environnemental et sanitaire. Il y a une urgence absolue à définir ce risque. Il ne faudrait en effet pas focaliser beaucoup de moyens sur un problème, alors que le risque s'avèrerait finalement limité. Le risque est ainsi peut-être lié plus aux plastifiants qu'à la particule plastique elle-même, auquel cas il conviendrait de se concentrer plutôt sur la présence de plastifiants dans l'environnement.

Je lance par ailleurs une alerte quant à la volonté actuelle de réutiliser des eaux d'égout et des eaux non conventionnelles dans l'habitat. Réutiliser par exemple les rejets des machines à laver dans l'habitat ferait en effet courir le risque d'un circuit fermé sur les microplastiques. La question de la pénurie d'eau et de l'utilisation d'eaux non conventionnelles pour y pallier est un vrai problème, sur lequel il convient de ne pas raisonner uniquement en termes de quantité, mais aussi de qualité et de risque général.

Mme Jeanne Garric. - Mon premier commentaire porte sur la politique autour de l'eau présentée par Mme Métayer. Si l'eau ne représente que 10 % de l'exposition humaine aux substances chimiques, il ne faut pas oublier qu'elle correspond à 100 % de l'exposition des êtres vivant dans le milieu aquatique. Il est important de regarder ce compartiment, car tout finit dans l'eau.

Sur les microplastiques, il convient également de s'intéresser au comportement de ces particules, qui sont des transporteurs de substances, éventuellement de bactéries plus ou moins pathogènes, etc. Il s'agit aussi d'un volet important.

Mme Angèle Préville, sénatrice, vice-présidente de l'Office, rapporteure. - J'ajoute que les plastiques sont effectivement porteurs d'autres éléments, car ils sont colonisés, fixent tous les polluants qu'ils rencontrent dans l'eau (PCB, hydrocarbures, etc.) et relarguent tous les additifs qu'ils contiennent, dont les phtalates. Ils sont très préoccupants, car les macromolécules de plastique ont une durée de vie très longue. Ce matériau a ainsi des incidences et des interactions non négligeables avec l'environnement. J'ai travaillé en 2020 avec le député Philipe Bolo à l'élaboration d'un rapport au nom de l'Office sur la question de la pollution plastique, dans lequel nous proposions la création d'un GIEC des plastiques. Cela rejoint votre idée d'un GIEC des pollutions chimiques. Les plastiques sont en effet les véhicules de substances chimiques qu'ils propagent partout dans le monde, par l'air, les sols et les eaux. Le problème est global.

M. Yves Lévi. - Nous avons besoin d'un point objectif international sur ces problèmes, aussi bien en termes de risques toxiques que d'exposition. Ce projet de GIEC des substances chimiques n'est pas un hasard. J'y ai beaucoup travaillé, en partenariat notamment avec Brice Lalonde, ancien ministre de l'environnement. Nous sommes allés frapper à de nombreuses portes. Des collègues internationaux s'étaient réunis, avec lesquels nous étions prêts à lancer ce projet. Or nous n'avons pas trouvé le soutien nécessaire. La France peut être porteuse de ce thème global de la pollution chimique et de ses impacts. Elle ne pourra bien évidemment pas agir seule, mais est susceptible de réunir dans son sillage d'autres partenaires européens autour de cette problématique majeure.

Mme Angèle Préville, sénatrice, vice-présidente de l'Office, rapporteure. - Je tiens à remercier infiniment l'ensemble des participants à ces deux tables rondes.

Mme Christine Arrighi, députée, rapporteure. - Je m'associe bien évidemment à ces remerciements. Cette audition marque le début d'un travail de l'OPECST sur la question des micropolluants.

J'ai bien entendu la demande faite à l'Office d'appuyer l'ambition d'un GIEC des pollutions chimiques et je pense que nous nous y emploierons, avec succès espérons-le. Il y a vraiment urgence à traiter ce sujet, encore insuffisamment mis en lumière par rapport au dérèglement climatique, sachant par ailleurs que les deux dimensions sont intimement liées.

M. Pierre Henriet, député, président de l'Office. - Je tiens à mon tour à remercier l'ensemble de nos invités pour la qualité de leurs interventions, ainsi que nos deux rapporteures.

L'Office a une vision large, qui fait écho à la question de l'exposome et prend en compte les volets relatifs à l'alimentation, à l'air, à l'eau, etc. Certains de nos rapports semblent très spécifiques : cela nous permet de mettre l'accent sur des questionnements précis et de les aborder dans le détail. Mais bien évidemment la démarche générale de l'Office vise à mettre en avant l'ensemble de ces éléments et à développer une continuité de réflexion et d'expertise, permettant de formuler des recommandations. Nous continuerons à fonctionner ainsi, avec une vision la plus large possible, en appelant autant que possible à des groupements internationaux, comme dans le cas de la pollution chimique.

Un grand merci à tous. Je compte sur nos deux rapporteures pour continuer à porter haut ce sujet majeur.

La séance est levée à 12 heures 20.