Jeudi 30 mars 2023

Présentation du rapport de Mme Catherine Procaccia, au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), sur l'impact de la chlordécone aux Antilles françaises

M. Stéphane Artano, président. - Mesdames et Messieurs les députés, mes chers collègues, chère Catherine Procaccia, je suis particulièrement heureux de la séance de travail que nous tenons ensemble ce matin.

Elle a été organisée en liaison avec l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) présidé, comme vous le savez, par Pierre Henriet, député de la Vendée et dont le Premier vice-président est Gérard Longuet, sénateur de la Meuse.

Elle réunit les deux délégations parlementaires dédiées aux outre-mer, celle du Sénat et celle de l'Assemblée nationale dont je salue les représentants, et leur président Moetai Brotherson, actuellement sur son territoire, sur un sujet qui le mérite en effet amplement.

Je tiens à saluer l'initiative de notre collègue Catherine Procaccia, qui a été membre de notre délégation jusqu'au dernier renouvellement et qui a participé à nos activités toujours de façon très constructive.

Treize ans après la publication d'un premier rapport consacré à l'impact de l'utilisation de la chlordécone aux Antilles, elle vient de faire le point, dans un rapport publié au nom de l'OPECST, sur l'évolution des connaissances scientifiques et sur l'état de la contamination de la Guadeloupe et de la Martinique. Comme vous le savez, cette contamination résulte de l'épandage massif, pendant deux décennies, d'un insecticide ultra-toxique dans les bananeraies.

Compte tenu du caractère gravissime de ce dossier - dont nous avons pu nous rendre compte très récemment avec le président Gérard Larcher lors d'un déplacement aux Antilles fin janvier -, il est essentiel que la mobilisation parlementaire s'inscrive ainsi dans la durée.

Je tiens donc à te remercier sincèrement, chère Catherine, d'avoir bien voulu te prêter à cette séance de présentation et de questions-réponses sur un sujet qui reste majeur pour les collectivités concernées.

Pour preuve, l'Assemblée de Martinique vient d'adopter, jeudi dernier, une délibération pour la mise en place d'une loi d'orientation et de programmation, dite « loi chlordécone », avec l'idée d'une co-construction de mesures avec l'État -- objectif que nos délégations respectives partagent largement, dans les domaines qui ne relèvent pas du régalien - qui tienne compte des enseignements des précédents plans mis en oeuvre.

La collectivité territoriale de la Martinique s'appuie notamment sur les conclusions du rapport de la commission d'enquête, dont Justine Bénin était rapporteure et Serge Letchimy président, et qui avait pointé dès 2019 certaines responsabilités et proposé d'aider au développement de nouvelles pratiques agricoles « saines et respectueuses de l'environnement ».

Après sa présentation, je crois que nous aurons tous les éclairages nécessaires pour avoir ce matin un riche débat qui puisse préparer les prochains développements de ce dossier qui est assurément loin d'être refermé...

La parole est à toi, chère Catherine.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - Chers collègues, le président Stéphane Artano a rappelé le contexte de cette étude. Je souhaiterais simplement préciser que l'OPECST étudie les questions sur le plan scientifique. En l'occurrence, nous n'entrons pas dans le débat juridique relatif à la chlordécone aux Antilles.

Notre rapport de 2009 s'attachait aux conséquences de la chlordécone aux Antilles. À l'époque, les études scientifiques n'étaient guère avancées. Pour cette raison, nous avons souhaité dresser un état de la situation actuelle en matière de recherche et d'application des plans chlordécone.

Treize ans après ce rapport, certains éléments s'avèrent positifs, d'autres le sont moins.

En 2009, les scientifiques prédisaient une contamination sur une période allant de 350 à 700 ans, selon le type de sols. Dorénavant, les études sont plus encourageantes. Selon certains scientifiques, la dissipation de la chlordécone serait plus rapide qu'escompté et le taux de la molécule dans les sols pourrait être inférieur aux limites de détection actuelles avant la fin du siècle. Ces prédictions demandent à être confirmées par la communauté scientifique. En tout état de cause, il semble certain que la contamination sera moins longue que prévu. Cela étant, l'échéance demeure éloignée. De plus, même en cas de disparition de la chlordécone des sols, la pollution des aquifères perdurerait plusieurs dizaines d'années.

Sans attendre cette disparition naturelle, plusieurs pistes de recherche de décontamination sont étudiées. Elles se révèlent prometteuses. Des filtres à charbon actif performants contrôlent l'eau de consommation. Les cas de non-conformité résultent de leur changement irrégulier. Un remplacement régulier permettrait d'éviter des interdictions temporaires de consommation. Il éviterait également la consommation d'eaux de source polluées et non contrôlées.

En matière de dépollution des sols, trois pistes sont prometteuses. La première repose sur l'utilisation de bactéries pour stimuler la dégradation de la chlordécone sur le terrain. Les travaux sont en cours. Ensuite, certains réducteurs chimiques, tel le fer zéro valent (ZVI), ont montré leur efficacité sur la couche superficielle du sol ; en revanche, ils ne permettent pas d'éviter un transfert de la chlordécone vers l'hydrosphère et leur coût demeure assez prohibitif. Enfin, la séquestration de la molécule par l'ajout de compost est à l'essai. Certains charbons d'origine végétale, notamment issus des sargasses pyrolysées, permettent de réduire le transfert aux plantes.

Ces pistes de recherche constituent l'aspect positif de mon analyse. Je recommande de les tester à grande échelle sur le terrain antillais, avant de les confirmer et surtout ne pas susciter de faux espoirs au sein des populations. De plus, les scientifiques ont montré que la molécule de la chlordécone pouvait certes être dégradée, mais qu'elle était susceptible de générer d'autres molécules. L'analyse de celles-ci permettra de s'assurer qu'elles ne provoquent pas un autre type de dangerosité.

Parmi les déceptions, je mentionne la cartographie. Dès 2009, mon collègue Jean-Yves Le Déaut, alors président de l'OPECST, et moi-même avions recommandé une cartographie complète des sols. Elle aurait permis d'informer les populations antillaises sur les sols pollués, car heureusement tous ne le sont pas. Hélas, nous avons constaté que la cartographie a été très peu pratiquée. En effet, il a été décidé de la faire reposer sur les seules analyses gratuites proposées aux agriculteurs et aux utilisateurs de jardins familiaux. De ce fait, tous les sols n'ont pas été analysés, y compris dans les zones contaminées.

Point positif, ceux qui ont accepté l'analyse peuvent adapter leurs cultures. Dès 2009, nous savions en effet que seuls les légumes racines, les tubercules, sont contaminés. La consommation de fruits et légumes aériens ne revêt aucun danger. La culture de la canne à sucre demeure possible ; il suffit par précaution d'en couper les plans à deux ou trois centimètres du sol. On peut cultiver la canne et d'autres cultures sur les terres polluées.

Les connaissances ont également progressé en matière d'élevage. En 2009, la possibilité d'une contamination des animaux était envisagée. Les soupçons sont confirmés. Les animaux peuvent en effet se trouver contaminés, notamment par ingestion involontaire de terre polluée. Pour autant, il suffit de les déplacer sur des sols non pollués ou dans des élevages hors sol pour que cette contamination diminue. Une décontamination avant abattage peut donc être envisagée si la durée de vie de l'animal le permet. Pour les bovins, un outil d'aide à la décision a été développé : une simple prise de sang permet d'estimer la durée de décontamination nécessaire.

Les produits de la pêche constituent le seul point noir. L'interdiction de la pêche et de l'aquaculture demeure hélas l'unique solution dans les zones polluées.

En matière d'alimentation, les conseils de prévention sont efficaces. Le programme des Jardins Familiaux (JaFa), lancé par le Gouvernement en 2008 et 2009, a permis d'accompagner les propriétaires de jardins familiaux. Ceux-ci bénéficient d'une analyse gratuite de leurs sols ainsi que de conseils agricoles et nutritionnels qui leur permettent de diminuer leur exposition. Des informations destinées au grand public ont été largement émises. Elles s'avèrent efficaces. Ainsi, un épluchage épais des légumes permet de diminuer l'ingestion de chlordécone.

Toutefois, les campagnes de contrôle des produits demeurent essentielles. Elles ont démontré que les produits alimentaires issus des circuits officiels sont à 70 % indemnes de chlordécone. Le principal axe de progrès concerne le contrôle des légumes, des volailles, des oeufs, des poissons et des crustacés issus de l'autoproduction et des circuits informels. De tels contrôles demeurent inexistants, alors que ces produits peuvent être contaminés. Personnellement, j'estime ces contrôles possibles.

Dernière bonne nouvelle, les connaissances scientifiques sur les effets de la chlordécone sur la santé humaine s'améliorent. L'étude Kannari, menée en 2013, constatait une présence de chlordécone dans le sang de plus de 90 % des adultes antillais. Chez 14 % des Guadeloupéens et 25 % des Martiniquais, la concentration dépassait la valeur toxicologique de référence fixée par l'Anses. Cette valeur correspond à la concentration de chlordécone dans le sang au-dessous de laquelle, sur une longue période, le risque d'apparition d'effets néfaste est jugé négligeable.

Toutefois, la base de cette étude est ancienne. Nous demandons une actualisation. Celle-ci pourrait notamment s'appuyer sur le dispositif issu d'un amendement sénatorial proposé par notre collègue Victoire Jasmin et co-signé par plusieurs membres de la délégation aux outre-mer. Il permet à tous les Antillais de faire doser leur concentration sanguine en chlordécone. Il convient pour autant de rappeler que la présence de chlordécone dans le sang n'implique pas nécessairement le déclenchement d'une maladie.

Un dépistage massif permettrait d'évaluer l'état actuel de la situation, de mieux accompagner les Antillais et de s'assurer de l'efficacité des mesures de prévention. Je me permets donc d'inviter tous les Antillais membres de la délégation à effectuer ce test et à communiquer auprès de la population. Dans le même esprit, j'ai proposé à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) de suivre une population de jeunes se rendant en métropole pour y étudier. Une diminution du taux de chlordécone dans le sang après un an serait caractéristique.

Toujours en matière sanitaire, les études menées depuis quinze ans confirment la présomption d'un lien entre exposition à la chlordécone et survenue de cancers de la prostate. Selon le professeur Luc Multigner, 5 à 7 % des cas de cancers de la prostate observés aux Antilles seraient attribuables à la chlordécone. Par conséquent, cette maladie est désormais inscrite au tableau des maladies professionnelles pour les agriculteurs et les salariés des bananeraies, selon certains critères que nous pourrons évoquer ultérieurement.

Pour ma part, je regrette que le focus sur le cancer de la prostate et la fertilité masculine ait conduit pendant des années à négliger d'autres formes de cancer, en particulier les impacts sur les femmes. Certaines études sont lancées depuis peu. Il convient désormais de les développer.

Par ailleurs, l'étude de la cohorte mère-enfant Timoun avait mis en évidence les risques de prématurité, mais aussi l'impact hormonal et les conséquences sur le neuro-développement, le poids et la taille des enfants jusqu'à sept ans. Les impacts à l'âge péri-pubertaire sont dorénavant à l'étude.

Parallèlement à l'actualisation des connaissances scientifiques, le rapport dresse une analyse critique de l'action de l'État au travers des trois premiers Plans Chlordécone conduits depuis 2008.

J'estime que ces plans ont souffert de nombreux écueils. Les aspects environnementaux et économiques ont été négligés. Le pilotage et le financement de la recherche ont été inefficaces. Ils ont été limités à une meilleure connaissance des effets sanitaires liés à l'exposition à la chlordécone. Les instances de gouvernance étaient trop centralisées et administratives. Elles ont trop peu associé les autorités locales. Enfin, je considère que la communication grand public s'est montrée inefficace.

Ces différentes défaillances confortent le sentiment de colère et de défiance de la population antillaise. Cela s'est traduit par des difficultés d'adhésion aux dispositifs et aux recommandations alimentaires, pourtant efficaces, mais émanant des services de l'État.

Le Plan Chlordécone IV, qui a débuté l'année dernière, veut en tirer les enseignements. Nous espérons tous qu'il sera enfin efficace. Son élaboration a associé les instances de gouvernance des collectivités locales, les représentants de la société civile et les organisations professionnelles. Un coordinateur interministériel a été nommé. Un budget annuel plus conséquent a été dégagé, dont un tiers est destiné à la recherche. Enfin, l'Agence nationale de la recherche (ANR) a lancé un appel à projets uniquement consacré à la chlordécone.

La publication annuelle du bilan du plan doit assurer une plus grande transparence et permettre si nécessaire une réorientation plus rapide. Des actions de formation à destination des professionnels de santé, des enseignants et des éco-délégués sont aussi prévues. Ceux-ci pourront jouer, je l'espère, un rôle de relais de confiance auprès d'une population peut-être plus sensible à leur action.

Prenant appui sur cet état des lieux, nous émettons 24 recommandations, regroupées autour de quatre axes principaux : la recherche ; la communication ; la chlordéconémie ; le suivi et l'évaluation du plan. Elles figurent dans mon rapport. J'en ai évoqué certaines au cours de mon intervention. Je ne les commenterai pas toutes.

Comme je vous l'ai dit, la recherche a progressé dans tous les secteurs, même si les résultats ne se montrent pas à la hauteur des attentes de la population. La biodiversité a été un peu oubliée. Il serait temps de porter une vision plus globale sur les impacts de la chlordécone, intégrant les dérivés de la dégradation et les effets cocktail de la molécule associée à d'autres pesticides. Les solutions de remédiation des sols demeurent à mon sens prioritaires, afin de ne pas attendre la fin du siècle pour que la chlordécone disparaisse.

Les efforts de financement de la recherche doivent se poursuivre, mais avec une coordination des projets. J'en profite pour dire toute mon admiration à l'égard des chercheurs engagés sur cette thématique. Ils sont peu nombreux et n'ont cessé de se mobiliser depuis treize ans en dépit du manque de financement.

Une vision plus complète des risques sanitaires sur l'ensemble de la population me paraît indispensable. Les connaissances actuelles fournissent de nombreux outils pour prévenir et minimiser la contamination. Encore faudrait-il trouver les moyens de convaincre toute la population de s'approprier ces solutions.

À cet égard, votre rôle d'acteurs locaux de terrain m'apparaît essentiel. Vous connaissez les réalités et les freins socioculturels des Antilles. La communication doit absolument sortir du cadre qui a été le sien jusqu'à présent. La chlordéconémie, je le répète, n'est pas un outil prédictif, mais un instrument de dialogue avec la population, afin de rassurer les Antillais et d'adapter au cas par cas les recommandations sanitaires. Les résultats obtenus doivent permettre d'actualiser les données sur la contamination. J'estime que les deux départements devraient avoir une approche plus convergente de la chlordéconémie et que les capacités des laboratoires d'analyse médicale devraient être accrues.

En conclusion, ce qui est arrivé aux Antilles doit servir de modèle à l'État pour gérer les probables pollutions à venir sur le territoire français. Jusqu'à présent, la liste des erreurs a été plus longue que celle des actions efficaces. Une vision globale à long terme, s'appuyant sur la recherche et associant tous les acteurs et la population, s'avère nécessaire.

M. Stéphane Artano, président. - Merci pour cet exposé, étant rappelé que ce rapport a été présenté le 3 mars dernier à la presse. Il était cependant important d'échanger avec nos deux délégations aux outre-mer.

M. Dominique Théophile. - Je tiens à saluer le travail de Catherine Procaccia. Le sujet est évoqué régulièrement. Ce rapport vient en complément de la commission d'enquête menée par Serge Letchimy et Justine Bénin.

Je souhaiterais rappeler un point d'alerte en matière de prévention. La zone du sud de Basse-Terre, et plus précisément celle de Capesterre, présente le plus fort taux de contamination de Guadeloupe. Les sargasses sont nombreuses sur son rivage. Pour s'en débarrasser, il est nécessaire de les faire sécher, ce qui implique d'importantes surfaces d'épandage. Or les sargasses contiennent de la chlordécone. J'attire l'attention sur les risques liés au transfert et au stockage des sargasses à Grande Terre, où les sols et la nappe phréatique ne sont pas contaminés.

J'avais évoqué une solution dans mon rapport consacré aux sargasses : le stockage des sargasses sur des liners et leur récupération dans des fûts pour brûler le lixiviat permettrait d'éviter un contact avec le sol. Je ne vois pas ce point très important dans le rapport.

Par ailleurs, je précise que la transformation des sargasses en charbon actif pour éliminer la chlordécone n'est plus une expérimentation. Elle fonctionne. Les universités des Antilles et de Saint-Domingue l'ont expérimentée sur des fours à pyrolyse. Cependant, les industriels hésitent à s'engager, car la recherche ignore à ce stade si le stock de sargasses sera suffisant pour rentabiliser leur investissement.

Enfin, les contrôles de l'Agence régionale de santé (ARS) sécurisent la potabilité de l'eau avant distribution. Les risques de contamination par ce biais sont donc limités.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - Personne ne nous a parlé de transferts des sargasses pendant nos auditions. Nous nous intéressions uniquement à la pollution de la chlordécone dans les sols et l'eau, à l'impact sur les plantes et aux conséquences sur l'homme.

La pyrolyse des sargasses est bien une solution. Sarra Gaspard a mené l'étude au sein de l'Université des Antilles. Pour ma part, je crois qu'il n'existe pas de solution unique en matière de décontamination des sols, dans la mesure où ceux-ci sont différents.

Concernant la position des industriels à l'égard des sargasses, l'État devrait participer d'une façon ou d'une autre au financement, puisqu'il reconnaît la pollution par la chlordécone.

Les eaux de source constituent ma grande préoccupation depuis 2009. Elles ne sont ni surveillées ni contrôlées. Or j'ai cru comprendre que les Antillais continuaient à les consommer, persuadés - comme beaucoup en métropole - que ces eaux seraient meilleures. Je pense que des informations et des contrôles sont nécessaires, afin d'éviter des contaminations humaines et animales. Il conviendrait de porter l'effort sur tous les circuits non contrôlés, en matière d'eau comme d'alimentation.

Mme Catherine Conconne. - Tout d'abord, je félicite Catherine Procaccia pour son excellent travail. J'apprécie la démarche consistant à évaluer la situation et les progrès réalisés depuis le rapport de 2009. Des actions sont en effet menées.

Je souhaite apporter une précision. L'Assemblée de Martinique, réunie en séance plénière jeudi dernier, a voté à l'unanimité, non une motion, mais une véritable délibération destinée à provoquer une loi d'orientation et de programmation de sortie de la chlordécone. En effet, les Plans Chlordécone résultent de l'initiative du Gouvernement et sont plus ou moins bien dotés en budget. Ils demeurent aléatoires et pourraient être remis en cause par un autre gouvernement. En revanche, la loi présentera un caractère obligatoire et contraignant. Il conviendrait donc d'intégrer ce rapport de l'OPECST dans les travaux de la Collectivité de Martinique, pour nourrir l'étude d'impact et l'exposé des motifs qui porteront la proposition ou le futur projet de loi.

J'ajouterai que les eaux de source sont de plus en plus contrôlées. Les tests ont commencé, des avertissements sont communiqués aux utilisateurs et des contrôles au robinet, décidés par l'ARS, sont effectués depuis deux ou trois ans. Ces contrôles, associés aux filtrations au charbon, s'avèrent efficaces. La potabilité de l'eau consommée est donc exceptionnelle en Martinique.

Merci encore pour ce rapport. Nous saurons le faire prospérer et le porter comme une contribution importante aux textes à venir. Le sujet provoque en effet chez nous une série de crises, en raison notamment du non-lieu prononcé récemment. En tant que parlementaire, je ne porterai pas ici de jugement sur cette décision. Des recours sont en cours. Pour autant, au-delà de l'aspect juridique inacceptable pour les populations, des mesures souveraines et responsables doivent être mises en oeuvre afin de juguler ce drame qui frappe particulièrement la Guadeloupe et la Martinique.

Le rapport ouvre également des perspectives sur les autres pollutions. L'agriculture tropicale consomme beaucoup de pesticides. La pression sur les agriculteurs est importante. Des progrès remarquables, certes insuffisants, sont réalisés. Ainsi la culture de la banane a réduit de 85 % son utilisation de produits phytosanitaires. La recherche s'est ouverte. Plusieurs appels à projets sont aujourd'hui à l'ordre du jour. L'Université des Antilles agit de façon très déterminée pour prendre sa place dans l'après-chlordécone.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - Merci. Je suis restée en contact pendant toutes ces années avec des équipes de chercheurs. Il était assez désespérant, je l'avoue, de constater que la poursuite de leurs recherches était subordonnée à 10 ou 20 000 euros. Malgré les courriers et les interventions, ces équipes, déjà peu nombreuses, ne parvenaient pas à obtenir de financement. Elles ont pourtant continué et progressé.

Je souhaiterais vous renvoyer à l'excellent rapport réalisé en 2016 par la Délégation sénatoriale aux outre-mer sur l'agriculture des outre-mer, pointant les produits phytosanitaires et les normes européennes qui sont imposées. Ces normes ne prennent pas en considération les spécificités des climats et des cultures dans les territoires ultramarins. Elles constituent parfois de réelles aberrations, telle l'interdiction d'utiliser certains produits naturels, alors même qu'ils avaient été découverts et mis en place par des organismes d'État comme le CIRAD ou l'INRA et qu'ils permettaient de lutter contre certains nuisibles.

M. Jiovanny William, député de Martinique. - Merci pour ce rapport et les recommandations qu'il contient. La situation doit effectivement se traduire en actions concrètes. Vous avez raison, les plans précédents n'étaient pas efficaces. Il y a lieu de les renforcer par le Plan Chlordécone IV, mais aussi par des initiatives locales, telles que celle de la Collectivité Territoriale de Martinique.

Vous avez mentionné la défiance de la population et l'utilisation des sciences humaines pour accroître l'adhésion aux recommandations. Je dirais qu'il faut aussi utiliser les sciences humaines pour rechercher et étudier les impacts psychologiques, au-delà du seul impact sanitaire. Un préjudice d'anxiété est latent. Il mériterait à mon sens d'être étudié. La restauration de la confiance passe aussi par la reconnaissance des responsabilités. En tout état de cause, nos populations connaissent de réelles difficultés psychologiques.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - Les plans de financement commencent effectivement à intégrer les sciences humaines. Pour ma part, j'ai beaucoup appris des entretiens et des tables rondes auxquels j'ai pris part.

M. Stéphane Artano, président. - La parole est à Olivier Serva, puis à Victoire Jasmin.

M. Olivier Serva, député de Guadeloupe. - Merci beaucoup pour ce travail très intéressant sur une problématique importante en Guadeloupe et en Martinique.

J'aimerais d'abord vous interroger sur le lien entre cancer et chlordécone.

Lors de son audition en 2018, Agnès Buzyn, alors ministre de la Santé, s'était engagée devant la Délégation aux outre-mer de l'Assemblée nationale à lancer des appels à projets. Il s'agissait de l'une de vos recommandations, destinée à constituer un corpus scientifique de spécialistes mondiaux susceptibles d'établir le lien entre cancer et chlordécone.

Ce n'est pas si aisé. Le Président de la République lui-même a reconnu la responsabilité de l'État, tout en considérant que la chlordécone n'était pas nécessairement cancérigène. De fait, s'il existe de fortes présomptions, le lien scientifique n'est pas établi aujourd'hui.

J'insiste sur ce point en raison des conséquences sur les populations. Les hommes antillais sont dix fois plus exposés au cancer de la prostate que les autres populations. Vous avez aussi fait état d'une enquête effrayante sur les conséquences en matière cognitive, notamment chez les jeunes filles. Il est nécessaire de faire des recherches sur ce lien entre chlordécone et cancer. Cette problématique entraînera des conséquences sur l'indemnisation des victimes. Le sujet dépasse les seuls travailleurs dans les bananeraies, qui étaient pour la plupart étrangers ou sont aujourd'hui décédés. En revanche, bien des personnes subissent encore, physiquement ou moralement, les effets de la chlordécone.

Ma deuxième observation concerne la cartographie des terres. Vous l'avez dit, aujourd'hui le compte n'y est pas. La situation n'est pas satisfaisante. Il convient d'aller davantage dans le détail.

Plus généralement, il est important de s'attacher à la dépollution des mers. Vous avez également évoqué cet aspect. La dépollution des terres constitue aussi un vrai sujet. Les chercheurs de l'Université des Antilles effectuent un excellent travail. Les moyens d'action sont connus. Puisque l'État est responsable, il doit indemniser les victimes et dépolluer les terres.

Enfin, vous avez fait aussi référence aux pratiques européennes en matière de pesticides. C'est un véritable scandale, alors que nous sommes incités à tendre vers la souveraineté alimentaire et produire sur nos propres terres.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - Dès 2009, notre rapport demandait une cartographie complète des sols. Je déplore donc que seuls 3,4 % des sols en Guadeloupe et 9 % en Martinique aient été analysés. Certes, toutes les terres n'ont pas été polluées, mais les Antillais ne peuvent être rassurés en l'état. Le choix de faire reposer la cartographie sur les seules analyses volontaires est à mon avis une erreur, même si nos interlocuteurs sur place indiquent qu'il était impossible d'agir autrement.

Je ne partage pas votre opinion, Monsieur le député, sur l'absence d'étude établissant le lien entre chlordécone et cancer. En revanche, je déplore que les travaux aient porté essentiellement sur le cancer de la prostate. Les autres formes de cancer ont été peu étudiées.

La présomption de lien entre la chlordécone et le cancer de la prostate est bien établie. Selon les travaux du professeur Luc Multigner, 5 à 7 % des cancers de la prostate observés aux Antilles sont provoqués par la chlordécone. Les pages 50 et 51 de notre rapport relèvent que les taux de cancers du poumon, du colorectal et du sein sont plus faibles aux Antilles. En revanche, il existe une sur-incidence pour les cancers du col de l'utérus, de l'estomac, de la prostate et les myélomes multiples. Il semblerait également que, chez les femmes travaillant dans le secteur bananier, des excès de décès pour les cancers du pancréas et de l'estomac aient été observés.

Par ailleurs, le cancer de la prostate avait déjà été étudié après l'accident intervenu dans l'usine Hopewell qui fabriquait le pesticide incriminé aux États-Unis. Cette usine a fermé, mais la production de chlordécone s'est poursuivie en sous-main au Brésil. Les pays de l'ancien bloc soviétique en Europe de l'Est (Pologne, RDA, Hongrie...) ont massivement employé la chlordécone dans les champs de pommes de terre pour lutter contre les doryphores. En 2009, je suis même allée rencontrer les Verts allemands pour leur demander d'effectuer des recherches sur leurs terres. Or aucun pays européen n'a voulu engager une quelconque recherche. Il est vrai que les sols y sont différents.

Concernant la décontamination des mers, je suis d'accord avec vous. Aucune solution n'existe, hormis l'interdiction de la pêche. Pour les terres, les pistes de recherche sont prometteuses. Elles doivent être testées à grande échelle pour être efficaces et ne pas donner de faux espoirs.

M. Olivier Serva. - Merci pour ces réponses très précises. Je formulerai cependant quelques observations.

Tout d'abord, l'étude du professeur Luc Multigner demeure discutée. La communauté scientifique internationale ne considère pas que le lien entre chlordécone et cancer soit indiscutable, malgré une forte présomption. Il faut donc lancer un appel à projets pour l'établir.

En second lieu, la situation de Hopewell n'est pas comparable à celle des Antilles. Du fait de l'explosion, l'exposition à la chlordécone était mille fois plus importante. Nous sommes exposés de façon indirecte et moins importante, mais répétée et sur une longue période. Le lien entre chlordécone et cancer doit être totalement établi dans ce contexte. En l'état, il ne permet pas d'indemniser les victimes.

Mme Victoire Jasmin. - Je tiens à féliciter la rigueur du travail et l'assiduité de Catherine Procaccia au sein de l'OPECST. C'est un travail de longue haleine. J'ai participé fin 2022 à un colloque en Martinique et en Guadeloupe. Les travaux de l'OPECST, comme ceux des chercheurs de Guadeloupe, y ont été valorisés. Après une phase de déni, une réelle volonté d'avancer se manifeste, dans le domaine de la recherche comme de la compréhension des impacts sanitaires liés aux sols ou à l'eau. Les contrôles se heurtent encore à des obstacles, mais l'appréhension du sujet sur nos territoires est rigoureuse.

Cependant, il convient de communiquer sur ces travaux. En effet, la méconnaissance ne permet pas de rassurer la population.

Je n'aborderai pas les aspects judiciaires, mais me concentrerai sur les travaux de l'OPECST et les avancées scientifiques.

Je regrette surtout les conséquences sur la valeur du foncier concerné. Alors que nous recherchons la souveraineté alimentaire, il est plus que jamais nécessaire de poursuivre l'analyse des sols partout sur nos territoires.

Il convient également d'assurer une traçabilité de l'eau, particulièrement dans son usage agricole.

La méconnaissance contribue aussi à la création de difficultés. Il est donc nécessaire de poursuivre les recherches, d'améliorer la communication et de distinguer le vrai du faux concernant les liens de causalité. L'absence ou le caractère partiel des informations communiquées n'assurent pas une bonne connaissance dans la population.

Il serait enfin nécessaire d'accroître le nombre de personnes testées en matière de chlordéconémie. Les tests sont disponibles. Nous devrions nous-mêmes les effectuer, afin de donner plus d'informations à la population et mieux comprendre quelles sont les personnes réellement impactées.

Le rapport présente des pistes intéressantes. Les travaux de l'OPECST comme ceux des chercheurs doivent alimenter la connaissance des populations afin d'éliminer les fantasmes. Nous devons contribuer à diffuser l'intégralité de vos propositions.

Merci beaucoup et félicitations pour ce travail entre l'Assemblée nationale et le Sénat.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - Merci. J'ai salué tout à l'heure les tests gratuits de chlordéconémie. Ils me paraissent essentiels, particulièrement pour connaître le degré exact de contamination des populations. Les tests de l'étude Kannari remontent à dix ans. Certaines évaluations estiment que 75 % de la population suivent les conseils alimentaires. De ce fait, la chlordécone devrait disparaître de leur sang.

En revanche, j'ai du mal à comprendre la différence des modalités de chlordéconémie entre Martinique et Guadeloupe. Je sais qu'elles ont été déterminées par chacune des collectivités, mais cela est mal compris. À mon avis, les deux pratiques comportent des aspects positifs. Tout le monde devrait pouvoir accéder aux tests de chlordéconémie sans nécessairement passer par un médecin. En revanche, les résultats devraient être accompagnés. Il conviendrait que les deux ARS s'accordent et mettent en place une approche identique.

Je partage le souci de transmission des informations auprès de la population. La communication doit émaner de personnes crédibles. Pour l'instant, ni l'État, ni même les scientifiques ne le sont. Il faut parvenir à informer et à rassurer. En effet, il est possible de s'alimenter en Martinique et en Guadeloupe. Toutes les terres ne sont pas polluées. Tous les produits ne sont pas contaminés, seuls les légumes racines le sont. Les atouts sont réels, mais j'estime que la communication a été un échec. La transparence et l'amélioration de l'information sont aujourd'hui indispensables.

Mme Victoire Jasmin. - Je souhaite revenir sur les deux pratiques de chlordéconémie.

La procédure appliquée en Guadeloupe est plus conforme aux textes. En revanche, les tests ont commencé plus tôt en Martinique. Beaucoup de Guadeloupéens y ont eu des tests payants.

La prescription médicale permet la prise en charge de l'analyse. Le suivi par un médecin traitant assure une meilleure traçabilité des résultats, même si l'ARS a mis en place un suivi et des conseils d'alimentation. La prescription médicale est conforme à la législation en vigueur, quelle que soit l'analyse. Toutes les informations figurent ainsi dans le dossier médical.

Il convient donc d'uniformiser et de mettre en conformité les pratiques.

M. Stéphane Artano, président. - Je laisse la parole à Victorin Lurel pour une dernière intervention, afin que nous puissions tenir les délais.

M. Victorin Lurel. - Merci. Je suis désolé de mon retard. Je n'ai pas pu suivre l'exposé de Catherine Procaccia. J'attendais avec impatience ce rapport, car la qualité du travail de l'OPECST est reconnue. Il contient beaucoup de recommandations. Elles témoignent de l'ampleur du travail et de la complexité de la question.

Je m'en étais déjà ouvert auprès de Catherine Procaccia, mais j'avoue avoir été étonné que 24 ans après la première alerte nous en soyons encore à la décomposition de la structure de la molécule.

La durée de la contamination faisait l'objet de plusieurs scénarios allant de 47 à 700 ans. Pour autant, l'impact devait devenir soutenable pour les populations à la fin du siècle.

Le Plan Chlordécone IV fait l'objet d'une importante promotion gouvernementale, qui me paraît excessive au regard des moyens accordés à la recherche fondamentale et à la recherche-développement. La concentration des moyens, la communication et l'appel à projets posent problème. Il y a cinq ans, la ministre des solidarités et de la santé Agnès Buzyn s'était engagée solennellement à lancer un protocole scientifique et des études approfondies. Ces engagements n'ont pas été concrétisés.

J'espère que le Gouvernement s'inspirera des recommandations de l'OPECST afin de rectifier la situation.

Je conclus sur un élément qui ne relève pas du travail de l'OPECST. Nous avons demandé la réouverture du dossier judiciaire par le Parquet. Nous réclamons également la possibilité d'invoquer un préjudice d'anxiété au civil, à l'exemple de l'amiante. Un arrêté semblerait suffire. Il n'empêcherait pas les poursuites pénales, mais témoignerait d'une volonté du Gouvernement de faire avancer la cause, de rassurer les populations et d'éviter la désinformation.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - Jean-Yves Le Déaut et moi-même avions qualifié la molécule d'« alien chimique ». Cette spécificité explique sans doute la lenteur des travaux. De plus, les équipes de chercheurs sur la chlordécone sont peu nombreuses. Personne n'a voulu travailler sur le sujet dans les ex-pays de l'Est. La chlordécone ne fait l'objet de recherches qu'en France. La communauté scientifique ne peut donc pas être aussi développée que dans d'autres cas.

Pour autant, j'ai pu retrouver des chercheurs qui n'ont pas abandonné leurs recherches depuis 2008-2009 malgré le peu de financement. Le financement doit être régulier et permanent jusqu'à dégager des solutions. Je crois en la science et en sa capacité à régler ce problème.

Merci de vos questions et de votre attention.

M. Stéphane Artano, président. - Je vous remercie Catherine Procaccia pour la qualité de ses travaux et sa volonté persistante de les suivre.

Lors d'une audition à laquelle j'avais participé en février 2022, j'avais été étonné par le « bricolage » auquel devaient se livrer les scientifiques pour obtenir des financements.

Je pense qu'il faut insister auprès des autorités gouvernementales : un financement massif de la recherche fondamentale sur le sujet présente une nécessité absolue.

- Présidence de M. Stéphane Artano, président -

Continuité territoriale - Adoption du rapport d'information

M. Stéphane Artano, président. - Mes chers collègues, nous examinons à présent les conclusions de nos rapporteurs, Guillaume Chevrollier et Catherine Conconne, sur la continuité territoriale.

Avant de leur céder la parole, je voudrais saluer tout le travail accompli par nos collègues sur un sujet aux enjeux cruciaux pour les outre-mer comme pour le territoire hexagonal. La continuité territoriale est indissociable de la cohésion sociale et du développement de nos territoires.

Je vous livre d'abord quelques éléments qui témoignent de l'importance des travaux préparatoires. Cette étude a en effet donné lieu précisément à :

- 38 auditions ;

- 55 heures d'auditions ;

- 111 personnes entendues.

Elle a également occasionné deux déplacements en Guyane et en Guadeloupe où ils ont été rejoints et accompagnés par nos collègues élus sur place, ce dont je les remercie.

Pour le présent rapport, comme à l'accoutumée, les comptes rendus de toutes les auditions seront annexés au rapport d'information dont la retranscription représente quelque 150 pages, ce qui contribuera à éclairer et enrichir ce dossier promis à de prochains développements.

En effet, non seulement le ministre en charge des outre-mer et les autorités à la tête de LADOM (son président Maël Disa et le nouveau directeur général Saïd Ahamada) ont déjà fait un certain nombre d'annonces, mais nous sommes aussi à la veille d'un Comité interministériel aux outre-mer (CIOM), prévu normalement pour le milieu du mois de mai, qui ne peut faire l'impasse sur cette question. À titre d'information, depuis l'annonce et le lancement de la mission fin 2022, on a pu recenser une trentaine d'articles dans la presse sur ce sujet !

Le projet stratégique dit « LADOM 2024 » doit également conduire, à l'aménagement futur des textes de loi, à l'installation de nouveaux partenariats et à la mise en adéquation des besoins et des moyens...Indéniablement, les « choses sont en train de bouger » et notre rapport participe de cette évolution, la question véritable étant désormais celle du curseur de la réforme !

Comme d'habitude, les rapporteurs ont procédé à un large tour d'horizon et ont complété leurs travaux avec des auditions rapporteurs, y compris avec le cabinet du ministre Carenco, et les réponses écrites aux questionnaires adressés systématiquement.

Je ne doute pas de l'excellence de leurs propositions à partir de ce large état des lieux.

Pour suivre commodément les présentations de nos rapporteurs, plusieurs supports vous ont été distribués :

- une note de synthèse du rapport sous forme d'un « Essentiel » ;

- la liste des recommandations ;

- et le tableau de mise en oeuvre et de suivi, surnommé le « T MIS », (prononcé thémis) en application du « groupe de travail Gruny ».

Je vous rappelle que celui-ci permet désormais :

- de flécher l'autorité qui sera responsable de la mise en oeuvre de chaque recommandation qu'elle émane d'une commission ou d'une délégation ;

- de préciser le support juridique nécessaire (loi, règlement, décret etc.) ;

- et le calendrier de réalisation souhaitable.

Par ailleurs, je vous rappelle qu'une conférence de presse se tiendra cet après-midi pour tenir compte du décalage horaire avec les Antilles et la Guyane où se sont rendus nos rapporteurs.

Vous êtes cordialement invités à y assister pour entourer nos collègues et évoquer les problématiques sur vos territoires respectifs.

Je vous propose sans plus tarder de céder la parole aux rapporteurs et en premier lieu à notre collègue Guillaume Chevrollier, puis Catherine Conconne selon la répartition qu'ils ont choisie.

M. Guillaume Chevrollier, rapporteur. - Monsieur le président, mes chers collègues, nous parvenons au terme de cette mission très riche. De nombreuses auditions. Environ 110 personnes auditionnées, soit lors des réunions de la délégation, soit lors des déplacements. Deux territoires visités : la Guyane et la Guadeloupe, ce qui nous a notamment permis de saisir tout l'enjeu de la continuité intérieure, à côté de la continuité vers l'Hexagone. Les deux continuités sont liées.

Au cours de ces trois mois, nous avons constaté une très grande attente des outre-mer sur les conclusions de nos travaux. La couverture presse des auditions et des déplacements a été très intense.

Cela s'explique malheureusement par l'actualité. Les dernières prévisions tarifaires pour cet été montrent en effet que les prix des billets d'avion vont atteindre de nouveaux records. La tendance haussière est donc loin d'être terminée, ce qui rend la définition d'une politique de continuité intérieure à la hauteur des enjeux encore plus indispensable.

Nous avons concentré nos travaux sur la continuité aérienne et dans une moindre mesure sur la question du fret maritime.

Nos travaux ont permis de dresser un état des lieux, dans chaque territoire, et de formuler douze propositions que nous avons souhaitées aussi opérationnelles que possibles.

Je vous présenterai l'état des lieux de la continuité territoriale outre-mer et les leviers d'actions permettant de faire baisser les prix ou d'améliorer les dessertes.

Ma collègue Catherine Conconne vous exposera plus particulièrement les manquements de la politique de continuité territoriale conduite par l'État depuis 20 ans et les remèdes.

L'état des lieux : Pour les ultramarins, venir dans l'Hexagone n'est pas une fantaisie, mais est devenu un luxe. À l'heure du bashing aérien, il faut rappeler que ce mode de transport n'est pas une option, mais une nécessité première pour le développement de ces territoires et le bien-être de leurs habitants.

En effet, sans continuité, aérienne ou maritime, pas de développement économique, pas d'attractivité et le risque que les populations, en particulier les plus jeunes, quittent les territoires. Sans continuité, un territoire étouffe.

Ce sont aussi des réalités individuelles difficiles comme des malades séparés de leur famille, des étudiants isolés, en mal du pays et qui préparent plus de six mois à l'avance leur retour, des familles qui n'ont pas les moyens de rapatrier le corps de leurs proches décédés en métropole... En sens inverse, de nombreux ultramarins installés dans l'Hexagone ne peuvent revenir au pays régulièrement.

Ce sont aussi des pertes de chance. En Guyane, de nombreux jeunes renoncent aux études supérieures, voire au lycée dès 16 ans, en raison notamment du coût et des difficultés des transports. Pour les porteurs de projet, la participation à des salons ou à des rencontres avec des investisseurs est compliquée.

Ces difficultés peuvent aussi se convertir en revendication et en colère. À Maripasoula, au coeur de la Guyane, un collectif que nous avons rencontré s'est ainsi constitué pour obtenir des avancées fortes pour le désenclavement de ces territoires.

Ces constats paraissent évidents, mais il faut les rappeler, tant ces territoires restent assimilés à des destinations de vacances dans l'imaginaire hexagonal.

Nos travaux ont néanmoins mis en évidence que la desserte des outre-mer s'était globalement améliorée depuis 20 ans. Sur la quasi-totalité des destinations, plusieurs compagnies opèrent et offrent ainsi plusieurs solutions. Seules les liaisons entre les Antilles et la Guyane, entre Wallis-et-Futuna et la Nouvelle-Calédonie, et entre Saint-Pierre-et-Miquelon et le Canada sont exploitées par une seule compagnie. Dans les deux derniers cas, la ligne est opérée dans le cadre d'une délégation de service public (DSP).

À l'issue de la crise sanitaire, l'offre de sièges et les fréquences sont revenues à la normale, voire dépassent leur niveau de 2019 sur toutes les destinations à l'exception de Saint-Pierre-et-Miquelon.

L'ouverture à la concurrence a donc nettement amélioré la situation et a fait baisser les prix sur le long terme.

Ainsi, la DGAC note que le prix du transport aérien entre la métropole et les DOM était en 2019, par passager et par kilomètre, 33 % inférieur à la moyenne mondiale pour des liaisons long courrier de durée comparable. À l'automne 2022, et dans un contexte d'inflation générale des prix du transport aérien dans le monde, le prix des voyages métropole - DOM était encore 41 % plus bas que la moyenne mondiale par passager et par kilomètre.

Cet acquis de la concurrence doit être préservé et soutenu, et non pas contrecarré par des DSP onéreuses qui ne favoriseraient pas la qualité de services.

Pour autant, malgré ces progrès, il est évident que les billets d'avion demeurent hors de portée pour une grande partie des ultramarins.

Surtout quand on sait que les outre-mer demeurent les régions les plus pauvres de France. Une récente publication de l'INSEE en juillet 2022 établit que la grande pauvreté est 5 à 15 fois plus fréquente dans les départements d'outre-mer qu'en France métropolitaine.

Cela est d'autant plus vrai en haute saison quand la volatilité des prix est plus élevée outre-mer qu'ailleurs. La DGAC constate en effet que la saisonnalité des tarifs est plus importante pour les liaisons outre-mer que pour les liaisons long-courriers internationales au départ de la France. Ainsi, les prix augmentent plus fortement en période de forte demande (+ 25 % en juillet août par rapport aux moyennes annuelles vers les DOM contre + 14 % pour les long-courriers internationaux) et chutent plus vivement en basse saison (15 % en septembre par rapport aux moyennes annuelles vers les DOM contre 3 % vers l'international long courrier). Cette saisonnalité est encore plus vive pour les voyageurs qui achètent leur billet tardivement.

Cette tendance à des tarifs élevés ne devrait pas s'inverser. Tous les opérateurs rencontrés ont plutôt annoncé une persistance des hausses, même si un repli des prix du kérosène se confirmait. Jusqu'à présent, les compagnies n'ont répercuté que partiellement la hausse de tous leurs coûts. Il reste donc un fort potentiel d'appréciation des prix pour rétablir les marges des compagnies aériennes. Enfin, à moyen long terme, le verdissement du transport aérien va continuer à exiger des investissements importants qui devront être financés.

Parmi les autres constats forts, il faut souligner que la continuité territoriale demeure trop souvent envisagée sous le seul angle des liaisons directes entre chaque outre-mer et l'Hexagone. Or, c'est une évidence, les outre-mer s'inscrivent chacun dans un environnement régional à part. Or, il est souvent plus aisé de se rendre à Paris que de se déplacer vers les États ou les outre-mer français proches.

Les obstacles sont de deux ordres : une offre de vol souvent réduite et des tarifs parfois équivalents à un vol intercontinental. Ce constat vaut pour tous les bassins.

Dans la zone Antilles Guyane, un vol entre Cayenne et Fort-de-France peut atteindre 1 500 euros. Se rendre de Saint-Barthélemy à Pointe-à-Pitre coûte de l'ordre de 400 euros, soit presque le prix d'un Pointe-à-Pitre Paris en très basse saison.

Autre constat enfin, celui d'une continuité intérieure compliquée et souvent précaire dans certains outre-mer.

La situation de la Guyane est une des plus sensibles. Lors de notre déplacement, nous avons pu toucher du doigt les contraintes extraordinaires du triple enclavement guyanais. Nous remercions d'ailleurs nos collègues guyanais de nous avoir accompagnés tout le long pour nous éclairer sur la situation de leur territoire.

Enclavement vis à vis de l'Hexagone, avec une ligne chère, moins portée par les flux touristiques que celle vers les Antilles, et des fréquences moindres.

Enclavement régional, avec très peu de connexions avec les États voisins et l'Amérique du sud en général.

Enclavement intérieur enfin avec un réseau de transport extrêmement réduit sur un territoire grand comme le Portugal. Pas de train, un réseau routier restreint aux villes du littoral, deux fleuves - l'Oyapock et le Maroni - officiellement non navigables et des aérodromes intérieurs rustiques qui limitent les capacités opérationnelles des aéronefs. 7 communes sur 22 ne sont accessibles que par avion ou le fleuve.

Cette situation a des conséquences sur l'ensemble des aspects économiques, sociaux et culturels de la Guyane. Ainsi le coût de la vie est indexé sur le niveau du fleuve. À Maripasoula, une bonbonne de gaz qui coûte 25 euros sur le littoral, vaut 45 euros à Maripasoula en saison humide et 100 euros en saison sèche.

Dans des conditions moins extrêmes, à Marie-Galante en Guadeloupe, la double insularité augmente encore le coût de la vie ou rend les déplacements pénibles pour se rendre à un rendez-vous médical sur le continent.

En Polynésie, pour se rendre des Marquises situées à 1 500 km de Papeete, le billet coûte 600 euros.

Enfin, j'évoquerai rapidement le fret. Comme partout dans le monde, la désorganisation et les tensions sur le fret maritime se sont fait ressentir dans les outre-mer. Des délais allongés et des tarifs plus élevés ont pesé sur l'activité économique des territoires.

Toutefois, depuis le second semestre 2022, un retour à la normale est constaté. Dans leur ensemble, les outre-mer demeurent bien desservis par le transport maritime de fret. Deux territoires restent à l'écart des principales routes maritimes : Saint-Pierre-et-Miquelon, mais surtout Wallis-et-Futuna.

Face à ce tableau, quelles sont les pistes pour réduire les prix et améliorer la qualité de services et des dessertes ?

De manière générale, les leviers d'action paraissent limités à moyen terme.

S'agissant des taxes, des exonérations existent déjà, notamment dans l'aérien. Nous n'avons pas identifié de marges importantes qui permettraient de baisser sensiblement la part des taxes et redevances (qui varient entre 15 et 50% selon les trajets). Rappelons aussi que ces taxes et redevances doivent servir notamment à financer la modernisation des infrastructures qui sont un élément clef pour maintenir la compétitivité des territoires, leur attractivité et des solutions de transport moins chères. J'y reviendrai.

Une piste plus intéressante, en particulier pour le fret maritime, serait de faciliter l'approvisionnement local des outre-mer, en particulier en autorisant des dérogations aux normes CE ou en facilitant la normalisation des importations grâce à la création de bureaux de normalisation dans les outre-mer. C'est le leitmotiv de notre délégation depuis plusieurs rapports, en particulier en matière de construction.

En raccourcissant les routes d'approvisionnement, le coût du fret baissera. L'exemple absurde du bois brésilien obligé de transiter par l'Europe avant de revenir en Guyane doit appartenir au passé. Cela suppose un engagement fort de l'État pour négocier à Bruxelles des adaptations du droit européen, conformément à l'article 349 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE). C'est notre proposition n° 1.

Autre levier évoqué, celui du renforcement de la concurrence là où elle serait imparfaite.

La santé financière précaire des compagnies aériennes invite à agir avec prudence, afin de ne pas déstabiliser encore plus des opérateurs essentiels à la continuité, en particulier sur le long courrier.

S'agissant des lignes régionales ou court courrier, l'étroitesse des marchés rend également difficile la multiplication des acteurs. Certains sont d'ailleurs en DSP.

Une ligne pourrait gagner à développer la concurrence : la ligne Antilles Guyane. Air France est en monopole et les prix sont régulièrement jugés prohibitifs en particulier en haute saison. Un aller-retour Cayenne/Fort-de-France peut en effet coûter plus cher qu'un aller-retour vers l'Hexagone.

Sur ce marché régional, on notera aussi que l'autorité de la concurrence vient d'ouvrir une enquête sur une possible entente de trois acteurs du secteur aérien inter régional, en particulier sur les liaisons au départ ou à l'arrivée de la Guadeloupe, de la Martinique et de Saint-Martin. L'identité des compagnies visées n'a pas été révélée par l'autorité.

Dans l'océan Indien, le conseil départemental de Mayotte réfléchit à créer sa propre compagnie aérienne sur le modèle d'Air Austral ou de Air Tahiti Nui, afin de stimuler la concurrence et l'offre entre La Réunion et Mayotte et entre Mayotte et Paris.

Les marges de manoeuvre paraissent néanmoins assez limitées.

En revanche, un axe primordial est celui de la modernisation des infrastructures portuaires et aéroportuaires. C'est notre proposition n° 2.

Le récent rapport de la délégation sur la stratégie maritime des outre-mer avait déjà pointé l'impératif de la modernisation de nos ports et formulé plusieurs recommandations que nous appuyons naturellement.

Les projets de CMA CGM en Guadeloupe et en Martinique démontrent l'importance stratégique pour nos outre-mer d'investir pour continuer à être desservis par les lignes principales en s'imposant comme des hubs régionaux, et ne pas se retrouver au bout de lignes secondaires, forcément plus chères.

En matière aérienne, c'est la même chose.

Deux exemples illustrent l'impact déterminant des infrastructures aéroportuaires sur la desserte d'un territoire, la qualité du service et in fine le prix des billets :

- celui de la piste de l'aéroport de Mayotte, qui ne permet pas de développer dans de bonnes conditions les liaisons directes avec la métropole, ce qui renchérit considérablement les coûts d'exploitation des compagnies ;

- celui du réseau des aéroports secondaires de Guyane qui complique l'exploitation quotidienne des liaisons aériennes (horaires limités, conditions météorologiques, type d'avion...).

Un autre levier envisageable pour faire baisser les prix pour certains publics dans l'aérien est celui des obligations de service public. La réglementation impose déjà quelques OSP pour les mineurs, les personnes handicapées ou la continuité funéraire.

Les transporteurs reportent le coût de ces mesures favorables sur les autres passagers (péréquation entre les passagers). Ces obligations sont indolores pour les finances publiques.

Il pourrait donc être envisagé d'élargir ces OSP à d'autres publics comme les personnes âgées ou les demandeurs d'emploi. Toutefois, ces OSP dites ouvertes (la concurrence est maintenue) présentent l'inconvénient d'augmenter le prix des billets des autres passagers.

Les prix actuels étant déjà très élevés, une nouvelle augmentation pour financer les OSP pourraient rendre les lignes vers les outre-mer moins compétitives par rapport à des destinations similaires concurrentes.

Enfin, une dernière solution est celle de nouvelles DSP ou des DSP existantes plus ambitieuses. C'est notamment le cas en Guyane, en Polynésie française ou à Saint-Pierre-et-Miquelon où des réorganisations sont souhaitées par les collectivités. À Marie Galante, une DSP ou un marché pourrait être mis en place pour ajouter une rotation à la mi-journée quelques jours par semaine, ou mieux prendre en charge le fret.

Sans ces DSP locales, la continuité territoriale nationale ne serait qu'une théorie sur une carte.

La question de leur financement est en revanche revenue de façon lancinante au cours des auditions et déplacements.

Les collectivités territoriales assument l'essentiel des financements sous réserve de quelques aménagements comme entre Futuna et Wallis ou en Guyane, l'État prenant en charge 1,5 million sur les 10 millions de la DSP actuelle. En Polynésie française, le désenclavement des îles est à la charge du Pays.

Ces DSP sont excessivement chères par rapport à leur équivalent en métropole et difficilement soutenables par les collectivités.

Ces conditions particulières conduisent à remettre en question le principe de la non ou faible participation de l'État au financement de ces DSP de continuité intérieure.

Dans le cas de la Guyane, l'absence d'un réseau routier digne de ce nom sur un territoire grand comme le Portugal est au coeur des débats. L'État a fait le choix il y a des décennies de ne pas développer ce réseau. Aujourd'hui, en plus du coût d'un tel réseau, l'enjeu environnemental rend encore plus incertaine la perspective d'un désenclavement routier des communes de l'intérieur.

Ces choix, qui peuvent être compréhensibles, doivent néanmoins conduire l'État à investir massivement dans d'autres solutions ou alternatives crédibles et performantes. Le désenclavement aérien et maritime doit être une priorité absolue de l'État.

Pour toutes ces raisons, un renforcement des DSP régionales dans les outre-mer est souhaitable grâce à une réévaluation de la participation financière de l'État à hauteur de 50 %, dès lors que ces liaisons n'ont aucune alternative routière. L'effort financier supplémentaire pour l'État serait d'environ une dizaine de millions d'euros pour tous les outre-mer. C'est notre proposition n° 3.

Voici les premières conclusions auxquelles nous avons abouti.

Je cède la parole à ma collègue Catherine Conconne pour vous développer nos autres propositions.

Mme Catherine Conconne, rapporteure. - Mes premiers mots seront pour remercier le Président Stéphane Artano ainsi que toute la délégation d'avoir accepté d'inscrire à l'ordre du jour des missions de la délégation cette question de la continuité territoriale d'outre-mer. Je voudrais particulièrement adresser mes remerciements à toute l'équipe de la délégation. Imaginez le bonheur que j'ai aujourd'hui d'être à vos côtés pour vous livrer avec mon collègue Guillaume Chevrollier un rapport qui épouse mes valeurs politiques. Je suis de celles qui, depuis longtemps, parle de responsabilité, voire de souveraineté, en outre-mer. Ma notion de responsabilité et de souveraineté est dans l'expression des contributions que nous devons faire dans nos pays respectifs pour être plus en adéquation avec les nécessités de nos territoires. Il y a un temps où il faut s'inscrire dans une démarche vertueuse de construction d'alternatives.

C'est pourquoi je suis heureuse d'être parmi vous ce matin et de vous dire comment ce rapport est une première pierre apportée à une réflexion légitime et nécessaire à la responsabilité de l'État quant à la continuité territoriale outre-mer. C'est un événement important mais le travail ne fait que commencer. La livraison de ce rapport devra être suivie d'une détermination extraordinaire. Il y a, en effet, au-delà des considérations budgétaires, une véritable nécessité de l'État à prendre également plus de responsabilité quant à sa présence et à l'accompagnement des Français que nous sommes.

Pour rappel, ce n'est qu'en 2003 que les premières briques de la politique de continuité territoriale ont été posées. Toutefois, vingt ans plus tard, force est de constater que le chantier est inachevé. Les premières briques sont toujours là, mais elles ne suffisent pas à répondre aux enjeux de l'équité, de l'égalité des chances et de l'indivisibilité de la République.

L'effort budgétaire annuel de l'État demeure comprimé entre 35 et 52 millions d'euros selon les années. Il existe donc une sorte de plafond implicite bornant la solidarité nationale au profit de la continuité territoriale dans les outre-mer à une enveloppe budgétaire maximale de 50 millions d'euros, voire moins. Chaque fois que ce plafond a été crevé ou menacé de l'être, les conditions d'obtention des aides ont été resserrées comme en 2009 et en 2015.

Bien sûr, simultanément, pour prendre la seule période 2012-2019, l'inflation cumulée a été de 7,8 % et la population des DROM a cru de 4 %. L'effort budgétaire réel a donc baissé de plus de 30 % sur cette période.

Pourtant, les objectifs affichés sont ambitieux. Pour rappel, l'article L.1803 du code des transports, qui définit la politique de continuité territoriale, dispose que « les pouvoirs publics mettent en oeuvre outre-mer, au profit de l'ensemble des personnes qui y sont régulièrement établies, une politique nationale de continuité territoriale. Cette politique repose sur les principes d'égalité des droits, de solidarité nationale et d'unité de la République. Elle tend à atténuer les contraintes de l'insularité et de l'éloignement et à rapprocher les conditions d'accès de la population aux services publics de transport, de formation, de santé et de communication de celles de la métropole, en tenant compte de la situation géographique, économique et sociale particulière de chaque outre-mer. »

Régulièrement, l'objectif de 200 000 billets aidés chaque année est lancé, comme en 2003 lors de la naissance de la politique de continuité territoriale.

Derrière ces affichages ambitieux, les réalités de la politique nationale annoncée restent décevantes.

La politique de continuité territoriale s'articule principalement autour de plusieurs catégories d'aides, avec 5 principales :

- l'ACT qui est l'aide pour le grand public ;

- l'ACT dite spécifique pour les sportifs et artistes ;

- le passeport mobilité pour les études pour les étudiants ;

- le passeport pour la mobilité de la formation professionnelle ;

- et les aides à la continuité funéraire.

Dans l'ensemble, les critères d'éligibilité à ces aides sont sélectifs. Les conditions de ressources sont particulièrement strictes. Certains dispositifs comme l'ACT pour les sportifs sont même inconnus.

S'agissant de l'ACT, qui doit bénéficier au plus grand nombre, les résultats sont médiocres : 84 371 bons délivrés en 2012 puis une baisse régulière pour tomber à 22 838 bons en 2019 et 48 035 en 2022. Ce rebond en 2022 s'explique par le retour des demandes des Réunionnais qui avaient fui le dispositif national au profit d'un dispositif régional plus avantageux. Ce dernier ayant été revu à la baisse, les Réunionnais se tournent à nouveau vers le dispositif national.

Lancée en 2021, l'ACT spécifique pour les sportifs et les artistes est un échec complet. En 2022, 22 bons ont été émis !

Le PME qui concerne les étudiants est le dispositif qui se maintient le mieux avec une dizaine de milliers de bénéficiaires. C'est aussi le plus ancien. Les étudiants formulent néanmoins des critiques, ces aides ne prenant pas assez en considération l'intensité du déracinement des étudiants, ni la cherté de la vie. Le dispositif est aussi jugé peu souple pour s'adapter à des situations régionales particulières. Ainsi, les ACT ne prennent pas en charge les transports passagers par bateau entre la Martinique et la Guadeloupe, alors que beaucoup d'étudiants étudient entre les deux îles.

Le passeport pour la mobilité de la formation professionnelle (PMFP) est lui destiné aux personnes en formation professionnelle en mobilité et aux personnes inscrites dans une démarche d'insertion professionnelle. Les antennes territoriales de LADOM en Hexagone sont entièrement dédiées à l'accompagnement de ces demandeurs d'emploi en formation (accueil, hébergement, suivi).

Toutefois, ce dispositif est en perte de vitesse avec une baisse régulière du nombre de bénéficiaires pouvant s'expliquer notamment par l'amélioration des offres de formation sur les territoires, ce qui est une bonne chose.

Une autre critique récurrente, qui concerne les aides forfaitaires comme l'ACT, est celle de leur inadaptation à la saisonnalité forte des prix. Les aides ne s'adaptent pas au prix réel des billets.

Les bons sont censés couvrir 40 % du prix des billets (50 % depuis le 15 mars 2023). Toutefois, ce pourcentage n'est pas calculé sur la base du prix réel, ni sur celui du prix moyen constaté, mais sur la moyenne du prix d'achat des billets d'avion par les bénéficiaires de l'ACT.

En somme, l'aide forfaitaire est calculée à partir d'un plancher bas. Cette méthode de calcul, protectrice pour les finances publiques, n'est en revanche pas adaptée à la réalité de la plupart des ultramarins qui ne peuvent pas tous programmer leur déplacement six mois à l'avance ou échapper à la haute saison.

Le reste à charge se maintient à des niveaux très élevés qui poussent de nombreux bénéficiaires potentiels des aides à renoncer à leurs projets.

S'agissant de l'aide au fret, qui est un dispositif à part, non géré par LADOM, elle a surtout pour objectif d'améliorer la compétitivité des activités de production dans les outre-mer. En revanche, les importations de produits de consommation ne peuvent en bénéficier. Ce n'est donc pas un outil adapté pour diminuer la charge du fret sur le coût de la vie. Les montants disponibles, les activités éligibles et la complexité des dossiers n'en font pas un outil opérationnel.

Ces manquements apparaissent plus crûment à la lumière d'autres expériences en France ou dans l'Union européenne. L'exemple corse est une illustration d'une politique ambitieuse de continuité bénéficiant au plus grand nombre, même si ses modalités peuvent être discutées. De même, les exemples espagnols et portugais sont intéressants car il démontre qu'une politique très volontariste est possible sans pour autant affaiblir le jeu concurrentiel. Dans ces deux pays, des réductions et des tarifs résident co-existent avec un marché entièrement libre où des compagnies low cost opèrent.

Le tableau figurant dans l'Essentiel vous montre page 2 une comparaison des efforts budgétaires en faveur de la continuité territoriale. Les chiffres sont accablants.

Depuis 2021, on observe néanmoins les prémices d'un nouvel élan. Le montant des aides a été réévalué à deux reprises en 2021, puis il y a 15 jours à la suite de l'augmentation des crédits en loi de finances pour 2023.

La hausse des prix des billets et la fin du dispositif réunionnais très avantageux ne laissaient pas d'autres choix que de relever les moyens alloués.

Ce bilan très critique de la politique conduite depuis 20 ans nous conduit à formuler neuf autres propositions en complément de celles déjà exposées par mon collègue Guillaume Chevrollier il y a un instant.

Au préalable, il faut réaffirmer que la politique de continuité territoriale relève d'abord et avant tout de l'État. C'est sa responsabilité et les collectivités territoriales ne peuvent venir qu'en appui ou en complément, sous réserve de leurs capacités et selon les priorités de leurs territoires.

En conséquence, l'augmentation des enveloppes budgétaires allouées à la continuité territoriale en loi de finances nous paraît incontournable. Un doublement serait un point de départ, tant les bricolages et ajustements à la marge que nous avons connus ne sont plus à la hauteur des enjeux.

S'agissant des diverses aides existantes, une proposition commune à toutes est le relèvement du plafond de ressources. Ce critère est le plus discriminant, tant le seuil actuel est bas, malgré le contexte de forte pauvreté des outre-mer. Environ 12 000 euros de plafond pour être bénéficiaire de l'ACT ; autrement dit, ce sont des bénéficiaires qui nous touchent même pas le SMIC ! Comment peut-on imaginer que dans ces pays où le coût de de la vie est supérieur parfois de près de 35 % sur les matières alimentaires, que l'on soit dans un plafond de ressource qui est inférieur au SMIC. Il n'y a que les ultra pauvres qui peuvent bénéficier d'une contribution sur un billet d'avion.

Nos autres propositions concernent la fréquence des aides (quatre ans pour l'ACT est manifestement trop long), les modalités - bons ou remboursements ou leur revalorisation comme pour le transfert des corps.

De manière générale, il faut aussi revoir le périmètre des aides.

Tout d'abord, pour aider les déplacements entre les outre-mer. Je rappelle, à titre d'exemple, que l'Université des Antilles est à la fois en Guadeloupe et en Martinique. Les étudiants Martiniquais qui étudient en Guadeloupe, ou de Guadeloupe qui étudient en Martinique, ne sont pas inclus dans le périmètre de l'aide. En effet, les aides, en particulier l'ACT, sont orientées quasi exclusivement vers la métropole. Un aller-retour Guyane Fort-de-France doit être aidé au même titre qu'un Pointe-à-Pitre Paris.

Ensuite, il faut prévoir des aides additionnelles spécifiques pour prendre en compte le coût du trajet depuis le domicile jusqu'à l'aéroport international, quand ce coût est prohibitif. Par exemple en Polynésie française pour les habitants des îles éloignées. Ou en Guyane depuis les communes de l'intérieur.

Enfin, il faut désormais faire de l'aide au retour une priorité. L'intégralité des responsables de collectivité entendus, mais aussi les acteurs économiques, ont alerté sur la fuite des talents et des jeunes qualifiés. Une proportion importante des étudiants ne revient pas sur les territoires.

La question du retour prend encore une autre acuité dans les outre-mer en déprise démographique, comme la Guadeloupe et la Martinique. Cette préoccupation des territoires a trouvé un écho favorable dans les réflexions en cours sur les évolutions de la continuité territoriale et des missions de LADOM. Cet axe d'actions doit se construire en plein partenariat avec les collectivités ultramarines afin de coller à leurs choix et priorités de développement.

S'agissant de l'aide au fret, un rapport demandé en loi de finances pour 2023 est attendu à la fin du semestre. Nous attendons ses recommandations. Parmi les pistes de réflexions pour simplifier le dispositif, sont déjà évoqués l'utilisation d'un barème forfaitaire pour le versement des aides européennes et le découplage de l'aide européenne et de l'aide nationale.

De manière plus structurelle, la question est celle de la réorientation ou non de l'aide au fret comme véritable outil de lutte contre la vie chère, ce qu'il n'est pas à ce jour. Si tel était l'objectif, il conviendrait d'augmenter les moyens alloués et d'étendre son bénéfice aux importations de produits agricoles et de produits de première nécessité.

Toutefois, ce changement de priorité peut aussi avoir des effets indésirables qu'il conviendra d'étudier.

J'en viens à présent au problème majeur de la saisonnalité des prix et des pics tarifaires.

Cela conduit à poser la question de la faisabilité d'un tarif résident dont l'objectif serait d'atténuer les effets les plus brutaux de la saisonnalité des tarifs.

Les exemples espagnols et portugais nous montrent qu'un tarif résident peut coexister avec un système pleinement concurrentiel, sans DSP.

Toutefois, trois risques sont à circonscrire, les trois soulevant la même question : quel tarif plafond arrêter ?

Le premier risque est celui d'une incitation des compagnies à relever leurs prix, l'État prenant en charge tous les dépassements du plafond. Ce risque paraît néanmoins limité. D'une part, parce que les résidents ultramarins ne représentent qu'une part minoritaire des passagers sur la plupart des lignes. Des prix excessifs feraient fuir les autres voyageurs.

Le deuxième risque est celui d'une perte de l'incitation des voyageurs ultramarins à rechercher le meilleur tarif.

Enfin, le troisième risque est celui d'une non maîtrise budgétaire de ce dispositif.

J'en viens enfin à LADOM qui est en charge de mettre en oeuvre la politique de continuité territoriale et qui ambitionne de devenir l'opérateur de référence de la mobilité outre-mer à l'occasion de son nouveau projet LADOM 2024.

Présente dans les 5 DROM et s'appuyant sur des antennes réparties dans l'Hexagone, l'Agence de l'outre-mer pour la mobilité (LADOM) n'a jamais réellement défini et piloté une stratégie, s'attachant plutôt à ajuster des dispositifs en fonction des contraintes budgétaires permanentes.

Je l'ai dit, les aides sont souvent mal connues. L'instruction des dossiers est complexe pour beaucoup de demandeurs. Certaines procédures sont obsolètes comme les bons papiers. Par ailleurs, LADOM est absente de plusieurs outre-mer, en particulier dans le Pacifique, ce qui se traduit par une faible sollicitation des aides en Polynésie françaises ou en Nouvelle-Calédonie. Quant aux antennes situées en Hexagone, elles nous paraissent sous exploitées.

Toutefois, une phase prometteuse s'ouvre avec le projet stratégique « LADOM 2024 », en cours d'élaboration par une nouvelle équipe dirigeante.

Ce calendrier est une chance pour refonder la politique de continuité territoriale.

Cinq défis doivent être prioritairement relevés :

- renforcer la présence et l'accessibilité dans tous les outre-mer ;

- mieux communiquer auprès des publics cibles ;

- engager un choc de simplification des procédures administratives et du traitement des demandes ;

- développer l'accompagnement des étudiants ultramarins au travers de ses antennes hexagonales ;

- et enfin faire émerger un pilotage stratégique en lien direct avec les territoires pour répondre à leurs besoins.

En effet, pour réussir ce pari, LADOM doit impérativement s'appuyer sur les collectivités ultramarines, mais aussi hexagonales, afin de faire de LADOM un opérateur au service des territoires et de leurs collectivités.

Des conventions de partenariat devraient être obligatoirement signées avec toutes les régions, départements et collectivités d'outre-mer pour compléter, adapter ou expérimenter des dispositifs en lien avec les projets de développement local.

À terme, dans l'esprit de ce qui avait été d'ailleurs imaginé initialement lors de la réforme de la LODEOM en 2009, les antennes locales de LADOM pourraient être transformées en groupement d'intérêt public (GIP).

Autour d'un tronc commun (la politique nationale de continuité territoriale), LADOM mettrait en oeuvre des politiques territorialisées. Ce n'est qu'à cette condition que l'agence rayonnera comme le guichet unique de la mobilité dans les outre-mer.

Je tiens à remercier pour conclure les collègues de Guyane pour notre déplacement sur leur territoire. C'était une véritable expédition qui nous a permis de toucher du doigt un territoire de la République totalement enclavé et ne devant son salut qu'à l'avion. Il reste à créer sur ce territoire des infrastructures pour éviter cette France à plusieurs vitesses que nous avons pu constater.

M. Philippe Bas. - Je voudrais à mon tour remercier et féliciter nos deux rapporteurs pour ce travail intense et exceptionnellement approfondi qu'ils nous livrent aujourd'hui. Cette politique de continuité territoriale a été, dès le départ, inspirée d'une politique réservée aux liaisons entre la Corse et l'Hexagone. Après la réélection du Président Jacques Chirac, elle a pris l'ampleur qu'on lui a connue pendant un certain nombre d'années. Les années 2003 à 2007 correspondent en effet au lancement de cette dotation de continuité territoriale et à son doublement, aussi bien d'un point de vue du budget que de ses bénéficiaires. Cette politique est accrue jusqu'à la fin de l'année 2011. Elle reste à un haut niveau en 2012, 2013, 2014 puis connaît un véritable coup d'arrêt en 2015. Le nombre de bénéficiaires passent de 100 000 en 2014 à 20 000 en 2015. C'est donc une décision délibérée, qui, à l'époque, a été prise pour des raisons financières. La dynamique de cette politique a été brutalement cassée en 2015 et par la suite n'a jamais été rétablie à un niveau satisfaisant. La pandémie et l'envolée des tarifs des transports aériens ont entraîné les difficultés constatées.

Ces difficultés ne sont pas seulement d'ordre financier parce qu'en réalité c'est le calibrage même du dispositif, notamment les conditions de revenu, qui est en question. Quelles que soient les aides que l'on pourra apporter à nos compatriotes ultramarins dont le revenu est inférieur au SMIC, ils ne pourront pas prendre l'avion. Par conséquent, on voit bien que le resserrement de l'accès aux aides a un effet sur l'effectif des bénéficiaires. Ces éléments justifient l'opportunité de ce rapport et posent une question politique : sommes-nous prêts en France à dégager les moyens nécessaires pour rétablir une politique qui a été délibérément abandonnée en 2015 ? Je crois qu'il est utile que le Sénat soit porteur d'un nouvel élan pour cette politique. C'est la raison pour laquelle je veux vous remercier pour vos recommandations. Naturellement, il faudra, pour être convaincant, que ces recommandations soient chiffrées. Il s'agit en effet d'un effort budgétaire important. Je pense qu'il faut le faire car c'est une façon de compenser une inégalité en se rapprochant de l'égalité. Ce serait pour nos compatriotes d'outre-mer un signal politique très fort que la représentation nationale soit unie pour réclamer le retour à une politique dynamique et ouverte de continuité territoriale.

Mme Victoire Jasmin. - Je voulais féliciter nos deux rapporteurs pour ce rapport qui suscite beaucoup d'attentes dans nos territoires respectifs. Je rejoins ce qui a été dit précédemment. Dans son intervention, Guillaume Chevrollier parlait de double insularité par rapport à Marie-Galante, mais il y a aussi Terre-de-Bas qui est isolée par rapport à Terre-de-Haut. En Guadeloupe, le fonctionnement de nos différentes institutions en est profondément affecté. Par exemple, le tribunal des prud'hommes fait l'objet de dysfonctionnements liés au fait que de nombreux représentants ou partenaires sociaux viennent de Saint-Martin ou de Saint-Barthélemy ou des îles du sud. Ce sont là des éléments complémentaires pour illustrer la nécessité de prendre en compte le problème dans sa globalité. Ce travail permettra donc d'améliorer l'existant. Il y aura peut-être des difficultés en termes de coûts, mais je crois qu'il est temps que l'on trouve le moyen de faciliter les déplacements.

La continuité territoriale funéraire est aussi un vrai sujet. Beaucoup de personnes issues de nos différents territoires vivent en Hexagone. Il y a également des difficultés pour certaines prises en charge médicales. Par exemple, pour le cancer pédiatrique, les enfants ne bénéficient pas d'une prise en charge suffisamment complète. Les familles sont souvent obligées de se déplacer pour les accompagner. Ce rapport permettra de prendre en compte des situations que nous vivons et connaissons dans les différents territoires d'outre-mer. Je crois que ce travail est un début, il faudra faire des efforts considérables pour mettre concrètement en oeuvre ces actions.

M. Dominique Théophile. - Comme ma collègue, je vous remercie. En Guadeloupe, la question du prix des billets est une question qui revient à chaque fois. En 2019, à l'époque où l'État n'avait pas encore décidé de prendre à sa charge une grande partie du coût du ramassage des sargasses, j'avais proposé au Sénat une contribution de cinquante centimes sur les billets d'avion. Et en contrepartie le Gouvernement m'avait donné son accord pour que nous puissions revoir à la baisse la taxe de solidarité dont le montant s'élève à deux euros et trente centimes. Au bilan, le billet aurait été cinquante centimes moins cher. En 2023, le prix du billet a beaucoup augmenté, mais on observe que le flux n'a pas beaucoup bougé.

Je mène actuellement une mission sur l'évaluation du sport en outre-mer, j'ai constaté que la principale préoccupation du monde sportif et culturel concerne les déplacements. Quand un jeune sportif voyage, il paie aussi pour le transport de son matériel.

S'agissant de l'organisation de LADOM, elle ne peut distribuer que ce qu'elle reçoit. La principale revendication pour nous c'est l'augmentation de l'enveloppe de LADOM. Il faudrait mettre en corrélation le fonds du FEBECS avec le fonds de LADOM, voire permettre une fongibilité des fonds avec une prise en charge complète du billet. Cela dit, faisons attention aux effets d'aubaine en relevant notamment le plafond de ressources et en tenant compte du motif du déplacement. Il faut qu'il y ait un lien entre le motif du déplacement et la gratuité du billet.

Mme Catherine Conconne, rapporteure. - On ne se pose pas ces questions en Corse.

M. Dominique Théophile. - Comparaison n'est pas raison. Il faut adapter le dispositif à notre situation. En Guadeloupe, le déplacement est plus long. Un billet aller-retour Hexagone/Pointe-à-Pitre n'est pas un billet comparable à un billet aller-retour Hexagone/Corse. Il faut mieux prendre en charge les billets lorsqu'ils sont aidés

Mme Catherine Conconne, rapporteure. - Si j'ai suggéré ce rapport d'information, c'est pour être ambitieux. Je ne vais pas m'enfermer dans un costume trop petit pour moi. Si j'ai choisi de faire de la politique c'est parce que je revendique pour mon peuple ce qu'il y a de meilleur. Aujourd'hui, l'accompagnement à la continuité territoriale s'apparente à une peau de chagrin. Donc, je vais me permettre de viser le meilleur, je refuse de parler d'effet d'aubaine. Je rappelle que, même si le billet est moins cher depuis la Corse, les Corses peuvent aller à Paris sans motif. Il y a un décalage entre ce régime là et l'aide à la continuité territoriale outre-mer qui ne peut être donnée que tous les quatre ans à hauteur de 340 euros. Je compte donc aller plus loin que cela. Oui, il faudra relever les plafonds. Aujourd'hui le plafond correspond à un revenu de 1 000 euros et c'est inacceptable. Lorsque l'on ramène au coût de la vie chez nous, les prix de l'alimentation sont supérieurs de 38 %, un smicard est bien plus pauvre. Visons haut et grand, ne nous mettons pas de limite à priori.

Mme Marie-Laure Phinera-Horth. - J'aimerais féliciter les rapporteurs, cela a été un plaisir de vous accompagner pendant votre séjour. Je vous remercie d'avoir mis en exergue l'enclavement des sept communes de Guyane. On ne peut pas développer un pays économiquement lorsqu'il est enclavé. La colère gronde chez nos compatriotes guyanais car ils en ont assez. Je rejoins Catherine Conconne, il faut que l'on vise plus haut. Le Gouvernement prend toujours des décisions pour nous à 8 000 kilomètres sans connaître la réalité des territoires. C'est pourquoi ce rapport pourra leur servir de base. J'espère que, grâce à vous, ce sujet de la continuité territoriale va avancer. Merci à la délégation d'avoir accepté ce thème pour nos travaux. Il faudra rappeler au ministre délégué chargé des outre-mer que ce document existe et qu'il peut servir de base.

M. Victorin Lurel. - Je tiens à vous féliciter pour ce rapport qui est absolument nécessaire parce que c'est un tel fatras avec de telles fluctuations que l'on n'y comprend plus rien. Vous faites le point sur un dossier qui occupe les esprits. Moi je préférais l'article 60 de la loi 2003 qui consistait à inscrire des dotations dans le budget. En 2009, il y a eu un changement car la ministre de l'époque avait décidé que les aides régionales n'étaient plus cumulables avec les aides de l'État. Suite à la suppression de six millions d'euros pour la Guadeloupe, j'ai engagé un recours à l'époque et on a eu gain de cause. Le Gouvernement avait décidé de supprimer ces fonds car ce n'était pas dans l'esprit du décret. La Réunion a fait un régime spécifique et a eu exactement le même problème. Il faut absolument revoir les choses.

Dans le rapport, vous évoquez les cinq types d'aides : l'ACT, l'ACT spécifique, le passeport mobilité et la continuité funéraire. J'aurais suggéré la continuité postale car cela fait partie de la continuité territoriale. Enfin, je dirais à mon collègue Dominique Théophile que s'il devait présenter à nouveau le projet de taxation des billets d'avion pour financer la lutte contre les sargasses, je voterais contre car cela renchérit les billets sans être à la hauteur des besoins financiers. Pour revenir à la continuité territoriale, sans chercher à transposer le modèle corse, force est de constater l'écart abyssal des moyens engagés. L'État fait des économies de bouts de chandelle, alors que cette politique est au coeur de la vie quotidienne des ultramarins.

M. Stéphane Artano, président. - Je vous remercie pour vos interventions et vous propose d'adopter le rapport, ainsi que les 12 recommandations. Je sais pouvoir compter sur nos rapporteurs pour en assurer un suivi actif à quelques semaines du Comité interministériel pour l'outre-mer (CIOM).

La délégation sénatoriale aux outre-mer a adopté le rapport à l'unanimité des présents.