Mardi 11 avril 2023

- Présidence de Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente -

La réunion est ouverte à 18 heures.

Précarité énergétique - Audition

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous poursuivons nos travaux par une table ronde autour d'acteurs du logement et de l'habitat particulièrement engagés dans la lutte contre la précarité énergétique.

Nous recevons les représentants de cinq organismes et associations. L'observatoire national de la précarité énergétique (ONPE), d'abord, représenté par Mme Isolde Devalière, cheffe de projet précarité énergétique à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) et coordinatrice à l'ONPE, et par Mme Lise-Marie Dambrine, chargée de mission à l'ONPE. L'ONPE, créé en 2011, assure un suivi de la précarité énergétique en France afin d'observer et d'analyser les politiques publiques de lutte contre ce phénomène. Il a notamment publié fin mars le tableau de bord et les chiffres de la précarité pour 2022.

L'association « Stop à l'exclusion énergétique », ensuite, représentée par son délégué général M. Gilles Berhault, réunit de nombreuses associations et collectivités territoriales afin de proposer des solutions pour lutter contre la précarité énergétique, notamment en rénovant les logements sans reste à charge grâce à des ensembliers solidaires.

Le réseau Procivis, représenté par son directeur général, M. Guillaume Macher, et par Mme Claire Dagnogo, directrice de l'engagement sociétal et des relations institutionnelles, est un acteur de l'économie sociale et solidaire (ESS). Composé de nombreuses coopératives, il est présent sur toute la chaîne du logement. Ses missions sociales s'attachent notamment à la rénovation énergétique du parc privé, à destination des plus précaires.

La fédération Soliha est représentée par Mme Juliette Lagagnier, directrice générale, et par Mme Cécile Guérin-Delaunay, responsable du pôle réhabilitation. Cette fédération est également un acteur de l'ESS pour l'habitat privé à vocation sociale. Composée de 135 associations, elle accompagne les collectivités territoriales et les habitants afin de favoriser l'accès et le maintien dans l'habitat des personnes précaires et vulnérables.

Enfin, on ne présente plus la Fondation Abbé Pierre, que représentent aujourd'hui M. Manuel Domergue, directeur des études, et Mme Maïder Olivier, chargée de plaidoyer et de mobilisation. La fondation est un acteur historique de la lutte contre le mal-logement. Elle mène des actions de sensibilisation, de conseil et d'accompagnement et soutient financièrement de nombreuses initiatives afin d'améliorer les conditions de logement, notamment par le biais de la rénovation énergétique.

Mesdames, messieurs, dans vos diverses fonctions, que je viens de rappeler, vous agissez dans le domaine de la lutte contre la précarité énergétique en accompagnant les publics les plus précaires et en proposant des solutions de logement adaptées. En 2021, 11,9 % des ménages - soit 3,4 millions de ménages - se sont trouvés en situation de précarité énergétique, et 22 % d'entre eux ont souffert du froid, surtout pour des raisons économiques. Comment la rénovation énergétique peut-elle contribuer à réduire, sinon éliminer, ces situations ? Nous avons conscience que la précarité énergétique dépend de causes structurelles - revenus, situation de vie - et conjoncturelles - hausse des prix de l'énergie - qui ne sont pas toutes liées à l'état dégradé du logement et à sa faible performance énergétique. Toutefois, en ce qui concerne cette commission d'enquête, c'est sur l'aspect de la rénovation énergétique comme levier de sortie de la précarité que nous souhaitons échanger avec vous. Votre audition, dans le cadre de cette table ronde, doit nous permettre de mieux comprendre vos positions respectives sur ce sujet.

Quel bilan, à votre échelle, faites-vous de la politique de rénovation énergétique en France ? Considérez-vous que les politiques publiques de rénovation soient efficaces pour lutter contre la précarité énergétique et pour orienter les plus précaires vers des rénovations globales ? Si tel n'est pas le cas, comment pourraient-elles être améliorées ? Enfin, le confort d'été est-il suffisamment pris en compte dans la détermination de la précarité énergétique, au regard des températures que nous aurons à affronter dans les années à venir ?

Avant de vous laisser la parole pour répondre à ces premières questions et pour un propos introductif d'environ quinze minutes, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu en sera publié.

Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende.

Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mmes Claire Dagnogo, Lise-Marie Dambrine, Isolde Devalière, Cécile Guérin-Delaunay, Juliette Lagagnier et Maïder Olivier, MM. Gilles Berhault, Manuel Domergue et Guillaume Macher prêtent serment.

Mme Isolde Devalière, cheffe de projet précarité énergétique à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) et coordinatrice à l'Observatoire national de la précarité énergétique (ONPE). - Lise-Marie Dambrine et moi-même représentons l'ONPE. Je suis cheffe de projet précarité énergétique à l'Ademe depuis sept ans et j'assure le suivi et l'analyse de la précarité énergétique sur l'ensemble du territoire. L'ONPE est un outil d'aide à la décision, qui formule des propositions.

Au vu des indicateurs que nous suivons, on peut s'interroger sur l'efficience des politiques publiques, même si celles-ci évoluent dans le bon sens. Le taux d'effort énergétique, c'est-à-dire la part des dépenses d'énergie dans les revenus, comme la déclaration du froid au regard d'un certain nombre de modalités liées aux conditions d'habitat et de ressources, est en hausse cette année, comme les années précédentes. Les outils mobilisés par l'ONPE ont permis de constater l'augmentation du phénomène de précarité énergétique, sous le double effet de la crise sanitaire et de la crise énergétique.

Pour dresser un bilan du Grenelle de l'environnement après dix ans, un colloque a été organisé à Lille en 2021, où a été pointé l'empilement de différents dispositifs, qui causait une certaine confusion chez les opérateurs. Les seuils, de plus, varient au fil des années, ce qui rend difficile l'évaluation de l'efficacité des dispositifs mis en oeuvre. Ce premier bilan nous a montré qu'il n'y avait pas eu de politique nationale de lutte contre la précarité énergétique à proprement parler, mais plutôt des politiques différentes traitant, d'une part, les impayés d'énergie, qui sont l'une des conséquences de la précarité énergétique et, d'autre part, les politiques de rénovation du bâtiment.

Les trente partenaires membres de l'ONPE - dont Soliha et la Fondation Abbé Pierre - ont formulé un certain nombre de propositions communes, disponibles sur notre site internet. Ils soulignent la nécessité de disposer d'un référent sur la précarité énergétique : il s'agirait d'un délégué interministériel, qui nous donnerait l'assurance qu'une politique ambitieuse est menée, avec des objectifs à atteindre et des moyens qui leur sont consacrés. La guerre en Ukraine a mobilisé un certain nombre de ministères sur la hausse des prix, avec la mise en oeuvre d'un bouclier tarifaire, ce qui a peut-être reporté le lancement d'une politique de lutte contre la précarité énergétique claire et ambitieuse. Il est donc temps de poser ce problème et d'adopter une politique plus claire et plus lisible en la matière, avec des moyens adaptés.

M. Gilles Berhault, délégué général de l'association « Stop à l'exclusion énergétique ». - Merci de vous intéresser aussi directement au sujet qui nous réunit aujourd'hui, et face auquel nous ne sommes pas à l'aise : il est totalement insupportable que, dans un pays comme la France, des personnes soient en situation de très grande précarité. Parmi les propriétaires occupants de maisons individuelles, qui sont notre cible prioritaire, plus de 500 000 personnes vivent dans des passoires thermiques et dans des conditions économiques terribles. Il vaut la peine de se mobiliser sur ce sujet, car, quand on agit en matière sociale, pour les plus précaires, cela procure des gains pour le climat, améliore la santé des gens et crée de l'emploi local. Dit ainsi, cela semble extrêmement simple ; dans la réalité, c'est infiniment complexe.

Certes, on peut avoir le sentiment que l'on n'a jamais autant fait dans ce pays, qu'il s'agisse des collectivités territoriales, des territoires, des entreprises ou de l'État. Pour autant, au vu de ce qui se passe, des évolutions du prix de l'énergie et des dérèglements climatiques, les problèmes sont plus graves. Qu'il s'agisse du constat ou des modes de résolution, les approches sont désormais transversales et complexes. Nous devons parvenir à ce que les courbes se croisent, surtout pour les personnes qui plongent dans des situations de très grande précarité énergétique. Nous nous focalisons, d'ailleurs, sur ceux qui vivent avec moins de 10 euros par jour et par personne, qui souffrent du froid, dont les enfants sont plus malades que les autres.

Sur quoi faut-il travailler en priorité pour éradiquer la grande exclusion énergétique d'ici à 2030 ? Cette date se réfère, évidemment, à l'agenda des objectifs de développement durable. Nous venons de publier ce scénario. Nous devons renforcer, d'abord, la capacité à créer des alliances locales entre plusieurs acteurs. C'est en effet de la collaboration entre collectivités territoriales, entreprises et ONG que peuvent naître les résultats. Au niveau national, nous regroupons 60 organisations membres, qui coopèrent tous les jours : il faut faire la même chose au niveau local -  j'y travaillais aujourd'hui même avec la mairie de Tourcoing. Une telle approche systémique n'a que peu été mise en place au niveau territorial. Le sujet de la précarité énergétique est encore assez nouveau. Nous avons monté il y a trois ans une campagne de mobilisation sur le sujet avec Emmanuelle Béart. Bien sûr, il y a longtemps que la Fondation Abbé Pierre, et d'autres, nous expliquent que les gens ont froid et souffrent, mais dans ce mode de résolution, le sujet est complètement nouveau, ce qui explique certaines difficultés que nous rencontrons pour créer des alliances locales.

Ensuite, il faut mettre l'accent sur l'accompagnement. Ce métier est reconnu et nous attendons beaucoup d'un Mon Accompagnateur Rénov' renforcé. Nous collaborons aussi avec l'Agence nationale de l'habitat (Anah). Accompagner une famille en très grande précarité, c'est un métier : nous l'appelons ensemblier solidaire, et la première promotion vient de sortir, la semaine dernière. Elle ne compte que dix membres, mais nous allons en former plus de 300 dans les deux prochaines années, car le dispositif donnera une pérennité économique à ce métier. Nous venons de gagner un appel à programme Certificats d'économie d'énergie (C2E), centré sur la création de territoires « zéro exclusion énergétique », qui permettra de financer l'accompagnement de 3 000 familles. Ce chiffre peut sembler faible, mais, par comparaison, l'année dernière, l'Anah a financé 1 700 rénovations globales performantes chez de grands précaires en France. La difficulté est grande, et il faut parfois un ou deux ans aux ensembliers solidaires qui accompagnent le Secours catholique, ATD Quart Monde, les centres communaux d'action sociale (CCAS), et d'autres, pour entrer chez les gens et créer un climat de confiance. Ce n'est pas affaire de technicité ou de technologie, il s'agit d'abord de l'humain. C'est pourquoi le rôle des collectivités territoriales est également important ; encore faut-il l'outiller et le financer. Nous verrons quel montant est prévu pour Mon Accompagnateur Rénov' renforcé : s'il est inférieur à 5 000 euros, nous n'y arriverons pas.

Concernant le financement, nous militons pour une prise en charge quasi intégrale des coûts, y compris pour les propriétaires. Certains disent que nous allons augmenter la valeur capitalistique de biens familiaux : non, le logement de résidence n'a pas de valeur marchande, il s'agit avant tout de conditions de vie, et non de valeur d'héritage. ATD Quart Monde insiste cependant sur le fait qu'il ne faut pas proposer un financement à 100 %, car il y va de la dignité des personnes. L'Anah mène des politiques d'accélération dans six départements, dont certaines sont très efficaces. Les montants ne sont pas du tout les mêmes pour les ménages en très grande précarité. Ces démarches doivent être généralisées. Il faut aussi privilégier les caisses d'avance pour mieux gérer les trésoreries et rassurer les familles : quand 2 000 euros venant du conseil départemental arrivent sur le compte, on ne dort plus, l'obsession devient de savoir à qui les reverser pour ne pas les perdre. Beaucoup reste à faire sur la compensation carbone ; il faut inventer des dispositifs pour concilier à la fois économies d'énergie et économies de carbone - cette question est très complexe. Il faut encourager les auto-réhabilitations accompagnées, démarche portée par les Compagnons Bâtisseurs au sein de notre organisation.

Concernant la qualité des travaux, le problème est réel et les politiques publiques se doivent d'être plus pérennes : les certificats d'économies d'énergie sont remis en cause parfois au bout de cinq ans. Certes il faut lutter contre l'escroquerie, mais si nous voulons impliquer plus de personnes, il faut plus de visibilité ; ainsi, les périodes de validité des certificats d'économies d'énergie pourraient être plus longues, pour qu'entreprises et artisans s'engagent. Les territoires « zéro exclusion énergétique » permettent aux artisans de se projeter dans un grand nombre de chantiers sur une période donnée. De plus, il faut augmenter l'obligation des certificats d'économies d'énergie. En effet, la baisse actuelle des coûts est dangereuse pour la lutte contre la précarité énergétique et l'une des solutions est d'augmenter cette obligation, même si certaines entreprises ne sont pas très enthousiastes.

Enfin, des questions techniques se posent : il faut simplifier des processus, par exemple d'agréments d'entreprises, tout en évitant des effets d'aubaine et d'escroquerie. Autre exemple : les seuils de la maîtrise d'oeuvre devraient être revus. Un vrai projet de rénovation globale, qui coûtait 75 000 euros en 2020, coûte aujourd'hui 100 000 euros, un seuil qui déclenche l'obligation de maîtrise d'oeuvre, ajoutant 10 % de coûts supplémentaires. Des acteurs de qualité comme Dorémi, Éco Habitat, les Compagnons Bâtisseurs ou Soliha doivent pouvoir bénéficier d'adaptations au regard de l'inflation.

Nous n'avons jamais autant fait, mais il faut accélérer. La situation des plus en difficulté se dégrade en raison des crises successives ; ainsi, lors de la crise du covid, tandis que certains se réjouissaient de la baisse des émissions de carbone, d'autres qui restaient chez eux étaient soumis encore plus longtemps à la mauvaise qualité de l'air intérieur, au risque de tomber malade.

M. Guillaume Macher, directeur général de Procivis. - Procivis est un réseau de 46 coopératives en métropole, qui opèrent sur tous les métiers du logement. Nous sommes le septième ou le huitième promoteur national, le deuxième constructeur de maisons et le quatrième administrateur de biens ; nous sommes aussi bailleur social, et l'une des cinq familles constitutives de l'Union sociale pour l'habitat. Voilà pour notre activité économique. Nous sommes un acteur de l'économie sociale et solidaire (ESS), la deuxième branche de notre activité est donc sociale. L'essentiel des richesses que produit notre activité économique est réemployé à des fins d'utilité sociale, dans des activités d'intérêt général. Nous sommes conventionnés par le ministère du logement pour préfinancer un certain nombre d'aides publiques nationales et locales. Nous proposons, par exemple, des caisses d'avances de trésorerie pour les ménages modestes et très modestes : nous faisons le joint pour que la décision de rénovation soit prise par le ménage, indépendamment de sa situation économique.

Nous saluons la prise de conscience politique sur la question de la rénovation énergétique ; la tenue de cette commission d'enquête en témoigne, au-delà de l'argent investi par la puissance publique à différents niveaux. La situation du marché du logement est très détériorée au regard d'un grand nombre d'aspects ; or la rénovation énergétique semble surnager dans le débat public - d'autres questions relatives à l'accès au logement sont traitées avec moins d'énergie.

Je distingue pour autant deux difficultés majeures : le financement et la prise de décision, notamment en copropriété. S'agissant du financement, nous pourrions certes accroître notre action, pour massifier ce système de préfinancement - nous en discutons avec le ministère du logement et avec la Banque des territoires. Cependant, nous constatons un défaut d'argent privé : le secteur bancaire semble être de bonne volonté, mais semble avoir du mal à déployer une offre ad hoc qui fasse mouche. Les dispositifs existent, tels que l'éco-prêt à taux zéro (éco-PTZ) ou le prêt avance mutation (PAM), mais les volumes ne sont pas au rendez-vous. Nous avons des propositions à vous faire, pour améliorer les dispositifs existants et créer un dispositif ad hoc. Il faudrait, par exemple, créer une banque de place, dédiée à la rénovation énergétique ; les banques commerciales pourraient en être les principaux actionnaires : ainsi celles-ci répondraient aux exigences de la taxonomie européenne, en titrisant un certain volume de créances vertes. Cela répondrait à une problématique bancaire, comme à une problématique sociale, car une telle banque permettrait de financer des rénovations, même pour de petits montants, sans passer par des prêts à la consommation, dont les taux trop élevés ne permettront pas de résoudre les questions de financement des projets de rénovation énergétique. Quant aux PAM, les conditions sont trop restrictives, en matière de ressources comme de statut du demandeur. Il faudrait lever ces restrictions. De plus, un certain nombre de demandeurs sont des personnes âgées alors que les banques ne savent pas traiter ces situations. La prise de décision pose aussi problème, notamment dans le logement collectif. Les absents lors des assemblées générales de copropriété sont décisifs dans la non-prise de décision : en l'espèce, les absents ont toujours raison, et il faudrait examiner les modalités de prise de décision, peut-être en revoyant les articles 24 et 25 de la loi de l965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis. La question est de savoir qui est responsable de la situation actuelle. Les propriétaires doivent ainsi corriger le tir, mais le coût est considérable ; nous devons donc trouver un équilibre entre des formes d'obligation et des formes d'incitation, car nous ne pouvons tout faire porter sur les propriétaires actuels du logement. Il faut envisager le temps long, tandis que le logement collectif devrait être pensé comme une personne morale. Pour inciter les propriétaires à réaliser des travaux, il faudrait surtout que les travaux de rénovation énergétique créent de la valeur. Les logements pourraient être dotés de nouvelles sources d'énergie - panneaux solaires, chaudières à hydrogène. Nous pouvons aussi imaginer de mieux exploiter la surélévation, permise par les plans locaux d'urbanisme (PLU) : les copropriétaires pourraient peut-être trouver ainsi une équation économique tenable. Enfin, se pose la question d'un appareil productif suffisamment solide. Si 350 000 logements nouveaux sont nécessaires par an, simultanément à la rénovation du parc existant, il faudra trouver les bras disponibles pour répondre à ce défi considérable.

Mme Juliette Lagagnier, directrice générale de la fédération Soliha. - Notre fédération est opérateur historique de l'Agence nationale de l'habitat (Anah). Nous partageons le constat de l'ONPE et de Stop exclusion énergétique, mais nous tenons aussi à saluer le virage pris par les pouvoirs publics et le changement d'échelle opéré ; pour autant, il faut accélérer le mouvement et lever des freins. Nous sommes inquiets, car les ménages modestes et très modestes semblent ne pas bénéficier des dispositifs qui sont censés les concerner. Ils doivent pouvoir bénéficier de rénovations globales performantes et non de rénovations par gestes, qui restent les plus couramment mises en oeuvre. MaPrimRénov' Sérénité (MPRS) a fait ses preuves en matière de gain énergétique, mais les volumes ne sont pas au rendez-vous. La rénovation par gestes ne permet pas d'atteindre nos ambitions en matière de justice sociale comme de justice climatique. L'enjeu est de mettre l'accent sur le dispositif MPRS.

À ce titre, nous avons plusieurs inquiétudes - ou plutôt plusieurs leviers d'action. La réussite de la massification passera par un accompagnement non standardisé, personnalisé. Nous n'avons toujours pas de réponse sur le financement de cet accompagnement, à moins de six mois de la mise en place du dispositif Mon Accompagnateur Rénov'. Cela impacte très directement les ménages qui frappent à la porte de nos associations. Nous sommes en difficulté pour leur proposer des plans de financement adéquats. Les arbitrages doivent être connus. Ensuite, les outils financiers pour solvabiliser les ménages, comme ceux que propose Procivis, ne sont pas encore généralisés. Le reste à charge doit aussi rester supportable pour les ménages, de manière proportionnée et proportionnelle aux revenus. Par ailleurs, le dispositif MPRS doit être rendu plus attractif et plus avantageux que le dispositif MPR, pour qu'il devienne l'outil de nos ambitions partagées. Un autre levier serait de redonner une dynamique aux certificats d'économies d'énergie, en réintégrant leur gestion et leur valorisation au sein de l'Anah. Les potentialités de financement de projets sont là. Il faut les remobiliser le plus largement possible. Il faut enfin disposer d'une vision pluriannuelle des crédits de l'Anah. C'est le seul moyen d'offrir de la stabilité et de la visibilité aux ménages. J'ajoute qu'il faudrait rééquilibrer les moyens financiers, pour que les propriétaires bailleurs et les copropriétés se sentent concernées, et pas seulement les propriétaires occupants.

Pour conclure, il nous faut marteler à l'unisson que l'objectif partagé est celui d'une rénovation à la fois globale et performante. Sans convergence de l'ensemble des acteurs et des financements, nous aurons du mal à atteindre nos objectifs.

Mme Maïder Olivier, chargée de plaidoyer et de mobilisation de la Fondation Abbé Pierre. - Nous saluons les efforts réalisés pour encourager la rénovation thermique, mais tous les moyens possibles doivent désormais cibler la rénovation globale. Outre le dispositif MPRS, il existe le forfait rénovation globale au sein du dispositif MPR, qui ne représente que 2 000 dossiers par an, alors que les rénovations par gestes se comptent par plusieurs centaines de milliers par an : malgré un léger rattrapage en 2022, 86 % des dossiers sont des monogestes. Or les rénovations globales sont les plus efficaces, et permettent au moins 55 % de réduction de consommation d'énergie. La Fondation Abbé Pierre souhaite que toutes les incitations soient fléchées vers les rénovations globales. Il s'agit donc de lever les obstacles existants. Par exemple, nous pourrions exiger que le changement d'un système de chauffage ne soit subventionné qu'à condition que l'isolation du logement soit déjà réalisée. Les aberrations de la rénovation énergétique sont possibles, car l'accompagnement est insuffisant. La Fondation Abbé Pierre avait mené une étude auprès des guichets « Faire », qui sont devenus FranceRénov' ; les résultats sont alarmants : 40 % des appels étaient non décrochés, 62 % des contacts établis n'aboutissaient à aucun conseil, les délais de réponse pouvaient être de plusieurs mois, des erreurs étaient constatées et le lien avec l'Anah était parfois difficile.

Mon Accompagnateur Rénov' donne beaucoup d'espoir, mais ce dispositif ne sera efficace que s'il est gratuit. Il faudra engager les moyens nécessaires pour ne pas reproduire les précédentes erreurs de l'accompagnement, qui n'a pas permis de résoudre les problèmes. La Fondation Abbé Pierre prépare une étude sur le confort d'été. Des barèmes manquent dans MaPrimRénov' sur cette question. Les rénovations réalisées sont parfois des occasions manquées pour rendre les logements plus habitables durant l'été. Un risque de mauvaise adaptation du logement existe ; froid et chaleur sont deux facettes de la précarité énergétique. Ce sujet inquiète et mobilise ; il manque des études, des évaluations et des indicateurs, et nous espérons que certains acteurs pourront combler ce manque.

Manuel Domergue, directeur des études de la Fondation Abbé Pierre. - Nous pourrions mettre l'accent sur ce qui est déjà efficace. MPRS fonctionne bien, il répond à nos attentes en matière d'accompagnement, de bouquets de travaux, de contrôle de la performance, d'objectif de gain de performance énergétique et de ciblage social satisfaisant. Or depuis 10 ans, le nombre de logements rénovés grâce à MPR et MPRS stagne ; il a même fortement baissé en 2022, passant de 41 000 à 34 000. Ce trou d'air, très important, nous inquiète. Nous avons multiplié les petits gestes, et les rénovations les plus efficaces sont en baisse. Les petits gestes ne doivent pas détourner l'attention, sinon ils seront contre-productifs. La rénovation fonctionne bien, en revanche, dans le secteur HLM. Nous savons que les milliards dépensés pour les HLM sont bien dépensés, alors que nous avons des doutes pour le secteur privé. Cependant, nous nous inquiétons de la situation financière du secteur, avec la hausse drastique du taux des livrets A, la réduction de loyer de solidarité (RLS) qui continue et l'augmentation de la TVA. Nous ne savons pas si l'action des HLM pourra continuer à monter en puissance. Le Fonds national des aides à la pierre (Fnap) prévoit une aide de 4 000 euros par logement rénové : nous finançons moins des ménages aux revenus modestes que des ménages intermédiaires ou aisés. Enfin, le reste à charge de MPR est important. Certains travaux coûtent entre 50 000 et 80 000 euros, alors que le reste à charge pour les ménages très modestes est de 35 %, et de plus de 50 % pour les ménages modestes : les sommes sont démesurées et bloquent le passage à la rénovation globale. Isoler ses murs, pour un ménage au Smic, implique un reste à charge de 9 000 euros : qui a 9 000 euros d'épargne à consacrer à l'isolation de ses murs ? Notre programme SOS Taudis essaie de faire de la rénovation énergétique comme de la lutte contre l'habitat indigne. Souvent les deux problématiques se rejoignent dans un même logement, augmentant les coûts de rénovation. Or il est très difficile aujourd'hui de cumuler les aides. Il faut donc choisir entre rénovation énergétique ou sortie de l'insalubrité, ce qui conduit à des rénovations incohérentes, où la performance énergétique du logement est très bonne, alors que le logement est indigne. La Fondation Abbé Pierre met au pot, et ajoute 15 000 ou 20 000 euros au tour de table, mais nous ne pouvons pas généraliser cette aide à tous ceux qui en ont besoin.

J'espère que cette commission d'enquête aura le mérite de porter un message unanime : la nécessité de financements pluriannuels, pour aider la filière à se former et à recruter des jeunes, à l'instar de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru). Au 1er janvier 2024, nous ne savons pas encore quel sera le financement pour l'accompagnement. Des propositions ont été faites : nous pourrions ainsi financer entièrement la rénovation énergétique par l'anticipation des gains de performance énergétique. Or la hausse des coûts de construction fait que ce financement ne sera pas intégral. Il faut assumer que la rénovation énergétique des passoires énergétiques coûtera de l'argent public ; mais des gains sont aussi attendus, par exemple en matière de réduction des dépenses de soin, justifiant que l'État investisse des milliards supplémentaires, sans que les sommes soient extravagantes - elles seraient à peu près équivalentes à celles du programme national de rénovation urbaine (PNRU) de l'Anru. L'État est garant du temps long, alors que les ménages n'ont pas la capacité de se projeter. Avec l'initiative « Rénovons ! », nous avons montré que l'État trouvera des gains sur le long terme en matière de recettes fiscales et de dépenses de soin. Nous avons aussi plaidé pour l'obligation de rénovation du parc en location, et nous avons obtenu gain de cause, malgré les vents contraires. Pour les bailleurs privés, la simple incitation ne suffit pas, car si le bailleur finance, c'est le locataire qui en profite. Les normes doivent augmenter, pour passer à l'action. Dans les copropriétés, les failles de la rénovation énergétique viennent du fait que les bailleurs privés n'avaient pas intérêt à rénover. Désormais, les bailleurs s'intéressent à la rénovation énergétique et contactent les acteurs ; or les aides de l'État sont très importantes, mais encore peu connues. Enfin, 90 % des bailleurs appartiennent aux couches les plus aisées de la population, et peuvent donc assumer une partie des coûts. Pour les 10 % de bailleurs qui sont les plus modestes, nous plaidons pour des rénovations avec des restes à charge modiques. Il est temps que l'État reprenne la main, avec un vrai contrôle parlementaire, qui a manqué concernant les certificats d'économies d'énergie et l'Anah. Assumons que la rénovation énergétique implique des coûts et des contrôles !

M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Avec la rénovation énergétique, nous parlons à la fois de réduction des émissions de CO2 et de confort. Nous devons nous intéresser à ces deux aspects et nous interroger sur la manière dont nous pouvons intervenir. J'ai cherché sur internet FranceRénov' 2023 : la première page trouvée, affichant le logo de l'État, propose de remplacer sa chaudière par une pompe à chaleur - il s'agit du site d'une entreprise. On incite donc à installer des pompes à chaleur, ce qui ne règle en rien les problèmes de précarité énergétique.

Quelle distinction faites-vous entre précarité et exclusion énergétiques ?

Disposez-vous d'éléments sur l'impact des passoires thermiques et du logement indigne sur la santé ?

Quant aux dispositifs existants, que faut-il faire ? Tout le monde a fait le constat d'une nécessaire plus grande visibilité. Faut-il en revanche modifier les outils ? Faut-il agir très rapidement pour encourager les rénovations globales, en adaptant le dispositif ? Ou faut-il au contraire refonder tout notre système d'aides ?

Les retours d'expérience sont-ils différents en fonction des territoires, notamment entre zones rurales, périurbaines et urbaines ? Existe-t-il de bonnes pratiques notables, par exemple en matière d'accompagnement des ménages en grande précarité ?

L'auto-réhabilitation pourrait répondre à certains problèmes. Avez-vous des retours d'expérience sur la question ? Il n'est pas toujours facile de toucher des aides en la matière.

Mme Cécile Guérin-Delaunay, responsable du pôle Réhabilitation de la fondation Soliha. - Il faut effectivement aborder la rénovation énergétique sous l'angle des économies d'énergie et sous l'angle du confort. Il faut conjuguer ces deux approches pour encourager la rénovation globale - rénovation « globale » ou « performante », il faudrait clarifier les termes. L'un des grands enjeux des évolutions législatives entre 2019 et 2021 est la reprise du pilotage du service d'accompagnement pour la rénovation énergétique (Sare) par l'Anah. L'Anah et l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) devraient fonctionner en synergie ; or des logiques de concurrence existent sur le terrain. Construire une synergie territoriale est l'enjeu principal. Mon Accompagnateur Rénov' commence le 1er septembre, c'est demain ! Nous craignons des ruptures d'accompagnement, alors que nous ne connaissons pas encore les financements. Comment construire ainsi une synergie territoriale, avec les collectivités ? Est-ce un bon dispositif ? Nous croyons au rôle de l'assistance à maîtrise d'ouvrage (AMO), selon un concept de conseil technique neutre et objectif, pour faire les diagnostics sur les aspects techniques du bâti et conseiller les ménages sur les aides auxquelles ils peuvent prétendre.

Soliha est spécialisée sur les publics modestes et très modestes, appartenant aux quatre premiers déciles ; à nos yeux, il est essentiel que ceux-ci puissent bénéficier d'un conseil financier adapté à leur situation afin de ne pas passer à côté d'aides ou de dispositifs de solvabilisation auxquels ils auraient droit. Dès les premiers conseils, il faut leur apporter un accompagnement vers la performance globale, car commencer par réaliser un premier geste peut grever leur capacité de financement et conduire à des travaux qui ne seraient pas cohérents avec le reste des opérations nécessaires pour parvenir à la rénovation. Même s'il est possible de réaliser ainsi des rénovations performantes, on ne saurait enchaîner plus de deux ou trois gestes et ceux-ci doivent être conçus, par cohérence, dans l'optique d'une rénovation globale.

Concernant le futur dispositif Mon Accompagnateur Rénov', nous avons soutenu l'accompagnement neutre des ménages, de A à Z, comprenant une assistance administrative allant jusqu'au paiement des factures. Lors de la présentation du décret au Conseil national de l'habitat (CNH), nous avions toutefois exprimé de fortes réserves quant à l'implication et à l'agrément d'entreprises privées, en raison de notre attachement à la neutralité : l'accompagnateur ne saurait être juge et partie au regard d'un équipement proposé, d'une solution, voire d'entreprises elles-mêmes. Nous considérons également qu'il est nécessaire de prévoir des instruments de suivi et d'exercer un contrôle parlementaire sur ce dispositif. Nous connaissons un changement d'échelle, avec plus de moyens financiers que jamais ; comment dépenser ces fonds pour une véritable performance énergétique et une transition écologique du parc de logements ?

Il y a plusieurs défis à relever pour réussir la transition énergétique via Mon Accompagnateur Rénov' : le volume d'accompagnement est tel que l'enjeu est collectif, chacun doit y prendre sa part. Il faudra d'abord optimiser localement le système existant en générant des synergies entre les acteurs qui savent et qui peuvent déjà faire. L'organisation d'un tel système d'acteurs ne peut être menée qu'au niveau local, par les collectivités territoriales. Ensuite, cela implique également de travailler sur le développement des compétences, par de la formation. À ce titre, disposer d'une vision pluriannuelle des crédits de l'Agence nationale de l'habitat (Anah) permettrait à l'ensemble de la chaîne de production de se projeter sur le volume de personnes à former pour accompagner ces ménages.

À notre sens, au croisement des interventions écologiques sur le parc et des politiques sociales et de l'habitat, il est essentiel de mettre l'accent sur les ménages modestes et très modestes et donc de prévoir un parcours usagers lisible et sans complexité excessive, avec des acteurs en qui les ménages puissent avoir confiance, à travers des parcours fléchés entre types de ménages et accompagnateurs aux compétences reconnues. De cette manière, les ménages modestes et très modestes seront accompagnés dès le départ par des acteurs possédant les compétences requises.

Mme Isolde Devalière. - Véronique Ezratty, médecin à EDF, a travaillé sur le lien entre précarité énergétique et santé. Il est désormais clair que la rénovation des passoires thermiques éviterait des coûts de santé considérables. Selon une étude du Commissariat général au développement durable (CGDD) parue en 2022, la rénovation du parc immobilier d'ici à 2028 permettrait d'éviter 10 milliards d'euros par an de coûts de santé, un chiffre vertigineux. L'étude Rénov'Santé, menée notamment par Soliha et le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) vise à identifier les dépenses de santé avant et après travaux, afin de déterminer les gains potentiels, qui apparaissent comme un argument en faveur d'un renforcement des aides à la rénovation, dont les montants actuels ne sont pas suffisants. Les résultats sont attendus pour fin 2024.

La précarité énergétique est un sujet distinct de la rénovation énergétique, même si les deux sont liés : la seconde est un levier pour sortir les ménages de la première. Selon les dernières statistiques, en attendant l'enquête nationale logement (ENL) pour 2020, 59 % des ménages en situation de précarité énergétique étaient locataires. Nous nous préoccupons donc des aides aux propriétaires bailleurs. Pour autant, je suis d'accord avec Manuel Domergue : la majorité des propriétaires connaît une situation plutôt favorable ; néanmoins, il est nécessaire de revoir le montant de l'aide accordée à une frange non négligeable - entre 10 % à 15 % - d'entre eux. Seulement 2 % des 605 669 dossiers financés par MaPrimeRénov' concernent les propriétaires bailleurs, pour une aide moyenne de 3 841 euros, alors que le coût d'un chantier de rénovation globale performante a été évalué par l'Ademe à 80 000 euros. On comprend donc l'importance de revoir le montant du reste à charge. L'Ademe considérait que si l'on exigeait une performance énergétique précise, le reste à charge pour les ménages très modestes devait être pris en charge par les pouvoirs publics ; à défaut, le risque est d'empiler des gestes contradictoires.

Vous aviez posé des questions sur Géodip - pour « géolocaliser et diagnostiquer la précarité énergétique ». Cet outil performant mis en oeuvre par l'ONPE permet de repérer les ménages en précarité énergétique en fonction de leurs dépenses liées à l'habitat et à la mobilité, à la maille des îlots regroupés pour l'information statistique (Iris). Il permet à de nombreuses collectivités territoriales d'effectuer un pré-diagnostic de la précarité énergétique. Nous cherchons des financements complémentaires pour le confier au réseau des agences régionales de l'énergie (Rare), afin que notre ingénieur mobilité se consacre à la question de la mobilité, qui est peu explorée. Géodip sera bientôt actualisé avec les dernières données d'enquêtes.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Peu de collectivités l'ont adopté ?

Mme Isolde Devalière. - Au contraire, cet outil est utilisé à son maximum. Nous le livrons à 500 usagers simultanément, soit sa capacité maximale, en renouvelant les connexions tous les trois mois. Plus de 1 500 collectivités territoriales en ont déjà bénéficié.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je présume qu'il s'agit de collectivités de tailles différentes, dans des territoires diversement concernés ?

Mme Isolde Devalière. - Une analyse a été menée par le réseau des acteurs de la pauvreté et de la précarité énergétique dans le logement (Rappel) : cet outil permet un partage de l'état des lieux entre techniciens et élus pour mobiliser des financements sur des territoires particuliers, mais aussi une évaluation de l'impact du Service local d'intervention pour la maîtrise de l'énergie (Slime), un dispositif porté par le Réseau pour la transition énergétique (Cler), et de la modification de son territoire. Il est donc essentiel d'équiper ce type d'acteurs pour identifier les zones en situation de précarité énergétique et y mobiliser des acteurs.

Concernant le reste à charge nul, si nous voulons réussir une rénovation, il nous semble nécessaire de viser au plus haut ; à défaut, nous n'y parviendrons pas.

Enfin, veillons à ne pas oublier les locataires : la rénovation est très axée sur les propriétaires, alors que ceux-ci sont moins nombreux à être concernés que les locataires.

M. Manuel Domergue. - Une étude menée avec Pierre Madec, économiste à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), avait montré que des personnes vivant dans des logements difficiles à chauffer avaient 50 % de risque supplémentaire de se déclarer en mauvaise santé. Cela constitue donc un déterminant de santé majeur. Dans une étude réalisée il y a une dizaine d'années, nous avions chiffré à 800 millions d'euros par an les dépenses de soins économisées si les passoires énergétiques étaient éradiquées. D'autres évaluations plus récentes, réalisées notamment pour le ministère de la transition écologique, aboutissaient à des chiffres plus importants, car elles prenaient en compte le prix de la vie et les décès évités, lesquels sont estimés autour de 2 à 3 millions d'euros par personne : cela fait donc gonfler très fortement les bénéfices. Les gains de performance énergétique et les économies d'énergie peuvent être investis, mais la santé préservée ou les décès évités ne se monétisent pas dans la vraie vie, c'est pourquoi la collectivité a intérêt à intervenir.

M. Gilles Berhault. - Concernant la santé, nous manquons effectivement de chiffres et nous souhaitons évaluer davantage la situation ; en particulier, les experts en santé environnementale sont trop peu nombreux : il en existe une centaine en France, et leur présence sur certains territoires nous aide à comprendre ce qui se passe et à faire le lien avec les autorités de santé.

La différence entre précarité et exclusion énergétiques réside, selon nous, dans le besoin d'accompagnement. Certains peuvent s'en sortir seuls quand d'autres en sont incapables. C'est pourquoi nous recommandons la mise en place d'une mission d'ensemblier solidaire, quelle que soit la terminologie utilisée. Un accompagnement prend du temps, il faut créer un climat de confiance, élaborer le projet avec la famille et suivre un ensemble d'étapes nécessitant une compétence humaine. Nous avons étudié les formations existantes en matière d'accompagnement social, lequel doit compléter les accompagnements financier et technique, celles-ci sont malheureusement très peu nombreuses. Nous nous sommes rapprochés de l'Association pour la formation professionnelle des adultes (Afpa) et d'autres acteurs pour les multiplier.

Une étude réalisée l'année dernière a estimé à 500 000 le nombre de propriétaires occupants vivant dans des passoires thermiques avec moins de 10 euros par jour et par personne. Nous avons calculé qu'il faudrait 11 000 personnes pour les accompagner. Le dispositif Mon Accompagnateur Rénov' renforcé pourrait permettre de financer cet accompagnement, sans lequel il n'y aura pas de rénovation massive chez les grands précaires.

Je ne suis pas un expert en matière d'auto-réhabilitation accompagnée, mais les Compagnons Bâtisseurs mènent des missions de ce genre, il serait judicieux de vous rapprocher d'eux. Ces processus posent des problèmes techniques et juridiques qui divergent de l'accompagnement classique dans le bâtiment. Les Compagnons Bâtisseurs travaillent aussi sur le confort d'été, dont nous n'avons pas beaucoup parlé, mais qui représente un problème majeur. Certaines entreprises fournisseurs d'électricité ont décidé de ne plus couper les compteurs : en période de canicule, même un réfrigérateur consommant 1 kilowatt peut sauver des vies. Enfin, les Compagnons Bâtisseurs travaillent beaucoup sur les territoires d'outre-mer, tandis que nous commençons tout doucement à y financer deux ou trois maisons. Les questions liées aux saisons s'y posent de manière très différente.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous sommes tous convaincus qu'il faut tendre vers des rénovations globales performantes, sans pour autant abandonner les gestes. Se pose alors le problème de l'occupation des sites de chantier. Il est souvent compliqué, sinon impossible, de mener ces travaux en site occupé. Y avez-vous réfléchi ?

M. Gilles Berhault. - Pour l'instant, nous sommes encore dans l'expérimentation. Nous explorons plusieurs pistes, mais nous ne pouvons pas proposer de mesures majeures aujourd'hui, en dehors du financement ou de la fiscalité. Nous sommes en discussion avec différentes organisations possédant des parcs immobiliers, notamment l'Afpa, ainsi qu'avec de grandes compagnies hôtelières qui seraient prêtes à mettre des logements à notre disposition. Cela devrait se concrétiser. Par ailleurs, nous collaborons avec des fabricants de Tiny Houses pour apporter des logements à proximité. Dans la métropole de Lille, par exemple, une entreprise fabrique des Tiny Houses qu'elle amortit pour le tourisme avant de les mettre à disposition d'associations oeuvrant contre la précarité énergétique. Cependant, nous sommes encore en phase d'expérimentation, il ne s'agit pas d'un levier de massification. L'option la plus simple serait d'envisager du mécénat pour des locaux : nous-mêmes, nous sommes hébergés par une entreprise qui bénéficie d'avantages fiscaux, mais il pourrait être intéressant d'organiser une défiscalisation avec un hôtel qui nous prêterait des chambres. Nous ne sommes pas encore tout à fait mûrs sur ce sujet.

Mme Cécile Guérin-Delaunay. - Sur ce point, nous nous rapprochons des enjeux liés à la lutte contre l'habitat indigne, et par conséquent, des outils mis en oeuvre dans ce cadre, comme les logements-tiroirs, qui permettent d'héberger les ménages pendant les travaux. Nous avons également travaillé avec l'Union sociale pour l'habitat (USH) sur la manière de mieux mobiliser un parc de logements pour des opérations programmées, par exemple dans le cadre de copropriétés. Pour autant, même en matière de lutte contre l'habitat indigne, nous peinons à mettre en place ces solutions. J'ajoute que la lutte contre la précarité énergétique n'est pas identifiée comme un motif de réservation potentiel du parc de logements éventuellement disponible. Cela se fait généralement au cas par cas, en mobilisant des solutions familiales ou en faisant appel aux collectivités, qui peuvent disposer de tels logements. Nous parvenons donc à mettre en place ces solutions pour certains chantiers ambitieux, au prix de négociations au cas par cas, mais cela complexifie considérablement le processus. Cependant, il est important de réfléchir à cette question des logements occupés, notamment dans le parc locatif : soit nous considérons que les rénovations se font uniquement lors de la relocation, mais alors une vigilance très forte est requise, soit nous devons nous donner les moyens de développer des solutions de logements-tiroirs. Cela constitue un véritable défi à relever.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Vous avez évoqué la création d'un certificat d'économies d'énergie (C2E) spécifique aux personnes en situation de précarité énergétique. Pouvez-vous développer cette idée ?

M. Gilles Berhault. - Nous sommes lauréats d'un des projets de 2022 concernant les C2E, qui doivent nous permettre de créer des territoires « zéro exclusion énergétique » agissant comme des démonstrateurs, avec un objectif de quatorze territoires et 3 000 accompagnements sur trois ans ; nous toucherons cent territoires dans les deux années suivantes, puis nous accélérerons en vue d'une éradication à l'horizon 2030. Cependant, pour y parvenir, il est nécessaire d'élargir les sources de financement ; or, si les C2E devaient rester un moyen de financement, nous ne serions plus à la bonne échelle pour une démarche globale d'accompagnement. Il n'est question ici que des 500 000 familles de propriétaires occupants, qui représentent une partie de la difficulté qu'il ne faut pas sous-estimer.

La différence entre précarité et exclusion énergétiques tient également aux nombreux autres problèmes qui découlent de la seconde, notamment en matière de santé et de handicap. C'est la raison pour laquelle une technicité spécifique est requise : un ensemblier solidaire ne saurait être seulement compétent pour obtenir une prime de l'Anah, il doit monter des dossiers plus complexes, tels que ceux qui sont liés au handicap. Cela requiert une compétence très pointue. L'enjeu est donc de simplifier et d'élargir les sources de financement. Cela vaut le coup, pour la première fois, je me consacre à un enjeu gagnant dans toutes les dimensions : santé, précarité, environnement, climat, etc. La précarité énergétique donne lieu à une injustice sociale profonde : les familles aimeraient participer aux efforts pour le climat, mais ne le peuvent pas. Agir sur la précarité énergétique relève donc de la justice sociale, dans un contexte d'augmentation des difficultés avec les prix.

M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Les fraudes, les arnaques, voire les dossiers mal remplis qui débouchent sur des abandons, suscitent encore plus de précarité. De quels éléments disposez-vous à ce sujet ?

Mme Isolde Devalière. - L'ONPE mène des enquêtes sociologiques auprès des ménages et nous collectons donc des retours concernant, notamment, ces chantiers d'isolation à un euro, dont une partie n'a pas donné satisfaction. La principale difficulté, selon les travailleurs sociaux, est qu'une fois qu'un ménage a été trompé, il est difficile de rétablir une relation de confiance et de l'accompagner vers de nouveaux travaux. Or c'est l'absence d'accompagnement qui explique que l'on se lance dans des chantiers douteux : les ménages concernés sont souvent très sollicités et généralement présents à leur domicile. Nous plaidons donc en faveur d'un accompagnement avec un référent unique. L'enquête longitudinale que nous avons menée nous a montré que la multiplicité des interlocuteurs était un facteur de complexité pour une personne en difficulté et pouvait entraîner l'abandon du projet de travaux. Lorsque la relation de confiance est rompue, la personne disparaît ; il est donc essentiel d'assurer un parcours d'accompagnement dans la durée avec un seul référent suivant l'ensemble du dossier, depuis le premier diagnostic jusqu'au contrôle des travaux. Cela permet d'éviter que les ménages soient confrontés à des démarcheurs peu scrupuleux.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Procivis a évoqué la création d'une banque dédiée à la rénovation énergétique. Pouvez-vous détailler ce projet ?

M. Guillaume Macher. - Nous faisons le constat que les acteurs bancaires n'ont pas trouvé de modèle pour financer la rénovation énergétique : il n'y a pas beaucoup de prêts distribués. Nous nous interrogeons sur les raisons de cette situation. On a tenté de confier ce rôle à une seule banque, mais cela soulève des problèmes de concurrence. Nous nous retrouvons donc dans un statu quo concernant le financement privé de la rénovation énergétique alors que l'enjeu social est important et que des aspects financiers découlent du positionnement de Paris comme une place verte au sein de l'Union européenne. Nous réfléchissons donc à la création d'un véhicule unique dédié, qui ne soit pas public, mais que des fonds publics pourraient abonder, et qui permettrait aux banques de remplir leurs obligations de créances vertes et de les valoriser, consacré uniquement à la distribution de ce type de produits. L'État pourrait lui apporter sa garantie et disposerait d'un droit de veto au sein de son conseil d'administration ; une telle garantie pourrait rassurer les banques, pour un coût mesuré pour l'État au regard de l'intérêt politique et social très élevé du dispositif. Cette réflexion est nouvelle, nous n'avons pas encore fait de benchmark, mais nous en avons discuté avec quelques acteurs, de manière confidentielle. Désormais, nous le faisons de manière plus publique. Il nous reste une étape importante : parler aux banques elles-mêmes, qui seraient les premières concernées. Du côté de la sphère étatique, nous avons reçu des retours très positifs et nous aimerions creuser cette piste.

Celle-ci rejoint d'ailleurs la question du rapporteur sur l'amélioration des dispositifs existants. Nous constatons que des financements existent qui ne trouvent pas leurs cibles ou qui ne sont pas à la hauteur des volumes attendus. Peut-être devrions-nous envisager un véhicule adéquat pour résoudre ces problèmes, et, par la suite, améliorer chacun des outils qui seraient distribués ? Ainsi, le prêt avance mutation (PAM), devrait être ouvert aux propriétaires bailleurs ; à défaut, les locataires ne seraient pas concernés. La question des ressources ne nous semble pas centrale, surtout si elle débouche sur une méconnaissance de la situation sociale des occupants du logement. Se pose également la question de l'après-Pinel et du statut du bailleur privé. Des propositions sont avancées sur ce sujet, notamment en termes d'amortissement et de déduction d'impôt au moment de l'accession à la propriété. Cela pourrait également inclure les travaux de rénovation. De plus, il convient de se pencher sur la question des plans pluriannuels de travaux. Actuellement, 2,5 % des travaux sont financés de manière obligatoire par les copropriétaires, et il faudrait peut-être augmenter ce niveau, voire en imaginer une autre partie, volontaire, encouragée par des déductions fiscales sur les revenus fonciers.

Nous souhaitons également partager quelques réflexions sur le diagnostic de performance énergétique (DPE) : il est nécessaire d'assurer une intelligibilité du dispositif, en plus de sa qualité technique. Aujourd'hui, seul le DPE individuel est opposable, mais il pourrait être pertinent de se poser la question du DPE collectif. La copropriété doit être considérée comme un ensemble : même si un appartement est moins concerné en raison de sa position au sein de l'immeuble, les travaux sont nécessaires dans une perspective collective. Nous sommes donc favorables à un DPE collectif comme outil de sécurisation et de lisibilité.

M. Manuel Domergue. - Pour aborder la question des arnaques, il est vrai que celles-ci concernent davantage les gestes individuels. Le passage à la rénovation globale avec un accompagnement adéquat devrait, par définition, les réduire considérablement. Une discussion sur le rythme de passage des gestes individuels à la rénovation globale pourrait être bénéfique, bien qu'elle puisse sembler impopulaire. Cette transition est difficile, car le Président de la République s'est engagé sur 700 000 rénovations par an. Actuellement, ces 700 000 rénovations recèlent surtout des gestes individuels ; pour accepter de passer rapidement à la rénovation globale, il faudrait, selon nous, accepter de réduire temporairement ce chiffre, car il ne sera pas possible de réaliser 700 000 rénovations globales en 2024. Dans la politique actuelle, cette position est sans doute difficile à entendre, alors qu'elle nous semble raisonnable.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Être plus réaliste permettrait ensuite de monter en charge progressivement. Il est évident qu'il ne sert à rien de fixer des objectifs très ambitieux si nous savons qu'ils ne pourront pas être atteints. Cela peut être décourageant pour tous et les résultats ne seront pas au rendez-vous, rendant la situation insatisfaisante. Jusqu'à présent, les objectifs ont toujours été très élevés, avec une forte ambition affichée, mais ils n'ont jamais été atteints. C'est le propos même de cette commission d'enquête.

Je vous remercie tous de votre participation.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 19 h 50.

Mercredi 12 avril 2023

- Présidence de Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente -

La réunion est ouverte à 17 h 35.

Fraudes à la rénovation énergétique - Audition

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous poursuivons nos travaux aujourd'hui par une table ronde sur les fraudes à la rénovation énergétique. Nous recevons ainsi cinq acteurs concernés, à différents titres, par la fraude et l'escroquerie dans la rénovation énergétique des bâtiments.

La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), chargée notamment de réprimer la fraude à la rénovation énergétique, est représentée par M. Romain Roussel, sous-directeur industrie, santé et logement, et Mme Miyako Guy, chef du bureau immobilier, bâtiment et travaux publics.

L'entreprise Spekty est représentée par son président et cofondateur, M. Oussama Djeddi. Monsieur Djeddi, votre entreprise, créée en 2001, est un tiers de confiance dans la rénovation énergétique disposant de l'accréditation du Cofrac (comité français d'accréditation). Dans le cadre du dispositif des certificats d'économies d'énergie (C2E), vous réalisez des inspections d'opérations standardisées d'économie d'énergie.

La revue Le Moniteur, hebdomadaire du bâtiment et de la construction, est représentée par M. Pierre Pichère, journaliste et rédacteur en chef du Moniteur des artisans, revue spécialisée dans l'actualité des artisans du bâtiment. À ce titre, monsieur Pichère, vous avez mené au début de cette année une large enquête sur la fraude à la rénovation énergétique, qui a souligné la diversité des méthodes frauduleuses employées.

L'association de consommateurs UFC-Que choisir, est représentée par M. Michel Debiais, administrateur national et Mme Lucile Buisson, chargée de mission environnement, énergie et transports.

Et enfin l'association nationale de défense des consommateurs et usagers Consommation, logement et cadre de vie (CLCV), est représentée par M. David Rodrigues, juriste secteur habitat.

Mesdames, messieurs, dans vos diverses fonctions que je viens de rappeler, vous avez eu l'opportunité de constater l'ampleur de la fraude à la rénovation énergétique et même, concernant la DGCCRF, de concevoir et de mener des politiques de lutte contre la fraude. Dans un contexte d'accélération de la rénovation énergétique, la fraude et l'escroquerie jettent un discrédit sur l'ensemble de la politique publique, en remettant en cause le bien-fondé de la dépense publique et en entraînant une perte de confiance chez le consommateur. Votre audition, dans le cadre de cette table ronde, doit nous permettre de mieux comprendre ce phénomène ainsi que les solutions qui peuvent être apportées.

Comment expliquez-vous que les fraudes, qu'il s'agisse d'arnaques pures et simples ou de malfaçons, soient si nombreuses et, apparemment, si peu sanctionnées ? Quel doit être l'équilibre entre massification des rénovations et lutte contre la fraude ? Doit-on se résigner à la multiplication des cas de fraudes, au nom de l'accélération de la rénovation énergétique ? Enfin, comment, selon vous, peut-on améliorer l'efficience des dispositifs de lutte contre les différents types de fraudes ?

Avant de vous laisser la parole pour répondre à ces premières questions et pour un propos introductif d'environ cinq minutes, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié. Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45000 euros à 100 000 euros d'amende. Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Romain Roussel, Mme Miyako Guy, MM. Oussama Djeddi, Pierre Pichère, David Rodrigues, Michel Debiais et Mme Lucile Buisson prêtent serment.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je vous remercie très sincèrement et je vous laisse la parole : la DGCCRF pourrait débuter et nous suivrons ensuite l'ordre d'installation autour de cette table.

M. Romain Roussel, sous-directeur industrie, santé et logement à la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). - Je vais vous présenter un panorama de la fraude à la rénovation énergétique, telle que nous pouvons la constater à la DGCCRF et telle qu'elle évolue au fil des années, car nous constatons qu'il s'agit d'un phénomène assez changeant. Ce rapide tableau incorpore également les priorités de la politique publique ainsi que les différents types d'actions que nous pouvons mener à la fois de manière préventive et répressive avec les instruments dont nous disposons dans le cadre de la loi.

Tout d'abord, le secteur de la rénovation énergétique est fortement générateur de plaintes et de signalements sur la plateforme « SignalConso » que nous avons lancée en 2021 et qui permet aux consommateurs de signaler leurs litiges avec un certain nombre de professionnels. C'est un des secteurs qui ressort le plus fortement avec plus de 10 000 plaintes enregistrées l'année dernière, qui génère de lourds contentieux ainsi que des difficultés d'une certaine gravité. Nous avons pu constater au fil des différentes enquêtes, intensifiées au fil des années, qu'il s'agissait d'un phénomène assez massif et difficile à endiguer, car il s'adapte à l'évolution des politiques publiques.

La rénovation énergétique fait partie des priorités de la DGCCRF dans le cadre de son plan national d'enquête. Celui-ci est élaboré chaque année par notre directeur ou notre directrice générale : il définit un programme de travail et d'action aux services déconcentrés dont nous disposons sur le terrain, à la fois en région et dans les départements, sur l'ensemble du territoire français et ultramarin pour combattre ces schémas de fraude de manière concertée avec d'autres acteurs de la sphère publique. C'est d'autant plus prioritaire dans le cas de la transition écologique que le bâtiment, comme vous l'avez souligné, est un des secteurs les plus consommateurs et les plus émetteurs de gaz à effet de serre. La rénovation énergétique a été identifiée par les pouvoirs publics comme étant un des leviers d'action à crédibiliser, dans lequel il est important de susciter la confiance des consommateurs et des rénovations de qualité pour pouvoir atteindre nos objectifs climatiques. Très concrètement, la rénovation énergétique donne lieu à un nombre de contrôles important avec des enquêtes souvent assez lourdes sur le terrain. On est passé d'un peu moins de 500 établissements visités en 2018 à un objectif de 1 200 pour l'année 2023, avec une montée en charge assez forte au cours des cinq dernières années, accompagnée par une formation permanente de nos enquêteurs assurée par le réseau qui relève du bureau de ma collègue Miyako Guy : il s'agit de former spécifiquement les enquêteurs à ces fraudes qui sont de plus en plus complexes.

Le taux d'anomalie dans ce secteur est élevé. Ce terme recouvre en pratique, tout d'abord, des manquements qui se rattachent à une connaissance insuffisante, de la part d'un certain nombre de professionnels, des exigences du code de la consommation avec, par exemple, le non-respect de certaines dispositions précontractuelles. Il peut s'agir également d'une application insuffisante du droit de rétractation. Enfin, ces anomalies recouvrent des faits beaucoup plus graves qui confinent à des escroqueries en bande organisée nécessitant l'intervention de différents services de l'État en partenariat avec la gendarmerie, les services territoriaux en charge de la fraude fiscale, sociale et de la coopération transfrontalière.

Dans le domaine de la rénovation énergétique, ce taux d'anomalie, tel que je viens de le définir concerne, selon les années, entre 50 et 56 % des établissements visités. Je précise que ce pourcentage porte sur des opérateurs ciblés en amont par la DGCCRF sur la base des signalements à travers SignalConso ou grâce à la prospection commerciale, en particulier quand les sites internet des professionnels semblent présenter des anomalies.

Ce chiffre élevé n'est donc pas représentatif d'un taux moyen relatif à l'ensemble du secteur de la rénovation : nous ne connaissons pas ce dernier, mais il n'atteint sans doute pas le taux par nature majorant des établissements faisant l'objet d'une enquête. Néanmoins, ce pourcentage est important avec des faits d'une certaine gravité qui se traduisent, chaque année, par des avertissements et des mesures plus sévères : par exemple, en 2021, notre dernier bilan complet recense 131 avertissements, 111 injonctions administratives, 34 procès-verbaux administratifs et 89 procès-verbaux au pénal. Il s'agit là d'un taux de verbalisation administrative et pénale très supérieur à la moyenne des autres secteurs.

Cela s'explique par le fait que les pratiques constatées sont souvent graves et peuvent mener à des difficultés sérieuses pour les personnes qui en sont victimes. Celles-ci peuvent basculer dans des situations de surendettement avec, dans certains cas, des crédits souscrits sans le savoir pour financer des travaux mal faits et qui leur ferment le droit à des aides publiques ultérieures. Nous prenons très au sérieux, au niveau des sanctions, les situations de détresse que subissent un certain nombre de ménages. Les évolutions législatives ou réglementaires intervenues ces dernières années nous aident à durcir notre politique répressive. Je pense en particulier à la loi du 24 juillet 2020 en matière de démarchage téléphonique qui a prohibé cette pratique dans le secteur de la rénovation énergétique - sauf cas exceptionnel lorsqu'un contrat est déjà en cours avec l'entreprise. Ce texte a multiplié par cinq les plafonds des amendes en cas de manquement, ce qui nous a amenés à en prononcer un certain nombre pouvant dépasser les 100 000 voire les 300 000 euros dans les cas les plus graves, et à généraliser les saisies pénales de biens qui complètent les poursuites judiciaires. De plus, nous nous attachons à saisir certains biens détenus par les malfaiteurs avant qu'ils ne puissent fermer leur entreprise, ce qui est souvent le cas, avec des entités éphémères qui, après leur courte durée de vie, filent à l'étranger ou se déclarent en faillite pour ensuite recommencer une activité similaire sous un autre nom : la saisie pénale est donc un outil efficace que nous utilisons de plus en plus.

Néanmoins, nous sommes bien conscients de nos limites, car les fraudeurs ont beaucoup d'imagination : en permanence, dès qu'un nouveau système d'aides publiques est créé, cela génère un nouveau type de fraude, ce qui exige une adaptation constante de nos méthodes ainsi que de la formation de nos enquêteurs tout en développant les coopérations interservices. Ces dernières sont très utiles et sont montées en puissance depuis quelques années, en particulier depuis la loi relative à l'énergie et au climat de 2019, qui nous a permis de renforcer les échanges d'informations entre les principales administrations concernées par la lutte contre la fraude, à savoir le pôle national des certificats d'économie d'énergie (PNCEE), la direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI), les services fiscaux de la direction générale des finances publiques (DGFIP), l'Agence nationale de l'habitat (Anah), l'Ademe et Tracfin. Sur le plan local, la gendarmerie, la police nationale et les polices municipales, lorsqu'il y en a, concourent bien entendu à cette coopération qui permet d'accroître la rapidité et l'efficacité des suites à donner aux manquements et anomalies.

Il faut être conscient des limites de notre action, liées au fait que les fraudeurs ont beaucoup d'imagination et contournent les obligations légales à travers des mécanismes trompeurs pour les consommateurs : il n'y a donc pas, à ce stade, de décrue du nombre d'anomalies constatées. Tel est particulièrement le cas en matière de démarchage téléphonique avec un certain nombre de sociétés qui contournent la réglementation en n'indiquant pas l'objet véritable de leur appel ou en procédant à d'autres subterfuges comme la dissimulation de leur identité ou la confusion volontaire avec un certain nombre de services publics. S'y ajoutent d'autres formes de prospection au porte-à-porte ou lors de salons afin de contourner l'interdiction sectorielle édictée par la loi. Cela nous amène à durcir les sanctions et à intervenir également en amont : ma collègue va vous présenter les actions de formation, de sensibilisation et de prévention auprès des consommateurs et des professionnels qui accompagnent notre action répressive.

Mme Miyako Guy, chef du bureau immobilier, bâtiment et travaux publics à la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). - Je vais compléter le panorama qui vient de vous être présenté sur le renforcement significatif de nos actions au cours des dernières années face à l'ampleur des fraudes constatées.

S'agissant tout d'abord du volet répressif, je précise que la DGCCRF utilise deux modes d'action.

Le premier se situe le plus en amont possible avec des saisies pénales qui permettent d'immobiliser juridiquement des avoirs ainsi que des biens de manière conservatoire pour neutraliser de façon très réactive les opérateurs concernés. Un certain nombre de procédures ont pu effectivement aboutir avec des suites administratives que nous utilisons beaucoup pour sanctionner, en particulier, les pratiques liées à des manquements relatifs à l'information précontractuelle ou au démarchage téléphonique - et, sur le terrain, des sanctions assez percutantes ont été prises dans ce domaine.

S'y ajoutent des poursuites pénales : nous constatons que les parquets sont de plus en plus mobilisés et que des sanctions significatives, qui peuvent aller jusqu'à des peines d'emprisonnement avec ou sans sursis éventuellement complétées par des sanctions pécuniaires, sont prononcées.

De plus, conscients de la nécessité de sensibiliser les consommateurs aux risques qui peuvent se présenter sur leur chemin, nous avons travaillé, avec le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, au montage d'une campagne de sensibilisation déployée en novembre 2019 en réponse à l'afflux important de plaintes. Celle-ci a été complétée par des fiches pratiques, élaborées et régulièrement actualisées par la DGCCRF, que nous publions sur notre site internet : elles expliquent très simplement aux consommateurs leurs droits ainsi que les pièges à éviter. Par ailleurs, nous réfléchissons avec le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires aux moyens d'amplifier les efforts de communication de proximité auprès des consommateurs, en mettant l'accent sur les plus vulnérables en raison de leur isolement géographique. Je signale qu'un assez grand nombre d'opérateurs sévissent en zone rurale et profitent effectivement de la fragilité de certains résidents. Nous essayons ainsi d'améliorer la prise de conscience et de diffuser les réflexes utiles : nous préconisons aux consommateurs de s'orienter en priorité vers le service public de la rénovation énergétique France Rénov' pour pouvoir obtenir de premières indications sur la démarche à suivre pour effectuer des travaux ; puis, en cas de concrétisation du projet, le consommateur est invité à solliciter le dispositif Mon Accompagnateur Rénov.

Parallèlement à cet accroissement des actions destinées au consommateur, nous avons, au sein de notre réseau, appuyé la montée en charge des services d'enquête en renforçant la formation. Le programme annuel qui est proposé associe un certain nombre de services comme l'Ademe, l'Anah et également le Cerema qui nous apporte un appui technique particulièrement utile pour expertiser les caractéristiques techniques et les performances des équipements de rénovation énergétique. Cela nous permet d'apprécier la véracité des allégations des opérateurs sur les économies d'énergie générées par leurs installations. Nous avons ainsi accompagné le déploiement des travaux de rénovation énergétique par une amplification de la surveillance avec un doublement du nombre d'établissements, qui est passé de 352 en 2017 à 679 en 2021.

Je souligne que pour articuler massification des travaux et lutte contre la fraude, le principal enjeu se situe en amont, dans les mesures d'appui et de sensibilisation des consommateurs que j'ai évoquées. Dans le secteur de la rénovation énergétique, on constate une importante asymétrie d'information entre les consommateurs et les professionnels. Les consommateurs doivent également faire face à une grande diversité d'opérateurs et le paysage des entreprises de ce secteur a très sensiblement évolué au cours des dernières années avec une division des tâches entre de multiples opérateurs : on retrouve au début du processus des sociétés purement commerciales qui collectent des données ou se livrent à du démarchage téléphonique en sollicitant les prospects et, à l'autre bout de la chaîne, des professionnels qui réalisent des travaux. Cette séparation des tâches peut complexifier la situation des consommateurs qui, en cas de difficulté, ne savent plus exactement vers qui se retourner dans ce mécanisme de dilution volontaire des responsabilités. J'ajoute que de telles structures sont pour une bonne partie éphémères et qu'une partie du réseau n'est pas localisé en France : les donneurs d'ordre peuvent ainsi agir en dehors des frontières nationales et générer des flux financiers extrêmement rapides qui transitent vers des comptes situés dans des pays tiers, y compris en dehors de l'Union européenne. Ces facteurs expliquent la complexité des enquêtes.

Le marché de la rénovation énergétique, encore en phase transitoire, n'a pas encore atteint un degré de maturité suffisant. Il en résulte une inadéquation entre, d'une part, une demande de travaux fortement stimulée par les autorités publiques grâce à des aides et, d'autre part, une offre de services fiable qui demeure aujourd'hui limitée. Cette situation appelle le développement de plans de formation massifs pour professionnaliser les acteurs de marché. Ce sujet est suivi par le ministère du travail, du plein emploi et de l'insertion. De notre côté, nous souhaitons que s'ajoutent aux compétences techniques acquises par les professionnels - qui sont absolument indispensables à la bonne réalisation des travaux - un volet consacré aux principes essentiels du droit de la consommation, car nous constatons dans ce domaine, au cours de nos enquêtes, des lacunes récurrentes qui sont de nature à fragiliser la relation de confiance entre consommateurs et professionnels. Nous sommes donc très soucieux que le processus de qualification reconnu garant de l'environnement(RGE) puisse incorporer un module relatif au droit de la consommation adapté aux besoins et aux contraintes des entreprises. Ce travail est en cours dans le cadre du groupe qui doit définir les contenus de la formation aux économies d'énergie dans le bâtiment (Feebat) à l'intention des entreprises candidates au label RGE ou qui le détiennent.

Il nous semble également important que les programmes d'aides publiques soient conçus de manière à ne pas être trop attractifs pour les professionnels indélicats et je signale que, par le passé, le programme d'isolation à un euro avait été fortement générateur de plaintes.

Nous poursuivons nos efforts en liaison étroite avec les autres services de l'État pour bien articuler nos contrôles. En effet, nos expertises complémentaires renforcent l'efficacité des moyens d'action en permettant d'appréhender un opérateur sous différents angles comme les pratiques commerciales et de fraude fiscale ou sociale. Nous avons souligné la mobilisation des parquets sur cette thématique et il est important que cette dynamique se poursuive afin que les contrôles puissent être prolongés par des sanctions percutantes, de façon à lancer un message aux opérateurs sur les risques encourus en cas de fraude ou de manquement.

M. Oussama Djeddi, président et cofondateur de Spekty. - Nous sommes un bureau de contrôle qui s'inscrit dans le cadre du dispositif des certificats d'économie d'énergie (CEE). Notre mission, qui est de contrôler les travaux de rénovation énergétique après leur réalisation par les entreprises, porte sur quatre thématiques principales.

La première concerne la clarté de l'offre : bien que le rôle du bureau de contrôle soit limité dans ce domaine puisque nous intervenons en fin de chantier, nous vérifions que les délais ont été respectés et que le particulier a bénéficié d'une information claire sur ses devis ainsi que sur le « cadre contribution CEE » - il s'agit d'un document qui spécifie le montant des aides attribuées - et sur les autres documents techniques relatifs à l'opération.

Le deuxième volet de notre contrôle concerne les critères d'éligibilité au dispositif CEE : par exemple, s'agissant des travaux d'isolation, nous vérifions que la résistance thermique minimale exigée par une fiche d'opérations standardisées est respectée. Nous examinons ensuite les paramètres de calcul des CEE pour déterminer le volume de certificats qui sera attribué à l'opération : pour reprendre l'exemple précédent, cela correspondra à la surface concernée par les travaux d'isolation. Nous vérifions également la pérennité des performances et le respect des normes de sécurité pour l'ouvrage et les personnes.

Je rappelle que le rôle du bureau de contrôle, dans le cadre des CEE - en complément de l'action des différents organismes de l'État pour traquer les fraudes - a été imaginé en 2017-2018 pour intervenir avant la phase de dépôt des demandes de certificats d'énergie. Ce rôle avait été conçu avec la garantie d'un degré élevé d'indépendance et d'impartialité puisque l'État a exigé que les organismes soient accrédités par le Cofrac avec un niveau que l'on appelle « type A » : il s'agit du niveau le plus élevé des trois paliers que comporte le référentiel Cofrac et il interdit tout lien d'intérêt. Notre contrôle avait été mis en place dans un contexte de hausse de la fraude, au moment de l'application du dispositif d'isolation à un euro.

Cette mesure salutaire a ensuite été relayée par un renforcement des politiques de contrôle. Cependant, le bémol que je signale ici modestement réside dans l'apparition de conflits d'intérêts, avec des liens qui ont pu se nouer entre certains bureaux de contrôle, d'une part, et des entreprises de travaux ou des demandeurs de C2E, d'autre part. Dans d'autres cas, certains bureaux de contrôle se sont adonnés à de la fraude pure et simple. Partant initialement d'une exigence d'intégrité maximale, une telle dérive a pu se développer en raison de flous réglementaires, d'absence de textes clairs et de la sophistication des fraudes.

Une enquête du magazine Le Moniteur a très bien documenté ce phénomène et M. Pierre Pichère va sans doute vous en faire un exposé détaillé : je note simplement qu'au final, les bureaux de contrôle ont été conçus pour éliminer la fraude, mais qu'une partie d'entre eux est peu regardante ou complaisante, voire même frauduleuse délivrant des tampons de validation de fraudes. Cela génère des corridors de fraude qui vont de l'auditeur peu scrupuleux - et impliqué dans des liens avec d'autres entités - à l'entreprise qui bâcle les travaux, en passant par un demandeur de CEE qui veut s'acquitter à bon compte de ses obligations avec, parfois, l'aide d'un bureau de contrôle peu strict qui va tamponner les justificatifs parce qu'il fait partie du même écosystème. En fin de compte, le consommateur a l'impression d'avoir vu cinq acteurs différents et en retire un faux sentiment de sécurité. De son côté, le pôle national des certificats d'économies d'énergie (PNCEE) a également l'illusion que ses exigences ont été respectées, mais le résultat global n'est visiblement pas un succès.

J'attire l'attention sur un risque de dérive similaire dans le processus qui confie un rôle central à l'Accompagnateur Rénov' : si aucun dispositif de contrôle n'est mis en place, des pratiques équivalentes pourraient demain se reproduire. À mon avis, c'est là que se situe l'enjeu crucial : le contrôle antérieur aux travaux est un des outils de la lutte contre la fraude - ce n'est pas le seul - et il faut exiger de sa part le même niveau d'indépendance que celui des agents de l'État qui sont bien représentés ici. Il ne faut pas laisser se développer des liens d'intérêts qui sont de nature à atténuer, voire annihiler l'efficacité du contrôle en donnant l'illusion trompeuse d'une rigueur qui n'est pas effective sur le terrain.

Nous avons mené une étude, en tant que bureau de contrôle, en effectuant un retour d'expérience sur 36 000 inspections que nous avons réalisées en 2021 et 2022. Ces inspections couvrent un périmètre global d'environ 400 000 chantiers sur lesquels nous avons prélevé un échantillon aléatoire et représentatif pour effectuer ces 36 000 visites sur site. Quel que soit le niveau de travaux, nous avons constaté un taux de non-conformité d'environ 25 %. Le niveau de conformité se situe autour de 50 % et, pour le reste, je signale l'existence d'une proportion de chantiers non vérifiables et impossibles à comptabiliser dans la catégorie conforme ou non conforme - ces chantiers correspondent par exemple à des combles, des compteurs inaccessibles ou des travaux d'isolation réalisés en passant par le toit.

S'agissant des 25 % de non-conformité, nous avons constaté une multitude de problèmes avec des fraudes liées soit à la quantité d'isolant, dans le but de gonfler artificiellement les primes CEE, soit au fait de ne pas avoir effectué les travaux ou de les avoir réalisés dans des zones non éligibles aux aides. Je cite également l'exemple des travaux d'isolation dans un garage ou une grange qui ne sont pas habités. Nous avons également constaté des problèmes de qualité liés à un manque de formation ou de maîtrise du travail, et de tels travaux peuvent parfois être dangereux.

On rencontre aussi des problèmes dans la maîtrise de la documentation liée au dispositif : tel est typiquement le cas si l'on constate que le formulaire « cadre de contribution CEE » n'est pas transmis ou si les critères d'éligibilité ne sont pas respectés ; je qualifierais ces situations en employant le terme de non-maîtrise du dispositif plutôt que de fraude ou de défaut de qualité. Enfin, certaines difficultés sont imputables à des artisans peu scrupuleux qui font traîner en longueur les travaux ou les font mal.

M. Pierre Pichère, journaliste au Moniteur. - J'ai publié entre janvier et février 2023 une série d'enquêtes dans Le Moniteur des artisans, sur le site internet du Moniteur et dans Le Moniteur hebdomadaire. Ces enquêtes ont démarré en décembre 2022, lorsque des industriels, des négociants et des entreprises de travaux artisanales, m'ont alerté sur le fait que l'Anah avait cessé de leur verser les sommes dues au titre de MaPrimeRénov' : ces entreprises avaient le statut de mandataire leur permettant de recevoir les subventions directement. Or, ces paiements s'étaient arrêtés depuis plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Beaucoup d'élus locaux et de parlementaires ont alors été saisis par ces entreprises locales.

J'ai cherché à en savoir un peu plus et je note que la situation n'est toujours pas réglée. S'agissant des montants concernés, j'ai gardé en mémoire le cas d'une entreprise qui évoquait 2 millions d'euros en attente de paiement pour une quinzaine de millions d'euros de chiffre d'affaires, ce qui pèse sur sa santé financière dans un contexte économique difficile de hausse des coûts. Pour les entreprises artisanales, le chiffre d'affaires était plus restreint, mais le ratio était à peu près similaire. On parle donc de sorties d'argent qui mettent en péril des opérateurs qui, de bonne foi, s'étaient engagés dans un dispositif public.

L'Anah n'a pas souhaité justifier l'arrêt de ces paiements autrement qu'en invoquant la lutte contre la fraude. Je me suis donc demandé quelles irrégularités pouvaient justifier le fait de mettre à ce point en difficulté des entreprises que je savais honnêtes : cela ne veut pas dire qu'elles n'ont jamais commis d'erreur, mais, en tout cas, elles ne méritaient pas un tel traitement.

Mes recherches ont conduit à sortir une première enquête en cinq volets ; je précise ici que Le Moniteur étant un journal professionnel, je ne me suis pas intéressé aux fraudes du point de vue des consommateurs évoquées par les représentants de la DGCCRF. J'ai ciblé mes investigations sur les professionnels de la fraude qui, parfois, portent atteinte aux consommateurs, mais pas systématiquement, soit parce que ces fraudes interviennent dans le secteur non résidentiel où il n'y a pas de consommateur cocontractant, soit dans des cas comme l'isolation d'une grange qui n'est pas éligible aux aides. De tels travaux ne nuisent pas aux consommateurs et ils peuvent même parfois en profiter.

Ce premier volet d'enquête a mis en lumière une série de mécanismes de fraude, non exhaustive, mais qui donne un panorama de ma compréhension du phénomène, en mettant en évidence, tout d'abord, l'importance majeure des « leads » ou « contacts qualifiés ». Des groupes WhatsApp d'escrocs de la rénovation énergétique - qui utilisent bien entendu des appellations moins stigmatisantes - témoignent d'une très grande réactivité aux dispositifs publics et échangent des conseils stratégiques comme celui de privilégier encore, pendant deux mois, la pose de chaudières avant de se préparer à une offensive sur le poêle à bois... - ils échangent donc - disons plutôt leurs mauvaises pratiques que leurs bonnes pratiques qui recouvrent tout un tas de procédés. S'agissant des faux comptes à l'Anah, dont vous avez été, je pense déjà saisis, on a ici affaire à des acteurs qui ont, pour certains d'entre eux, déjà oeuvré dans le compte personnel de formation (CPF) ou d'autres dispositifs publics : ils investissent dès lors le secteur de la rénovation énergétique avec des bases solides, en disposant des identifiants France Connect, qui sont le sésame pour aller se porter mandataire sur le site de l'Anah au nom de particuliers qui ne sont même pas au courant qu'ils ont déposé une demande de dossier. Par la suite, l'argent disparaît dans les circuits qu'ont décrits les représentants de la DGCCRF.

Dans mon enquête, un sérieux problème est apparu avec certains produits et, en 2022, je disposais surtout d'informations sur la ventilation mécanique contrôlée (VMC) double flux qui a fait l'objet d'une bonification de MaPrimeRénov'. Plusieurs acteurs ont trouvé les moyens d'inonder le marché avec des produits extrêmement non conformes en provenance d'Italie, d'Espagne ou d'ailleurs, qui étaient installés à toute vitesse. Évidemment, on n'a jamais pu les rattraper, car l'imagination des fraudeurs va toujours plus vite que les possibilités de les contrôler. Je signale que certains industriels ayant pignon sur rue dans le domaine de la ventilation m'ont indiqué que leurs parts de marché avaient baissé, alors que le dispositif rencontrait un succès incroyable. Cela signifie que les produits installés n'ont pas profité aux industriels sérieux qui avaient investi en France et en Europe.

Depuis, j'ai appris beaucoup de choses sur le solaire thermique, qui subit exactement le même genre de dérive, en particulier avec l'installation de « thermosiphons », qui sont ces ballons à la grecque ou à la méditerranéenne qu'on voit sur les toits. Ils sont probablement très bien adaptés au climat dans le bassin méditerranéen, mais quand on met un ballon d'eau chaude sur un toit en Auvergne, l'eau n'y reste pas chaude.

Le dernier sujet que j'ai abordé concerne la fiche d'opération standardisée CEEBAR-TH-164 « Rénovation globale d'une maison individuelle (France métropolitaine) » utilisée pour financer la rénovation globale. Ce dispositif, qui détermine un volume de certificats en fonction de l'état initial du bâtiment et de son point d'arrivée après travaux, était particulièrement attractif avant décembre 2021 et a suscité trois niveaux de fraude. Le premier consiste à antidater les devis : l'État ayant rendu possible jusqu'au 31 mars dernier le dépôt de devis antérieurs à décembre 2021, on voit affluer en ce moment des volumes considérables de rénovation globale dont, à vrai dire, personne ne pense qu'elles soient réelles. Le deuxième moyen frauduleux consiste à dégrader l'état initial de la maison dans l'évaluation thermique : il n'y a alors pas besoin de beaucoup d'efforts pour générer un maximum de CEE. On m'a ainsi montré des études thermiques à La Rochelle basées sur une altitude de 1 900 mètres d'altitude, ce qui crée un vrai différentiel, ou encore des communes qui étaient artificiellement situées dans le département du Doubs qui est le plus froid de France. L'inventivité est remarquable dans ce domaine. Enfin, il y a une fraude technique sur la pompe à chaleur (PAC) : celle-ci est toujours considérée comme installée en basse température, avec un fonctionnement à 35 degrés, alors qu'en réalité, elle fonctionnera à 60 degrés, et donc, sa performance est surestimée.

J'ai consacré une deuxième série de recherches, en février dernier, sur les 51 bureaux de contrôle CEE accrédités par le Cofrac, dont la grande majorité est composée de personnes honnêtes et très compétentes - je ne jette pas l'opprobre sur cette profession. Je me suis livré à un travail d'identification de ces structures, de leurs dirigeants et de leurs liens d'intérêts et je précise qu'à mon avis ces liens ne semblent ni particulièrement légaux, ni nécessairement illégaux, compte tenu du flou réglementaire que je n'ai pas pu élucider. Il est apparu que 27 % de ces bureaux de contrôle - soit une quinzaine sur 51 - présentaient des liens soit avec les entreprises de travaux, soit avec le monde des CEE. Cela signifie qu'on retrouve le phénomène décrit par M. Oussama Djeddi, c'est-à-dire un système qui peut fonctionner en vase clos en impliquant un énergéticien, un délégataire de ces CEE, des entreprises de travaux, un bureau de contrôle et un évaluateur thermique. Une telle collaboration peut s'avérer très utile, en particulier pour valider la fiche d'opération globale 164 dont je vous ai parlé : une fois qu'on a réuni toutes les pièces du puzzle, on peut produire du C2E à tour de bras.

M. Oussama Djeddi. - Juste une précision : cette fiche est contrôlée par le bureau de contrôle, ce qui n'a pas empêché la fraude de se développer allègrement.

M. Pierre Pichère. - Je précise que le Cofrac fait mention, dans les critères d'accréditation des bureaux de contrôle, de la compétence technique requise. Il m'a semblé très difficile d'évaluer la compétence technique d'un bureau de contrôle, mais je garde le souvenir de l'un d'entre eux qui a le même gérant qu'un magasin de scooters à Paris avec la même adresse et aucune plaque sur le bâtiment. De plus, le profil du gérant ne laisse pas supposer qu'il en sache plus que moi sur les travaux, et même probablement moins - je vous livre ces informations avec toutes les précautions d'usage.

En conclusion, cette enquête, à laquelle j'ajouterai sans doute d'autres volets, me laisse un sentiment partagé. Du côté de l'Anah, je ne crois pas du tout à la pertinence des réponses qu'ils essaient d'apporter à la fraude, mais j'ai l'impression qu'ils essaient de réagir, par exemple en suspendant les paiements, le temps d'effectuer des contrôles. Cet arrêt reste à mon avis très problématique, mais il témoigne en tout cas d'une volonté de mobilisation contre les fraudes.

Du côté des CEE, je n'ai pas eu le même sentiment. En effet, j'ai écrit un article en mars dernier pour décrire les volumes importants de formulaires 164 litigieux, mais, à ma connaissance, le pôle national des certificats d'économies d'énergie (PNCEE) n'a toujours pas ordonné de contrôle systématique a posteriori de ces formulaires, alors que toute la filière estime qu'ils sont à 90 ou 95 % frauduleux. Je n'ai donc pas senti qu'il y avait du côté des CEE une volonté de s'attaquer au problème aussi forte qu'à l'Anah.

J'ai également été assez surpris de constater, mais peut être la DGCCRF pourra-t-elle me contredire, que le fichier centralisé des chantiers en France qui était semble-t-il prévu par la loi de 2019 n'existe pas. Les organismes de qualification comme Qualibat sont extrêmement conscients du problème et ne sont pas associés par l'administration à la mission interministérielle de coordination antifraude (Micaf) : celle-ci a souligné sa nature administrative alors que Qualibat relève du secteur privé, mais je fais observer que la contestation des décisions de Qualibat doit être portée devant les tribunaux administratifs, ce qui témoigne de sa proximité avec le service public.

Au final, l'État, dans son ensemble, reste encore loin d'être en mesure de doubler les fraudeurs dans leur inventivité. Des inquiétudes subsistent sur Mon Accompagnateur Rénov ainsi que sur Ma Prime Adapt' qui sort du champ de la rénovation énergétique, mais qui arrive dès l'année prochaine dans le domaine de l'accessibilité et qui promet, si le dispositif est calqué sur MaPrimeRénov', quelques désagréments majeurs, essentiellement pour les consommateurs.

M. David Rodrigues, juriste secteur habitat à l'association Consommation, logement, cadre de vie (CLCV). - Je ne vais pas revenir sur la protection du consommateur puisque la DGCCRF est intervenue longuement à ce sujet.

À titre de cadrage introductif, j'indique que, de manière générale, la réalisation de travaux quels qu'ils soient donne lieu, de façon très importante, à des litiges. Ce n'est pas spécifique à la rénovation énergétique. Dès lors qu'un professionnel ou un artisan intervient, vous avez très régulièrement des malfaçons ou différents problèmes qui génèrent des insatisfactions comme les retards, ou les abandons de chantier, ou dans le meilleur des cas, des travaux réalisés avec des malfaçons. Les litiges liés à la mauvaise organisation des travaux de rénovation ou à la mauvaise performance des économies d'énergie par rapport aux attentes ne sont donc pas surprenants étant donné la nature générique de cette problématique.

Les difficultés peuvent se rattacher à la signature à la va-vite de contrats d'adhésion ou même de simples devis signés et tout juste datés sans que soient fournies les informations légalement requises sur la durée du chantier ou sa date d'achèvement. Il serait souhaitable de cadrer tout cela avec un contrat-type clairement formalisé et, en ce qui concerne les travaux d'économie d'énergie, une obligation pour le professionnel de fournir toutes les informations utiles permettant aux consommateurs, le cas échéant, de procéder aux contrôles pertinents.

Ensuite, nous estimons que les litiges sont grandement favorisés par la très grande complexité des différentes aides existantes. Je défie quiconque, y compris parfois les spécialistes, de s'y retrouver entre les aides de l'Anah, les aides locales qui complètent les subventions nationales et les crédits d'impôt. Dans ce contexte, il est facile pour les professionnels ayant suffisamment de bagou - et ce sont les plus redoutables - d'indiquer au consommateur qu'il n'aura rien à débourser si ce n'est une avance remboursable de 3 000 à 5000 euros : le consommateur appose sa signature, mais ne verra jamais son chèque de remboursement arriver.

Malgré les efforts de communication consentis par les pouvoirs publics, l'Ademe et l'Anah, le consommateur moyen a du mal à s'orienter dans le maquis des aides disponibles : il faudrait donc intensifier l'information et peut-être simplifier les aides. Il est censé exister un guichet unique de la rénovation énergétique, mais il est peu connu et il faut sensibiliser les consommateurs à son sujet. S'agissant du démarchage à domicile, qui est normalement interdit, nous conseillons régulièrement au consommateur d'attendre avant de s'engager et de vérifier les qualifications professionnelles de son démarcheur ; nous rappelons que c'est le professionnel qui, dans ce cas, cherche à conclure une opération - et pas l'inverse.

La plupart de nos actions sont centrées sur la sensibilisation du consommateur ainsi que des copropriétaires ; les syndicats de copropriété n'ont cependant pas la qualité de consommateur et nous les renvoyons vers les organismes existants comme l'Anah ou France Rénov'. Nous signalons également l'existence du label RGE, mais celui-ci n'est pas toujours bien compris par le consommateur qui peut faire l'amalgame avec d'autres types de labels à connotation commerciale. Il n'est pas non plus simple pour le consommateur de savoir quelle est la portée de sa garantie dans le cas où une entreprise labellisée RGE sous-traiterait les travaux à une entreprise qui ne l'est pas, et, au total, nos efforts de sensibilisation restent insuffisants.

En ce qui concerne votre interrogation sur le lien entre la lutte contre la fraude et la massification des travaux d'économie d'énergie, on peut tout d'abord souligner que la priorité est de réprimer la fraude, quelle que soit son incidence. Je m'interroge cependant sur l'impact de l'accentuation de la lutte contre les fraudes sur le volume des travaux de rénovation. J'observe à cet égard que la fraude est généralement plus fréquente dans les maisons individuelles que dans les immeubles en copropriété où les témoignages concernent surtout les malfaçons. Les travaux ponctuels à un euro comme le calorifugeage ou l'isolation ont sans doute généré des abus avec des travaux réalisés plus ou moins bien. Cependant, il me semble que les grosses opérations de rénovation sont conduites avec plus de sérieux.

Bien souvent, le consommateur engage des travaux d'économie d'énergie en raison de la contrainte liée à la décence du logement : c'est le cas du propriétaire bailleur qui veut échapper à l'interdiction de mettre son bien en location. Il y a également le motif prédominant de l'amélioration du confort ainsi que celui du pouvoir d'achat lié à la hausse de l'énergie. La réalisation des travaux d'économies énergie est donc ressentie comme une nécessité et la crainte de la fraude n'est pas nécessairement un frein. Il faut dès lors protéger le consommateur contre les mauvais professionnels en améliorant les contrôles et les sanctions, en particulier pour le démarchage téléphonique, avec le dispositif Bloctel. Je rappelle la souplesse qui a été accordée dans ce domaine et il convient d'être attentif à la façon dont les professionnels vont investir ces possibilités dérogatoires d'appel téléphonique en semaine à certaines heures ouvrables. Enfin même si les brebis galeuses continueront sans doute à conserver une longueur d'avance en se localisant à l'étranger, il faut à mon sens également apporter quelques correctifs juridiques pour anticiper les fraudes avec des contrats normés assortis de clauses obligatoires et éventuellement des pénalités de retard qui pourraient être imposées automatiquement, comme c'est le cas pour les contrats de construction de maisons individuelles. Certains travaux d'économie d'énergie peuvent être extrêmement coûteux et, par conséquent, les pénalités de retard pourraient avoir un effet dissuasif. Enfin, il convient de sensibiliser les consommateurs sur l'intérêt du label RGE qui ne me semble pas encore bien compris.

M. Michel Debiais, administrateur national de l'association de consommateurs UFC-Que choisir. - Nous sommes d'accord, dans les grandes lignes, avec toutes les observations que l'on vient d'entendre. Nous soulignons également les avantages de la rénovation énergétique pour le consommateur de base qui peut ainsi obtenir une réduction de ses factures, un meilleur confort thermique en hiver ou en été et moins de risques en cas de crise et de hausse du prix de l'énergie. La rénovation énergétique est également bénéfique pour la collectivité et l'État, puisqu'une consommation moins élevée permet de diminuer notre dépendance aux fournisseurs d'énergie étrangers.

Toute la difficulté est de trouver un dispositif efficace et depuis un demi-siècle que j'observe attentivement les questions d'énergie, je suis étonné que malgré le consensus sur les bienfaits des économies d'énergie et de la rénovation des logements, on se soit tout de même retrouvés en difficulté au moment de la crise très grave de l'hiver dernier. Nous n'avons pas non plus de solution miracle à vous proposer, mais nous pouvons formuler quelques suggestions malgré tout.

Nous demandons d'abord, depuis très longtemps, que le consommateur puisse disposer d'une source d'information fiable et indépendante. Tout le monde l'a souligné et c'était le cas autrefois des points Info-Énergie, qui ont changé de nom trois ou quatre fois - et c'est un peu dommage. Nous constatons, comme n'importe qui peut le faire en interrogeant les personnes autour de soi, qu'elles sont confrontées au démarchage téléphonique - qui existe toujours - et à la publicité omniprésente dans tous les médias. En revanche, rares sont ceux qui connaissent la seule source d'information fiable, c'est-à-dire France Rénov' : de ce fait, il y a de fortes chances qu'ils tombent dans le panneau dès qu'un opérateur veut profiter de la situation, comme cela a été largement évoqué. La priorité est donc de disposer d'une source d'information indépendante, compétente, connue de tous et dotée de moyens appropriés. Comme en ont témoigné les associations que votre commission a entendues, les organismes en charge de l'accompagnement sont débordés, avec plus de demandes et moins de moyens pour y répondre. Les associations vous ont également signalé le besoin d'accompagnement de préférence indépendant par rapport aux artisans et aux entreprises. Nous sommes conscients du déséquilibre entre l'offre et une demande qui s'amplifie et nous savons très bien que les artisans n'ont pas bénéficié d'une mise à jour de leurs connaissances ou des formations permettant de faire face à la situation. De plus, en matière de DPE, nous avons réalisé une enquête dont ma collègue Lucile Buisson va vous parler et dont il ressort très nettement que les résultats sont en retrait par rapport aux attentes.

Mme Lucile Buisson, chargée de mission environnement, énergie et transports de l'association de consommateurs UFC-Que choisir. - Pour l'association UFC-Que Choisir, le secteur de la rénovation énergétique est particulièrement pourvoyeur de litiges dont le nombre avoisine 10 000 par an. Cela va du démarchage à la malfaçon en passant par l'abandon de chantier ou la non-obtention de l'aide promise par les professionnels. Ces litiges se polarisent sur les pratiques de commercialisation ainsi que sur des équipements particuliers.

S'agissant des pratiques de commercialisation, je souligne que les contrats souscrits dans les foires et salons sont problématiques. Je rappelle que ces contrats relèvent d'un régime juridique particulier qui leur permet d'échapper à l'obligation de prévoir un délai de rétractation. Des pratiques illicites sont également observées au sein des foires et salons avec des affichages frauduleux du label RGE. Par ailleurs, deux tiers, à peu près, des réclamations que nous recevons sont liées au démarchage physique. Nous avons accueilli l'interdiction du démarchage téléphonique comme une première avancée salutaire, mais le démarchage physique reste un fléau qui justifierait, à notre sens, une interdiction sectorielle.

En ce qui concerne les équipements, on recense des litiges particulièrement nombreux dans le domaine des pompes à chaleur et de l'isolation. Nous relions ce phénomène aux campagnes d'information dédiées à ces installations qui partent, bien entendu, d'une bonne intention, mais suscitent des effets d'aubaine ou des appels d'air largement exploités par des entreprises peu scrupuleuses. Pour ces deux produits, nous constatons une forte proportion de malfaçons et de non-achèvements de travaux. Nous estimons que ces arnaques ont contribué au développement d'une défiance des consommateurs vis-à-vis du secteur de la rénovation énergétique, qui exige des investissements importants pour le consommateur pour des gains en économie d'énergie qui ne sont pas toujours garantis.

Le parcours d'un consommateur lambda souhaitant faire exécuter des travaux de rénovation énergétique soulève avant tout la question de la définition des travaux à réaliser. Nos attentes à l'égard du dispositif Mon Accompagnateur Rénov sont ici importantes, et il en va de même pour France Rénov' qui assure un accompagnement à la fois administratif, financier - en particulier pour clarifier les différentes temporalités des aides - et technique. À notre sens, les objectifs des pouvoirs publics ainsi que les attentes des consommateurs en matière de rénovation énergétique doivent conduire à systématiser l'accompagnement en basant celui-ci sur un premier bilan proposant différents scénarios de rénovation globale. Nous faisons ici référence aux enquêtes Tremi - Travaux de rénovation énergétique des maisons individuelles - qui ont montré que les gains énergétiques proviennent majoritairement de rénovations globales. Celles-ci sont plus efficaces pour réduire la consommation énergétique et donc les émissions de gaz à effet de serre ainsi que les factures acquittées par les consommateurs. Au-delà de ces prérequis en matière d'accompagnement, il est, pour nous, essentiel d'assortir ces travaux d'un engagement portant sur les économies d'énergie : celui-ci peut se baser sur le DPE mesuré avant et après les travaux pour attester de leur validité et permettre au consommateur, si besoin est, et en cas de malfaçons par exemple, de faire valoir ces promesses contractualisées auprès du professionnel.

M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Merci d'abord pour l'ensemble de vos interventions très précises sur un sujet complexe. Elles font bien apparaître les problématiques liées à l'application de la politique de rénovation sur le terrain et les fraudes ou dérives qui peuvent se produire.

Ma première question s'adresse à la DGCCRF : vous avez globalement fait apparaître un grand nombre de fraudes liées à la rénovation thermique. Cependant, au cours de son audition, la ministre a semblé porter une appréciation très modérée sur cet aspect, en indiquant qu'au regard du nombre élevé de dossiers MaPrimeRénov', le niveau des fraudes était limité. Quel est votre avis à ce sujet et, objectivement, analysez-vous la fraude comme un phénomène plus massif que ne le font ressortir les propos de la ministre ?

Ensuite, vous soulignez que le contrôle sur place est important, à la fois pour détecter les fraudes, mais aussi pour vérifier que les travaux sont correctement faits. Estimez-vous que la DGCCRF dispose d'un effectif dédié suffisant ? Faudrait-il, par exemple, doubler ou tripler le nombre d'interventions dans ce secteur ?

Plus globalement, pouvez-vous citer des exemples de dispositifs en vigueur dans d'autres pays qui pourraient permettre de générer moins de fraudes et de contrôler plus efficacement le système ? Je pense en particulier au cas de l'Allemagne qui me semble intéressant. En France, on a, conformément à notre habitude, créé une signalétique RGE en estimant que les travaux réalisés par une entreprise labellisée sont réputés corrects et ne nécessitent que peu de contrôles, voire pas du tout, en fin de chantier : la prime est donc versée, quelle que soit, en réalité, la qualité des travaux. Il me semble qu'en Allemagne, peu importe la qualification de l'entreprise : ce qui compte avant tout, c'est le bilan qui est fait des travaux et leur conformité par rapport aux exigences qui ont été annoncées ; ensuite seulement la prime est versée. Avez-vous des indications et des remontées d'information sur ce sujet ?

Par ailleurs, en règle générale, on verse la prime et les aides aux particuliers ou à la personne qui fait les travaux. On pourrait aussi imaginer des aides qui soient versées à l'entreprise...

M. Oussama Djeddi. - Telle est la situation quand l'entreprise est mandataire de son client...

M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Certes, mais dans un grand nombre de cas, des consommateurs qui font exécuter des travaux ne parviennent pas à toucher leur prime, car ils ne disposent pas de l'ensemble des justificatifs. Au final, il leur arrive de ne jamais percevoir l'aide financière soit parce que les travaux n'ont pas été achevés, soit parce qu'ils n'ont pas obtenu de facture. Vous nous apporterez les précisions utiles sur le mécanisme du mandat, mais, pour avoir utilisé MaPrimeRénov', il me semble bien que celle-ci soit versée par principe au commanditaire et non pas à l'entreprise de travaux.

S'agissant de la transmission de données et du démarchage : pour avoir récemment effectué un test en constituant sur le site de France Rénov' un dossier d'isolation d'un logement, j'ai constaté qu'une demi-heure après, on reçoit un certain nombre d'appels, proposant notamment des pompes à chaleur. Cela signifie donc que les données introduites dans le fichier sont aussitôt transmises. Quelles sont vos informations à ce sujet et comment renforcer la protection des données ?

Dans le même sens, quand on entre dans un moteur de recherche, par exemple MaPrimeRénov 2023, le premier site qui est proposé affiche le logo du Gouvernement, mais c'est tout simplement un vendeur de pompes à chaleur qui hameçonne les clients. Le parcours classique d'un consommateur qui se renseigne sur les travaux de rénovation peut rencontrer ce type de confusion de nature à le désorienter : la DGCCRF a-t-elle des parades à ce sujet ?

Enfin, pourriez-vous faire le point sur la mise en oeuvre de la loi du 24 juillet 2020 relative au démarchage téléphonique qui interdit ce dernier, sauf si la personne a donné son consentement préalable et exprès ? Je m'interroge sur l'impact réel et le bilan d'application de ce texte : des procès-verbaux ont été dressés, mais le démarchage téléphonique a-t-il vraiment reculé et je m'interroge également sur le démarchage physique qui semble plus difficile à contrôler.

M. Romain Roussel. - En réponse à votre question concernant l'ampleur de la fraude à MaPrimeRénov' et l'efficacité du contrôle en général, je fais observer que nous avons encore peu de recul sur ce dispositif récent et a fortiori sur Mon Accompagnateur Rénov : les remontées d'enquêtes ne nous ont pas encore permis de dresser un bilan global. Nous constatons très souvent un certain nombre d'anomalies qui sont transversales à différents dispositifs, ce qui ne permet pas d'élaborer un système statistique suffisamment fin pour quantifier les différents types de fraudes par compartiments ou types de gestes, tels que l'isolation, les panneaux photovoltaïques, etc. Néanmoins, nous avons pu quantifier la fraude en nous basant sur les types de manquements et d'anomalies que nous avons pu détecter. En particulier, nous avons établi un chiffrage de l'indu généré par la fraude à la rénovation énergétique en utilisant les informations générées dans nos enquêtes annuelles. Sur la base de notre méthodologie, nous avons estimé que le montant de l'indu lié aux pratiques litigieuses décelées par nos contrôles avoisinait 22 millions d'euros pour l'année 2020 et plus de 92 millions d'euros pour l'année 2021. Toutefois, il ne faut pas interpréter ces chiffres comme un quadruplement des fraudes entre 2020 et 2021, car cela traduit également la montée en charge de nos contrôles. Ces montants doivent également être interprétés comme des minorants de la fraude globale, car nous ne pouvons pas faire d'extrapolation entre ce que nous détectons grâce à nos contrôles et le marché global, puisque nos enquêteurs ciblent en priorité les professionnels et les pratiques les plus problématiques ou faisant l'objet de signalements.

En ce qui concerne les effectifs déployés sur le terrain, nous avons presque doublé le nombre de contrôles entre 2017 et 2021 et ce mouvement se poursuit d'année en année avec l'objectif que j'ai mentionné de contrôler environ 1 200 établissements en 2023. L'efficacité du contrôle ne dépend pas seulement des moyens, mais aussi de la possibilité d'accompagner les enquêteurs sur le terrain, en leur proposant des formations et des actions de sensibilisation aux nouvelles techniques d'enquête et aux nouveaux types de fraudes. Je souligne cependant que la rénovation énergétique reste parmi nos priorités de développement stratégique.

S'agissant de la facilité ou de la difficulté du contrôle, il est vrai qu'un système qui permettrait de sécuriser davantage, en amont, le versement des aides publiques serait sans doute moins attractif pour un certain nombre de fraudeurs et permettrait de limiter l'ampleur de la fraude telle qu'on peut la constater sur le terrain. C'est pourquoi, à travers des campagnes de sensibilisation que nous avons pu développer par le passé et que nous souhaitons reproduire de nouveau, en lien avec les services du ministère de la transition écologique, de l'Ademe et l'Anah, il est important d'arriver à faire mieux connaître le dispositif France Rénov' et de mieux orienter les consommateurs vers ce tiers de confiance indépendant, ce qui contribuerait également à limiter la fraude.

Enfin, s'agissant de l'impact de la loi du 24 juillet 2020, je vous indique à nouveau que nous constatons, de la part des professionnels, des détournements et des contournements dont l'ampleur explique que la fraude n'a sans doute pas autant diminué qu'on aurait pu l'espérer. Je précise que le démarchage se poursuit via différents canaux puisque le démarchage téléphonique est interdit, mais pas le démarchage par SMS ni le porte-à-porte : ces voies détournées permettent aux professionnels peu scrupuleux de continuer à atteindre des marchés et des publics parfois fragiles pour leur vendre des travaux de rénovation plus ou moins inutiles et qui ne sont pas nécessairement les gestes les plus efficients pour effectuer des sauts de classe énergétique. Nous sommes sensibles à ce phénomène qui pourrait appeler de nouvelles avancées réglementaires ou législatives si l'on arrive à bien cerner effectivement ces difficultés ainsi que leur périmètre. À travers nos différents contrôles, on a pu constater une irrégularité dans 41 % des cas de démarchage téléphonique : cela continue d'être un irritant du quotidien pour les consommateurs et nous les incitons très fortement à faire des signalements via le site SignalConso, ce qui nous aide à enclencher des contrôles et des ciblages plus en amont.

M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Avez-vous des informations sur la vente ou la cession de données à l'occasion des dépôts de dossier MaPrimeRénov' ?

Le site d'un vendeur de pompes à chaleur que vous avez mentionné et qui utilise le logo du Gouvernement relève probablement de la pratique commerciale trompeuse interdite par la loi. Si vous avez des doutes sur un site ou une entreprise, vous pouvez contacter la DGCCRF pour signaler cette pratique.

Mme Miyako Guy. - L'incident que vous mentionnez relève, de façon générale, de la collecte de données ou « leads » par le biais de sites internet concernant des domaines variés. Il n'est pas rare que des opérateurs demandent à des consommateurs leurs coordonnées téléphoniques sans les informer de la manière dont ces données seront utilisées. On a donc des cas où des consommateurs sont sollicités pour des travaux énergétiques parce que leurs coordonnées, qu'ils avaient laissées sur d'autres sites, ont été récupérées. Pour cette raison, nous sommes particulièrement vigilants, notamment dans le cas de l'interdiction du démarchage téléphonique, sur l'argumentaire mis en avant par les professionnels pour recueillir les coordonnées téléphoniques : il est important que l'appel téléphonique soit en lien direct avec la prestation de service pour laquelle les coordonnées ont été recueillies.

M. Pierre Pichère. - J'ai oublié tout à l'heure de mentionner qu'une partie de mon enquête avait aussi porté sur l'évolution des offres de travaux à zéro ou un euro : le Gouvernement avait annoncé vouloir y mettre fin en raison des fraudes constatées par les associations de consommateurs. Le Gouvernement a indiqué qu'il y aurait désormais un reste à charge d'au moins 10 % pour éviter les abus. Pourtant, les offres du type « pompe à chaleur à un euro » sont encore proposées sur internet : j'ai identifié un montage qui consiste à abaisser jusqu'à zéro le coût du chantier en proposant, par exemple, aux particuliers d'héberger pendant un an une publicité de l'entreprise sur leur façade moyennant 1 000 euros. Une fondation reconnue - je crois - d'utilité publique a été créée pour recueillir des dons d'installateurs : elle se pare sous un discours émouvant de lutte contre la précarité énergétique, mais sert en fait à financer ce reste à charge. Il reste donc des mécanismes assez inventifs et dans ce cas précis, il n'est pas certain que la fraude soit avérée.

S'agissant du versement direct des primes aux entreprises, c'est exactement ce que le Gouvernement a introduit en 2019 avec MaPrimeRénov', via une possibilité faite aux particuliers de désigner un mandataire : celui-ci est potentiellement un artisan, mais peut aussi être un négociant ou un industriel. On retrouve ici le problème que j'ai soulevé en début d'exposé : l'Anah a cessé de les rémunérer pour tenter d'identifier les fraudeurs. Ce dispositif est également à l'origine des faux comptes créés sur le site de l'Anah, puisque c'est en se déclarant mandataire et en récupérant des identifiants France Connect que certains fraudeurs ont pu faire verser sur leurs comptes des sommes qui auraient dû revenir à des artisans.

Quant à l'efficacité du dispositif CEE, la liberté de ce marché est totale et la créativité s'exprime à travers différents procédés : certains opérateurs vont faire des offres groupées diminuant les prix, d'autres vont choisir de remettre une prime à un particulier et d'autres vont rémunérer l'artisan. Je ne suis pas sûr que ce dispositif ait fait la preuve de son efficacité dans la lutte contre la fraude et j'ai même envie de dire, au contraire, qu'il y en avait beaucoup moins à l'époque du CITE qu'il n'y en a aujourd'hui.

Je voulais également attirer votre attention sur le nombre de contrôles qu'un même chantier est susceptible de connaître. En dehors d'un contrôle DGCCRF potentiel - a posteriori ou sur dénonciation d'un consommateur - un même chantier peut faire l'objet d'un audit RGE, d'un contrôle Bureau Veritas mandaté par l'Anah pour vérifier la conformité des travaux réalisés avec les critères de MaPrimeRénov', auquel s'ajoute le contrôle d'un bureau agréé par le Cofrac pour le volet CEE. On va donc payer trois contrôles à peu près sur le même référentiel, ce qui n'a pas à mon sens beaucoup d'efficacité : il est probable que l'on devrait songer à fusionner ces trois contrôles. Cela permettrait à un même inspecteur de s'assurer de la conformité CEE ainsi que du dispositif MaPrimeRénov' et éventuellement faire un signalement à un organisme de qualification sur l'audit RGE. L'inspecteur pourrait peut-être disposer de trois à quatre heures à examiner un chantier, si cela s'y prête, alors que certains tarifs incitent évidemment à limiter la durée de la vérification, car le bureau de contrôle reste une entreprise privée qui doit être profitable, ce qui est normal.

Enfin, je n'ai pas de connaissances particulières sur les mesures prises à l'étranger, mais nous avons quand même en France, et peut-être ailleurs, des compteurs communicants Linky ou Gazpar qui, en temps réel, informent de la consommation énergétique : ce sont des outils incroyables pour savoir si des économies d'énergie ont été réalisées. Or il est probable qu'un jour, la rénovation énergétique doive sortir de son obligation actuelle de moyens pour en arriver à une obligation de résultat qui conditionnerait les aides à une réduction effective de la consommation d'énergie. La fraude deviendrait alors beaucoup plus compliquée et le dispositif beaucoup plus efficace, mais peut-être un peu plus lent, car évidemment, il faudra attendre pour analyser les résultats.

Mme Lucile Buisson. - Je souligne la corrélation entre les entreprises pratiquant le démarchage physique et les problèmes d'achèvement des travaux. S'agissant du démarchage téléphonique, son interdiction, bien qu'elle soit contournée, a une certaine efficacité puisqu'on a enregistré une baisse du nombre de signalements, même s'il en existe toujours. On pourrait donc supposer qu'une interdiction du démarchage physique produirait des effets similaires. Je rappelle que les pratiques de porte-à-porte sont particulièrement agressives : j'utilise ce terme, car on se retrouve avec des consommateurs qui ont l'impression d'avoir signé un bon de passage, par exemple, et qui en réalité ont signé un bon de commande, voire un prêt et peuvent ainsi se retrouver dans des situations difficiles. J'ajoute que les prix pratiqués dans le cadre des contrats souscrits en porte-à-porte sont également prohibitifs tandis que les installations, notamment les pompes à chaleur, sont parfois sous-dimensionnées par rapport aux besoins. Clairement, les entreprises qui utilisent le démarchage physique ont de mauvaises pratiques, il faut recourir à un moyen simple et efficace de limiter les fraudes en la matière.

M. Oussama Djeddi. - Je vous apporte quelques précisions pour clarifier la distinction entre les versements directs de primes et les versements intermédiés, tant pour les CEE - avec une remise en bas de facture - que pour MaPrimeRénov' en passant par un mandataire.

Sans pouvoir apporter de chiffres précis, je souligne qu'il y a moins de risques de fraude avec les versements directs, car ce sont généralement les consommateurs avertis qui ont recours à ce dispositif. En revanche, ce sont souvent les consommateurs démarchés par des intermédiaires qui sont mal informés et victimes d'arnaques : l'intermédiaire démarcheur vante la « gratuité » des travaux, mais bien évidemment quelqu'un va payer la prime intermédiée ; la situation est alors propice au brouillage de l'information il est difficile de comparer des offres gratuites.

En ce qui concerne les solutions, je fais observer qu'un certain nombre de textes en vigueur sont encore frappés d'une certaine naïveté et créent des conditions propices à la fraude. Je m'étonne un peu qu'on accorde tant d'intelligence et d'imagination aux fraudeurs : ils n'en sont pas totalement dénués, mais les normes comportent des lacunes qui leur facilitent la tâche. Avec l'aide d'un auditeur enserré dans des liens de dépendance, on peut facilement falsifier les dates ainsi que les audits sur les économies d'énergie - en exagérant le montant des économies d'énergie puisqu'on en a la possibilité - et au total obtenir plus d'argent que prévu pour les installations en endettant le consommateur au-delà du montant des travaux. De telles opérations sont moralement frauduleuses, mais j'en viens parfois à me demander si l'on peut les qualifier juridiquement de fraudes, mis à part le cas du démarchage qui enfreint la loi et mérite une sanction. En poussant les investigations, une anomalie pourra être détectée, mais les fraudeurs dont on parle profitent d'un dispositif et je me demande, quand ils se regardent devant la glace, s'ils ont l'impression de frauder ou d'optimiser un dispositif.

À mon sens, il y a vraiment un sujet de rétro-ingénierie des textes pour anticiper les possibilités de fraude. Quand on produit des normes sur le dispositif Mon Accompagnateur Rénov, on doit évidemment prévoir le cas où certains d'entre eux seront à la solde d'entreprises et valideront les travaux réalisés par ces dernières. On le sait pertinemment et ça ne sert à rien de se dire que potentiellement ça n'arrivera pas. Il en va de même avec Ma Prime Adapt' : on parle ici de personnes âgées d'une vulnérabilité extrême qu'on veut maintenir à domicile. Plutôt que de présumer une morale exemplaire de la part des accompagnateurs, il faut prendre conscience du potentiel de fraude et se préparer à y faire face avec des textes adaptés.

Deuxièmement, nous constatons que les moyens de contrôle mis en place aujourd'hui sont colossaux : à lui seul, notre seul bureau réalise 30 000 contrôles par an, le nombre total de contrôles se situe probablement entre 150 000 et 200 000 par an dans notre profession. Les données ainsi recueillies sont une matière première qui n'est pas - à ma connaissance - exploitée par la DGCCRF ou Qualibat, par exemple. Aujourd'hui, l'organisme Qualibat vous permet de renouveler votre RGE en choisissant trois chantiers ; bien évidemment, l'opérateur évalué ne va pas présenter les plus catastrophiques et l'évaluateur de Qualibat va ainsi pouvoir visiter ces trois chantiers exemplaires pour en constater la merveilleuse efficacité. C'est tout de même problématique. On dispose d'un ensemble monumental de données de contrôle depuis 2019 qui est peu utilisé. Je pense donc qu'il faut coordonner les efforts de l'État et du secteur privé - ce n'est pas un tabou - pour faire reculer le niveau de fraude à ce niveau-là.

De plus, quand on crée des garde-fous ou des tiers de confiance, deux solutions sont envisageables. La première, dans l'hypothèse où le guichet France Rénov' pourrait s'offrir les moyens d'être disponible à proximité pour tous les citoyens, serait de conditionner l'aide accordée à un consommateur à une sorte d'attestation de passage par le guichet France Rénov' - étant entendu que je ne parle pas ici de l'Accompagnateur Rénov. Ce guichet informerait le consommateur sur les fraudes potentielles dont il pourrait être victime s'il accepte un devis alléchant, mais éventuellement frauduleux. En revanche, si France Rénov' ne dispose pas de suffisamment de moyens, il faut s'appuyer sur le secteur privé avec une extrême vigilance sur l'indépendance réelle - et pas seulement supposée ou affichée - de ces acteurs, que ce soit l'Accompagnateur Rénov, l'auditeur énergétique ou le bureau de contrôle. C'est vraiment, à mon sens, un élément central, car en créant de faux tiers de confiance, on produit de fausses espérances et l'on tourne en rond dans la lutte contre la fraude.

Par ailleurs, je m'inscris en faux par rapport à l'affirmation selon laquelle la rénovation globale générerait moins de fraudes. Bien au contraire, la rénovation globale - en particulier dans sa version dite de 2021 - c'est le boulevard de fraude. En effet, ce n'est plus le Pôle national des certificats d'économies d'énergie (PNCEE) qui détermine le niveau des aides, mais l'auditeur. Je vous l'explique par un exemple. Dans le cas d'une maison répertoriée sur Géoportail avec une surface de 100 m2, si vous en avez isolé 50 m2 et que vous prétendez en avoir isolé le double, on peut vous croire - sous réserve d'un contrôle qui détectera facilement l'anomalie - et votre fraude sera limitée à 50 m2 d'isolation. En revanche, dans un audit, si vous prétendez générer 80 % d'économies d'énergie en basant les calculs sur une situation initiale fausse - par exemple en affirmant que le logement est une passoire thermique de niveau G et en demandant 8 GWh de CEE soit environ 60 000 euros d'aide - il est possible que la fraude soit validée si l'artisan en charge des travaux et le contrôleur sont complaisants. Par ailleurs, je signale l'explosion du nombre d'auditeurs qui sont passés d'à peu près une centaine à 1 100 ou 1 200 : il y a donc un véritable développement de cette filière.

Il y a donc un vrai boulevard de fraude dans le domaine de la rénovation globale et, en réalité, l'approche qui est aujourd'hui présentée comme globale ne l'est pas : elle se limite la plupart du temps, selon nos observations statistiques, à une combinaison de deux éléments à savoir une pompe à chaleur et une isolation obligatoire. On est loin de la définition stricte de la rénovation globale qui suppose le traitement des interfaces et des ponts thermiques : la plupart du temps, l'opération se résume au cumul de deux aides avec une multiplication par un facteur de deux à quatre. Si l'on avait maintenu l'isolation à un euro avec une pompe à chaleur à un euro, cela coûterait moins cher à l'État et l'on se raconterait moins d'histoires sur la prétendue rénovation globale qui n'en est pas une en réalité.

Il est donc essentiel d'encadrer le rôle de prescripteur dans la rénovation globale qui revient à l'auditeur et demain à l'Accompagnateur Rénov. À mon avis, il faut leur retirer la capacité de calculer les aides qui s'élèvent parfois à plusieurs milliers d'euros, car trop décentraliser ce décompte me semble dangereux, comme pourrait sans doute le démontrer une enquête sur la rénovation globale.

J'en termine en évoquant le thème de la massification versus la lutte contre la fraude. Si l'on veut massifier la fraude, il suffit de diminuer la lutte contre celle-ci et elle se développera tout naturellement. En revanche, si l'on veut réellement massifier la rénovation énergétique, il faut absolument lutter farouchement contre la fraude. J'attire votre attention sur le fait qu'aujourd'hui, un opérateur économique normal ne peut pas recourir au démarchage téléphonique, ce qui entraîne des coûts d'acquisition plus élevés. Les vraies entreprises commerciales, qui souhaitent devenir attractives en installant une marque doivent consacrer des budgets en publicité importants et perdent en compétitivité par rapport aux opérateurs, qui se contentent d'utiliser des centres d'appels à l'étranger. S'y ajoutent d'autres handicaps à surmonter pour les entreprises sérieuses qui n'optimisent pas les aides, réalisent de bons travaux et mettent en place des contrôles internes pour garantir la qualité ainsi qu'un service après-vente digne de ce nom.

Parfois, et c'est un paradoxe, l'écosystème défavorise l'opérateur économique sérieux par rapport au fraudeur. Une entité frauduleuse peut faire brutalement varier ses effectifs, par exemple, de 100 personnes, pour profiter du boom d'une isolation à un euro, à trois employés dans un bureau. De son côté, une entreprise sérieuse recrute et forme ses collaborateurs sur le long terme : elle est donc plus facilement mise à mal en cas de stop and go sur une aide, comme cela a été évoqué à propos de l'Anah, qui a interrompu ses paiements. Il faut lutter de façon acharnée contre les fraudeurs pour permettre aux acteurs sérieux de bénéficier d'une certaine égalité des chances et je leur souhaite par la suite d'être favorisés par rapport aux tricheurs.

M. Pierre Pichère. - Beaucoup d'artisans - que l'on peut classer dans la catégorie de l'excellence et du sérieux - avec lesquels j'ai pu communiquer par téléphone m'ont indiqué, d'une part, qu'ils n'étaient plus labellisés RGE, ce qui peut être constaté dans les statistiques, et, d'autre part, qu'ils avaient renoncé aux aides. Ces artisans réalisent les travaux avec tout leur coeur, leur excellence, leurs savoirs et toute l'estime qu'ils ont pour leurs clients. Ces artisans ayant quitté le dispositif RGE, leurs clients n'ont plus droit à MaPrimeRénov' : cela ne gêne pas particulièrement la clientèle aisée qui est peu éligible à MaPrimeRénov' et, pour ceux qui sont sensibles aux aides, l'artisan peut consentir une remise sur le devis. Vous avez évoqué le risque de perte de confiance des consommateurs, qui est bien réel, et je mentionne aussi le risque de perte de confiance du tissu économique sérieux et impliqué qui se détache des dispositifs publics parce qu'il ne croit plus dans sa vertu ou son efficacité.

M. Franck Montaugé. - Les observations que vous venez de formuler risquent de relativiser voire d'annihiler la question que je voulais vous poser, si ce n'est la proposition que je souhaite faire.

Je m'interrogeais, à partir de la présentation du représentant de la DGCCRF, sur la question de la normalisation du contrôle. Le processus de rénovation énergétique - je ne parle pas du RGE ou des normes qui l'accompagnent - est-il susceptible d'une normalisation qui permettrait, à certains points critiques, de procéder à du contrôle externe, dont vous avez cité les trois catégories, ou du contrôle interne - de type audits internes, comme cela existe dans certaines entreprises certifiées sur des référentiels ISO ou autres - pour produire de la confiance et pouvoir attester du respect d'une qualité de prestation ainsi que des normes qui vont avec. J'ai cru, en effet, comprendre, selon la documentation, qu'il y a une norme technique de recommandations et, d'autre part, une norme ISO qui compose le référentiel RGE. Ma question est donc de savoir si, à travers des audits propres à l'entreprise elle-même ou produits par l'extérieur, on est susceptible de maîtriser un peu mieux le processus global de la rénovation énergétique.

Mme Sabine Drexler. - Le représentant de l'association UFC-Que Choisir a évoqué le déficit de compétence des artisans ou des diagnostiqueurs. J'aimerais recueillir votre avis sur la prise en compte par les DPE des caractéristiques du patrimoine bâti à valeur historique ou architecturale. Celui-ci présente des spécificités hydrothermiques et requiert des matériaux particuliers ainsi que des interventions techniques adaptées. Ce type de bâti est-il, selon vous, correctement pris en compte et ne pourrait-on pas considérer que le DPE, dans sa configuration actuelle, relève d'une forme de tromperie puisqu'il ne reflète pas la réalité des performances de ce bâti et risque de générer des préconisations qui vont provoquer des dégâts - je pense ici notamment aux polystyrènes sur le pont de bois - ou même des démolitions. En effet, certains propriétaires vont renoncer à faire des travaux et, par la suite, on sait que dans le cadre du zéro artificialisation nette (ZAN), des promoteurs vont s'efforcer de racheter les terrains et démolir les maisons en leur affectant une moins-value. En vous écoutant, je m'inquiète en me disant que tous les excès deviennent possibles.

M. Michel Debiais. - Nous n'avons pas traité de dossiers particuliers concernant les bâtiments qui ont une valeur architecturale. En revanche, s'agissant de la confiance dans le DPE, je précise que malgré son appellation, il s'agit plutôt d'une « étiquette » énergie que d'un diagnostic au sens médical du terme. Pour les consommateurs, il y a souvent une difficulté à comprendre la différence entre ce DPE et un vrai diagnostic qui comporterait des projets de travaux.

Quand nous traitons des litiges, nous voyons surtout le bas de l'échelle dans les résultats. La fraude et l'arnaque représentent pour nous environ 10 000 dossiers. Je précise qu'il ne faudrait pas penser qu'il y a uniquement deux catégories de travaux avec l'arnaque, et puis, tout à fait en haut, les travaux parfaitement réalisés dont l'association négaWatt nous dit qu'ils ne représentent que 5 % des travaux de rénovation globale susceptibles d'atteindre les objectifs fixés pour 2050. Entre les deux, il y a tous les échelons, entre le zéro et le 10, avec souvent un problème d'efficacité des travaux et de confiance des consommateurs. En effet, il n'y a pas jusqu'à présent de garantie de résultat associée aux travaux. Quand on confie sa voiture au mécanicien pour régler le moteur, on aimerait bien qu'à la sortie, la voiture consomme cinq litres au cent comme prévu sans quoi on n'est pas satisfait. Pour le bâtiment, on rencontre une difficulté pour mesurer les résultats et nous comprenons tout à fait ce que vous a dit Olivier Sidler au cours d'une table ronde des associations organisée par votre commission : ce professionnel ultra-sérieux refuse la garantie en s'appuyant sur le fait que selon l'usage du bâtiment, d'énormes différences - de 50 à 100 %, voire plus - vont apparaître dans les factures. Il faudrait donc mettre au point un instrument de mesure permettant d'apporter cette garantie de résultat, avec par exemple, un DPE plus fiable qu'aujourd'hui qui serait réalisé avant travaux et après. Des travaux plus efficaces permettraient d'améliorer la confiance des consommateurs ainsi que la sobriété énergétique collective.

M. Oussama Djeddi. - Quand on évoque les contrôles internes menés par des entreprises certifiées, par exemple, ISO 9001, on traite moins de la fraude que de l'amélioration de la qualité, réelle ou perçue, de la part des clients : on se situe alors sur la partie vertueuse de l'iceberg.

Par ailleurs, les contrôles réalisés par des tiers indépendants et impartiaux sont efficaces. Cela permet d'améliorer la qualité, y compris en incitant, de façon pédagogique, les opérateurs honnêtes à mieux s'informer des évolutions techniques.

Ensuite, vous avez, dans la panoplie des contrôles, des labels qui comme le RGE permettent de certifier une entreprise, mais pas chacun de leurs chantiers. Il ne faut pas se tromper sur le sens de la dénomination : le « Reconnu garant de l'environnement » signifie que l'entreprise met en oeuvre un système de management de la qualité, mais ça ne veut pas dire que l'entreprise ne fait que de la qualité.

M. Franck Montaugé. - Entendons-nous bien. Les textes indiquent que le RGE repose sur deux normes : une norme française est une norme ISO. Plus en détail, ces normes portent sur la conduite d'un chantier, y compris l'accompagnement du maître d'ouvrage du diagnostic de départ jusqu'à la livraison finale.

M. Oussama Djeddi. - Le parallèle avec l'ISO 9001 est pertinent, car le RGE cible la capacité de l'entreprise à disposer d'un processus censé générer de la qualité, avec de la formation et des contrôles internes, mais on ne certifie pas les chantiers.

M. Franck Montaugé. - Selon les textes, le renouvellement quadriennal du label est consenti sur la base de chantiers en cours ou achevés.

M. Oussama Djeddi. - ... de trois chantiers que l'entreprise choisit elle-même en général.

M. Franck Montaugé. - Donc on est vraiment dans un processus de déroulement des chantiers : d'où la question - un peu difficile à formuler - de savoir si l'on peut identifier des points critiques sur lesquels pourraient s'appuyer vos contrôles pour améliorer les déroulements de chantiers.

M. Oussama Djeddi. - D'où la proposition que je formule : quand un chantier est contrôlé par un acteur privé ou public, il faut pouvoir en informer tous les acteurs de la chaîne et en particulier Qualibat - en charge du RGE - et les différents services de l'État qui luttent contre la fraude. Cela rejoint mon propos précédent sur la nécessaire coordination des efforts. Aujourd'hui, si, en contrôlant 50 entreprises je détecte la moitié de cas de non-conformité, Qualibat n'en est pas informé et cela me paraît poser un problème.

M. Franck Montaugé. - Le client ou le maître d'ouvrage, en cours de travaux, est-il en mesure de diligenter un contrôle ?

M. Oussama Djeddi. - Il peut déposer une plainte en tant que consommateur ou alors s'adresser à des experts du bâtiment. Je rappelle cependant qu'il s'agit la plupart du temps de chantiers éclair qui se déroulent en une journée, voire deux jours dans le cas de rénovations supposées globales, ce qui ne laisse guère le temps de réagir.

Mme Miyako Guy. - Je précise que la DGCCRF intervient sur les pratiques commerciales, mais nous ne contrôlons pas la bonne réalisation des chantiers : c'est le ministère de la transition écologique qui est compétent dans ce domaine. Toutefois, si un consommateur n'est pas satisfait de la réalisation des travaux, il peut le signaler à l'organisme de certification Qualibat qui a délivré le label RGE, ou à un autre organisme, pour qu'un audit soit effectué. Ces dernières années, les organismes de qualification se sont mobilisés pour prononcer des sanctions contre les opérateurs mal intentionnés. Par ailleurs, le dispositif Mon Accompagnateur Rénov est déployé pour permettre aux consommateurs de disposer d'une expertise tout au long de leur parcours et de signaux d'alerte de la part de cet accompagnateur s'il y a des difficultés dans la réalisation.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je vais céder la présidence de cette réunion au rapporteur pour que vous puissiez continuer vos derniers échanges. Je vous remercie très sincèrement d'avoir participé à cette table ronde dont la durée témoigne de son vif intérêt. N'hésitez pas non plus à nous retourner vos réponses au questionnaire que nous vous avons adressé.

- Présidence de M. Guillaume Gontard, rapporteur -

M. Guillaume Gontard, président. - Juste une précision complémentaire sur les contrôles : l'Anah nous a indiqué qu'elle effectuait environ 10 % de contrôles sur la masse des chantiers bénéficiant de ses aides. Avez-vous une idée globale du nombre de contrôles portant sur les 600 000 à 700 000 dossiers financés par MaPrimeRénov' et qui peuvent concerner divers travaux comme l'installation d'une pompe à chaleur ou une rénovation complète ? Combien de chantiers échappent à tout contrôle ?

M. Pierre Pichère. - Je n'ai pas d'informations particulières sur ce point, mais l'Anah effectue des vérifications téléphoniques auprès des particuliers ainsi que des contrôles de chantier. Le chiffre de 10 % me semble être un maximum : tout dépend du budget disponible, car chaque contrôle est effectué par un bureau Veritas avec un tarif fixé par appel d'offres et l'Anah n'a que les moyens qu'on lui donne.

Encore une fois si un contrôle CEE critique ou avec des points d'alerte était transmis à l'Anah - je crois que cela commence à se faire - et que Qualibat en était également informé - ce n'est pas le cas - des audits complémentaires pourraient être diligentés et les contrôles pourraient également être mutualisés pour plus d'efficacité.

M. David Rodrigues. - Dans l'idéal, il faudrait que tous les chantiers soient contrôlés, mais c'est matériellement impossible sauf à disposer de moyens quasi illimités et il faut rappeler que les chantiers peuvent être de très courte durée. On pourrait également prospecter auprès du consommateur, mais au final cela risque de tourner à son désavantage et l'obliger à rembourser l'aide financière qu'il a perçue si l'on constate a posteriori que les travaux ne sont pas conformes. Cela nous ramène au choix entre les versements intermédiés ou directs, ces derniers permettant d'éviter davantage la fraude. Cependant, j'ai en mémoire plusieurs cas avec MaPrimeRénov' où des consommateurs sont approchés par les professionnels : un devis est établi et validé par l'Anah. Puis les travaux sont réalisés et payés par le consommateur qui envoie la facture au même contrôleur de l'Anah qui, cette fois, détecte une anomalie soit dans la facture soit dans le devis initial : au final, le consommateur est privé de son aide financière. Il y a donc un système qui est moins mauvais que l'autre, mais on n'a pas la panacée.

Sur le RGE, vous avez évoqué les expériences à l'étranger où il n'existe pas de label et où l'on réalise les contrôles a posteriori : pourquoi pas, si tant est que la plupart du temps le problème ne vient pas de l'outil lui-même, mais de la personne qui l'utilise. Si l'on doit contrôler que les entreprises ont bien le label RGE puis contrôler leurs chantiers, il est peut-être tout aussi efficace de contrôler directement le chantier. Il serait intéressant de voir effectivement comment ça se passe en Allemagne ou dans d'autres pays. De toute façon, le label RGE est, en France, assez invisible pour le consommateur qui ne sait pas réellement de quoi il s'agit - et même si on le sensibilise sur le sujet ce n'est pas forcément d'une grande utilité.

Je fais observer que la défiance vis-à-vis des artisans ne concerne pas uniquement les travaux d'économie d'énergie, mais aussi la plupart des métiers, avec la crainte de l'arnaque, ne serait-ce que vis-à-vis des plombiers ou des électriciens. Il y a en effet aujourd'hui pléthore de personnel qui se dit expert en rénovation ou en travaux de dépannage à domicile, dès lors qu'ils arrivent à coller du papier peint à peu près droit et quand vous discutez avec des syndics, ils disent avoir de très grandes difficultés à trouver du personnel compétent pour faire des travaux d'entretien courant dans les immeubles qu'ils gèrent et je ne parle pas ici de rénovation globale ou de grosses opérations. Cette défiance donc est généralisée.

S'agissant du DPE, on en est à la troisième réforme et celui-ci est censé progresser chaque fois, mais je redis que l'important c'est la personne qui l'utilise. Or comme les enquêtes l'ont bien démontré, on continue à avoir parfois trois ou quatre étiquettes différentes pour un même bien. Il est vrai que la problématique réside dans l'appréciation et l'utilisation que va faire le professionnel des éléments en sa possession ainsi que de sa connaissance des éléments techniques sur l'immeuble.

Dans l'exemple que vous soulevez sur les immeubles classés monuments historiques, je vous renvoie aux critères de décence : ces logements sont déjà considérés indécents depuis le 1er janvier 2023 s'ils ont une performance énergétique et une consommation supérieure à 450 kWh d'énergie finale - c'est ce qu'on appelle le G +. Au 1er janvier 2025, c'est l'intégralité de l'étiquette G qui va être concernée et au 1er janvier 2028, c'est l'intégralité de l'étiquette F qui rentrera dans la catégorie indécente. Même si vous démontrez que vous êtes dans l'incapacité de procéder à ces rénovations énergétiques, vous allez quand même être considérés comme indécents. Que faire ? Certains professionnels indiquent que les logements situés sous les combles - comme les chambres de bonne - ne peuvent absolument pas être améliorés parce que le zinc ne permet pas de déposer des revêtements. Si l'on choisit de réaliser une isolation thermique par l'intérieur - ce qui peut être possible dans certains bâtiments historiques même si c'est déconseillé en raison de problèmes techniques  - vous allez empiéter sur la surface habitable et il y a un risque que la superficie de la chambre de bonne passe en dessous du seuil de 9 m2 et qu'elle ne puisse plus être louée.

En ce qui concerne cette obligation de rénovation énergétique, un décret en préparation apporte une réponse très partielle aux difficultés : le juge ne pourra pas imposer la réalisation de travaux dans un logement indécent dès lors qu'il se situe dans un immeuble classé monument historique et que les travaux pourraient porter atteinte à la solidité de la structure du bâti - ce qui vise à éviter que l'isolant crée une pathologie sur l'immeuble. Ce texte n'institue pas, pour autant, une dérogation d'une portée considérable à l'obligation de réaliser des travaux d'économie d'énergie.

M. Guillaume Gontard, président. - Merci pour l'ensemble de vos interventions et de vos réponses à nos questions.

La réunion est close à 19 h 45.

Jeudi 13 avril 2023

- Présidence de Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente -

La réunion est ouverte à 10 h 30.

Audition de Mme Claire Hédon, défenseure des droits

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux avec l'audition de la Défenseure des droits.

Madame Hédon, vous avez été nommée Défenseure des droits le 22 juillet 2020. Vous êtes la troisième personne à occuper cette fonction, après Dominique Baudis et Jacques Toubon.

Le 14 octobre 2022, vous avez rendu une décision sur MaPrimeRénov' qui a eu un retentissement important. Vous y dressiez le constat de « dysfonctionnements aux conséquences lourdes pour les usagers », et vous formuliez plusieurs recommandations pour y remédier.

Ainsi, vous aviez souligné qu'un grand nombre de dossiers pour lesquels la Défenseure des droits avait été saisie relevaient des difficultés d'ordre technique : les demandeurs ne parvenaient pas à enregistrer leurs demandes, d'autres n'ont pas réussi à téléverser leurs pièces justificatives, certains, enfin, n'ont pas pu modifier leurs dossiers, qui comprenaient des informations erronées, ce qui a entraîné leur annulation.

Tous ces dysfonctionnements ont empêché des personnes de réaliser leurs travaux avant l'hiver ou de faire financer les travaux réalisés, ce qui a « augmenté l'état de précarité financière dans lequel ces ménages, appartenant aux catégories de revenus modestes, voire très modestes, se trouvaient déjà ». En conséquence, vous préconisez de résoudre au plus vite les difficultés techniques, de permettre aux usagers de modifier leurs dossiers et de régulariser les dossiers qui n'auraient pas abouti en raison des dysfonctionnements.

Durant son audition, la directrice générale de l'Agence nationale de l'habitat (Anah) a indiqué que la moitié des dossiers problématiques avaient déjà été réglés au moment où vous aviez rendu votre décision. Quelle est la situation aujourd'hui ? Des dossiers continuent-ils de poser des difficultés ? C'est ce que semblent faire remonter un certain nombre de nos collègues... L'Anah a-t-elle suivi vos recommandations ?

Dans votre décision, vous mettiez également l'accent sur le défaut d'information des personnes qui effectuent les démarches, et l'absence d'interlocuteurs lorsque celles-ci rencontrent des difficultés. Vous avez qualifié les motivations de refus d'octroyer une aide ou de diminution du montant versé de « succinctes, voire confuses ».

Enfin, vous dénonciez l'absence de solutions alternatives à la procédure dématérialisée, alors que la possibilité d'entamer et de poursuivre des démarches de manière « physique » est un droit consacré par la jurisprudence administrative. Ce point a-t-il été corrigé ?

Avant de vous laisser la parole pour répondre à ces premières questions et pour un propos introductif d'une quinzaine de minutes, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'elle fera également l'objet d'un compte rendu publié.

Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Claire Hédon prête serment.

Mme Claire Hédon, défenseure des droits. - Je vous remercie de votre invitation. La question de l'accès aux droits, de l'accès aux services publics est au coeur des missions de l'institution du Défenseur des droits, autorité administrative indépendante dont l'existence a été consacrée dans la Constitution. Au cours de l'année 2022, nous avons reçu 126 000 réclamations - notre rapport annuel, qui détaillera ces chiffres, sortira en début de semaine prochaine. Sur ces réclamations, 90 000 concernaient la relation avec les services publics et les difficultés liées à leur éloignement. Je sais que ce sujet préoccupe particulièrement le Sénat. Ce motif de saisine relève de l'une de nos cinq compétences et est, de loin, le premier motif des réclamations que nous recevons. De façon générale, ces réclamations témoignent d'un manquement dans le fonctionnement des services publics, lié à une forme de déshumanisation de l'administration, d'éloignement lié à la dématérialisation, dont je dirai toujours qu'elle peut être une chance, mais qu'elle peut aussi éloigner des services publics.

Votre commission d'enquête s'intéresse en particulier aux politiques publiques en matière de rénovation énergétique. Vous le savez, nous avons eu à travailler, dans ce cadre, sur MaPrimeRénov'. Nous avions reçu 500 réclamations lorsque nous avons rendu notre décision, au mois d'octobre. Depuis, 900 nouvelles réclamations nous sont parvenues, ce qui prouve bien que, quand on médiatise un sujet, les personnes concernées par le problème, mais ignorant qu'elles pouvaient nous saisir, en ont alors l'idée. Sur ces 900 réclamations supplémentaires, 600 n'ont toujours pas reçu de réponse. Il me paraît optimiste de considérer que la moitié des 500 réclamations que nous avions déjà reçues au moment de notre décision seraient réglées. En effet, nous avons aussi été alertés par des réclamants qui avaient reçu un courrier sans que le problème soit réglé : ils n'avaient obtenu qu'une partie de réponse. Ils nous ont ressaisis, car nous avions considéré que le problème était clos, alors qu'il ne l'était pas.

Je souhaite successivement, dans ce propos introductif, revenir sur le contenu des réclamations, vous présenter de manière un peu plus détaillée nos recommandations et vous indiquer celles qui ont été suivies et celles qui ne l'ont pas été.

Pour illustrer mon propos, je vais commencer par un exemple : celui d'une femme âgée qui devait changer sa chaudière et qui pouvait, pour ce faire, bénéficier de MaPrimeRénov'. Elle a créé un compte sur le site de l'Anah, mais, malgré plusieurs tentatives, elle n'est pas parvenue à compléter son dossier. Entre-temps, sa chaudière a cessé de fonctionner et elle s'est donc retrouvée privée à la fois d'eau chaude et de chauffage en plein hiver. Elle s'est donc résolue à procéder aux travaux avant la réponse de l'Anah, ce qui, en principe, a pour conséquence de la priver du bénéfice de MaPrimeRénov'. On est donc face au cas d'une femme âgée qui se trouve privée de l'aide financière à laquelle elle a droit en raison d'un dysfonctionnement technique de la plateforme dans une procédure intégralement dématérialisée. Cette personne a saisi le Défenseur des droits et a pu, au final, obtenir le versement de l'aide. Voilà à quoi servent nos interventions. Nous parvenons à résoudre une partie des problèmes, mais pas tous - j'y reviendrai.

De manière générale, les problèmes techniques affectant la plateforme, le défaut d'information, les délais de traitement, les difficultés liées à la dématérialisation totale de la procédure sont autant d'obstacles auxquels nos concitoyens sont confrontés et qui peuvent conduire les usagers les plus précaires à se retrouver dans une situation difficile. MaPrimeRénov' a été mise en place pour les foyers les plus démunis, mais ce sont aujourd'hui encore ces derniers qui pâtissent des dysfonctionnements du service, du manque d'interlocuteurs et du défaut d'information.

Nous avons constaté de nombreux écueils dans le traitement, comme l'impossibilité de créer un compte ou un dossier, de déposer en ligne des pièces justificatives ou encore de modifier des éléments du dossier et, finalement, d'engager les travaux. Je vous rappelle que, sur le site des impôts, on peut à tout moment modifier ses déclarations : cela doit aussi être possible pour les autres démarches. Toutes ces entraves ont emporté des conséquences importantes pour les usagers : ces blocages précarisent les demandeurs les plus fragiles économiquement et, face à la nécessité de se chauffer l'hiver et dans l'attente du versement de MaPrimeRénov', certains foyers ont été dans l'obligation de contracter des prêts bancaires ou des prêts familiaux pour financer leurs travaux et payer les artisans - il y va, dans certains cas, de plusieurs milliers d'euros.

Pour le traitement des réclamations individuelles que nous avons reçues, nous avons systématiquement saisi les services de l'Anah. Si certains dossiers ont pu aboutir favorablement, ce n'est pas du tout le cas de tous. Les difficultés ont persisté pour bon nombre d'entre eux, toujours à cause de dysfonctionnements de la plateforme et de délais de traitements anormalement élevés. Je répète que, s'il y avait 500 saisines en octobre, il y en a eu 900 depuis.

Je veux maintenant évoquer les recommandations que nous avions formulées.

J'y insiste, la réalisation des démarches administratives dématérialisées doit demeurer une possibilité ouverte à l'usager, et non une obligation. En aucun cas, cela ne doit conduire à priver certains bénéficiaires potentiels d'une aide. Notre objectif est de remédier durablement à des défaillances structurelles. Nous avons adressé cinq recommandations à l'Anah : mettre en place les mesures de nature à résoudre définitivement les difficultés techniques affectant sa plateforme de dépôt des dossiers de demande d'aide ; diminuer les délais de traitement des dossiers confrontés à des difficultés ; améliorer l'information des usagers, notamment par la mise en place d'interlocuteurs qualifiés voués à assurer un meilleur suivi des dossiers et des réclamations et la communication dans les décisions d'éléments d'analyse de nature à les justifier - par exemple, quand il y a eu une baisse du versement prévu ou un non-versement ; prendre l'attache de ses ministres de tutelle afin de mettre en place un canal de dépôt des demandes en complément de la procédure dématérialisée ; régulariser l'ensemble des demandes d'aide n'ayant pu aboutir en raison de difficultés imputables à la mise en oeuvre du dispositif, telles que des dysfonctionnements techniques rencontrés sur la plateforme, les délais de traitement des dossiers ou l'absence de prise en compte des avis de dégrèvement des impôts.

Quelles ont été les évolutions et les suites données à ces recommandations ?

L'Anah a bien répondu à notre décision, par un courrier en date du 10 janvier 2023, et nous a fait part de ses observations. Des améliorations dans la gestion des dossiers ont indéniablement été constatées, notamment avec la mise en place d'un service dédié à la relation avec les usagers. Cependant, les usagers rencontrent encore de nombreux problèmes dans le traitement de leurs dossiers et le Défenseur des droits continue d'être régulièrement saisi - avec les 900 saisines supplémentaires, le nombre total de saisines est de 1 400. En outre, nous continuons le suivi des dossiers individuels sur lesquels nous avons saisi l'Anah et qui n'ont toujours pas abouti. Les délais de traitement sont très longs pour certains dossiers, qui peinent à être résolus, malgré les relances régulières de mes services.

Par ailleurs, de nouvelles difficultés nous ont été remontées pour les entrepreneurs remplissant le rôle de mandataire financier et sur lesquels pèsent les contraintes financières liées à l'absence de versement de l'aide. Cette situation met en difficulté de petites entreprises et de petits entrepreneurs. Nous sommes toujours pleinement mobilisés sur les dossiers MaPrimeRénov', et nous assurons, en parallèle, le suivi de la décision du mois d'octobre.

Je veux revenir sur les différents sujets sur lequel nous avons formulé des recommandations.

Sur la quantité de dossiers rencontrant des difficultés, l'Anah indique que, si des anomalies, erreurs ou lacunes ont été constatées, leur proportion est sans commune mesure avec les volumes de décisions d'octroi de la prime et de paiement délivrées chaque jour par l'agence. Bien évidemment, comme je le répète toujours, l'institution du Défenseur des droits ne voit que ce qui ne va pas et nous sommes un bon observatoire de cela ! Au reste, tout dysfonctionnement qui engendre une atteinte aux droits ne peut être toléré, quel que soit le nombre d'usagers concernés. Je continue à dire que, notre institution n'étant pas forcément bien connue du grand public, elle ne voit qu'une partie des dysfonctionnements. Toutes les difficultés ne nous sont pas remontées. Je pense qu'il faut y remédier au plus vite et rétablir les usagers dans leurs droits, sans attendre.

Pour ce qui concerne les dysfonctionnements techniques de la plateforme, nous avons observé une certaine amélioration de la qualité du service rendu aux usagers. Cependant, l'ensemble des difficultés sont loin d'être résolues. Certains de nos réclamants dont les dossiers sont en souffrance depuis longtemps ne parviennent toujours pas à accéder à leur compte ou à déposer des pièces.

Quant à la prise en compte de la situation des demandeurs ayant connu une difficulté à déposer leur demande, elle ne permet malheureusement pas de répondre à l'ensemble des situations. Il est désormais prévu que le bénéficiaire de la prime puisse obtenir un délai supplémentaire dans certains cas, lorsque des circonstances extérieures à sa volonté ont fait obstacle au commencement ou à l'achèvement des travaux et prestations. Mais, d'une part, la durée de cette prorogation n'est pas toujours suffisante pour certains dossiers, confrontés à des difficultés persistantes et, d'autre part, la prorogation ne répond pas à l'ensemble des difficultés, en ne prenant notamment pas en compte les cas dans lesquels les demandeurs n'ont pas pu attendre pour exécuter l'entièreté des travaux, comme dans l'exemple que je vous ai donné tout à l'heure.

Concernant l'absence de prise en compte des avis de dégrèvement fiscal, l'Anah indique que ses services utilisent, depuis le 1er janvier 2023, l'AP Impôt particulier de la direction générale des finances publiques (DGFiP), qui leur permet de prendre en compte les avis des dégrèvements des usagers dès le dépôt de la demande. Cette évolution permet l'instruction des demandes d'aide conformément à la situation fiscale réelle du potentiel bénéficiaire, mais l'Anah ne s'est pas engagée à régulariser les demandes n'ayant pas pu aboutir en raison de l'absence de prise en compte des avis de dégrèvement.

J'en viens au défaut d'information. Selon l'Anah, « afin de faciliter la lecture et la compréhension des motifs des décisions par les usagers, un travail d'amélioration de la documentation de l'agence est actuellement mené pour accroître la compréhension des décisions prises, notamment lorsqu'elles relèvent de rejets ou de retraits ». C'est une bonne nouvelle. Pour autant, cette mesure n'est pas suffisante pour permettre aux usagers de comprendre spécifiquement et individuellement les motifs de la décision qui leur est opposée et de former, le cas échéant, un recours pertinent contre celle-ci.

Cette absence d'explication est assez générale et concerne l'accès à l'ensemble des services publics. Une évolution serait importante, car elle permettrait plus de fluidité.

Au sujet des délais de traitement des réclamations, l'Anah relève que certains dossiers complexes, anciens, qui n'ont pas encore pu être complètement résolus bénéficient d'un double dispositif spécifique, via à la fois un accompagnement par téléphone et une détection proactive. Sur ce point, nous avons bien constaté que certains usagers ont confirmé avoir été contactés par l'Anah, mais ce n'est pas du tout le cas de tous. Les usagers et nos délégués continuent ainsi de déplorer l'absence d'interlocuteurs clairement identifiés, facilement joignables pour fluidifier les échanges et améliorer le traitement de leurs demandes.

Enfin, pour ce qui est de l'absence de procédures alternatives à la dématérialisation de la demande, l'Anah n'a pas souhaité mettre en place un canal alternatif de dépôt des demandes en complément de la procédure dématérialisée. Je le regrette, compte tenu des dysfonctionnements persistants. De façon plus générale, les dysfonctionnements et les bugs informatiques existeront toujours, et il faudra toujours pouvoir joindre quelqu'un. Cela vaut pour l'ensemble des démarches réalisées auprès des services publics.

Plusieurs dispositifs d'accompagnement des usagers sont en cours de mise en place, notamment la possibilité de recourir à un mandataire, qui peut être un proche, un conseiller France Rénov' ou un artisan, mais ces dispositifs sont insuffisants, pour plusieurs raisons.

En premier lieu, la création du compte demeure une prérogative du demandeur de l'aide. Les difficultés intrinsèques liées à toute procédure dématérialisée nécessitant d'accéder à du matériel informatique, à une connexion internet, à une compétence particulière restent donc entières.

En second lieu, de nombreux artisans remplissant le rôle de mandataire financier pour leurs clients nous ont fait remonter des difficultés qu'ils rencontrent. Ils pointent notamment du doigt le fait que l'Anah entre directement en contact avec les clients et qu'il leur est, dès lors, impossible de savoir ce qui leur a été demandé. Certains clients très âgés ont créé une adresse e-mail uniquement pour créer leur compte, mais ne l'utilisent pas en réalité. Les mandataires relèvent également qu'ils ont avancé le montant des frais correspondant aux aides de l'Anah à leurs clients, ce qui met leur activité en péril, puisque les versements se font attendre. Cette situation particulièrement préjudiciable pour les artisans ayant endossé ce rôle nécessite que l'Anah prenne des mesures de nature à remédier au plus vite à ces difficultés.

Telles sont les observations que je souhaitais faire en introduction. De manière générale, je veux rappeler qu'il ne peut y avoir de transformation numérique sans que soient réellement garantis l'accès aux services publics et, par là même, l'accès aux droits. Derrière cela, c'est la question de l'égalité des droits qui est posée. Les services publics incarnent les droits, ils ont pour mission de les rendre concrets et accessibles ; lorsque ce rôle n'est pas assuré, des personnes sont laissées de côté et exclues. La distance des services publics signifie le recul des droits, qui accentue les vulnérabilités, au détriment de la cohésion sociale.

M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Vous avez rappelé dans votre exposé très complet les difficultés que rencontraient les utilisateurs de MaPrimeRénov' : nous les connaissons bien pour être régulièrement sollicités dans nos territoires et les précédentes auditions les ont également mises en lumière. Les exemples sont nombreux de personnes qui, estimant de bonne foi avoir droit à la prime, ont engagé des travaux sans finalement pouvoir en bénéficier, avec les conséquences financières qui s'ensuivent.

J'ai constaté que les difficultés à faire valoir le droit à l'erreur pouvaient être démesurées pour des problèmes aussi mineurs que celui d'avoir coché la mauvaise case. Souvent, aucun retour en arrière n'est possible. Quelles sont vos préconisations pour que le droit à l'erreur s'applique plus facilement, comme dans d'autres domaines ? Les fraudes sont rares et, dans la plupart des cas, les gens sont de bonne foi.

L'utilisation de la plateforme numérique pose en effet le problème de la précarité numérique et il apparaît nécessaire de prévoir un accompagnement. Peut-on confier ce rôle d'interlocuteur à Mon Accompagnateur Rénov' ?

La consultation de la plateforme France Rénov' donne lieu, après coup, à de nombreuses sollicitations de la part d'opérateurs qui ne sont pas toujours de bonne foi - j'en ai fait l'expérience. Les données que l'on y entre semblent donc être diffusées. Avez-vous des informations sur ce sujet ?

Enfin, avez-vous mené une analyse territoriale permettant, par exemple, de savoir si les difficultés sont liées à un milieu rural ou urbain ?

Mme Claire Hédon. - Les erreurs que nous avons pu observer sont très banales : elles portent sur le numéro fiscal ou sur une case mal cochée. Tout le monde peut les commettre ; on peut d'ailleurs corriger ce type d'erreur sur le site des impôts. En l'occurrence, même s'il est tout à fait normal de lutter contre la fraude, cette crainte empêche l'accès au droit. Il faut simplement veiller à ne pas entraver le droit à l'erreur.

Nous n'avons pas encore de retour sur les accompagnateurs de MaPrimeRénov'. Le rôle d'interlocuteur que vous suggérez de leur donner correspond à l'une de nos préconisations, pour autant, ont-ils vraiment accès aux dossiers ? Les espaces France Services sont un plus, mais les agents qui interviennent dans ce cadre ne sont pas issus de tous les différents services publics, de sorte que toute une partie des dossiers leur échappe. Celui qui joue le rôle d'accompagnateur doit pouvoir accéder à tous ces dossiers pour résoudre les problèmes.

Sur la divulgation des données, nous manquons d'information. Si un demandeur a des difficultés à utiliser les technologies numériques, on procède en général en lui créant une boîte mail, dont il faut conserver le code, ce qui est en réalité déjà très difficile pour certaines personnes qui savent à peine ce qu'est une boîte mail.

Nous n'avons pas classé les difficultés en fonction des régions ; en revanche, nous savons qu'elles concernent plutôt des personnes d'origine sociale modeste.

Le dispositif MaPrimeRénov' a d'abord été traité par notre équipe de 250 juristes, qui ont rendu publiques leurs préconisations et les informations nécessaires, puis il a été confié à nos 500 délégués bénévoles, répartis sur le territoire, qui perçoivent 400 euros d'indemnités par an pour au moins trois ou quatre jours de travail par semaine. J'ai rencontré ces délégués dans les collégiales de Bourges, Rennes et Toulon, ces derniers jours. Tous m'ont alerté sur les difficultés qu'ils rencontraient dans le cadre du dispositif MaPrimeRénov', car ils n'arrivaient pas à obtenir de réponse de l'Anah. Ces gens travaillent bénévolement et leur travail perd tout son sens dès lors que les services publics ne leur répondent pas, d'autant que les difficultés des réclamants peuvent être lourdes à porter.

M. Michel Dagbert. - La lutte contre la fraude ne doit pas être un frein au recours au droit, et nos concitoyens ont souvent des difficultés face aux procédures uniquement dématérialisées : tels sont les deux points que j'ai retenus de votre intervention.

Les maisons France Services ont pour rôle d'aider les requérants à surmonter ce type de difficultés. Toutefois, les agents en charge de ces maisons n'ont pas accès aux données des différentes administrations pour lesquelles ils servent de point d'entrée auprès de l'usager. Le rapporteur vient de mentionner le problème de la diffusion des données qui donne lieu à des sollicitations à caractère commercial. Même s'il faut veiller à protéger les données des usagers, ne pourrait-on pas mettre en place un système d'accréditation jusqu'à un certain niveau d'information pour chacune des administrations ? Ce serait une voie possible pour améliorer le service rendu par les maisons France Services.

Mme Claire Hédon. - J'ai constaté à plusieurs reprises que les difficultés qui vous sont signalées dans vos permanences correspondent parfaitement à celles que nous observons au travers des réclamations qui nous sont adressées.

En ce qui concerne celles qui sont liées à la dématérialisation, nous avions recommandé que les agents des maisons France Services soient directement issus de la caisse d'allocations familiales (CAF) ou de la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM). Des centaines de nos délégués sont dans les maisons France Services, de sorte que nous pouvons savoir lesquelles fonctionnent bien et pourquoi. Les agents de ces lieux cherchent à faire au mieux, mais la CAF et la CPAM sont souvent débordées dans bien des endroits, de sorte qu'ils n'arrivent pas à obtenir de réponse à leurs questions. L'idée d'une accréditation pour avoir accès aux dossiers serait sans doute une bonne solution. En outre, certains agents opérant dans les espaces France Services sont formés en une journée ou une journée et demie. Nos délégués le sont pendant une semaine complète et bénéficient d'une formation continue, notamment dans le cadre des collégiales.

Dans le dernier rapport de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), qui n'a pas encore été rendu public, on estime que les personnes éloignées du numérique, c'est-à-dire celles qui sont en difficulté par rapport à cette technologie et celles qui n'ont pas accès à internet, représentent 16 millions de nos concitoyens, soit 31,5 %, presque un tiers, de la population française. C'est une réalité dont il faut tenir compte. Quand un tiers de la population est en difficulté, il n'est pas possible d'imposer la dématérialisation des démarches administratives. Celle-ci peut avoir des avantages ; le problème est surtout lié au fait d'avoir supprimé les accueils physiques et téléphoniques, ainsi que la possibilité de déposer un dossier papier. L'avis que le Conseil d'État a rendu au mois de juin dernier au sujet des préfectures est très clair sur ce point.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Avez-vous eu des échanges directs avec la directrice générale de l'Anah et son président ? Comment collaborez-vous avec eux ?

Mme Claire Hédon. - Si l'on veut résoudre les problèmes, il faut travailler en bonne intelligence. Nous avons donc des échanges réguliers avec les dirigeants de l'Anah. Je viens à nouveau d'écrire à la directrice générale de l'agence pour lui faire part des obstacles que nous rencontrons, notamment de l'absence de réponse aux demandeurs. Certes les cas non résolus sont de loin les moins nombreux, mais nous défendrons toujours les personnes qui n'ont pas accès à leurs droits. En outre, si ces cas sont très peu nombreux, pourquoi ne pas choisir de les résoudre pour qu'ils le soient tous ? Il est délétère, pour les gens, d'observer que leur voisin a obtenu de l'aide, mais pas eux. C'est un enjeu de cohésion sociale, d'autant plus que je suis convaincue que le nombre des dossiers non résolus est en réalité bien plus important que celui qui nous est communiqué.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Pour avoir été présidente d'un office public de l'habitat pendant plus de dix ans, je sais combien il est dramatique pour les demandeurs de ne pas obtenir de réponse. Le principal est de tenir les gens informés et de leur expliquer, le cas échéant, pourquoi leur demande n'a pas abouti.

Mme Claire Hédon. - Pour cela, il faut un interlocuteur, auquel le demandeur pourra s'adresser et qui sera capable de régler le dossier. Nous avons expérimenté la médiation préalable obligatoire (MPO) dans certains départements, sur le revenu de solidarité active (RSA) et les aides personnelles au logement (APL). Dans ce cadre, nous avons demandé aux usagers d'évaluer cette expérimentation, comme il faut toujours le faire, me semble-t-il, lorsque l'on met en place une politique publique. Deux tiers d'entre eux se sont dits satisfaits, ceux qui avaient obtenu l'aide à laquelle ils avaient droit comme ceux à qui l'on avait expliqué pourquoi ils n'avaient pas pu l'obtenir. Ce travail d'explication est essentiel. En ce sens, nous avons entrepris depuis quelques mois un travail de clarification de toutes nos démarches. Les services publics doivent le faire. Une réclamation concernant la caisse d'allocations familiales (CAF) était particulièrement intéressante : notre délégué ne comprenait pas pourquoi le réclamant n'était pas satisfait, alors que la remise de dette lui avait été accordée. En réalité, celui-ci ne connaissait pas le sens du terme juridique de « remise ». Une explication simple a ainsi pu lui être fournie. Cela me semble vital.

M. Guillaume Gontard, rapporteur. - En tant que défenseure des droits, avez-vous étudié les différences sur ce plan entre le dispositif de crédit d'impôt précédent et MaPrimeRénov' ?

Mme Claire Hédon. - Je ne suis pas en mesure de vous répondre sur ce point, mais je souhaite aborder la question des recours contre les décisions de l'État lorsque les particuliers n'ont pas pu bénéficier de MaPrimeRénov'. Dans ces cas, aucune explication n'est fournie, et les demandeurs se tournent parfois vers nous pour comprendre pourquoi leur demande a été rejetée. Il nous faut être attentifs à ces problèmes dans le cadre des aides à la rénovation énergétique, car celles-ci vont concerner de plus en plus de monde. Apprenons de ces situations pour améliorer les choses !

Enfin, l'accueil physique est indispensable, et il en va de même de la mise en place d'une cellule pour gérer les bugs informatiques, que l'on ne peut jamais complètement éviter. Il est essentiel que l'usager qui en est victime puisse obtenir des informations sur le suivi de son dossier.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - J'espère que les choses vont s'améliorer, car les enjeux liés à la rénovation énergétique sont importants. Les aides sont nombreuses et cela rend leur compréhension difficile pour les usagers, il faut simplifier.

Mme Claire Hédon. - Pour revenir sur votre question, je pense que les étapes de la procédure pour MaPrimeRénov' sont plus complexes que celles du crédit d'impôt, qui est plus simple, parce qu'il est postérieur. J'ai déjà développé l'exemple de cette femme qui devait faire les travaux au risque de se retrouver sans chauffage ni eau chaude et qui, du coup, n'a pas respecté la procédure et a peiné à obtenir l'aide à laquelle elle avait droit.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je vous remercie.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de fédérations de diagnostiqueurs immobiliers

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous poursuivons nos travaux par une table ronde avec plusieurs représentants des diagnostiqueurs :

- M. Yannick Ainouche, président de la CDI-Fnaim, qui est la Chambre des diagnostiqueurs immobiliers de la Fédération Nationale de l'Immobilier, structure créée en 2007. Vous représentez environ 1 600 adhérents, qui sont des diagnostiqueurs aux profils variés, petits indépendants comme entreprises de plusieurs centaines de salariés. Vous êtes, par ailleurs, vous-même PDG du groupe Ex'im, qui compte 118 agences de diagnostics, et vous êtes également administrateur du premier bailleur social français, 3F, filiale d'Action Logement ;

- M. Lionel Janot, président de la fédération interprofessionnelle du diagnostic immobilier (FIDI), créée en 2004 et devenue en 2014 un syndicat professionnel. Vous représentez un peu plus de 1 500 diagnostiqueurs. Vous aussi rassemblez des entreprises de toute taille. Vous êtes, par ailleurs, vous-même président de la société de diagnostiqueurs L3A, basée à Malakoff ;

- M. Jean-Christophe Protais, président de Sidiane - ce qui signifie syndicat interprofessionnel du diagnostic immobilier, de l'analyse et de la numérisation de l'existant -, votre syndicat étant en quelque sorte le « petit nouveau » du secteur puisque qu'il s'est constitué il y a un peu plus d'un an, à la toute fin de l'année 2021, en réunissant un collectif de six entreprises fondatrices. Vous êtes, par ailleurs, vous-même consultant après avoir été dirigeant de plusieurs entreprises dont Qualiconsult et Apave ;

- et enfin, M. Frédéric Mirabel-Chambaud, président de l'association LDI, soit « Les Diagnostiqueurs indépendants ». Créée en 2016 contre ce que vous appelez les « re-certifications », ou certifications à répétition, votre association a réduit son activité depuis un an.

Dans vos diverses fonctions, vous représentez toute la diversité du secteur des diagnostiqueurs. Vous pourrez nous préciser ce qui distingue vos organismes et nous expliquer où vous en êtes sur le chemin de l'unité à travers une intersyndicale, proposée tant par la FIDI que par la CDI-Fnaim. Votre expertise ne se réduit pas aux diagnostics énergétiques, toutefois, c'est sur les questions de rénovation énergétique que notre commission d'enquête souhaite échanger avec vous aujourd'hui. Votre audition, dans le cadre de cette table ronde, doit nous permettre de mieux comprendre vos positions respectives sur les diagnostics et audits énergétiques ainsi que sur la professionnalisation des métiers de diagnostiqueurs et d'auditeurs énergétiques.

Quel bilan, à votre échelle, faites-vous du DPE ? Le nouveau DPE apporte-t-il réellement des améliorations ? Doit-on encore améliorer sa méthode, son mode de calcul et son évaluation ? Si oui, comment ? Faut-il davantage prendre en compte le confort d'été ? Et surtout comment assurer une plus grande qualité et une plus grande fiabilité des DPE ? Cette question en appelle une autre : elle soulève en effet l'enjeu de la formation des diagnostiqueurs et de leur responsabilité, vous pourrez y revenir.

Par ailleurs, ne fait-on pas jouer au DPE un rôle trop grand dans la politique de rénovation énergétique en France ? N'est-il pas utilisé, à tort, comme un instrument d'audit énergétique, au regard duquel sont mis en oeuvre les outils de cette politique publique ?

Enfin, alors que vous réalisez déjà plus de 3 millions de diagnostics par an, comment assurer un maillage fin de nos territoires afin de garantir que tous nos compatriotes puissent bénéficier de vos offres de services ? Comment ce maillage permettra de relever le défi de la montée en charge de vos activités dans les années à venir ? Nous sommes au Sénat, cela ne vous a pas échappé, or ces questions d'égalité entre nos territoires nous importent tout spécialement.

Avant de vous laisser la parole pour répondre à ces premières questions et pour un propos introductif d'environ cinq minutes chacun, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.

Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende. Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Yannick Ainouche, Lionel Janot, Frédéric Mirabel-Chambaud et Raphaël Eulry prêtent serment.

M. Yannick Ainouche, président de la Chambre des diagnostiqueurs immobiliers de la Fédération Nationale de l'Immobilier (CDI-Fnaim). - C'est un honneur d'être devant vous aujourd'hui et une belle reconnaissance pour notre filière : l'enjeu est celui du positionnement du diagnostiqueur en qualité de tiers de confiance. Nous avons été créés il y a une vingtaine d'années pour être précisément le tiers de confiance entre les acteurs de l'immobilier et les particuliers qui achètent ou louent un bien. Tout le monde connaît la loi du 18 décembre 1996 dite Carrez - améliorant la protection des acquéreurs de lots de copropriété - qui vise à certifier la surface des logements faisant l'objet d'une transaction et les pouvoirs publics nous ont mandaté pour cette mission. Nous sommes également à la manoeuvre pour vérifier la mise aux normes des installations de gaz, d'eau ou d'électricité, afin de ne pas mettre pas en péril la santé des acquéreurs ou des locataires. S'y ajoutent nos compétences portant sur les pathologies du bâtiment comme les termites, le plomb dans les peintures et l'amiante dans les murs. Ce mille-feuille d'obligations introduites ces vingt dernières années, que complète aujourd'hui le diagnostic de performance énergétique (DPE), nous a conduits à créer une offre de services qui nous place au coeur de la réflexion des particuliers quand ils achètent ou louent un bien : le diagnostiqueur est ainsi devenu un maillon important dans la connaissance du bâti.

S'agissant du sujet traité par votre commission d'enquête, je fais observer que le DPE a été introduit assez brutalement dans les politiques publiques de rénovation énergétique avec la loi dite climat et résilience. Je pense que cette loi est fondatrice de nouveaux modes de transports et de logements avec une prise en compte de sujets autrefois assez négligés comme la consommation d'énergie ou la gestion des espaces. La profession de diagnostiqueur a été projetée dans ce changement global de paradigme et il me semble, sur le plan purement technique, que les pouvoirs publics ont commis deux erreurs, dans le séquençage des évolutions. La première, à mon sens, est que la réforme du DPE a été introduite après la loi climat et résilience, ce qui a pénalisé cette dernière. Certes, nos fédérations avaient souhaité la création du DPE et, à présent, sa méthodologie est unique, invariable et beaucoup plus fiable que précédemment. Toutefois, les controverses qui ont émaillé la mise en oeuvre du DPE pendant 18 mois ont télescopé le message sociétal et éco-citoyen diffusé par la loi climat et résilience : il aurait été préférable que le changement méthodologique majeur que constitue le DPE intervienne avant les débats sur cette loi car nos collègues auraient ainsi pu être formés et les acteurs publics ou journalistes s'y seraient familiarisés.

En second lieu, on a donné un rôle colossal aux diagnostiqueurs : comme vous l'avez opportunément souligné, Madame la Présidente, nous sommes aujourd'hui le bras armé de la politique publique de rénovation énergétique ; aucun bien ne se loue ou ne se vend sans DPE et pas une copropriété ou un bâtiment public ne peut se rénover sans DPE ou audits énergétiques. La position du diagnostiqueur a ainsi radicalement changé de nature : alors qu'auparavant les diagnostics étaient réalisés à titre indicatif, l'opposabilité du DPE et les exigences de la loi climat ont transformé l'activité des propriétaires-bailleurs, avec des interdictions de louer et un changement de leur relation avec les locataires différentes, si bien qu'aujourd'hui, notre responsabilité est très grande. Nous percevons bien que le ministre en charge du logement, son cabinet, la direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP) et les parlementaires sont attentifs à ce phénomène. C'est ici que se situe la deuxième erreur législative : celle de ne pas avoir réformé notre filière et de ne pas nous avoir suffisamment donné les moyens d'exister réellement. En effet, aujourd'hui nous restons souvent une profession de reconversion dont l'accès est soumis à une formation assez légère qui débouche sur une certification et un agrément. Il me semble aujourd'hui que l'ambition du Gouvernement et peut-être du législateur est de créer une véritable filière beaucoup plus organisée avec une convention collective, un accès à la formation continue ainsi qu'à son système de financement et peut-être à un véritable diplôme d'état. Aujourd'hui les jeunes ne se projettent pas dans le métier de diagnostiqueur alors qu'il manque plus de 1000 collègues sur le territoire et même 2000 selon la façon dont on imagine le futur de l'audit énergétique.

Notre métier est extrêmement valorisant : il participe à la transformation de la société, comporte un véritable intérêt écologique ou sociétal et diffuse de l'information ainsi que de la confiance. Je pense donc que nous méritons, au-delà de la simple certification existante, une vraie filière, un vrai diplôme et peut-être - même si je sais que le sujet fait parfois un peu grincer des dents - une vraie reconnaissance par le biais d'une carte professionnelle qui nous identifie auprès du consommateur. Enfin nous devrions être soumis à des sanctions spécifiques car - il ne faut pas s'en cacher - certains de nos confrères ne répondent pas aux attentes et les médias ont puissamment oeuvré ces derniers mois pour le prouver. Notre existence et notre offre professionnelle résultent d'une décision du législateur, ce qui nous impose une rectitude comportementale qui doit être sanctionnée et matérialisée par une carte professionnelle. Tout ceci renvoie également à une exigence de bon emploi des fonds publics puisque, comme vous l'avez précisé, nous réalisons trois millions de diagnostics par an, ce qui représente un budget de 200 à 250 millions d'euros pour le consommateur.

M. Lionel Janot, président de la FIDI. - Je vais essayer d'éviter les redondances avec l'intervention précédente. La FIDI a été créée en 2004 avec un ADN bien particulier que nous avons maintenu, à savoir la représentativité de l'ensemble des acteurs, quelle que soit leur taille. Je rappelle que, dans le secteur du diagnostic 70 à 80 % des acteurs sont des entreprises individuelles ou des petites entreprises de moins de 10 diagnostiqueurs. Le reste est constitué de sociétés de 10 à 100 - ou plus - diagnostiqueurs organisées selon le modèle économique du salariat d'entreprise ou des réseaux de franchises couvrant tout le territoire. À travers cette spécificité du marché du diagnostic et des objectifs poursuivis par les uns et les autres, il faut faire émerger un intérêt commun dans ce métier qui existe depuis 25 ans. Ce métier qui porte sur la protection des vices cachés dans les transactions immobilières et le DPE doit évoluer en termes d'obligations et d'exigences à l'égard des attentes - nous y reviendrons par la suite.

Un autre élément crucial est le cheminement de l'intersyndicale, car notre profession est encore jeune et il est important que l'ensemble des acteurs puissent travailler ensemble. En effet, aujourd'hui, les pouvoirs publics, ont besoin de disposer, de notre part, de propositions issues d'un travail collectif afin de prendre les bonnes décisions face aux difficultés qui ont été évoquées et dans l'intérêt commun des professionnels ainsi que du consommateur final - locataire, acquéreur ou propriétaire puisque nos métiers accompagnent la vie un immeuble. Notre travail intersyndical collectif doit porter sur la professionnalisation, la formation la certification et les sanctions, ces différents volets faisant l'objet d'une réflexion, en particulier à la DHUP.

Le DPE, institué en juillet 2021, constitue un élément très important pour la rénovation énergétique et la neutralité carbone à l'horizon 2050 : il participe à la prise de conscience de chacun d'entre nous du poids du logement dans les émissions de gaz à effet de serre. Le dispositif DPE est aujourd'hui fiable mais il nécessite des ajustements et le premier reproche qu'on peut lui adresser est l'insuffisance des délais de préparation dont il a bénéficié. Les pouvoirs publics et les différents acteurs ont désormais besoin d'avoir des retours d'expérience pour affiner le système et le rendre plus pertinent.

M. Frédéric Mirabel-Chambaud, président de l'association nationale Les Diagnostiqueurs indépendants (LDI). - Je vais rentrer plus directement dans le sujet en vous présentant une synthèse rapide de l'analyse réalisée par notre association, ce qui nous permettra de répondre à plusieurs de vos questions posées.

À notre avis, la rénovation énergétique se présente comme une approche vertueuse mais elle n'est absolument pas en adéquation avec la réalité du terrain.

Tout d'abord, l'objectif de 2050, qui est de rendre tous les bâtiments énergétiquement performants - avec le label basse consommation énergétique (BBC) - est techniquement inatteignable. C'est d'autant plus vrai qu'en général, et comme vous le savez, les objectifs politiques qui programment 100 % de réussite ne fonctionnent pas souvent. Afin d'illustrer mon propos, je rappelle le cas de l'architecte qui part d'une feuille blanche pour concevoir un bâtiment d'habitation ou une villa : malgré toutes les possibilités qui s'offrent à lui pour obtenir un bâtiment énergétiquement performant ou BBC, il est fréquent qu'il ne parvienne pas au résultat souhaité. En fin de construction, lorsque nous venons effectuer des infiltrométries, c'est-à-dire des tests d'étanchéité à l'air, et des contrôles finaux, nous constatons souvent que les efforts de l'architecte n'ont pas permis au bâtiment d'être tout à fait conforme à la norme BBC mais nous parvenons, la plupart du temps, à apporter les correctifs nécessaires. Par conséquent, même si on démolissait pour ensuite les reconstruire en BBC toutes les villes et les bâtiments de France, nous ne serions pas certains d'atteindre les 100 % de conformité à la performance énergétique : cet objectif théorique est donc irréalisable techniquement et financièrement.

Soyons réalistes : certains bâtiments peuvent être très facilement améliorés pour obtenir le label BBC ; pour d'autres, cela nécessite des coûts relativement importants ; enfin, un certain nombre de bâtiments n'y parviendront jamais. On peut faire le parallèle avec le parc automobile qui, pour sa part, se renouvelle avec le temps : les véhicules évoluent, mais on ne peut pas transformer une Renault 4 CV ou une Citroën Traction en une voiture moderne.

Je signale également la forte dichotomie entre, d'une part, la vision de notre profession ainsi que la représentation du réel qu'a le ministère en charge de notre secteur et, d'autre part, le vécu de terrain. En témoigne une visioconférence organisée le 4 avril dernier avec les professionnels, la DHUP et l'Anah qu'il serait très instructif de consulter. Il y avait, d'un côté, des représentants du ministère qui estimaient que le DPE est robuste et, de l'autre, tous les diagnostiqueurs de France qui était conviés et pouvaient afficher des commentaires écrits. Parmi les messages qui défilaient, certains évoquaient par exemple le monde des Bisounours de façon humoristique et d'autres étaient beaucoup plus sérieux : la certitude est que le DPE n'est pas fiable si on écoute les acteurs de terrain. Une des preuves de ce problème de fond est qu'en Allemagne on avoisine 5 % d'efficacité. Ce ne sont ni les politiques précédentes ni l'actuelle qu'il faut mettre en cause : la difficulté est générale.

Le DPE est la pierre angulaire de la rénovation énergétique mais je souligne que celui-ci n'est pas équitable. Le traitement d'une passoire thermique située sur la Côte d'Azur ou dans les Hautes Alpes fait apparaître une vraie différence que ne compense pas la petite aide introduite dans les calculs et les algorithmes en faveur des bâtiments situés au-dessus de 800 mètres pour qu'ils soient moins pénalisés. Il reste très difficile d'expliquer à l'habitant d'une commune de moyenne montagne pourquoi le DPE de sa maison située en basse altitude et en bord de rivière ne lui permettra plus de la louer ou de la vendre tandis que son parent localisé à un peu plus de 800 mètres d'altitude dans la même commune, verra sa passoire thermique rentrer dans les clous. De plus, le DPE ne prend pas en compte la dimension patrimoniale du bâti : la seule prise en compte de la règlementation thermique conduirait presque à raser tel ou tel magnifique bâtiment. Lors d'une réunion avec la ministre Emmanuelle Wargon, j'avais évoqué la problématique de l'efficience énergétique pour les bâtiments haussmanniens : il faudrait abaisser les hauteurs de plafond à 2,5 mètres et surtout faire ce que l'on appelle une unité E, c'est-à-dire une isolation thermique par l'extérieur ce qui impliquerait des façades lisses esthétiquement discutables dans une ville comme Paris. L'application du DPE conduirait également à une hérésie architecturale pour les maisons traditionnelles si on en venait à cacher des beaux murs en pierre de taille derrière un placo efficace en isolation thermique : certaines exceptions méritent donc d'être prises en considération.

Je réaffirme, en divergeant par rapport à certains de mes collègues, que le DPE pas fiable. Je rappelle mon intervention devant le Conseil d'État, il y a deux ans - j'ai transmis le document à vos services : j'ai plaidé au mois de mai 2021 en démontrant que l'algorithme et le logiciel prévus pour être mis en oeuvre au 1er juillet ne fonctionnaient pas et que nous allions au-devant de graves difficultés. Probablement au terme de certaines transactions avec les ministères, nous n'avons pas été écoutés et, à peine trois mois plus tard, le ministère a lui-même reconnu que c'était une véritable catastrophe et qu'il fallait refaire tous les DPE réalisés en juillet, août et septembre 2021. Cette bagatelle a coûté a priori 3 millions d'euros à l'État qui, pour avoir imposé un outil inopérant, a financé la rectification. Je fais observer que ce logiciel ne fonctionne toujours pas sans difficultés : ainsi tous les jeudis après-midi, depuis la pandémie de Covid, nous organisons une visioconférence avec les éditeurs de logiciels, les fédérations et les interlocuteurs vraiment représentatifs de la profession pour améliorer le DPE. Les dysfonctionnements subsistent désormais principalement à la marge mais il y a encore quelques mois et encore aujourd'hui, le logiciel fournissait des résultats complètement aberrants pour les petits logements d'une surface de 10, 12 ou 15 m2 - attribués aux étudiants par exemple - ou les grandes maisons de 700 à 900 m2. Le travail de mise au point doit donc se poursuivre et - je le redis - on ne peut pas, en pratique, garantir la fiabilité du DPE.

Avant de vous proposer des solutions dans la suite de notre conversation, je formulerai quelques remarques en indiquant tout d'abord que la problématique est organisationnelle avec des changements trop fréquents dans les aides et les avantages fiscaux : les clients sont perdus dans la complexité, comme nous, à ceci près que cela ne relève pas de notre mission. Nous avions proposé à la DHUP de mettre en place, à la fin des opérations de DPE, un QR code pour faciliter les démarches financières des clients. Il me semble que France Rénov' devrait tenir ce rôle d'accompagnement et prendre le relais après notre travail d'expertise technique.

S'agissant de la tendance à employer les fonds publics de manière non optimale, je mentionne une publicité de MaPrimeRénov' entendue il y a à peine dix jours sur une radio périphérique. D'autres, beaucoup plus sensées, portent sur le bouquet de rénovation mais celle où on entend « je voulais changer ma chaudière, un conseiller MaPrimeRénov m'a annoncé la possibilité de bénéficier d'une prime de 6000 euros : j'ai donc changé ma chaudière et je suis très contente » comporte un risque de gaspillage financier. En effet, installer une chaudière neuve dans une passoire thermique est un non-sens complet : inversement, à la limite on peut chauffer un bâtiment bien isolé avec une simple bougie.

De plus, on se trompe parfois de cible : il en va ainsi de certaines associations - entendues par votre commission - qui soulignent, de façon très vertueuse sur le plan social, la nécessité de privilégier les personnes à faibles revenus ; d'autres défendent l'idée de soutenir ceux qui disposent de revenus moyens leur permettant d'engager plus rapidement des travaux. On fait ici fausse route car l'objectif est de financer non pas les personnes mais la rénovation efficace des bâtiments. Il faut en revenir à une logique d'efficacité énergétique en ciblant les bâtiments et en y appliquant des méthodes adéquates pour limiter la consommation. Depuis plusieurs années on persiste dans l'erreur fondamentale qui consiste à se fixer sur la lettre du DPE - qui s'affiche dans les agences immobilières comme un signal alarmiste pouvant empêcher la vente ou la location d'un bien - plutôt que sur sa cohérence d'ensemble et son objectif. Depuis 20 ans, je réalise à titre personnel des mesures de consommation d'énergie dans mon logement à l'aide d'un tableau Excel et je recherche, à travers les fluctuations annuelles du climat ou de l'occupation des lieux, les moyens de réduire de façon structurelle la dépense énergétique moyenne : dans cet exercice les diagnostiqueurs parviennent à obtenir des résultats convenables.

Nos préconisations doivent par exemple alerter sur l'effet limité d'un changement isolé de fenêtres dans un logement de petite surface et orienter vers un bouquet de mesures globalement plus efficaces. Au moment où une version améliorée du DPE avait été mise en place, il a fallu organiser des formations de mise à jour pour les diagnostiqueurs ; j'avais alors téléphoné à des représentants de régions qui disposaient de retours de financements importants en suggérant de nous accorder un petit supplément d'allocations pour renforcer le volet recommandations des stages conformément au but ultime du DPE. Plusieurs de mes interlocuteurs ont trouvé le l'idée excellente, mais cette recommandation n'a jamais été suivie d'effets.

Je termine en rappelant que, sur le terrain, ce n'est pas tant MaPrimeRénov' ou l'État qui incitent les particuliers à engager des travaux de rénovation : la force motrice est souvent exercée par les banques ou le secteur privé, en particulier quand le bien immobilier sert de gage à un prêt et que l'établissement financier souhaite, en cas de défaillance du débiteur, se prémunir contre l'impossibilité de vendre une passoire thermique.

M. Jean-Christophe Protais, président de Syndicat interprofessionnel du diagnostic immobilier, de l'analyse et de la numérisation de l'existant (Sidiane). - Il n'est pas facile d'intervenir en dernier après mes confrères. Je rappelle que le Syndicat interprofessionnel du diagnostic immobilier, de l'analyse et de la numérisation de l'existant (Sidiane) a été créé il y a un plus d'un an maintenant : les membres qui y ont adhéré avaient besoin de se regrouper dans une entité indépendante du monde de l'immobilier pour permettre au diagnostiqueur d'exercer son métier en toute liberté : c'est un point fondamental pour nous et qui figure d'ailleurs dans le code de la construction. Ensuite, comme vous l'avez sans doute remarqué, nos membres fondateurs ont été rejoints par six adhérents ainsi que des membres partenaires représentant l'intégralité de la filière, y compris des grands laboratoires, des organismes de formation, des organismes de certification et des fabricants de matériel liés au monde du diagnostic. Enfin, nous avons mis en place une gouvernance simple et efficace rassemblant nos douze membres et notre dizaine de partenaires, ce qui nous permet d'être une force de proposition en préservant notre liberté de parole.

Je souligne que Sidiane choisit ses membres : en effet, nous n'avons pas besoin de membres complémentaires pour assurer notre viabilité financière et cela nous donne une grande liberté. Néanmoins, l'intersyndicale est une nécessité et Sidiane n'est pas une fédération autonomiste ou indépendantiste. La preuve en est que - sans l'avoir formalisé - nous travaillons avec deux des représentants assis à cette table sur de nombreux sujets et en particulier sur le diagnostic de performance énergétique (DPE). Nous avons organisé deux réunions qui nous permettront d'aboutir à une contribution commune des diagnostiqueurs, des organismes de formation et de certification sur l'évolution du DPE.

J'estime que le DPE est absolument nécessaire et j'en suis un grand supporter : en effet, père d'une grande famille, avec de nombreux enfants et petits-enfants, je souhaite léguer à ces derniers une planète où ils pourront vivre en harmonie. Je ne reviens pas sur la phase de lancement du DPE ni sur sa phase de tâtonnement ; je dirai que nous sommes aujourd'hui en phase 3 qui comporte indéniablement la nécessité d'améliorer sa fiabilité, bien qu'il ait considérablement progressé. Nous avons donc engagé un dialogue somme toute constructif avec la DHUP, parfois émaillé de quelques frictions légitimes ; nous allons, je pense, aboutir dans les semaines ou les mois à venir sur un dispositif efficace, pragmatique et supportable économiquement pour le monde du diagnostic. Ce dernier volet financier constitue aujourd'hui un point d'achoppement parce qu'il faut aussi que le diagnostiqueur puisse supporter la charge d'un nouveau DPE avec de la formation revisitée, des examens unifiés, de la surveillance et du contrôle permanent.

Néanmoins, je me fais ici l'interprète de la Sidiane pour souligner la nécessité d'une phase 4 à venir sous forme d'un schéma directeur pour enclencher un changement systémique garantissant une fiabilisation absolue. Je m'explique brièvement : pour réussir un DPE, le rôle du diagnostiqueur est bien évidemment important, et nous n'allons pas fuir nos responsabilités ; mais il fait partie d'un triptyque incontournable dont le deuxième angle est le propriétaire. Celui-ci a un rôle déterminant dans la réussite du diagnostic de performance énergétique car il doit apporter le maximum de données ; or trop souvent, nos diagnostiqueurs sont confrontés à l'absence du propriétaire. Une telle situation est absolument à proscrire : non seulement le propriétaire doit s'engager à fournir des données au diagnostiqueur mais il doit également s'abstenir d'exercer une pression quelconque sur ce dernier - comme l'illustrent les émissions télévisées à scandale sur le DPE. Enfin, les prescripteurs indirects que sont l'agent immobilier, le mandataire et le notaire doivent également être intégrés dans cette logique. Nous proposons ainsi la mise en place d'un indice de complétude qui permettrait de mesurer les données fournies par le propriétaire par rapport aux exigences requises pour réaliser un diagnostic de qualité. Nous avons également suggéré de revoir la certification des personnes et d'introduire en parallèle la certification d'entreprise ; ce dernier sujet ne fait pas l'objet d'un consensus parmi l'ensemble des fédérations de diagnostiqueurs mais la certification d'entreprise me semble impérative pour garantir un DPE de qualité.

M. Yannick Ainouche. - Je rebondis sur cette intéressante proposition de triptyque pour insister sur la nécessité pour les notaires de mieux remplir leur mission de contrôle de nos certifications, des numéros d'Ademe qui sont enregistrés et des assurances souscrites par les diagnostiqueurs. Force est de constater, et je le dis sous serment, que ce rôle de vérification imparti à l'officier public n'est pas toujours parfaitement exercé et nous appelons à plus de rigueur dans ce domaine.

M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Merci pour vos interventions assez précises. Vous avez surtout formulé un certain nombre de critiques en particulier sur le fonctionnement du DPE et la difficulté de tenir ses objectifs à l'horizon 2050, ce qui conduit à se demander quelles sont les voies de progrès ou, à la limite, quel dispositif pourrait remplacer le DPE. J'ai bien entendu votre suggestion de cibler les opérations sur les bâtiments où elles ont le plus d'efficacité et je souhaite vous interroger plus généralement sur les solutions que vous préconisez.

Vous avez évoqué à juste titre le rôle désormais central du diagnostiqueur dans la politique de rénovation thermique en abordant le sujet de la carte professionnelle qui pourrait se prolonger par une assermentation. On recense aujourd'hui des cas de mise en cause judiciaire de la responsabilité du diagnostiqueur et de façon générale, je souhaite vous interroger sur votre vision de l'évolution de votre profession. Cela recouvre d'abord la question de la formation : faut-il mettre en place une filière spécifique qui permettrait de définir très précisément le métier de diagnostiqueur ? Ensuite, je souhaite recueillir votre avis sur le lien entre le DPE et l'intervention du conseiller de « Mon accompagnateur rénov' » : devrait-on autoriser les diagnostiqueurs à pouvoir jouer le rôle d'un conseiller en rénovation sous réserve de l'interdiction d'être, pour le même bien, diagnostiqueur au titre du DPE ?

S'agissant des phases d'évolution du DPE, quelles modifications vous paraissent aujourd'hui souhaitables pour en renforcer la fiabilité ? Vous paraît-il nécessaire - et si oui comment - de mieux prendre en compte le confort thermique d'été qui est quasiment absent du dispositif DPE actuel ?

Les auditions que nous avons conduites sur la rénovation énergétique amènent également à nous interroger sur l'équilibre entre son caractère incitatif et obligatoire et nous avons recueilli des avis différents sur ce sujet. Est-il, selon vous, opportun d'empêcher des locations, voire des transactions, en fonction des résultats obtenus lors du DPE ? Ne devrait-on pas rendre obligatoire la rénovation thermique lors de la vente d'un bien ?

Enfin, nous avons pris connaissance de l'importance du rôle des notaires et avons prévu de les entendre prochainement.

M. Jean-Christophe Protais. - Vous nous interrogez sur un champ de questions très large et je vais essayer d'en cibler quelques-unes. Tout d'abord, je reviens sur la notion qui m'est chère de tierce partie indépendante. Le sujet très important est de tenter de nous dédouaner de la pression naturelle d'un propriétaire ou d'un agent immobilier en position de vendeur : une telle pression est naturelle et j'agirais de la même façon à leur place ; ils veulent accélérer la procédure et, autant que faire se peut, que le résultat du DPE soit favorable. Face à cette situation, il nous semble important de mettre en place des diagnostics immobiliers périodiques, tous les 10 ans, et décorrélés de la transaction, un peu à l'image du contrôle technique automobile. Cela diminuerait la pression exercée sur le diagnostiqueur et permettrait en outre de cartographier tous les biens immobiliers y compris le nombre important de ceux qui ne sont ni loués ni mis en vente.

En ce qui concerne la surveillance du diagnostiqueur, et compte tenu de mon expérience dans le secteur du contrôle technique ainsi que dans des entreprises de l'immobilier, j'indique que les cinq paramètres permettant de garantir un service de qualité sont les suivants : la formation, la qualification, le tutorat, la surveillance et la sanction. Dans le système actuel on va certainement parvenir à uniformiser les formations en enclenchant le mouvement dès cet automne et en veillant à sa soutenabilité financière. La qualification relève pour sa part des organismes de certification de personnes : dans ce domaine, quelques améliorations sont nécessaires avec des examens unifiés ainsi que des questions standardisées et renouvelées - je considère qu'il faut s'atteler à cette tâche importante dès le mois de septembre. En troisième lieu, le tutorat, c'est-à-dire le compagnonnage, me semble un point majeur mais très difficile à développer dans la situation actuelle. Cela existe dans tous les métiers du monde comme l'artisanat, l'art, la médecine et les métiers qui débouchent sur un diplôme. Cependant, je ne vois pas comment on peut l'organiser dans les dispositifs existants. J'en viens au volet essentiel de la surveillance et permettez-moi, à titre illustratif, une analogie : le meilleur pilote de Formule 1 du monde obtiendra facilement son permis de conduire mais il faut néanmoins le surveiller car il pourrait conduire trop vite sur la route et mettre en danger les autres usagers. Il en va de même pour le meilleur diagnostiqueur du monde qui peut, s'il n'est pas surveillé, déraper à un moment de sa carrière : je vous rassure, Madame la Présidente, il ne s'agit que d'une infime minorité dans notre profession mais qui malheureusement alimente la presse ou les émissions à scandale. Ce système de surveillance est aujourd'hui mal adressé dans les dispositifs existants, y compris les plus récents, et malgré les mesures compensatoires qui se traduisent par des contrôles documentaires ou sur ouvrage plus fréquents. L'impérieuse nécessité est d'organiser un contrôle longitudinal en continu permettant à un organisme de certification d'être à tout moment alerté de la dérive d'un diagnostiqueur. Pour arriver à ce résultat, le dispositif n'est pas simple à mettre en place mais les outils existent. On a ainsi la chance de disposer de la base de données de l'Ademe qui est le réceptacle de tous les diagnostics de performance énergétique : utilisons-la dès à présent pour détecter des anomalies évidentes de premier niveau comme la triste histoire qui est arrivée dans une société extrêmement sérieuse mais dont un collaborateur a dérapé en enregistrant 450 ou 1200 diagnostics le même jour.

Enfin, la sanction existe mais elle est appliquée de manière disparate selon les organismes de certification ; ces derniers sont payés pour exercer le rôle de censeur et ils disposent d'un référentiel ainsi que d'une accréditation par le Comitéì français d'accréditation (Cofrac) composé de gens sérieux. Nul besoin de dispositifs complémentaires par rapport à l'existant qui doit, en revanche, être mobilisé par tous les organismes de certification. Je précise que nous ne sommes pas favorables à l'idée évoquée par M. Yannick Ainouche de créer une carte D de diagnostiqueur car elle ne servirait à rien, mais chacun est libre de s'exprimer sur ce point.

Quand on aura réglé ces cinq difficultés et intégré le triptyque que j'ai évoqué, on entrera dans ce que j'appelle le DPE phase 4 avec une garantie de fiabilité absolue du DPE - mais procédons par étapes avec d'abord la phase 3 à réussir dès le début de l'automne.

M. Frédéric Mirabel-Chambaud. - Je rappelle que le socle de notre profession est l'indépendance du diagnostiqueur et il s'agit, comme le précise la loi, d'une indépendance financière : il nous est, par exemple, interdit de posséder une entreprise de chauffage ou d'isolation.

De plus, dans une opération de rénovation, les compétences sont dispersées : si votre plombier intervient, il ne va pas changer les fenêtres et encore moins poser du « placo » sur les murs ou isoler vos combles. En revanche, le diagnostiqueur a une vision globale et indépendante : c'est lui qui arrive en premier sur le terrain, rencontre le propriétaire et peut lui apporter des conseils utiles en contredisant les préjugés ou l'inconscient collectif qui amènent le propriétaire à se contenter de modifications ponctuelles ou à croire qu'un simple changement de fenêtres suffit à isoler un logement.

Nous sommes quasiment les seuls à exercer ce rôle de synthèse puisque, par exemple, les conseillers MaPrimeRénov' ne vont pas sur le terrain. Ces derniers se focalisent sur le volet administratif de la rénovation, les aides ainsi que les avantages fiscaux et il s'agit là d'une lourde tâche.

Je fais observer que, sans prendre la place du conseiller MaPrimeRénov, le diagnostiqueur pourrait prolonger sa mission technique par une analyse des devis pour détecter d'éventuelles arnaques, surfacturations ou incohérences : ce sujet revient souvent dans les débats et il est vrai que les diagnostiqueurs ont souvent une expérience professionnelle aguerrie qui leur permettrait de remplir ce rôle. Une telle avancée nous permettrait également de conseiller les clients sur le meilleur ratio entre l'isolation et le coût des travaux : en effet, plus de 40 % des demandes de prêts sont refusées parce que les emprunteurs présentent des estimations de travaux trop élevées. L'État ne peut pas à lui seul organiser la rénovation énergétique : tous les acteurs de la chaîne doivent agir conjointement sur la base de normes pérennes et adaptées aux réalités de terrain. Pour relever ce défi, le diagnostiqueur peut, en élargissant son rôle, permettre au DPE d'atteindre ses véritables finalités, au-delà de la lettre du dispositif. Il nous arrive souvent de faire découvrir aux personnes qui habitent un logement depuis des dizaines d'années des mécanismes thermiques auxquels elles n'avaient jamais pensé ; notre intervention est beaucoup plus efficace que la simple consultation de formulaires, de sites en ligne ou de publicités pour la rénovation.

Nous pouvons enfin, sur la base de nos analyses, nourrir la concertation et apporter des retours d'expérience à l'État pour qu'il puisse prendre les mesures d'adaptation adéquates. Les diagnostiqueurs veulent faire avancer les choses car il n'y a rien de plus démoralisant, pour nous, que de constater qu'un bien immobilier faisant l'objet d'une transaction est truffé de plomb, d'amiante sur le toit et de défaillances électriques sans que personne n'enclenche des travaux : l'ADN du diagnostic et la mission qui nous a été confiée est de remédier à ce genre de situation.

M. Lionel Janot. - J'enchaîne rapidement avec des indications relatives à la pédagogie, le rôle des propriétaires, la responsabilité des diagnostiqueurs et leur place dans le secteur de la rénovation énergétique.

La prise de conscience des propriétaires, directe ou par le biais des professionnels de l'immobilier, a été assez rapide et j'en ai été le premier surpris. Je précise que les professionnels de l'immobilier font de la pédagogie auprès des particuliers pour leur expliquer les tenants et les aboutissants du DPE. Comme on le constate, tant que le propriétaire n'a pas sous ses yeux le DPE, il n'écoute pas, n'entend pas et ne réagit pas à nos demandes d'information. En revanche, quand le document arrive dans les mains du propriétaire ou de son représentant, tout s'éclaire et les doutes sont écartés. De ce fait, les professionnels de l'immobilier, qui jouent un rôle d'intermédiaire, sont désormais très informés des arcanes du DPE, de ses conséquences et des documents requis pour son élaboration. Cependant, quand les diagnostiqueurs doivent aller sur place et directement au contact du propriétaire - ce qui est souvent le cas - il faut alors consacrer un temps phénoménal à l'accompagnement pour lever ses doutes sur la nécessité de disposer des factures d'énergie ou autres. Je rebondis donc sur l'idée intéressante d'un indice de complétude qui permettrait au propriétaire de prendre conscience plus rapidement de la nécessité de sa participation au DPE, en nous apportant les documents utiles et en nous aidant au quotidien.

Il ne faut pas oublier que le DPE est un outil d'application générale institué par les pouvoirs publics et par l'Europe, destiné à ce que tous les logements soient comparables, quel que soit leur type ou leur année de construction, tout en générant des travaux économiquement abordables pour les propriétaires. Par conséquent, le diagnostic doit être réalisé assez vite et efficacement mais avec un coût limité. Comme nous l'avons tous dit, le DPE nécessite encore quelques ajustements en termes de fiabilité et, chaque jeudi, nous nous réunissons avec la DHUP pour y travailler. Je mentionne à mon tour le cas des petites surfaces en rez-de-chaussée ou au dernier étage qui sont encore pénalisées dans le calcul du DPE : des améliorations sont nécessaires à ce sujet même si, je le signale, les solutions techniques font défaut.

En termes de responsabilité, vous avez mentionné les décisions de la troisième chambre civile de la Cour de cassation qui incriminent les diagnostiqueurs sur différents sujets : ce type d'évènement n'est pas souhaitable mais je dirai que c'est un mal nécessaire. Vous savez probablement mieux que moi que les jurisprudences évoluent en moyenne tous les dix ans, comme le font observer les avocats : tel est le cas dans le secteur du diagnostic où les décisions de justice après avoir eu tendance à être à charge commencent à devenir plus pragmatiques. En matière de DPE, compte tenu de la façon dont les choses ont commencé, on risque de voir surgir d'autres condamnations mais je rappelle que le diagnostic est opposable et que nous devons y faire figurer des informations précises. Il faudrait relier la certification, à la problématique des assurances : celle-ci est obligatoire pour notre profession mais le nombre d'acteurs en charge de l'assurance de responsabilité civile professionnelle se réduit considérablement et il n'y a plus que deux acteurs sur le marché du diagnostic, pas tant sur l'activité de performance énergétique que sur le volet amiante sur lequel les appétits des acteurs ont reculé. Pour autant, les diagnostiqueurs se sont professionnalisés et sur le DPE, il devient nécessaire de relier la mise en cause de la responsabilité des diagnostiqueurs, les assurances, la certification et les possibilités de sanctions plus drastiques de la part des organismes de certification.

Je ne reviens pas sur les propos du président de la SIDIANE qui a souligné l'importance de la formation et surtout du tutorat ; en pratique, on constate effectivement qu'un DPE bien fait nécessite d'assimiler les bons réflexes pour rentrer les bonnes informations factuelles et, sur ce point, le compagnonnage est plus efficient que les formations à distance. Par ailleurs, le contrôle statistique longitudinal par le biais de l'ANAH me paraît tout à fait réalisable et permettrait de repérer, dans un premier temps, les abus ainsi que les diagnostiqueurs qui se contentent de répliquer toujours la même note de DPE.

S'agissant du positionnement du diagnostiqueur, je souligne tout d'abord que le monde de la rénovation énergétique foisonne et, pour le propriétaire, c'est devenu compliqué - entre le DPE, « Mon accompagnateur Rénov' », les CEE... - et ils ne savent plus à quelles aides ils peuvent prétendre. Certes les choses se mettent en place mais je pense que le plus important, c'est de pouvoir gérer les fonds publics en évitant le saupoudrage et sans perdre de vue la pertinence des travaux qui sont réalisés. Je n'aborderai pas ici l'aspect financier du contrôle - en particulier celui des CEE qui nous paraît nécessaire - mais j'estime souhaitable que certains diagnostiqueurs puissent se spécialiser dans la logique énergétique. Je rappelle que la communauté du diagnostic s'est orientée vers trois métiers : tout d'abord, le diagnostic immobilier d'ensemble en cas de vente ou de location ; ensuite, les problématiques avant travaux sur l'amiante et le plomb ; et plus récemment, l'énergie, sur laquelle le secteur s'organise au fil du temps, avec des compétences souvent acquises en amont par leur expérience antérieure.

Je termine en abordant le DPE collectif qui va devenir un sujet majeur : on ne dispose pas pour l'instant de recul sur cet outil qui est en phase de lancement et nous dialoguons beaucoup avec les syndics. Le DPE collectif est obligatoire et autonome mais sa logique le situe également dans le cadre du projet de plan pluriannuel de travaux avec le Diagnostic technique global (DTG). Notre participation est prévue pour le DPE collectif et nous avons demandé à la DHUP de créer, comme c'est le cas pour le DPE individuel, une commission pour y remonter les informations, affiner l'outil et améliorer la pertinence du DPE collectif.

M. Yannick Ainouche. - Je vais m'efforcer d'éviter les redondances, d'autant que je m'associe à l'essentiel des interventions de mes collègues. Néanmoins, je souhaite apporter une note d'optimisme car votre commission d'enquête a pour sujet principal l'efficacité de la politique publique : le DPE en est un des maillages et les diagnostiqueurs en sont le bras armé. Le rapport de la Cour des comptes, consacré en particulier à l'efficacité de MaPrimeRénov, décrit le processus de déroulement des travaux de rénovation - qu'ils soient gérés par un organisme public ou un particulier - en soulignant à juste titre que, très souvent, quand vous faites appel à un artisan ou un menuisier, il vous vend des fenêtres ; pour sa part, le chauffagiste vous recommande de changer la chaudière et le maçon vous parle d'isolation par l'extérieur. La Cour des Comptes constate au final que plus de 70 % des sommes allouées par l'État au titre de MaPrimeRénov financent des éléments de confort plutôt que des économies d'énergie permettant de diminuer l'empreinte carbone du logement : je fais ici observer qu'on pourrait utiliser le DPE non seulement dans les transactions immobilières mais aussi comme un indicateur absolu à chaque fois qu'on effectue des travaux. Dès lors qu'une enveloppe est prévue par l'État, il faudrait qu'un tiers de confiance puisse préciser le panel de travaux qu'il convient de réaliser sans se limiter à des opérations ponctuelles dont mes confrères ont montré la relative inefficacité. Il me semble important que votre commission d'enquête puisse s'interroger sur la pertinence de l'allocation de l'argent du contribuable à la rénovation énergétique et je pense que le diagnostiqueur peut être un acteur clé pour améliorer la performance dans ce domaine. J'entends moi aussi les critiques des medias mais nous constatons tous que le DPE est en train de progresser et le regard de la DHUP sur notre filière évolue positivement car l'administration ressent également la pression qui accompagne la mise en oeuvre de cette politique. Il est fondamental que notre filière évolue et nous comptons sur le législateur pour accompagner nos efforts de transformation en un vrai métier reconnu par tous.

Je rappelle que nous avons 34 centres de formation agréés ainsi que 13 organismes de certification - avec une possibilité de passage de l'un à l'autre en cas de difficulté : notre filière et, par ricochet, la politique publique de rénovation méritent mieux. Faut-il que nous soyons assermentés ? Je laisse le soin au législateur d'en décider mais, à tout le moins, notre profession doit être beaucoup mieux organisée avec un vrai métier identifié par un diplôme, assorti de responsabilités et structuré par une entité fédérale - le mécanisme du Conseil de l'ordre n'étant désormais plus d'actualité en droit européen.

Je trouve aberrant que notre filière nous forme dans une économie exclusivement marchande. Dans nos multiples centres de formation, on paye non pas tant pour apprendre le métier de diagnostiqueur que pour maximiser ses chances de certification. De plus, parmi les nombreux organismes de certification, on choisit parfois celui qui - sans me livrer à un propos blessant - semble le plus attractif. Le décalage entre ce système marchand et nos activités qui sont au coeur de l'efficacité de la politique publique me paraît anormal. Il nous faut absolument un vrai diplôme et une vraie organisation de la filière. Nous avons également besoin, comme les autres métiers, de formation continue obligatoire - d'une durée de 14 à 21 heures par an - pour nous adapter aux évolutions législatives, technologiques et professionnelles, ce qui suppose que nous puissions avoir accès aux financements auxquels les filières professionnelles peuvent prétendre.

Je rappelle aussi, pour rester optimiste, que le DPE est un formidable outil que beaucoup nous envient. C'est la tendance à la réduction de la consommation d'énergie qui anime la philosophie historique du DPE : une signalétique comportant sept classes ou « ranking » de A jusqu'à G a ainsi été définie, par laquelle le législateur a signifié sa volonté de progresser dans la sobriété énergétique. Par analogie, le contrôle technique automobile a relégué dans le passé les véhicules qu'on apercevait capot ouvert et émettant des fumées noires. Comme vous le savez, l'État impose également, depuis le 1er janvier 2023, la tenue d'un carnet d'information du logement (CIL) qui s'inscrit dans le changement de paradigme souhaité par la loi climat résilience. Le CIL sera également un formidable outil dont l'utilité se manifestera progressivement dans le temps - étant entendu que la rénovation énergétique du pays se déroulera pendant 30 ans - et dont la philosophie est proche du DPE périodique.

Certes, en 2050, tout ne sera pas réglé et le DPE subira inéluctablement quelques critiques, principalement de la part des propriétaires désormais contraints de faire des travaux. N'oublions pas cependant que ces mesures sont protectrices du locataire et combattront les abus auxquels se livrent certains bailleurs. Je souligne d'ailleurs, devant la commission d'enquête, qu'aujourd'hui notre filière est de plus en plus sollicitée par des locataires qui se plaignent du froid et de l'absence de DPE.

On perçoit donc des grincements de dents de la part des propriétaires mais il faut assumer le changement de législation. Demain, la commission d'enquête pourra peut-être formuler des recommandations pour encourager fiscalement les dépenses de travaux, éventuellement en perfectionnant la loi dite Balladur qui autorise l'imputation du déficit foncier sur le revenu global. On peut également envisager de sanctionner la non réalisation par le bailleur des travaux requis en plafonnant les loyers ou en les réduisant. On peut imaginer un recours à de nombreux outils dissuasifs et, sans nier les tiraillements, je ne suis pas de ceux qui pensent que les logements seront vides d'ici deux ans. Les banques sont également des acteurs majeurs pour accompagner la rénovation énergétique et pourraient proposer de nouveaux véhicules financiers : je mentionne ici l'existence de l'Éco-prêt à taux zéro dit « éco-PTZ » et l'obligation de verdissement des investissements à hauteur de 30 % imposée par le régulateur bancaire. Les banquiers prêteurs doivent pouvoir se fonder sur des éléments très précis et le DPE répond à cette exigence car ce petit outil de diagnostic est abordable, rapidement élaboré et fiable : ce n'est pas un audit énergétique complet mais le DPE donne une première indication et on ne peut pas négliger son importance pour les 22 millions de biens immobiliers de France. À mon sens, on ne devrait pas pouvoir bénéficier d'aide publique ou de financements bancaires sans DPE préalable au lancement de travaux de rénovation énergétique.

En conclusion, nous travaillons intensément et nous avons étés projetés au coeur de l'actualité alors que nous étions invisibles. Nous sommes parfois devenus un point de crispation ou d'échauffement et on nous fait porter beaucoup de torts. Cependant, notre filière est consciente des enjeux : on avait coutume de dire que l'immobilier est avant tout une question d'emplacement, il faut également aujourd'hui prendre en compte le DPE.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Vous nous avez indiqué qu'il manque aujourd'hui environ 1000 diagnostiqueurs sur le territoire. Or la demande de DPE suit une courbe ascendante. J'entends bien vos suggestions sur l'amélioration du dispositif de formation et l'organisation de la filière mais, dans l'immédiat et à court terme, comment répondre aux demandes de DPE qui vont continuer à augmenter avec ce déficit de main-d'oeuvre, si j'ose dire, et en tout cas de diagnostiqueurs sur l'ensemble du territoire ?

Par ailleurs, comment s'établissent les liens entre les professionnels que vous êtes en matière de diagnostic immobilier ou de DPE et les auditeurs énergétiques ?

M. Jean-Christophe Protais.- S'agissant de votre première question, il manque effectivement 1000 diagnostiqueurs mais la filière s'adapte. Je ne connais pas de clients ayant besoin aujourd'hui d'un diagnostic de performance énergétique et qui ne soient pas adressés : ça n'existe pas.

Par ailleurs, il est prévu que les diagnostiqueurs de performance énergétique, avec une formation complémentaire et une certification - qu'elle soit personnelle ou d'entreprise - puissent également réaliser des diagnostics, mais pas seulement : vous connaissez comme moi le décret et le projet de décret sur l'information et la compétence et je ne suis pas inquiet sur la capacité à trouver des personnes pour réaliser des DPE et des diagnostics énergétiques.

Je souhaite aborder le point numéro 11 du questionnaire écrit que vous m'avez transmis et qui m'interpelle. Il s'agit de se demander si la certification d'entreprise va améliorer ou dégrader la qualité par rapport à la certification de personne. Je suis pour ma part convaincu que la certification d'entreprise va dans le sens de l'amélioration de la qualité parce qu'elle apporte une réponse aux cinq points que j'ai évoqués, contrairement à la certification de personnes qui n'en traite que trois et ne résout pas les deux volets portant sur le tutorat et la surveillance. Il est vrai que la certification d'entreprise n'a pas été une très grande réussite dans le cas du label RGE - « reconnu garant de l'environnement » - mentionné dans votre document mais on trouve aussi de vrais succès et je pense ici à la certification d'entreprise mise en place par nos amis et clients désamianteurs. Le monde du désamiantage est ainsi passé en l'espace de dix ans d'une profession d'artistes - pour être courtois - à de vrais professionnels aujourd'hui grâce à la certification d'entreprise.

Vous nous interrogez aussi sur la capacité des grandes entreprises de diagnostic à répondre aux besoins en ruralité et je rappelle que, par chance, notre profession est protéiforme : elle se divise en quatre catégories avec des indépendants, adossés ou pas à des réseaux de franchise, des « pure players » et des bureaux de contrôle. C'est la typologie des acteurs dans le monde du diagnostic. Que ce soit pour des gros, des petits ou des moyens projets, en zone urbaine ou rurale, il y aura toujours une réponse à la demande de diagnostic. Il en va de même dans d'autres métiers et j'observe sur la base d'exemples concrets que dans les zones isolées on ne trouve pas facilement d'indépendants et ce sont parfois de grandes structures qui s'organisent pour répondre à la demande. Je refuse de mettre en opposition les gros et les petits car la richesse de notre profession est d'être plurielle. Je ne sais pas si le secteur évoluera dans un sens ou une autre et ce n'est pas le rôle d'une fédération de s'en préoccuper. Je me demande également si les pouvoirs publics doivent s'intéresser à la taille des entreprises car la seule contrainte est de fournir un travail de qualité. Je réaffirme donc haut et fort que selon moi, comme le prouvent d'autres métiers, les entreprises grosses ou moyennes peuvent intervenir en milieu rural.

M. Lionel Janot. - Le maillage national de diagnostiqueurs est satisfaisant et apporte une réponse avec des temps d'attente assez réduits. Cependant, il est parfois difficile d'expliquer au propriétaire que notre intervention nécessite un délai d'une semaine plutôt que de deux jours quand il n'y a pas d'urgence particulière. Si on acceptait ce schéma d'intervention, il n'y aurait plus aucun problème de pénurie car l'estimation du déficit de 1 000 diagnostiqueurs reste relative et varie d'une région à une autre et les temps d'attente pour les différents diagnostics restent relativement réduits. Le problème n'est donc pas véritablement le manque de ressources en diagnostiqueurs et en tout cas pas dans l'immédiat. Il faut ici faire le lien avec la formation car on constate l'arrivée de candidats issus d'univers qui n'ont rien à voir avec celui du diagnostic et qui ne sont pas en capacité d'être formés rapidement ni a fortiori de travailler conformément aux exigences de qualité. Nos besoins en diagnostiqueurs sont donc permanents mais pas urgents.

S'agissant de la certification, je rappelle tout d'abord que notre écosystème s'est essentiellement constitué avec des indépendants et des petites entreprises sur l'ensemble du territoire. La certification n'est intervenue que dans un second temps, quand il a fallu professionnaliser et organiser le métier. La certification de personnes est un mécanisme bien particulier qui présente à la fois des avantages et des défauts et nous essayons de l'améliorer. La mettre en parallèle de la certification d'entreprise ou instituer un double système de certification de personnes et d'entreprises va certainement modifier l'écosystème des diagnostiqueurs. Il est difficile d'affirmer que l'un des modes de certification est meilleur que l'autre car ils sont différents et tout dépend des individualités. J'affirme que si le chef d'entreprise ne privilégie pas la qualité du travail, l'activité en subira les conséquences, quelles que soient les personnes qui interviennent. La certification de personnes a le mérite, pour sa part, même en l'absence de sanctions, de s'accompagner de contrôles permanents mais ça ne règle pas tout. Le choix entre la certification d'entreprise ou de personnes dépendra de la volonté du législateur : il s'agit de savoir si on souhaite une offre de marché composée d'entreprises différentes ou alors concentrée sur quelques entreprises de taille nationale. Dans d'autres domaines d'activité, un petit nombre d'entreprises certifiées employant un grand nombre de salariés se partagent le marché. Tel est le cas pour l'organisation de l'offre dans le contrôle technique automobile et il faut être conscient que le choix par le législateur de la certification d'entreprise conduirait notre écosystème à évoluer dans le même sens.

M. Frédéric Mirabel-Chambaud. - Je précise tout d'abord que notre association n'est pas opposée à la certification mais qu'elle souhaite plutôt la remplacer par un dispositif plus efficace.

S'agissant du risque de pénurie de diagnostiqueurs, je partage l'avis de mes confrères : aujourd'hui, on s'adapte sans difficulté.

Par ailleurs, j'attire votre attention sur la nécessité pour les diagnostiqueurs de repasser ces certifications tous les sept ans. Personne n'imagine d'imposer une telle exigence aux médecins aux avocats ou à n'importe quelle profession. Cela risque d'aggraver l'hémorragie de diagnostiqueurs qui se profile dans les prochaines années. En effet, beaucoup de nos adhérents sont simultanément à un an ou deux de la retraite et en fin de certification ; ils vont certainement hésiter ou renoncer à repasser une certification - d'ailleurs coûteuse - dans 6 ou 7 domaines pour continuer leur activité pendant un an en se disant « ça me coûte trop cher ; j'arrête ». Les difficultés surgissent également en milieu de carrière pour les salariés, voire pour les indépendants. Je rappelle, en effet, que l'on doit réussir six examens - plomb, amiante, électricité, DPE gaz et termites pour les régions qui en sont infestées - : dans le cas où on échoue à l'un d'entre eux, il est difficile d'expliquer au client qu'il doit s'adresser à un confrère pour une seule des composantes du diagnostic et le salarié, quant à lui, risque de perdre son emploi.

Aujourd'hui nous parvenons à répondre à la demande mais l'avenir est très incertain : aujourd'hui, comment attirer un jeune vers notre métier en lui disant que s'il débute à 20 ou 25 ans et qu'il cesse son activité à 64 ans, il devra réussir tous les 7 ans, 6 modules et donc passer plus de 30 fois des examens couperets ; s'il est à son compte, il risque de perdre son travail, pouvant ainsi mettre en danger sa famille. Comment voulez-vous faire rentrer des jeunes dans cette profession-là ? Face à cette situation, nous préconisons depuis plusieurs années - comme nous vous en avions informée, Madame la Présidente, il y a déjà deux ans - une certification renforcée au départ, incluant une vérification sur le terrain qui fait défaut aujourd'hui. Je mentionne que j'ai dirigé une entreprise de 70 personnes en maçonnerie mais que quand je me suis retrouvé seul sur le terrain pour effectuer ma première expertise, je me suis senti réellement inquiet. Un an après cette certification renforcée, il faudrait aménager un contrôle pédagogique - qui ne soit pas une sanction - mais dont le but serait d'ancrer les bonnes habitudes méthodologiques, par exemple en conseillant d'inspecter le tableau électrique avant les prises de courant. Par la suite, le dispositif que nous proposons serait complété par des formations adaptées aux évolutions normatives et techniques. C'est une logique similaire à celle dont témoigne un ami chirurgien en indiquant qu'il repasse pas ses diplômes de médecine tous les 7 ans mais doit suivre des formations régulières sans quoi ses connaissances seraient obsolètes au bout d'un ou deux ans. Il faut donc remplacer le bachotage actuel par des formations continues efficaces.

Nous avons également besoin d'organiser notre profession qui est encore jeune - elle est née voici une vingtaine d'années - et le défi est aujourd'hui énorme, en particulier pour monter en compétence, comme en témoigne l'intérêt de votre commission d'enquête sur ce sujet.

M. Yannick Ainouche. - Je m'associe pleinement aux interventions précédentes et je constate que nous sommes globalement d'accord, avec des temporalités un peu différentes. Il n'est pas souhaitable que notre filière qui a été créée dans une logique marchande de la formation et de la certification ne puisse se maintenir en activité qu'en repassant des certifications. C'est une hérésie, car nos collaborateurs connaissent très bien leur métier ; la formation continue est en revanche très importante pour muscler la formation initiale et peut-être même faut-il créer un vrai diplôme. Pour que l'État puisse demain continuer à jouer son rôle catalyseur dans la rénovation énergétique, il faut qu'il puisse s'appuyer sur une filière d'opérateurs à la fois très bien formée, intègre et indépendante vis à vis à des aléas marchands.

Nous sommes bien conscients de ne représenter qu'un tout petit maillon de la grande chaîne de l'efficacité énergétique et nous donner la parole, c'est aussi nous responsabiliser encore plus pour nous réformer et nous adapter à la nouvelle ère initiée par la législation.

Je souligne l'importance de l'allocation des fonds publics doit être soigneusement contrôlée pour garantir l'efficacité économique et politique, sans quoi les équilibres ou déséquilibres anciens vont perdurer. Certaines associations de propriétaires contestent la fiabilité des diagnostics ou des travaux, vilipendent certaines normes éco-citoyennes, et critiquent le fonctionnement de la DHUP ou de l'Ademe. Face à ces lobbies, la force de la loi climat et résilience nous entraîne et nous responsabilise tous. Comptez sur nous pour être au rendez-vous et nous structurer car nous n'existons que parce que vous l'avez décidé et pour appliquer les normes sur les territoires ruraux et urbains.

En réponse à votre question sur la nécessité de recruter 1 000 nouveaux diagnostiqueurs, je souligne que notre profession doit faire face à la difficulté soulevée par sa pyramide des âges. À 80 %, nos effectifs sont issus d'une reconversion professionnelle : souvent, ils ont décidé de changer de vie à 45 ou 50 ans pour se lancer dans une activité indépendante ou donner plus de sens à leur parcours et se sont formés pour devenir diagnostiqueurs. Je signale qu'une grosse partie de cette première vague de diagnostiqueurs des années 2000 va partir à la retraite : heureusement - et pour terminer sur une note un peu plus humoristique - les deux années supplémentaires introduites par la réforme des retraites vont nous donner un peu de souffle. Très clairement, je pense que le gouvernement doit aussi réfléchir aux formations et aux budgets de formation de Pôle emploi pour permettre à d'autres candidats au métier de diagnostiqueur de se former. Enfin, on ne doit pas se limiter à la reconversion et l'Éducation nationale doit nous aider à créer un titre professionnel pour donner de la visibilité à nos métiers et les rendre plus attractifs pour nos enfants et petits-enfants : j'espère bien qu'avant de partir à la retraite à 64 ans, j'entendrai un jeune dire lors d'un dîner en ville la phrase : « je veux devenir diagnostiqueur, parce que c'est un beau métier ».

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Au terme de ces paroles optimistes et encourageantes, je vous remercie tous très sincèrement d'avoir participé à cette intéressante table ronde. Vous pourrez par la suite suivre, si vous en avez l'occasion, nos travaux et nous devrions rendre notre rapport assorti de recommandations à la fin du mois de juin, sur notre thématique à large spectre

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 13h30.