Mardi 25 octobre 2022

- Présidence de Mme Annick Billon, présidente -

Cérémonie de remise du Prix 2022 de la délégation aux droits des femmes

Mme Annick Billon, présidente. - Madame la Ministre, Madame la Procureure générale, très chères lauréates, chers collègues, Mesdames et Messieurs, j'ai le plaisir de vous accueillir au Palais du Luxembourg pour la cérémonie de remise du Prix de la délégation aux droits des femmes du Sénat, édition 2022.

Notre délégation a créé ce prix en 2019, à l'occasion de son vingtième anniversaire. Cette initiative visait à affirmer notre considération, et celle du Sénat, à l'égard des actrices et acteurs de la lutte pour les droits des femmes et l'égalité femmes-hommes, sans qui aucun progrès dans ce domaine ne serait possible. Chaque année, nous mettons à l'honneur des personnalités engagées dans la défense de l'égalité, qui ont contribué par leur réflexion et leur engagement à enrichir et à éclairer nos travaux.

Comme toujours, ceux-ci ont été très riches au cours de l'année écoulée. Nous avons traité plusieurs sujets cruciaux d'attention, de réflexion et de vigilance.

Sur le plan international, d'abord, nous avons porté un intérêt tout particulier à la situation des femmes et des filles afghanes. Le 25 novembre 2021, date symbolique en matière de lutte contre les violences faites aux femmes, nous avions organisé une table ronde consacrée à ces femmes, en présence notamment de l'ambassadeur de France en Afghanistan, mais aussi de réfugiées afghanes.

En attribuant aujourd'hui le prix de la délégation à deux femmes engagées de longue date dans le soutien aux femmes afghanes - Marie George Buffet et Shoukria Haidar -nous souhaitons remettre en lumière les violences subies par ces femmes qui ne sont plus au coeur de l'attention médiatique. Les restrictions imposées par les talibans aux femmes en Afghanistan se poursuivent. Elles ne peuvent continuer leurs études au-delà de l'école primaire. La plupart des emplois situés à l'extérieur de leur domicile leur sont interdits. Elles doivent porter un voile intégral en public et être accompagnées d'un chaperon masculin lors de leurs déplacements, y compris pour accéder à des services essentiels.

Ces discriminations ne sont pas limitées à l'Afghanistan, comme en témoigne la situation actuelle en Iran. La mort, en septembre 2022, de la jeune Mahsa Amini, après son arrestation par la police des moeurs, et celle d'autres manifestantes et manifestants iraniens depuis, nous engagent en tant que parlementaires, défenseurs de la cause des femmes.

Femme, vie, liberté : nous devons faire nôtre ce magnifique slogan des manifestants qui ont le courage de défier le pouvoir en place pour défendre leurs libertés, et en premier lieu celles des femmes.

Ces derniers mois, notre délégation a également travaillé sur des sujets difficiles, en lien avec la marchandisation des corps : la prostitution, tout particulièrement celle des mineures, mais aussi l'industrie pornographique. Pour cette raison, nous avons tenu, à travers le palmarès 2022 du Prix de la délégation, à saluer le travail accompli par la procureure générale honoraire Catherine Champrenault en tant que présidente du groupe de travail sur la prostitution des mineurs. Notre délégation a pris connaissance de la qualité et de la densité du rapport publié par ce groupe de travail à l'été 2021, qui a couvert tous les aspects du sujet. Il nous a évité de nous pencher sur ce sujet, en réalité. Nous ne pouvons que souscrire à ses recommandations.

Enfin, nous venons de publier avec mes collègues rapporteures Alexandra Borchio Fontimp, Laurence Cohen et Laurence Rossignol un rapport intitulé Porno : l'enfer du décor. Au cours de ce travail de plus de six mois, nous avons notamment entendu les associations Les Effronté.es, Mouvement du Nid et Osez le féminisme ! que nous récompensons ce soir. Nous tenons à les remercier pour leur soutien apporté aux femmes victimes de violences commises dans un contexte de pornographie.

C'est avec fierté et émotion que je vais maintenant procéder à la remise du Prix de la délégation aux lauréates de la promotion 2022.

Avant d'accueillir la première lauréate, Marie-George Buffet, j'invite Laurence Cohen, membre très engagée de la délégation, à me rejoindre.

Madame la Ministre, nous connaissons toutes et tous votre engagement féministe et vos initiatives pour faire progresser la place des femmes dans le sport, en tant que ministre de la jeunesse et des sports notamment.

Ce que l'on sait peut-être moins, c'est que vous êtes également engagée, depuis de nombreuses années, en faveur de l'émancipation des femmes afghanes. Vous mêlez ces deux combats.

Le sport, amateur comme professionnel, est en effet un vecteur formidable d'émancipation et de liberté. La visibilité donnée à des sportives et à des compétitions sportives féminines est également un outil remarquable pour faire évoluer l'image que la société se fait des femmes, et pour démonter les stéréotypes sexistes et les préjugés.

Il y a vingt ans déjà, vous étiez partie prenante de l'association Afghanes, Afghans. Vous vous rendiez à Kaboul pour promouvoir l'accès au sport pour toutes les femmes. Vous étiez parvenue à obtenir la participation de deux jeunes afghanes lors des championnats du monde d'athlétisme. Bravo, Madame la Ministre !

De façon particulièrement symbolique, l'une des premières mesures prises par les talibans, lors de leur retour au pouvoir l'an dernier, fut d'interdire aux femmes de pratiquer une activité physique. Un représentant des talibans a ainsi affirmé - je cite - que « la pratique du sport pour les femmes n'est ni nécessaire, ni appropriée » et qu'« elles pourraient être confrontées à une situation où leur visage et leur corps ne seront pas couverts. L'islam ne permet pas aux femmes d'être vues comme ça. » Des joueuses et athlètes professionnelles ont dû fuir leur pays, et celles qui n'y sont pas parvenues sont menacées pour le simple fait qu'elles ont pratiqué une discipline sportive.

À l'automne dernier, vingt ans après vos premières initiatives, vous avez lancé un collectif pour développer la solidarité avec les femmes afghanes. Il regroupe notamment une dizaine d'associations et de personnalités sportives.

Vous vous êtes mobilisée, et continuez à l'être, pour que la France accueille les sportives afghanes menacées dans leur pays.

Comme vous nous l'aviez annoncé à l'occasion de notre table ronde du 25 novembre 2021, vous vous engagez également pour obtenir que les Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 ne soient composés que de délégations paritaires, excluant les pays interdisant la pratique sportive aux femmes. Nous ne pouvons que relayer ce combat, d'ailleurs conforme à la Charte olympique ainsi qu'à l'engagement du Comité international olympique, de faire des JO 2024 les premiers Jeux olympiques de la parité. Nous y sommes évidemment favorables. Il est inenvisageable que des femmes afghanes ne participent pas aux Jeux de Paris 2024. Dès l'année dernière, avec mon collègue Michel Savin, président du groupe d'études Pratiques sportives et grands événements sportifs, j'avais d'ailleurs adressé un courrier en ce sens aux trois ministres, respectivement en charge des sports, de l'éducation et de l'égalité femmes-hommes. Je pense que nous devons, de ce point de vue, maintenir ensemble la pression sur le Gouvernement et sur les instances sportives internationales.

C'est avec un immense plaisir, Madame la Ministre, que Laurence Cohen et moi-même vous remettons aujourd'hui cette médaille consacrant votre engagement pour la cause des femmes en Afghanistan.

Mme Marie-George Buffet, ancienne ministre, ancienne députée. - Merci pour ce prix.

Tout d'abord, je voudrais remercier la délégation aux droits des femmes du Sénat, comme celle de l'Assemblée nationale. Dans ces deux lieux de délibération de la République, elles mènent le combat pour que, partout, le droit des femmes soit reconnu. C'est un long combat, universel. Il s'agit simplement de faire en sorte que la moitié de l'humanité ait les mêmes droits que l'autre moitié. C'est tout simple.

Ce combat pour les droits des femmes nous a permis d'avancer, ici et ailleurs. Nous avons gagné des acquis importants. Nous voyons bien qu'en raison de la domination patriarcale, et de tout ce qui perdure, ce combat doit toujours être mené. Il nous suffit de regarder ce qu'il se passe au sein de l'Union européenne, sur le plan politique, ou ce qui vient de se passer aux États-Unis s'agissant du droit à l'avortement. Écoutons les propos que nous entendons parfois sur la place des femmes dans la société. Ils prouvent que nous devons continuer à mener ce combat. Le sport peut être un instrument remarquable en la matière. Ce sport, c'est le rapport au corps, à l'espace, et donc, quelque part, à la liberté. C'est aussi le rapport aux autres, la mixité. C'est le fait d'être ensemble sur un stade. C'est tout cela, le sport.

Que les femmes puissent avoir accès au sport en pleine liberté est un droit essentiel, qui se heurte à des habitudes culturelles. Combien de parents, encore aujourd'hui, pensent que les garçons doivent faire du sport - c'est une évidence - alors que les filles peuvent choisir si elles comptent en pratiquer un ou non ? Combien de parents, ou d'enfants, pensent qu'il y a des sports féminins - la gymnastique - et masculins - le rugby ? Il existe aussi des préjugés cultuels. Nous voyons comment des individus utilisent la religion pour cacher le corps des femmes et leur interdire la liberté d'aller dans l'espace public. Ainsi, le sport peut être un vecteur important de liberté.

Vous l'avez rappelé, les premiers discours des talibans ont interdit la pratique sportive. Toutes les championnes, qu'elles soient footballeuses, handballeuses ou autre, ont été immédiatement pourchassées pour avoir été connues comme étant des athlètes de haut niveau. Il est donc encore nécessaire de nous battre.

Nous ne pouvons pas laisser le silence retomber sur la situation en Afghanistan, ni en Iran. Nous avons vu, il y a quelques jours à la télévision, les images d'une boxeuse ayant fui l'Iran il y a deux ans. Aujourd'hui, elle est championne de boxe.

Nous devons aider les sportives afghanes à quitter le pays et à venir chez nous pour vivre leur vie et pratiquer le sport qu'elles aiment. Dans les jours à venir, sept handballeuses pourront peut-être obtenir leur visa et pratiquer leur discipline dans notre pays. Je l'espère.

Je préside une association, Femmes d'ici et là-bas, qui vise à ce que, partout, les femmes aient droit et accès à une pratique sportive. Nous qui aimons nous proclamer le pays des droits des êtres humains, mobilisons-nous pour que les Jeux olympiques et paralympiques qui se tiendront en France en 2024 soient les jeux de la mixité et de l'accès, partout, des femmes au sport. Nous ne pouvons pas admettre des délégations non mixtes, ni des délégations faussement mixtes, alors que les femmes sont privées de la pratique sportive dans leur pays. Nous l'avons vu lors des derniers JO, il arrive que des États placent des femmes « prétextes » dans leurs délégations, tout en interdisant la pratique du sport féminin.

Les JOP 2024 doivent être ceux de la pleine mixité. J'espère que le prix que vous m'avez attribué aujourd'hui permettra une réelle mobilisation, pour que ces Jeux témoignent d'un progrès important sur la pratique féminine dans le sport.

Merci beaucoup.

Mme Annick Billon, présidente. - Je propose à Laure Darcos de se joindre à nous, puisqu'elle a pris part à notre table ronde du 25 novembre 2021. J'en profite pour saluer la présidente Éliane Assassi qui nous a rejoints, ainsi que notre collègue Laurence Rossignol. Je suis très heureuse de cette soirée, où des femmes inspirantes et inspirées sont à l'honneur.

J'invite maintenant Shoukria Haidar à nous rejoindre.

Chère Madame, c'est avec un grand intérêt, mais aussi beaucoup d'émotion, que nous avions entendu votre témoignage lors de la table ronde du 25 novembre 2021 consacrée à la situation des femmes et des filles en Afghanistan, en même temps que notre précédente lauréate.

Vous êtes vous-même Afghane, vous êtes née à Kaboul, y avez grandi et étudié. Vous avez malheureusement dû quitter votre pays en 1980, après l'invasion soviétique, et avez obtenu l'asile politique en France. En 1995, vous êtes retournée à Kaboul pour une très brève période, avec le désir de participer à la reconstruction de l'Afghanistan. Mais quelques mois plus tard, les milices des talibans prenaient le contrôle du pays. En octobre 1996, juste après la prise de Kaboul par les talibans, vous décidez, avec des femmes afghanes établies en France et des femmes françaises, de créer une association en réponse aux messages de détresse envoyés par des femmes d'Afghanistan : l'association Negar-Soutien aux femmes d'Afghanistan.

Avec celle-ci, vous informez et mobilisez l'opinion publique et les décideurs politiques, vous faites connaître les agissements des talibans et faites entendre la voix des femmes afghanes.

Dès la chute du régime taliban en décembre 2001, l'association Negar s'installe officiellement à Kaboul et organise des conférences mixtes pour débattre des problèmes et attentes des femmes afghanes.

Depuis vingt-cinq ans - vous faites preuve de beaucoup de persévérance - vous oeuvrez en faveur des droits des filles et des femmes afghanes, notamment à travers des actions pour l'éducation. Nous pouvons ainsi citer le financement du transport de jeunes filles vers leurs établissements scolaires, l'organisation de cours de rattrapage, le soutien aux enseignantes et bibliothécaires, la réparation et l'entretien de bâtiments scolaires, et beaucoup d'autres actions encore.

Depuis la chute de Kaboul en août 2021 et le retour au pouvoir des talibans, vous interpellez la communauté internationale sur la situation des femmes afghanes. Vous militez pour que ce régime ne soit pas reconnu. Comme vous le dites si bien, « dire oui à la reconnaissance des talibans, c'est dire non à la reconnaissance des droits des femmes, à la démocratie, à la liberté, aux droits de l'homme ».

Lors de notre table ronde du 25 novembre 2021, vous aviez notamment eu cette phrase forte et je pense importante à entendre pour tous ceux qui seraient tentés par un relativisme culturel : « Ce que font les talibans ne relève pas de la culture ou de la tradition de l'Afghanistan, de la religion ou de la culture ancestrale. » Il ne faut évidemment pas imaginer cela. C'est aussi un message d'espoir pour l'Afghanistan, qui ne saurait être assimilé au régime des talibans. Les femmes afghanes ont connu des périodes d'émancipation avec des droits à l'éducation et au travail. Le combat doit continuer afin que cette émancipation soit de nouveau possible.

C'est le sens de votre engagement au long cours avec l'association Negar-Soutien aux femmes d'Afghanistan.

Pour cette raison, je suis très heureuse de mettre à l'honneur cet engagement en vous remettant cette médaille, au nom de la délégation tout entière.

Mme Shoukria Haidar, présidente de l'association Negar-Soutien aux femmes d'Afghanistan. - Je salue tout d'abord toutes les personnes présentes dans cette salle. Je remercie la délégation aux droits des femmes du Sénat qui m'attribue ce prix.

Aujourd'hui, deux prix sont attribués au nom du droit des femmes afghanes. Cette attention forte de la part de deux assemblées françaises donne un certain espoir. Elle nous laisse entendre que l'appel des femmes afghanes, qui mènent courageusement leur mobilisation sous la menace quotidienne des talibans, est entendu, tout comme leur soutien aux femmes iraniennes.

La majorité des femmes afghanes a le sentiment que le monde entier les a oubliées et fait affaire avec les talibans. Il est vrai que la reconnaissance de ces derniers est stoppée. Pourtant, le danger est réel. Il y a deux jours, une ambassade du Japon s'est ouverte en Afghanistan, bien que le régime ne soit officiellement pas reconnu. Elle permet tout de même les pires exactions. Les talibans tuent, mais ils instaurent également une sorte de terreur au sein de la société en cassant les os des citoyens. Ils frappent, cassent les mains, les pieds, les côtes, les reins, la tête des Afghans devant tout le monde. La semaine dernière, ils ont égorgé une trentaine de résistants pour donner une leçon aux autres, et les inciter à ne pas bouger. Les femmes qui manifestent d'une quelconque manière sont envoyées en prison et sont battues. Les talibans leur ouvrent les jambes, et frappent leur sexe, leurs seins. Elles savent qu'elles ne peuvent pas montrer leurs blessures aux journalistes. S'y ajoutent des viols collectifs, les pires choses.

J'attire votre attention sur le fait que la non-reconnaissance du régime des talibans est en partie compensée par des arrangements sournois. Des ambassades ouvrent. Des contrats économiques sont signés. Les dirigeants des talibans continuent de voyager. Récemment, ils étaient au Qatar avec d'importants responsables des États-Unis. Ceux-ci ont noué des accords de paix avec les talibans. Les militaires afghans ou étrangers n'ont pas perdu devant les talibans. On a tout arrangé. On leur a offert 80 milliards de dollars d'armes, venant des poches des citoyens du monde entier, sur un plateau. Maintenant, ils sont armés, et les autres n'ont pas d'armes. 40 millions d'habitants sont pris au piège.

L'accès des femmes à l'école est interdit, non pour des raisons de religion ou de culture, comme vous le disiez, mais parce que les talibans veulent une société ignare et soumise.

Je souhaite que ce message soit entendu. Des arrangements sont faits avec les talibans, au nom d'une population en danger de mort. Oui, il faut que l'aide arrive pour les citoyens qui risquent de mourir de froid et de faim, mais il existe des instances pour cela. Les États doivent arrêter leur hypocrisie. Ils côtoient les talibans officiellement.

Je prends ce prix et celui que vous avez accordé à Mme Buffet au nom des femmes afghanes. Je le ferai savoir, et je le ferai entendre. Elles sauront ainsi qu'elles ne sont pas abandonnées.

Merci.

Mme Annick Billon, présidente. - Merci pour ce témoignage. Un certain nombre de membres de la délégation sont avec nous ce soir. Dans la salle, certains sénateurs et certaines sénatrices ont ardemment lutté pour que ce prix ait une signification particulière pour les femmes et filles afghanes. Je citerai Bruno Belin, Dominique Vérien, Martine Filleul, Jean-Michel Arnaud, Laurence Cohen ou Laure Darcos, qui ont défendu cette grande cause. Merci pour votre engagement. Nous voyons que ce ne sont pas des paroles en l'air, et que vous vivez cette situation de l'intérieur.

J'invite maintenant Catherine Champrenault à me rejoindre, ainsi que les membres de la délégation présents et présentes aujourd'hui.

Madame la Procureure générale, je suis très heureuse de vous accueillir de nouveau au Sénat et de vous remettre aujourd'hui le Prix de notre délégation aux droits des femmes.

Vous avez participé aux travaux de notre délégation à deux reprises l'année dernière. En avril 2021, d'abord, vous aviez pris part à notre table ronde consacrée au bilan de l'application de la loi du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel, à l'occasion des cinq ans de son adoption. Du travail reste à mener pour l'application de ce texte. Je vois notre collègue Michelle Meunier au premier rang. Elle a mené ces combats dans l'hémicycle, avec les membres de notre délégation. Cela a été long et difficile.

Ensuite, en novembre 2021, nous vous avions entendue, en compagnie de l'avocat général Gilles Charbonnier, qui est également présent aujourd'hui, afin que vous nous présentiez les conclusions du groupe de travail sur la prostitution des mineurs que vous avez présidé.

La lutte contre la prostitution des mineurs est une problématique que vous connaissez bien et dont vous avez fait un axe de votre politique pénale au parquet général de Paris. Vous avez ainsi mis en place des coopérations avec les associations spécialisées, à la fois afin de recueillir la parole des mineurs victimes, qui coopèrent peu avec les enquêteurs, mais aussi afin de les mettre à l'abri et hors d'atteinte des proxénètes.

J'invite Marie-Pierre Monier, très active dans notre délégation, à nous rejoindre. Je bouscule le protocole, mais j'ai la chance d'être entourée d'hommes et de femmes engagés. Je dois pouvoir les mettre à l'honneur, chacun leur tour.

Ce n'est pas par hasard qu'en septembre 2020, le secrétaire d'État en charge de l'enfance et des familles, Adrien Taquet, vous a désignée pour présider un groupe de travail pluridisciplinaire chargé de réfléchir à une meilleure prévention de la prostitution des mineurs. Ce groupe de travail a publié un rapport remarquable en juin 2021.

Il a, en premier lieu, permis d'attirer l'attention sur cette problématique dramatique. Avec mes collègues, nous avions été particulièrement marqués par le tableau que vous nous aviez dressé sur l'ampleur du phénomène, les profils des adolescentes concernées - qui qui peuvent venir de tout milieu social - et les facteurs qui peuvent expliquer leur basculement dans la prostitution. Vous avez estimé qu'environ 15 000 adolescents - des filles à 90 % - seraient concernés. Ces jeunes filles entrent majoritairement dans la prostitution entre 15 et 17 ans, mais certaines le font bien plus jeune.

Votre rapport a également donné lieu à la formulation de préconisations concrètes afin de prévenir et combattre la prostitution des mineurs et de mieux accompagner les victimes, qui bien souvent ne se vivent pas comme telles, d'où la difficulté d'aborder la situation.

À sa suite, le Gouvernement a annoncé un plan national de lutte contre la prostitution des mineurs, à hauteur de 14 millions d'euros, et lancé une campagne de sensibilisation à destination du grand public. À travers notamment un film de campagne percutant qui met en scène une victime mineure de prostitution dans un quotidien qu'elle pense « gérer », il s'agit de faire la lumière sur la vulnérabilité des victimes et les dangers auxquels elles doivent faire face.

Vous attribuer le Prix de la délégation aux droits des femmes est une façon pour nous de saluer votre engagement pour faire avancer la lutte contre la prostitution des mineurs, mais aussi de signifier notre vigilance continue face à cette problématique.

Madame la Procureure, merci pour le travail que vous avez mené. C'est un privilège pour moi de vous remettre cette médaille, au nom de l'ensemble des membres de la délégation.

Mme Catherine Champrenault, procureure générale honoraire. - Merci, Madame la Présidente.

Je sors quelques notes, car je suis personnellement très touchée et honorée de me voir remettre ce prix. Surtout, cette oeuvre, ce rapport, est un travail collectif. Nous l'avons mené pendant dix mois avec une équipe permanente de seize magistrats, fonctionnaires de la police judiciaire ou des ministères de la santé et des affaires sociales, des travailleurs sociaux, des médecins, et bien sûr, le monde associatif.

Ce prix, je le partage avec l'équipe que nous avons formée en 2020 et 2021. Nous voulions explorer toutes les facettes du drame qu'est la prostitution des mineurs. Nous avons pu entendre 150 personnes issues de milieux et de mondes différents, ayant des responsabilités différentes.

Notre rapport a été remis au ministre de l'Enfance, Adrien Taquet, fin juin 2021. Il résulte d'une réflexion collective entre les partenaires institutionnels que sont la Justice, la Police, la Gendarmerie, la Santé et l'Éducation, des travailleurs sociaux, mais aussi et surtout le monde associatif. Ces associations spécialisées dans le contact des jeunes prostitués ont pu nous décrypter les problématiques, leur psychologie, les réticences de ces jeunes prostituées par rapport à l'autorité. Elles n'ont pas le réflexe de porter plainte. Elles n'ont, pour la plupart, pas le sentiment d'être victimes de ce qui est pourtant une exploitation sexuelle ayant pour unique but de faire gagner à leurs organisateurs, des proxénètes, des profits substantiels.

Nous avions fait au parquet général de Paris, avec le procureur de la République, de la lutte contre ce fléau une priorité. Pourquoi ? Les procureurs de la République de Seine-Saint-Denis, du Val-de-Marne, de Créteil ou de l'Essonne, notamment, nous ont signalé que les affaires de proxénétisme qu'on dit « de cité » augmentaient de façon très inquiétante. Pourtant, les enquêteurs rencontraient d'énormes difficultés pour percer ces réseaux - souvent de mini-réseaux. La plupart du temps, les victimes ne participent pas aux enquêtes. Par ailleurs, tout se passe sur les réseaux sociaux, de façon tout à fait dissimulée. Ces professionnels, au contact des réalités de terrain et des enquêtes, nous ont alertés sur ce phénomène qu'il fallait envisager de combattre avec beaucoup d'énergie.

Ensuite, dans le groupe de travail, ce sont les travailleurs sociaux et les associations spécialisées qui nous ont décrit les problématiques de ces jeunes filles - 90 % des prostituées sont des jeunes femmes. Nous le savons, malheureusement, la majorité d'entre elles sont tombées dans la prostitution car elles ont subi tant de violences, au sein de leur famille, dans le milieu scolaire ou ailleurs, qu'elles ont pu considérer que celle-ci était un mode de vie.

Je salue particulièrement Arthur Melon, de l'Association contre la prostitution des enfants (ACPE), qui nous a été précieux pour nous éclairer sur ce phénomène.

Ces acteurs nous ont également fait part de la sidération des acteurs sociaux devant le discours provocateur des adolescents, qui sont souvent très peu conscients d'être exploités par leurs proxénètes et leurs clients.

Aussi, la prévention tertiaire, celle que nous devons aux jeunes déjà tombés en prostitution, passe par exemple par le soin. Il sera souvent le vecteur le plus pertinent pour créer un lien avec le jeune, avant le droit, avant la loi, et, évidemment, bien avant la morale. Nous avons notamment compris, avec les partenaires du corps médical, qu'il valait mieux parler à un jeune de ce qui est bon pour lui, plutôt que ce qui est bien pour lui. Nous avons essayé de promouvoir ce levier dans nos travaux et nos préconisations.

Enfin, la centaine de nos préconisations vise toutes les étapes du développement de l'enfant, et l'ensemble de ses interlocuteurs. D'abord, les parents, qui doivent être mieux accueillis qu'ils ne le sont encore dans les commissariats et gendarmeries. Ensuite, l'ensemble du corps enseignant et de la communauté éducative qui doivent mettre en place des actions préventives adaptées à chaque âge, avec le soutien des partenaires extérieurs à la famille ou à l'école. En effet, il ne faut pas dire que nous ne devons pas parler de prostitution aux enfants. Ils connaissent déjà ce fléau, par les réseaux sociaux. Il peut être une tentation, tant les profits apparaissent énormes et sans commune mesure avec le budget des familles. Ainsi, des actions de formation sont nécessaires, en amont et à tous les âges du développement de l'enfant.

Nous avons également envisagé l'indispensable formation des professionnels, avec le concours d'interlocuteurs pluridisciplinaires. Si je devais résumer le vecteur et le viatique de nos travaux, je parlerais en effet de la pluridisciplinarité pour mieux comprendre, mieux protéger, mieux informer, et mieux prendre en charge.

Je suis ravie que ce prix me soit remis, mais j'avais déjà reçu une récompense : le grand bonheur de présider ce groupe de travail. Vous avez parlé d'engagement. J'ai rencontré bon nombre de personnes engagées, qui avaient pour véritable volonté de se mobiliser contre ce fléau. Au sein du groupe de travail composé de seize personnes ainsi qu'avec les 150 personnes interrogées, les consensus ont été trouvés extrêmement rapidement.

À une époque où les femmes, à raison, ne veulent plus subir en silence les violences et agressions sexuelles, la prostitution des mineurs, qui est une violence sexuelle, peut apparaître paradoxale. Notre travail a visé à appeler tous les adultes, membres de la communauté éducative, responsables d'Internet - je salue à ce sujet le travail remarquable initié par le Sénat sur l'industrie de la pornographie - et professionnels de l'enfance à la mobilisation, chacun à son niveau. Ils doivent aussi connaître les autres acteurs de la prévention, riches, qui peuvent les aider à vaincre la solitude de ce fléau. Ce dernier est en effet assez atypique et déconcertant.

Nous avons cherché à ce que celles que l'on appelait au XXe siècle les « filles perdues » puissent être retrouvées et protégées, mais aussi à ce qu'elles se retrouvent en tant que femmes et jeunes femmes libres. Pour cette ambition collective, je suis très honorée de ce prix, que je partage avec mes collègues. Il nous encourage à rester vigilants et actifs dans ce combat.

Mme Annick Billon, présidente. - Merci beaucoup. Il était important de vous entendre. Vos mots vont faire le lien avec le dernier prix que nous remettons aujourd'hui. Nous vous avons entendus, au sein de la délégation, et nous sommes rendu compte que vous aviez réalisé un travail très important sur la prostitution des mineurs. Laurence Cohen et Laurence Rossignol nous ont alors persuadées de travailler sur le thème de la pornographie. Les constats tirés sur ce sujet ont dépassé tout ce que nous pouvions attendre de cette industrie effroyable. Au travers de nos travaux, nous avons réalisé que les notions de prostitution, de pornographie et de proxénétisme présentaient une porosité certaine.

J'invite désormais Céline Piques de l'association Osez le Féminisme !, Claire Quidet du Mouvement du Nid et Claire Charlès des Effronté.es, à me rejoindre. Je propose par ailleurs à Laurence Rossignol et Laurence Cohen de se joindre à nous, puisque nous avons mené ce travail ensemble, avec Alexandra Borchio Fontimp, qui n'a malheureusement pas pu être parmi nous ce soir.

Très chères lauréates, chaque année, nous choisissons de distinguer, au-delà de personnalités marquantes, une association ou une ONG dont nous souhaitons saluer l'action en faveur des droits des femmes et de l'égalité femmes-hommes. Ce soir, nous accueillons un collège de trois associations. Nous ne pouvions pas vous départager, Mesdames.

Notre choix s'est imposé comme une évidence. Après plus de six mois de travaux sur l'industrie de la pornographie, il nous semblait indispensable de saluer l'engagement des associations Osez le Féminisme !, Mouvement du Nid et Les Effronté.es contre les violences pornographiques et aux côtés des victimes.

L'audition de vos associations a été notre toute première audition consacrée à l'industrie pornographique, au mois de janvier 2022, et je dois dire qu'elle a été particulièrement marquante et choquante pour nous toutes et tous. Je me souviens des regards que nous échangions à cette occasion. Nous nous sommes immédiatement rendu compte que nous avions eu raison de choisir ce sujet. Nous ne mesurions pas toutes et tous l'ampleur du désastre.

Vous nous aviez alors expliqué comment votre engagement aux côtés des personnes prostituées vous avait amenées à également être sollicitées par des femmes ayant participé à des tournages pornographiques. Vous nous aviez décrit sans détour et faux-semblant les pratiques abjectes dont ont été victimes les femmes impliquées dans l'affaire dite French Bukkake, dans laquelle vous vous êtes portées partie civile.

Vous nous aviez également fait part du recensement que vous avez effectué de catégories et titres de vidéos disponibles sur des sites pornographiques grand public. Une fois que nous avons consulté ces rubriques, nous avons compris la gravité et l'urgence de la situation. Cela a permis de rapidement couper court à toute vision faussée ou édulcorée du porno. J'ai d'ailleurs pour habitude de dire que le porno éthique est anecdotique.

Vous aviez notamment mis en avant la fréquence de termes comme interracial, bukkake, étranglements, fantasme familial, ado et de nombreux autres termes mettant en avant les violences et humiliations subies par les femmes filmées. Les propos étaient difficiles, mais devaient être entendus pour que nous nous fassions une juste idée de ce qu'est le porno aujourd'hui.

Je me souviens de ces mots de Sandrine Goldschmidt du Mouvement du Nid qui me semblent bien résumer la situation : « L'industrie du porno est une industrie de production de films ayant la particularité de ne pas être du cinéma. Les actes sexuels, les pénétrations, les coups et les tortures sont réels. » J'ajoute le sang, les cris ou encore les pleurs et hurlements. Tout est réel. Je ne suis pas certaine que les 19 millions de visiteurs uniques de sites pornographiques chaque mois en France en aient conscience.

Nos travaux ultérieurs n'ont fait que confirmer les propos que vous avez tenus devant notre délégation et l'ampleur des violences envers les femmes générées par l'industrie pornographique.

Je suis, pour ma part - et je pense pouvoir parler au nom de l'ensemble de mes collègues - très fière que la délégation aux droits des femmes du Sénat soit à l'origine du premier rapport parlementaire consacré à cette industrie. Vous le constatez, nous étions quatre rapporteures issues de groupes politiques différents. Nous avons nous aussi trouvé un consensus assez facilement.

Les travaux que nous avons menés pendant six mois et les dizaines d'heures d'audition ne nous ont pas laissé la possibilité de nous séparer sur les conclusions. Ainsi, notre rapport transpartisan a été adopté à l'unanimité par notre délégation. Je ne doute pas qu'il fera date. Nous allons continuer à le faire vivre et à travailler avec les ministres concernés pour faire avancer nos préconisations. Vous pouvez compter sur notre engagement.

Nous espérons notamment pouvoir présenter une proposition de résolution sur le sujet au Sénat, et que celle-ci pourra être votée à l'unanimité.

Pour ces raisons, je suis particulièrement heureuse de vous remettre, au nom de l'ensemble de mes collègues, cette médaille de la délégation qui récompense votre action contre les violences pornographiques et aux côtés des victimes.

Nous avons parlé de prostitution puis de pornographie. Si nous ne prenons pas tous conscience des conséquences de cette industrie, notamment chez les jeunes, nous ne parviendrons jamais à faire reculer les violences intrafamiliales, même en votant toutes les lois possibles.

Prostitution, pornographie, proxénétisme, même combat. Femme, vie, liberté, il faut y aller, Mesdames !

Je laisse la parole aux associations. Merci à toutes les trois, même si vous nous avez bousculés et dérangés.

Mme Céline Piques, présidente de l'association Osez le Féminisme ! - Bonjour à toutes et à tous.

Merci beaucoup pour ce prix, qui est collectif, pour la bonne et simple raison que nos trois associations ont décidé de s'unir pour entendre, enfin, la voix des plaignantes. Il ne revient pas qu'aux militantes engagées que nous sommes au côté des femmes victimes. J'ai aussi, et avant tout, envie de le dédier à toutes les plaignantes. Elles sont d'un courage et d'une force inouïs pour se lever cinq ans après le début de #MeToo, et dire qu'elles aussi, elles ont vécu cela. Nous sommes aujourd'hui au seuil d'une révolution, d'un #Metoo de la pornographie incroyable. Sans ces femmes, nous n'en serions pas là. Elles ont décidé de se porter parties civiles. Aujourd'hui, la justice les entend. C'est tout le sens de #MeToo, qui a pour objet d'écouter les victimes. Sans elles, il n'y aurait rien.

Les deux procès en préparation seront terribles. Ils rejoignent totalement le constat dressé par le rapport du Sénat. L'industrie pornographique est une industrie proxénète. C'est une industrie criminelle qui agit dans l'illégalité la plus totale dans la manière dont sont produites ces images. Cela a été dit, ce n'est pas du cinéma. Les actes de violence, de sadisme, de viol, de violence sexuelle ne sont pas simulés. Dès lors que nous édictons ce fait, nous devons replacer l'industrie pornographique dans le cadre du droit. Il n'est pas aujourd'hui possible de monnayer un acte d'un sadisme inouï. Je ne reviendrai pas sur les catégories et scénarios de ces vidéos, qui banalisent et promeuvent des violences sexuelles.

Ces femmes ont obtenu d'être écoutées par la justice. Nous, associations de terrain, avec le Mouvement du Nid et Les Effronté.es, avons décidé de les écouter et de les accompagner. Mme Champrenault insistait sur l'importance du soin. Nous essayons de fournir à ces victimes un accompagnement psycho-traumatique et des conseils juridiques, entre autres, pour les aider à aller vers deux procès à venir qui s'annoncent terribles.

Dans le cadre des affaires French Bukkake et Jacquie et Michel, nous comptons aujourd'hui près de soixante-dix plaignantes. Face à elle, je n'arrive plus à compter les mis en examens, qui étaient dix-neuf ou vingt au dernier comptage, producteurs et acteurs. Les chefs d'inculpation sont sans appel sur la réalité criminelle de l'industrie pornographique : viol aggravé, proxénétisme aggravé, actes de torture et de barbarie, traite d'êtres humains. Enfin, la justice les écoute. Dans cette procédure hors norme, je ne parviens plus à compter le nombre de juges d'instruction qui s'impliquent aujourd'hui. Le lien est enfin tissé entre la prostitution et la pornographie.

J'aurais pu prononcer des passages entiers du discours de Mme Champrenault. Les mécanismes de rabattage, la façon dont ces femmes sont piégées, mises sous emprise, trompées, violées sur les tournages, sont strictement identiques à ceux de la prostitution.

Quelle est la seule différence ? Elle est terrible. C'est ce que je qualifie de double peine. Au-delà de ce viol tarifé, celui-ci est diffusé, de façon incontrôlée. Il est impossible, pour les victimes, de faire retirer les vidéos de leurs propres tortures. Le producteur ayant organisé ces viols peut continuer à les diffuser, et des millions d'hommes et de femmes se masturbent en visionnant ces actes de torture. Cela doit nous interroger sur l'intégralité de notre société. En effet, que signifie le fait que l'essentiel de la pornographie n'est qu'images de déshumanisation des femmes, de soumission et d'alimentation d'un certain nombre de mythes patriarcaux ? Ceux-ci sous entendent qu'il existe un désir irrépressible des hommes, que les femmes sont des objets sexuels, et qu'elles méritent et souhaitent la violence qui est commise à leur encontre.

J'aimerais qu'on applaudisse l'ensemble des acteurs agissant pour faire avancer cette cause, et les extraordinaires avocats avançant aux côtés des victimes. Je salue notamment Maître Questiaux, avocate de nos trois associations, qui accompagne également plusieurs victimes. Elle est de tous les combats et lutte contre le proxénétisme depuis plus de dix ans. Elle est au coeur de cette mobilisation pour que ces femmes soient entendues. Ce prix est aussi le sien. Elle est essentielle dans la façon dont nous pouvons faire valoir le droit, aujourd'hui, en France.

Pour finir, je remercie toutes les militantes de nos trois associations. Elles traitent un sujet très difficile. Nous sommes des dizaines, des centaines de militantes bénévoles. Nous croyons en ce que nous faisons. #Metoo doit aujourd'hui investir l'industrie porno-criminelle, et aider nos associations, qui ne peuvent pas tout porter en justice. Nous allons avoir besoin de la loi.

Je remercie les quatre sénatrices, Annick Billon, Laurence Cohen, Laurence Rossignol et Alexandra Borchio Fontimp, qui donnent enfin une suite politique à ces procès et à notre mobilisation pour mettre fin à l`impunité aujourd'hui complète de l'industrie porno-criminelle. Je pense également à la ministre en charge de l'égalité femmes-hommes, Isabelle Rome, qui a reçu les sénatrices pour qu'elles lui remettent ce rapport. Je crois qu'elle est également mobilisée sur le sujet. Le Haut conseil à l'égalité s'est également saisi sur cette question. En travaillant ensemble, nous pourrons faire inscrire cette question à l'agenda politique pour que cesse cette diffusion incontrôlée de vidéos représentant des actes de violences, de viol et de torture, qui font malheureusement office d'éducation sexuelle pour nos enfants. La loi sur l'interdiction d'accès de ces sites aux mineurs n'est en effet pas respectée. L'ensemble de l'industrie porno-criminelle ne la respecte pas en France. J'espère que cela pourra changer.

Mme Claire Quidet, présidente de l'association Mouvement du Nid. - J'essaierai d'être brève, puisqu'il est inutile de répéter ce qui a déjà été dit.

Nos trois associations sont très sensibles et honorées par ce prix que nous remet aujourd'hui la délégation aux droits des femmes du Sénat pour saluer nos actions communes contre l'industrie pornographique.

Au Mouvement du Nid, nous avons accentué depuis quelques années notre travail sur cette question, d'une part parce que l'ensemble de nos délégations étaient de plus en plus souvent sollicitées par des personnes prostituées qui nous confiaient les violences extrêmes qu'elles subissaient dans la pornographie. La porosité entre les deux systèmes était évidente. D'autre part, parce que les dizaines de milliers de jeunes que nous rencontrons chaque année en prévention témoignent lors de nos interventions de l'impact désastreux de ce qui fait parfois office, pour eux, de seule éducation sexuelle. Tout ce qui est présent dans la prostitution l'est dans la pornographie : producteurs et diffuseurs, qui l'organisent et en tirent profit, proxénètes, acteurs et actrices rémunérés pour effectuer des actes sexuels non désirés, activité prostitutionnelle. Cela a été dit, les trajectoires de vie sont bien souvent similaires. Enfin, ceux qui regardent les contenus pornographiques, parce qu'ils contribuent à générer ces profits colossaux, peuvent être assimilés à des clients prostitueurs.

La seule différence réside dans la présence de la caméra. Pour cette raison, nous parlons au Mouvement du Nid de prostitution filmée. La pornographie, c'est de la prostitution qui se déroule devant une caméra. Comme dans la prostitution, la violence y est omniprésente, à un niveau peut-être jamais vu. Nous parlons ici de viol, de torture, d'actes de barbarie. La présence de la caméra n'annule pas cette violence.

Aujourd'hui, nous ne pouvons que nous réjouir que la violence des victimes soit enfin entendue. Nous en sommes très émues. Elle est entendue à travers l'action judiciaire en cours, par la justice. Elle l'est aussi par les médias, qui relaient ce qu'il se passe, et que tout le monde semble découvrir. Elle l'est également par les institutions. En ce sens, le travail de la délégation aux droits des femmes du Sénat est très important dans la reconnaissance de cette parole.

Nous devons maintenant cesser de faire passer les violences que subissent ces personnes dans la pornographie pour de soi-disant productions culturelles, et les nommer pour ce qu'elles sont. Il s'agit d'images de violences réelles, atroces, indicibles, infligées à des femmes, mais aussi des enfants ou des hommes, au profit d'une industrie qui génère des profits colossaux. Elle recycle par ailleurs à l'envi des mythes patriarcaux de domination, d'humiliation, de mépris des femmes et de culture du viol.

Il y a aujourd'hui un mouvement médiatique indéniable. Votre rapport ainsi que les actions en cours y contribuent. Les politiques publiques doivent maintenant se saisir de cette question. La France a fait un pas gigantesque en interdisant l'achat d'actes sexuels en 2016. Elle doit aller plus loin dans la lutte contre toute forme de marchandisation du corps des femmes et contre les violences. Nous avons les moyens de mettre à mal l'industrie pornographique et tout le système porno-prostitueur. Nul doute que l'excellent rapport de votre délégation y contribuera.

Merci beaucoup.

Mme Claire Charlès, porte-parole de l'association Les Effronté.es. - Bonjour à toutes et tous.

J'essaierai de ne pas répéter ce qui a été dit. Je suis la porte-parole de l'association Les Effronté.es. Je remercie infiniment la délégation aux droits des femmes et sa présidente Annick Billon, pour ce prix que nous partageons avec les associations Osez le féminisme ! et le Mouvement du Nid. Je suis extrêmement fière de mener ce combat avec ces deux associations et avec nos camarades militantes à qui j'ai envie de rendre hommage, et même « femmage ». Il est très particulier de ressentir la fierté qui est aujourd'hui la nôtre pour un combat aussi dur et même horrible. Pour leurs recherches, les militantes se sont infligées des heures d'images ou de synopsis abominables. C'est très dur psychologiquement.

Les luttes féministes connaissent rarement, à défaut d'un aboutissement, une étape historique telle que ce rapport sénatorial. J'espère qu'il sera suivi de mesures concrètes - j'en suis presque sûre - mais aussi d'ampleur. Nous nous attaquons à une industrie criminelle, qui s'apparente à une mafia. Elle charrie des milliards de dollars chaque année. C'est un haut lieu du patriarcat, où se déroulent les pires horreurs, qui ne sont pas tolérées dans l'espace de l'intime et du privé. Elles sont punies par la loi. Pourquoi seraient-elles acceptées sous le prétexte que « c'est du cinéma » ? La sémantique la plus hypocrite serait celle du porno qualifié d'« amateur », qui ne diffère en rien du reste de l'industrie pornographique.

On pourrait penser que tout le porno n'est pas ainsi. Il ne faut pas croire cela. Je rappelle que 88 % des scènes de pornographie contiennent de la violence explicite et non feinte. C'est énorme. Par ailleurs, à l'occasion de notre audition, nous avons apporté de l'information sur les contenus des synopsis, et notamment les mots clés les plus recherchés. Nous n'avons pas besoin de chercher longtemps pour les trouver. Certains ont été listés par Annick Billon : interracial, fantasme familial, teen, esclavage et autres horreurs... Par ailleurs, les films pornos représentent 35 % de la bande passante du Net. Ils sont en outre extrêmement banalisés dans notre société. Il est considéré comme tout à fait normal d'en regarder, et au contraire, ne jamais en avoir visionné vous fait même passer pour quelqu'un de « coincé ».

Ces souffrances sont devant nos yeux, et nous ne pouvons plus les ignorer.

J'aimerais également insister sur le fait que ces violences sont patriarcales et sexistes, mais aussi transphobes. Les femmes transgenres y sont particulièrement humiliées et dénigrées, ou fétichisées. Ces violences sont également racistes. Les synopsis dont je vous parlais sont illégaux, et très souvent racistes. S'y ajoutent des discriminations lesbophobes. Ainsi, le combat est intersectionnel. Il est important de le dire, ce n'est pas un gros mot.

La pornographie a un impact énorme sur la construction de la sexualité des jeunes enfants et adolescents. En France, le premier porno est visionné en moyenne vers 11 ou 12 ans. La sexualité des adultes est également impactée. Ce n'est pas parce que nous sommes adultes qu'un mur se construit entre ce que nous voyons et ce que nous ressentons ensuite. Nous ne pouvons pas imaginer une société respectueuse des femmes dans la mesure où nous savons que des hommes éprouvent de l'excitation sexuelle devant des actes de torture et de barbarie. C'est impossible.

Ce sujet étant supposément la grande cause du quinquennat, nous espérons que ce rapport sénatorial, qui est historique, sera suivi d'effets. Je remercie encore les sénatrices l'ayant co-rédigé et nous ayant auditionnées, qui ont embrassé ce combat et qui nous ont écoutées.

Enfin, les personnes tombant dans la prostitution ou la pornographie sont souvent multi-traumatisées, mais aussi précaires. Ce combat doit obligatoirement s'accompagner de mesures sociales. Si celles-ci ne sont pas suffisantes et si les parcours de sortie de la prostitution et du porno ne fournissent pas des montants assez élevés, les lois ne seront que pure communication. Ce serait déjà un début, puisque la loi sert à dire ce qui est bien ou pas, mais il faut des budgets. Sans eux, nous sortirons peut-être ces femmes de la pornographie ou de la prostitution, mais nous ne les sauverons pas de la précarité. Ces sujets sont liés.

Je remercie encore mes camarades d'Osez le féminisme ! et du Mouvement du Nid, la délégation aux droits des femmes, et les sénatrices Annick Billon, Laurence Cohen, Laurence Rossignol et Alexandre Borchio Fontimp.

Ces violences sont devant nos yeux. Nous ne pouvons plus les fermer. Nous n'avons pas le droit de ne pas réagir.

Mme Annick Billon, présidente. - Nous souhaitons véritablement vous remercier.

Oui, travailler sur le sujet de la pornographie est difficile. Ce travail nécessite un engagement total. Nous vous en remercions. J'étais récemment sur un plateau avec une journaliste de Complément d'enquête ayant également travaillé sur le sujet. Elle m'indiquait avoir été reporter de guerre, et n'avoir jamais demandé l'aide psychologique qui lui était proposée en retour de reportage. Elle comptait en revanche la demander après son travail sur la pornographie.

Merci, Mesdames, pour votre engagement. Merci à toutes les lauréates pour votre travail visant à faire progresser les droits des femmes et des filles, et l'égalité.

Et, je dirais pour finir : « Femme, vie, liberté ! »