Jeudi 25 mai 2023

- Présidence de Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, et de M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer -

Parentalité dans les outre-mer - Audition d'Unicef France

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Bonjour à tous et à toutes, cher Président, chers collègues, Mesdames, nous poursuivons ce matin nos travaux sur la parentalité dans les outre-mer, menés en commun par nos deux délégations : la délégation sénatoriale aux outre-mer, présidée par Stéphane Artano, et la délégation aux droits des femmes, que j'ai l'honneur de présider.

Outre les présidents des deux délégations, sont également rapporteures sur cette thématique nos collègues Victoire Jasmin, sénatrice de la Guadeloupe, et Elsa Schalck, sénatrice du Bas-Rhin.

Nous entendons tout d'abord ce matin des représentants d'Unicef France, Mmes Jodie Soret, responsable de service Programmes et Plaidoyer, et Mathilde Detrez, chargée de plaidoyer Programme Outre-mer.

Bienvenue à vous.

Nos attentes s'articulent autour de deux axes :

- premièrement connaître les actions menées par l'Unicef dans les territoires d'outre-mer et savoir comment vous adaptez vos missions d'action sociale à ces territoires, davantage touchés par la précarité - en particulier la précarité des mères seules, la non-scolarisation et le décrochage scolaire des jeunes, les grossesses précoces, ou encore la présence de mineurs non accompagnés en grande difficulté ;

- deuxièmement, nous souhaitons connaître les recommandations de l'Unicef afin d'améliorer la situation des enfants et familles d'outre-mer. À travers nos travaux, nous sommes à la recherche de solutions et outils pour que nos politiques familiales et sociales tiennent davantage compte des particularités ultramarines et pour améliorer le soutien à la parentalité dans nos territoires ultramarins.

Je laisse sans plus tarder la parole à Mmes Jodie Soret et Mathilde Detrez. Vous pouvez organiser vos prises de parole comme vous le souhaitez.

Mme Jodie Soret, responsable de service Programmes et Plaidoyer d'Unicef France. - Madame la Présidente, Monsieur le Président, Mesdames les rapporteures, bonjour à toutes et tous.

Merci de nous recevoir aujourd'hui pour parler de ce sujet très important que nous abordons plus généralement sous l'angle des droits de l'enfant dans les territoires ultramarins. Il a fallu un peu de temps à l'Unicef pour aborder ce sujet. Longtemps, il est vrai que nos recommandations en matière de plaidoyer se sont concentrées sur l'Hexagone. Ensuite, nous nous sommes progressivement aperçus - notamment à l'occasion d'un état des lieux, ou plutôt d'une analyse de la situation des droits de l'enfant en France - qu'un certain nombre d'indicateurs concernant les territoires ultramarins étaient particulièrement alarmants. Ils venaient objectiver une situation que nous avions pu pressentir d'une autre manière.

Commençons par contextualiser notre action. Unicef France représente l'Unicef. Nous sommes porteurs d'un mandat pour représenter l'agence des Nations unies pour l'enfance sur l'ensemble du territoire français. Nous sommes un comité national dont les principales missions sont le plaidoyer, la communication, la sensibilisation et la collecte. Cette dernière a longtemps été l'arête dorsale de notre action en France, notamment de manière à financer des programmes dans les pays en développement. Les choses ont ensuite beaucoup évolué, puisque le service plaidoyer compte aujourd'hui quinze personnes, nous permettant de couvrir un certain nombre de sujets, parmi lesquels figure la protection au sens large. Nous y incluons notamment les questions de pauvreté, les enjeux de santé mentale des enfants, de protection de l'enfance, incluant également la prise en charge des mineurs en situation de migration. Nous travaillons également sur les questions d'éducation des enfants, et notamment la question de l'accès à l'éducation. Je me permets de préciser ces thématiques, puisque ce sont notamment celles que nous avons commencé à approfondir dans notre travail sur les différents territoires ultramarins.

L'Unicef a pour rôle de formuler des recommandations en direction des pouvoirs publics pour améliorer l'effectivité des droits de l'enfant sur le territoire. Pour ce faire, nous contribuons fortement aux travaux menés par le Comité des droits de l'enfant de Genève dans le cadre de l'examen de la mise en oeuvre de la Convention des droits de l'enfant en France qu'il mène tous les cinq à six ans. Nous attendons notamment des recommandations pour le mois de juin de la part de ce comité. Dans ce cadre, nous avons beaucoup porté le sujet des territoires ultramarins. Il est fort probable que des recommandations émises par le Comité des droits de l'enfant à l'endroit de la France seront diffusées à partir du mois de juin.

Unicef France a souhaité renforcer son action sur l'effectivité des droits des enfants dans les territoires ultramarins. Nous avions déjà entamé un travail, notamment en Guyane, sur l'accès à l'éducation. En 2020, nous avions en effet publié une étude sur le sujet sur ce territoire, comprenant 37 recommandations articulées autour de trois thèmes : favoriser l'accès à l'éducation des enfants éloignés de l'école ; contribuer au renforcement des conditions de réussite éducative des enfants ; et renforcer la connaissance et la capacité des acteurs à respecter et promouvoir les droits de l'enfant en Guyane. Depuis la publication de ce rapport, nous comptons un salarié implanté sur ce territoire. Il travaille sur la réalisation de ces différentes recommandations. Nous pourrons y revenir par la suite, lorsque nous parlerons d'éducation.

Entre 2020 et 2021, nous avons également mené un travail plus global sur l'effectivité des droits de l'enfant sur le territoire français. À ce moment-là, nous nous sommes aperçus que nous manquions de données s'agissant de l'effectivité des droits des enfants dans les territoires ultramarins. Nous insistons sur ces derniers car les éléments que nous y trouvons sont très inégaux. Par exemple, nous manquons cruellement de données sur la Polynésie, la Nouvelle-Calédonie, alors que nous en trouvons davantage concernant la Guadeloupe. Je précise que nous sommes évidemment très exigeants s'agissant des données, qui nous semblent être la base de bonnes politiques publiques. Il est certain qu'une de nos recommandations visera à renforcer le travail autour des données, notamment concernant les enfants.

Cet état des lieux, qui vous sera plus amplement présenté par Mathilde Detrez, est en cours. Nous nous présentons ainsi devant vous avec une certaine humilité, puisque nous sommes nous aussi en train de réaliser ce travail pour mieux comprendre la situation et proposer les solutions les plus adaptées. Il sera publié le 20 novembre prochain, à l'occasion de la journée des droits de l'enfant. Unicef France a ici pour objectif de remettre la focale sur l'égalité entre les territoires, et la nécessité de mettre en place une action renforcée pour s'assurer de l'effectivité des droits des enfants en outre-mer.

Nous nous nourrissons pour l'heure des données et des recherches disponibles, mais nous souhaitons également associer des acteurs concernés dans les territoires. Nous menons ainsi un certain nombre d'auditions pour essayer de comprendre un peu plus finement les réalités, et surtout pour éviter les amalgames entre des territoires parfois désignés comme « outre-mer » en général. Une réflexion sur ce sujet est nécessaire, pas uniquement de notre part.

Pour l'instant, et même plus globalement, nous ne prétendons ni à l'exhaustivité, ni à la perfection. Nous souhaitons simplement disposer d'un état des lieux de départ sur la question de l'effectivité des droits des enfants pour co-construire des solutions.

Les réflexions que nous comptons partager aujourd'hui reflètent les premiers travaux que nous avons pu engager, et certaines des contributions aux politiques publiques que nous avons proposées. En parallèle, nous avons en effet souhaité commencer à formuler des propositions, notamment dans le cadre des Assises de la santé de l'enfant. Nous identifions des besoins spécifiques sur les enjeux de santé, également dans le cadre de la préparation du pacte des solidarités. Vous le disiez, la précarité est particulièrement prégnante dans les outre-mer.

Mme Mathilde Detrez, chargée de plaidoyer Programme Outre-mer d'Unicef France. - Nous sommes en train d'établir un état des lieux de la situation des droits de l'enfant dans les territoires ultramarins. J'essaierai de dérouler de manière synthétique nos premiers constats et recommandations, en tentant de laisser de la place aux questions et aux échanges, qui nous semblent tout aussi importants.

Nous avons engagé des travaux sur la thématique de la pauvreté, notamment. Nous nous sommes aperçus que la connaissance et l'analyse de la situation des enfants étaient essentielles pour objectiver leurs besoins et pour développer des politiques publiques adaptées. Nous, comme d'autres, nous confrontons à un double obstacle correspondant au manque de données sur la pauvreté multidimensionnelle des enfants en général, mais plus particulièrement dans les territoires d'outre-mer. S'y ajoute un manque de données pour les territoires ultramarins, relativement prégnant. À titre d'exemple, je peux citer le seuil de pauvreté, dont le calcul était jusque récemment différent en outre-mer et en métropole, ce qui compliquait évidemment l'analyse de la pauvreté multidimensionnelle. Pour cette raison, nous recommandons la réalisation d'un état des lieux sur cette pauvreté multidimensionnelle chez les enfants vivant dans les collectivités territoriales d'outre-mer.

Nous considérons également que le pacte des solidarités en cours, pour lequel l'Unicef mène un travail conséquent, constitue un levier. Il a vocation à être décliné localement dans le cadre d'une contractualisation entre l'État et les collectivités. Il prévoit une adaptation des politiques de lutte contre la pauvreté à certains territoires, dont les territoires ultramarins. Là aussi, nous avons formulé des recommandations que nous pourrons vous transmettre. Nous recommandons de s'assurer de la mise en oeuvre effective des mesures du Pacte des solidarités dans les territoires ultramarins en les adaptant au contexte tout en visant les mêmes résultats. Des adaptations sont en effet nécessaires, mais elles ne sont acceptables que si l'ambition des mesures n'est pas revue à la baisse pour ces territoires.

Nous nous sommes également rendu compte que la barrière de la langue constituait un obstacle dans certains territoires dits d'outre-mer, notamment dans l'accès aux services publics et aux droits. Pour cette raison, nous recommandons - notamment dans le cadre du Pacte des solidarités - de développer une stratégie d'interprétariat pour favoriser l'accès aux services publics et aux droits des familles.

Je me permets d'émettre une petite précision par rapport au logement, puisqu'il me semble essentiel d'évoquer ce sujet dans les territoires d'outre-mer. Selon le rapport d'information sénatorial du 1er juillet 2021, l'habitat indigne concerne près de 110 000 logements, soit 13 % du parc des 900 000 logements des DROM. Les difficultés d'accès au logement en outre-mer sont fortement accentuées par l'existence d'un système dérogatoire au droit commun. Certains droits sont minorés, voire inappliqués. À titre d'exemple, le droit au logement opposable n'est pas forcément en vigueur, et certains droits sociaux ne sont pas alignés avec le droit commun. C'est le cas du revenu de solidarité active (RSA) ou des allocations logement. Ainsi, une distinction nette est opérée entre les collectivités territoriales d'outre-mer et l'Hexagone. On le retrouve également dans les textes applicables.

Nous pouvons évoquer la circulaire du 26 août 2021 relative à l'anticipation des opérations d'évacuation des campements illicites, et l'instruction du 25 janvier 2018 relative à la résorption des campements illicites et des bidonvilles, censées réduire le nombre des bidonvilles dans les cinq ans à venir. Elles ne s'appliquent pas dans les territoires d'outre-mer.

Face à l'ampleur de la dégradation de l'habitat et à l'augmentation des logements insalubres, le législateur a introduit des dispositions spécifiques censées faciliter la résorption de l'habitat indigne. C'est le cas de la loi portant évolution du logement de l'aménagement et du numérique, dite ELAN, votée en 2018. Elle consacre une profonde réforme sur le logement social et l'habitat informel en Guyane et à Mayotte. L'application de cette loi présente des conséquences concrètes pour ces territoires. Au cours de l'opération « Wuambushu » à Mayotte, initiée le 22 mai dernier, visant à réduire l'habitat insalubre et à expulser les migrants en situation irrégulière, l'application de la loi ELAN a affecté la scolarisation et l'hébergement des enfants.

Sur la thématique de la pauvreté, nous recommandons un renforcement du repérage et de l'orientation des familles sans domicile vers le droit commun, en développant et en pérennisant les dispositifs visant à aller vers ces familles. Nous insistons également sur le fait de garantir un accueil inconditionnel des enfants et des familles en hébergement respectueux de leurs droits, en développant des solutions adaptées aux familles. Ce n'est pas toujours le cas. Nous recommandons en outre, en général, de favoriser l'accès au logement et de produire massivement une offre de logements sociaux adaptée aux familles. Un travail est déjà en cours en la matière, il doit être renforcé. Enfin, nous recommandons une intégration des territoires d'outre-mer dans le programme national de résorption des bidonvilles et la circulaire de 2018.

Ensuite, l'Unicef travaille par thématique. Si nous en venons à la protection des enfants, j'aimerais vous parler du sujet de la migration. Certaines dérogations législatives sont propres à certains territoires ultramarins, faisant état d'un non-accès systémique aux droits de l'enfant. Ce constat, que nous faisons sur plusieurs territoires, est particulièrement exacerbé à Mayotte. Le droit des personnes étrangères y est dérogatoire dans de nombreux domaines : santé, liberté de circulation pour les mineurs, contrôle d'identité, accès à la nationalité ou à un titre de séjour... Le régime dérogatoire plonge souvent des milliers de familles et d'enfants dans une situation particulièrement vulnérable. Il a des conséquences directes sur la parentalité au sein même des familles. Je pourrais développer ce sujet de la liberté de circulation, mais également les conséquences de la réforme de l'accès à la nationalité ou encore l'enfermement des enfants, qui est particulièrement prégnant à Mayotte. Plus de 2 900 enfants y ont été enfermés l'année dernière. L'Unicef porte le combat de la fin de l'enfermement des mineurs sur l'ensemble du territoire et dans tous les locaux de rétention. Dans ce cadre, nous recommandons une application du droit commun prévu par le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (Ceseda) pour toutes les mesures dérogatoires qui entraînent des conséquences négatives sur la réalisation des droits de l'enfant. À nos yeux, c'est bien le prisme des droits de l'enfant qui doit être privilégié.

Vous nous avez interrogées sur les grossesses précoces, enjeu sur certains territoires, et particulièrement en Guyane et à Mayotte. Je ne m'étendrai pas sur le sujet, parce que je sais que le réseau périnatal de Guyane a aussi été auditionné. Nous échangeons souvent avec ses membres. Nous constatons les mêmes freins, à savoir des carences généralisées en termes d'infrastructures, et particulièrement en santé mentale. Sachez que le taux de suicide est huit fois plus élevé en Guyane, selon Santé publique France. Ce constat n'est évidemment pas sans conséquence sur l'effectivité des droits de l'enfant. Les enfants amérindiens sont particulièrement touchés.

Le réseau périnatal nous a aussi fait part d'une prévention parfois inadaptée, plutôt calquée sur le modèle hexagonal, qui ne s'applique pas nécessairement aux réalités de la Guyane. De plus, le cas des grossesses précoces entraîne une non-scolarisation, voire une déscolarisation pendant la grossesse, qu'il s'agit d'identifier pour pallier ce manque d'accès à l'éducation.

À ce titre, nous recommandons vivement de renforcer l'accompagnement des adolescentes enceintes à travers l'augmentation des moyens alloués au dispositif, via le réseau périnatal de Guyane, avec la création de postes référents. Ceux-ci ne doivent pas être créés uniquement sur le littoral, mais aussi dans les communes plus isolées de Guyane. Nous estimons aussi qu'il serait judicieux de proposer la création de nouveaux postes d'accompagnement à la parentalité, pour accompagner les mères et les couples jusqu'aux trois ans de l'enfant, à son entrée dans la scolarité, et pas uniquement à sa naissance.

Nous souhaitons également développer les permanences de sages-femmes en milieu scolaire, dispositif existant en Guyane, qui mériterait d'être déployé ailleurs. Nous aimerions en outre que le territoire soit doté de foyers parentaux afin de pallier l'isolement des adolescentes et de prévoir un accompagnement global, qu'il soit matériel, psychologique ou pédagogique. Sur l'ensemble du territoire, nous recommandons également de privilégier et de renforcer les actions de sensibilisation avec l'ensemble des acteurs concernés, notamment dans les établissements scolaires. C'est bien là que se joue la sensibilisation. Pour ce faire, nous recommandons le développement de plans de formation adaptés aux réalités des territoires, aux professionnels de santé, mais également aux professionnels de l'Éducation nationale. Ils doivent faire état des réalités sociales, culturelles et historiques dans ces territoires ultramarins.

Mme Jodie Soret. - J'aimerais désormais ajouter quelques mots concernant l'éducation, sujet sur lequel nous travaillons depuis un certain temps déjà, notamment dans l'Hexagone. Nous avons publié un rapport sur la situation de l'éducation en Guyane, dans lequel nous estimions à 10 000 le nombre d'enfants n'ayant pas accès à l'éducation. Nous avions repris des chiffres de la Cour des comptes, même si ces estimations sont toujours assez difficiles à établir. Des travaux plus récents estiment à 9 500 le nombre d'enfants, à Mayotte, qui n'auraient pas accès à l'éducation. Nous travaillons fortement sur ce sujet et devrions renforcer notre action sur ce territoire dans les mois à venir.

Parmi les freins que nous avons identifiés à Mayotte, là où nous avons travaillé jusqu'ici, je peux citer une absence de repérage et d'identification des enfants non scolarisés. Le code de l'éducation impose aux municipalités de dresser la liste de tous les enfants soumis à l'obligation scolaire, mais cette disposition n'est pas toujours - voire très peu - appliquée sur les territoires. Sont ainsi laissés dans l'invisibilité un certain nombre d'enfants non scolarisés. L'absence de recensement empêche le repérage des enfants, et donc leur accompagnement. Dans certains quartiers informels, il est notamment très difficile de savoir si l'ensemble des jeunes sont scolarisés ou non, ce qui complique la collecte de données de qualité. S'y ajoutent des difficultés d'inscription à l'école, parfois liées à des pratiques illégales de la part de certaines municipalités. Nous l'avons noté en Guyane et à Mayotte, à l'encontre d'enfants étrangers se trouvant, de fait, privés de scolarisation. La Défenseure des droits a rendu un certain nombre de recommandations à ce sujet.

À Mayotte, nous avons aussi relevé des dispositifs censés pallier le manque de places dans les établissements scolaires. Le rectorat y a décidé la mise en oeuvre d'un dispositif dérogatoire de classes itinérantes. Plusieurs associations ainsi que la Défenseure des droits ont relevé que les enfants de nationalité française seraient ainsi scolarisés de préférence dans des écoles de la commune, et que les enfants étrangers sont généralement accueillis une matinée par semaine dans le cadre de ce dispositif de classe itinérante. Nous y voyons une différence de traitement qui retient notre attention. La justice, saisie de ce dispositif par le biais des associations, a considéré que cette solution ne saurait être regardée comme un palliatif à une scolarisation effective, ce qui renforce la nécessité de mener un vrai travail pour que l'ensemble des enfants ait accès à ce droit à l'éducation.

Enfin, les conditions de logement, de transport, voire de restauration peuvent rendre difficile l'accès et le maintien à l'école. J'insiste notamment sur l'enjeu des transports scolaires ou le manque de places en internat, qui a conduit à mettre en place le dispositif de « familles hébergeantes » en Guyane. Ce dispositif ad hoc répond certes à un besoin, mais ne nous semble pas nécessairement aller dans le sens de la meilleure protection des enfants. Il nous paraît parfois opaque.

Ainsi, nous recommandons de poursuivre et de pérenniser le travail engagé autour de l'identification des enfants éloignés de l'école en l'incluant dans une démarche nationale. L'enjeu du non-accès à l'éducation n'est pas seulement un problème de territoire ultramarin. Il existe aussi des enfants, dans l'Hexagone, qui ne sont pas scolarisés. Ainsi, l'Observatoire de la scolarisation et de la réussite éducative, qui a été relancé en Guyane, doit pouvoir s'inscrire dans un contexte un peu plus global, afin d'harmoniser les méthodologies. Aussi, nous poussons à la mise en place d'un observatoire national de la non-scolarisation pour que soient menées des réflexions au niveau national sur ce sujet.

Nous nous intéressons également beaucoup au développement de la médiation scolaire. Ce dispositif a été mis en place par la Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (Dihal). Il se concentre aujourd'hui majoritairement sur l'Hexagone. Il nous apparaît intéressant de l'élargir aux territoires ultramarins, en l'adaptant, évidemment. Nous savons que certaines initiatives ressemblant à la médiation scolaire existent déjà, mais elles n'entrent pas dans ce cadre de gestion par la Dihal.

Ancrer les dispositifs ad hoc applicables dans certains territoires d'outre-mer dans le droit commun semble par ailleurs essentiel. Un droit local peut être très intéressant, mais il est nécessaire de s'assurer qu'il s'applique pour le mieux et vise une meilleure réalisation des droits de l'enfant, pour une meilleure adaptation. Nous faisons notre possible pour éviter des dispositifs qui consisteraient à moins bien appliquer les droits de l'enfant.

Mme Mathilde Detrez. - Nous allons terminer notre propos avec les sujets de santé.

Les constats que je vais dresser sont certainement partagés. Le rapport de l'Igas sur la santé des enfants affirme, en 2021, que les indicateurs de santé ainsi que les déterminants de santé des enfants sont plus défavorables dans les territoires d'outre-mer que dans l'Hexagone. La pauvreté monétaire et multidimensionnelle qui frappe certains des territoires ultramarins n'est pas sans conséquence sur le parcours de santé des enfants, qui représentent tout de même une part importante de la population, surtout dans certains territoires. À titre d'exemple, la mortalité infantile est deux à trois fois plus élevée dans les DROM que dans l'Hexagone. De fait, la santé des enfants est particulièrement dégradée sur certains territoires, qui souffrent de carence dans l'offre de soins et les infrastructures de santé en général, mais également dans l'offre de soins hospitalière en pédopsychiatrie, qui ne fait pas exception à ces carences. La prise en charge des enfants en santé mentale est aussi un enjeu fondamental. Il s'agit de l'une des priorités d'Unicef France, surtout dans ces territoires où l'accès aux soins dits « essentiels » - qui ne comprennent pas forcément les soins en santé mentale de prime abord -, est semé d'embûches.

Nous recommandons de développer et de renforcer les dispositifs mobiles d'accès aux soins existants, qui font leurs preuves sur certains territoires, mais aussi la prévention en médiation de santé. Pour ce faire, doivent être associés l'ensemble des acteurs concernés afin d'entamer une réelle démarche d'« aller vers », qui fonctionne et a fait ses preuves. Elle doit être renforcée. Il est essentiel d'aller vers les enfants éloignés en leur proposant des infrastructures adaptées à leur prise en charge.

Nous souhaitons également porter à votre connaissance les freins en matière de soins et de protection maladie dans certains territoires ultramarins. Nous recommandons vivement de mettre en place l'Aide médicale d'état (AME) et la complémentaire santé solidaire à Mayotte, sans aucune distinction. Nous souhaitons aussi que soit permise l'affiliation à la Sécurité sociale de tous les enfants, peu importe la situation administrative de leurs parents ou la situation d'isolement. Ce n'est pas encore le cas sur l'ensemble du territoire français.

Permettez-moi d'évoquer rapidement la procédure d'évacuation sanitaire. Je ne sais pas si vous la connaissez. Elle est plutôt opaque en fonction des territoires. Elle existe surtout de Mayotte vers La Réunion, mais également de la Guyane vers l'Hexagone. Nous aimerions qu'un travail de fond soit mené. Il est déjà effectué par certaines associations sur place, notamment la Cimade à La Réunion. Nous souhaitons oeuvrer pour la modification de cette procédure, afin de permettre aux parents d'accompagner leur enfant jusqu'à son retour lorsqu'il bénéficie d'une évacuation sanitaire d'un territoire ultramarin à un autre, ou d'un territoire ultramarin à l'Hexagone, en respect du principe de non-séparation des familles, et sans distinction en fonction de la situation administrative des parents. Parfois, des enfants sont évacués à La Réunion, par exemple, et les difficultés liées à la délivrance de passeports provisoires ou de laissez-passer empêchent les parents de les accompagner. Ces jeunes restent sur un territoire qu'ils ne connaissent pas parfois pendant des mois, voire des années. En découle une rupture dans le droit au respect de la vie privée et familiale relativement conséquente. Des réflexions sont en cours s'agissant de cette procédure.

Enfin, nous souhaitons recommander l'amélioration de l'offre de soins en santé mentale des enfants, et permettre un suivi efficient. Celui-ci passerait par le renforcement des structures adaptées, mais également par une valorisation des actions de prévention du suicide - nous parlions plus tôt des jeunes amérindiens en Guyane. Doit également être généralisé le suivi en santé mentale des enfants concernés par la destruction de leurs habitats à Mayotte, notamment dans le cadre de la loi ELAN.

Mme Jodie Soret. - Nous avons tenté de balayer un certain nombre de recommandations, bien que le sujet soit très vaste. Vous aurez noté que notre prisme concerne avant tout les droits de l'enfant et notre interprétation de la Convention des droits de l'enfant, basée sur les recommandations du Comité des droits de l'enfant.

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Merci pour cette présentation exhaustive, qui démontre l'engagement de l'Unicef sur nos territoires ultramarins.

Vous avez pointé différentes problématiques qui soulèvent deux questions.

D'abord, vous avez évoqué le changement du calcul du seuil de pauvreté à compter de 2020. Pourquoi a-t-il été opéré à ce moment-là ? Quelles en ont été les conséquences ?

Par ailleurs, vous avez soulevé des disparités entre l'Hexagone et les territoires ultramarins. Pourrez-vous nous envoyer les différences observées sur les allocations diverses et variées, en particulier pour justifier votre constat sur le droit opposable au logement qui ne serait pas une réalité sur certains territoires ?

M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer, co-rapporteur. - Je m'orienterai quant à moi sur un sujet pratico-pratique. Je sais que l'Unicef est en partenariat avec de nombreuses collectivités, dont celle d'Issy-les-Moulineaux que je connais très bien. La ville est signataire de la charte « Ville amie des enfants ». Beaucoup de collectivités ultramarines en sont-elles signataires ? Elle permet notamment aux collectivités, au travers des conseils municipaux de jeunes ou de conseils de jeunesse, de commencer à sensibiliser ces populations sur certains sujets. Je crois beaucoup au maillage territorial de votre action.

Vous indiquiez notamment que vous comptiez un salarié en Guyane, territoire que vous investissez fortement. Envisagez-vous des liens avec les collectivités supports ? J'imagine que l'Unicef seule ne pourra pas porter ces sujets, au-delà de votre travail de plaidoyer et de vos recommandations. Nous sommes en outre intéressés par la manière dont des politiques nationales permettraient des projections d'acteurs tels que l'Unicef dans les territoires ultramarins. Quelles seraient les mesures qui permettraient de favoriser votre implantation au travers de partenariats, ou en direct ?

Mme Elsa Schalck, co-rapporteure. - Merci pour vos interventions et pour l'exhaustivité de votre présentation. Nous voyons à quel point l'Unicef est engagée en matière de droits de l'enfant, mais aussi et surtout en matière d'effectivité de ces droits, notion qui me paraît presque plus importante encore. On peut avoir des droits, mais si l'on ne peut pas les exercer, leur importance devient très relative.

Si j'ai bien compris, le service Plaidoyer constitue aussi un lien avec les acteurs sur place. Quel est votre regard sur les différents acteurs en fonction des territoires ultramarins ? Des coordinations doivent-elles, selon vous, être améliorées ? Des manques sont-ils constatés ? Sur certains territoires, un acteur prend-il plus de place en la matière ?

Parmi vos recommandations, je suis particulièrement sensible à la création d'un observatoire de la non-scolarisation. Les chiffres que vous nous avez rappelés peuvent être sous-estimés. Ils sont inquiétants, tant en Guyane qu'à Mayotte. Les recommandations émises le sont pour l'avenir. Pour autant, que faisons-nous de ces enfants qui ne sont pas scolarisés à l'heure actuelle ? Ils sont 9 000 ou 10 000, avec toutes les conséquences que nous pouvons supposer pour leur avenir. J'imagine que cette question est assez compliquée, mais pouvez-vous nous faire part de votre regard sur le sujet ?

Mme Victoire Jasmin, co-rapporteure. - Merci pour vos interventions complémentaires et exhaustives. J'ai toutefois deux questions à vous poser. Vous avez dressé un constat des carences et inégalités d'application de certains dispositifs de droit commun entre l'Hexagone et nos différents territoires. Pouvez-vous nous apporter quelques précisions à ce sujet ?

S'agissant de l'accès aux soins et de la qualité des soins, des difficultés se font jour un peu partout en France pour trouver des médecins. Il existe des déserts médicaux sur certains territoires. La prise en charge des enfants et de leur santé mentale constitue un vrai sujet sur nos territoires, car nous manquons de pédopsychiatres.

Vous avez évoqué les évacuations sanitaires. Elles se font généralement vers l'Hexagone. Il est nécessaire de maîtriser les dispositifs sur les territoires eux-mêmes et de trouver des alternatives. Avez-vous des préconisations à émettre en la matière pour éviter l'isolement des enfants, réel sujet ? Nous parlions de santé mentale, mais nous pouvons également mentionner les cancers des enfants. Leurs soins sont quasiment exclusivement effectués dans l'Hexagone.

M. Thani Mohamed Soilihi. - J'aurai deux questions à vous poser, mais j'aimerais débuter mon propos par quelques observations et mises au point. Le système de rotation qui fait que nous sommes obligés, à Mayotte, d'utiliser la même salle de classe pour une classe le matin et une autre l'après-midi, est valable pour tout le monde et n'est pas réservé aux élèves étrangers. D'ailleurs, le taux d'échec scolaire qui s'élève à 75 % est le même pour tous, sans distinction entre les élèves mahorais et étrangers.

Par ailleurs, nous avons mené des travaux, au sein de la délégation sénatoriale aux outre-mer, pour une procédure rapide de destruction des bidonvilles à Mayotte et en Guyane. Cette procédure est conforme. Je suis très admiratif de votre engagement, mais parfois, lorsque l'on vous écoute, on a le sentiment que l'on n'est pas en France. À Mayotte, c'est la loi française qui est appliquée. Le dispositif de la loi ELAN a franchi le seuil de constitutionnalité. D'ailleurs, récemment, une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) a été soumise au Conseil d'État, qui a refusé de la déférer, estimant que le dispositif de la loi ELAN était constitutionnel, compte tenu de ce qu'il se passait à Mayotte et en Guyane.

Enfin, il est hors de question de revenir sur la disposition adaptant le droit de la nationalité à Mayotte. Le Conseil constitutionnel et le Conseil d'État se sont prononcés. La condition supplémentaire d'un séjour de trois mois de l'un des parents pour que l'enfant né sur le sol mahorais puisse acquérir la nationalité française est qualifiée par certains de « gnognote » sur le territoire. Je rappelle que récemment, une proposition de loi du groupe Les Républicains (LR) proposait de supprimer le droit du sol à Mayotte. Ainsi, je peux entendre que vous demandiez un assouplissement, mais aujourd'hui, les droits sont préservés, tant bien que mal, compte tenu de la situation à Mayotte.

Pour cette raison, j'ai deux questions à vous poser. D'abord, que pensez-vous de la nécessité d'appliquer la circulaire Taubira à Mayotte ? Beaucoup de ces enfants sont abandonnés. La circulaire permet de répartir certains d'entre eux dans d'autres départements pour s'en occuper. Les collectivités de Mayotte ne peuvent pas le faire. Elles sont asphyxiées et manquent de moyens. Quel est votre avis sur le sujet ? Jean-Luc Mélenchon l'a proposé. Tous les élus mahorais seraient d'accord pour mettre cette disposition en oeuvre. Le territoire ne tient pas ; 77 % de sa population vit sous le seuil de pauvreté. Chaque année, avant la rentrée scolaire, vous voyez arriver des dizaines de kwassas-kwassas scolaires remplis d'enfants cherchant à accéder à l'éducation et à la nationalité française, en plus des kwassas-kwassas sanitaires.

Ensuite, l'Unicef agit partout dans le monde. Menez-vous des actions, aux Comores notamment, pour aider à la fixation de ces populations chez elles, dans les trois îles ? Ce serait la seule solution viable. Mayotte, à elle seule, ne peut accueillir toute la misère de l'océan Indien.

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Merci beaucoup au Sénateur de Mayotte, qui connaît bien évidemment son territoire.

Je vous laisse vous organiser comme vous le souhaitez pour répondre. Au regard du temps contraint dont nous disposons, n'hésitez pas à compléter vos réponses, qui peuvent être complexes et longues, par écrit à l'issue de cette audition.

Mme Jodie Soret. - Compte tenu du peu de temps qu'il nous reste, je serai rapide.

Nous vous enverrons la raison du changement de calcul du seuil de pauvreté à compter de 2020, car je ne pense pas que nous serons en mesure de vous en fournir des explications tout de suite. Si nous la trouvons, nous vous la transmettrons. Elle figurera, je suppose, dans l'état des lieux que nous publierons en novembre.

Nous pourrons également vous communiquer des éléments sur les différences observées entre la métropole et les territoires ultramarins.

En effet, nous disposons d'un réseau des « Villes amies des enfants ». À chaque nouvelle édition, qui correspond à un nouveau mandat, nous travaillons avec la volonté d'accompagner toujours plus de villes vers une effectivité du droit de l'enfant sur leur territoire. Des villes de La Réunion en sont membres. En même temps que nous progressons en matière de plaidoyer sur les territoires ultramarins, nous cherchons à travailler davantage avec les collectivités, localement. Notre action se concentre pour l'heure essentiellement sur La Réunion, mais nous voulons le faire davantage lors du prochain mandat.

Nous travaillons également sur un dispositif d'écoles amies des droits de l'enfant, visant notamment à proposer une école par les droits, pour les droits de l'enfant. Je pourrai vous communiquer des éléments sur ce point. Certaines de ces écoles et de ces méthodologies pourraient également concerner les territoires ultramarins, notamment la Guyane.

Un comité local est également implanté à La Réunion. C'est une façon de renforcer progressivement notre action.

Ensuite, il nous sera difficile de parler de la coordination entre les différents acteurs, en dehors de la Guyane qui concentre la plupart de nos travaux. Nous voyons que la collectivité territoriale et le rectorat travaillent bien ensemble. C'est une très bonne nouvelle, qui a notamment permis de relancer l'Observatoire de la scolarisation et de la réussite éducative évoqué plus tôt. Nous espérons que cette dynamique va se poursuivre, notamment sur les autres sujets qui restent problématiques. Je pense notamment aux questions de transports. Ceux-ci coûtent cher et ne sont pas toujours pratiques. Lorsqu'un enfant doit faire trois heures de pirogue pour aller à l'école, il lui est plus compliqué d'être assidu. Nous savons par ailleurs qu'un travail est réalisé pour renforcer les propositions en termes d'internat, puisqu'il en manque sur les territoires. Le dispositif des familles hébergeantes ne nous semble pas satisfaisant en l'état. Nous savons qu'une certaine attention est portée sur le sujet, mais les droits de l'enfant ne sont pas toujours, selon nous, placés au centre de ces politiques publiques. Parfois, il faudrait peut-être renforcer la question des droits de l'enfant et adapter certaines politiques pour s'assurer de leur effectivité. C'est l'une des réponses que nous pouvons apporter s'agissant de Mayotte. J'entends bien les difficultés vécues sur place, mais nous avons entre autres pour rôle de proposer des recommandations qui feraient en sorte d'assurer le plus possible l'effectivité des droits des enfants. Ensuite, nous ne sommes pas en position de législateur. Nous ne pouvons qu'observer la situation et identifier son impact sur les droits des enfants. C'est pour cette raison que nous nous permettons d'émettre des recommandations.

S'agissant de l'Observatoire de la non-scolarisation, nous tenons des discussions au niveau national avec les ministères. Elles avancent bien. Nous pourrons vous en dire davantage. Nous espérons notamment que ce dispositif pourra figurer dans le Pacte des solidarités ou dans le Comité interministériel piloté par la secrétaire d'État Charlotte Caubel. Nous continuons à pousser ce dispositif, qui nous semble devoir être regardé à l'échelle de la France entière. Si possible, il faudrait également harmoniser les méthodologies.

Mme Mathilde Detrez. - Je me permets de répondre à Monsieur le Sénateur Thani Mohamed Soilihi. Nous pourrons prendre un autre temps pour évoquer toutes ces questions qui demandent beaucoup de réflexions, mais je suis ouverte à évoquer, avec vous, la réforme de la nationalité.

Vous avez raison, le dispositif des classes itinérantes ne prévoit pas spécifiquement la scolarisation des enfants étrangers, et heureusement. Nous avons simplement étudié les décisions de justice prises en ce sens et les recommandations de la Défenseure des droits, qui font état, dans l'effectivité des droits, d'un manque d'égalité entre les enfants de nationalité française et ceux qui seraient considérés comme étrangers. Bien évidemment, nous savons que ce dispositif, qui peut permettre de répondre à certains besoins, vaut pour tout le monde, et que la non-scolarisation concerne tous les enfants sur le territoire mahorais.

L'accès à la nationalité demanderait des réflexions plus approfondies. Je me permets de reprendre votre terme. Vous dites que la réforme est de la « gnognote » pour certains, mais ses conséquences sur la réalisation des droits de l'enfant sont dramatiques. Je ne vous apprends rien en soulignant que la composition des familles, à Mayotte, comprend parfois plusieurs statuts avec des enfants de nationalité française et d'autres ne l'ayant pas. Après cette réforme, des milliers d'enfants se sont retrouvés, du jour au lendemain, sans possibilité d'obtenir la nationalité, alors qu'ils pensaient depuis leur naissance qu'ils deviendraient français. Ils ont été scolarisés dans le système de droit commun français. Cela a de fait des conséquences sur leurs possibilités de poursuite d'études, par exemple, mais aussi sur leur intégration au sein de la République Française.

M. Thani Mohamed Soilihi. - Les dispositions sont appliquées depuis 2018. Il est ainsi impossible qu'elles puissent toucher des personnes en voie de scolarisation.

Mme Mathilde Detrez. - Une rétroactivité de la loi est prévue.

M. Thani Mohamed Soilihi. - Elle ne l'est que jusqu'en 2013. Les élèves de 18 ans et plus ne sont pas touchés par cette réforme.

Mme Mathilde Detrez. - Un principe de rétroactivité de la loi s'applique pour les enfants venant d'avoir 18 ans.

M. Thani Mohamed Soilihi. - On ne peut pas remonter plus loin que 2013, il y a dix ans.

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Il y a a priori un point de désaccord important. J'entends vos propos. Une discussion est nécessaire. Le sénateur vit à Mayotte et représente ce territoire.

Mme Mathilde Detrez. - J'ai été juriste en accès aux droits à Mayotte. J'ai accompagné des jeunes dans l'accès à leur nationalité ces deux dernières années. Nous pourrons en rediscuter.

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - J'entends deux visions et deux positions extrêmement différentes. Ce point mérite des discussions plus longues et des précisions. Nous le ferons dans les échanges que nous pourrons avoir ensemble ultérieurement.

Mme Mathilde Detrez. - Je vous rejoins sur la circulaire Taubira, réflexion intéressante et pertinente, mais qui ne s'applique pas à Mayotte. C'est une conséquence du système dérogatoire. Vous le savez, lors de l'obtention d'un titre de séjour à Mayotte, celui-ci est territorialisé. Il ne permet pas de se déplacer librement sur l'ensemble du territoire français. Les personnes doivent solliciter un visa. Le constat est le même pour les documents de circulation pour étrangers mineurs. L'enfant doit être né sur le territoire.

Si on permet aux personnes disposant d'un titre de séjour ou aux enfants disposant d'un document de circulation de circuler librement, la circulaire Taubira pourra s'appliquer. Ce levier, qui pourrait être intéressant et pertinent, demande des réflexions.

Mme Jodie Soret. - Enfin, un bureau de l'Unicef installé aux Comores y mène un certain nombre d'actions. Je pourrai vous envoyer des éléments sur son programme. Des actions de développement, comme nous en menons dans tous les autres pays et territoires, y sont réalisées. Nous sommes régulièrement en contact avec les acteurs qui y sont présents. Nous pourrons en rediscuter ultérieurement.

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Merci pour votre engagement sur les territoires ultramarins. Nous attendons vos éléments complémentaires avec impatience.

Parentalité dans les outre-mer - Audition de la Croix-Rouge française

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Chers collègues, Mesdames, je suis accompagnée du président de la délégation sénatoriale aux outre-mer, Stéphane Artano. Nous poursuivons nos travaux sur la parentalité dans les outre-mer avec une audition de la Croix-Rouge française.

Nous accueillons Gaëlle Nerbard, directrice nationale outre-mer de la Croix-Rouge française, accompagnée d'Anne Skrobot, directrice adjointe de la direction nationale outre-mer et d'Alizée Bombardier, responsable relations institutionnelles, communication et développement de projets.

Bienvenue à vous. La Croix-Rouge française est la seule association qui dispose d'une couverture nationale complète, dans l'Hexagone et dans chaque territoire ultramarin, avec 3 700 volontaires engagés dans les douze délégations territoriales ultramarines. Elle a donc une vision transversale des difficultés rencontrées par les publics qu'elle accompagne et des caractéristiques propres à chaque territoire.

Nos attentes s'articulent autour de deux axes :

- premièrement, connaître les actions menées par la Croix-Rouge française dans les territoires ultramarins et savoir comment vous adaptez vos missions d'action sociale à ces territoires, davantage touchés par la précarité - en particulier la précarité des mères seules, la non-scolarisation et le décrochage scolaire des jeunes, les grossesses précoces, ou encore la présence de mineurs non accompagnés en grande difficulté ;

- deuxièmement, nous souhaitons connaître les recommandations de la Croix-Rouge française afin d'améliorer la situation des familles d'outre-mer. À travers nos travaux, nous sommes à la recherche de solutions et d'outils pour que nos politiques familiales et sociales tiennent davantage compte des particularités ultramarines et pour améliorer le soutien à la parentalité dans nos territoires ultramarins.

Je laisse sans plus tarder la parole à Mme Gaëlle Nerbard, directrice nationale outre-mer de la Croix-Rouge française. Nous tiendrons ensuite un temps d'échange.

Mme Gaëlle Nerbard, directrice nationale outre-mer de la Croix-Rouge française. - Bonjour à toutes et à tous, merci de nous accueillir aujourd'hui pour présenter la thématique de la parentalité en outre-mer, importante pour la Croix-Rouge française. Avant d'entrer dans le vif du sujet, permettez-moi de présenter notre structure et les dispositifs d'aide à la parentalité que nous avons installés sur les territoires, avant d'en venir aux constats que nous en avons tirés.

La Croix-Rouge française est la seule association nationale présente dans les trois océans, en outre-mer, ce qui nous donne une visibilité sur des territoires et une connaissance particulière de ce qui s'y passe, sur un certain nombre de sujets. Nous sommes un auxiliaire des pouvoirs publics reconnu et un acteur de confiance. Nous comptons douze délégations territoriales, cinquante-et-un établissements, des directions territoriales et plus de 3 700 bénévoles. Nous disposons par ailleurs de trois plateformes d'intervention régionale en outre-mer. Elles interviennent dans les zones et bassins régionaux en matière de sensibilisation et de gestion des risques et catastrophes naturelles.

La Croix-Rouge française a identifié quatre thématiques de travail prioritaires en outre-mer :

- la prévention et la gestion des crises auxquelles nous sommes soumis, qu'elles soient sociales ou climatiques ;

- l'enjeu majeur du bien vieillir ;

- la lutte contre les violences intrafamiliales qui, la crise sanitaire nous l'a montré, sont très présentes et concernent l'ensemble des territoires ultramarins ;

- la jeunesse.

La Croix-Rouge française en outre-mer est une association généraliste. Nous couvrons un spectre très important qui commence par la prise en charge de la petite enfance avec des crèches, des dispositifs d'aide à la parentalité auprès des familles, des maisons d'enfants à caractère social en matière de protection de l'enfance... Nous disposons également des seuls dispositifs de prévention spécialisée que nous retrouvons à Mayotte, à Saint-Barthélemy et en Nouvelle-Calédonie. Nous allons ensuite jusqu'à l'accompagnement des personnes âgées avec des Ehpad, des résidences autonomes ou des services de soins à domicile.

Permettez-moi à présent de vous exposer nos dispositifs par territoire relatifs à l'accompagnement des enfants et des familles. Je rappelle qu'à la Croix-Rouge française, l'accompagnement est basé sur le volontariat des familles. Cette donnée est essentielle. Nous ciblons les parents vulnérables. Nous reviendrons sur ces vulnérabilités, majeures en ce qui concerne les familles. C'est une porte d'entrée. On n'arrive pas à l'aide à la parentalité tout de suite, il est nécessaire de prendre en charge les autres difficultés rencontrées par les parents. Cette approche nous apparaît essentielle.

En Martinique, nous proposons plusieurs dispositifs, à commencer par des lieux de soutien à la parentalité à Saint-Pierre, à Fort-de-France et à Sainte-Luce, et des espaces de rencontre parent-enfant. Nous organisons également des stages de rappel à la responsabilité parentale lorsque des parents ont été auteurs de certains gestes. Nous travaillons sur la récidive vis-à-vis de ces comportements. Nous disposons également d'appartements thérapeutiques où nous accompagnons des enfants atteints de pathologies assez lourdes, telles que des cancers. Nous accompagnons les familles dans ce cadre.

Je profite de ce point pour présenter rapidement l'« option Croix-Rouge », dispositif national porté par la Croix-Rouge française au sein de tous les territoires, dont les outre-mer. Dans ce cadre, nous intervenons au sein des écoles, collèges, lycées, universités. Nos bénévoles y travaillent avec les équipes éducatives sur une thématique définie par ces dernières. Dans l'un des collèges de Fort-de-France, il a été décidé de travailler avec un Ehpad sur le lien intergénérationnel, au sein d'un jardin intergénérationnel. Il répond par exemple à la question suivante : « comment retrouver la culture de certains légumes que certains enfants ont aujourd'hui oubliés ? ». Ce dispositif est très intéressant et fortement soutenu. Nous en sommes très fiers. C'est aussi un moyen de travailler sur de nombreux sujets avec les jeunes.

À Saint-Martin, nous disposons d'une crèche Pomme d'Happy, qui a la particularité d'accueillir une douzaine d'enfants en situation de handicap. Au sein de ces dispositifs, nous travaillons évidemment avec les familles. Nous y proposons également un espace santé jeunes, qui travaille sur la santé sexuelle et les addictions auprès de ces publics. Dans ce cadre, des ateliers sont organisés dans les établissements scolaires, avec les équipes éducatives. Sont mises en place des activités sur ces questions, avec les familles.

À Saint-Barthélemy, nous avons signé cette année une convention avec la collectivité pour mettre en place un dispositif mobile de prévention spécialisée. J'y reviendrai plus tard, la Croix-Rouge se caractérise par le développement de dispositifs d'« aller vers ». Nous allons en effet vers les publics que nous accompagnons. Ce dispositif en est un exemple. Nous proposons en outre du soutien scolaire, et l'« option Croix-Rouge », avec d'autres dispositifs de Vestiboutiques. Nos dispositifs sont surtout des lieux de rencontre. Nous sommes là pour réinstaurer un lien social. On parle beaucoup d'isolement. La crise sanitaire nous a montré à quel point nos populations étaient isolées. Se rendre à la Vestiboutique pour prendre un café ou pour acheter un vêtement permet d'aborder de nombreux sujets autour de la personne accompagnée.

En Guyane, nous proposons un espace parent-enfant, à Cayenne. Il est ouvert aux enfants âgés de moins de 18 mois et aux familles en situation de grande précarité. Ces ateliers, qui se réunissent une fois par semaine, répondent à un vrai besoin de ces familles. Ce dispositif vise à les aider à envisager un avenir meilleur. Ce sont les bénévoles de la Croix-Rouge française qui le portent. Il vise à accompagner les parents dans leur rôle de père ou de mère, à leur faire retrouver le plaisir d'échanger, parce que ces familles souffrent parfois d'une rupture de lien. Nous distribuons aussi du lait médicalisé d'urgence à la demande des professionnels de santé qui nous envoient les familles concernées.

À La Réunion, nous disposons d'une Maison d'enfants à caractère social (MECS) à laquelle s'ajoute un dispositif mobile de médiation sociale de rue, toujours dans un objectif d'« aller vers ». L'aide à la parentalité est intrinsèque à ce dispositif. Nous accueillons des enfants placés par l'Aide sociale à l'enfance (ASE). Au sein de ce dispositif, nous menons un travail important avec les familles, à la fois à l'occasion de visites organisées, et d'ateliers.

À Mayotte, nous disposons depuis l'année dernière d'une maison des familles à Passamaïnty. Nous voyons chaque jour à quel point elle est indispensable. Les familles viennent y rencontrer nos équipes à l'occasion d'ateliers avec les enfants, pour des jeux. C'est également l'occasion d'aborder un ensemble de difficultés qu'elles peuvent rencontrer. Nous constatons, tant à travers ce dispositif qu'en général, que pour travailler avec les enfants et familles, il faut travailler sur les autres difficultés rencontrées, dont la précarité alimentaire, ou l'illectronisme. À l'école, au collège, au lycée, tout est aujourd'hui envoyé par Internet. Les difficultés de lecture peuvent mettre les familles dans l'embarras. Nous travaillons avec elles pour leur permettre de retrouver leur place de parents, avant de travailler sur la parentalité en tant que telle. À la Croix-Rouge, en tant qu'acteur généraliste, nous avons la chance de proposer l'ensemble des dispositifs nécessaires. Nous disposons en outre d'un service de lutte contre la malnutrition infantile. Nous intervenons sur ces sujets à l'intérieur des villages et quartiers. Par ailleurs, nous avons conclu un partenariat avec l'ONG Bibliothèques sans frontières qui propose un dispositif de bibliothèque numérique, l'Ideas Box, qui nous permet de travailler sur la lecture, le numérique... C'est également un dispositif mobile d'« aller vers » que nous apportons dans les quartiers, les villages, là où la population a besoin de nous.

En Nouvelle-Calédonie, nous disposons de deux crèches à Nouméa, la Maison du Petit Enfant et les Cerisiers bleus. Il n'y a que très peu de crèches sur ce territoire. Elles sont en partie concentrées autour de Nouméa. Elles sont, pour la plupart, privées. La Croix-Rouge a l'avantage de pouvoir proposer différents tarifs. Peu de crèches peuvent le faire. Nous proposons quatre tarifs pour les familles. Vous le savez, la Nouvelle-Calédonie n'est pas soumise au même système que le reste du territoire. Ce dispositif permet de prendre en charge des familles qui seraient en situation de vulnérabilité. Au sein de ces crèches, nous travaillons sur des ateliers avec les familles. Par ailleurs, la Maison de la famille nous permet d'organiser des ateliers autour de l'aide à la parentalité. En outre, nous constatons au travers de ce dispositif à quel point les familles des jeunes que nous aidons sont éloignées de l'accompagnement, en partie parce qu'elles rencontrent d'autres difficultés, d'ordre alimentaire par exemple, ou des addictions les empêchant d'assumer leur rôle de parents. En Nouvelle-Calédonie, nous travaillons également beaucoup, tant dans les établissements scolaires que dans des dispositifs d'« aller vers », sur la lutte contre différents types d'addictions.

Notre constat général sur les structures familiales n'est pas limitatif, et s'appuie sur les observations des salariés et bénévoles dans le cadre de leur accompagnement. D'abord, les territoires sont concernés par une grande part de familles monoparentales. Si les pères peuvent être présents, ils ne reconnaissent souvent pas l'enfant. On constate également des situations de couple hors habitation conjugale, c'est-à-dire que beaucoup de familles, notamment en Martinique, mais pas seulement, ne vivent pas ensemble. Le père n'est pas présent au sein du foyer. Dans la quasi-totalité des cas de séparation, l'enfant vit avec sa mère. Très peu de familles ont recours à la justice pour organiser la garde de l'enfant. Nous constatons également que la présence du père est très forte car, même sans reconnaissance, il décide du rythme des visites ou des sorties. La mère conserve les rôles éducatif et économique.

Le modèle de famille élargie est également un sujet, en particulier en Nouvelle-Calédonie et aux Antilles, bien qu'il tende à évoluer. Au sein d'une famille, plusieurs générations peuvent vivre dans une seule et même habitation. C'était le cas en Martinique, mais ce modèle tend à se déliter, en lien avec le départ des jeunes de ces territoires.

Nous constatons également une influence du cercle familial élargi, très prégnante sur l'éducation. L'appartenance sociale reste un facteur déterminant.

En Martinique, plus de la moitié des structures familiales avec enfants sont monoparentales. On peut ici distinguer les couples séparés des couples hors cohabitation conjugale.

Nous observons que le sujet de la parentalité est traité en outre-mer, sous la forme de grands colloques et de grandes conférences. Ce n'est pas, à notre sens, la bonne manière de l'aborder au regard des familles que nous accompagnons. On retrouve dans ces événements des intervenants très intéressants qui connaissent le sujet, mais ils ne connaissent pas nécessairement les publics que nous souhaitons toucher.

Il est par ailleurs nécessaire d'éviter de stigmatiser nos familles, qui peuvent ressentir une forme de jugement, puisque la parentalité est personnelle. Elle relève d'une histoire. On constate en effet une méfiance importante sur les nouvelles pratiques éducatives. Je le disais en introduction, nous observons encore trop souvent des violences éducatives ordinaires au coeur de l'éducation des familles. Cette remise en cause est difficile, raison pour laquelle nous abordons le sujet différemment. Nous y reviendrons.

Le dispositif d'aide à la parentalité doit, à notre sens, être transversal à tous les dispositifs que la Croix-Rouge française porte par ailleurs. La première porte d'entrée peut être celle de la précarité alimentaire. Lorsque la famille vient nous rencontrer pour bénéficier d'aide alimentaire, on peut souvent discuter d'autres sujets. Celui des enfants arrive plus tard. Même lorsque nous disposons de dispositifs tels que les lieux de ressource à la parentalité en Martinique, nous ne traitons pas le sujet en tête-à-tête avec la famille d'emblée, pour ne pas la stigmatiser et la mettre en difficulté. Nous commençons par des ateliers collectifs au sein desquels elles vont parler de leurs difficultés. La question de l'enfant et de l'éducation arrivera plus tard. C'est ainsi que nous abordons le sujet. Les dispositifs doivent être transversaux. Avant de traiter la question de la parentalité, nous devons agir sur l'ensemble des vulnérabilités rencontrées par les familles.

Malheureusement, celles que nous accompagnons rencontrent des difficultés alimentaires, la crise l'a montré. C'est le premier sujet. On ne peut pas travailler avec un parent qui n'a pas mangé, qui n'a pas réglé ses factures et qui n'est pas en mesure de le faire. Il n'est pas disponible pour l'éducation. Pour cette raison, nous travaillons sur l'ensemble de ces vulnérabilités.

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Merci pour ces explications. Je laisse sans tarder la parole aux rapporteurs et aux sénateurs qui voudraient vous interroger en tant qu'organisation présente dans tous les territoires ultramarins.

M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer. - Merci Madame. Félicitations pour votre implantation sur l'ensemble des outre-mer. Vous êtes un acteur majeur et rayonnez sur tout le territoire. S'agissant de votre approche transversale de la parentalité, à laquelle je souscris, nous voyons bien que le déploiement de la Croix-Rouge française est différent sur tous les territoires. Est-ce lié à l'histoire de votre implantation sur ces territoires, à des constats que vous y avez opérés, aux moyens financiers dont vous disposez ? Est-ce lié à des choix politiques d'orientation de la Croix-Rouge ? Si vous parlez d'approche transversale, affichez-vous une volonté de la mettre en oeuvre sur l'ensemble des territoires, ou plaidez-vous pour une approche territorialisée ?

Mme Elsa Schalck, co-rapporteure. - À mon tour de vous remercier et de saluer votre action au quotidien et votre présence sur tous les territoires, ainsi que votre connaissance et votre expertise en la matière. Nous mesurons à quel point la Croix-Rouge française est un acteur majeur, de confiance, dont la mission se base non pas sur la parentalité, mais sur une prévention et une gestion des risques et des conflits. Vous vous investissez, nous le voyons au travers des différents dispositifs et outils présentés ce matin. Vous êtes présents et vous vous adaptez aux territoires.

Ainsi, comment mettez-vous en place les différents outils et dispositifs ? Sur certains territoires, vous installez une crèche. Sur d'autres, vous organisez des distributions de lait médicalisé. Les acteurs locaux vous sollicitent-ils en fonction de leurs besoins ? Est-ce les collectivités territoriales, les élus locaux, qui font appel à vous ? Comment l'expliquez-vous ? Mon collègue Stéphane Artano évoquait l'histoire, les moyens financiers. Une approche plus particulière entre-t-elle en jeu ?

Mme Victoire Jasmin, co-rapporteure. - Merci pour votre présence et pour l'exhaustivité des travaux que vous menez sur l'ensemble des territoires.

Le territoire manque de crèches. Nous avons constaté des carences à certains endroits, à l'occasion de nos déplacements. Quels sont les critères permettant de bénéficier de tarifs différenciés ? Dépendent-ils d'une éventuelle activité professionnelle des parents ?

Par ailleurs, vous avez évoqué la prévention en matière d'alimentation, par exemple. Adaptez-vous votre façon de l'appréhender à chaque territoire selon vos constats ?

Enfin, comment les relations avec les collectivités locales se traduisent-elles ? Vous sollicitent-elles, ou êtes-vous à l'origine de la démarche ? Qu'en est-il du choix des familles et de l'implication des autres acteurs, tels que la Caf, la PMI, les acteurs départementaux ? Comment travaillez-vous avec ces différents partenaires ?

M. Thani Mohamed Soilihi. - Je me joins aux louanges de mes collègues concernant l'action de la Croix-Rouge dans nos territoires. Elle fait preuve de beaucoup de pragmatisme et de professionnalisme. C'est une association moins militante que certaines, qui se contente de faire le travail pour lequel elle s'est engagée. Elle aide beaucoup ces territoires. Néanmoins, n'avez-vous pas l'impression que la non-application de l'Aide médicale d'État (AME) à Mayotte y limite encore davantage l'accès aux soins ? Tous les rapports la préconisent, pourtant on craint un appel d'air. Je dis souvent que celui-ci est derrière nous. Nous l'avons dépassé. Dans la pratique, qu'en pensez-vous ? Cette non-application grève les crédits de l'hôpital et des dispensaires, pourtant déjà minces, et freine encore plus l'accès aux soins.

Mme Marie-Laure Phinera-Horth. - En Guyane et à Mayotte, nous sommes confrontés au défi de l'immigration clandestine. Malheureusement, les femmes et les enfants subissent souvent les pires atrocités sur les routes migratoires. Ces enfants reçoivent un accompagnement, notamment lorsqu'ils sont en parcours de scolarisation, mais ce n'est pas suffisant. Cette situation contribue fortement à l'échec scolaire. La Croix-Rouge a-t-elle des préconisations à émettre afin d'aider ces parents étrangers ?

Par ailleurs, je constate, d'après votre exposé, que la Guyane n'est pas dotée de crèche Croix-Rouge, de Maison des familles ou de prévention des addictions. Ainsi, à quand un rééquilibrage de nos territoires ?

M. Marc Laménie. - Merci pour ce travail collectif que je partage avec mes collègues des deux délégations aujourd'hui réunies. Je ne me suis jamais rendu en territoire ultramarin. Je voyage grâce à mes collègues, qui connaissent bien le terrain. C'est important.

La Croix-Rouge française est une grande institution. Vous avez cité le nombre de bénévoles. Quel est-il dans les outre-mer, avec les salariés présents sur le terrain ?

Ensuite, si le volet humain prime, tout est financier. J'interviens ainsi sous ma casquette de membre de la commission des finances. L'État reste le premier partenaire financier des collectivités territoriales et des grandes associations et structures. Il y a la Mission outre-mer, et le volet Éducation nationale. Des actions sont mises en place. Vous avez évoqué les crèches et la petite enfance, ainsi que le partage de générations. Certains collègues ont mentionné le volet des collectivités territoriales. Quelle est leur action en outre-mer ? L'action de l'État y est-elle suffisante ? De quels moyens auriez-vous besoin pour améliorer les choses ? S'agissant des crèches et de la petite enfance, les caisses d'allocations familiales interviennent également. C'est un autre budget, relevant de la loi de financement de la Sécurité sociale. Que vous manque-t-il ? À coup sûr, vous travaillez avec d'autres associations, d'autres structures, d'autres partenaires institutionnels, des assistantes sociales... C'est une grande chaîne. Puisque nous sommes législateurs, nous nous intéressons ici au budget de l'État. Que faudrait-il faire, selon vous ?

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Je vous laisse vous organiser pour répondre à ces questions, nombreuses. Vous pouvez les regrouper pour faciliter votre intervention.

Mme Gaëlle Nerbard. - Je vais regrouper certaines réponses, certaines questions étant proches.

Moi aussi, j'ai une petite frustration. Je ne vous ai pas présenté l'ensemble de nos activités. J'ai rapidement cité nos interventions sur les territoires et nos champs d'intervention. Derrière ceux-ci, nos dispositifs sur les territoires ne se résument pas à ceux de l'aide à la parentalité. Je peux citer l'accompagnement des personnes âgées, les Samu sociaux en matière de lutte contre l'exclusion, les centres de santé en Guyane... Je n'ai pas pu tout vous présenter, mais je pourrai vous transmettre des éléments sur le sujet.

Monsieur le Président, vous me demandiez à quoi était due l'implantation dans les territoires. Je rappelle que la Croix-Rouge française ne fait pas de politique, bien que nous soyons un outil indispensable de politique sociale. Nous sommes un opérateur. Quel est notre mode de financement ? Sur tous les territoires, à l'exception du Pacifique Sud, nous répondons à des appels à projets portés par la Caf, les collectivités, l'État, l'ARS... Dans ce cadre, les dispositifs sont créés à cet instant. Nous avons ouvert des crèches à Saint-Martin ou en Nouvelle-Calédonie grâce à des opportunités qui restent corrélées à notre capacité de réponse à l'instant t.

Force est de constater que la clé du sujet est d'intervenir le plus tôt possible, dès l'enfance, dès la petite enfance. Les enfants ne sont pas seuls, ils sont entourés d'une famille. Nous pensons qu'il est prioritaire, pour la Croix-Rouge, de développer des dispositifs particuliers, reconnus, tels que les lieux de parentalité ressources, les maisons famille, la prévention spécialisée... Notre rôle d'opérateur essentiel reconnu est aussi d'alerter les pouvoirs publics, mais nous ne pouvons pas prendre l'initiative de créer in situ une crèche si elle ne vient pas des partenaires responsables institutionnels. Nous sommes là pour leur apporter une réponse. Nous souhaitons nous développer sur ces sujets, et en déployer davantage en Guyane, et pourquoi pas à Saint-Pierre-et-Miquelon. N'en doutez pas, Madame la Sénatrice. Nous pouvons solliciter les pouvoirs publics, mais pour ce faire, les financements sont indispensables. J'y reviendrai.

Les implantations sont liées à l'histoire et aux moyens humains. La Croix-Rouge en outre-mer, c'est 800 salariés et plus de 3 000 bénévoles. Je tiens à les saluer et à leur rendre hommage. Ils réalisent un travail formidable. Ils sont engagés. Notre force est d'être neutres. Nous ne regardons pas leur couleur, leur origine. Nous prenons en charge des hommes, des femmes, des enfants, vulnérables parce qu'en difficulté. Nous les accompagnons. Voilà pourquoi la Croix-Rouge existe. Sa force tient de notre universalité et de notre neutralité.

Comment mettre en place des outils ? Comment sommes-nous sollicités par les acteurs locaux ? Vous avez raison, les collectivités, les Caf ou l'État peuvent nous solliciter, connaissant notre expérience sur le sujet. À Saint-Martin, la PMI nous demande par exemple d'ouvrir d'autres crèches. Nous aussi, nous pouvons émettre des propositions. Je peux évoquer avec vous la nécessité, pour nous, d'accompagner les jeunes mères. On a parlé de familles monoparentales. Il s'agit surtout de jeunes femmes. Le service militaire adapté (SMA) a été interpellé par le fait que les volontaires accompagnées dans ce cadre abandonnent leur formation, parce que ces jeunes filles ont des enfants. C'est pourquoi des projets de crèches sont envisagés dans le cadre de la plupart des SMA. La Croix-Rouge va les accompagner, notamment en Martinique. J'ai souhaité soulever cet exemple car l'insertion professionnelle des femmes participe aussi au fait qu'elles pourront, demain, se concentrer sur l'éducation de leurs enfants.

S'agissant des crèches et des tarifs différenciés, le cas est particulier en Nouvelle-Calédonie, où la Prestation de service unique (PSU) n'existe pas. Nouméa compte quatre crèches associatives, dont deux sont gérées par la Croix-Rouge, et une par le Centre communal d'action sociale (CCAS) de Nouméa. Nous concernant, avec les partenaires qui nous financent, à savoir la Caisse de sécurité sociale de Nouvelle-Calédonie, l'État et le CCAS de Nouméa, nous pouvons proposer ces tarifs différenciés. La demande est grande. Nous aimerions faire plus, et mieux, mais nous ne disposons pas des financements idoines.

Sur le reste du territoire, les crèches sont financées par la Caf. Elles ont à acheter des produits, à financer du personnel. Les salaires sont plus importants, en raison notamment d'une prime en partie intégrée pour la Croix-Rouge. Ces coûts supplémentaires ne sont pas forcément intégrés dans la PSU. Monsieur le Sénateur, vous me demandiez comment vous pouviez agir. Vous, parlementaires, pourriez questionner cette question de la PSU dans les outre-mer, et prendre en compte ses spécificités. Les opérateurs comme nous voyons bien à quel point la situation peut être difficile, au regard du coût de fonctionnement d'une crèche et des produits que nous devons acquérir.

Madame la sénatrice Marie-Laure Phinéra-Horth, vous m'interrogiez sur l'accompagnement des parents étrangers en Guyane. Je n'ai pas présenté nos dispositifs d'accompagnement des demandeurs d'asile sur ce territoire, ni en Guadeloupe et en Martinique. À Mayotte, nous ne sommes pas agréés pour accompagner les demandeurs d'asile. Nous ne sommes pas agréés mais nous accueillons toutes les personnes vulnérables, sans prendre en considération leur statut.

Nous proposons des dispositifs de lutte contre l'illettrisme. La force de la Croix-Rouge réside aussi dans ses bénévoles qui assurent un accompagnement scolaire, luttent contre l'illettrisme, dispensent des formations en langue étrangère... Ce travail est fait au sein de dispositifs. Les bénévoles vont organiser des temps d'échange avec les personnes en situation irrégulière. Dans les Vestiboutiques, portées par des bénévoles, nous proposons de la seconde main, mais aussi des dons de boutiques à des tarifs très accessibles. Ils sont implantés sur la majorité des territoires. L'accompagnement est également opéré au travers de centres de santé, sans différenciation de public.

En Guyane, nous avons la charge de la seule plateforme d'aide alimentaire du territoire, qui ne dispose pas de banque alimentaire, comme à Mayotte. La Croix-Rouge joue ce rôle. Cette porte d'entrée est très importante pour travailler avec les familles.

Ensuite, vous avez raison, l'Aide médicale d'État n'est pas appliquée à Mayotte. La Croix-Rouge française est neutre. C'est un sujet politique. Nous identifions un sujet de convergence des droits en général à Mayotte. Il doit être traité. Pour autant, la Croix-Rouge, dans ce qu'elle apporte, est financée pour tous les types de publics. Nous n'opérons pas de différenciation, mais je comprends l'importance de ce sujet.

Monsieur le sénateur Marc Laménie, vous m'interrogez sur les moyens financiers nécessaires pour améliorer la situation. J'ai parlé de la PSU outre-mer. Le travail que vous réalisez est très important pour souligner l'importance d'engager un chantier sur la parentalité en outre-mer. Il est essentiel de cartographier les besoins. Nous sommes présents sur tous les territoires mais le sujet n'est pas le même en Nouvelle-Calédonie, en Guyane ou en Martinique. La place du père et la question de la cohabitation conjugale - très prégnantes aux Antilles, et notamment en Martinique - doivent être prises en compte.

En tant qu'opérateur de terrain, nous constatons que nous avons une multitude de partenaires, mais aussi de financeurs. Vous avez évoqué la Caf, l'État, les collectivités, les CCAS, la CGSS... Qui est chef de file de l'aide à la parentalité dans les territoires ? Il faudrait peut-être repérer, sur le territoire, les chefs de file qui permettraient de rassembler les différents financements. Nous, opérateur, répondons à un acteur qui lance un projet, puis à un autre acteur... La Croix-Rouge est une association très généraliste. Nous souhaitons financer des postes. Je vous invite, lorsque vous êtes de passage dans nos territoires, à rendre visite à nos équipes pour voir à quel point elles réalisent un travail transversal. La porte d'entrée n'est pas nécessairement la parentalité, mais plutôt le besoin de s'habiller, de manger, d'ouvrir des droits à la Sécurité sociale, de trouver un emploi. Si nous ne résolvons pas ces problèmes, nous ne pouvons pas travailler. Les parents ne sont alors ni disposés à en parler, ni disponibles pour le faire.

Les associations comme la nôtre demandent chaque année des financements pour les différents dispositifs. Imaginez la situation d'instabilité juridique et financière dans laquelle nous nous trouvons. Les dispositifs sont là et ne vont pas disparaître, mais la demande de subvention doit être réitérée chaque année. C'est un temps qui ne peut pas être passé sur le terrain par les équipes.

Nous proposons des contrats pluriannuels d'objectif et de moyens (COM) pour les opérateurs comme les nôtres. C'est le cas sur certains territoires, mais pas partout. Par ailleurs, nous préconisons la création d'un guichet unique. Il faut rendre visible l'accompagnement des familles. En introduction, je parlais de tabous, de stigmatisation. La question doit être accompagnée par des messages au plus près, au plus tôt. Nous sommes favorables à un traitement des stéréotypes de genre ou de l'égalité dès le collège, par exemple. Cette question doit être traitée dans les établissements scolaires. Nous le faisons.

Permettez-moi ainsi de résumer nos recommandations : cartographier les besoins en matière de dispositifs ; définir un chef de file en matière d'aide à la parentalité ; déployer un plan spécifique d'aide à la parentalité avec des moyens dédiés et par territoire. S'agissant de la stratégie pour voter le précédent outil plan sur le territoire, nous avons pu constater des avantages. Des dispositifs ont été financés sur certains territoires grâce au plan pauvreté. Ce type d'outil devrait éventuellement être envisagé. La notion de parentalité doit entrer au collège. Les moyens financiers doivent être renforcés, notamment pour nous permettre d'avoir des ETP. Ce n'est pas simple. Parfois, l'État finance, mais pas la Caf. Il nous revient d'aller chercher et de proposer des dispositifs. Nous avons besoin de co-construction, avec des partenaires comme les nôtres. Il est également nécessaire d'améliorer l'accès au soutien psychologique pour les parents. On ne peut pas travailler à leurs côtés s'ils rencontrent des difficultés. Les rendez-vous en centres médico-psychologiques (CMP) demandent six à neuf mois d'attente sur certains territoires. Comment se concentrer sur l'aide à la parentalité si la personne n'est pas accompagnée ? Nous recommandons également un renforcement des structures d'accompagnement et d'accès au droit, et une poursuite de l'effort en matière d'agrandissement du parc immobilier social en construisant des ensembles à taille humaine et en favorisant la mixité sociale. Nous savons le faire. Nous disposons de tiers lieux. Nous souhaitons également travailler davantage sur l'attractivité des services pour les personnes éloignées de l'emploi, dans une démarche active d'insertion, pour permettre aux femmes d'accéder à l'emploi. Enfin, nous proposons un travail sur l'octroi de mer. En effet, les dons et produits de première nécessité pour les enfants en bas âge y sont soumis.

Pour nous, l'aide à la parentalité est un sujet, mais il est primordial de travailler sur l'ensemble des vulnérabilités avant de poser la question de l'éducation. Je vous invite à visiter nos territoires et les dispositifs portés par nos salariés et bénévoles, dont je salue le travail formidable.

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Merci pour toutes les réponses apportées aujourd'hui. N'hésitez pas à nous envoyer des compléments qui alimenteront notre réflexion. Merci de votre disponibilité.