Mardi 9 mai 2023

- Présidence de Mme Maryse Carrère, présidente -

La réunion est ouverte à 14 h 30.

Audition de MM. Laurent Dejoie, vice-président du conseil régional des Pays de la Loire, représentant Régions de France, et Claude Riboulet, président du département de l'Allier, représentant l'Assemblée des départements de France

Mme Maryse Carrère, présidente. -- Nous avons souhaité entendre le point de vue des départements et des régions sur l'avenir des communes et des maires, par la voix de M. Claude Riboulet, président du conseil départemental de l'Allier, qui intervient pour l'Assemblée des départements de France (ADF), et, par visioconférence, de M. Laurent Dejoie, vice-président du conseil régional des pays de la Loire, qui interviendra pour Régions de France.

Vos associations représentent les deux autres niveaux de collectivités territoriales. Votre analyse et vos réactions sur le sujet qui nous occupe nous intéressent à plusieurs titres : comme acteurs et observateurs de la vie locale, et comme partenaires des communes.

Quel regard portez-vous sur la situation actuelle des communes, sur leur place dans l'organisation territoriale et sur leur avenir ? Qu'en est-il des collaborations entre vos collectivités et les communes ? Quelles politiques mettent-elles en oeuvre à destination de ces dernières ? Avez-vous connaissance de bonnes pratiques ou de dispositifs d'aide aux communes leur permettant de faire face aux difficultés et aux défis qu'elles rencontrent ?

M. Mathieu Darnaud, rapporteur. -- Nous observons, dans le cadre de notre mission, que le département a un lien historique avec les communes et que les régions jouent à leur égard un rôle majeur d'accompagnement, notamment en termes d'ingénierie et de prise en compte des particularismes territoriaux, alors même qu'il est de plus en plus question de différenciation -- nous l'avons vu lors de nos déplacements dans la Somme, les Vosges, en Haute-Garonne ou en Ille-et-Vilaine --, au travers de politiques contractuelles. Quelle est, selon vous, la nature du lien qu'il convient de renforcer entre ces deux échelons et les communes ? Quels sujets relèvent, d'une part, des départements et des régions, et, d'autre part, du champ législatif ? Quelles sont vos attentes ? Nous évoquions ainsi la semaine dernière, avec le président François Sauvadet, l'épineux sujet de l'eau qui nécessite à la fois une agilité très forte et la capacité de répondre aux problématiques territoriales et locales, alors que l'on attend cet été un niveau de sécheresse record.

M. Claude Riboulet, président du conseil départemental de l'Allier, représentant l'Assemblée des départements de France. -- Tout d'abord, une remarque sémantique sur l'intitulé de la mission d'information : « Avenir de la commune et du maire en France ». J'observe que vous distinguez la commune et le maire ? Cela n'exprime-t-il pas la préoccupation que l'un disparaisse avant l'autre ? La démission d'un certain nombre de maires en exercice depuis la mandature 2020 pourrait nourrir cette crainte quant à l'avenir de l'institution « commune »...

Il faut replacer la question de l'organisation et de la place de la commune par rapport aux autres collectivités dans le contexte qui existe depuis la loi du 12 juillet 1999 relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale, dite « Chevènement », un quart de siècle qui constitue selon moi une période de « tectonique des plaques » : les plaques de l'organisation territoriale de la République décentralisée se sont entrechoquées, parfois brutalement, entraînant des ondes de choc, des séismes, voire des répliques, la commune ayant été l'une des institutions les plus chahutées.

Pendant des décennies, et même depuis la Révolution française, l'articulation entre communes et département était simple : la commune était l'échelon de proximité ; la préfecture était généralement située à une demi-journée de cheval ; le chef-lieu de canton était l'échelon intermédiaire. J'observe que l'échelon de proximité est toujours le plus adéquat pour porter une politique publique, l'échelon supérieur respectant l'autonomie de l'échelon inférieur : c'est le principe de subsidiarité. En revanche, lorsque l'échelon supérieur, en l'occurrence le département, est sollicité, le principe de suppléance s'applique pour accompagner et aider la commune. Ce dispositif a été bousculé par la création des intercommunalités.

On a pensé un temps que l'établissement public de coopération intercommunale (EPCI) serait le partenaire le plus logique de la commune, en lieu et place du département.

Certains EPCI ont eu une évolution intégratrice, vidant les communes d'une partie de leur substance et de leur capacité d'action, avec une compétence transférée à l'échelle intercommunale. J'observe à cet égard une anomalie : l'intercommunalité, qui n'est pas une collectivité territoriale au sens constitutionnel, est la dernière strate à bénéficier d'un double pouvoir de fiscalité directe locale, avec la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) et la cotisation foncière des entreprises (CFE).

Dans d'autres cas, des intercommunalités de projets ont émergé, l'objectif étant de faire à plusieurs ce qu'une commune ne pouvait faire seule, dans l'intérêt d'un bassin de vie et d'un territoire : dans ces conditions, les communes ne sont pas accompagnées, mais une autre entité fait « à leur place ».

Le grand tournant a eu lieu de 2015 à 2017, à l'occasion des grandes politiques de réorganisation territoriale et de la mode du « XXL » : l'apparition de très grandes régions et de très grandes intercommunalités. Celle-ci a consolidé le rôle et la place des départements, échelon d'articulation à vocation stratégique entre les très grandes régions et le bloc communes-intercommunalité. Or le périmètre n'étant plus celui des bassins de vie, les communes ont pu avoir le sentiment d'un déclassement.

En 2019, lors du mouvement des gilets jaunes, l'utilité de l'ultraproximité du maire est clairement apparue. Si le département est, selon le président Sauvadet, la collectivité « du dernier kilomètre », la commune est celle « du dernier mètre ». Comme le dit le président du Sénat, les maires et les conseillers municipaux sont les élus à portée d'engueulade. Par ailleurs, la crise sanitaire de 2020, du premier confinement jusqu'aux premières campagnes de vaccination, a aussi montré la pertinence des communes.

La commune a donc été ballottée entre l'ancien pacte passé avec le département et son nouveau statut. Quoi qu'il en soit, c'est toujours vers elle que l'on se tourne, ce qui pose la question de l'articulation des politiques publiques davantage en termes de périmètre de bassin de vie et de subsidiarité qu'en termes de périmètre administratif. Je prendrai l'exemple de l'eau : si l'eau relevait d'un quelconque périmètre administratif, on le saurait ! La seule réalité qui vaille est le bassin versant.

Je défends donc la commune comme étant un échelon incontournable de premier niveau, mais je considère aussi que le département est un point d'ancrage auquel elle peut rester arrimée sans risque d'être lâchée en rase campagne.

M. Laurent Dejoie, vice-président du conseil régional des Pays de la Loire, représentant Régions de France. -- De mon point de vue -- je fus maire de 1995 à 2014 d'une commune de 25 000 habitants de l'agglomération nantaise, Vertou, et vice-président non exécutif de Nantes Métropole --, l'intitulé de votre commission est un message d'optimisme pour l'avenir de la commune.

Dans les années 2000, il y eut une tentative de ringardisation de la commune. D'aucuns disaient qu'il fallait substituer au triptyque « communes-départements-État » celui d'« intercommunalités-régions-Europe ». Ce mouvement a duré jusqu'à la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite NOTRe ; comme à chaque fois que des excès se produisent, le rééquilibrage est intervenu. Le constat que la commune était un échelon indispensable a été largement accru par l'effet de la crise sanitaire, qui a montré l'importance de la commune en tant que premier échelon de la démocratie et du maire, première personne au contact de nos concitoyens.

Cette mission d'information est bienvenue parce qu'il reste beaucoup à faire. Si les atteintes au rôle des communes se font aujourd'hui plus discrètes, elles sont parfois plus efficaces. J'en veux pour preuves la disparition de la taxe d'habitation, la stabilité des recettes, lesquelles sont très encadrées, et l'augmentation des dépenses : la situation financière des communes ne s'améliore pas.

Pour ce qui concerne les compétences, les plus stratégiques sont orientées vers l'intercommunalité ou vers d'autres collectivités ; quant à celles d'hyperproximité, qui sont souvent les plus coûteuses, les plus difficiles à mettre en oeuvre et les plus « risquées », elles relèvent de la commune. Il arrive ainsi que des compétences aussi importantes que l'urbanisme et le logement lui échappent totalement -- les plans locaux d'urbanisme intercommunaux (PLUi) sont de plus en plus fréquents -, tandis que les contraintes se multiplient, à l'instar du « zéro artificialisation nette » (ZAN). Le maire a de moins en moins d'influence pour l'attribution des logements sociaux.

Une menace pèse sur la commune et le maire : la judiciarisation de la vie publique, au travers des recours administratifs, notamment en matière d'urbanisme, et des attaques contre les élus, qui deviennent des cibles dans tous les domaines.

L'inflation normative est toujours aussi prégnante. On pouvait lire, déjà, dans un rapport du Conseil d'État de 1991 : « Quand le droit bavarde, le citoyen ne lui prête plus qu'une oreille distraite. » La situation ne s'est pas beaucoup améliorée.

Il convient de clarifier l'articulation entre la commune et l'intercommunalité, et les pouvoirs que peut conserver le maire au sein de celle-ci, avec des différences de traitement selon la taille : lorsque le nombre de communes regroupées dans une intercommunalité est faible, le poids de la ville-centre est très important à tous points de vue ; lorsqu'il est élevé, il se produit une dilution du pouvoir qui redonne des pouvoirs aux communes, même les plus petites.

Du point de vue des régions, l'articulation avec les communes se passe bien. Pour certaines compétences, elles ont directement affaire à l'intercommunalité, notamment en matière économique. Parfois, du fait des fonds structurels et d'investissement européens (FSIE) que les régions ont la responsabilité de distribuer, des liens directs peuvent être rétablis avec les communes.

Dernier péril : il se peut que l'on ne trouve plus de volontaires pour exercer les fonctions de maire ou d'élu municipal. Dans ma région, par exemple, les démissions sont de plus en plus nombreuses. Il y a en effet eu un décalage entre les attentes des élus et la réalité des missions qu'ils ont à accomplir, du fait de la limitation de leurs compétences. Par ailleurs, certaines catégories socioprofessionnelles - monde de l'entreprise, professions libérales - ne sont plus représentées parmi les mandats municipaux en raison d'un excès de contraintes, notamment en termes de transparence, et de judiciarisation. Enfin, le non-cumul des mandats a eu un effet désastreux à cet égard, car il induisait une perte de pouvoirs.

M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - Certains ont en effet eu la tentation d'installer un « couple à trois » entre l'intercommunalité, la région et l'Europe. Avec le retour de la notion de proximité, aujourd'hui revendiquée, il s'agit de rendre service à nos concitoyens.

L'intercommunalité est une strate utile en ce qu'elle permet de faire naître et de mutualiser des projets qui ne pourraient être portés par les seules communes. Or certaines intercommunalités créent de la complexité. Dans la Somme, par exemple, une forme de recentralisation a été opérée. Comment réinstaller, au niveau régional ou départemental, une proximité, un accompagnement utile et pragmatique de la commune, notamment en matière d'ingénierie, compte tenu de la complexité de la politique d'appels à projets de l'État que subissent les maires ?

Le lien entre les collectivités et l'État, et donc entre la commune et l'État - au niveau des directions régionales -, est compliqué, ce qui explique le découragement de certains élus qui ont l'impression que l'avenir s'écrit sans eux. La fronde grandit : les maires, qui ont besoin d'un État accompagnateur et non d'un État censeur, expriment leur ras-le-bol.

M. Claude Riboulet. - Dans les grandes villes, avec les maires d'arrondissement, et dans les communes nouvelles, il y a des maires délégués. Y aura-t-il, demain, une uniformité de la fonction de maire, ou bien des responsabilités différenciées ? Je rappelle à cet égard que les communes nouvelles étaient un contre-feu allumé par l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF) pour éviter une disparition massive et brutale des communes.

Quelle vision avons-nous de la France de 2030 ? Une start-up nation ? Un pays fondé sur le modèle britannique avec quelques centaines de communes, ou bien sur celui des communes nouvelles ? La réponse qui sera donnée à cette question doit s'inscrire dans une continuité de temps. Le système ne peut pas changer tous les quatre ou cinq ans. Ce que les lois de réforme territoriale n'ont pas réussi à faire, les lois de finances successives l'ont accompli insidieusement, en malmenant l'organisation territoriale.

Les intercommunalités sont chronophages pour les élus, qui passent leur temps dans des réunions où il est difficile de faire entendre sa voix. Dans ce cadre, les départements ont un rôle à jouer pour l'ingénierie territoriale. Voilà moins de dix ans, l'État se retirait de l'ingénierie, passant le relais aux intercommunalités. Je plains les sous-préfets, dont j'ai toujours défendu le travail, tant l'administration territorialisée de l'État est réduite. Auparavant, les sous-préfectures étaient le premier guichet de soutien et d'appui du maire. Aujourd'hui, elles sont dévitalisées. Les départements ont donc pris la main sur l'ingénierie : 80 % des départements ont des agences techniques, des pôles d'ingénierie, des syndicats mixtes, etc.

L'actuel Président de la République nous a annoncé lors de son premier mandat le grand retour de l'ingénierie de l'État, au travers de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), et ce à l'échelle régionale, comme si la région était le périmètre des services déconcentrés de l'État le plus accessible aux territoires... Il faut donc clarifier la situation pour savoir qui s'occupe de l'ingénierie, d'autant que les besoins des maires en la matière n'ont jamais été aussi importants.

Par ailleurs, les départements appliquent souvent le principe de suppléance dans le domaine sanitaire - aide à l'installation de médecins, voire de vétérinaires, en zones rurales. Heureusement, la loi NOTRe, qui a supprimé la clause générale de compétence des départements et des régions, est appliquée de façon souple dans les territoires.

Les départements subventionnent et contractualisent avec les territoires. Sans les subventions d'aide à l'investissement qu'ils accordent, les communes auraient du mal à s'en sortir. Ces financements bénéficient parfois aussi aux intercommunalités, notamment dans le domaine de l'immobilier d'entreprise ; c'est le cas dans mon département. Pour résumer, ingénierie, soutien financier et contractualisation, suppléance parfois : il n'y a rien de neuf par rapport à la subsidiarité.

M. Laurent Dejoie. - Il faut faire respirer la relation de la commune avec son environnement, en intégrant dans la loi des dispositifs permettant d'aérer les transferts de compétences. Par exemple, dans une agglomération, la voirie serait gérée par l'intercommunalité mais pas d'autres domaines. Il s'agirait de diviser la compétence, conventionnellement, entre la commune et l'intercommunalité, afin de réattribuer à la commune un certain nombre de pouvoirs, par exemple la collecte des déchets.

Il conviendrait aussi de relancer l'aspect contractuel des relations entre communes, intercommunalités, départements ou régions. Il faudrait davantage de contrats, négociés puis exécutés, entre personnes publiques car la loi, omniprésente, pose un certain nombre de difficultés. Mais cette « aération » doit être proposée par le législateur et le Gouvernement.

M. Claude Riboulet. - Je partage pleinement cette idée d'un renforcement du contrat. Les collectivités savent contractualiser entre elles, sur plusieurs années, ce que l'État ne sait pas faire. Je prendrai un exemple : le département de l'Allier a créé, bien avant le programme Petites Villes de demain, un dispositif de reconquête des centres villes-centres bourgs, qui s'adresse à toutes les communes et dont les trois piliers non négociables sont l'habitat, la vitalité et le cadre de vie. Ce dispositif permet d'accorder jusqu'à 3 millions d'euros de subventions du département. Son objectif est de donner le temps aux communes de mûrir leurs projets et de permettre une contractualisation et un appui financier pluriannuel du département pour les mettre en oeuvre.

Quelle commune peut s'engager dans un programme Petites villes de demain sans avoir une visibilité au moins à trois ans des moyens budgétaires qu'elle pourra mobiliser ? Je défends, pour ma part, une territorialisation des politiques publiques. On a besoin de services déconcentrés de l'État efficaces, puissants et libres, et de collectivités également libres et puissantes. Laissons les préfets, sous-préfets, présidents de département et présidents d'intercommunalités territorialiser les politiques publiques ! Permettons aux préfets d'utiliser la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) et la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL), de les rendre fongibles si des projets le justifient, et de contractualiser avec les territoires ! Il suffit que l'État décentralisé et territorialisé le prévoie au travers des lois de programmation. Cette logique de contractualisation doit porter sur des ambitions partagées, dans une certaine durée, ce qui est tout à fait faisable.

Pour ce qui concerne la différenciation des politiques publiques à l'échelle des territoires, prévue par la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et la simplification, dite loi 3DS, je ne sais pas qui en France a réussi à la faire. Prenons l'exemple des intercommunalités et de la gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (Gemapi) : si la moitié de la population d'un département souhaitait que celui-ci assume cette compétence, un accord local devrait être possible pour que tel soit le cas, dans une logique de libre administration des collectivités entre elles. Il faut donner de la souplesse.

Pour ma part, je regrette le conseiller territorial car, pour la première fois, un même élu, légitimement désigné par l'électeur, ayant une double casquette, pouvait décider quelles politiques allaient mener le département et la région, sans que l'État central impose sa loi à chacun. Il avait les pieds sur terre - les décisions opérationnelles - au sein du département, et la tête dans les étoiles - les grands schémas stratégiques - au sein de la région. Ce système était plus fluide.

Mme Cécile Cukierman. - Je vous remercie pour vos interventions respectives. L'instauration du conseiller territorial répondait à une logique de renforcement de l'échelle intercommunale, régionale et européenne, et je ne suis pas certaine que l'échelon de proximité qu'est le département en serait sorti renforcé.

Aujourd'hui, les régions comme les départements ont des compétences qui concernent directement les communes : les premières, l'aménagement du territoire ; les seconds, la solidarité, qui n'est pas que sociale, mais également territoriale. Comment pouvons-nous repenser collectivement les rapports entre collectivités ? La commune, le département, la région ne sont pas des poupées gigognes ; elles forment plutôt un triangle : les trois collectivités sont liées, et le maire devrait pouvoir s'adresser au département ou à la région de façon plus fluide qu'aujourd'hui. Actuellement, pour les questions assez simples, le maire interpelle le conseiller départemental, qu'il connaît et qui est disponible ; pour les sujets plus complexes, il se tourne vers la région, dans une démarche qui revêt un caractère plus solennel, comme s'il s'adressait à un échelon supérieur, alors même que, selon les projets, le financement le plus important peut être celui de la région, mais aussi celui du département.

M. Jean-François Rapin. - J'évoquerai la relation entre départements et régions, sans aborder la question du conseiller territorial, qui résoudrait aujourd'hui de nombreux problèmes. On constate que la région, le département et l'État sont tous les trois parties prenantes de presque tous les projets, malgré les lois de décentralisation qui auraient dû renforcer la vision en silos. Tant mieux pour les communes !

Lorsqu'une commune veut mettre en oeuvre un projet, elle a trois interlocuteurs : la région, le département et l'État. La mutualisation de la DETR, de la DSIL et du fonds vert est donc une excellente idée ! Pour faciliter la vie des maires, il faudrait mettre en place un dossier unique car les communes souffrent d'un manque d'ingénierie, et ce dans un contexte de raréfaction des fonds publics. Dans l'arrondissement de Montreuil-sur-Mer, dans le Pas-de-Calais, les demandes de DETR représentaient 6 millions d'euros, pour seulement 2 millions à servir : le sous-préfet a renvoyé les communes vers la région et le département. La question des fonds reste donc prégnante. J'y insiste, les départements et les régions peuvent-ils faciliter la vie des maires ?

Nous avons tout de même fait des erreurs stratégiques majeures : je pense à la suppression de la Délégation interministérielle à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale (Datar). Dans ma région, Xavier Bertrand est en train de recréer une Datar régionale, sous la forme d'une agence de prospective, afin de réfléchir à l'avenir du territoire.

Enfin, j'évoquerai la distribution des fonds par les départements et les régions. Dans ma région des Hauts-de-France, certains dispositifs étaient centrés sur les intercommunalités, auxquelles il revenait de choisir les projets dans les communes. Les présidents d'intercommunalités tiraient tout à eux, ce qui a posé problème.

M. Laurent Dejoie. - Sur le partage des compétences, Mme Cukierman évoquait le social, un domaine dans lequel la région est extrêmement peu présente. Dans le cadre du conseil économique, social et environnemental régional (Ceser), les représentants des associations de la solidarité nous demandent d'intervenir dans ce domaine, qui n'est pas vraiment le nôtre. Faut-il rétablir des clauses de compétence générale ? Je ne le crois pas : il n'est pas mauvais de déterminer des compétences par niveau de collectivités, même s'il faut « aérer » le tout.

Sur l'ingénierie, je partage les préoccupations qui ont été évoquées. En matière de fonds européens, nous avons l'obligation de dédier une partie de l'enveloppe à l'ingénierie du projet, y compris dans la commune ou l'intercommunalité destinataire des fonds. Il faudrait peut-être prévoir que les communes puissent bénéficier d'un service d'ingénierie qui leur serait totalement dédié.

M. Claude Riboulet. - La loi NOTRe et la suppression des clauses générales de compétence étaient censées faire voler en éclats le millefeuille territorial, et notamment les financements croisés. Or on constate aujourd'hui, que l'on soit demandeur ou contributeur, que nous sommes revenus à la situation antérieure.

Mme Cécile Cukierman. - La loi de finances nous a encouragés à faire comme avant !

M. Claude Riboulet. - Sans évoquer un rétablissement stricto sensu de la clause générale de compétence, il aura fallu moins de huit ans pour se rendre compte que mettre fin aux financements croisés n'avait aucun sens - d'autant qu'ils n'avaient pas cessé.

Personnellement, je n'aime pas la notion de chef de filat, un pur produit de la loi NOTRe destiné à faire passer la pilule de la suppression de la clause générale de compétence. Je préfère parler soit d'« autorité organisatrice », comme pour les transports, soit de pilote. L'idée de faire contractualiser davantage les territoires et l'État entre eux est très intéressante : la question de savoir qui est le chef de file, l'ensemblier ou le pilote ne sera plus importante car c'est l'intelligence qui primera.

Madame Cukierman, je suis d'accord avec l'image du triangle. On doit se demander qui est le plus à même d'accompagner un projet, ce qui dépend de la taille de celui-ci. Pour financer 300 mètres de voirie communale, la participation du département suffit ; en revanche, pour un centre aqualudique ou une piscine, la région doit intervenir.

Rappelons-nous de la situation confuse qui avait suivi la séquence électorale de 2014-2015. En mars 2014, les élections municipales ; en mars 2015, les élections départementales et en décembre, les élections régionales. Il a fallu attendre la fin du premier semestre 2016 pour connaître les axes prioritaires des régions et des départements et pouvoir vraiment agir... Cette séquence m'a laissé un très mauvais souvenir. En 2020-2021, nous avons moins perdu de temps.

Mme Cécile Cukierman. - Il y a eu moins de changements de majorités.

M. Claude Riboulet. - Je n'irai pas jusqu'à dire qu'il faut aller vers une logique de midterms, comme aux États-Unis, et prévoir un regroupement avec un bloc d'élections locales, mais il faut éviter les distorsions de temps entre la séquence municipale et les séquences départementales et régionales.

Je ferai un plaidoyer pro domo : l'ADF estime que les départements pourraient être la collectivité des réseaux et des infrastructures - routes, haut débit, et pourquoi pas les ordures ? - en raison de la complexité, du coût et de la technicité de ceux-ci. La commune doit rester le lieu du serviciel, avec les services aux familles et aux personnes en situation de fragilité, le département continuant à assurer pleinement son rôle de financeur des allocations individuelles de solidarité (AIS).

La seule strate qui a gardé la clause générale de compétence est celle qui peut parfois être la plus fragile d'un point de vue budgétaire - je pense aux communes rurales. Pour ma part, je pense qu'il faut revitaliser les chefs-lieux. La carte de 2015 nous a privés d'un maillage territorial, celui des chefs-lieux de canton, pour l'accès en moins de vingt minutes aux services minimums. Il s'agit d'un enjeu majeur, singulièrement dans les territoires ruraux. Il ne faut pas s'étonner que les votes deviennent extrémistes dans les campagnes : ce sont non pas des fachos, mais des fâchés - des oubliés, des abandonnés. Le seul rempart à ce sentiment d'abandon, de relégation ou de désertion, c'est de redonner du poids au chef-lieu.

L'intercommunalité ne remplacera jamais le rôle particulier du chef-lieu en termes de proximité. Certaines communes ne pourront jamais être « multiservices » : santé, commerces administrations, etc. S'il faut imaginer un type particulier de commune à horizon 2030, ce serait celui d'une commune qui assure davantage de centralité : présence d'un collège ou d'un lycée, piscine, infrastructures sportives de qualité, pôle multimédia, maison pluridisciplinaire de santé, marché... Dans mon département, j'ai contractualisé avec les chefs-lieux. Le schéma départemental d'accessibilité des services au public prévoit un accès en vingt minutes ; il faut parvenir au quart d'heure. La commune de 150 habitants n'aura pas tous ces services, mais l'accès à un minimum de serviciel doit être possible en moins de quinze minutes. Nous aurons ainsi apporté une réponse au mouvement des gilets jaunes et à ceux que j'appelle les fâchés.

M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - Un mot en réaction aux propos que vous avez tenus sur la territorialisation de l'action publique. C'est la philosophie que nous avons tenté de porter sur un texte qui est, selon nous, largement inabouti : la loi 3DS. Le Sénat avait notamment défendu la gestion différenciée des compétences au sein de l'intercommunalité, pour davantage d'agilité, car nous sommes convaincus que les élus savent ce qui est bon pour leur territoire.

Idem sur la question des enveloppes de l'État. J'irai même plus loin : il ne faut pas que le préfet aille piocher dans les dispositifs, mais qu'il opère une fongibilité. Il faut faire, à l'échelon des départements, des pactes avec l'État, comme cela a été fait dans les Ardennes. Pour la loi 3DS, il a fallu se battre pour qu'après moult négociations, nous parvenions à faire notifier la DSIL par le préfet de département - mais cela reste une faculté soumise à l'autorisation du préfet de région. C'est exactement comme pour les financements croisés, que l'État appelle aujourd'hui de ses voeux ! Tout cela est une vaste hypocrisie. La variable d'ajustement, c'est toujours le maire.

M. Claude Riboulet. - Et un peu le département !

M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - Les agences de l'eau ont décidé de ne plus aider les communes isolées, alors les départements prennent parfois la relève - c'est le cas dans mon département de l'Ardèche, via la DETR. Rien ne se fera demain sans l'accompagnement par les départements et par les régions de la strate communale, voire intercommunale.

Si les droits de mutation à titre onéreux (DMTO) chutent, les ressources des départements, et par conséquent l'investissement, se verraient particulièrement affectés. La véritable différence entre, d'un côté, l'ingénierie de la région et du département et, de l'autre, celle de l'État, c'est qu'il n'y a plus de financement derrière la seconde, si ce n'est épisodiquement un peu de DETR. Rien ne se fait sans les collectivités ! Mais entre quinze et vingt départements sont aujourd'hui dans des situations financières qui les empêchent d'assurer cet accompagnement. Il pourrait en aller de même demain pour les régions si l'on ne réfléchit pas à la péréquation.

Vous avez fait référence au discours du Président de la République ; pour ma part, je me souviens du lancement ici même au Sénat en juillet 2017 de la Conférence nationale des territoires, qui devait se pencher sur cette question. Alors quelle péréquation pour demain ? Pour moi, la déconcentration a un sens profond : or elle n'est souvent pas assez aboutie. Vous avez, à juste titre, rappelé le rôle essentiel des sous-préfectures. Si l'on rouvre des sous-préfectures sans moyens humains, elles sont obligées d'en référer aux directions régionales de l'État, ce qui est une source d'inertie face au besoin d'agilité des collectivités. La crise sanitaire et le covid ont montré le besoin de réactivité, laquelle existe du côté des collectivités, mais pas assez du côté de l'État, dès lors que les décisions échappent aux préfets de département ou aux sous-préfets.

Pour avoir une véritable action déconcentrée ou territorialisée, il faut une nouvelle étape dans la déconcentration accompagnée d'un réarmement de l'État territorial, singulièrement dans les sous-préfectures.

M. Laurent Dejoie. - Je ne suis pas du tout opposé à l'idée de péréquation. Mais je voudrais aller plus loin parce que nous sommes confrontés - c'est peut-être une particularité dans l'ouest de la France - à des dotations calculées sur des bases faibles. Il faudrait davantage de transparence sur ces calculs.

Le problème est de trouver le bon périmètre. J'ai le souvenir que toutes les régions s'étaient mises d'accord sur un système de péréquation, que le ministère des finances n'a malheureusement jamais accepté. Le dispositif reste toujours soumis à l'autorité de l'État.

M. Claude Riboulet. - Je suis d'accord avec vous, monsieur le sénateur Rapin, sur la structuration des services déconcentrés de l'État. Une préfète de l'Allier m'a dit, en évoquant les pouvoirs des directions régionales, qu'elle avait « l'arme atomique », c'est-à-dire la délégation de signature - les directions régionales n'ayant de pouvoir que par délégation de signature du préfet de département. Il faudrait déjà commencer par le rappeler à chaque préfet de département aujourd'hui !

Sur la péréquation, que nous reste-t-il ? Les départements ont fait le travail entre eux, avec le fonds de 1,6 milliard d'euros des DMTO, ce qui n'est pas rien !

Les départements n'ont plus aucun pouvoir en matière de recettes : ils sont tributaires à 100 % des dotations de l'État, qui nous donne une estimation en mars-avril, laquelle sera confirmée en octobre et éventuellement rectifiée en janvier de l'année suivante... Alors même qu'en cas de contrôle, la chambre régionale des comptes commence par demander le plan pluriannuel d'investissement (PPI) et la programmation pluriannuelle de fonctionnement (PPF)... Avant de parler de péréquation, il faut évoquer l'importance d'assurer une stabilité des ressources.

Les régions ont beaucoup plus de souplesse budgétaire que les départements, car lorsque nous avons financé les solidarités humaines, personnel compris, nous en sommes presque à 60 % de taux de rigidité. Le budget des puissants départements ou métropoles sont comparables à celui des régions.

Sur la fiscalité, je vais battre ma coulpe : il est vrai que, lorsque les départements avaient une autonomie fiscale, nous n'avons jamais levé d'impôts pour financer des projets à hauteur de dizaines de millions d'euros. On se contentait de quelques millions d'euros pour boucler un financement sans dégrader l'épargne.

Il faudrait aussi simplifier les lignes de recettes, qui devraient être au nombre de trois : une dotation de fonctionnement, une dotation liée aux compensations des politiques assumées pour le compte de l'État, et une dotation d'investissement. Actuellement, on compte plutôt sept ou huit lignes... Si l'on n'est pas inspecteur général des finances, il est difficile d'équilibrer le budget d'une collectivité !

La République française doit faire confiance à ses collectivités. En Allemagne, les Länder ne sont pas tous égaux en termes de budget, mais un territoire peut se tourner vers l'État fédéral en cas de besoin. Aujourd'hui, dans notre pays, quand une collectivité frappe à la porte de l'État car elle se trouve face à une difficulté ou qu'elle doit porter un projet qui sort de l'ordinaire, elle n'obtient jamais de réponse !

Je veux terminer en évoquant la philosophie de l'impôt, un débat totalement escamoté. L'impôt sur le revenu est lié aux revenus du travail ou des placements. La TVA est un impôt sur la consommation. Les droits de mutation portent sur la constitution du patrimoine. Le foncier bâti est un impôt strictement patrimonial. Il faut se demander ce que l'on veut taxer - les revenus, la consommation, l'accession au patrimoine, le patrimoine existant - et ce que l'on veut financer avec, avant de se poser la question de l'autonomie des collectivités ou de la péréquation.

Enfin, alors que nous atteignons des sommets en matière de dépenses d'argent public, les Français n'ont jamais été aussi insatisfaits des services publics. Comment en sommes-nous arrivés là ? La péréquation n'est pas le sujet, car les recettes sont par définition inégalitaires d'un territoire à l'autre.

M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - Vous avez pris l'exemple de l'Allemagne : la Bavière produit une richesse de plusieurs milliards d'euros qui fait l'objet d'une péréquation avec le Land de Berlin. Autre exemple : la métropole de Lyon perçoit le versement mobilité, mais les ressources humaines de cette collectivité ne sont pas suffisantes pour répondre aux besoins en matière de développement économique. Il faut chercher plus loin, dans l'Allier, en Ardèche, dans la Loire, en Isère... Il faut penser les transports à une échelle supramétropolitaine, ce qui est aussi une forme de péréquation. La péréquation se pense à l'échelle des territoires, alors qu'il y a trente ou quarante ans, elle l'était essentiellement à l'échelle départementale.

M. Claude Riboulet. - Elle l'est toujours pour partie.

M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - Les pactes entre métropoles et territoires sont un exemple de péréquation au niveau des territoires. Le ruissellement ne se fait pas naturellement. Or, selon moi, la métropole doit irriguer l'hinterland ou le territoire interstitiel.

Mme Maryse Carrère, présidente. - Nous partageons une grande partie de vos constats et de vos analyses. Le trio département-région-commune doit permettre d'accompagner la commune, d'impulser de la vitalité dans nos territoires et de développer les emplois. Le département des Hautes-Pyrénées donne près de 10 millions d'euros de subventions à des collectivités, surtout des communes, ce qui représente au final une dépense de 25 à 30 millions d'euros dans l'économie locale, en circuit court avec nos artisans et nos entreprises.

Sur les financements croisés, l'État a eu du mal à supprimer ce qu'il avait lui-même réclamé : aujourd'hui, sans ces crédits, il ne pourrait pas intervenir dans bien des domaines.

M. Claude Riboulet. - Nous essayons de prendre soin de l'argent public. Les subventions européennes n'entraînent pas de dette puisque l'Europe n'emprunte pas, sauf pour le plan de relance. Pour les subventions de l'État en matière d'investissement, c'est 100 % de dette - puisqu'il emprunte déjà pour payer ses dépenses de fonctionnement. En cas de versement de subventions par la région, il peut y avoir de la dette. Dans l'Allier, quand le département donne une subvention de 100 euros à une commune, le taux de dette est de 40 %. Quant aux communes, elles ont peu recours à la dette.

Mme Maryse Carrère, présidente. - Je vous remercie pour cette audition très intéressante.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 16 h 10.