Mardi 31 janvier 2023

- Présidence de M.Stéphane Artano, président puis de Mme Micheline Jacques, vice-présidente -

Continuité territoriale entre l'Hexagone et les outre-mer - Audition thématique centrée sur le bassin de l'océan Pacifique - la Polynésie française

M. Stéphane Artano, président. - Monsieur le président, Mesdames, Messieurs, chers collègues, dans le cadre de son étude sur la continuité territoriale, dont les rapporteurs sont Catherine Conconne et Guillaume Chevrollier, nous faisons ce matin escale en Polynésie française après l'océan Indien la semaine dernière. Ces tables rondes géographiques sont indispensables à nos yeux pour saisir la diversité et la complexité des situations, et pour élaborer des propositions concrètes d'amélioration.

Étant actuellement à Saint-Pierre-et-Miquelon, je suis la présente table ronde en visioconférence, mais je tiens à remercier les participants pour cette audition particulière.

Notre vice-présidente Micheline Jacques, que je remercie très chaleureusement, animera à Paris cette réunion en vous donnant bientôt la parole, mais je tiens à saluer dès à présent :

- le représentant du gouvernement de la Polynésie française, M. Jean-Christophe Bouissou, ministre du logement, de l'aménagement en charge du transport interinsulaire ;

- M. Marc Houalla, directeur du Service d'État de l'aviation civile (SEAC) en Polynésie française ;

- M. Manate Vivish, directeur général d'Air Tahiti ;

- M. Michel Monvoisin, président-directeur général d'Air Tahiti Nui.

Messieurs, nous vous remercions vivement pour votre disponibilité et vos éclairages. Bonne audition à tous !

Je cède la parole à Micheline Jacques, vice-présidente de la délégation outre-mer et sénatrice de Saint-Barthélemy.

- Présidence de Mme Micheline Jacques, vice-présidente -

Mme Micheline Jacques, présidente. - Messieurs, vous allez donc avoir la parole à tour de rôle dans l'ordre que le président Stéphane Artano vient d'énoncer pour une dizaine de minutes chacun, afin de présenter vos observations en vous appuyant sur le questionnaire qui vous a été envoyé. Vous pourrez aussi nous transmettre ultérieurement d'autres précisions par écrit. Ensuite, les rapporteurs interviendront pour vous demander certaines précisions, puis ce sera au tour de nos autres collègues.

M. Jean-Christophe Bouissou, vice-président de la Polynésie française, ministre du Logement, de l'Aménagement en charge du transport interinsulaire. - Au nom du président Édouard Fritch, de l'ensemble des membres du gouvernement et en ma qualité de vice-président de la Polynésie française, je vous adresse mes salutations, Monsieur le président, ainsi qu'à l'ensemble des membres de votre délégation.

Je suis ravi que nous partagions ce temps d'échange pour évoquer cette importante question qu'est la continuité territoriale entre notre Pays et l'Hexagone, distant de quelque 17 000 kilomètres.

Je souhaite également saluer Michel Monvoisin, président-directeur général d'Air Tahiti Nui, Manate Vivish, directeur général d'Air Tahiti, et Marc Houalla, directeur du SEAC.

La Polynésie française dispose de plusieurs compagnies aériennes qui desservent le Pays. Parmi elles, trois entrent dans le cadre des questions liées à la continuité territoriale : Air Tahiti Nui, Air France et French Bee.

Vous nous demandez si nous estimons que la fréquence des liaisons aériennes entre l'Hexagone et la Polynésie française est satisfaisante. La grille des fréquences est établie par les compagnies aériennes en fonction du marché polynésien et du marché touristique depuis l'Hexagone et d'autres pays. Les avions qui arrivent de Paris transitent par les États-Unis via Los Angeles, San Francisco ou encore depuis l'État de Washington.

Comparativement à 2020, année marquée par la crise du Covid, le pays enregistre une légère augmentation des fréquences avec un vol supplémentaire par semaine. En nombre de sièges, nous constatons que la Polynésie française est, en fonction de la saisonnalité, bien desservie par les trois compagnies aériennes locales déjà citées.

Cependant, la concurrence est forte, depuis l'ouverture du ciel aérien polynésien, en particulier sur des destinations régionales des États-Unis. L'arrivée récente de Delta Air Lines, de United Airlines et d'Hawaiian Airlines engendre une émulation et révèle le grand intérêt de nouvelles compagnies pour desservir la Polynésie française.

Vous nous demandez également si nous avons réalisé des tests de marché des compagnies qui desservent la Polynésie française. Comme vous le savez, les études de marché sont généralement effectuées par les compagnies elles-mêmes. Récemment, Delta Air Lines a demandé des droits de trafic sur la Polynésie française. C'est à la suite d'un travail d'analyse et d'étude fourni par la compagnie que cette demande a été examinée. Bien entendu, des discussions ont eu lieu au sein du gouvernement et avec les compagnies existantes pour évaluer la manière dont ces compagnies allaient absorber cette concurrence - sachant que nous souhaitons qu'Air Tahiti Nui, Air France et French Bee ne pâtissent pas de cette concurrence nouvelle. Je précise que ces nouvelles compagnies possèdent également d'autres réseaux fonctionnant à partir de plusieurs États américains vers l'Europe. Ils constituent également une concurrence indirecte pour nos compagnies.

S'agissant de la question n° 3 « Des obligations de service public ou des délégations de service public sont-elles en place sur certaines lignes vers ou au départ de Papeete ? Si oui, quelles sont-elles ? », je vous réponds qu'il n'existe pas aujourd'hui de délégation de service public (DSP) sur la desserte internationale, ni entre la Polynésie française et l'Hexagone. Une tentative de création d'une DSP entre la Polynésie française et la France métropolitaine a été initiée en 2020 par le Gouvernement de l'époque mais le Conseil d'État a annulé cette décision suite à une contestation.

En revanche, il existe une DSP locale car la Polynésie française, qui compte 78 îles habitées, est plus vaste que l'Europe. Son étendue nécessite, d'une part, de se déplacer en avion et, d'autre part, de maintenir certaines lignes déficitaires. Je laisse le soin au directeur général d'Air Tahiti Nui de développer ce point un peu plus tard. Cette DSP, mise en place par le gouvernement, permet de maintenir ces lignes sur 34 aéroports du territoire, tandis que les autres restent dans le domaine concurrentiel. Je reviendrai en détail sur ce point à l'occasion de votre question spécifique sur le sujet.

Vous souhaitez également des précisions sur les dispositifs relatifs à la continuité territoriale et le transport de passagers par voie aérienne et, par ailleurs, des informations sur la part du prix total d'un billet d'avion en moyenne. L'État met en place une aide à la continuité territoriale très appréciée des passagers. Elle est consentie à des familles dont le revenu est modeste et inférieur à un plafond déterminé. Mis en place en 2022, le budget de cette aide a été entièrement consommé. Il permet de prendre en charge quelque 40 % du prix d'un billet d'avion aller/retour, soit 76 000 francs Pacifique (soit 640 euros). Je précise que depuis la réouverture du ciel aérien polynésien, les prix des billets ont augmenté sous l'effet de la hausse de celui du baril de jet fuel. En sens inverse, la baisse de ce dernier qui a été constatée depuis octobre dernier ne semble pas avoir été répercutée sur le prix des billets. Par ailleurs, la plupart des compagnies aériennes, dont Air Tahiti Nui, n'ont pas répercuté la hausse du prix du baril depuis son envolée. Ce constat explique sans doute l'absence de baisse du tarif des billets d'avion.

Pour revenir à la question de la continuité locale, le ministère polynésien de l'éducation soutient également les étudiants non boursiers. Ces derniers bénéficient de l'aide de 40 % du prix d'un billet d'avion aller/retour, applicable aux étudiants et consentie par les compagnies aériennes locales. Je souligne également que l'État devrait augmenter cette aide à la continuité territoriale de manière substantielle au cours de l'année 2023. Je crois que les populations cibles devraient apprécier cette augmentation à hauteur de 111 000 francs Pacifique (soit 935 euros). Bien entendu, cette hausse nécessitera une augmentation du budget.

Vous nous interrogez également sur l'action de l'État, qui gère ces aides sur notre territoire, et vous nous demandez si la réforme des aides intervenue en 2021 nous paraît pertinente. Par ailleurs, vous nous demandez si LADOM intervient sur notre territoire et à quel titre.

Sur ce dernier point, LADOM intervient, en effet, via le dispositif du pôle de continuité territoriale mis en place par l'État et qui assure le suivi et le traitement des dossiers des passeports mobilité études  (PME). Au niveau local, ce dispositif compte une cellule de cinq personnes avec une déconcentration de la prise en charge des demandes, notamment pour les îles Sous-le-Vent et les îles Marquises. Ce dispositif fonctionne bien.

En complément de ce dispositif, le gouvernement polynésien a également créé un dispositif dédié aux boursiers polynésiens depuis leur île de résidence jusqu'à l'Hexagone. Cette mesure vise à prendre en charge 100 % du prix des billets d'avion et le remboursement des billets entre leur île d'habitation et Tahiti, où se situe l'aéroport international. Nous pensons que le dispositif d'État pourrait être amélioré s'il ouvrait le passeport mobilité et la mobilité territoriale depuis le lieu de résidence des Polynésiens. En effet, une personne vivant, par exemple, aux îles Marquises doit prendre un vol domestique pour se rendre à Papeete. Le coût du billet aller/retour pour ce trajet est d'environ 600 euros - somme non négligeable au regard du pouvoir d'achat de nombre de Polynésiens.

Encore une fois, je souligne que ce dispositif fonctionne bien et je salue le travail réalisé par les services du Haut-Commissariat localement, puisque le traitement des dossiers est d'environ dix jours, ce qui est très court. Des procédures dématérialisées permettraient sans doute de réduire encore ce délai, notamment pour les populations résidant dans les îles. Je précise que toutes les îles principales bénéficient d'un réseau internet à haut débit, ce qui constitue un bon outil pour rapprocher les populations des administrations et des administrations d'État.

Vous nous avez transmis une série de questions portant sur les collectivités locales. S'agissant de la question n°6 « Votre collectivité met-elle en place des aides à la continuité territoriale en complément ou indépendamment des aides de l'État ? Si oui, préciser les modalités et les montants de ces aides. Comment ce dispositif territorial cohabite-t-il avec celui de l'État ? », je vous informe que la Polynésie française ne dispose pas d'aides à la continuité territoriale. Une continuité territoriale qu'il faut entendre au sens d'un dispositif de droit commun qui permettrait à chacun, même sous condition de ressources, de bénéficier de tarifs préférentiels pris en charge par la collectivité. D'ailleurs, un projet de ce type porté par La Réunion a été rejeté par le Conseil d'État. Nous avons donc bien compris qu'un dispositif de ce type ne pouvait pas être porté par une collectivité territoriale.

En revanche, suite à la crise sanitaire, nous avons mis en place depuis deux ans une DSP, au motif que notre compagnie locale Air Tahiti ne pouvait plus assumer les pertes engendrées par certaines lignes, alors que les lignes profitables venaient jusqu'alors compenser les pertes de ces lignes (au départ de 34 aéroports sur les 47 aéroports que compte le pays).

Bien entendu, nous sommes convenus avec la compagnie que cette situation n'était pas admissible. Nous avons donc travaillé afin de mettre en oeuvre un fonds de continuité territoriale. Ce dernier est alimenté par une contribution sur chaque billet d'avion payé par l'ensemble des passagers selon deux tarifs différenciés : un tarif pour la zone de libre concurrence et un tarif pour la zone des îles les plus éloignées. Aujourd'hui, ce fonds permet d'équilibrer les 34 lignes déficitaires et principalement les lignes qui desservent les îles Marquises, Tuamotu et Australes. Je précise également que dans le cadre de ce dispositif, le niveau tarifaire et les fréquences sont fixés par un arrêté du gouvernement. En fonction de la situation, ces mesures peuvent être révisées annuellement. La compagnie peut, quant à elle, décider de fixer des tarifs moins élevés.

La situation du fonds nous permet, en concertation avec la compagnie, d'entrevoir pour l'année 2023 une baisse des tarifs sur les lignes qui desservent les îles éloignées et une augmentation de la fréquence des vols pour ces îles qui souhaitent se développer ou développer le tourisme. Aujourd'hui, ce fonds dispose de 10 millions d'euros environ.

Au départ, je rappelle qu'il a été en partie subventionné par le Pays. Aujourd'hui, grâce aux recettes de la contribution, cela fonctionne bien. Cependant, j'ai récemment sollicité, au nom de la Polynésie française, l'État pour qu'il participe à l'alimentation de ce fonds. Notre président Édouard Fritch a transmis ce courrier à l'État il y a quelques jours. Par ailleurs, j'ai rencontré il y a quelques mois Jean-Baptiste Djebbari, ministre des transports alors en fonction, pour lui demander si l'État pouvait nous accompagner afin que nous puissions agir davantage pour une baisse tarifaire sur les destinations très éloignées de Papeete. Je tenais donc, Monsieur le président, mesdames et messieurs, à vous informer de cette démarche, qui participe, selon nous, dans le cadre de cette DSP, à la continuité territoriale.

Mme Micheline Jacques, présidente. - Je vous remercie Monsieur le ministre, pour vos propos très complets et très éclairants. Je cède la parole à Monsieur Marc Houalla, directeur de l'aviation civile en Polynésie française.

M. Marc Houalla, directeur du SEAC en Polynésie française. - Mesdames et Messieurs les sénateurs, Monsieur le ministre, Messieurs les directeurs des compagnies aériennes, Mesdames et Messieurs, je tiens d'abord à vous remercier, et particulièrement à remercier la Délégation sénatoriale aux outre-mer pour son invitation à participer à cette table ronde consacrée à la continuité territoriale entre l'Hexagone et la Polynésie française. Je suis en compagnie de Charles Peretti, directeur adjoint du SEAC Polynésie française.

Je vous rappelle brièvement les missions du SEAC en Polynésie française. Notre rôle est triple, puisque nous exerçons les prérogatives de l'Autorité de surveillance en matière de sécurité aérienne et de sûreté pour l'ensemble de la Polynésie française. Nous veillons également à ce que les opérateurs de l'écosystème aéronautique respectent et appliquent la réglementation en matière de sécurité et de sûreté et nous les accompagnons dans les éventuelles actions correctives qu'ils doivent mettre en oeuvre. Par ailleurs, je représente le Haut-commissaire ainsi que le directeur de l'aviation civile pour les missions régaliennes dans ce domaine, notamment en matière de sûreté, d'environnement et d'obligations économiques dans l'accompagnement de la filière aéronautique. Enfin, et c'est une particularité propre à la Polynésie française, le SEAC Polynésie française est également chargé des services du contrôle aérien.

Je vous propose de présenter quelques éléments du contexte aérien entre la zone Polynésie française et l'Hexagone. Ensuite, je partagerai avec vous une description rapide des infrastructures existantes et je vous décrirai la perception que nous avons de l'offre actuelle des transports ainsi que des tarifs appliqués.

S'agissant des infrastructures aéroportuaires et leurs trafics, la Polynésie française dispose d'un aéroport international et un maillage extraordinaire de 46 aéroports commerciaux domestiques pour un territoire de la taille de l'Europe. Ces infrastructures sont stratégiques pour la collectivité et le territoire et garantissent la continuité territoriale entre l'Hexagone et nos îles.

En termes de trafic, l'année 2022 a connu une forte reprise du trafic, bien au-delà des attentes. Cette hausse a été principalement portée par une augmentation des liaisons : Air France et United Airlines sont passées de 3 à 5 liaisons hebdomadaires, arrivée de Delta Air Lines avec 3 liaisons hebdomadaires entre Papeete et Los Angeles et une nouvelle desserte d'Air Tahiti Nui vers Seattle.

Je vous propose une description rapide du paysage concurrentiel et je vous communiquerai quelques chiffres sur l'évolution de l'offre de sièges et les fréquences en distinguant le trafic entre Papeete et l'Hexagone, et entre Papeete et les territoires de la Polynésie française.

S'agissant de la liaison Papeete/Hexagone, 3 compagnies aériennes (Air Tahiti Nui, Air France et French Bee) proposent des vols entre Tahiti et Paris avec une saine concurrence : 11 fréquences hebdomadaires entre Papeete et Paris, soit 4 400 sièges par semaine (Air France propose 5 fréquences, Air Tahiti Nui 4 fréquences et French Bee 2 fréquences). Je souligne que l'offre actuelle est supérieure à la période pré-Covid (9 fréquences en 2019). Le rebond du trafic aérien est donc très favorable et bénéfique aux Polynésiens.

À cette offre entre Papeete et Paris, il faut ajouter le renforcement de la ligne entre Papeete et Los Angeles avec l'arrivée de United Airlines et de Delta Air Lines qui permettent de déposer, via Los Angeles et San Francisco, des passagers entre Papeete et Paris.

Concernant le trafic entre Papeete et les territoires de la Polynésie française, 12 aéroports appartiennent au secteur de la libre concurrence et 34 autres sont desservis à travers une DSP du pays. La compagnie Air Tahiti est attributaire de la DSP financée par le Pays à hauteur de quelque 10 millions d'euros. Sur la zone de libre concurrence, Air Tahiti sera désormais en compétition avec Air Moana à partir de février 2023 et, potentiellement au cours de l'année 2023, avec Motu Link Airline. Cette compagnie a, en effet, déposé une demande de certificat de transporteur aérien auprès de nos services. Ainsi, sur le segment le plus porteur et le plus concurrentiel, trois compagnies pourraient opérer dans les prochains mois contre une seule aujourd'hui.

Sur le segment Papeete/territoire de la Polynésie française, le trafic domestique a rapidement retrouvé un niveau proche de celui de 2019 dès le début de l'année 2022, notamment grâce à des incitations financières favorables du pays à destination des populations locales. Le trafic domestique était en 2019 de 750 000 passagers, en 2020 de 420 000 passagers et en 2021 de 518 000 passagers. En 2022, il devrait être supérieur à celui de 2019.

S'agissant des tarifs, la liberté tarifaire est la règle pour les transporteurs entre l'Hexagone et les territoires ultramarins. Sous certaines conditions, des aménagements tarifaires sont cependant possibles en droit européen. Ces conditions sont notamment liées à l'obligation de service public prévue par le droit européen. De telles obligations ont déjà été fixées pour les liaisons entre l'Hexagone et les régions ultrapériphériques. Elles prévoient en particulier des réductions tarifaires obligatoires pour les mineurs, les étudiants, les personnes endeuillées et des évacuations sanitaires. La concurrence effective sur les liaisons vers Tahiti et la difficulté à démontrer des besoins vitaux pour le développement économique et social de ces territoires font que le cadre juridique européen ne permet pas de justifier la proportionnalité d'une mesure imposant des prix maximum, si une extension des contraintes tarifaires actuelles devait être envisagée sur ces liaisons.

En l'occurrence, ces besoins vitaux qui sont réels, telles la formation ou la santé, sont bien pris en compte par les aides sociales instaurées dans le cadre de la continuité territoriale. Ainsi, pour un billet aller/retour, la part de la continuité territoriale est d'environ 40 % et pour un aller simple, les données du Haut-Commissariat font état d'une aide représentant 80 % à 90 % du prix. Cette part peut évoluer selon le choix de la compagnie aérienne et la saisonnalité. L'enveloppe annuelle allouée pour financer ces dispositifs du fonds de continuité territoriale en Polynésie française s'élève à 1,1 million d'euros. Sur l'exercice budgétaire 2022, le pôle de continuité territoriale du Haut-Commissariat a consommé 100 % des crédits en Polynésie française, notamment pour les jeunes en formation et les étudiants. Toutefois, afin de compenser la hausse inéluctable du prix du billet d'avion et de contribuer au pouvoir d'achat des résidents ultramarins, le ministère délégué aux outre-mer souhaite apporter en 2023, une évolution à la politique nationale en matière de continuité territoriale via une revalorisation du montant forfaitaire de cette aide à hauteur de 935 euros contre 635 euros actuellement par voyageur. Les conditions d'éligibilité à cette aide restent identiques.

Concernant l'évolution des prix, les compagnies aériennes restent les mieux placées pour transmettre des informations détaillées sur leur politique tarifaire. Cependant, je me permets de vous transmettre quelques éléments de contexte pour comprendre la construction des prix. S'agissant des coûts, ils peuvent être très variables en fonction de la taille de la compagnie et du type de routes exploitées et des services proposés. Néanmoins, la part prépondérante du coût du carburant, de la masse salariale et des taxes et redevances est une constante. Or, tous ces éléments ont augmenté et la parité euro/dollar pèse également dans un secteur où toutes les transactions s'effectuent en dollar.

Par ailleurs, un autre élément influence fortement la construction des prix : l'utilisation par les compagnies de techniques de gestion de la recette qui conduisent, pour un même vol, à proposer une multitude de tarifs pour, d'une part, répondre aux attentes et contraintes des voyageurs et d'autre part, optimiser les recettes. Ainsi, les tarifs varient en fonction de la classe de voyage, de la date de réservation, de la durée du séjour, des conditions d'échange, etc. Si hausse des billets il y a eu, et très sincèrement nous ne l'avons pas perçu, elle peut s'expliquer par une série de facteurs propres à l'ensemble du transport aérien, à la hausse générale des coûts liés à l'inflation et la parité euro/dollar. Les transporteurs devant faire face à l'augmentation de leurs coûts d'exploitation et disposant d'une trésorerie fragilisée par la crise sanitaire, ils sont contraints de reporter, en partie au moins, toute hausse sur le prix des billets. Si une hausse des prix s'est produite en 2022, ce qui n'est pas démontré, elle relève davantage d'un effet de rattrapage, car la tendance sur les dix dernières années montre plutôt une baisse des tarifs. Cependant, ces moyennes annuelles ne doivent pas occulter la forte saisonnalité des prix, notamment lors des pics de trafic de la période estivale et des fêtes de fin d'année.

En conclusion, un paysage concurrentiel est présent pour les liaisons entre l'Hexagone et la Polynésie française. Cette concurrence a contribué à augmenter l'offre de sièges et les fréquences de vols ainsi qu'à amortir la hausse des coûts d'exploitation des compagnies aériennes. Les tarifs actuels sont ainsi sensiblement équivalents à ceux de 2019, bien qu'ils soient, comme partout ailleurs, soumis à une forte saisonnalité.

Mme Micheline Jacques, présidente. - Je vous remercie Monsieur Houalla. Je cède la parole à Monsieur Manate Vivish, directeur général d'Air Tahiti.

M. Manate Vivish, directeur général d'Air Tahiti. - Je ne suis pas directement concerné par les interrogations que vous avez, Air Tahiti étant une compagnie aérienne domestique. Cependant, quelques questions revêtent un intérêt particulier pour Air Tahiti et je m'associe à la description partagée par le vice-président Jean-Christophe Bouissou au sujet des dispositifs mis en place par la Polynésie française à travers les DSP.

Air Tahiti réalise la desserte de l'ensemble des destinations polynésiennes, au nombre de 46. Cette activité était rendue possible grâce à un système de péréquation interne qui nous permettait de compenser les pertes sur certaines lignes grâce à une politique tarifaire pratiquée sur les lignes excédentaires et principalement touristiques comme les îles Sous-le-Vent et notamment Bora-Bora. Ce système a été mis à mal par la crise du Covid, puisque les touristes ne se rendaient plus en Polynésie française. De fait, la compagnie n'a plus été en mesure de compenser ses pertes. Elle s'est donc tournée vers le Gouvernement afin d'étudier la mise en place de solutions. Le pays a agi rapidement en créant deux DSP que le vice-président a évoquées. Ces DSP permettent de contribuer à la desserte des destinations éloignées et à faible population à hauteur de 10 millions d'euros. En dehors de ce dispositif, financé par une contribution payée par tous les passagers, il n'existe pas d'aide particulière aujourd'hui pour les dessertes entre les îles et Tahiti.

Le prix du carburant a plus que doublé sur l'exercice 2022, jusqu'à une augmentation de 104 % sur la période. L'effet de la parité euro/dollar a également beaucoup pesé sur nos marges et sur le prix du carburant qui se négocie en dollar. Le taux du dollar a également fortement impacté les coûts de maintenance de la compagnie. En revanche, cette parité a favorisé la venue de touristes américains en 2022.

Concernant les taxes perçues sur le prix des billets, elles sont variables en fonction de la valeur absolue du prix des billets. En moyenne, elles varient de 10 à 25 % du prix du billet sur les lignes domestiques. En termes de politique tarifaire, nous avons décidé en 2022 de ne pas répercuter les coûts liés à l'inflation sur le prix du billet, alors qu'ils ont été particulièrement sévères en Polynésie française, puisque la hausse du volume du trafic nous a permis de compenser l'augmentation de nos charges. Les tarifs pratiqués en 2022 ont même baissé.

Voilà, en quelques mots, les informations que je pouvais vous communiquer en complément de celles partagées par les précédents intervenants.

Mme Micheline Jacques, présidente. - Je vous remercie Monsieur le directeur. Je cède la parole à Monsieur Michel Monvoisin, président-directeur général d'Air Tahiti Nui.

M. Michel Monvoisin, président-directeur général d'Air Tahiti Nui. - En introduction, je souhaite vous présenter Air Tahiti Nui qui dessert des liaisons internationales. Air Tahiti Nui est une société d'économie mixte détenue à 85 % par la collectivité locale. Nous desservons principalement la métropole via des vols directs vers Los Angeles. Depuis peu, nous desservons également Seattle et dans quelques mois nous ouvrirons des vols vers l'aéroport Charles-de-Gaulle depuis cette ville. Le Pacifique est bien couvert grâce à notre liaison vers Auckland avec des accords qui nous permettent de proposer des billets vers l'Australie. Par ailleurs, via le hub Asie et Narita, nous desservons Papeete. Cette route qui a été fermée durant la crise sanitaire devrait rouvrir en octobre 2023.

S'agissant des questions d'ordre général, notre vice-président et Marc Houalla ont déjà répondu à vos interrogations. Je peux cependant compléter leurs propos au sujet de l'offre de transport aérien. Je précise que ce sujet a particulièrement intéressé l'Association internationale du transport aérien (IATA) car elle a été très surprise de la croissance du trafic sur notre territoire qui constitue, selon elle, un record mondial après Covid. French Bee et United Airlines ont généré à elles seules 30 % de croissance. Ainsi, en 2022, l'augmentation de l'offre en sièges après le Covid s'élève à 39 %. Cette concurrence et cette surcapacité ont dû être absorbées et permettent de transporter quelque 650 000 passagers annuellement, parmi eux quelque 50 000 Polynésiens voyagent chaque année, sur les 300 000 habitants de l'archipel.

La capacité d'accueil du territoire est de l'ordre de 280 000 touristes. Mécaniquement, cette surcapacité de sièges entraîne une guerre des prix notamment en classe économique. Les tarifs affichés par certains de nos concurrents sur la ligne Los Angeles/Papeete sont d'environ 450 dollars aller/retour, ce qui équivaut à peu près à un Paris/Nice. Cependant, l'offre aérienne subit la carence de l'offre d'accueil. Malgré la stimulation par les prix, cette situation aboutit à une impossibilité de vente puisque les touristes, qui représentent 75 % des passagers en cabine, ne peuvent se loger sur place.

Comme vous, j'ai lu récemment l'étude publiée par l'agrégateur MisterFly au sujet de l'augmentation des tarifs aériens vers les départements d'outre-mer. Cette étude constate des hausses tarifaires au départ de la métropole de l'ordre de 20 à 40 %. L'originalité de la Polynésie française est qu'elle enregistre une baisse de 2 % sur un trajet Papeete/Paris par rapport à 2013. Dans ce contexte de forte concurrence, Air Tahiti Nui n'a pas pu, malgré des tentatives, répercuter la hausse du prix du carburant, qui représente 33 % de nos charges, sur le prix des billets qui sont, du fait de la forte saisonnalité, structurés en fonction de l'offre et de la demande. À titre d'exemple, pour un vol Paris/Papeete, les taxes représentent entre 7 et 10 % et le carburant 15 %. Le reste constitue le tarif de base qui varie en fonction de l'offre et de la demande. Malgré les hausses et les baisses qui se succèdent, le prix du kérosène reste élevé. Le Jet Kérosène Singapour (JKS) a oscillé entre 110 et 130 dollars le baril. Dans ce contexte, une baisse des billets d'avion n'est pas envisageable.

S'agissant du tarif fixe, l'effet de saisonnalité nous empêche de pratiquer cette politique de vente. À cet égard, je note que le modèle corse est très particulier. Je salue cependant l'annonce de Marc Houalla pour favoriser la continuité territoriale. Nos clients utilisent beaucoup ce dispositif dans le cadre de la convention que nous avons signée avec l'État. Toutefois, à notre niveau, la majeure partie de notre clientèle étant touristique, cette mesure ne concourt pas à rééquilibrer nos liaisons. Aujourd'hui, pour une compagnie comme la nôtre, le challenge se situe d'abord au niveau de la concurrence et de l'offre d'accueil qui n'est pas en adéquation avec l'offre en sièges.

Je reste à votre disposition pour répondre à vos questions.

Mme Micheline Jacques, présidente. - Je vous remercie Monsieur le président-directeur général. Je cède la parole à nos deux rapporteurs Catherine Conconne et Guillaume Chevrollier.

Mme Catherine Conconne, rapporteure. - Si je comprends bien, l'octroi d'une aide à la continuité territoriale vers l'Hexagone est soumise à conditions en fonction de critères sociaux et du statut des passagers. Envisagez-vous un moyen qui permettrait d'aller au-delà de ces critères et un accompagnement de la collectivité de Polynésie pour augmenter l'apport à l'achat d'un billet d'avion ? Par ailleurs, les compagnies aériennes indiquent qu'elles n'ont pas répercuté la hausse du carburant sur le prix du billet. Je souhaite donc connaître la pérennité de ce système alors que la part du carburant est essentielle dans la composition du prix qui, pourtant, n'a pas augmenté.

M. Guillaume Chevrollier, rapporteur. - Merci Madame la vice-présidente. Chers collègues, Mesdames et Messieurs, je vous remercie pour vos interventions très complètes.

Dans le prolongement des questions de Catherine Conconne, considérez-vous que les dispositifs sont suffisamment identifiés par les habitants du territoire polynésien ? Par ailleurs, les 20 % des Polynésiens qui voyagent sur les lignes sont-ils des habitués ou notez-vous un renouvellement ? Pour les personnes ayant besoin d'accéder à des services de santé, les aides sont-elles cumulatives ? J'ai noté que les compagnies aériennes font état de prix particulièrement bas dû à une forte concurrence. Quelles sont les marges et la rentabilité de vos sociétés dans ce contexte ?

Mme Micheline Jacques, présidente. - Avant de céder la parole aux intervenants, la sénatrice Lana Tetuanui souhaite intervenir.

Mme Lana Tetuanui. - Je suis contrainte à une certaine réserve car je suis la rapporteure de la mission sur Air Tahiti. Cependant, je suis farouchement attachée à la notion de continuité territoriale depuis le lieu de résidence des Polynésiens. Cette continuité ne peut pas se limiter, en effet, au trajet entre Papeete et Paris. Elle doit également être étendue aux déplacements inter-îles. Il n'est pas acceptable qu'un habitant des îles Marquises débourse 650 euros aller/retour pour se rendre à Papeete. Dans ce contexte, j'espère que les travaux de la délégation porteront leurs fruits.

Mme Micheline Jacques, présidente. - Je vous rejoins sur la notion de continuité territoriale inter-îles. Il faut sans doute vivre dans des archipels comme les nôtres pour mesurer les difficultés.

Monsieur le ministre, vous avez évoqué l'importance d'internet pour accéder aux services administratifs, pensez-vous que la continuité numérique serait une solution pour bénéficier de la formation professionnelle et de la télémédecine pour tous ?

M. Jean-Christophe Bouissou. - Merci pour vos questions qui sont très pertinentes dans le contexte polynésien.

Je réponds à la question de Madame Catherine Conconne. Il existe, en effet, un plafond de revenus pour bénéficier de l'aide à la continuité territoriale. Il revient à l'État de fixer les plafonds. Actuellement, une personne qui perçoit moins de 1 200 euros par mois est éligible à cette aide. L'aide du passeport mobilité est accordée à toute personne ayant un revenu de moins de 26 000 euros par an. Comme je l'ai évoqué, la Polynésie française a souhaité augmenter cette contribution allouée par l'État. Cette délibération du gouvernement polynésien a fait l'objet d'un recours devant le Conseil d'État qui a jugé qu'il n'était pas dans la compétence du Pays de financer le fonds de continuité territoriale -- peut-être faudrait-il lancer une analyse juridique des statuts de la Polynésie française de 2004, qui évidemment ont évolué depuis, pour identifier les dispositions qui permettraient cette participation.

J'ai évoqué également le souhait de la Polynésie française de voir l'État nous accompagner sur le financement de la continuité territoriale intérieure pour agir sur la baisse des prix. C'est une discussion que nous devons avoir avec l'État. De la même manière, et si la réglementation le permet, il nous faut envisager comment le Pays, à l'avenir, pourrait renforcer les dispositifs de continuité territoriale. Nous devons également examiner les besoins de la prise en charge, car le budget étant entièrement consommé, les demandes sont très certainement supérieures à notre capacité actuelle. Ce constat appelle également à renforcer les effectifs du pôle territorial local.

Pour répondre à Monsieur le rapporteur Guillaume Chevrollier, je confirme que ces dispositifs sont parfaitement identifiés des Polynésiens. Nos services sont très souvent sollicités, notamment dans le cadre d'accompagnements à la formation professionnelle et du passeport mobilité. Ces dispositifs sont donc connus et utilisés par les Polynésiens pour se former, étudier, passer des concours ou effectuer un stage.

Pour répondre aussi à Madame Micheline Jacques, internet peut, bien entendu, participer à la formation. Plusieurs dispositifs de ce type existent déjà. Je pense notamment à la formation des pompiers des plateformes aéroportuaires qui est dispensée depuis Toulouse. Cet outil permet donc de se former sans se déplacer en métropole ou dans les îles. Par ailleurs, le Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) et l'université de la Polynésie française dispensent également des cours en ligne et en direct. Ces dispositifs sont développés grâce au déploiement du réseau numérique à très haut débit dans la plupart des îles et du haut débit via des relais hertziens pour les îles les plus éloignées.

S'agissant de la télémédecine, elle est également en place. Nous souhaitons cependant aller plus loin en développement le dispositif des « valises médicales » capables de transmettre des données aux médecins. Nous avons formé les infirmières et aides-soignantes à l'utilisation de ces valises.

Je souhaite revenir sur la question de la sénatrice Lana Tetuanui. Un tiers de la population vit dans les îles Sous-le-Vent, Tuamotu, Marquises et Australes. Ces habitants utilisent l'avion et règlent leur billet dans le cadre de la DSP (si leur aéroport est concerné par cette DSP), et s'ils se rendent à Papeete. Ce dispositif ne fonctionne pas, en effet, sur des trajets inter-îles. Dans ce contexte, le déploiement de la continuité territoriale sur l'ensemble de la Polynésie française serait une réelle avancée pour les Polynésiens.

Mme Micheline Jacques, présidente. - Je vous remercie Monsieur le vice-président. Je cède la parole à Catherine Conconne.

Mme Catherine Conconne, rapporteure. - Pour rassurer tout le monde, et en particulier Lana Tetuanui, je souligne que les différents rapports du Sénat sont fréquemment utilisés et inspirent la construction de politiques publiques extrêmement concrètes. Pour l'instant, nous en sommes au stade de l'investigation et nous devons identifier tous les dispositifs mis en oeuvre dans les outre-mer. À cet égard, je remercie les services du Sénat qui nous ont transmis hier, 30 janvier, un excellent travail comparatif des dispositifs en cours dans les RUP et dans d'autres pays européens comme l'Espagne ou le Portugal.

Je suis convaincue que nous allons prendre part à une « petite révolution » en matière de continuité territoriale. Ce chantier a été ouvert avec la Corse qui bénéficie aujourd'hui d'un système « idyllique », totalement pris en charge par l'État à hauteur de 200 millions d'euros et pour une population équivalente à celle de la Martinique. Cependant, nous devons rester réalistes et conscients des contraintes budgétaires dans lesquelles nous évoluons. Le bassin atlantique est également très concerné par les problématiques de continuité territoriale. Même si ce territoire est plus modeste que celui de la Polynésie française, il n'empêche que les habitants de Saint-Barthélemy doivent transiter par la Guadeloupe ou Saint-Martin afin de rejoindre Paris. La Guadeloupe a également mis en place des DSP avec des transporteurs maritimes pour assurer les déplacements des habitants vivant sur La Désirade et Marie-Galante, alors que ces petites îles ne possèdent pas de lycée. La Guyane est également un pays immense avec les populations autochtones très isolées et qui doivent également se déplacer.

Je vous remercie pour toutes vos questions et pour les réponses qui ont été apportées par les intervenants. En revanche, je ne crois pas avoir obtenu de réponse au sujet du non-report sur le prix des billets de la hausse du coût du carburant.

Mme Micheline Jacques, présidente. - Monsieur Houalla, avez-vous des réponses à apporter à ce sujet ?

M. Marc Houalla. - Je pense que tout a été dit sur la partie des subventions qui contribuent à la continuité territoriale. Il me semble que les compagnies aériennes sont plus à même de répondre à la question de Madame la sénatrice.

Mme Micheline Jacques, présidente. - Je vous remercie. Je cède la parole à Monsieur Manate Vivish.

M. Manate Vivish. - Concernant l'augmentation du carburant, je précise que notre compagnie utilise des avions de transport régional (ATR). Ces avions sont les plus économiques au regard du nombre de sièges offerts. Pour Air Tahiti, les charges de carburants sont de l'ordre de 10 à 13 % des charges totales de la compagnie. Par ailleurs, durant la crise sanitaire, nous avons réalisé énormément d'économies et nous avons effectué un gros travail sur nos charges. Dans ce contexte, nous avons pu absorber la hausse du prix en misant également sur une hausse de l'activité dès 2022 qui s'est effectivement réalisée. Air Tahiti a terminé l'année 2022 en équilibre et a dégagé une marge très raisonnable.

Je rebondis sur les propos de notre vice-président au sujet de la continuité territoriale pour souligner combien cette notion est importante en Polynésie française. À titre d'exemple, un Polynésien vivant aux îles Marquises qui souhaite se rendre à Papeete équivaut pour un Francilien à un déplacement entre Paris et Stockholm. Par ailleurs, les Polynésiens n'ont pas d'autre solution que l'avion pour se déplacer à travers cet immense territoire. Pour les îles éloignées et à faible population, l'affrètement d'un avion, même de type ATR, engendre un coût important au regard du nombre de passagers et expose la clientèle locale insulaire à des coûts de transport relativement élevés au regard du contexte économique de la Polynésie. De mon point de vue, il y aurait un réel intérêt que l'État contribue au fonds de péréquation mis en place par le Pays afin notamment de soulager, en partie, les passagers du paiement de cette contribution et de participer ainsi au désenclavement des îles.

Mme Micheline Jacques, présidente. - Je vous remercie. Je cède la parole à Michel Monvoisin pour répondre à la rapporteure Catherine Conconne. Il sera le dernier intervenant de notre table ronde.

M. Michel Monvoisin. - Au préalable, je précise que Delta Air Lines et Air France sont en co-entreprise sur les lignes transatlantiques, mais également sur la destination Los Angeles/Papeete. Les deux compagnies partagent donc les recettes et les charges. Dans le cadre d'une immunité antitrust, elles négocient et fixent ensemble les tarifs. Aujourd'hui, le couple Delta Air Lines/Air France dispose de 8 fréquences. Par ailleurs, je rappelle que les États ont soutenu massivement leur compagnie nationale. Or cette manne n'a pas été contrôlée. Aujourd'hui, elle permet à ces compagnies d'avoir une stratégie de surcapacité et de placer leurs avions partout ou presque. Cette stratégie concurrentielle asphyxie les petites compagnies.

S'agissant de la non-répercussion de la hausse du carburant sur le prix du billet, elle est également due à l'effet de cette concurrence. Par ailleurs, nous avons travaillé sur la réduction de nos charges. Air Tahiti Nui a mis en place un plan de départ et s'est séparé de 20 % de son personnel durant la crise du Covid et depuis nous recrutons « au compte-gouttes ». Le personnel produit des efforts colossaux et a consenti une baisse de salaire de moins 5 % jusqu'à fin 2023 dans le cadre d'un protocole d'accord signé avec les personnels lors de la crise du Covid. Pour amoindrir l'effet de l'inflation, nous avons augmenté les salaires de 1,5 %, quand les autres compagnies octroyaient jusqu'à 5 % de compensation. Nous avons dialogué avec les représentants du personnel pour leur faire part de cette situation critique. Après le carburant, le second poste de charge est la masse salariale. Par ailleurs, nous tentons de négocier avec nos prestataires, ce qui n'est pas le plus simple, car ils augmentent les tarifs et sélectionnent désormais les compagnies avec lesquelles ils souhaitent travailler. Globalement, notre comptabilité se dégrade et nous enregistrons également une forte dégradation de notre rentabilité. Nous affichons une marge négative en 2022 et il en sera probablement de même en 2023. En tant que société d'économie mixte (SEM), nous recevons des subventions d'équilibre si un exercice est déficitaire. Nous avons également bénéficié du reversement total du prêt garanti par l'État (PGE) versé à la collectivité locale et d'autres aides versées par l'État au moment de la crise sanitaire. Air Tahiti Nui est entrée dans la crise avec six mois d'avance de trésorerie, les différentes aides et notre stratégie n'ont pas entamé cette trésorerie qui nous permet de tenir pour l'instant. Cependant, il est clair que le non-report de la hausse du carburant a absorbé la performance de la compagnie.

Mme Micheline Jacques, présidente. - Je vous remercie. Je cède la parole au président Artano pour sa conclusion.

Mme Catherine Conconne, rapporteure. - Au préalable, je souhaiterais connaître le statut des 46 aéroports domestiques, appartiennent-ils tous à la collectivité ? Par ailleurs, parmi les passagers, quelle est la part des autochtones et des touristes ?

M. Marc Houalla. - L'ensemble des aéroports appartient au pays, excepté l'aéroport international de Tahiti Faa'a.

M. Jean-Christophe Bouissou. - Je précise que la gestion des trois aéroports, Bora-Bora, Raiatea et Rangiroa, qui ont des trafics importants, a été transférée à Tahiti Faa'a. Cependant, ils restent sous le mandat d'Aéroport de Tahiti pour le compte du Pays dans le cadre d'une autorisation d'occupation temporaire (AOT).

S'agissant de la répartition entre les voyageurs polynésiens et internationaux, je confirme la tendance donnée par Michel Monvoisin, soit environ un tiers de Polynésiens et deux tiers de passagers internationaux.

Mme Micheline Jacques, présidente. - Merci Monsieur le ministre pour ces précisions. Je cède la parole au président Stéphane Artano.

M. Stéphane Artano, président. - Merci chère Micheline d'avoir animé cette audition très riche. Je remercie également les participants et les participantes pour leurs apports respectifs et leurs questionnements.

Je tiens également à rassurer notre collègue Lana Tetuanui sur la portée des rapports du Sénat, comme l'a rappelé Catherine Conconne. Ces rapports sont désormais soumis à la nouvelle procédure mise en oeuvre par le Sénat relative au suivi des recommandations. Ce rapport d'information bénéficiera du même dispositif et notre principal souci est que ses préconisations soient traduites de manière opérationnelle.

Je vous remercie.

Jeudi 2 février 2023

Continuité territoriale entre l'Hexagone et l'outre-mer - Table ronde sur le dispositif applicable à la Nouvelle-Calédonie et à Wallis-et-Futuna

M. Stéphane Artano, président. - Nous poursuivons nos travaux sur la continuité territoriale, dont les rapporteurs sont Guillaume Chevrollier et Catherine Conconne. J'excuse Catherine Conconne, qui a un problème de connexion. Nous examinons ce matin la situation en Nouvelle-Calédonie et à Wallis-et-Futuna.

Étant actuellement à Saint-Pierre-et-Miquelon, je participe à cette réunion en visio-conférence et je vous prie de m'en excuser. Je laisserai donc notre vice-présidente, Micheline Jacques, présider notre réunion. Je salue chaleureusement chacun de nos invités, en les remerciant pour leur disponibilité. Je précise que notre temps est contraint, car nous avons une réunion dans une heure et demie en commun avec la délégation aux droits des femmes.

- Présidence de Mme Micheline Jacques, vice-présidente -

M. Munipoese Muli'aka'aka, président de l'Assemblée territoriale de Wallis-et-Futuna. - Nous vous saluons chaleureusement. L'offre de transports aériens est-elle suffisante à Wallis-et-Futuna, et a-t-elle évolué ? Depuis 1984, Air Calédonie détient le monopole de la desserte sur Wallis-et-Futuna, assurant désormais deux vols hebdomadaires dans un Airbus A320 disposant de 168 sièges et d'une autonomie en vol de 7 h 30, qui dessert uniquement la Nouvelle-Calédonie. Si cette fréquence est correcte, la politique consistant à laisser des places vacantes se répercute sur le prix du billet. Surtout, les voyageurs n'ont pas d'autre choix que de passer par la Nouvelle-Calédonie pour se rendre à l'international, avec le coût du billet mais aussi celui de l'hébergement sur place pendant le transit ; l'alternative est d'emprunter le vol hebdomadaire pour les Fidji, moins cher, mais qui nécessite de disposer d'un schéma vaccinal complet. L'organisation elle-même, en deux saisons, rend les réservations fiables, certaines compagnies commercialisant les vols onze mois à l'avance. Cependant, le prix du billet reste trop élevé et a même augmenté depuis la fin de la crise sanitaire : il peut atteindre 4 000 euros l'aller simple Wallis-Paris.

Nous répondrons par écrit aux autres questions que vous nous avez fait parvenir.

M. Marc Coutel, secrétaire général de la préfecture de Wallis-et-Futuna. - Merci pour votre invitation. La position géographique de Wallis-et-Futuna, très éloignée de l'Hexagone, nous place en bout de chaîne et nous expose à des prix très élevés pour les transports de voyageurs comme pour le fret, dans un contexte de hausse des prix que nous ne maîtrisons pas. L'État fait un effort particulier au titre de la continuité territoriale, en application du principe d'indivisibilité de la République ; les trois aides intervenant à ce titre mobilisent 3,5 millions d'euros par an, c'est substantiel et il serait difficile d'aller plus loin - et nous sommes contraints par les infrastructures de transport. Les règles d'intervention nous ont empêchés de suivre l'enchérissement rapide du coût des billets, il semble que le projet de loi de finances pour 2023 réserve des moyens supplémentaires - de l'ordre de 5 à 6 millions d'euros - pour y aider davantage, c'est une très bonne chose. L'aide à la continuité territoriale devrait être réévaluée et dépasser les 856 euros forfaitaires actuels. En tout état de cause, notre position géographique explique pour beaucoup la disparité des coûts que nous constatons avec la Nouvelle-Calédonie, quand bien même nous disposons des mêmes dispositifs d'intervention et de soutien.

M. Dominique Tarjon, directeur du service d'État de l'aviation civile de Wallis8et8Futuna (SEAC-WF). - Les aérodromes de Wallis et de Futuna sont les deux derniers aérodromes civils français à être gérés en régie par l'État. Ils sont soumis à la réglementation européenne, donc seules les compagnies aériennes qui répondent à cette réglementation, peuvent y poser des avions. Cette particularité crée une forme d'îlot dans l'environnement aérien du Pacifique, créant une sorte de frontière qui sépare Wallis-et-Futuna du reste du Pacifique sud. J'étais antérieurement en poste en Guyane où j'ai pu constater la même chose : l'aéroport de Cayenne n'est relié à aucun aéroport du continent sud-américain, alors que certains de ces aéroports sont les hubs d'accès au reste du monde. Cette situation ne favorise certainement pas la concurrence.

Mme Viviane Arhou, conseillère auprès du Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, chargée des transports. - Je vous adresse nos salutations et vous remercie. La continuité territoriale est transversale, c'est un sujet aussi bien entre les îles de la Nouvelle-Calédonie, qu'entre celles-ci et l'Hexagone - c'est un sujet majeur, avec une dimension domestique et internationale. Nous avons engagé des réflexions pour améliorer le fonctionnement des règles actuelles, nous répondrons par écrit à vos questions.

Thomas Bertin, adjoint au directeur de l'aviation civile de la Nouvelle-Calédonie. - Effectivement, il faut bien voir qu'il y a deux types de continuité territoriale, celle qui est aidée par l'État, qui couvre les liens avec l'Hexagone, et celle qui est aidée par la collectivité de la Nouvelle-Calédonie, qui concerne les liens domestiques, à l'intérieur de la Nouvelle-Calédonie. L'offre de transport vers la métropole consiste en une desserte quotidienne entre Nouméa et Paris par Aircalin, et par des compagnies australiennes. L'organisation de la continuité territoriale passe par une aide à l'achat de billets, sur critères de ressources, et à des publics particuliers comme les chercheurs et les sportifs, selon les événements auxquels ils sont liés. Des aides sont aussi mises en place pour les étudiants quand la formation n'est pas offerte en Nouvelle-Calédonie.

M. Zoran Jelkic, directeur général long-courrier d'Air France-KLM. - La crise sanitaire a eu impact lourd sur le secteur aérien et s'est traduite par un coût de 11 milliards d'euros dans le bilan financier d'Air France-KLM. Le groupe s'est engagé à regagner sa compétitivité, en contrepartie d'une aide massive accordée par l'État. La transformation est en cours, elle passe par quelque 7 000 départs de salariés, qui se déroulent dans un climat apaisé. Les résultats économiques sont positifs puisque nous avons retrouvé un haut niveau d'activité au dernier trimestre 2022, mais nous restons lestés par une dette de 6 milliards d'euros qu'il nous faut rembourser.

Air France joue un rôle clé dans la desserte de la Nouvelle-Calédonie depuis 75 ans ; nous assurons une desserte quotidienne via le Japon, que nous avons maintenue - à raison de trois vols hebdomadaires - pendant la crise sanitaire malgré la fermeture du Japon, ce qui a maintenu le lien et l'acheminement de matériel médical vital pour la Nouvelle-Calédonie. Nous sommes revenus à une desserte quotidienne, mais l'interdiction de survol du territoire russe nous oblige à rallonger les vols. C'est pourquoi nous avons lancé une desserte via Singapour quatre fois par semaine, à quoi nous ajoutons deux vols hebdomadaires pour connecter avec Aircalin et maximiser ainsi le nombre de sièges disponibles - ce partenariat qui nous parait le plus pertinent pour la ligne, porte aussi sur la maintenance et sur le fret. Le temps de vol depuis Paris s'établit entre 22 et 24 heures selon le sens, c'est trois fois plus long que pour les Antilles. Ce marché est ouvert, il n'y a pas de barrière à l'entrée. Nous faisons face à une pression inflationniste, mais la hausse est plus mesurée sur la Nouvelle-Calédonie que sur d'autres destinations asiatiques.

M. Didier Tappero, directeur général d'Aircalin. - Des éléments de contexte viennent d'être donnés : nous sortons d'une crise sans précédent, qui a mis à mal les finances de toutes ces compagnies aériennes et provoqué un endettement majeur. Cependant, Aircalin a continué d'opérer sur Wallis-et-Futuna et la Nouvelle-Calédonie, d'y acheminer du fret et des passagers. Nous faisons face à de nombreuses charges très inflationnistes, y compris le carburant, qui a augmenté de 32 % en octobre dernier, avant de baisser un peu. Au total, la hausse avoisine les 20 % en moyenne et il faut compter avec les effets de change puisque nous payons les carburants en dollar. Il faut bien voir que Wallis est plus éloigné de Paris que la Polynésie française. Le passage par Singapour fait gagner du temps, nous avons l'ambition d'en faire notre axe principal. Nous maintenons donc notre programme sur Wallis-et-Futuna, comme nous le projetions en 2019, avant la crise sanitaire. Il est vrai que nous ne remplissons pas nos avions, ce n'est pas pour économiser du carburant mais pour limiter le poids, ce qui implique effectivement des billets un peu plus chers.

La continuité territoriale fonctionne bien logistiquement, avec les trois aides mobilisables sous critères de ressources. Le montant peut atteindre 640 euros pour un billet entre la Nouvelle-Calédonie et l'Hexagone. Le prix reste un frein, c'est une réalité, c'est d'abord la conséquence de la distance géographique. Comment améliorer le dispositif ? Probablement en ouvrant les conditions d'éligibilité aux mécanismes d'aides à la continuité territoriale, c'est une piste à explorer.

M. Ismaël Saïd, président du Centre pour le destin commun. - J'interviens ici non pas au nom de tous les étudiants de Nouvelle-Calédonie, mais de mon association et à partir des témoignages que nous avons recueillis. Les billets d'avion sont chers, souvent plus de 3 700 euros, leur achat demande de mobiliser de l'épargne longue, même en bénéficiant de l'aide à la continuité territoriale. Des étudiants doivent travailler souvent une année pour économiser une telle somme, les familles sont d'autant plus sous pressions qu'il faut ajouter les dépenses d'hébergement et de la vie quotidienne en Métropole. Tout ceci fait que, trop souvent, on a le sentiment d'être bloqué en Métropole quand on parvient à s'y rendre, d'autant qu'on perd le droit à toute aide quand on établit son foyer fiscal dans l'Hexagone. Beaucoup demandent à revoir les critères de ces aides, en particulier les classes moyennes, mais aussi le montant des bourses universitaires qui n'assurent pas un niveau de vie suffisant.

Dans les témoignages que nous recueillons, il y a l'idée du Pacifique sud comme « cage dorée » : on a du mal à s'en aller parce que c'est trop cher d'en partir et d'y revenir. Il y a l'idée qu'une fois qu'on en est parti, on ne peut pas y revenir pendant plusieurs années - quitte à vivre isolé dans l'Hexagone, loin de sa famille. La mobilité est un privilège, c'est ce qui nous distingue des autres outre-mer.

M. Guillaume Chevrollier, rapporteur. - Le thème de la continuité territoriale est central pour Wallis-et-Futuna et pour la Nouvelle-Calédonie, il a une dimension locale, domestique, et intercontinentale. Les dispositifs de soutien financier sont-ils bien connus de nos concitoyens ? Comment accèdent-ils à l'information ? Ont-ils bien identifié à quel guichet s'adresser ? Connaît-on précisément les publics qui en bénéficient ? S'agit-il toujours des mêmes personnes, ou bien y a-t-il une diversité, un renouvellement ?

Ensuite, plusieurs d'entre vous demandent à revoir les critères d'éligibilité de ces aides : merci de nous communiquer vos propositions pour ouvrir les dispositifs à d'autres publics et discuter les critères. Comment aller plus loin : faut-il mieux cibler, en particulier pour l'accès aux soins, à la formation ? Vaut-il mieux des aides forfaitaires, ou bien au pourcentage du billet d'avion ? Nous sommes preneurs de vos propositions en la matière, pour les verser au débat.

Une question aux compagnies aériennes : quelle est la répartition, dans vos passagers, entre les résidents et les touristes ?

L'UE impose des contraintes réglementaires à la circulation aérienne : qu'est-ce qui pourrait être fait en la matière, qui aiderait à mieux relier les outre-mer à leur environnement géographique ?

Merci par avance pour vos réponses, y compris écrites.

M. Munipoese Muli'aka'aka. - Merci pour ces questions, nous vous transmettrons nos réponses par écrit.

M. Zoran Jelkic. - L'an passé, les résidents représentaient 40 % des passagers sur nos lignes desservant la Nouvelle-Calédonie et Wallis-et-Futuna, et 48 % en 2019.

M. Didier Tappero. - L'an dernier, nous avons enregistré 1 700 passagers bénéficiant d'aide au titre de la continuité territoriale et 1 080 avec un « passeport mobilité » ; le trafic entre la Nouvelle-Calédonie et la métropole représente 38 % de notre trafic d'ensemble, et seulement 1 % pour le trafic entre Wallis-et-Futuna et la métropole. Ce que l'on peut dire de l'aide à la mobilité, c'est que ses critères d'éligibilité sont assez limitatifs, et qu'il reste onéreux et difficile d'aller en métropole, pour des raisons de budget.

M. Marc Coutel. - Quelques remarques sur ce qui a été dit. Effectivement, les aides allouées ne compensent pas entièrement la cherté des billets d'avion, surtout quand les prix sont plus que proportionnels à la distance. Les normes européennes, ensuite, ne permettent pas, en l'état, une ouverture à la concurrence de compagnies qui ne respectent pas ces règles. Nous constatons aussi que les prix du trafic aérien augmentent plus vite vers les outre-mer que vers les autres destinations. Enfin, si l'on consacre des moyens à la continuité territoriale entre les outre-mer et l'Hexagone, on oublie trop la continuité territoriale entre les outre-mer eux-mêmes, par exemple entre la Nouvelle-Calédonie et Wallis-et-Futuna et la Polynésie française.

M. Gérard Poadja. - Je remercie chacun des intervenants qui apportent tous des informations utiles et précises.

Je suis intervenu en séance plénière pour alerter le Gouvernement sur les difficultés et les insuffisances des aides à la continuité territoriale, réglées par l'article L. 1803-4 du code des transports. Il y a le fait que les revenus n'augmentent pas assez, en particulier le salaire minimum, rendant toujours plus difficile l'achat de billets qui sont de plus en plus chers. Il y a, ensuite, les déplacements à l'intérieur même de nos territoires. En Nouvelle-Calédonie, nous avons un problème de continuité territoriale au sein même de notre territoire : dès lors que tout est centralisé à Nouméa, il faut s'y rendre, c'est un coût souvent important, comment fait-on quand on ne peut pas le prendre à sa charge ? Les étudiants le savent bien, il en ressort une sorte de plafond : l'accès à certaines formations leur est rendu plus difficile, voire interdit.

Il faut que le Gouvernement entende ces réalités, je compte sur vous pour faire passer ce message ! Nous avons aussi des problèmes pour rapatrier les corps, quand des Néo-Calédoniens meurent dans l'Hexagone. Nous avons également besoin de mieux faire connaître les aides, et que les critères s'élargissent. J'espère que vous en convaincrez le Gouvernement !

Mme Micheline Jacques, présidente. - Vous pouvez compter sur nous, la continuité territoriale ne concerne pas seulement le lien à la métropole - nous le savons bien à Saint-Barthélemy, où pour se rendre à l'étranger, il faut immanquablement passer par Saint-Martin ou la Guadeloupe...

Mme Marie-Laure Phinera-Horth. - Je me félicite qu'on signale ici que l'aéroport à Cayenne-Félix Éboué forme une sorte d'îlot fermé au reste du continent sud-américain, du fait des règles européennes : c'est un sujet sur lequel le ministre des transports ferait bien de se pencher...

La continuité territoriale est un sujet à l'intérieur même de la Guyane. Par exemple, entre Cayenne et Maripasoula, il n'y a quasiment pas d'autres transports que l'avion ; or, l'avion qui assure ce service ne compte que 18 places : on est loin de trouver toujours un siège facilement, vous l'avez expérimenté dans votre programmation d'un déplacement en Guyane... Il faut alerter sur le sujet : bien sûr, qu'il faut connecter Cayenne aux hubs du continent sud-américain, c'est nécessaire pour nous moderniser, développer le territoire - mais il faut aussi penser à nos compatriotes de l'intérieur, qui n'accèdent pas assez au transport aérien, tout simplement par manque de vols.

Mme Micheline Jacques, présidente. - Merci à tous pour votre participation.

M. Stéphane Artano, président.  Merci, également, de nous faire parvenir vos réponses écrites, nous en tiendrons le plus grand compte.

- Présidence de Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, et de M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer -

Parentalité dans les outre-mer - Audition de M. Michel Villac, président, Mmes Laurence Rioux, secrétaire générale, et Camille Chaserant, conseillère scientifique du Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge (HCFEA), et de M. Claude-Valentin Marie, conseiller pour l'outre-mer auprès de la direction de l'Institut national d'études démographiques (INED)

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, rapporteure. - Je suis très heureuse d'ouvrir ce matin, avec mon collègue Stéphane Artano, la première réunion commune à nos deux délégations, aux droits des femmes et aux outre-mer, sur la parentalité dans les outre-mer.

Au cours des prochains mois, nos deux délégations vont, en effet, mener ensemble un travail sur cette thématique et faire converger leurs approches dans le but de produire un rapport commun. Je me félicite de cette collaboration entre nos deux délégations, et je suis convaincue que croiser nos regards et nos analyses constituera une grande richesse pour nous tous.

La thématique de la parentalité dans les outre-mer nous permettra d'aborder de nombreux sujets, dont les spécificités des structures familiales dans les outre-mer, l'importance des familles monoparentales - au sein desquelles vivent plus de la moitié des mineurs aux Antilles, contre 20 % en France métropolitaine - la répartition des rôles parentaux, les politiques familiales et sociales et les dispositifs de soutien à la parentalité.

Quatre rapporteurs ont été désignés pour mener ces travaux : les présidents de chaque délégation - Stéphane Artano et moi-même -, ainsi que Victoire Jasmin et Elsa Schalck.

Nous sommes heureux d'accueillir ce matin M. Michel Villac, président, Mmes Laurence Rioux, secrétaire générale, et Camille Chaserant, conseillère scientifique du Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge (HCFEA) qui a publié, en mars 2022, un rapport intitulé La situation des familles, des enfants et des personnes âgées vulnérables dans les départements et régions d'outre-mer (DROM) : réalités sociales et politiques menées. Nous recevons également M. Claude-Valentin Marie, conseiller pour l'outre-mer auprès de la direction de l'Institut national d'études démographiques (Ined), qui publiera, au printemps, la seconde édition de l'enquête Migrations, famille et vieillissement (MFV) dans les départements et régions d'outre-mer.

Les représentants du HCFEA nous présenteront leur dernier rapport, qui met en évidence les spécificités des structures familiales des DROM, mais aussi les différences par territoire, et recense une grande diversité d'initiatives pour accompagner les familles, en particulier les mères seules.

M. Claude-Valentin Marie nous présentera les objectifs et modalités de la seconde enquête MFV dans les départements et régions d'outre-mer, plus de dix ans après la première, qui avait rendu possible l'analyse sur des thèmes jusque-là inédits dans ces territoires. En effet, pour apporter les bonnes réponses, encore faut-il que les études et les enquêtes soient menées... L'objectif était également de mener des politiques publiques mieux adaptées aux enjeux démographiques spécifiques des DROM ; il nous dira s'il a été atteint.

Nous sommes particulièrement intéressés par les données que vous pourrez nous communiquer sur les évolutions des structures familiales dans les outre-mer et sur les initiatives locales existantes en matière d'accompagnement à la parentalité.

M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer, rapporteur. - Étant actuellement à Saint-Pierre-et-Miquelon, je participe à cette première réunion en visioconférence, ce dont je vous prie de bien vouloir m'excuser.

Je me réjouis à mon tour de la perspective de ce travail en commun. Ce n'est d'ailleurs pas la première fois que nous l'expérimentons avec la délégation aux droits des femmes, et nous n'avons eu jusqu'à présent qu'à nous en féliciter. Je rappelle, notamment, le rapport conjoint de 2020 sur les violences faites aux femmes, rédigé par le président Michel Magras et vous-même, madame la présidente. Nous savons que cette question doit être traitée dans la durée et qu'il est utile d'unir nos efforts. Le récent colloque de l'Assemblée nationale sur le sujet, qui s'est appuyé sur nos travaux, montre à la fois leur pertinence et le chemin qu'il reste à parcourir sur de tels sujets de société.

Concernant la présente étude, avec Victoire Jasmin - qui appartient à nos deux délégations -, nous attendons un état des lieux précis afin d'identifier les moyens d'améliorer nos politiques publiques au regard des réalités ultramarines.

Vous savez que notre délégation est très engagée sur la question de l'adaptation des dispositifs et des normes. Sans préjuger des résultats de nos travaux, il ne serait pas surprenant que, dans le domaine de l'accompagnement à la parentalité comme dans bien d'autres, des éclairages ou des ajustements supplémentaires soient nécessaires.

Ce sujet est important pour comprendre les défis auxquels nos sociétés ultramarines sont confrontées.

M. Claude-Valentin Marie, conseiller pour l'outre-mer auprès de la direction de l'Institut national d'études démographiques. - Je vais vous faire part de travaux en cours qui s'appuient sur l'enquête MFV (Migrations, famille et vieillissement) de l'INED dans les départements et régions d'outre-mer, les DROM. Le champ de l'enquête comprenait la mesure des diverses manières de faire famille dans les DROM. Il est important de souligner que les situations sont extrêmement différenciées d'un territoire à l'autre. L'ambition est de sortir d'une vision uniformisante des DROM, pour discerner en particulier des aménagements spécifiques à chacun d'entre eux.

Quelques éléments saillants : par rapport à la métropole, les familles monoparentales sont plus nombreuses, de même que les maternités précoces, les naissances hors mariage et celles non reconnues par les pères, et une cohabitation plus durable des enfants et des adultes.

L'enquête se base sur quatre axes d'étude à visée prospective. Le premier consiste en l'analyse des familles ultramarines, dans leur réalité et leur complexité, ce qui comprend les évolutions de la nuptialité et de la fécondité.

Le deuxième sujet est celui des migrations, de l'aspiration au départ des jeunes adultes, au coeur de la réalité de la Guadeloupe et de la Martinique, aux « migrants-retour », natifs de ces départements, ayant vécu en métropole et qui reviennent, en passant par l'arrivée de populations immigrantes, Français non natifs ou étrangers.

Le troisième est le vieillissement, avec la condition de vie des retraités et l'évolution des liens intergénérationnels, dans un contexte, là encore pour la Martinique et pour la Guadeloupe, d'une baisse de la natalité et d'un vieillissement croissant de la population.

Il s'agit d'une enquête d'ampleur : nous avons interrogé 16 000 personnes, dont des natifs des départements, qu'ils aient toujours résidé sur place ou soient de retour, ainsi que des immigrants, nationaux et étrangers. Les dynamiques sont extrêmement différentes entre ces populations.

On constate, tout d'abord, une forte chute de la natalité principalement aux Antilles : dans les années 1960, on s'affolait d'une moyenne de 6 enfants par femme en Martinique et en Guadeloupe, alors que nous sommes à 1,9 ou 1,8 aujourd'hui dans ces deux départements. Il n'y a donc plus de renouvellement de la population. De façon générale et à quelques écarts près, les dynamiques guadeloupéenne et martiniquaise sont très proches. C'est un élément à intégrer pour penser des politiques publiques différenciées.

Ensuite, la transition démographique s'accélère, même si l'on note que, alors que le nombre d'enfants par femme s'est nettement réduit en Martinique et en Guadeloupe, cette diminution est moins importante à La Réunion et n'existe presque pas en Guyane et à Mayotte. Ainsi, pour les deux premières, parmi les femmes nées entre 1930 et 1939, plus de la moitié a eu au moins trois enfants, et souvent six, tandis que leurs filles, nées entre 1960 et 1969, ont réduit leurs maternités de moitié. Le basculement complet des comportements de fécondité n'a pris qu'une génération. Notre enquête confirme les prévisions établies il y a dix ans.

En revanche, à La Réunion, cette transition démographique existe, mais elle est nettement atténuée. Mayotte et la Guyane sont, elles, dans une situation inverse, avec une forte natalité et une immigration importante, laquelle contraste avec l'émigration qui touche les Antilles.

J'en viens à la monoparentalité, largement répandue. L'enquête a permis d'en déterminer les conditions et les spécificités aux Antilles, qui diffèrent de ce que l'on observe en métropole et à La Réunion. Ainsi, les nombreuses familles monoparentales à la Martinique et à la Guadeloupe correspondent non pas à la rupture d'une vie de couple, mais à une entrée directe en monoparentalité, de la naissance à l'adolescence de l'enfant. La grande différence n'est pas seulement le taux de monoparentalité, mais les modalités même de la monoparentalité. Cela se cumule avec une forte précarité et, souvent, l'absence de reconnaissance par le père (55 à 68 % des naissances aux Antilles et en Guyane). Les effets sur la vie et le parcours scolaire des enfants sont nets.

Le dessinateur humoristique martiniquais Pancho le montre, avec un dessin représentant un père entouré d'enfants, qui lui demandent où sont leurs mamans. Une partie importante des enfants ne sont pas reconnus par leur père, ce qui est une dimension supplémentaire dans l'organisation sociale de la vie familiale et les perspectives des enfants. Les éléments que je vous livre sont issus du recensement de 2019.

Ensuite, la première enquête montrait, il y a dix ans, que les maternités précoces étaient nombreuses, surtout en Guyane et à La Réunion. Nous constations qu'elles étaient plus nombreuses qu'en métropole, mais pas dans les mêmes proportions entre les différents DROM, les données pour Mayotte datant de cinq ans plus tard. Ces maternités précoces s'accompagnent d'un recours à l'interruption volontaire de grossesse important dans ces départements.

Nous constatons une décroissance rapide des populations antillaises. Ainsi, dans les Antilles, la chute importante de la natalité - nous sommes passés de 10 000 naissances par an en 1960 à 3 700 aujourd'hui - entraîne, depuis quelques années, un solde naturel négatif. S'ajoute à cela l'émigration, qui creuse encore les générations d'âge actif. En outre, si, dans les années 1960 et 1970, la métropole recevait des travailleurs peu qualifiés, modestes - dans les PTT et les hôpitaux, par exemple -, on observe, aujourd'hui, que l'émigration est de plus en plus sélective. Reste donc installée en métropole une grande part de la jeunesse la plus qualifiée de ces territoires.

Le processus est inverse à Mayotte et en Guyane, avec une très forte croissance démographique - particulièrement à Mayotte, dont la densité de population crée des conditions de vie pour le moins délicates -, à laquelle s'ajoute une importante immigration. Ainsi, à Mayotte, malgré le départ vers la métropole de très nombreux jeunes mahorais avec, entre autres, l'aide de l'Agence de l'outre-mer pour la mobilité (Ladom), la dynamique de précarité reste très importante.

Ainsi, la démographie de la Guyane et de Mayotte est marquée par une population croissante et en forte recomposition. Alors que 75 % de la population antillaise est native des Antilles, avec les deux parents nés sur place, auxquels s'ajoutent des personnes issues de parents dits « originaires » des Antilles, il n'y a que 4 % de population étrangère, contre 45 % en Guyane - la situation est similaire à Mayotte.

Ainsi, la population des Antilles vieillit et diminue, alors que, à Mayotte et en Guyane, elle croît et se recompose. La question des étrangers et du devenir de leurs enfants ne fait donc pas du tout naître les mêmes enjeux.

Mayotte est le lieu de dynamiques extrêmes : se croisent les jeunes quittant le territoire pour la métropole, les natifs de retour, ceux qui n'ont jamais migré - seulement 23 % de la population - et 47 % de non-natifs, principalement étrangers, eux-mêmes principalement comoriens, ces derniers essentiellement originaires d'Anjouan. Bien des difficultés sont liées à cette dynamique, d'autant que ces arrivants ont des taux natalité et de précarité très élevés. En résultent une croissance démographique et une densification fortes, à 600 habitants par mètre carré à Mayotte, ce qui cache, d'ailleurs, d'extrêmes disparités selon les communes. Les conditions de vie et de prise en charge des enfants s'en trouvent très différentes de celles qui existent à la Martinique et à la Guadeloupe.

En outre, les mères comoriennes représentent, pour 2021, la grande majorité des 10 000 naissances enregistrées à Mayotte. Les naissances avec au moins un parent étranger - le plus souvent, la mère, d'origine comorienne et, en général, anjouanaise - augmentent nettement. C'est autour de cet enjeu que se joue la question du droit de la nationalité avec, concrètement, un droit du sol remis en cause pour ces enfants nés sur le territoire français. Le croisement de ces dynamiques crée des situations de violence et de précarité exacerbées et, in fine, un enjeu institutionnel. Que deviendront ces enfants dans dix à quinze ans ?

La part des nationalités étrangères parmi les parents des enfants nés sur le territoire est donc particulièrement forte en Guyane et à Mayotte, dont la situation est très éloignée des Antilles, avec un énorme point d'interrogation sur le devenir des enfants. Ceux-ci vivent des scolarisations plus courtes, souvent plus tardives et se terminant plus tôt. Ainsi, en 2019, les difficultés scolaires, voire l'illettrisme, sont particulièrement présents à Mayotte, et le phénomène commence à se faire sentir en Guyane.

Outre ces inégalités globales, la Guyane montre qu'existent, outre ces inégalités globales entre territoires, d'importantes inégalités internes à chacun. C'est le cas des populations dites « de l'intérieur », qui n'ont pas fait l'objet de l'enquête en raison des difficultés à les atteindre. Par exemple, Saint-Laurent-du-Maroni, qui accueille de nombreux étrangers, affiche un taux élevé de non-scolarisation ; on peut en déduire que celle-ci les concerne davantage.

Dans ce contexte, la protection sociale est d'une importance cruciale, particulièrement pour les familles monoparentales. Elle ne suffit cependant pas à rayer les inégalités et à réduire le taux de pauvreté.

Une fois la nouvelle enquête MFV terminée, je ne manquerai pas de vous faire parvenir des données actualisées.

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, rapporteure. - Je vous remercie. Vos éléments sont très précis. Ils éclaireront et orienteront nos travaux.

M. Michel Villac, président du Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge. - J'enchaîne sur les derniers éléments présentés par Claude-Valentin Marie : dans les quatre DROM historiques, la part de la population couverte par la sécurité sociale (55 à 77 %) dépasse celle de la métropole (49 %), du fait d'un revenu plus faible. En revanche, à Mayotte, dont le niveau de vie est le sixième de celui de l'Hexagone, seul un tiers de la population est couverte. Cela veut dire que le code de la sécurité sociale, restrictif, ne protège qu'une part minoritaire de la population, malgré des besoins très importants.

Le HCFEA a réalisé trois rapports, au titre de ses conseils de la famille, de l'enfance et de l'âge. Pour les rédiger, nous nous sommes appuyés sur les excellents travaux de Claude-Valentin Marie et de Robin Antoine.

Pour résumer, la situation démographique est contrastée, avec des flux migratoires de nature différente entre les Antilles, la Guyane et Mayotte. Les structures familiales sont spécifiques, les familles monoparentales obéissant à des modèles particuliers. Les grossesses adolescentes et les IVG, plus fréquentes, restent concentrées sur certains territoires. Les problématiques des violences intrafamiliales et du logement précaire touchent une partie de la population de Mayotte et de la Guyane. Le taux de pauvreté est aussi plus élevé que dans l'Hexagone, particulièrement pour ces deux mêmes départements. Alors que le niveau de vie est plus faible, les prix sont plus élevés, ce qui rend la situation d'autant plus tendue en termes de pouvoir d'achat. Les difficultés d'emploi et de formation sont importantes pour les jeunes, avec des taux d'emploi plus faibles qu'en métropole, notamment à Mayotte et en Guyane. Enfin, à Mayotte, on observe une part importante d'habitats de fortune, de bidonvilles.

Quelles sont les politiques menées ? Nous constatons, au cours du temps, une tension entre une volonté d'harmonisation des prestations avec la métropole et la persistance de réglementations spécifiques justifiées, en principe, par des situations locales particulières, singulièrement à Mayotte. J'y reviendrai.

Du côté des quatre DROM historiques, le mouvement vers l'alignement des prestations familiales avec l'Hexagone se poursuit. La logique initiale était celle d'une parité sociale globale, avec des prestations moins élevées assorties de politiques complémentaires. On a avancé vers l'égalisation, qui n'est pas complète. En revanche, ce mouvement n'est pas engagé pour Mayotte.

Ainsi, dans ces quatre DROM, les prestations familiales sont identiques. Il existe toutefois des exceptions : il en va ainsi des allocations familiales pour le premier enfant, soit 24,39 euros en 2021, et du complément familial. Ce dernier, dans l'Hexagone, s'adresse aux familles modestes ayant au moins trois enfants, pour améliorer leur niveau de vie, en prenant la suite de la prestation d'accueil du jeune enfant (Paje). En revanche, en outre-mer, les conditions d'attribution sont complètement différentes : seules sont concernées les familles ayant un ou plusieurs enfants âgés de trois à cinq ans, ce qui pose des problèmes de continuité, avec un complément familial qui n'est parfois plus perçu malgré une nouvelle naissance. En effet, sa nature est différente : il s'agissait plutôt de ne pas encourager la natalité. Cependant, les éléments présentés par Claude-Valentin Marie montrent que cet argument n'a plus de poids.

D'un autre côté, les prestations familiales ont vocation à aider les familles à éduquer les enfants : il n'y a pas de raison qu'un enfant, parce qu'il vit dans un DROM, bénéficie d'une aide moindre de la collectivité que s'il vivait dans l'Hexagone.

Deuxièmement, les prestations de solidarité sont identiques, notamment le revenu de solidarité active (RSA). S'y ajoute le revenu de solidarité outre-mer (RSO), pour les personnes bénéficiant du RSA depuis au moins deux ans, âgées de 55 à 60 ans et retirées du marché du travail. Toutefois, cette prestation ne dénombre que peu d'allocataires. Les aides au logement sont, elles aussi, différentes.

La situation à Mayotte est tout à fait spécifique. Seules les allocations familiales pour deux enfants, non modulées, sont les mêmes qu'en métropole, ainsi que deux prestations spécifiques, notamment pour les enfants handicapés.

L'allocation de soutien familial n'est pas servie, à l'instar de la Paje, qui, en la matière, représente l'une des masses financières les plus importantes en métropole. De même, le RSO n'existe pas à Mayotte.

Un certain nombre de prestations devraient être déployées dans les mois qui viennent, comme le congé de mode de garde et le congé de paternité et d'accueil de l'enfant.

En outre, il existe une série de prestations aux conditions ou montants spécifiques. Les allocations familiales à partir du troisième enfant sont moins élevées qu'ailleurs. Le complément familial, l'allocation de rentrée scolaire (ARS) et le RSA, la prime d'activité, l'allocation aux adultes handicapés (AAH) et les aides au logement sont aussi assorties de conditions nettement moins favorables. C'est pourquoi, malgré un fort taux de pauvreté, seul un tiers de la population bénéficie des prestations familiales ou sociales.

En résumé, le profil des bénéficiaires outre-mer est marqué par le poids de la pauvreté et par les conditions d'attribution des différentes prestations. Les allocataires à bas revenus sont beaucoup plus dépendants qu'en métropole de ce qu'ils perçoivent des caisses d'allocations familiales (CAF) ; excepté Mayotte, une part importante de la population perçoit le RSA ; quant aux dépenses de prestations familiales, elles présentent des profils spécifiques liés aux conditions d'attribution.

Les politiques et dispositifs d'action sociale différenciée tendent à converger entre les DROM et la métropole. L'accueil du jeune enfant fait l'objet d'une forte attention, car, en la matière, l'offre est bien moins développée qu'en France métropolitaine. L'aide sociale à l'enfance (ASE) présente de grandes différences. Enfin - j'insiste -, la situation de Mayotte reste hors normes.

Le Haut Conseil en est convaincu : seuls d'importants investissements permettront de réduire l'écart avec la métropole. Les prestations familiales ne suffiront pas : la collectivité doit miser sur le développement économique, l'éducation et le logement, domaines qui, bien sûr, ne sont pas de notre ressort.

Reste la question de l'immigration, notamment à Mayotte et en Guyane. En vertu de la Convention internationale des droits de l'enfant, on ne peut pas considérer qu'un mineur est en situation illégale ; nos responsabilités sont les mêmes pour tous les enfants mineurs vivant dans ces territoires, en particulier pour l'accès à l'éducation. Or, à Mayotte, les mineurs non accompagnés ont de grandes difficultés - c'est un euphémisme - pour s'inscrire à l'école. C'est un problème dès maintenant ; c'est aussi une bombe à retardement, car, une fois devenus adultes, ces enfants resteront très probablement sur place.

Face à ces situations, le Haut Conseil propose de verser les mêmes prestations familiales et sociales aux familles, quel que soit le territoire où elles habitent, à commencer par le complément familial.

Pour ce qui concerne Mayotte, des engagements de convergence ont été pris ; à présent, nous avons besoin d'un calendrier précis. Il faut se pencher en priorité sur l'allocation de base de la Paje, les allocations familiales pour trois enfants et plus et le complément familial. Cela n'aurait sans doute pas de sens d'aligner le RSA à Mayotte sur son niveau en métropole. En revanche, il faut avoir pour objectif une parité sociale globale.

Selon nous, Mayotte doit entrer dans le droit commun. Toutes les dispositions relatives à ce territoire, notamment pour ce qui concerne les prestations familiales, sont prises par ordonnances et ne sont donc pas débattues au Parlement : l'administration décide selon ses propres impératifs. À l'inverse, il faut passer par la voie législative. De même, le code de la sécurité sociale doit être étendu rapidement à Mayotte, qui dispose jusqu'à présent d'un régime autonome de sécurité sociale. On ne demande pas à la Lozère ou aux Pyrénées-Atlantiques d'avoir un régime à l'équilibre : la logique, c'est la mutualisation sur l'ensemble du territoire.

En outre, tous les enfants d'outre-mer doivent avoir accès à un repas chaud, et non à une simple collation, au moins au déjeuner. Les DROM disposent, certes, de la prestation d'aide à la restauration scolaire (Pras), mais encore faut-il que les enfants bénéficient de cette dernière. Ainsi, à Saint-Laurent-du-Maroni, les difficultés de scolarisation sont telles que la moitié des enfants ont classe le matin, et l'autre moitié l'après-midi : dans l'intervalle, il n'y a pas de cantine.

S'il n'est pas au coeur de nos attributions, le logement représente évidemment un enjeu fondamental. Les difficultés sont massives à Mayotte et en Guyane, moindres dans les autres départements, si l'on excepte certains quartiers. Quoi qu'il en soit, il faut intensifier l'effort de résorption de l'habitat insalubre et déployer l'aide personnalisée au logement (APL) avec plus de vigueur.

En parallèle, nous proposons de développer les programmes d'accompagnement de la parentalité en les orientant vers la prévention des grossesses précoces et non désirées lorsque c'est nécessaire.

Enfin, il faut traiter la question du non-recours aux prestations qui est importante et tient au fait que les populations soit ne connaissent pas l'existence des prestations soit sont trop éloignées des institutions qui les délivrent, en particulier en Guyane et à Mayotte. Il faut également améliorer la des enfants, notamment en Guyane et, à Mayotte, où seulement respectivement 87 % et 64 % des enfants de trois ans sont scolarisés, contre 98 % dans l'hexagone.

M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer, rapporteur. - Merci de la qualité de vos interventions.

Les associations d'accompagnement à la parentalité sont-elles suffisamment implantées dans tous les territoires d'outre-mer ? Comment pourrait-on faciliter leur action et améliorer la connaissance des dispositifs existants ? Ce serait notamment le moyen de limiter le non-recours aux prestations, qui est un véritable problème.

Mme Victoire Jasmin, rapporteure. - Merci de vos interventions, dans lesquelles je retrouve la vraie vie des outre-mer, quels qu'ils soient.

Notre collègue Thani Mohamed Soilihi appelle souvent l'attention du Sénat sur la situation de Mayotte. Lors du dernier congrès des maires de France, son homologue députée a, elle aussi, lancé un cri d'alarme.

Bien sûr, je n'oublie pas non plus mon territoire de la Guadeloupe.

Dans un tel contexte, les travaux que nous entamons ont toute leur importance ; je les ai évoqués la semaine dernière avec le président Gérard Larcher lors de sa venue en Guadeloupe, en insistant sur les questions de santé, qui me tiennent particulièrement à coeur.

En matière de parentalité, un certain nombre de dispositifs ont été déployés outre-mer, comme les réseaux d'écoute et d'accompagnement des parents. Les travailleurs sociaux assurent, eux aussi, un accompagnement. Où en sommes-nous ? À l'évidence, un travail d'évaluation est nécessaire.

Dans le même temps, beaucoup de couples souhaitent avoir des enfants sans pour autant pouvoir mener à bien leur projet de parentalité. Parmi les difficultés auxquelles se heurtent les familles figure la carence des différents modes de garde, publics ou privés.

Vous évoquez la question migratoire : avez-vous des données quant au nombre de femmes haïtiennes ou dominicaines qui viennent accoucher en Guadeloupe ?

Enfin, vous insistez sur les enjeux économiques. À ce titre, il est indispensable de développer l'emploi outre-mer, en particulier pour favoriser le retour des jeunes partis étudier en métropole.

Mme Elsa Schalck, rapporteure. - À mon tour, je vous remercie de vos présentations et des chiffres précis que vous nous avez livrés : il est indispensable de commencer par un tel état des lieux sur ce sujet commun aux délégations aux droits des femmes et aux outre-mer, qui mérite bel et bien un regard croisé.

Comment expliquez-vous le taux très élevé de grossesses précoces observé outre-mer ? Dans quelle mesure ce phénomène est-il lié à une scolarisation plus courte des jeunes femmes ?

Pouvez-vous nous préciser les différences évoquées entre la métropole et les outre-mer quant aux modes d'accueil des jeunes enfants ? Les jeunes mères de famille peuvent-elles, à un moment donné, retrouver la voie des études ou entrer dans la vie professionnelle ?

Pour assurer un meilleur accompagnement à la parentalité, notamment pour prévenir les grossesses précoces, formulez-vous des recommandations précises ?

Enfin, vous relevez que le modèle de monoparentalité est de plus en plus fréquent depuis une dizaine d'années, en particulier en Guyane et à La Réunion. Comment l'expliquez-vous ?

Mme Marie-Laure Phinera-Horth. - J'insiste sur les graves problèmes déplorés dans les familles d'accueil de Guyane, révélés notamment par l'enquête menée par Mediapart.

De jeunes Amérindiens sont placés dans des familles d'accueil du littoral afin de suivre une scolarité - ce sont les seules parties du territoire guyanais où se trouvent des établissements d'enseignement. Or nombre d'entre eux y subissent des violences, notamment sexuelles. Certains sont poussés au suicide, d'autres sont complètement désorientés. Le HCFEA s'est-il penché sur le sort de ces adolescents ?

Mme Nassimah Dindar. - Victoire Jasmin l'a souligné avec raison, vous décrivez parfaitement la réalité des territoires ultramarins, lesquels sont les plus inégalitaires de France. À cet égard, les chiffres relatifs aux prestations familiales et sociales sont éclairants.

Vous parlez, à juste titre, d'une « bombe à retardement » ; et vous décrivez avec beaucoup de force le cercle vicieux de la précarité, notamment pour les femmes. Nous sommes face à un enjeu de développement, non seulement économique, mais aussi sociétal : en tant que Français, nous défendons les valeurs citoyennes de la France.

Les élus locaux d'outre-mer sont perpétuellement sommés de faire face à l'urgence sociale, car nous avons collectivement échoué à transformer le modèle en vigueur outre-mer. Pourquoi y a-t-il tant de violences intrafamiliales ? Et, parallèlement, pourquoi y a-t-il tant de grossesses précoces ? Parce que le fait de devenir maman vous assure un statut ; non seulement il vous permet d'échapper à une famille potentiellement violente, mais il garantit votre survie financière par l'obtention de certaines aides et d'un logement.

Pour ma part, je souhaite que le RSA versé à Mayotte soit aligné sur le niveau des autres territoires, pour une raison très simple : les Mahorais viennent à La Réunion pour percevoir un RSA largement supérieur, quitte à faire des allers-retours. Ce serait aussi un moyen de traiter le cas des mineurs non accompagnés et de réduire les carences éducatives. Nombre de ces enfants finissent par devenir une simple source de revenus ; ils passent l'année à La Réunion, quand leurs parents repartent à Mayotte, voire aux Comores. Nous refusons de voir cette réalité et d'apporter de vraies réponses.

Quant au RSO, où persiste-t-il précisément ? Pour sa part, le département de La Réunion est en train de réduire le versement de cette prestation, qui - j'apporte cette correction - est destinée aux personnes inemployables. Ces dernières sont désormais orientées vers l'allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa).

M. Gérard Poadja. - Je vous remercie moi aussi des informations précises que vous nous avez communiquées sur ce sujet, qui nous tient à coeur. À cet égard, les outre-mer dans leur ensemble méritent une attention particulière de la part de la République.

Pouvez-vous nous préciser les taux de « filles-mères » selon les territoires ? Il s'agit là d'un véritable enjeu des politiques sociales, qui doivent être menées conjointement par l'État et les collectivités territoriales dans les cas spécifiques des outre-mer, dont certains relèvent de caisses autonomes.

Mme Micheline Jacques. - Vos propos très éclairants m'inspirent plusieurs remarques.

Premièrement, en matière d'immigration, il ne faut pas se voiler la face : dans certains cas, la grossesse est un moyen de bénéficier du droit du sol.

Deuxièmement, peut-on envisager de développer l'éducation à la sexualité et les plannings familiaux, tout en prévoyant des actions spécifiques en faveur des jeunes illettrés ?

Troisièmement, enfin, vous expliquez fort bien qu'il faut adapter la politique du logement aux différents territoires en suivant certains critères sociaux ; je pense en particulier à la taille de la fratrie. Je me bats en ce sens, mais il faut encore y travailler.

Mme Viviane Malet. - Le HCFEA préconise de développer les programmes d'accompagnement de la parentalité. La Réunion mène déjà plusieurs actions en ce sens, notamment via les centres de protection maternelle et infantile (PMI), les lieux d'accueil enfants-parents (Laep), les maisons de parents et les relais d'assistantes maternelles itinérants. Comment faire pour que ces initiatives soient mieux connues, mieux coordonnées tout au long du parcours de l'enfant, jusqu'à l'adolescence, et plus attrayantes ?

Mme Camille Chaserant, conseillère scientifique du Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge. - Le taux de non-recours aux prestations est particulièrement élevé à Mayotte et en Guyane : dans ce territoire immense et en partie enclavé, l'accès aux CAF n'est pas aisé. S'y ajoute la difficulté de conserver les documents en papier : non seulement l'humidité est en soi un problème, mais ce réflexe ne correspond pas à la culture locale. Certes, un service de pirogues itinérantes a été créé, mais les familles ont leur propre rythme de vie. N'oublions pas non plus la barrière de la langue, qui rend la terminologie administrative encore plus aride.

On s'efforce d'aller vers les parents et les familles en misant sur le tissu associatif, qu'il s'agisse de grands opérateurs ou d'initiatives locales. Malheureusement, ces dernières durent rarement plus de quelques années, car elles dépendent souvent d'une seule personne. Quand le directeur de la CAF de la Guyane nous a transmis son plan d'action relatif au service aux familles, il a insisté sur l'effort de formation des gestionnaires, à tous les niveaux, en faveur de la parentalité.

Aux Antilles comme à La Réunion, grâce à l'Observatoire de la parentalité, beaucoup d'actions sont menées pour développer le rôle des pères. Avec notre regard métropolitain, nous avons souvent tendance à les juger absents, même si ce n'est pas toujours le cas. Le but, c'est de faire entrer les pères dans les familles, ce qui suppose aussi une évolution du regard des mères. Les entretiens menés avec les sociologues sont éclairants quant à ce mode de « faire famille ». Le lien père-enfant tend d'ailleurs à se développer dans les jeunes générations.

Je relève la pertinence des propos relatifs aux grossesses précoces. Il faut s'efforcer de maintenir la scolarisation des jeunes filles grâce à des lieux dédiés dans les collèges et lycées.

Mme Nassimah Dindar. - Ils existent à La Réunion.

Mme Viviane Malet. - Tout à fait !

Mme Camile Chaserant. - Madame Schalck, l'accueil du jeune enfant inspire, outre-mer, un certain nombre de méfiances ; l'information est lacunaire et la tradition veut que l'enfant soit élevé au sein de sa famille, en vertu de solidarités intergénérationnelles et intrafamiliales assez fortes. Certes, la grossesse peut déclencher la sortie du système scolaire pour les jeunes femmes, mais ces dernières sont aussi extrêmement mobilisées par leurs mères et leurs tantes pour s'occuper des autres enfants de la famille.

Lors d'un entretien qu'elle m'a accordé, Sophie Charles, maire de Saint-Laurent-du-Maroni a appelé mon attention sur la situation de sa commune, qui est frontalière du Suriname : il n'y a qu'un fleuve à traverser, et bon nombre de familles s'étendent sur les deux rives. Les femmes surinamaises viennent accoucher à l'hôpital de Saint-Laurent-du-Maroni, faute de pouvoir mettre au monde leur enfant dans de bonnes conditions de l'autre côté de la frontière, et payent des hommes pour qu'ils se déclarent pères. Ainsi, elles bénéficient du droit du sol avant de repartir au Suriname avec leur enfant. Il y a une différence importante entre le nombre de naissances et le nombre d'enfants que l'on voit arriver à trois ans à l'école.

En parallèle, au lieu de construire des logements sociaux qui ne correspondent pas au mode de vie local, qui plus est sur l'immense territoire de la Guyane, où la propriété du sol est une question éminemment complexe, le maire de Saint-Laurent-du-Maroni favorise, au titre du logement social, l'acquisition de terrains où les familles peuvent bâtir leur propre maison grâce à des aides dédiées. Le risque est, sinon, de construire des habitations qui ne conviennent pas aux familles. J'ai visité des logements sociaux construits à Soula : les familles quittent ces appartements traditionnels qui ne leur sont pas adaptés.

S'agissant toujours de la Guyane, que je connais assez bien, j'en arrive au dysfonctionnement des familles d'accueil : je ne suis pas certaine que ce soit le seul facteur explicatif du suicide des jeunes amérindiens, même si cela a sans doute une influence. Nous n'avons pas enquêté sur les familles d'accueil qui accueillent les jeunes allant vers Cayenne ou Saint-Laurent-du-Maroni pour accéder à un collège ou à un lycée. En revanche, nous nous sommes entretenus avec les responsables de l'aide sociale à l'enfance. On compte beaucoup de placements d'enfants en Guyane, mais les familles ne sont ni formées ni suivies. Un enfant de l'ASE souffre souvent de problèmes, de troubles du comportement, d'un manque d'affection : cela amplifie les difficultés s'il n'y a pas d'accompagnement le temps de l'accueil.

Plus globalement, une grande partie des difficultés de construction et d'accueil relève aussi d'un problème d'endettement des communes et de collectivités. Ainsi, les grands projets prévus en 2017 pour la Guyane, accompagnés de financements, ne se sont toujours pas concrétisés pour la plupart : les premiers sortent à peine de terre. Il y a des compétences locales à développer, et une attractivité des territoires à développer.

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, rapporteure. - Nous devons rapidement mettre un terme à la réunion. Je vous invite à nous communiquer, par écrit, tous les éléments que vous n'aurez pas eu le temps de nous donner.

Mme Laurence Rioux, secrétaire générale du Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge. - L'accueil du jeune enfant est doublement important : il permet de concilier vie familiale et vie professionnelle pour les parents et occasionne une socialisation précoce du jeune enfant, ce qui l'aidera en vue de son entrée à l'école maternelle. On constate des différences avec la métropole, et même entre les DROM eux-mêmes. Ainsi, en métropole, le taux de couverture par un accueil formel est de 60 % pour les enfants de moins de trois ans. Il atteint 55 % à la Martinique, 44 % à la Guadeloupe, 32 % à La Réunion, 9 % en Guyane, et il est quasiment nul à Mayotte.

Par ailleurs, si les assistantes maternelles sont le premier mode d'accueil en métropole, c'est l'accueil collectif qui arrive en tête en outre-mer, en raison du manque d'offre d'accueil par les assistantes maternelles.

Mme Nassimah Dindar. - Elles sont plus chères à La Réunion.

Mme Viviane Malet. - Plus chères qu'une crèche !

Mme Laurence Rioux. - En effet, à La Réunion, la part de couverture par les assistantes maternelles est de 23 %. Elles sont plus chères que l'accueil en crèche pour les parents gagnant moins de trois fois le Smic. Il est aussi plus difficile d'obtenir un agrément auprès de la PMI en raison de logements inadaptés. Je n'oublie pas non plus les difficultés financières des collectivités, qui empêchent ou freinent l'investissement dans les crèches, que les CAF seules ne peuvent financer.

M. Claude-Valentin Marie. - J'ai peu parlé de La Réunion, mais sa situation est, structurellement, plus organisée et régulée. La monoparentalité y est semblable à celle de la métropole : issue de ruptures d'union. La manière d'y prendre en compte la position et l'implication du père doit donc être différente de celle des Antilles. Ce n'est pas le même univers.

De plus, dans les dynamiques de sortie de la précarité sur vingt ans, on observe d'importants progrès à La Réunion par rapport à la dégradation relative constatée aux Antilles. Les équilibres généraux et l'occupation des espaces réunionnais placent l'île dans une position intermédiaire. On ne peut décalquer la situation de La Réunion sur celle des autres territoires.

Enfin, la part de la monoparentalité et de la non-reconnaissance par les pères est très importante dans les Antilles. Cela reste indépendant du taux de natalité : sa baisse n'a pas modifié les dynamiques de la monoparentalité. Elle n'empêche pas non plus les grossesses précoces : les jeunes mères en font, quelque part, un facteur d'identité. C'est une façon de devenir femme, avec une forme de reconnaissance.

Mme Nassimah Dindar. - Les grossesses précoces sont parfois voulues à La Réunion, de même que l'absence de père. L'inconscient collectif a intégré un modèle selon lequel, comme sur les plantations, les hommes viennent, copulent et repartent, et les femmes restent. C'est l'histoire de l'esclavage : anthropologiquement, le père est dehors, sans participer. Vous avez sans doute rencontré Thierry Malbert, universitaire qui travaille sur la parentalité.

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, rapporteure. - Je vous remercie pour la qualité des informations que vous nous avez livrées, ainsi que des pistes de réflexion que vous dressez.

M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer, rapporteur. - Je remercie à mon tour les intervenants. Nos délégations sauront s'inspirer de vos travaux.