Mercredi 29 mars 2023

- Présidence de M. Laurent Lafon, président -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Rapport Universités et territoires - Audition de MM. Clément Hénin, rapporteur, Philippe Hayez, président de la section Enseignement supérieur et recherche, et Philippe Rousselot, président de la section Enseignement scolaire, jeunesse et sport, de la troisième chambre de la Cour des comptes

M. Laurent Lafon, président. - Mes chers collègues, nous accueillons ce matin trois magistrats de la Cour des comptes, venus nous présenter le rapport public thématique Universités et territoires, publié en février dernier : M. Clément Hénin, rapporteur, M. Philippe Hayez, président de la section Enseignement supérieur et recherche, et M. Philippe Rousselot, président de la section Enseignement scolaire, jeunesse et sport, de la troisième chambre.

La perspective territoriale de leur travail intéresse tout particulièrement notre commission. L'ancrage territorial des établissements d'enseignement supérieur était d'ailleurs au coeur des travaux menés il y a deux ans par la mission d'information sur les conditions de la vie étudiante, présidée par Pierre Ouzoulias et dont j'étais le rapporteur.

Le rapport Universités et territoires fait le constat d'un paysage universitaire marqué par de nombreuses fractures historiques, territoriales, sociales et juridiques, qui se sont accentuées depuis une dizaine d'années. La Cour des comptes recommande de renouveler les modalités de pilotage et d'allocation des moyens par l'État, afin qu'elles soient mieux adaptées aux spécificités de chaque établissement.

Ce diagnostic n'est pas éloigné du nôtre. En particulier, le rapport souligne la répartition inégale des moyens entre universités et soulève la question de l'appellation même d'université ; il dresse le bilan des campus connectés et appelle à une clarification du rôle des recteurs délégués à l'enseignement supérieur. Autant de problématiques qui sont au coeur de nos propres réflexions.

La première série de questions sera posée par notre collègue Stéphane Piednoir, rapporteur pour avis des crédits de la mission « Enseignement supérieur ».

Cette audition fait l'objet d'une captation vidéo, diffusée en direct sur le site internet du Sénat.

M. Philippe Hayez, président de la section Enseignement supérieur et recherche de la troisième chambre de la Cour des comptes. - La Cour des comptes est toujours honorée de pouvoir présenter ses travaux devant les commissions du Parlement. C'est, pour ma part, la première fois que je me livre à cet exercice, ayant pris mes fonctions récemment.

À l'automne 2019, le rapport de la Cour sur l'autonomie financière des universités a été présenté à la commission des finances du Sénat.

La France compte environ 75 universités, de tailles très variables. La population étudiante se monte à 3 millions de personnes, dont plus de la moitié est rattachée à une université au sens strict ; elle devrait croître jusqu'en 2025. La France consent pour son enseignement supérieur une dépense de l'ordre de 6 % de son PIB, un niveau inférieur à celui de l'Allemagne et à la moyenne de l'OCDE. Cette dépense se concentre principalement sur la mission « Enseignement supérieur », qui regroupe 29 milliards d'euros de dépenses budgétaires.

Nos universités ont des ambitions mondiales - nous sommes dans la saison des classements... -, mais leur ancrage dans les territoires est également une dimension importante. Mes collègues vont vous présenter nos constats et nos recommandations à cet égard.

M. Philippe Rousselot, président de la section Enseignement scolaire, jeunesse et sport de la troisième chambre de la Cour des comptes. - Je suis le contre-rapporteur de ce travail, qui s'inscrit dans le sillage de la note d'enjeux structurels « Les universités à l'horizon 2030 : plus de libertés, plus de responsabilités », publiée par la Cour en octobre dernier. Cette note creusait le sillon de l'autonomie des universités et posait plusieurs questions sur la relation avec les territoires. Le rapport que nous vous présentons en documente les orientations, confortant la plupart d'entre elles et en tempérant quelques-unes.

Nous pensions d'abord intituler cette enquête « L'enseignement supérieur et la recherche et les territoires ». Devant l'ampleur du sujet, nous avons décidé de le restreindre aux universités.

Qui dit territoires dit géographie, donc aussi histoire. Nous avons essayé de montrer comment s'est progressivement construite la territorialité des universités. Dans le passé récent, la loi relative aux libertés et responsabilités des universités, de 2007, constitue une étape charnière. Aujourd'hui, il est difficile de s'y retrouver entre l'objectif d'assurer l'accès à l'enseignement supérieur partout en France et la faible couverture en universités de certains territoires - nous parlons de « déserts universitaires ».

Nous nous sommes intéressés à la déconcentration, en particulier à la relation entre les rectorats et les universités, et à la décentralisation. Nous nous sommes penchés aussi sur l'inscription des universités dans leur tissu économique.

Toutes les universités ont été interrogées ; le taux de réponse est très satisfaisant, supérieur à 65 %, avec des réponses très documentées. Nous avons également mené un sondage auprès d'entreprises ; nous avons reçu plus de 400 réponses, grâce auxquelles nous avons commencé à cerner la perception des universités par les entreprises. Sur le plan opérationnel, ce travail a été mené de février à juillet 2022 ; les six mois suivants sont ceux de la procédure et de la contradiction.

Il s'agit non pas d'un travail définitif, mais d'un premier pas. Nous avons laissé de côté des domaines essentiels, comme la recherche et l'innovation - je pense aux vallées de la chimie et de la cosmétique ou encore aux réussites autour du bois à Limoges et des hydrocarbures à Pau. De même, nous avons à peine effleuré les notions d'impact et de modélisation. Sans parler de l'immobilier universitaire, dont ce rapport ne traite pas alors qu'il s'agit d'une question centrale - il est vrai que nous avons publié, il y a quelques semaines, un rapport spécifique sur la question.

Dans sa réponse, la ministre, Mme Retailleau, ne conteste pas la plupart de nos observations ; elle explique que l'esprit du rapport est en partie traduit par la réflexion en cours au sein du ministère, notamment par la mise en place des contrats d'objectifs, de moyens et de performance (Comp). Quant à France Universités, elle a exprimé une satisfaction globale, en regrettant que nous ne soyons pas allés assez loin sur la question de l'autonomie. Cette appréciation me paraît un peu rapide : ce n'est pas parce qu'on n'utilise pas le mot toutes les trois phrases qu'on ne parle pas de la notion. France Universités regrette en outre que nous ne traitions pas assez d'évaluation, ce qui est vrai. Le Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Hcéres) a formulé la même remarque ; il considère que l'évaluation est au coeur de toutes les solutions - nous le prenons au mot...

M. Clément Hénin, rapporteur de la Cour des comptes- Comme M. Rousselot l'a expliqué, nous nous sommes intéressés aux liens entre l'enseignement supérieur et les territoires, en laissant de côté, à contrecoeur, la recherche.

L'accès à l'enseignement supérieur est marqué par de grandes disparités géographiques. Ainsi, le taux de diplômés chez les 25-34 ans décroît à mesure qu'on s'éloigne des grandes villes. La présence d'un établissement d'enseignement supérieur fait augmenter ce taux de façon locale, preuve des liens entre politiques d'aménagement du territoire et politiques d'enseignement supérieur.

Le concept même d'université est éclaté dans des réalités très diverses. De fait, les établissements qui ont ce titre en partage n'ont plus grand-chose en commun. Les universités héritent de disparités historiques en matière de finances, de profils étudiants et de place dans la recherche. Ces disparités ont été récemment accentuées, notamment par les investissements d'avenir, destinés à créer dix à vingt universités d'excellence en recherche. Les petites universités, celles qui accueillent moins de 20 000 étudiants, ne sont plus en mesure de capter ces financements sélectifs pour mener leurs recherches dans l'ensemble des disciplines.

Pour prendre en compte ces disparités, les universités se sont regroupées : Association des universités de recherche, Association des universités de recherche et de formation, petites et moyennes universités...

La possibilité de créer des établissements publics expérimentaux, prévue par l'ordonnance Vidal de 2018, concrétise juridiquement ces disparités.

Le dispositif d'allocation des moyens du ministère - le système de répartition des moyens à la performance et à l'activité (Sympa), progressivement complexifié et auquel se sont ajoutés le dialogue stratégique et de gestion (DSG) et des dispositions spécifiques issues de la loi de programmation de la recherche - n'a pas évolué pour prendre en compte ces réalités. Très centralisé, il ne tient compte ni de la qualité des formations, ni du territoire occupé. Il est devenu illisible pour les universités elles-mêmes.

Pour sortir de cette situation, la Cour des comptes propose deux scénarios.

Le premier consiste à catégoriser les établissements sur le fondement de critères objectifs : nombre d'étudiants, place de la recherche... Nous avons élaboré plusieurs catégorisations, en fonction des grandes missions des universités.

La seconde option repose sur un dialogue individualisé, autour de contrats d'objectifs et de moyens ; elle pourrait passer davantage par les services déconcentrés.

Quoi qu'il en soit, la Cour des comptes recommande d'instaurer un nouveau modèle d'allocation des moyens, reposant sur des critères d'activité et prenant en compte l'environnement territorial.

Nous avons constaté que le titre d'université était insuffisamment protégé : des établissements privés l'utilisent, alors que le code de l'éducation l'interdit. De même pour les titres de licence et master. Tout cela participe à une confusion entre le public et le privé, voire à une concurrence entre établissements publics. La Cour des comptes recommande au ministère de mieux veiller au respect de ces dénominations, dans l'intérêt des étudiants.

S'agissant des enjeux territoriaux des missions d'enseignement supérieur et de vie étudiante, nous nous sommes intéressés aux antennes, aux campus connectés et aux centres régionaux des oeuvres universitaires et scolaires (Crous).

Nous avons été surpris de constater qu'aucune définition n'existait d'une antenne ; nous en avons proposé une. Nous avons dénombré 150 sites secondaires d'enseignement supérieur, accueillant 91 000 étudiants, dont les trois quarts sont en premier cycle et un tiers en instituts universitaires de technologie (IUT). Ces antennes accueillent 11 % des néobacheliers : elles sont donc un acteur important de l'accès à l'enseignement supérieur. Elles accueillent davantage d'étudiants ruraux et issus de milieux défavorisés. La réussite y est similaire à celle du siège, mais le taux de poursuite en deuxième cycle y est plus faible. Le coût d'un étudiant en antenne est similaire à celui d'un étudiant au siège, voire légèrement inférieur : pour autant, il est toujours perçu comme un coût supplémentaire.

La Cour des comptes recommande au ministère de reconnaître ces antennes et de mieux les évaluer pour intégrer la dimension territoriale dans le calcul de la subvention pour charge de service public. Le ministère ne peut pas se cacher éternellement derrière l'autonomie des établissements sur une question de cette importance.

Lancés en 2019, les campus connectés visent aussi à rapprocher les formations des étudiants. En pratique, il s'agit de mettre à la disposition des étudiants du matériel informatique et du tutorat. Ces dispositifs ont été financés par le troisième volet des programmes d'investissement d'avenir (PIA) et par les collectivités territoriales. À la rentrée 2022, 87 campus connectés accueillaient 1 015 étudiants. Nous nous interrogeons sur leur pertinence, au vu de leur coût annuel, de 13 000 euros par étudiant - voire 100 000 euros dans les deux campus qui n'ont accueilli qu'un étudiant... Nous recommandons d'établir rapidement un bilan de ces campus ; le ministère s'est engagé à le faire dès cette année.

Les liens entre les établissements et les territoires doivent être examinés aussi du point de vue de la vie étudiante. La Cour des comptes rejoint le constat dressé par d'autres, dont l'inspection générale des finances : l'absence de directions nationales claires dans ce domaine, qui conduit à des niveaux d'implication très différents selon les établissements.

Le schéma directeur de la vie étudiante, prévu par la loi Fioraso de 2013, est une initiative louable, mais pourrait être plus efficace en se concentrant sur les partenariats les plus fréquents ; cela revient à passer de l'échelle régionale à l'échelle métropolitaine ou départementale.

Quant aux Crous, qui restent les acteurs centraux de la vie étudiante, la Cour des comptes estime qu'un rapprochement avec les universités pourrait présenter de nombreux avantages, dont la création d'un guichet unique pour les étudiants et une meilleure coordination de terrain - aménagement des horaires de cours pour réduire les files d'attente aux restaurants universitaires, par exemple. Interrogées par nos soins, les universités sont globalement opposées à cette perspective - 65 % des réponses sont défavorables. Une montée en puissance progressive des universités en matière de vie étudiante paraît donc préférable. Toutefois, des rapprochements pourraient être expérimentés dans les universités volontaires.

Alors que l'enseignement supérieur a longtemps été considéré comme une compétence exclusivement régalienne, les collectivités territoriales en sont aujourd'hui des alliées précieuses, finançant l'enseignement supérieur et la recherche à hauteur de 1,5 milliard d'euros, dont les deux tiers proviennent des régions et un quart par le bloc communal. Souvent, les régions, pourtant chefs de file depuis la loi NOTRe, n'assurent pas ou ne peuvent assurer pleinement la bonne coordination avec les autres collectivités territoriales. Il en résulte une répartition perfectible des financements, voire leur dispersion.

Le ministère peine à associer les collectivités territoriales à l'exercice de contractualisation qu'il mène tous les cinq ans, malgré les récentes dispositions de la loi de programmation pour la recherche qui l'y invitent. Nous estimons qu'une réforme de son organisation est nécessaire pour qu'il exerce pleinement son rôle de stratège et prenne mieux en compte les spécificités territoriales. Dans le même sens, la fonction de recteur délégué pour l'enseignement supérieur, la recherche et l'innovation (ESRI) a été créée dans certaines régions ; la Cour des comptes regrette que le rôle de ces recteurs délégués et leurs missions ne soient pas clairement établis, les recteurs de région académique restant chanceliers des universités.

Enfin, nous avons étudié, pour la première fois, les liens entre les universités et les entreprises. Certaines universités ont lancé des évaluations de leur impact économique sur leur territoire et, en quelque sorte, du retour sur investissement de l'argent public investi. Ces initiatives sont louables, mais nous recommandons d'établir un cadre méthodologique national. Les acteurs du monde économique s'affirment comme des interlocuteurs essentiels des universités, à rebours de l'image traditionnelle d'universités éloignées des entreprises. Nous avons réalisé un sondage auprès de plus de 400 chefs d'entreprise : une majorité d'entre eux souhaiteraient être davantage informés de l'offre de formation des universités de leur territoire ; un tiers aspirent à influer davantage sur les évolutions de cette offre ; un cinquième aimeraient être mieux intégrés dans les parcours universitaires. La plupart d'entre eux déplorent un manque de réactivité dans la construction et l'agrément des diplômes. Nous recommandons que les rectorats puissent, à titre expérimental, faciliter les procédures d'accréditation.

M. Stéphane Piednoir. - Merci pour la présentation de ce travail fouillé sur l'implantation territoriale des universités dans leur diversité.

S'agissant de l'utilisation du nom « université », vous vouliez sans doute dire qu'il convient de différencier les universités privées, qui ont acquis ce titre avant la loi de 1880, et celles qui l'ont acquis après.

Vous dressez un constat assez sévère du pilotage par l'État du paysage universitaire et invitez à une réflexion systémique, incluant l'enjeu, central, du financement, via les subventions, mais aussi les PIA, très concentrés sur les grandes universités.

Une évolution est en cours de la contractualisation entre l'État et les universités : les contrats d'objectifs, de moyens et de performance sont-ils la solution pour assurer une meilleure allocation des moyens, tenant compte de la singularité des établissements, et doivent-ils être étendus à toutes les catégories d'universités ?

Votre rapport ne s'engage pas beaucoup sur la question de l'autonomie : pourquoi ce manque de focus, et quelles formes pourrait prendre une relation refondée entre le ministère et ses services déconcentrés d'une part, les établissements de l'autre ?

Vous dressez un bilan plutôt favorable des antennes universitaires : leurs résultats académiques sont tout à fait comparables à ceux des universités mères, pour un coût inférieur - encore que l'estimation soit assez approximative, si j'ai bien compris. En revanche, la poursuite d'études en deuxième cycle est assez faible. Pour quelles raisons, selon vous ? Et quels sont les freins au déploiement de ces antennes sur de nouveaux territoires ?

S'agissant de la vie étudiante, vous soulignez une insuffisante coordination entre les Crous et les établissements, notamment dans les domaines du logement et de la restauration. Quelles en sont les raisons ? Vous envisagez un rapprochement administratif entre ces structures, rejeté par une majorité d'universités : en quoi ce rapprochement serait-il bénéfique, et confirmez-vous que les Crous, dans leur grande majorité, n'y sont pas non plus favorables ?

Vous insistez sur la nécessité de mieux orienter l'offre de formation vers les attentes du monde économique. Au niveau territorial, de nombreuses universités sont déjà engagées dans cette démarche. Considérez-vous qu'une impulsion ou une coordination manque au niveau du ministère ?

Mme Laure Darcos. - Votre rapport ne traite pas directement de la mission de recherche des universités. Pourtant, elle intervient dans la catégorisation des établissements.

Certaines universités conduisent une recherche pluridisciplinaire de niveau mondial - sur le plateau de Saclay, nous le savons bien... D'autres se concentrent sur un champ de recherche particulier, voire sur leur seule mission de formation.

Le nouveau modèle d'allocation des moyens que vous appelez de vos voeux doit-il tenir compte de l'activité de recherche, et de quelle façon ? Quel devrait être le rôle des recteurs délégués à l'ESRI en matière de politique de recherche au niveau territorial ?

M. Philippe Rousselot. - La notion d'autonomie, je pense que ce rapport en traite tout le temps. Nous considérons l'autonomie comme un tout : au-delà des dimensions financière et juridique, c'est la capacité pour l'université d'assumer globalement un ensemble de fonctions - formation, recherche, vie étudiante, relations avec le tissu économique, entre autres.

Le Comp est-il le bon outil ? L'avenir nous le dira... Ce que je puis dire, c'est que la Cour des comptes n'a eu de cesse de demander la mise en place d'un tel outil - nous parlions de contrats d'objectifs et de moyens -, en insistant pour que les moyens soient contractuels, afin que les universités disposent d'une vision pluriannuelle de leurs capacités d'action. Nous souhaitons que ces contrats soient issus autant de l'université que du ministère : la stratégie de l'université, déclinée en objectifs, doit être conçue par elle et validée par le ministère. Il faut aussi que les Comp comportent au moins un bilan d'étape. Sous ces conditions, cet outil est de nature à entraîner des progrès.

Ce qui est fondamental, c'est qu'il s'agit de moyens pluriannuels, engagés sous la forme d'un contrat. Qu'arrive-t-il si les clauses de celui-ci ne sont pas respectées ? En tout cas, cet outil contractuel singularise les relations financières entre l'État et les universités, les rendant plus spécifiques à chaque établissement - université de 100 000 ou 3 000 étudiants, littorale, urbaine ou montagnarde.

Pour nous, le Comp doit être non seulement un outil financier, mais la traduction d'une stratégie locale, qui intègre le phénomène territorial.

S'agissant du déficit de poursuite d'études en deuxième cycle dans les antennes, il est sans doute lié à une sorte de contrat moral entre les universités et les étudiants : le premier cycle peut être accompli dans une antenne, le second reste la spécialité de la maison-mère - si l'on peut dire. Les enseignants qui pilotent les masters et les doctorats sont moins mobiles, même si certains se déplacent. En la matière, je me méfierais d'une recommandation générale : c'est à chaque université d'étudier de près l'opportunité de décentrer son deuxième cycle vers des antennes.

En ce qui concerne les Crous, nous avons lancé, dans la note structurelle dont j'ai parlé au début de mon intervention, une idée un peu forte, dans la perspective d'une université globale, ou université campus : le pilotage par les universités de tous les aspects de la vie étudiante, notamment par l'intégration des Crous. Le Centre national des oeuvres universitaires et scolaires (Cnous) avait émis de très fortes réserves, mais les autres acteurs s'étaient montrés ouverts. Nous avons été surpris, dans le cadre de ce rapport, de constater que les présidents d'université ne se sentaient pas encore prêts à assumer cette charge. Nous laissons donc vivre cette idée, sans en faire une recommandation. Elle peut toujours être expérimentée - un bon tiers des universités lui réservent un accueil favorable.

Vis-à-vis du monde économique, les universités ont beaucoup changé. Depuis quinze ans que je m'intéresse à ce domaine, je les ai vues devenir autres. Dans certaines, la relation avec le tissu économique est devenue une priorité. En revanche, il ressort de notre consultation de chefs d'entreprise que ceux-ci souhaitent être davantage appelés, happés dans le monde de l'université, notamment pour participer à la définition de certaines formations et à la stratégie d'insertion professionnelle. Je considère, pour ma part, que les chefs d'entreprise ne sont pas encore assez nombreux dans les conseils d'administration. Il faut aussi savoir de quelles entreprises on parle : petites et moyennes entreprises (PME), entreprises de taille intermédiaire (ETI) ou grandes entreprises.

Nous sommes assez étonnés qu'il n'existe pas d'incitation à calculer l'impact économique d'une université, ni de méthode pour le faire. Certaines le font de leur propre chef, en passant par des cabinets dont les travaux sont forcément intéressants, puisqu'uniques en leur genre, mais aboutissent parfois à des conclusions étonnantes - et, en tout état de cause, ne sont pas contre-expertisés. De fait, ce sujet reste un peu en jachère. Une incitation de l'État par un questionnement et un outil méthodologique généraux serait bienvenue.

S'agissant enfin de la recherche, nous avons, en effet, fait l'impasse sur ce sujet. Oui, mille fois oui, le Comp doit tenir compte de l'activité de recherche. Mais qui définit l'architecture de ce contrat, et qui le signe ? Le contrat est-il la traduction d'une stratégie locale ? Y a-t-il une stratégie de recherche dans l'université considérée ? Est-elle validée, et par qui ?

Mme Laure Darcos. - Ces questions étaient au coeur du débat sur la loi de programmation de la recherche.

M. Philippe Rousselot. - Pour l'instant, nous n'avons pas les Comp. Le peu d'informations dont nous disposons ne nous permet pas de vous répondre nettement. Mais si la recherche devait ne pas être intégrée dans ces contrats ou en constituer une part secondaire, ce serait très regrettable.

Quant aux recteurs délégués, il n'y en a pas partout et les situations sont très variées. Certains ont pris en main leurs dossiers, d'autres sont plus à la peine. En règle générale, cela tient au recteur, qui délègue beaucoup, un peu ou pas du tout. C'est pourquoi nous recommandons une clarification du rôle de cet acteur. D'autant qu'il y a un potentiel de réussite, si les universités peuvent disposer d'un interlocuteur bien identifié, en tandem avec le délégué régional académique à la recherche et à l'innovation (Drari). Nous sommes plutôt ouverts à l'idée qu'il y ait un acteur déconcentré spécialisé dans le monde universitaire, qui se constitue en interlocuteur privilégié des universités et soit capable de décider de certaines choses - ressources humaines, accréditations, financements, contrat de plan État-région, notamment.

M. Philippe Hayez. - Je compléterai rapidement ces réponses par l'évocation des travaux en cours.

Les universités tirent de la loi six missions, dont la formation, la recherche et l'insertion professionnelle. C'est au regard de toutes ces missions qu'il faut apprécier leurs performances.

La Cour des comptes travaillera sur les Comp a posteriori. Une première vague de 34 contrats a été annoncée, qui devraient être signés à la rentrée universitaire. Nous prévoyons un audit flash pour le début de l'année prochaine.

La masse salariale des universités est importante : quel est donc le degré de contractualisation possible ? C'est une question que nous nous poserons.

Les antennes universitaires n'ont pas, en matière de formation, une performance inférieure à la moyenne des universités. Néanmoins, il ne s'agit pas d'un satisfecit, car notre performance moyenne est insuffisante : moins de la moitié des étudiants en licence obtiennent un diplôme en cinq ans... En termes de performance, on peut certainement progresser.

S'agissant de la vie étudiante, l'inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche (IGESR) mène actuellement une enquête sur les Crous. Nous-mêmes travaillerons, au second semestre, à une évaluation du logement étudiant ; ce rapport paraîtra l'année prochaine.

Pour ce qui est de la recherche, nous publierons dans les jours qui viennent un rapport public sur l'Université de Paris-Créteil, avec un focus sur deux unités mixtes de recherche. Nous préparons aussi une note structurelle sur la recherche, qui sera le pendant de celle déjà citée sur les universités : en cours de contradiction, elle fait un peu de bruit dans le Landerneau. En particulier, nous y prônons un recentrage de la recherche dans les universités.

M. Pierre Ouzoulias. - Je remercie nos invités pour la qualité de ce rapport, qui va très loin. J'en partage l'essentiel du bilan et des propositions.

Nos sociétés font face à des défis colossaux, que nous pourrons relever grâce à un investissement majeur dans la connaissance. Nous avons donc besoin de tirer vers le haut toute une classe d'âge : il nous faut plus de docteurs, deux fois plus d'ingénieurs.

Nous n'y parviendrons pas sans repenser l'université comme un instrument fondamental d'aménagement du territoire. Les publics que les universités iront chercher feront toute la différence pour le saut qualitatif que nous devons accomplir.

Ce changement de paradigme avait été parfaitement exposé par M. Lafon dans le cadre de la mission d'information sur la vie étudiante.

Vous insistez à raison sur le maillage du territoire et les interactions entre les universités et leurs antennes. On nous demande de bannir TikTok de nos portables parce que, derrière, il y a le Parti communiste chinois : j'aimerais qu'on fasse de même avec le classement de Shanghai, pour la même raison... Le parangonnage qui lui est lié me paraît complètement obsolète.

Vous soutenez un vrai projet de déconcentration, qui redonnerait de l'autonomie à l'université.

Vous écrivez, à juste titre : « Le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche reste attaché à des systèmes de fonctionnement anciens, inadaptés aux nouvelles gouvernances et qui se sont progressivement complexifiés. En ce sens, [...] l'actuel mécanisme d'allocation des moyens, devenu illisible, cristallise de nombreuses critiques et constitue un frein à la fluidité des relations entre l'État et ses opérateurs sur le territoire. » Ite, missa est : tout est dit !

C'est tout le problème de l'évaluation qui est posé - et, dans votre rapport, le Hcéres n'est cité qu'une fois. On comprend entre les lignes que l'évaluation menée par cette instance prend très peu en compte ce qui est essentiel pour vous, c'est-à-dire la territorialisation et la capacité d'aller chercher les publics.

Comment concevoir une évaluation qui permettrait de mieux mesurer une évolution en ce sens ? Le Hcéres fait un travail d'évaluation scientifique, selon des critères internationaux. Nous avons besoin d'autres critères. Je soutiens votre proposition, cruciale, de donner davantage de pouvoir aux recteurs délégués à l'enseignement supérieur et à la recherche : c'est dans cette relation à trois entre recteur, collectivité territoriale et université que nous pourrons redonner de l'autonomie.

M. Yan Chantrel. - Merci pour ce travail particulièrement rigoureux et minutieux, qui rappelle un certain nombre de problèmes, déjà bien identifiés, de nos universités. Je pense notamment à l'absence générale de direction dans les réformes successives de l'enseignement supérieur, inspirées par des doctrines parfois contradictoires. L'alternance entre des périodes de division et de regroupement des universités ont rendu le paysage universitaire français assez illisible, au point qu'on ne sait plus, parfois, de quelle université on est diplômé. Ainsi de Paris VII, devenue Paris-Diderot, puis Université de Paris, puis Université Paris Cité... Difficile de s'y retrouver quand on est français, et encore plus si l'on est un étranger ! Cela peut être néfaste pour l'attractivité à l'international de nos universités.

Vous rappelez également le caractère obsolète du dispositif d'allocation de moyens, et notamment du fameux dialogue stratégique et de gestion, qui n'est plus en phase avec la réalité et ne permet pas de corriger les différentes inégalités que vous pointez.

Vous constatez des écarts particulièrement choquants et inacceptables, en matière de réussite étudiante, entre les universités qui concentrent les plus importants effectifs de licence, et obtiennent un taux de réussite au diplôme de 39 %, et les universités où les effectifs de licence sont moins nombreux, qui affichent un taux de réussite au diplôme de 61 %. Il y a bien une corrélation entre ces taux de réussite et la composition sociale de ces différentes universités. Les universités qui concentrent les plus importants effectifs de licence comptent davantage d'étudiants défavorisés : 27 % de boursiers, 32 % de bacheliers technologiques et professionnels et 16 % d'étudiants ayant obtenu une mention « bien » ou « très bien » au baccalauréat. Celles où les effectifs de licence sont moins nombreux n'accueillent que 14 % d'étudiants défavorisés, 18 % de boursiers et 9 % de bacheliers technologiques - avec 50 % d'étudiants ayant obtenu la mention « bien » ou « très bien ». Non seulement les politiques développées par le ministère ne corrigent pas ces inégalités mais elles les amplifient souvent.

Vous faites des observations descriptives sur la taille variable des universités mais peu de remarques normatives. On s'est beaucoup gargarisé du projet de faire du plateau de Saclay un Cambridge à la française. C'est un modèle qu'on retrouve peu en France. Une université de taille moyenne, c'est-à-dire environ 20 000 étudiants, se voit peu chez nous en dehors des grandes métropoles. Faut-il continuer à fusionner nos universités en de grandes structures métropolitaines, quitte à y adjoindre des antennes, ou bien nous faudrait-il plus d'universités, mais moins grosses ?

Votre rapport parle de périmètre, notamment pour définir ce qu'est une université et appréhender les enjeux liés à ce qu'on appelle la vie étudiante. Vous faites remarquer que les Crous s'occupent non pas seulement des étudiants des universités, mais de tout l'enseignement supérieur. On peut penser aux élèves des classes préparatoires. Justement, vous faites largement abstraction du système dual d'enseignement supérieur dans vos analyses alors que, pour beaucoup, les élèves des classes préparatoires ont vocation à rejoindre l'université. N'y a-t-il aucun impact de la carte et de la sociologie des classes préparatoires sur les disparités sociales et géographiques que vous constatez à l'université ? Ne faudrait-il pas réfléchir à de meilleures synergies entre les deux, voire à un rapprochement ?

M. Bernard Fialaire. - Vous semblez vous réjouir du taux de 65 % de réponses des universités. Je trouve plutôt inquiétant qu'un tiers des universités ne rendent pas leur copie... S'agit-il plutôt des grosses universités ou des petites ?

Dans le département du Rhône, nous réfléchissons au regroupement des diverses universités, notamment pour qu'elles travaillent moins en silos dans leurs disciplines, et pour favoriser un brassage des cultures. Y a-t-il un intérêt économique et de gouvernance à regrouper quelques universités, quitte à leur adjoindre des antennes ?

Vous avez cité l'exemple d'un campus connecté ne comptant qu'un seul étudiant. Quels sont les chiffres moyens ? Quid de l'orientation au bout d'un ou deux ans ? Je connais des exemples de réussite et de progression d'effectifs dans des campus connectés.

Mme Monique de Marco. - Dans votre présentation, vous avez dit des antennes qu'elles pouvaient être considérées comme un coût supplémentaire. Pouvez-vous préciser ce propos ? Le taux de diplômés se réduirait à mesure que l'on s'éloigne des centres-villes. Avez-vous des préconisations pour réorienter les choses ? Avez-vous fait un bilan du renforcement des financements par appels à projets ?

M. Pierre-Antoine Levi. - Merci pour votre présentation et votre travail précis et riche d'enseignements. Beaucoup de choses ont été dites mais, dans votre rapport, vous reconnaissez le rôle essentiel joué par les universités de proximité et leurs antennes. Le maillage territorial universitaire constitue un enjeu majeur d'aménagement du territoire.

Dans son rapport d'information, intitulé Accompagnement des étudiants : une priorité et un enjeu d'avenir pour l'État et les collectivités, notre mission d'information, rapportée par Laurent Lafon, constatait que le choix de la proximité est parfois une condition de l'accès à l'enseignement supérieur pour de nombreux étudiants. Le critère de proximité géographique est invoqué dans 80 % des cas, devant la réputation et le coût de l'établissement. Soutenir le développement d'une offre de formation universitaire d'excellence dans les territoires est donc une nécessité.

Or, comme le pointe l'Institut Montaigne en 2021, plus de deux tiers des étudiants sont concentrés dans de grandes métropoles, alors que ces dernières ne rassemblent que 29 % de la population française. On constate donc que le développement d'une offre locale d'enseignement supérieur de qualité est un véritable levier d'attractivité pour les territoires. Les collectivités doivent favoriser une offre diversifiée et encourager les étudiants à choisir ces structures.

Mettre l'enseignement supérieur au coeur des politiques d'aménagement du territoire peut également apporter des avantages au niveau économique. Des synergies intéressantes peuvent se créer entre les universités et les entreprises locales, les étudiants pouvant trouver un premier emploi directement dans les territoires. On ne peut que regretter que les initiatives associant structures d'enseignement supérieur et entreprises locales ne soient pas plus systématiques et encouragées par le ministère de l'enseignement supérieur. Votre rapport vient donc confirmer que les collectivités et les établissements d'enseignement supérieur n'ont que des avantages à créer des synergies. Il faut favoriser les initiatives qui prouvent leur efficacité.

Mme Sylvie Robert. - Le code de l'éducation prévoit bien qu'outre les régions, les collectivités territoriales concernées peuvent être associées à l'exercice de contractualisation. Faut-il changer la lettre de la loi et écrire qu'elles doivent être associées ?

Je suis frappée par l'absence de transparence dans l'installation des universités privées. Avant de certifier les diplômes, ne faudrait-il pas mieux les évaluer, en exigeant davantage de transparence ? À Rennes, deux écoles privées viennent encore de s'installer. Ces institutions entrent dans le paysage universitaire sans qu'on sache comment elles s'y insèrent, du point de vue financier ou sur le plan de l'accessibilité, comme en matière d'organisation des enseignements.

M. Jacques Grosperrin. - Ce rapport devrait permettre aux universités et aux collectivités territoriales de mener une véritable réflexion sur leur intérêt commun, ce qui a du sens au Sénat.

Si les universités sont des acteurs incontournables du développement économique du territoire, France Universités aurait aimé que vous alliez davantage sur le terrain de l'autonomie. La loi de 2007 était en fait relative aux libertés et responsabilités des universités.

Vous dites que les chefs d'entreprise ne sont pas assez nombreux dans les conseils d'administration des universités. Lors des débats sur cette loi, nous nous étions demandé si certains présidents d'université ne pouvaient pas être des chefs d'entreprise. La ministre a lâché sur ce point, que le texte prévoyait. Cela aurait réglé en partie ce problème d'ouverture, sans parler de celui posé par le rapprochement des Crous ou des difficultés de la dévolution. Osons, comme première recommandation, l'idée que les présidents d'université soient choisis parmi les chefs d'entreprise.

Les régions sont simplement associées, mais ne sont pas véritablement parties prenantes dans le choix de l'offre universitaire. Les autres collectivités territoriales ne participent pas assez. Comment répondre à la demande des régions d'occuper une place renforcée, comme le font les Länder ?

Les universités de moins de 20 000 étudiants ont des difficultés financières. Dans ma région de Bourgogne-Franche-Comté, une communauté d'universités et établissements (Comue) nouvelle s'est scindée faute d'accord sur l'emplacement de son siège. Les recteurs en charge de l'enseignement supérieur ne peuvent-ils taper du poing sur la table ? Près de 10 millions d'euros de financement ont été perdus...

Mme Nathalie Delattre. - Vous avez parlé de la problématique des logements vacants pendant la période estivale. Nous ne devons pas connaître les mêmes campus : à Bordeaux, il y a huit étudiants pour un logement. L'été, les étudiants ont peur de laisser leur logement, et il y a donc peu de roulement. Cela pose d'ailleurs de graves problèmes de rénovation de ces logements, puisque les temps d'intervention sont réduits. Et dès que l'on enlève des logements du parc, cela signifie que des étudiants ne seront pas accueillis. Je suis allée visiter des logements en mauvais état. Le Crous assure les travaux courants mais, pour beaucoup, ces logements sont la propriété des bailleurs sociaux, qui ont beaucoup de mal à faire les gros travaux.

Vous nous annoncez un rapport spécifique sur le logement étudiant. Je m'en réjouis, et j'espère que vous viendrez nous en présenter les conclusions. Ne faudrait-il pas prévoir une nouvelle forme d'aide en faveur des Crous ? L'intégration et la gestion directe par les universités sont une bonne chose, mais cela implique d'être propriétaire de ces logements.

Je poserai tout à l'heure au Gouvernement une question sur la santé mentale des jeunes. Vous n'avez pas évoqué l'accompagnement psychologique, qui est un paramètre fondamental à prendre en compte, tant la détresse psychologique des jeunes est grande.

Mme Sonia de La Provôté. - On a du mal à mettre un contenu précis sur la question de l'autonomie. On ne sait pas quand elle s'applique et quand elle s'efface. Ainsi, la réforme de l'accès aux études de santé a vu fleurir en France une réforme par université, avec de très grandes disparités - alors qu'un médecin reste un médecin, et que les enseignements sont normés. Cette réforme a fait apparaître un vrai problème de pilotage national, d'alerte, voire de cadrage. Nonobstant l'autonomie des universités, sur un objectif d'intérêt public et de santé publique aussi majeur, on doit pouvoir recruter de la bonne façon des étudiants pour devenir demain médecins et professionnels de santé. Nous n'avons toujours pas de chiffres nationaux sur l'atteinte des objectifs, notamment en matière de pluralisme dans le recrutement et les promotions.

La covid-19 avait mis en évidence la faible valeur ajoutée du cours descendant magistral, en amphithéâtre, et montré que les enseignements plus interactifs, en petits groupes, qu'il s'agisse de travaux dirigés (TD), de mentorat ou de tutorat, étaient plus intéressants. La numérisation peut donc servir plutôt aux enseignements magistraux. C'est une grande opportunité pour les territoires et la décentralisation. L'avez-vous examinée ? Les collectivités territoriales seraient très allantes pour accompagner des enseignements dirigés, plus faciles à mettre en place dans les antennes.

Parcoursup montre une forte disparité de l'allocation des bacheliers entre le siège et les antennes, qu'il s'agisse du niveau social ou de la réussite. L'absence de transparence des algorithmes locaux, qui dépendent de chaque université, n'a-t-elle pas aggravé ces clivages ? Les meilleurs bacheliers sont choisis par Parcoursup pour aller dans l'établissement siège...

Les regroupements au forceps par fusion-absorption ou offre publique d'achat (OPA) d'un site sur un autre, pour faire des universités reconcentrées, n'aboutissent pas toujours à de bons résultats. Pourtant, les aides de l'État et de certaines collectivités sont conditionnées à ce mouvement de fusion-absorption. Est-il indispensable ?

M. Laurent Lafon, président. - Vous avez beaucoup insisté, dans le rapport, sur la disparité entre les allocations des différentes universités. À enveloppe constante, il paraît difficile de rééquilibrer les choses. Avez-vous fait une évaluation du supplément nécessaire pour arriver au changement de paradigme sur lequel vous insistez dans votre rapport ?

M. Philippe Hayez. - Vos questions sont riches et nombreuses. Vous avez évoqué la réforme des études de santé. Nous conduisons actuellement une enquête sur la question.

Mme Sonia de La Provôté. - Nous avons fait deux rapports sur le sujet.

M. Philippe Rousselot. - Sur la proportion de 65 %, notre satisfaction était d'ordre statistique. Bien sûr, nous aurions préféré 100 % ! Pourquoi certaines universités ne répondent-elles pas ? En général, parce qu'elles estiment ne pas avoir le temps de le faire. En fait, 65 %, c'est un bon résultat, vu les habitudes que nous avons constatées. Nous avons envoyé le questionnaire à toutes les universités, comme nous le faisons systématiquement dans nos contrôles. Mais je suis d'accord avec vous, ce n'est pas assez.

Vous avez évoqué la problématique des fusions et absorptions. À mon avis, il n'y a pas de modèle idéal, si ce n'est ce que le territoire et son université décident par eux-mêmes.

Le président de l'une des universités les plus célèbres du monde, à Lausanne, disait qu'une université, c'est 10 000 étudiants et un milliard d'euros. Au moins, il sait ce qu'il veut ! Dans le classement de Shanghai, les universités les mieux placées ne sont pas celles qui ont les plus gros effectifs. Big is not beautiful...

Pour autant, nous avons des textes, et notamment la loi de 2013, imposant aux universités de faire le choix de la fusion, de la Comue ou de l'association. Toutes ne l'ont pas fait. Certaines sont restées orphelines, volontairement. L'ordonnance sur les établissements expérimentaux, ensuite, a entraîné des absorptions et des fusions, menées dans la plus totale liberté.

Il faudra du temps pour évaluer les résultats de manière approfondie. Il est normal que, lorsque de grandes manoeuvres de cette nature se mettent en branle, il y ait une période de confusion, une difficulté initiale de mise en place, des quiproquos. Il faut laisser du temps à ces établissements, d'autant que les établissements expérimentaux - ne l'oublions surtout pas - ont pour vocation à peine cachée de devenir de grands établissements. Certains d'entre eux entament aujourd'hui leur procédure de fin de l'expérimentation pour passer à un autre statut : le tableau qui figure dans le rapport est donc déjà obsolète !

Jusqu'à présent, la Cour ne s'est pas prononcée sur les effets de taille, autrement qu'en les constatant. Elle a préféré travailler sur la notion de grandes universités à rayonnement international et à recherche intensive. Celles-ci sont assez faciles à identifier, puisqu'elles s'identifient elles-mêmes, au sein d'une association où l'on ne rentre pas facilement ! Les universités qui sont Idex et I-Site peuvent constituer, à part un ou deux cas particuliers, une catégorie d'universités, sans avoir à parler de la taille ou de la superficie.

Dans d'autres, le rayonnement et la recherche sont moins intensifs, sans que cela signifie qu'ils soient de moindre qualité. La recherche de niche ou de spécialité existe, comme on le voit à La Rochelle, à Toulon ou à Chambéry. Restent des questions sans réponse sur certaines universités, qui n'ont pas la taille critique pour être de grand rayonnement international mais qui souhaitent toujours l'être...

Nous n'avons pas abordé l'immobilier mais, selon la Cour, c'est une question liée à celle de l'autonomie. Tant qu'on n'est pas propriétaire, on n'est pas autonome : la Cour estime qu'il y a un lien profond entre dévolution et autonomie. L'idée de fond, à mettre en oeuvre sur le temps long, avec prudence, est que les universités propriétaires seront forcément plus autonomes.

Nous n'avons examiné que les universités privées. Il n'y en a pas tant que ça. Certaines, bien connues, n'ayant pas le droit de délivrer elles-mêmes leur diplôme, le font par le biais d'une convention avec une autre université. Il arrive toutefois que, si une grande ville compte une grande université catholique et une grande université publique, les agréments et les conventions ne soient pas faits entre elles mais avec une petite université distante de 50 kilomètres. Cela nous a paru relever d'un manque de transparence. D'après les textes, d'ailleurs, une université privée ne doit pas s'appeler université. Quant aux écoles, c'est une autre affaire, bien plus compliquée.

Il serait difficile de faire un bilan du financement par appels à projets. Certains dépendent de l'Agence nationale de la recherche (ANR), d'autres relèvent des PIA, d'autres de France 2030, voire d'autres acteurs...

M. Clément Hénin. - La carte montre les disparités territoriales de ce type de financement. C'était, depuis le début, l'ambition assumée des PIA que de créer des universités championnes, qui concentreraient une partie importante des financements pour peser au plus haut niveau dans la recherche mondiale.

M. Philippe Rousselot. - Le classement de Shanghai, à mon avis, a beaucoup perdu de sa force, depuis quelques années déjà. Il a été créé pour répondre à une question très simple : où dois-je envoyer mes enfants pour qu'ils fassent les meilleures études ? Mais nous n'avons pas rencontré en France de parents d'élèves se posant cette question en prenant le classement de Shanghai comme référence. La question se pose à eux, évidemment, mais le classement de Shanghai n'est pas leur bréviaire et la plupart d'entre eux ne le connaissent pas.

Certes, ce classement a constitué un choc, et sa troisième édition, en 2007, a été à l'origine de nombreux bouleversements. Mais il n'a jamais pénétré la société française, et notamment le monde des parents d'élèves, auprès de qui il devait pourtant trouver son public. Son audience est restée concentrée dans le microcosme, où chacun s'est demandé pourquoi il occupait tel ou tel rang. Je crois donc que c'est un sujet qui est à présent derrière nous.

Comment faire pour mieux évaluer les changements de paradigme ? Je n'ai pas de réponse toute faite. Sans doute faudrait-il que le Hcéres reçoive le mandat d'évaluer ces questions de territorialité dans leur globalité, sans oublier la recherche. On peut aussi imaginer des instances d'évaluation spécialisées sur cette question.

Vous avez légèrement exagéré la portée de nos conclusions en disant que nous étions pour un renforcement du niveau académique, et notamment du recteur délégué. Nous avons surtout demandé que l'on clarifie sa position, qui reste floue et incertaine. Il sera toujours temps, alors, de voir si c'était une bonne ou une mauvaise idée, au fil de l'expérience.

M. Clément Hénin. - Sur les campus connectés, vous demandez si le chiffre de 110 000 euros pour les deux campus qui n'ont accueilli qu'un seul étudiant était exact. Le montant moyen est de 13 000 euros, à comparer aux quelque 5 000 euros que coûte en moyenne un étudiant en licence à l'université. Mais un étudiant qui suit un enseignement à distance est aussi inscrit dans une autre université...

Certains campus connectés accueillent des étudiants et fonctionnent plutôt bien. Les populations étudiantes sont assez surprenantes. Il y a beaucoup de sportifs de haut niveau, par exemple, ce qui n'est pas forcément ce qu'on aurait attendu. Il y a aussi des parents célibataires, des personnes souffrant de pathologies. En fait, on ne sait pas à quoi servent ces campus connectés. Est-ce pour financer le sport à haut niveau ? Ce n'était pas l'idée, à l'origine. Aucune comparaison n'a été faite avec ce qu'on pourrait faire avec 13 000 euros pour un étudiant à l'université, sans avoir à créer un nouveau lieu, par exemple en mettant en place du tutorat.

M. Philippe Rousselot. - Une des particularités du campus connecté est que, si vous êtes inscrit dans le campus connecté de telle ville, cela ne signifie pas que vous passerez votre diplôme dans cette université. Cela explique une partie du désintérêt des universités pour cet objet, qui leur apporte beaucoup moins qu'elles ne pourraient l'espérer, dans la mesure où un assez grand nombre d'étudiants se connectent en vue d'obtenir un diplôme ailleurs que dans l'université qui génère le campus.

M. Clément Hénin. - Et même dans une école privée...

Pourquoi le coût d'un étudiant dans une antenne est-il perçu comme un coût supplémentaire ? Parce que, comme l'a révélé notre enquête, il n'y a pas, dans la subvention pour charges de service public, de crédits consacrés aux étudiants dans les antennes. Si l'université veut ouvrir une nouvelle formation dans une antenne, elle doit s'acquitter de frais supplémentaires. Le coût n'est pas forcément supérieur à celui d'une formation sur son site principal, mais son financement n'est pas prévu.

M. Philippe Hayez. - Pour mieux prendre en compte la dimension territoriale dans l'évaluation, je pense que nous ne devons pas ajouter des critères dans les missions. La qualité de l'insertion professionnelle permet de voir, y compris dans un bassin, comment fonctionne la diversité. Et les indices de satisfaction des étudiants font aussi partie de l'appréciation de la performance de l'université.

Le président de France universités nous a confirmé la semaine dernière qu'il y a une vraie fatigue des appels à projets, sur lesquels l'université estime passer beaucoup de temps, administratif surtout.

Notre travail sur la question du logement n'a pas encore commencé, et sera mené l'an prochain. Intuitivement, on voit qu'il y a des synergies à trouver ou à renforcer entre le dispositif des Crous et le rôle des collectivités territoriales en matière de logement social. On pourrait ouvrir une réflexion sur la question de savoir si, dans les attributions de logements, les étudiants doivent être traités d'une manière particulière.

Les collectivités territoriales financent l'enseignement supérieur à hauteur de 2 milliards d'euros, soit 7 % à 8 % du budget que j'ai mentionné précédemment. Il est donc normal qu'il y ait un conventionnement.

Vous relevez le manque de chiffres ; pour ma part, je suis frappé par la faiblesse de la mission centrale. J'ai rencontré la directrice du service statistique ministériel, et je crois comprendre qu'on n'est même pas capable de compter les étudiants...

Le président Lafon nous demande quel serait le niveau de moyens raisonnable. Il n'appartient pas à la Cour de déterminer ce niveau. Je rappelle simplement que notre financement de l'enseignement supérieur est, en part de PIB, inférieur à la moyenne de l'OCDE. Et la dépense par étudiant décroît depuis des années, sans que cela puisse être expliqué par une hausse de l'efficience.

En tous cas, tout financement supplémentaire doit être assorti d'un renforcement de la qualité de gestion. Actuellement, la qualité de gestion est globalement insatisfaisante, et très inégale. Il faut donc renforcer le contrôle interne pour qu'il soit au niveau des moyens qui sont ou seront investis.

M. Laurent Lafon, président. - Merci pour toutes vos réponses à cette problématique, qui intéresse beaucoup notre commission. Nous avons évoqué un certain nombre de pistes. Je ne doute pas que nous aurons à y revenir dans les mois à venir. En tous cas, nous serons très attentifs à la suite de vos travaux.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo, disponible en ligne sur le site du Sénat.

Proposition de loi visant à favoriser l'accès de tous les étudiants à une offre de restauration à tarif modéré - Examen, en deuxième lecture, du rapport et élaboration du texte de la commission

M. Laurent Lafon, président. - Je vous propose d'entendre à présent le rapport de notre collègue Jean Hingray sur la proposition de loi, déposée par Pierre-Antoine Levi, visant à favoriser l'accès de tous les étudiants à une offre de restauration à tarif modéré, que nous examinons aujourd'hui en deuxième lecture. L'examen de ce texte en séance publique est programmé mercredi prochain, le 5 avril, en première position de la niche du groupe Union Centriste.

M. Jean Hingray, rapporteur. - Ce texte s'inscrit dans la continuité des thématiques que nous venons d'aborder avec la Cour des comptes, en particulier celle du lien entre universités et territoires. Nous vous avions proposé il y a presque deux ans maintenant le ticket-restaurant étudiant, pour que les étudiants qui se trouvent dans des « zones blanches » de la restauration universitaire puissent manger, tout simplement, en l'absence de restaurant universitaire. Nous avions tous été choqués par les files d'attente devant des distributions alimentaires, pendant la crise sanitaire, ou les témoignages d'étudiants qui ne mangeaient pas à leur faim.

Notre première proposition a été débattue à l'Assemblée nationale, qui l'a adoptée en la modifiant. Nous examinons aujourd'hui ce texte en deuxième lecture, et nous vous proposons de le voter conforme, car cela ouvrira le champ des possibles en permettant au Gouvernement de prendre un décret d'application pour mettre rapidement en oeuvre des solutions adaptées à chaque territoire.

Je rappelle qu'entre 200 000 et 500 000 étudiants n'ont pas accès à un restaurant universitaire. Notre but est bien de soutenir et de valoriser l'action des Crous, même si nous avions initialement proposé un système de ticket-restaurant. En deuxième lecture, il s'agit toujours de soutenir l'action des Crous, mais en confortant et encourageant la possibilité qu'ils ont de conventionner avec des acteurs publics tels que les collectivités territoriales, des acteurs privés et des acteurs sociaux, comme les épiceries solidaires dans nos territoires.

Le but de ce texte est d'accélérer le conventionnement et de mettre la balle dans le camp du Gouvernement, pour développer l'action de lutte contre la précarité alimentaire étudiante. On sait qu'il y a beaucoup de tâtonnements en la matière de la part du Gouvernement, notamment sur la réforme annoncée des bourses. Nous n'avons, pour l'instant, pas eu de véritable signal positif en matière de lutte contre la précarité alimentaire. À l'Assemblée nationale la généralisation du repas à 1 euro a été rejetée - à une voix près.

Je souhaite remercier Pierre-Antoine Levi, mon binôme dans ce projet depuis quelques mois. Les associations étudiantes se disent très satisfaites que ce texte soit débattu. J'espère que le Gouvernement nous suivra.

M. Pierre Ouzoulias. - La mission d'information sur les conditions de la vie étudiante que nous avions pilotée avec le Président Laurent Lafon recommandait le conventionnement avec les acteurs territoriaux, car ce dispositif permet d'offrir un service de restauration aux étudiants dans les zones où, de toute façon, le Crous n'ouvrira jamais de restaurant universitaire. De plus, il fallait donner aux collectivités la possibilité d'accéder à la centrale d'achat du Centre national des oeuvres universitaires et scolaires (Cnous). Cette deuxième mesure a été adoptée par amendement l'an passé, et vous mettez en place l'autre, ce qui est satisfaisant. Cela permettra à des étudiants, dès le 1er septembre, d'accéder à des établissements publics de restauration.

Nous devrons, lors de l'examen du projet de loi de finances (PLF) pour 2024, regarder attentivement si le Cnous a les moyens budgétaires nécessaires pour entreprendre cette politique. À Mende, par exemple, il y a 25 étudiants, qui n'ont accès à aucun établissement et ne coûtent donc rien. S'ils obtiennent l'accès à la restauration collective du département de la Lozère, cela aura un coût pour le Cnous. Nous devrons donc veiller à ce que le budget donne des moyens supplémentaires au réseau. En tous cas, nous voterons cette proposition de loi.

M. Stéphane Piednoir. - Je souligne à mon tour les problèmes que rencontrent les étudiants depuis la crise sanitaire, qui a accentué leurs difficultés financières. Les restaurants universitaires sont submergés dans de nombreux territoires, et pas seulement en zone rurale. Les étudiants se dirigent de manière plus massive vers la restauration universitaire - qu'il y ait des repas à 1 euro ou non, d'ailleurs. Ils sont à la recherche d'économies et souhaitent pour cela se restaurer à moindre coût.

La formule proposée était assez simple, à l'origine. Nous glissons tout doucement vers une organisation plus complexe, en tous cas plus compliquée à mettre en oeuvre. Il y aura des paramètres, un cahier des charges, des aides, du conventionnement... Mais selon quels critères ? Comment décider qu'un étudiant est suffisamment éloigné d'un restaurant universitaire ? Les critères quantitatifs rendront moins lisible cette proposition de loi. S'il n'y a pas de conventionnement, il y aura des aides directes pour les étudiants. Selon quels critères d'attribution ? Quel sera le coût global de cette mesure ?

Mme Sabine Van Heghe. - Ce texte visait initialement à créer un ticket-restaurant, sur le modèle de ce que les entreprises proposent aux salariés. Nous avions insisté sur les dangers que cela ferait courir aux Crous. Il y avait aussi le risque d'un repli sur soi des étudiants et d'une alimentation moins équilibrée.

Avec la réécriture par l'Assemblée nationale s'est opéré un changement total de raisonnement. Il n'est plus question de ticket-restaurant. Pour autant, ce n'est pas tout à fait une solution satisfaisante. Cette réécriture complexifie le système en l'encadrant de façon insuffisante, selon qu'une offre de restauration à tarif dit modéré existe ou non localement. Le dispositif du premier alinéa de l'article 1er pose comme postulat de départ que, dans chaque territoire, il existe une possibilité pour les étudiants de bénéficier d'une offre de restauration à tarif modéré à proximité de leur lieu d'études. Or il s'agit d'une simple possibilité. Il faudra préciser les notions de territoire, de tarif modéré et de proximité du lieu d'études.

Le dispositif du troisième alinéa de l'article 1er prévoit que, lorsque l'offre n'existe pas, une aide financière est proposée aux étudiants concernés pour permettre l'acquisition de tout ou partie d'un repas consommé ou acheté auprès d'un organisme conventionné. S'il ne s'agit plus de ticket-restaurant, on ne connaît pas la forme ni le montant de l'aide accordée.

Avec sa réécriture, l'Assemblée nationale donne au service public de l'enseignement supérieur un rôle prépondérant dans le dispositif d'aide. Et le flou entoure la rédaction du dispositif, par ailleurs non contraignant : accès à une restauration à tarif modéré pour les étudiants, sur des territoires non définis.

Le système de conventionnement, selon que cette offre à tarif modéré existe ou non, n'apporte donc aucune véritable garantie supplémentaire par rapport au texte adopté en première lecture au Sénat. Les modifications opérées peuvent apporter une amélioration pour les étudiants mais le nouveau dispositif ne nous rassure pas tout à fait, car il est complexe et nous craignons qu'il ne soit pas efficace pour apporter une aide concrète à notre jeunesse étudiante, qui fait face à de difficultés pour satisfaire ce besoin vital : manger.

Nous sommes favorables au repas à 1 euro pour tous les étudiants, ce qui est une disposition simple et efficace. Il y a un progrès dans ce texte, mais il manque de précision. C'est pourquoi le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain se positionnera sur une abstention bienveillante.

Mme Monique de Marco. - Cette proposition de loi procède d'une bonne intention, mais, dans les détails, elle risque de déstabiliser la restauration des Crous et de pousser les étudiants à recourir à de la restauration rapide. On n'en connaît pas le coût, et elle ne précise pas suffisamment comment on mesure l'éloignement. Elle ne peut donc résoudre le problème de la restauration des étudiants.

J'avais proposé d'inscrire dans le dernier projet de loi de finances la généralisation du repas à 1 euro pour tous. Cette mesure avait été chiffrée, puis rejetée, avant d'être reprise à l'Assemblée nationale. Cela aurait pourtant constitué une solution intéressante. J'ai donc déposé un amendement à cette proposition de loi, même si je pense qu'elle sera votée conforme. Notre groupe, lui, fera également preuve d'une abstention bienveillante.

M. Bernard Fialaire. - L'uniformisation du repas à 1 euro n'étant pas forcément synonyme d'égalité des droits, nous ne préconisons pas cette solution. Néanmoins, nous exprimerons un vote positif, mais vigilant, car la vertu de cette proposition de loi est de mettre le doigt sur un véritable problème. De plus, l'ensemble des acteurs doit être responsabilisé : la présence de lycées comprenant des classes de brevet de technicien supérieur (BTS) ou des classes préparatoires dans les zones blanches doit favoriser une réflexion globale sur l'accompagnement de tous les étudiants.

M. Cédric Vial. - Nous ferons confiance à la sagesse du rapporteur et à l'auteur de la première proposition de loi. Toutefois, je déplore la rédaction adoptée par l'Assemblée nationale qui s'avère être beaucoup plus complexe que la précédente. La navette parlementaire a favorisé une vision administrative au détriment d'une vision politique, cette complexité risquant de se renforcer avec le passage de la loi vers le décret.

Nous sommes passés du ticket-restaurant, un dispositif simple qui a fait ses preuves et qui correspondait à une liberté réclamée par les étudiants, à une aide financière ainsi qu'à un conventionnement qu'il faudra instruire et administrer par des services supplémentaires. Le budget de l'État dédié à cette aide sera donc en grande partie polarisé par cette mise en place, de surcroît en direction d'établissements qui subiront une plus grande complexité. Je déplore donc vraiment la nouvelle rédaction qui apparaît comme une régression pour les étudiants, mais je vous suivrai si vous estimez que ce texte constitue une avancée.

M. Max Brisson. - Je répète que nous préférions le texte de Pierre-Antoine Levi, mais, sur la base du proverbe « un tiens vaut mieux que deux tu l'auras », mieux vaut adopter cette proposition de loi que rien, et repartir alors vers une navette à l'issue incertaine.

Je propose donc d'adopter conforme le texte et de suivre notre rapporteur.

M. Pierre-Antoine Levi. - Il m'est agréable de constater que vous préfériez la version initiale du texte : c'est aussi mon cas, car elle était beaucoup plus facile à mettre en oeuvre. Un débat vigoureux autour de ce texte a eu lieu entre la commission de la culture et la ministre de l'enseignement supérieur d'alors, mais il est certain que le Président de la République n'en voulait pas. Il a estimé que le dispositif coûtait trop cher, que les étudiants pourraient utiliser ces tickets-restaurant de manière irresponsable dans les restaurants de fast-food, alors que l'on sait que le repas équilibré dans les Crous n'est qu'une pure théorie.

Ce texte ayant été modifié, « un tiens vaut mieux que deux tu l'auras », comme l'a dit Max Brisson : de petites victoires valent parfois mieux que de grandes défaites. En effet, le débat sur le repas à 1 euro a fait beaucoup de mal et je n'ai pas envie que la commission de la culture du Sénat ne prenne pas ce problème à bras-le-corps. Le vote conforme de cette proposition de loi permettra de préciser le champ du dispositif par décret, mais aussi le prix, soit 1 euro ou 3,30 euros en fonction des droits, et donc de donner aux étudiants habitant dans les zones blanches les mêmes droits que les autres, ce qui concerne entre 200 000 à 500 000 étudiants.

Le coût de ce dispositif est chiffré entre 300 et 350 millions d'euros, ce qui représente un investissement raisonnable : nous le devons à notre jeunesse.

Je n'ai finalement entendu que des critiques bienveillantes, montrant que nous souhaitons tous aborder le sujet de la précarité étudiante au sein du Sénat. Si j'aurais souhaité que ma première proposition soit adoptée en l'état- celle-ci a été déposée conjointement avec Mme Anne-Laure Blin qui s'est battue à l'Assemblée nationale pour la faire voter sans succès -, je vous appelle néanmoins à suivre l'avis d'un vote conforme de notre rapporteur.

M. Jean Hingray, rapporteur. - Je vous remercie pour ces remarques. La confiance n'exclut pas le contrôle : il est proposé dans cette proposition de loi un rapport annuel sur le conventionnement, qui doit être généralisé dans les zones blanches. De plus, ce conventionnement permettrait d'accéder à des repas à 1 euro et à 3,30 euros. Le budget est fixé à un minimum de 250 millions d'euros, jusqu'à 400 millions d'euros selon le chiffre fourni par le ministère.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

Mme Monique de Marco. - Avec l'amendement COM-1 rectifié, mon idée est d'interroger les moyens de cadrage à l'égard d'une proposition de loi floue, et donc de clarifier la rédaction pour arriver aux mêmes conditions tarifaires.

M. Jean Hingray, rapporteur. - La précision proposée est, en réalité, déjà satisfaite. Le système de conventionnement garantit que les étudiants concernés pourront bénéficier d'une offre de restauration dans les mêmes conditions tarifaires que s'ils avaient accès à un restaurant universitaire. En outre, l'adoption de l'amendement rendrait le texte non conforme, c'est pourquoi je sollicite une demande de retrait ; sinon, l'avis sera défavorable.

Mme Monique de Marco. - Je le maintiens.

M. Jean Hingray, rapporteur. - Je confirme donc mon avis défavorable à l'adoption de cet amendement.

L'amendement COM-1 rectifié n'est pas adopté.

L'article 1er est adopté sans modification.

Article 1er bis

L'article 1er bis est adopté sans modification.

Article 3

L'article 3 demeure supprimé.

La proposition de loi est adoptée sans modification.

M. Laurent Lafon, président. - La discussion en séance publique aura donc lieu le 5 avril.

Le sort de l'amendement examiné par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Article 1er

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Monique de MARCO

COM-1

Précision selon laquelle l'offre de restauration conventionnée donne droit aux mêmes conditions tarifaires que l'offre de restauration universitaire

Rejeté

La réunion est close à 11 h 40.