Mercredi 12 avril 2023

- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -

La réunion est ouverte à 9 h05.

Audition de M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de la transition numérique et des télécommunications

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous avons le plaisir de recevoir M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de la transition numérique et des télécommunications - et Yvelinois -, que nous auditionnons pour la première fois au sein de notre commission.

Monsieur le ministre, votre audition s'inscrit en partie dans la continuité de celle de Mme Christel Heydemann, directrice générale d'Orange, de celle de Mme Laure de la Raudière, présidente de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) ainsi que de celle, plus récente et mouvementée, de M. Xavier Niel, fondateur du groupe Iliad-Free.

Notre commission a pu constater, à plusieurs reprises, « l'énervement collectif » qui existe actuellement autour de la question des tarifs de dégroupage, c'est-à-dire du prix payé par les opérateurs commerciaux à Orange, en tant qu'opérateur d'infrastructure historique du réseau cuivre, dont la fermeture est prévue à horizon 2030. Alors que l'opérateur historique plaide pour une hausse de ces tarifs, la proposition de révision de ces tarifs de l'Arcep étant actuellement soumise à la validation de la Commission européenne, les autres opérateurs refusent toute hausse : Bouygues Télécom a ainsi porté plainte contre Orange pour défaut d'entretien du réseau cuivre, tandis que Free dénonce une « désincitation » à la fermeture rapide de ce réseau et le maintien d'une « rente historique injustifiée ».

Si cette problématique relève de la compétence de l'Arcep, nos inquiétudes portent plus largement sur l'état de la concurrence et de la régulation d'un secteur qui cristallise les mécontentements des abonnés, des usagers, des élus et des collectivités territoriales, que nous représentons. Quel regard portez-vous sur la situation actuelle ? Les contrôles exercés par l'Arcep et l'Autorité de la concurrence vous semblent-ils suffisants pour assurer un « juste » niveau de régulation, sans favoriser un opérateur plutôt qu'un autre ?

D'un côté, il y a les moyens juridiques que nous pouvons confier, en tant que législateurs, au régulateur, mais qui sont aujourd'hui menacés, par exemple par la contestation par Orange de la constitutionnalité du pouvoir de sanction de l'Arcep. Mais il y a aussi, de l'autre côté, la volonté politique. N'est-ce pas également le rôle du Gouvernement de remettre tout le monde autour de la table afin de trouver une solution de sortie de crise ?

Sans la proposition de loi, volontairement offensive, de notre collègue Patrick Chaize, qui sera examinée ce matin par la commission de l'aménagement du territoire et que nous ne commenterons donc pas en détail, ni l'Arcep ni les opérateurs de télécommunications n'auraient accepté de publier les plannings et les comptes rendus de leurs interventions de raccordement ainsi que de notifier des plans de reprise ou de reconstruction de leurs réseaux les plus problématiques. Monsieur le ministre, soyez ainsi assuré qu'au Sénat, nous avons la volonté politique de faire bouger les lignes.

Au sein de la commission des affaires économiques, nous sommes néanmoins convaincus qu'il ne faut pas confondre vitesse et précipitation, c'est pourquoi nous accordons une attention toute particulière à la qualité, à la pérennité et à la résilience de nos réseaux de télécommunications.

Ainsi, votre annonce récente de la recherche d'un « nouveau deal » avec les opérateurs de télécommunications a particulièrement fait réagir. Elle suscite de l'intérêt, mais également des interrogations dans la mesure où le plan France Très Haut Débit n'est toujours pas finalisé : les raccordements complexes jusqu'au « dernier abonné du dernier mètre » doivent encore être largement financés, tandis que l'on constate le ralentissement des raccordements à la fibre optique dans les zones très denses et les zones d'initiative privée.

Alors, avant de « brandir la carotte » d'une réforme de l'imposition forfaitaire des entreprises de réseaux (Ifer), au bénéfice des opérateurs et au risque des collectivités territoriales, ne faudrait-il pas s'assurer que les opérateurs finalisent les engagements auxquels ils ont déjà souscrit ?

Nous devons également réfléchir à l'implantation des antennes, dont le déploiement s'est fortement accéléré avec l'amélioration de la couverture numérique de nos territoires. L'impression est plutôt celle d'un déploiement précipité et désordonné plutôt que d'une véritable stratégie coordonnée et concertée d'implantation de la part des opérateurs.

À cet égard, l'expérimentation prévue par l'article 222 de la loi Évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (Élan), permettant de déroger temporairement aux décisions d'urbanisme s'est terminée l'année dernière : nous attendons toujours, de la part du Gouvernement, le bilan de cette expérimentation, qui aurait dû être effectué il y a quelques mois...

Enfin, permettez-moi de vous interroger rapidement sur l'actualité numérique et législative des prochains mois. Un projet de loi visant à transposer les règlements européens sur les services numériques (Digital Services Act, DSA), et sur les marchés numériques (Digital Markets Act, DMA), a été récemment annoncé et transmis pour avis au Conseil d'État. Avez-vous de plus amples informations sur le calendrier ? S'agira-t-il d'une simple transposition, ou d'une opportunité pour légiférer sur d'autres sujets ?

Les initiatives parlementaires se multiplient et nous examinerons le mois prochain plusieurs propositions de loi : une proposition de loi visant à instaurer une majorité numérique à 15 ans et à lutter contre la haine en ligne ; une proposition de loi visant à encadrer l'exploitation commerciale de l'image des enfants de moins de 16 ans sur les plateformes en ligne ; et une proposition de loi visant à encadrer les pratiques commerciales des influenceurs, dont notre collègue Amel Gacquerre a récemment été nommée rapporteure. Comment envisagez-vous l'articulation entre ces différentes séquences numériques dans les prochains mois ? Quelles sont la stratégie et l'ambition portées par le Gouvernement ?

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de la transition numérique et des télécommunications. - Merci de votre invitation. Nous arrivons au dixième anniversaire du plan France Très Haut Débit et au cinquième anniversaire du New Deal mobile. Malgré quelques problèmes restant à résoudre, ces deux plans ont produit leurs effets, d'abord en termes de calendrier : rendre, en 2022, 98 % des locaux raccordables à la fibre, promesse du plan France Très Haut Débit en 2012, et effacer des milliers de zones blanches chaque année, comme le promettait le New Deal mobile. Cette réussite a été possible, sans dérapage budgétaire, car l'État a su travailler aux côtés des élus locaux et des opérateurs, et trouver dès le départ le bon équilibre des responsabilités et efforts de chacun.

Certes, il reste des dysfonctionnements importants, comme le souligne la proposition de loi de M. Chaize, notamment sur les problèmes de qualité de la fibre, pour trois raisons. D'abord, il existe des réseaux mal dimensionnés ou atypiques, notamment les réseaux déployés avant le lancement du plan France Très Haut Débit, qui ne répondaient donc pas au cahier des charges défini ensuite et qui a servi de standard.

Ensuite, nous sommes allés très vite dans le déploiement de la fibre, qui a pris dix ans contre plusieurs décennies pour le réseau cuivre : en moyenne, depuis 2018, 20 000 prises fibres sont déployées chaque jour dans notre pays.

Enfin se pose la question de la répartition des responsabilités dans la chaîne liant les opérateurs des infrastructures et les opérateurs commerciaux.

C'est pourquoi, sous l'impulsion des parlementaires, dont Patrick Chaize, j'ai orienté mon action en priorité sur la qualité. Début automne, la filière a présenté des engagements autour de trois axes : le renforcement de la qualité des interventions, le renforcement des contrôles et la reprise des infrastructures dégradées, et enfin la reprise des réseaux défectueux. Nous sommes très vigilants à ce que ces trois engagements soient tenus.

Le premier engagement, c'est établir un cahier des charges définissant une certification et les compétences minimales requises sur les raccordements finaux pour éviter ces situations où des techniciens se retrouvent devant l'armoire de fibre sans savoir comment effectuer le raccordement. Ces référentiels de compétences sont prêts, et seront intégrés et appliqués fin avril. C'est l'engagement sur lequel les opérateurs ont pris le plus de retard.

Deuxième engagement, la transmission par les opérateurs de leurs plannings et comptes rendus d'intervention permet de renforcer le contrôle, notamment mutuel, entre opérateurs. Un problème survenant entre le point de mutualisation et le domicile peut relever soit de l'opérateur commercial, chargé du dernier kilomètre, soit de l'opérateur d'infrastructures, responsable des points de mutualisation. Souvent, la tentation était grande de se renvoyer la responsabilité, provoquant des délais très longs. Désormais, chaque technicien qui intervient doit prendre une photo, partagée à l'ensemble des parties prenantes. Cela permet d'établir très rapidement les responsabilités. Les plannings et comptes rendus sont également fournis à tous. Plus de 200 000 comptes rendus d'intervention ont été fournis au troisième trimestre 2022, et leurs taux de conformité sont en large hausse.

Troisième engagement, les opérateurs doivent reprendre les infrastructures dégradées, notamment les points de mutualisation vieillissants ou mal dimensionnés qui nécessitent une reprise globale de l'infrastructure. À ma demande, plusieurs opérateurs ont notifié un plan de reprise de 1 000 points de mutualisation à l'Arcep, correspondant à 450 000 locaux. J'ai pu vérifier dans l'Essonne que ces travaux étaient bien avancés.

L'Arcep, qui suit le respect de ces engagements, organise des points réguliers avec les associations d'élus, premiers interlocuteurs sur le terrain.

Nous partageons le constat de la proposition de loi de Patrick Chaize pour résoudre les difficultés d'exploitation constatées sur les réseaux en fibre optique, notamment les branchements sauvages, les malfaçons, les dégradations, les cascades de sous-traitants... Je remercie Patrick Chaize, qui nous a permis d'obtenir un certain nombre de concessions et engagements de la part des opérateurs.

En revanche, soyez vigilants sur la potentielle remise en cause du mode Stoc (sous-traitance opérateur commercial), car telle n'est pas la volonté de M. Chaize. Rendre l'opérateur d'infrastructures responsable vis-à-vis de l'utilisateur final oblige les opérateurs à refondre l'ensemble de leurs contrats, mettant un coup d'arrêt au déploiement. C'est une mesure massive et contraignante. Actuellement, l'opérateur commercial est responsable, car le seul à même d'assurer le raccordement final. Or ce changement de responsabilité risquerait de créer des problèmes de concurrence : certains opérateurs d'infrastructures étant aussi opérateurs commerciaux, ils auraient intérêt à privilégier leurs abonnés pour effectuer les raccordements, et supprimeraient la relation directe entre le consommateur et son opérateur. Un certain nombre d'entre eux risqueraient de ne pas être raccordés de manière pérenne - ou alors longtemps après - car cela ne sera pas rentable.

Pour autant, renforcer les pouvoirs de l'autorité de régulation et notamment d'audit, comme prévu par l'article 4 de la proposition de loi, est pertinent. Bien que la qualité de service soit considérée comme prioritaire par l'Arcep, depuis quatre ans les effets peinent à se matérialiser.

L'article 5 qui sécurise les droits des consommateurs et usagers est aussi très utile, en prévision du droit au très haut débit pour tous.

Selon le Gouvernement, le mode Stoc n'est pas idéal, en raison du risque de frictions entre opérateurs en cas de défaillance. Le choix initial du mode Stoc a abouti à trouver un bon équilibre entre avantages et inconvénients. Plutôt que de remettre en question le mode Stoc comme le prévoient les premiers articles, nous soutenons les deniers articles pour renforcer le rôle de police de l'Arcep quand certains se défaussent de leurs responsabilités. Ainsi, nous ferons le meilleur usage de cette proposition de loi.

Nous sommes à un moment charnière du déploiement du plan France Très Haut Débit. Nous voulons rendre la fibre accessible, abordable et fiable. Il est nécessaire de s'accorder avec toutes les parties prenantes.

De nouveaux éléments sont intervenus depuis dix ans. D'abord, Orange a décidé de fermer son réseau cuivre. C'est une bonne chose, car il n'aurait pas été responsable de conserver à la fois le réseau fibre et le réseau cuivre. Ce serait une aberration économique et écologique, car ce dernier est particulièrement énergivore. La fin du réseau cuivre incite les Français à migrer vers un abonnement fibre pour continuer à bénéficier des services téléphoniques et d'internet. Il est donc crucial d'accompagner les Français dans ce changement, notamment dans leurs éventuels travaux, et vérifier que la fibre est disponible partout sur le territoire, et particulièrement sur des zones actuellement non couvertes.

Par ailleurs, d'autres solutions à très haut débit, comme les satellites et la 4G fixe, pallient le manque de fibre et sont subventionnées grâce au guichet de cohésion des territoires.

Il y a 10 ans, France Très Haut Débit devait rendre raccordables, mais pas nécessairement raccordés, nos concitoyens. Déposer le cuivre suppose de franchir cette marche. De plus, n'oublions pas que la dépose des réseaux 2G et 3G, entre 2025 et 2030, fera baisser les recettes des collectivités : actuellement, les opérateurs versent 1 789 euros pour chaque équipement fixé à une antenne mobile. Les équipements 2G et 3G seront retirés, ne laissant que la 4G et la 5G. Là encore, c'est un élément nouveau, tout comme, les enjeux climatiques et géopolitiques, qui imposent de rechercher plus de fiabilité. Bien sûr, ce nouvel accord ne doit pas écraser les engagements existants des opérateurs, que ce soit sur certaines zones d'agglomération ou dans les contrats conclus avec les collectivités.

J'ai donc pour objectif d'accompagner la transition vers la fibre, pour ceux qui l'attendent comme pour ceux qui n'en ont pas besoin. Pour ces derniers, cela passe par des tarifs abordables : une personne qui ne souhaite que la téléphonie ne doit pas être contrainte de souscrire un abonnement à internet. Je sais pouvoir compter sur les opérateurs, qui doivent encore consentir à de lourds investissements pour gravir cette marche. L'État s'engagera également dans l'aménagement numérique des territoires, qui ne saurait dépendre des seuls opérateurs. Nous sommes aussi conscients que certains concitoyens devront acquitter des coûts pour déployer la fibre : on pourrait imaginer un soutien similaire à celui des bornes de recharge pour les voitures électriques. Cela rendra effectif le droit au très haut débit pour tous.

Un mot sur la régulation des entreprises dans l'économie numérique : je présenterai, à l'approche de l'été, un projet de loi sécurisant et régulant l'espace numérique, qui adaptera le droit français pour appliquer les deux règlements européens, passés sous présidence française, que sont le règlement sur les marchés numériques (RMN) ou Digital Markets Act (DMA) et le règlement sur les services numériques ou Digital Services Act (DSA).

Le premier tend à mettre fin aux pratiques déloyales et aux abus de position dominante dans l'économie numérique. Jusqu'ici, certaines pratiques n'étaient contrôlées et sanctionnées qu'a posteriori, dans des délais ne permettant pas de rendre justice aux entreprises les subissant. Par exemple, le constructeur d'un smartphone qui impose un navigateur et un moteur de recherche lèse un développeur français de moteur de recherche. Auparavant, une autorité de la concurrence aurait constaté et, éventuellement, sanctionné cette pratique de vente liée des mois ou des années après. La pratique sera désormais interdite, comme 25 autres pratiques déloyales : le constructeur devra offrir le choix. La sanction ira jusqu'à 10 % du chiffre d'affaires mondial, 20 % en cas de récidive.

Le règlement sur les services numériques fait lui entrer les réseaux sociaux et les places de marché dans l'ère de la responsabilité. Aux origines, les hébergeurs étaient considérés comme une forme d'entrepôt, sans responsabilité sur leur contenu - la France défendait cette vision d'un internet ouvert. Cela ne tient plus, entre la contrefaçon, la désinformation et la haine en ligne. C'est pourquoi le règlement crée un nouveau régime de responsabilité, assorti d'interdictions et d'obligations, dont la modération des contenus illicites ou signalés, ou encore l'absence de publicité ciblée sur des mineurs, l'audit des algorithmes et le partage de données aux chercheurs. Les pénalités atteignent 6 % du chiffre d'affaires et, en cas de récidive, une interdiction d'opérer dans l'Union européenne.

Le droit français doit donc être adapté, et les autorités nationales chargées du contrôle dûment désignées. Les travaux du Sénat nourriront ces discussions. Je pense ainsi à ceux sur l'industrie de la pornographie, au rapport de Florence Blatrix Contat et Catherine Morin-Desailly sur le DSA et le DMA et au travail de la présidente Sophie Primas sur la souveraineté technologique, qui nous mobilise avec Bruno Le Maire. Je cite aussi les rapports sur la cybersécurité de Serge Babary, Rémi Cardon et Anne-Catherine Loisier, ainsi que ceux de Patrick Chaize, Franck Montaugé, Alain Chatillon et Amel Gacquerre sur la souveraineté économique européenne, sans oublier les travaux d'Yves Bouloux sur la haine en ligne et de Sylviane Noël sur le contrôle parental. Les bonnes idées ne tombent pas du ciel : ayant été parlementaire, je connais la qualité de ces rapports.

Notre combat dépasse donc le DMA et le DSA. Les travaux des chambres se concrétiseront avec un texte du Gouvernement : j'entends que nous portions ensemble des ambitions qui se concrétiseront.

Mme Sophie Primas, présidente. - Je donne la parole à Patrick Chaize, attendu par la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable pour présenter sa proposition de loi visant à assurer la qualité et la pérennité des réseaux de communications électroniques à très haut débit en fibre optique.

M. Patrick Chaize. - La France est en pointe sur le numérique : déploiement, fibre jusqu'au domicile (FTTH), mesures environnementales et de sécurité. Espérons que cet exemple prospère chez nos voisins.

J'entends votre soutien à ma proposition de loi, avec quelques exceptions, mais je souhaite évacuer d'emblée le procès qui nous est fait par les opérateurs de remise en cause du mode Stoc. À aucun moment, nous ne recommandons d'y mettre fin. J'observe toutefois que, pour tous les autres réseaux - électricité, gaz, eau -, ce n'est pas l'opérateur commercial qui réalise les connexions, mais l'opérateur d'infrastructure : pourquoi pas dans le numérique ? Cependant, je ne le remets pas en cause.

En revanche, les engagements doivent être actés par la loi plutôt que dans un accord de coin de table. Je suis convaincu que nous nous retrouverons en mai sur une position commune sur le sujet de la qualité des raccordements.

Cela étant, beaucoup reste à faire : vous avez évoqué le dégroupage, le foncier, les raccordements ou encore l'Ifer. Quel est le chantier prioritaire selon vous ?

Enfin, Xavier Niel, ici même, demandait il y a quelques semaines un new New Deal. Qu'en pensez-vous ?

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. - Sur la proposition de loi, nous sommes alignés sur la position de l'auteur, qui est de conserver le mode Stoc en le corrigeant, avec le renforcement des pouvoirs de contrôle de l'Arcep à l'article 4, tout en faisant respecter les engagements pris. Il serait dommage que des problèmes de qualité de la fibre ternissent le tableau d'un chantier industriel qui est une fierté française : avec le plan France Très Haut Débit, la France est en tête en Europe sur la fibre.

Le chantier le plus important, selon moi, est de passer du raccordable au raccordé à la fibre. Le président de l'Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l'audiovisuel (Avicca) lui-même appelait à ce nouvel accord entre État, opérateurs et collectivités, pour répondre aux défis du génie civil, public comme privé : il reste 20 % des habitations à rendre raccordables, les plus difficiles. Il faut aussi apporter des garanties aux concitoyens, avec des tarifs sociaux, des débits minimaux, voire une aide à l'installation. Lorsque ce chantier a commencé il y a dix ans, nous nous étions partagés les responsabilités et le financement. Il faut le faire à nouveau.

Quant au new New Deal, je vous indique que le New Deal mobile continue d'avancer au rythme escompté auprès des départements. Ainsi, 5 000 zones blanches seront effacées d'ici à 2025, avec une entrée de tous les sites en fonctionnement en 2027. Toutefois, l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) sondera les équipes projet, qui attribuent les dotations départementales, pour faire remonter les besoins subsistants à l'issue du New Deal mobile.

Mme Sylviane Noël. - Il y a un an, le Parlement adoptait la proposition de loi du député Bruno Studer visant à renforcer le contrôle parental sur les moyens d'accès à internet, dont j'étais rapporteure. Où en sont les consultations publiques sur le projet de décret ? Quelles sont les observations de la Commission européenne et des États membres ? Quand le décret sera-t-il publié ? Quand l'obligation d'installer par défaut un dispositif de contrôle parental sera-t-elle effective pour les fabricants de terminaux et les fournisseurs de systèmes d'exploitation ?

M. Bernard Buis. - L'objectif de raccordement par la fibre optique de 80 % en 2022 est quasiment atteint, mais les disparités sont fortes sur le territoire : le taux n'est que de 68 % dans les zones moins denses, même si c'est dans ces zones que la dynamique est la plus forte. Dans ces conditions, comment articuler la fermeture commerciale du cuivre par Orange et le déploiement de la fibre ? Pensez-vous que le déploiement de la fibre sera complet au moment où le réseau cuivre fermera ? Préparez-vous un plan d'action pour assurer la continuité du service dans les zones non desservies par la fibre ? Je prends l'exemple de mon département, où le syndicat mixte Ardèche-Drôme Numérique nous a indiqué que 3 % du territoire ne serait pas raccordé à temps et ne le serait peut-être jamais en raison des coûts.

Je voudrais par ailleurs avoir votre sentiment quant aux conséquences sur l'emploi du développement de l'intelligence artificielle générative. Certains pointent du doigt un risque important de suppressions d'emplois, tandis que d'autres, par exemple Georges Nahon, sont plus positifs. Qu'en pensez-vous ?

M. Franck Montaugé. - Comment évaluez-vous les politiques publiques d'accès au numérique et de soutien à la transformation numérique de l'économie ? Existe-t-il un bilan périodique de suivi de l'efficacité de ces politiques ? Par exemple, est-ce que l'attribution des fréquences de la bande 2,6 gigahertz permettra bien à toutes les entreprises, quelles que soient leur taille et leur localisation, d'accéder au 5G+ ? Est-ce que l'objectif d'une souveraineté numérique française est toujours d'actualité ?

M. Serge Mérillou. - Je voudrais vous interroger sur l'illectronisme, un phénomène particulièrement important en Dordogne où un habitant sur cinq n'utilise pas internet. Nombre de personnes sont des oubliés de l'internet, alors que les administrations dématérialisent de plus en plus leurs procédures - il n'est parfois plus possible de faire autrement. Les études montrent par ailleurs qu'il existe un lien entre l'illectronisme, d'une part, et le niveau de vie et de diplôme et la catégorie socioprofessionnelle, d'autre part. S'équiper représente d'ailleurs un coût non négligeable. Il faut donc accompagner la population et c'est d'abord le rôle de l'État. Quelle est la stratégie du Gouvernement pour lutter contre l'illectronisme et pour résorber les zones blanches ?

M. Alain Chatillon. - L'entreprise Scopelec, basée dans le Tarn et présente en Haute-Garonne, a déposé le bilan dès lors qu'Orange a décidé de se séparer de ce sous-traitant. Malgré la mobilisation de nombreux élus, rien n'avance dans ce dossier. L'entreprise a été reprise par une société détenue par un fonds étranger.

Est-ce que le nouveau sous-traitant est à la hauteur des espérances d'Orange ? Sur le terrain, on voit plutôt que les activités sont à l'arrêt. Or il faut absolument trouver des solutions et je vous demande, Monsieur le ministre, d'intervenir.

Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - Le Sénat examinera début mai la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à encadrer l'influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux. Je salue ce texte pionnier, mais j'ai peine à comprendre comment il s'appliquera aux influenceurs qui sont basés à l'étranger - aujourd'hui, beaucoup sont à Dubaï - et qui vendent des produits et des services à des consommateurs français, sans le moindre cadre légal. Un exemple : je vis à Dubaï, je suis suivie par un million de followers dont une grande partie sont des personnes mineures et je fais la promotion de centres de pratiques esthétiques en France. Le texte prévoit l'interdiction de la promotion de la chirurgie esthétique. Comment cette interdiction s'appliquera-t-elle à mon cas particulier d'influenceuse française installée à Dubaï ?

M. Jean-Claude Tissot. - Je voudrais revenir sur l'arrêt du réseau cuivre. Comment ce réseau sera-t-il entretenu pendant la durée du plan, c'est-à-dire jusqu'à 2030 ? Le processus d'extinction du réseau cuivre a commencé en 2020 et l'arrêt de la commercialisation aura lieu au 1er janvier 2026 ; pourtant, certains territoires ruraux dépendant encore beaucoup de ce réseau. L'opérateur historique n'est plus soumis à l'obligation de déployer le réseau cuivre. Or, aujourd'hui, certains logements neufs ou en cours de construction n'ont ni le cuivre ni la fibre. Comment mieux communiquer auprès des Français à ce sujet et comment assurer une plus grande coordination avec les élus locaux ?

Vous nous avez par ailleurs annoncé que les négociations avec les opérateurs télécoms sur la création d'un droit au très haut débit devraient aboutir au 1er semestre 2023. Ce droit doit permettre à nos concitoyens de prétendre à une connexion internet d'au moins 30 mégabits par seconde et à des tarifs réduits pour les plus précaires. Comment avancent ces négociations ?

Le démantèlement des pylônes va entraîner une diminution des recettes de l'Ifer, donc un manque à gagner pour les collectivités locales. Comment envisagez-vous de combler ce manque à gagner ?

Enfin, je rejoins les propos d'Alain Chatillon sur les conséquences du dépôt de bilan de Scopelec.

Mme Anne-Catherine Loisier. - Je veux d'abord vous remercier, Monsieur le ministre, pour votre engagement sur la loi pour la mise en place d'une certification de cybersécurité des plateformes numériques destinées au grand public. Cette initiative sénatoriale vise à fournir un outil de mesure de la protection des données par les plateformes, souvent appelé « Cyberscore ». Où en est ce dossier ? À quelle échéance ce texte sera-t-il mis en oeuvre ?

En ce qui concerne les raccordements complexes, comment est utilisée la première enveloppe de 150 millions d'euros ? Les besoins sont estimés à plus d'un milliard d'euros en la matière : comment financerez-vous la partie restante ?

Pouvez-vous nous éclairer sur la stratégie - choisie ou subie ? - d'Orange pour le décommissionnement du cuivre ? Plusieurs maires de mon département m'ont dit qu'ils ne voulaient pas entrer dans l'expérimentation, ce qui est quand même paradoxal et augure mal de la suite de ce dossier.

Sur la spéculation foncière, la proposition de loi dont nous avons déjà parlé propose une solution pour les sites nouveaux, mais qu'en est-il pour les sites existants ? Certaines entreprises font des offres alléchantes aux communes, en leur proposant de multiplier leurs recettes, et les élus sont souvent démunis : ils ne savent pas quoi faire.

Enfin, est-ce que, dans le cadre de la mise en oeuvre des règlements DMA et DSA, vous vous intéresserez à la question des crédits de cloud gratuits ? Des entreprises ont lancé des opérations commerciales en ce sens, notamment auprès des étudiants ; or les frais de sortie sont exorbitants, ce qui constitue un sujet de préoccupation pour l'avenir.

M. Christian Redon-Sarrazy. - Je voudrais vous interroger sur le développement de ces nouvelles sociétés d'infrastructures qui veulent finalement s'approprier du foncier, les TowerCo. Il faut accompagner les communes dans ce contexte pour qu'elles soient pleinement conscientes des enjeux.

Je voudrais aussi évoquer les difficultés qui pourraient naître à l'avenir de la cohabitation entre les différents régimes de raccordement : les réseaux d'initiative publique (RIP), portés par les collectivités, et les zones d'appel à manifestation d'intention d'investissement (Amii). Dans certains territoires, ces régimes cohabitent. Comment les infrastructures seront-elles entretenues à l'avenir ?

Mme Sophie Primas, présidente. - Monsieur le ministre, je me permets de vous rappeler deux questions auxquelles, emporté par votre élan, vous avez omis de répondre.

Où en est le rapport prévu dans le cadre de l'expérimentation de l'article 222 de la loi Élan ?

Par ailleurs, Orange dit que le réseau cuivre coûte de plus en plus cher à entretenir, ce qu'on peut comprendre au vu de l'état du réseau à certains endroits. L'entreprise justifie les hausses de prix demandées pour le dégroupage par ces charges. Mais Xavier Niel a aussi raison de dire que le niveau des abonnements au réseau cuivre, parfois moins chers que ceux de la fibre, ne constitue pas une incitation à la transformation. Qu'en pensez-vous ?

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. - Tout d'abord, Madame la présidente, je n'ai pas de réponse immédiate à vous donner concernant le rapport de l'article 222 de la loi Élan. Je me renseignerai et vous transmettrai l'information dès que possible.

Ensuite, en ce qui concerne les tarifs liés au dégroupage, il n'appartient pas au Gouvernement de commenter ce qui relève d'une autorité administrative indépendante. Notre objectif est que la migration se déroule dans les meilleures conditions possibles, mais le nouvel accord de régulation relève de l'Arcep.

Madame Noël, le projet de décret relatif au contrôle parental a été transmis au Conseil d'État qui devrait rendre son avis mi-mai. À la date de parution de ce texte, les constructeurs auront un an pour équiper tous leurs terminaux - consoles de jeux vidéo, tablette, téléphone, etc. - d'un système de contrôle parental respectant le cahier des charges qui aura été fixé par le décret. Nous veillerons à ce que le décret soit publié très rapidement après l'avis du Conseil d'État.

Monsieur Buis, notre objectif est bien d'atteindre la complétude du réseau fibre en 2025 afin d'éteindre progressivement le réseau cuivre. Le niveau de complétude, qui doit être aussi élevé que possible, va dépendre de l'accord dont j'ai parlé et qui devrait être finalisé à la fin de ce semestre. Dans les zones très denses, le niveau d'équipement est très élevé, mais la dynamique faible ; le niveau est plus faible dans les zones moins denses, en particulier dans les zones RIP, mais la dynamique y est forte. Il existera des dérogations à la mise en place de la fibre, mais dans des conditions très restrictives fixées par l'Arcep : endroits où le cuivre n'est pas présent ; refus de tiers ; coût excessivement élevé...

En ce qui concerne l'intelligence artificielle, qui fera l'objet d'un débat au Sénat cet après-midi, les premières études semblent indiquer que l'intelligence artificielle générative sera complémentaire de l'intelligence humaine dans la plupart des métiers, comme c'est déjà le cas des moteurs de recherche.

Si elles font état d'une menace pour de nombreux emplois, ces études sont préliminaires. Toute nouvelle technologie a des conséquences sur le marché du travail ; il nous appartient de les anticiper. À cet effet, nous avons, à la suite de la publication du rapport de Cédric Villani en mars 2018, mis les bouchées doubles sur la recherche et la formation en intelligence artificielle, en créant notamment des instituts interdisciplinaires d'intelligence artificielle (3IA) à Nice, Toulouse, Grenoble et Paris.

Monsieur Montaugé, je partage avec vous le souci d'évaluer nos politiques publiques. Pour ce qui est de la fibre, j'appelle votre attention sur le rapport détaillé publié en janvier par France Stratégie sur les impacts économiques et sociaux du plan France Très Haut Débit. Quant au New Deal mobile, le rapport de la Cour des comptes de septembre 2021 en fait une évaluation plutôt positive, bien que le travail ne soit pas terminé.

Sur la question de la souveraineté, nous avons un retard à combler. Plusieurs rapports sénatoriaux ont montré que nos entreprises se trouvaient, en matière de cloud, dans une situation de dépendance excessive à des acteurs extra-européens.

Monsieur Mérillou, selon rapport détaillé réalisé à ma demande et publié la semaine dernière par le Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (Crédoc) pour caractériser l'éloignement numérique, un Français sur trois est éloigné du numérique, c'est-à-dire qu'il n'utilise pas internet ou qu'il ne se sent pas compétent. Cette proportion, qui tend à augmenter, s'explique non pas par un phénomène générationnel, mais par des dynamiques sociales.

En effet, les éloignés du numérique sont en premier lieu les ouvriers, les personnes les moins diplômées ou celles vivant dans des zones rurales, qui ressentent un sentiment de relégation les conduisant à se détourner des urnes.

Répondre à ce phénomène constitue donc une priorité absolue. Le déploiement, en 2021, des conseillers numériques sur tout le territoire représente un premier niveau de réponse. Les élus attendent désormais que cette politique d'accompagnement des éloignés du numérique, conduite par des acteurs divers - secrétaires de mairie, responsables de médiathèque, travailleurs sociaux... - se structure à l'échelle locale.

À cet effet, le Conseil national de la refondation (CNR) sur le numérique, qui regroupe 60 acteurs concernés, doit livrer une feuille de route d'ici à la fin du mois pour améliorer la coordination des politiques de lutte contre l'exclusion numérique à l'échelle locale : identification d'un chef de file dans chaque territoire, définition des moyens affectés et des filières de formation des différents acteurs...

Monsieur Chatillon, je m'engage à intervenir auprès d'Orange et de son éventuel nouveau sous-traitant pour veiller à la reprise d'un rythme satisfaisant de déploiement et vous propose que nous le fassions ensemble.

Madame Renaud-Garabedian, il faut saluer l'initiative de plusieurs députés, suivis par Bruno Le Maire, en vue de donner un cadre à l'activité des influenceurs, qui occupe 150 000 personnes en France et produit aussi bien des contenus vertueux - découvertes scientifiques, contenus pédagogiques, etc. - que des arnaques, qu'il convient de sanctionner.

Cela dit, le texte a vocation à être enrichi et le Sénat se penchera certainement sur la question de la localisation géographique de ces influenceurs, dont l'activité se développera dans les années à venir, pour protéger nos concitoyens et instaurer un climat de confiance.

Par ailleurs, le Digital Services Act (DSA) constitue une première protection, en cela qu'il astreint les plateformes à un niveau de responsabilité les conduisant à renforcer leur lutte contre les pratiques illicites qui se développent en leur sein.

En ce qui concerne l'extinction du cuivre, je répondrai à la fois à Jean-Claude Tissot et à Anne-Catherine Loisier : j'ai en commun avec la présidente de la commission d'avoir assisté, dans notre département des Yvelines, aux premières expérimentations de retrait définitif de cuivre, à Lévis-Saint-Nom, puis à Voisins-le-Bretonneux.

Au total, six communes ont décommissionné le cuivre, sans grande difficulté, bien que certains blocages aient été identifiés, quelques locaux n'ayant pas encore fait leur transition au moment de l'arrêt du circuit cuivré.

L'expérimentation s'étendra rapidement à environ 30 000 habitations, puis à environ 100 000 habitations.

Par ailleurs, les recettes liées à l'Ifer devraient en effet baisser du fait de la dépose de la 2G et de la 3 G. Il nous faudra donc donner plus de lisibilité aux collectivités et aux opérateurs sur cette ressource, qui sera très volatile dans les années à venir.

À propos du projet de cyberscore, évoqué par Anne-Catherine Loisier, il est très exigeant : à l'instar du nutriscore pour les produits alimentaires, il faut trouver la bonne formule. Ainsi, le projet de décret et le projet d'arrêté sont soumis à consultation publique jusqu'au 15 avril sur le site de la direction générale des entreprises, afin de recueillir les témoignages des premiers concernés.

Pour ma part, je trouve que cette initiative sénatoriale est très bienvenue, car elle valorisera les sites se conformant à des standards de sécurité qui garantissent que les données personnelles et bancaires des internautes sont protégées et incitera ceux qui n'ont pas fourni d'efforts en ce sens à le faire. Nous veillerons toutefois à ce que ce type de système vertueux ne disqualifie pas des acteurs français émergents.

Sur la spéculation foncière, je rappelle que la loi visant à réduire l'empreinte environnementale du numérique en France (Reen), portée par Patrick Chaize, a défini un dispositif d'information des maires : en cas d'acquisition de locaux ou d'un terrain aux fins d'édifier toute infrastructure supportant des antennes d'émission ou de réception de signaux radio, le porteur de projet doit ainsi remettre au maire une attestation de mandat d'un opérateur de téléphonie mobile.

La portée et les modalités d'application de ces dispositions, qui auraient sans doute pu éviter des interruptions de service, ont suscité des interrogations chez les élus. J'ai signé la semaine dernière une circulaire à destination des préfets pour ouvrir une foire aux questions, que je vous communiquerai.

Mme Anne-Catherine Loisier. - L'enjeu, ce sont les sites existants ?

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. - Nous souhaitons que la règle s'applique à tous les sites.

Enfin, nous réfléchissons à intégrer au texte la régulation des crédits cloud, qui figurent au rang des pratiques anticoncurrentielles, bien qu'ils soient perçus par plusieurs entreprises innovantes comme un moyen de financer leur développement.

Je vous propose que nous revenions point par point sur les éléments du projet de loi après la suspension parlementaire, de manière que vous vous prépariez à les corriger et à les enrichir le moment venu.

M. Christian Redon-Sarrazy. - Quid des infrastructures mutualisées ?

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. - C'est la première fois que cette question m'est posée ; je vous apporterai une réponse détaillée quand je l'aurai analysée.

Mme Sophie Primas, présidente. - Monsieur le ministre, je vous remercie. Nous avons du pain sur la planche, mais le Sénat est, comme vous le savez, très allant sur les sujets liés au numérique.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Proposition de loi visant à résorber la précarité énergétique - Examen du rapport et du texte de la commission

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous examinons aujourd'hui la proposition de loi (PPL) visant à résorber la précarité énergétique, déposée par notre collègue Rémi Cardon et plusieurs de ses collègues. Le texte sera examiné en séance publique le 3 mai prochain.

Cette proposition de loi ayant été inscrite dans le cadre de l'espace réservé à un groupe d'opposition, nous appliquons le gentlemen's agreement conclu en 2009 entre les présidents de groupe et de commission, validé par la Conférence des présidents : la commission ne peut pas modifier le texte au stade de son examen en commission, sauf accord du groupe l'ayant inscrit à l'ordre du jour ; elle ne peut que l'adopter ou le rejeter, et elle pourra toujours le modifier au stade de son examen en séance.

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. - Je partage le constat de l'auteur de la PPL, à savoir le besoin d'accélération de la rénovation énergétique des logements - et plus particulièrement des rénovations globales et performantes - et de la lutte contre les passoires thermiques afin de sortir de la précarité énergétique. Mais les solutions proposées doivent être approfondies d'ici à la remise des conclusions de la commission d'enquête sénatoriale sur l'efficacité des politiques publiques en matière de rénovation énergétique, créée à la demande du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires, et à l'examen de la loi de programmation sur l'énergie et le climat (LPEC). Si nous n'avons pas de visibilité concernant l'examen de ce dernier texte, le rapport de la commission d'enquête est attendu pour le mois de juillet prochain.

Cette position est aujourd'hui largement partagée par les acteurs avec lesquels j'ai échangé. Malgré les délais très serrés, j'ai tenu à solliciter l'ensemble des intervenants : les administrations centrales, les guichets opérationnels et, bien sûr, tous les organismes spécialisés ; je pense, notamment, à l'Observatoire national de la précarité énergétique (ONPE), au Conseil scientifique et technique du bâtiment (CSTB) ou encore au Conseil supérieur de la construction et de l'efficacité énergétique (CSCEE), autant d'acteurs que nous avons entendus ou allons entendre dans le cadre de la commission d'enquête.

Je voudrais insister sur le constat partagé et donner quelques éléments de compréhension du sujet et du besoin d'une accélération attendue pour sortir de la précarité énergétique. Le dernier rapport de l'ONPE, publié le 16 mars dernier, dresse un bilan alarmant. En 2021, 11,9 % des Français ont dépensé plus de 8 % de leurs revenus pour payer les factures énergétiques de leur logement, et sont donc considérés comme souffrant de précarité énergétique. En 2022, 863 000 ménages ont subi une intervention d'un fournisseur d'énergie en raison d'impayés, soit une hausse de 28 % par rapport à 2019. Selon les données publiées le 30 mars dernier par le Médiateur national de l'énergie (MNE), 27 % des ménages déclarent avoir des difficultés à payer leurs factures, contre 18 % en 2020.

La France s'était pourtant engagée, au travers de la loi de 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, à rénover 500 000 logements par an dont la moitié occupée par des ménages modestes pour disposer d'un parc basse consommation d'énergie en 2050 et réduire de 15 % la précarité énergétique à l'horizon 2020. Cet engagement a été renouvelé à l'occasion de la loi « Climat et résilience » de 2021, qui fixait l'objectif de disposer d'un parc de bâtiments sobres en énergie et faiblement émetteurs de gaz à effet de serre à l'horizon 2050.

Mais, selon le rapport du Haut Conseil pour le climat (HCC) de juin 2022, les émissions du bâtiment représentent 18 % des émissions nationales de CO2. Elles sont en baisse de 0,2 million de tonnes sur la période 2019-2021, alors qu'elles devraient baisser de 3 à 4 millions de tonnes, selon la stratégie nationale bas-carbone (SNBC), au cours de la période 2022-2030. Cela devrait se traduire par 370 000 puis 700 000 rénovations globales et performantes par an à partir de 2030.

Or, selon le rapport de février 2023 de l'Observatoire de la rénovation énergétique des logements (ONRE), 2,4 millions de logements ont bénéficié d'une aide en 2019, pour des travaux qui ont permis 8,6 térawattheures par an d'économies d'énergie ; il s'agit, pour l'essentiel, de rénovations partielles. Selon l'Agence nationale de l'habitat (Anah), 66 000 rénovations globales ont été réalisées en 2022, un chiffre en progression certes, mais qui reste loin de l'objectif visé. Au total, 3,4 milliards d'euros ont été distribués par l'Anah, mais l'essentiel a conduit à changer le mode de chauffage. Si la massification des aides et des gestes de rénovation a été réussie, celle des rénovations globales reste à entreprendre.

À cet égard, les mesures les plus contraignantes contre les passoires thermiques de la loi « Climat et résilience » commencent à entrer en vigueur et à produire leurs effets. Les biens classés G+ sont interdits à la location depuis le 1er janvier 2023, avant les G qui le seront en 2025, les F en 2028 et les E en 2034. De même, l'obligation de réaliser un audit énergétique pour les biens classés G et F est entrée en vigueur le 1er avril ; elle s'appliquera aux biens E en 2025 et aux D en 2034. Les conséquences de ce calendrier exigeant, qui avait suscité notre inquiétude dès 2021, sont particulièrement lourdes et complexes pour les propriétaires bailleurs, les vendeurs et l'ensemble d'un marché immobilier sous forte tension.

Si je partage les constats et la volonté d'aller de l'avant, j'estime que les solutions proposées dans cette PPL doivent faire l'objet d'un approfondissement. En effet, l'examen de la PPL intervient en amont de plusieurs échéances importantes. Comme je l'ai indiqué, le Sénat a lancé en janvier 2023 une commission d'enquête, que j'ai l'honneur de présider, sur l'efficacité des politiques publiques en matière de rénovation énergétique des bâtiments. Les sujets évoqués, dont celui de la précarité énergétique à laquelle une table ronde a été consacrée, font actuellement l'objet d'un examen renforcé. Les conclusions et les recommandations de cette commission d'enquête devraient être publiées fin juin ou début juillet 2023.

Par ailleurs, le Gouvernement doit présenter au Parlement - normalement le 1er juillet prochain, mais cette date risque d'être difficile à tenir - la nouvelle LPEC, qui permettra de fixer dans la loi les objectifs de la politique énergétique, dont ceux qui sont afférents à la précarité énergétique ; s'ensuivra l'actualisation de la SNBC et de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE). Enfin, la restitution des travaux du Conseil national de la refondation (CNR) sur le logement est prévue fin avril ou début mai, au moment de l'examen du texte en séance. Le CNR devrait, lui aussi, faire des propositions sur ce sujet.

Sur le fond, j'émets quelques réserves concernant la pertinence de certaines mesures proposées dans cette PPL.

L'article 1er conduirait à conditionner l'accès aux aides à la réalisation d'une rénovation performante et globale ; il donnerait comme objectif un reste à charge nul pour les ménages les plus précaires, et prévoirait d'identifier dans la LPEC les moyens et les actions nécessaires à la résorption prioritaire des passoires thermiques.

Or, s'il est nécessaire d'accélérer les rénovations globales et performantes, ce que prévoit d'ailleurs la loi au travers d'« une incitation financière accrue », l'évolution ne peut être que progressive pour ne pas déstabiliser le secteur et préserver le succès obtenu par MaPrimeRénov' et MaPrimeRénov' Sérénité - le dispositif destiné aux ménages les plus précaires -, de même que la possibilité de poursuivre un parcours de rénovation par étapes. En outre, les autres types d'aides à la rénovation énergétique - gestes de travaux, bouquets de travaux -, s'ils peuvent paraître moins efficients sur le plan climatique, sont importants d'un point de vue socioéconomique.

Quant au reste à charge, il est actuellement trop élevé ; l'Institut de l'économie pour le climat (I4CE) l'a démontré dans une récente publication sur les aides à la rénovation des logements. Par exemple, un ménage très modeste peut avoir un reste à charge d'environ 35 000 euros pour la rénovation d'un pavillon. La loi « Climat et résilience » prévoit déjà, à mon initiative, un « reste à charge minimal », sans que cette mesure soit pour le moment appliquée de manière satisfaisante.

Bien que l'idée soit généreuse, le reste à charge nul présente, à mes yeux, une difficulté philosophique : chacun doit contribuer, même de façon minime, selon ses moyens. Ce reste à charge nul présente également le risque que se renouvellent les dérives déjà identifiées lors des opérations d'isolation ou de changement de chaudière à 1 euro. Les ménages doivent rester des acteurs impliqués dans la rénovation de leur logement.

S'agissant enfin de la priorisation des rénovations énergétiques sur les passoires thermiques, une telle précision n'est pas indispensable par rapport à la loi « Climat et résilience » qui a permis la prise en compte, sur l'initiative du Sénat, des « typologies d'habitation », et semble potentiellement contradictoire avec l'objectif de massification des rénovations énergétiques, en saisissant, par exemple, toutes les opportunités de changement de propriétaires ou de locataires.

L'article 2 de la PPL prévoit de garantir l'égalité d'accès aux guichets du service public de la performance énergétique de l'habitat (SPPEH), quelle que soit la densité de population. La loi « Climat et résilience » a déjà prévu un service harmonisé avec des compétences équivalentes, au besoin par des guichets physiques itinérants, sur l'ensemble du territoire, y compris dans des zones moins peuplées.

L'État et l'Anah ont été chargés de l'animation nationale de ce service harmonisé, tandis que les collectivités territoriales doivent réaliser son bilan. L'imperfection du dispositif actuel est largement partagée, mais il est en cours de déploiement. On recense actuellement 551 espaces Conseil France Rénov', avec 2 254 conseillers ; 771 000 ménages ont été accueillis en 2022, et la plateforme internet a reçu 6,8 millions de visites.

Depuis avril 2023, le Gouvernement donne à d'autres acteurs la possibilité d'être agréés comme « Accompagnateur Rénov' », afin d'accroître la capillarité du réseau ; des doutes existaient pourtant sur leur neutralité et sur la capacité à éviter les conflits d'intérêts, notamment vis-à-vis des entreprises privées. Il paraît donc prématuré d'aller plus loin à ce stade, et il s'avérerait peu productif d'ouvrir des espaces Conseil France Rénov' sans prendre en compte l'intensité de la demande potentielle. Il s'agit également de respecter les prérogatives des collectivités territoriales, car ces guichets doivent couvrir l'échelon des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), auxquels peuvent être déléguées les aides à la pierre de l'Anah.

L'article 2 prévoit de demander à ces guichets d'identifier, en lien avec l'ONPE, les ménages en situation de précarité énergétique. À la demande du Sénat dans la loi « Climat et résilience » - l'article L. 126-32 du code de la construction et de l'habitation (CCH) -, les données des audits et des diagnostics de performance énergétique (DPE) sont transmises à l'Anah, aux associations, aux collectivités, à la caisse d'allocations familiales (CAF) et à la Mutualité sociale agricole (MSA) qui versent les aides personnelles au logement (APL).

Bien que la mission de l'ONPE soit davantage la production de statistiques au niveau national que le déploiement d'un service social vers les publics ciblés, l'organisme a créé, début 2021, un outil de géolocalisation - Géodip - des zones de précarité énergétique ; à ce jour, peu de communes s'en sont saisies. De surcroît, rien n'interdit aux guichets France Rénov' de nouer des liens avec les différents acteurs locaux ou professionnels susceptibles d'accompagner ces ménages en précarité énergétique, depuis l'établissement du premier diagnostic jusqu'au contrôle des travaux.

L'article 3 a pour objet d'étendre jusqu'à six ans le délai pour réaliser une rénovation performante et globale, dès lors que les travaux sont réalisés par le propriétaire occupant, accompagnés et planifiés dès le départ. La plupart des acteurs considèrent qu'une rénovation globale doit idéalement être réalisée en une seule étape ou, au maximum, deux ou trois dans un délai limité. Le règlement prévoit entre dix-huit mois et trois ans selon la situation du logement, de la maison individuelle à la grande copropriété. Cette mesure ajouterait de la complexité au dispositif et limiterait son efficacité. Il ne me paraît donc pas pertinent de revenir sur ce point ; il s'agit plutôt de travailler sur les modalités de financement par subvention, prêt ou portage selon la situation du ménage voire la création de caisses d'avance comme l'idée en a émergé lors de la commission d'enquête.

Enfin, l'article 4 suggère de compléter les compétences du CSTB de manière à promouvoir les matériaux adaptés aux spécificités locales et, sur cette base, proposer des normes adaptées outre-mer. Ces missions, qui figurent notamment à l'article R. 121-1 du CCH, concernent déjà le CSTB. Celui-ci procède également à des études de matériaux en coopération avec l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), afin de fiabiliser le DPE et d'évaluer les rénovations sur les matériaux anciens et biosourcés. Il est, par exemple, à l'origine d'une labellisation de l'écoconception des produits de construction. Outre-mer, le CSTB mène un programme de recherche, dénommé ECCO DOM, afin de réaliser des économies d'énergie dans les logements sociaux. Il a également été saisi pour faire face aux risques climatiques et environnementaux propres à ces régions.

Telles sont les raisons qui me conduisent à proposer le rejet de la PPL. Même si je partage les constats de départ. Nous devons encore travailler sur les solutions à apporter pour les intégrer, d'une manière ou d'une autre, à la future LPEC. Il s'agira également de tenir compte des conclusions et des recommandations de la commission d'enquête, susceptibles d'être reprises par la suite dans différents textes de loi.

Conformément au vade-mecum sur l'application des irrecevabilités en application de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, il nous revient maintenant d'arrêter le périmètre indicatif de la proposition de loi. Sont susceptibles de présenter un lien, même indirect, avec le texte déposé, les dispositions relatives au contenu en matière de rénovation énergétique de la LPEC, y compris ses dispositions programmatiques relatives aux aides des ménages à la rénovation énergétique ; à la définition de la rénovation énergétique performante, dont celle globale ; aux missions et aux modalités d'organisation du SPPEH, y compris ses relations avec l'ONPE ; aux compétences du CSTB en matière d'adaptation des techniques et des matériaux aux spécificités des outre-mer.

Il en est ainsi décidé.

M. Rémi Cardon, auteur de la proposition de loi. - Madame la rapporteur, je vous remercie pour votre constat partagé et vos remarques pertinentes. Permettez-moi de revenir sur la chronologie de cette PPL. Le 27 juillet 2022, lors de l'audition de la ministre de la transition énergétique, Mme Pannier-Runacher, j'ai soulevé quelques propositions ; en août 2022, j'ai échangé avec la cellule juridique du Sénat et, durant l'automne, j'ai convaincu mes collègues socialistes d'inscrire ce texte dans une « niche ». Ma proposition de loi a été déposée en décembre avant la création de la commission d'enquête. Sur le fond, elle cible la précarité énergétique et vient donc en complément de la commission d'enquête, dont le périmètre est plus large.

Combien faudra-t-il de rapports du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec), de think tanks, de fondations et d'organismes pour agir enfin sur ce sujet ? Combien faudra-t-il de rapports sénatoriaux et de commissions d'enquête ? Combien faudra-t-il de plans de sobriété énergétique du Gouvernement ? Cette PPL répond à une urgence, et je suis ravi que la commission d'enquête donne un coup de projecteur sur cette question dramatique de la précarité énergétique.

En rédigeant cette PPL, de nombreux usagers mécontents m'ont alerté sur le dispositif MaPrimeRénov'. Alors qu'on leur avait promis un versement des subventions dans un délai de 35 jours, certains usagers m'ont indiqué les avoir reçues six mois, voire un an plus tard. Des retraités, par exemple, ont été obligés de solliciter un prêt à un taux de 10 %, car ils attendaient les subventions ; ils se sont endettés, car l'État n'est pas assez réactif.

Cette PPL sert également à dire que l'on ne peut plus regarder les trains qui passent. La réforme des retraites a bouleversé le calendrier du Gouvernement, avec notamment la PPE qui devait être débattue en 2023. En tant que parlementaire, j'ai essayé d'agir. Si l'on continue sur le rythme actuel, il faudra 2 000 ans pour rénover les passoires thermiques. L'idée n'est pas d'ajouter encore des milliards, mais d'être plus efficace dans l'utilisation de ceux qui sont à disposition.

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous ne sommes pas responsables de l'ordre du jour du Gouvernement. Je crains, hélas !, que le report de cette PPL n'ait pas de lien avec la réforme des retraites.

J'insiste sur le fait que l'on ne remet pas en cause la liberté, pour chacun des groupes, de déposer des PPL. Nous avons accueilli cette PPL comme toutes les autres, sans aucune forme de réticence. Néanmoins, mon rôle, en tant que présidente de commission, est d'organiser nos travaux de telle sorte que l'action du Sénat soit cohérente.

Nous sommes tous préoccupés par ces questions ayant trait à la précarité énergétique de nos concitoyens, surtout en ces temps de forte inflation du coût de l'énergie. Des échéances arrivent, notamment la rénovation des biens classés F et G ; une crise du logement se profile, et tous les groupes politiques du Sénat sont inquiets pour l'avenir. Au-delà des articles, cette PPL permet d'évoquer tous ces sujets. Nous aurions préféré un renvoi du texte en commission plutôt que de le rejeter ; mais tel est le choix du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

M. Daniel Gremillet. - Avec les difficultés économiques de ces deux dernières années, on comprend que l'idée d'une planification fixe dans le temps d'une rénovation, comme cela était proposé au départ, n'est pas opportune. Toutes les familles ne sont pas en situation de pouvoir planifier la totalité des travaux.

Beaucoup d'interrogations persistent encore, notamment concernant le bois ou le gaz. Pour un particulier, il est difficile aujourd'hui de lancer une rénovation aussi lourde avec autant d'interrogations. On ne peut pas jouer avec les familles, il s'agit d'être en phase avec les réalités de la vie.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Nous partageons les préoccupations de nos collègues socialistes concernant l'urgence du dossier et la nécessité d'aller plus loin.

La vraie question est celle-ci : comment être efficace ? Il s'agit de ne pas reproduire les mêmes erreurs que pour le droit au logement opposable (Dalo), avec des objectifs élevés et trop peu de délibérations sur les moyens pour les atteindre. Sur quelles bases, par exemple, pouvons-nous mettre en oeuvre le reste à charge zéro ?

Il convient de mettre de l'ordre dans les dispositifs. Nous ne ferons pas l'économie d'une révolution copernicienne concernant le financement de la réhabilitation. Au départ, je n'étais pas favorable à l'idée d'un prêt à taux zéro pour l'ensemble des travaux, remboursable au moment de la vente du bien ou de l'héritage ; je suis à présent convaincue que, pour beaucoup de gens, il est plus facile de financer leur rénovation ainsi, plutôt que de s'en remettre à des systèmes de rénovation graduée avec des primes.

En l'état actuel, la PPL apparaît restrictive et pas toujours opérationnelle. Par ailleurs, nous attendons les conclusions de la commission d'enquête. Le prochain budget s'annonce encore trop épuré pour obtenir des modes de financement plus opérationnels sur les réhabilitations. Nous allons donc nous abstenir sur ce texte.

M. Daniel Salmon. - Les passoires thermiques représentent 30 % de la consommation d'énergie du logement, alors qu'elles ne concernent que 18 % des logements. Nous devons mener une action forte dans ce domaine.

Depuis le moment où M. Cardon a lancé l'idée de déposer une PPL, les choses ont évolué et l'on se retrouve aujourd'hui en décalage. La commission d'enquête a pour mission d'analyser toutes les politiques publiques, car cette problématique de la rénovation thermique traîne depuis des années ; nous patinons, à l'écart de la trajectoire idéale.

Des questions se posent au niveau de l'accompagnement et concernant le reste à charge. Nous voterons en faveur de ce texte, de manière à ne pas froisser nos collègues socialistes. Des éléments intéressants seront certainement repris soit dans une PPL après la commission d'enquête, soit dans le cadre de la LPEC.

M. Bernard Buis. - La PPL est partie d'une bonne intention : résorber la précarité énergétique dont souffrent beaucoup de nos concitoyens. Notre pays compte 5 millions de logements considérés comme des passoires énergétiques. Conscients de l'importance du sujet, nos collègues du groupe Écologie - Solidarité et Territoires ont demandé une commission d'enquête sur l'efficacité des politiques publiques en matière de rénovation énergétique, dont le champ d'investigation est plus global.

Ce texte n'étant pas mûr en l'état, il est préférable de le rejeter. Nous pensons qu'il est plus sage d'attendre les conclusions de la commission d'enquête avant de modifier des dispositifs déjà complexes.

Mme Viviane Artigalas. - Nous partageons le constat sur l'application de la loi « Climat et résilience ». Notre PPL s'inscrit en complément des travaux nécessaires menés par la commission d'enquête. Par ailleurs, le texte reprend des dispositions que nous avions défendues dans le cadre de la loi « Climat et résilience ». Il prend en compte la nécessité de répartir les efforts de rénovation sur l'ensemble des territoires, y compris les territoires ruraux. Il existe une forte inégalité territoriale concernant le fonctionnement des guichets France Rénov'. Dans mon département, cela fonctionne très bien ; dans d'autres, comme celui de M. Cardon, beaucoup moins bien.

Un autre objectif poursuivi par l'auteur de ce texte était d'envoyer un message positif aux citoyens qui ne perçoivent pas encore les signes concrets de la transition énergétique. On observe, encore une fois, une forte inégalité dans l'accès aux dispositifs.

Nous partageons les constats de la rapporteur : trop de peu de rénovations globales ; un reste à charge trop élevé - entre 35 et 40 % encore - pour les familles modestes ; la méconnaissance des dispositifs sur certains territoires ; et l'inadaptation de certaines normes. Nous voterons naturellement en faveur de ce texte.

Nous n'acceptons pas de renvoyer le texte en commission, car le fait de discuter de cette PPL en séance permettra d'alerter sur la mauvaise application de la loi « Climat et résilience ».

Mme Valérie Létard. - Le rapport présenté est éloquent : tout en étant en phase avec les objectifs, cette PPL est confrontée à un problème de temporalité. Nous déplorons ce mauvais concours de circonstances, car une telle initiative mériterait toute notre attention.

Le sujet excède la problématique ciblée par la PPL. Comme cela a été rappelé, on constate aujourd'hui un inégal accès à tous ces dispositifs compliqués et peu identifiables. Il s'agit d'effectuer un véritable travail de coordination des acteurs. Les initiatives peuvent être différentes d'un territoire à l'autre ; certaines intercommunalités sont en pointe, et l'État veut s'assurer de la mise en cohérence des dispositifs.

Entre la loi « Climat et résilience » et son application, comme avec le dispositif zéro artificialisation nette (ZAN), beaucoup d'ajustements sont nécessaires. La loi était très ambitieuse ; aujourd'hui, des éléments ne correspondent pas à la réalité. Si le sujet des ménages modestes est essentiel, d'autres ne sont pas à négliger, comme la question des classes moyennes ou des retraités - notamment ceux qui s'assurent des compléments de revenus en louant des petits logements privés et ne seront pas accompagnés pour ces rénovations. Une approche globale est nécessaire, avec des moyens à la hauteur.

M. Franck Montaugé. - En dépit du problème de temporalité, je remercie M. Cardon pour sa PPL. Je salue également la qualité des travaux en cours dans le cadre de la commission d'enquête ; nous sommes en train de récolter une matière très utile.

La principale question concerne le pouvoir d'achat, plus encore dans la période actuelle, avec l'inflation et toutes les conséquences sur la vie des gens. Cette question inclut celle du logement. Je souscris à l'idée d'une approche englobant l'ensemble des problématiques.

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. - La commission d'enquête part du constat que la France, si elle affiche une ambition forte en matière de rénovation énergétique, échoue à atteindre ses objectifs. Se pose ainsi la question de l'efficacité des politiques de rénovation énergétique, notamment au regard du statut des personnes
- propriétaires occupants, propriétaires bailleurs et locataires.

L'association Stop à l'exclusion énergétique citait hier le nombre de 500 000 propriétaires occupants vivant dans des passoires thermiques ; 59 % des personnes souffrant de précarité énergétique sont des locataires. Les propriétaires bailleurs ont, quant à eux, de plus en plus de difficultés à rénover les logements, tandis que pèse la menace d'interdiction de location dès 2025 pour les logements les plus énergivores. Nous craignons une crise supplémentaire sur le marché du logement, avec des ventes massives de logements et le retrait d'un grand nombre d'entre eux du marché de la location. Nombre de propriétaires bailleurs baissent les bras. Nous devons prendre en compte tous ces éléments et arrêter de raisonner en silo.

Nous avons conscience que les pouvoirs publics aspirent à prendre le virage de la massification de la rénovation énergétique. Tous les acteurs demandent un changement d'échelle et insistent sur la nécessité de se concentrer sur les rénovations globales et performantes.

Pour endiguer la précarité énergétique, le principal facteur est l'accompagnement. Nous avons beaucoup d'espoir avec le dispositif Mon Accompagnateur Rénov' renforcé. Les agréments seront donnés en avril. Toutefois, les inquiétudes portent sur les financements. Le programme du service d'accompagnement pour la rénovation énergétique (Sare) s'arrête fin 2023, et les acteurs nous disent n'avoir aucune visibilité pour la suite.

L'accompagnement est essentiel : il faut créer un climat de confiance, notamment avec les ménages très modestes ou en très grande précarité, pour les convaincre de mener les travaux. L'accompagnement doit être personnalisé, non standardisé. Chaque cas est particulier. Il faut aussi un seul référent, qui suive toutes les étapes, jusqu'au contrôle des travaux ; sinon nous perdrons la confiance des ménages.

La qualité des travaux est un enjeu important, tout comme la formation de la filière. La demande va monter en puissance alors que le nombre d'entreprises labellisées RGE (Reconnu garant de l'environnement) est trop faible. Il faut aussi simplifier les processus d'agrément.

J'en viens au reste à charge. Il est bien beau de dire que l'on veut un reste à charge zéro - il faut certes un reste à charge minimal, car il est bien trop élevé, notamment pour les rénovations globales -, mais, hier, lors de nos auditions, les acteurs ne demandaient pas un reste à charge nul, mais simplement supportable. C'est une question de dignité ; chacun doit se sentir engagé dans la rénovation de son logement, et donc y participer financièrement.

Enfin, concernant MaPrimeRénov', on met souvent en avant des cas problématiques mais qui ne reflètent pas toute la réalité : sur 700 000 attributions annuelles quelques centaines de cas sont en difficulté. Si tout n'est pas parfait, les améliorations des processus de l'Anah sont nettes.

Le sujet de la précarité énergétique est fondamental. Dans le cadre de la commission d'enquête, même si les sujets sont plus larges, nous souhaitons être force de proposition pour résorber ce fléau.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

L'article 1er n'est pas adopté.

Article 2

L'article 2 n'est pas adopté.

Article 3

L'article 3 n'est pas adopté.

Article 4

L'article 4 n'est pas adopté.

Article 5

L'article 5 n'est pas adopté.

La proposition de loi n'est pas adoptée.

Conformément au premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance portera en conséquence sur le texte initial de la proposition de loi déposée sur le Bureau du Sénat.

La réunion est close à 11 h 25.