Vendredi 9 septembre 2016

- Présidence de Mme Évelyne Didier, vice-présidente -

Audition de M. Gérard Cote, professeur de l'École nationale supérieure de chimie de Paris

La réunion est ouverte à 10 h 20.

Mme Évelyne Didier, présidente. - Nous reprenons les travaux de notre mission d'information, après les nombreuses auditions effectuées au mois de juillet ainsi que les deux déplacements effectués la semaine dernière aux Ateliers du bocage, dans les Deux-Sèvres, et sur le site de l'entreprise Umicore en Belgique. Nous recevons ce matin M. Gérard Cote, professeur à l'École nationale supérieure de chimie de Paris, où il est responsable de la chaire « mines urbaines ».

Merci, professeur, d'avoir répondu favorablement à notre invitation. Je vous rappelle que notre mission d'information, créée à la demande du groupe écologiste, porte sur l'inventaire et le devenir des matériaux et composants des téléphones mobiles. Nous avons commencé nos travaux au tout début du mois de juillet et nous les achèverons à la fin de ce mois, après quelques auditions conclusives, cette semaine et la semaine prochaine.

Nous avons ainsi entendu le ministère de l'écologie, l'Ademe, les fabricants, la fédération des opérateurs de téléphonie mobile, les éco-organismes, les entreprises de recyclage ou encore les associations de consommateurs. C'est au cours de l'audition de l'éco-organismes Eco-systèmes que la chaire « mines urbaines » a été évoquée. Sa thématique entre pleinement dans le champ d'investigation de notre mission d'information et c'est pourquoi il nous a paru très utile de vous entendre.

Mme Marie-Christine Blandin, rapporteure. - Pouvez-vous nous présenter cette chaire et nous dire, dans le champ de notre mission, les préconisations que vous jugez pertinentes ?

M. Gérard Cote, professeur à l'École nationale supérieure de chimie de Paris, responsable de la chaire « mines urbaines ». - C'est un champ très vaste ! Vous disposez me semble-t-il, à ce stade de vos auditions, d'un panorama très complet et de nombreux chiffres. Certaines données, sur la composition des téléphones, sont difficiles à obtenir ; Eco-systèmes a mené des études mais celles-ci ne sont pas diffusées.

La chaire « mines urbaines » est soutenue par Eco-systèmes et elle réunit trois écoles, Chimie ParisTech, Mines ParisTech et l'Ensam ParisTech. Elle a été créée en 2014 et dotée d'un budget de 2,5 millions d'euros pour cinq ans. Aujourd'hui, dix thèses y sont menées, seize sans doute en fin de période. Nous comptons une trentaine de collaborateurs dans les trois écoles, enseignants-chercheurs, chercheurs CNRS ou thésards et doctorants. Nous avons un site internet, ouvert récemment - au début de l'année.

Eco-systèmes nous a sollicités pour créer une chaire consacrée aux déchets d'équipements électriques et électroniques ou « D3E » - dont les téléphones portables - et travailler par exemple sur la dangerosité des plastiques et leur recyclage. Une réutilisation dans les pare-chocs semble pertinente, mais les clients de SEB ont-ils envie d'une cafetière en plastique recyclé ? Les Arts et Métiers se penchent sur les plastiques, Chimie ParisTech sur le recyclage des métaux, avec deux thèses sur la bio-lixiviation des D3E (des bactéries mangeuses sont utilisées...) et sur le captage des métaux stratégiques - l'une cofinancée par le Bureau de recherches géologiques minières (BRGM), l'autre par l'Ademe. De telles collaborations sont un levier pour amplifier l'activité. Les Mines ParisTech se penche sur les questions d'organisation et de chaîne de valeur. Tous ces travaux sont complémentaires. Du reste, notre chaire a vocation à faciliter l'émergence de réseaux, comme Prometia ou Prométhée.

Elle a aussi pour mission de diffuser l'information. Nous nous posons aujourd'hui la question d'un master spécialisé : faut-il en créer un ou intégrer le sujet dans un cycle existant ? Il importe en tout cas d'attirer les talents vers le recyclage, de donner à ce secteur ses lettres de noblesse. Jadis c'était le domaine des ferrailleurs, aujourd'hui les technologies les plus pointues sont convoquées.

Nous tiendrons bientôt la Semaine internationale du réseau Athens, un consortium d'universités, sur l'économie circulaire, la responsabilité étendue du producteur (REP), etc. Nous aurons des interventions de Maria Banti de la Commission européenne ou de Mats Linder, de la Fondation Mac Arthur, et même une visite de site. Un ouvrage collectif vient de paraître sur les D3E. Bref, une communauté active et proactive se développe autour de la chaire et sous l'impulsion d'Eco-systèmes.

Mme Marie-Christine Blandin, rapporteure. - Votre réflexion commune a-t-elle déjà débouché sur des convictions concernant la stratégie ? Car nous avons entendu des propos très différents ! Certains prônent un démontage très précis avant traitement, alors qu'Umicore brûle d'abord et récupère ensuite.

M. Gérard Cote. - Au niveau collectif, la réflexion n'a pas encore abouti, même si j'ai un avis à titre personnel.

Mme Évelyne Didier, présidente. - La différence entre le smart phone et l'ordinateur pourrait disparaître plus rapidement que l'on ne l'imagine. Cette convergence est-elle prise en compte dans votre réflexion ?

M. Gérard Cote. - La convergence entre les téléphones, dont le format grandit, les tablettes et les ordinateurs n'est pas encore une réalité. Une filière globale est envisageable, mais pas aujourd'hui. La taille est un élément essentiel, car un disque dur d'ordinateur est retraitable, alors que les téléphones sont composés de pièces collées ou très petites - ce sont des freins au recyclage. Il y a une évolution des technologies, mais aussi un facteur coût. Solvay a abandonné le traitement des terres rares, pourtant les luminophores réduits en poudre sont faciles d'accès.

Une question importante est : jusqu'à quel stade veut-on recycler ? Umicore, avec ses filtres, produit un certain volume de scories. Son protocole d'incinération permet de récupérer l'or, le palladium, mais les terres rares sont perdues. Si les mâchefers peuvent être réutilisés, pourquoi pas ? Sur ces aspects, les études actuelles ne sont pas suffisantes. Umicore respecte probablement la réglementation, mais il y a finalement deux options : recycler dans le respect de l'environnement (car sait-on où va le cadmium ?) ou pousser le plus loin possible le retraitement, par des procédés fondés sur le désassemblage. Aucun industriel en Europe ne pourra en vivre, mais vous connaissez le robot Apple qui démonte les téléphones...

Mme Évelyne Didier, présidente. - Mais Apple sait comment ses téléphones sont fabriqués.

M. Gérard Cote. - L'activité de démontage manuel en Europe n'est pas rentable. En outre les obligations européennes portent sur le volume de collecte ; la directive ignore en revanche le critère de dangerosité potentielle des déchets. Elle ne contient aucune incitation à récupérer, en plus des métaux majeurs, les métaux mineurs. Le potentiel stratégique des métaux n'est pas pris en compte. Dès lors, le protocole d'Umicore a un sens.

Mme Marie-Christine Blandin, rapporteure. - Pourquoi n'y a-t-il en France aucune société semblable à Umicore ?

M. Gérard Cote. - Il y a des sociétés comme la start-up Terra Nova Development, fondée par des anciens de Métaleurop et qui maîtrise les technologies de pointe, mais il y faut des investissements considérables !

Mme Marie-Christine Blandin, rapporteure. - On nous parle beaucoup de cette entreprise : que fait-elle exactement ?

M. Gérard Cote. - Elle travaille en particulier sur les cartes électroniques, mais M. Christian Thomas, que vous auditionnerez je crois, vous le dira.

En France, la collecte est très déficiente. Eco-systèmes a fait des études sur ce point avec des universitaires. Deuxième handicap, le problème du désassemblage. Un ordinateur portable peut être désassemblé, un disque dur, non. À Grenoble, on pratique l'hydrogénation : le disque est cisaillé, et l'hydrogénation rend alors les matériaux friables : la récupération de l'aimant devient très facile.

Un mot de l'économie solidaire : on parle de REP, mais quid de la REC, ou responsabilité élargie du consommateur ? La restitution se fait mal, par exemple : on pourrait imaginer une charte à laquelle le consommateur adhère ; il pourrait être fier d'utiliser des appareils comportant des matériaux recyclés...

Mme Marie-Christine Blandin, rapporteure. - Le sujet n'est pas pris à bras le corps : qu'en est-il des financements publics ? Y a-t-il une stratégie pour flécher les fonds vers le champ des mines urbaines ?

M. Gérard Cote. - Non, mais il existe des programmes dans lesquels celles-ci pourraient être intégrées. ERA-MIN est en phase de transition. Le Centre franco-indien pour la promotion de la recherche avancée (Cefipra) créé en coopération avec l'Inde est également une source de cofinancement, avec des partenaires industriels. Je veux souligner une difficulté des universitaires à appréhender toute la chaîne de valeur. On peut remporter le prix de l'innovation sur un procédé de récupération des terres rares, par exemple, mais encore faut-il prendre en compte les étapes successives pour savoir à quel moment l'appliquer. Trop de chercheurs pensent avoir trouvé des solutions miracles, qui restent inapplicables faute de cohérence avec le reste de la chaîne. C'est pourquoi les échanges entre universitaires et industriels sont si importants...

Mme Marie-Christine Blandin, rapporteure. - Et l'emploi ? Existe-t-il des filières plus porteuses ? Le contenu en emplois peut-il influencer les choix stratégiques ?

M. Gérard Cote. - Pour développer des filières pérennes, il faut trouver des compromis. Il ne faut pas attendre d'emplois en grand nombre parce que la capacité du marché est limitée. Mieux vaut déployer de la robotique, associée à des emplois de spécialistes, mais avec un nombre d'opérateurs limité. Le recyclage des terres rares a été très rentable un temps pour Solvay, mais la pression de l'offre exercée par la Chine étant ensuite retombée, la rentabilité de l'activité a chuté.

Lorsque le consommateur achète des produits potentiellement polluants, lui demander une contribution de deux ou trois euros me semble acceptable...

Mme Évelyne Didier, présidente. - Mais ce sont les distributeurs et les fabricants qui montent au créneau contre de telles contributions ! Cette attitude rétrograde n'est pas le fait des consommateurs !

M. Gérard Cote. - Pour un smartphone à 600 euros, le consommateur acceptera, si on lui en explique la finalité, de payer quelques euros de plus.

Mme Évelyne Didier, présidente. - C'est aux fabricants qu'il faut expliquer les choses.

Mme Marie-Christine Blandin, rapporteure. - Les grands projets de mines d'or ne vont-ils pas faire baisser les cours et fragiliser Umicore qui pratique la récupération de l'or dans les vieux téléphones ?

M. Gérard Cote. - Des ingénieurs de Mines ParisTech ou de BRGM vous répondraient mieux que moi...

Mme Marie-Christine Blandin, rapporteure. - Nos interlocuteurs au BRGM n'ont pas semblé très sensibles aux impacts sociaux et environnementaux des mines urbaines.

M. Gérard Cote. - Certains le sont pourtant !

La volatilité des matières premières, une donnée désormais constante, doit être une incitation à trouver le compromis de recyclage le plus raisonnable possible, prenant en compte la protection de l'environnement. Cela exige une incitation suffisante - ce n'est pas le cas aujourd'hui dans la directive, je l'ai dit. En outre, à quoi et où utiliser les matériaux recyclés ? Ils sont souvent réexportés en Chine. Il convient aussi de se pencher sur les filières illégales, pour améliorer l'acceptabilité par les producteurs - ils nous alertent sur ces activités illégales.

Mme Évelyne Didier, présidente. - Mais gardons à l'esprit que ce sont les cigarettiers qui alimentent le marché parallèle des cigarettes. Tout est possible, y compris des trafics par les fabricants eux-mêmes.

M. Gérard Cote. - Quant aux consommateurs, ils adhèreront à un geste citoyen clair. Aucun d'entre eux n'a envie que les décharges sauvages prolifèrent.

Le secteur a également besoin de profils à haut potentiel, qui ne sauraient se limiter aux ingénieurs. Une thèse est en cours sur ce sujet.

Mme Évelyne Didier, présidente. - Le consommateur n'accomplira de gestes que s'il est convaincu qu'ils sont utiles ; il doit être certain que ses gestes ne sont pas effectués en vain.

Au début du tri des déchets, je me souviens d'une panne du système de tri qui a contraint à jeter l'ensemble dans le trou. Aucune explication claire n'a été fournie et les gens se sont sentis floués. Il n'y a rien de pire que de se sentir trompé, c'est une atteinte à l'estime de soi. Le consommateur coopère si l'on n'oublie pas qu'il est un citoyen.

Mme Marie-Christine Blandin, rapporteure. - Umicore a-t-il des concurrents ?

M. Gérard Cote. - Ils ne sont pas nombreux ; il n'y en a aucun en France.

Une situation de monopole entraînerait un risque de dérives, mais il ne faut pas trop éclater le marché.

Mme Marie-Christine Blandin, rapporteure. - Afin de limiter l'investissement de départ, peut-on reconvertir des sites industriels ?

M. Gérard Cote. - Que va-t-il se passer à Solvay, à La Rochelle ? Ce site traite des terres rares, mais on peut élargir son spectre. En le visitant, je l'ai trouvé vieillissant.

Mme Évelyne Didier, présidente. - Il faut intégrer le fait que de nos jours, on n'entretient plus le patrimoine. On achète, on utilise au maximum puis on laisse dépérir. C'est le cas dans beaucoup de domaines.

M. Gérard Cote. - Je rejoins votre analyse.

Il faut continuer à avoir un fleuron européen, et non uniquement français, dans le domaine des terres rares, sans prendre en compte le seul prix du marché. Pourquoi ne pas intégrer le potentiel d'évolution des technologies ? Beaucoup de start-ups réfléchissent à des projets.

Vous avez entendu M. Stéphane Pellet-Rostaing. Le Commissariat à l'énergie atomique a également pour démarche de transposer au civil les compétences extrêmement poussées acquises dans le nucléaire. La chambre syndicale de la métallurgie (CSM) ou l'Institut européen d'hydrométallurgie vont dans le même sens. Mais les seuls à bien connaître les contraintes, qu'elles soient technologiques ou environnementales, sont les industriels. Il faudrait parvenir à une réflexion commune, avec les start-ups et les universitaires.

Mme Évelyne Didier, présidente. - Qui finance les entreprises ? Qu'attend-on d'elles ? Répondent-elles seulement à une demande de rentabilité ? Il faut savoir si elles sont financées par des fonds vautours ou par de vrais investisseurs.

M. Gérard Cote. - Ce n'est pas simple. Le monde académique et post-académique, c'est-à-dire les start-ups, peut créer de l'innovation, mais il ne peut pas tout imaginer. Je ne suis pas sûr que les appels de l'Agence nationale de la recherche (ANR) soient suffisants.

Mme Évelyne Didier, présidente. - C'est intéressant de savoir que vous travaillez dans ce sens. Vous vous préoccupez de l'économie sociale et solidaire. Je pense que nous avons des gisements locaux qui peuvent l'intégrer.

Comment rester territorialisé ? La déconstruction ne doit pas être effectuée en Malaisie. Le pays ne peut pas financer la création d'une chaîne de valeur pour que l'opération ait ensuite lieu ailleurs, sans bénéfice pour la population qui l'a portée. Une solution pourrait être d'intégrer cet élément dans les directives.

M. Gérard Cote. - Ce que vous exprimez peut se retrouver dans les échanges franco-indiens promus par le Cefipra, qui a le souci du recyclage.

Mme Évelyne Didier, présidente. - Merci de votre intervention.

M. Gérard Cote. - Votre belle mission est intéressante pour nous, universitaires, car elle est très transversale.

Audition de M. Jean-Lionel Laccourreye, président du Syndicat interprofessionnel du reconditionnement et de la régénération des matériels informatiques, électroniques et télécoms (Sirrmiet)

Mme Évelyne Didier, présidente. - Nous poursuivons notre matinée d'auditions en entendant M. Jean-Lionel Laccourreye, président du Syndicat interprofessionnel du reconditionnement et de la régénération des matériels informatiques, électroniques et télécoms (Sirrmiet). Ce syndicat a été créé en 2013 par plusieurs entreprises spécialisées dans le reconditionnement et la régénération des matériels informatiques, électroniques et télécoms. Un des objectifs de ces entreprises est de participer à la réduction des déchets en offrant une seconde vie aux produits.

Notre mission d'information, créée à la demande du groupe écologiste en juillet, porte sur l'inventaire et le devenir des matériaux et composants des téléphones mobiles. Elle achèvera ses travaux à la fin de ce mois. Nous avons entendu le ministère de l'écologie, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), les fabricants, la fédération des opérateurs de téléphonie mobile, les éco-organismes, les entreprises de recyclage ou encore les associations de consommateurs. L'activité des entreprises de reconditionnement et de régénération a été mentionnée à plusieurs reprises au cours de ces auditions, comme solution permettant d'allonger la durée de vie des téléphones portables.

M. Jean-Lionel Laccourreye, président du Syndicat interprofessionnel du reconditionnement et de la régénération des matériels informatiques, électroniques et télécoms (Sirrmiet). - Merci de nous recevoir afin que nous puissions exprimer notre contribution à la création de cet écosystème. Les sociétés actives dans le reconditionnement et le marché de l'occasion se sont regroupées il y a trois ans au sein du Sirrmiet. Elles existent depuis une vingtaine d'années, sont toutes certifiées, et traitent des produits tels que des serveurs, des outils d'impression, des téléphones portables. Ce sont des petites et moyennes entreprises (PME) appartenant à un marché éclaté, peu défini.

La réglementation sur les déchets d'équipements électriques et électroniques (D3E) a eu un impact sur nos activités. Le monde législatif reconnaît deux types de produits : le neuf et le déchet. Selon cette logique, le produit neuf devient un déchet, qui peut lui-même devenir une occasion. Notre logique est différente : de neuf, le produit devient d'occasion, puis déchet. Nous avons par exemple dû intervenir dans le cadre de la préparation d'une norme européenne sur la préparation à la réutilisation. Dans ce document d'une trentaine de pages, quatre à cinq paragraphes bloquaient nos activités. Nous avons pu les faire modifier.

Je dresse souvent un parallèle avec le secteur des voitures d'occasion, qui existe de longue date et connaît les mêmes contraintes de pièces détachées ou de transport. Ce marché est organisé. Nous voulons faire de même.

En Europe, la consommation massive d'occasion est récente. Elle est portée par des sites tels qu'eBay ou Le Bon Coin, en customer to customer. On peut aussi citer Easy Cash ou Cash Express. Cet écosystème se crée depuis 2005, or la réglementation est balbutiante. Ainsi, un produit d'occasion mis sur le marché subit-il les mêmes contraintes qu'un produit neuf, tels que les tests de destruction ? Nous ne pouvons pas les assumer.

Les sociétés du Sirrmiet travaillent pour des grands groupes européens possédant des parcs partout en Europe. S'ils souhaitent offrir une deuxième vie à leurs produits, nous devons leur faire passer des frontières. Or c'est impossible, car il faudrait avoir effectué les tests dans le pays d'origine.

Mme Marie-Christine Blandin, rapporteure. - Vous mélangez inutilisable et réutilisable dans un même lot, or la réglementation vous oblige à faire le tri avant le passage de la frontière. Vous dites que c'est un handicap.

M. Jean-Lionel Laccourreye. - C'est le cas. Le passage de la frontière n'est simple que pour les produits totalement fonctionnels. S'ils doivent être réparés, la réglementation est plus compliquée, et propre à chaque territoire. Il n'est donc pas possible de faire émerger un acteur européen.

Mme Marie-Christine Blandin, rapporteure. - Parlez-vous des frontières intra-européennes ?

M. Jean-Lionel Laccourreye. - Oui.

Mme Marie-Christine Blandin, rapporteure. - Les entreprises font-elles traverser les frontières à leurs produits tout en sachant qu'elles sont pénalisables ?

M. Jean-Lionel Laccourreye. - Je ne peux pas dire comment chacun des membres règle la question d'un point de vue légal.

Mme Marie-Christine Blandin, rapporteure. - Quels sont les pays de destination ?

M. Jean-Lionel Laccourreye. - L'export représente 50 % de notre activité, principalement vers l'Europe, surtout les grands pays.

Mme Marie-Christine Blandin, rapporteure. - Où trie-t-on les lots mixtes ?

M. Jean-Lionel Laccourreye. - Les produits, arrivés en lots mixtes, sont audités ; le maximum est réparé, le reste étant mis au rebut et détruit par des prestataires établis, évalués par nous ou par des éco-organismes. Les produits en état de fonctionnement sont revendus.

Mme Marie-Christine Blandin, rapporteure. - Où le test pour savoir ce qui fonctionne est-il effectué ?

M. Jean-Lionel Laccourreye. - Les centres de traitement sont en France.

Mme Évelyne Didier, présidente. - Pourquoi les tests ne sont-ils pas mutualisés ?

M. Jean-Lionel Laccourreye. - Ils font partie des process des entreprises qui sont en concurrence.

Mme Évelyne Didier, présidente. - Je serai plus directe : on reproche aux acteurs des D3E, entre autres, de contourner la réglementation sur les déchets pour faire déconstruire les produits en Malaisie, où il n'y a pas de contraintes environnementales et où la main d'oeuvre est peu ou pas payée. Comment authentifier les démarches honnêtes ? Êtes-vous dotés d'une charte ? Les voitures d'occasion sont certifiées, garanties.

M. Jean-Lionel Laccourreye. - Une charte est en cours de rédaction ; elle sera établie début 2017 et s'appliquera à tous les membres du Sirrmiet, qui est un syndicat encore jeune.

Économiquement, l'envoi de téléphones portables en Malaisie n'a aucun intérêt, chaque appareil au rebut rapportant entre 60 centimes et un euro. Je ne peux pas me prononcer sur les autres produits.

Mme Marie-Christine Blandin, rapporteure. - Un vieux téléphone qui ne fonctionne plus peut rapporter jusqu'à un euro ?

M. Jean-Lionel Laccourreye. - En effet. Par ailleurs, le code international IMEI assure une traçabilité complète.

Mme Marie-Christine Blandin, rapporteure. - Envoyez-vous des produits en Roumanie ?

M. Jean-Lionel Laccourreye. - Nous en envoyons pour réparation, mais pas pour rebut.

Mme Marie-Christine Blandin, rapporteure. - Des lots mixtes partent-ils en Roumanie ?

M. Jean-Lionel Laccourreye. - Le tri et les tests sont effectués en France.

Mme Marie-Christine Blandin, rapporteure. - Le rebut est donc donné à des acteurs de la valorisation, tandis que les réparables partent dans différents lieux en Europe.

M. Jean-Lionel Laccourreye. - Tout à fait. Les appareils Apple restent en France car c'est là qu'est la compétence, ce qui n'est pas forcément le cas de produits moins diffusés.

Le coût de transport donne aussi la possibilité d'effectuer plusieurs rebonds afin d'assurer la réparation.

Mme Marie-Christine Blandin, rapporteure. - Les entreprises de votre syndicat disposent-elles de sites à l'étranger, ou font-elles appel à d'autres entreprises ?

M. Jean-Lionel Laccourreye. - Les sociétés européennes en ont, les autres non.

Mme Marie-Christine Blandin, rapporteure. - Y a-t-il des pays privilégiés ?

M. Jean-Lionel Laccourreye. - Les pays privilégiés sont ceux qui possèdent une bonne infrastructure universitaire et assurent la réparation sous garantie pour les constructeurs, ce qui crée un écosystème. Outre la Roumaine, ces pays sont la Pologne et la Hongrie, où sont installées des entreprises de destruction.

Mme Marie-Christine Blandin, rapporteure. - Quels sont vos rapports avec Orange, SFR ou Bouygues dans le cadre de la reprise ?

M. Jean-Lionel Laccourreye. - Nous rachetons les téléphones portables venus du grand public ou les invendus. Dans les magasins, les opérateurs récupèrent l'ancien produit du client lors d'une vente.

Mme Évelyne Didier, présidente. - Le but est d'inciter à acheter un produit neuf.

M. Jean-Lionel Laccourreye. - Cela contribue à un écosystème, même s'il est plus rentable d'aller sur eBay !

L'incitation à donner son ancien téléphone portable vaut 1 si elle est environnementale, 10 si elle est caritative, 100 si elle est financière. Les concurrents sont le tiroir ou le fils à qui vous donnez votre appareil. Les niveaux de reprise seraient moindres sans ces incitations.

Mme Marie-Christine Blandin, rapporteure. - Bouygues et Orange organisent des actions de reprise. Je pense notamment à Recommerce.

M. Jean-Lionel Laccourreye. - Ce type d'entreprise est un prestataire qui fournit un argus de reprise pour positionner le prix. Elle reprend ensuite les téléphones portables, les reconditionne et les revend.

Ces sociétés sont des concurrents de membres du Sirrmiet.

Mme Évelyne Didier, présidente. - Pourquoi sont-elles des prestataires privilégiés ?

M. Jean-Lionel Laccourreye. - Elles ont des accords commerciaux avec les opérateurs, qui les ont sélectionnées pour trois ans à l'issue d'appels d'offres.

Mme Marie-Christine Blandin, rapporteure. - Ces entreprises ne pourraient-elles pas être membres du Sirrmiet ? Et les membres du Sirrmiet ne pourraient-ils pas être prestataires ?

M. Jean-Lionel Laccourreye. - Si, tout à fait.

Mme Évelyne Didier, présidente. - Quels sont vos rapports avec les opérateurs ?

M. Jean-Lionel Laccourreye. - Les opérateurs organisent des enchères pour vendre leurs lots de téléphones. Ils sélectionnent les entreprises qui seront interrogées, leur fournissent les détails, puis attendent leurs prix.

Mme Marie-Christine Blandin, rapporteure. - Parmi les difficultés opérationnelles rencontrées, celle de l'accès aux logiciels pour les mises à jour fait l'unanimité.

M. Jean-Lionel Laccourreye. - La conception ne va pas forcément dans le bon sens, comme les batteries soudées. La bonne nouvelle vient des Google phones et de leur vision modulaire. Autre problème, celui des logiciels. Un produit peut être 100 % fonctionnel mais inutilisable car ceux qui ont la solution ne font rien.

Mme Évelyne Didier, présidente. - Une voiture en parfait état de marche peut être bloquée par ordinateur.

Mme Marie-Christine Blandin, rapporteure. - Lors de notre visite aux Ateliers du bocage, nous avons constaté le suivi du numéro IMEI. Faites-vous de même ?

M. Jean-Lionel Laccourreye. - Tout à fait. Ce repère apporte une facilité.

Mme Marie-Christine Blandin, rapporteure. - La carte grise d'une voiture est nécessaire pour prouver qu'elle a été détruite ou vendue. Il n'y a pas cette contrainte pour les téléphones.

M. Jean-Lionel Laccourreye. - Non. Il n'y a pas de réglementation en ce sens.

Mme Évelyne Didier, présidente. - Notre souci est d'éviter que la marchandise parte au diable vauvert, afin d'économiser les ressources et de créer du travail. Votre activité semblait représenter un maillon faible.

M. Jean-Lionel Laccourreye. - Le marché de l'occasion fournit une formidable opportunité qu'il ne faut pas détruire par la réglementation.

Mme Évelyne Didier, présidente. - En quoi la vision binaire - neuf ou déchet - freine-t-elle votre activité ?

M. Jean-Lionel Laccourreye. - Le sourcing doit être européen. Or le passage de la frontière entre la France et la Belgique, par exemple, est contraignant pour un lot contenant des déchets.

Mme Évelyne Didier, présidente. - Cette réglementation est née de la balade de déchets sous couvert de produits à réparer, afin d'éviter leur traitement, ce qui a rendu méfiant. Il est intéressant de vous rencontrer pour mieux comprendre cette problématique.

Comment vous faciliter la tâche tout en évitant la fuite hors de l'Europe ?

M. Jean-Lionel Laccourreye. - La notion de produit à réparer devrait être définie légalement. Actuellement, le passage des frontières n'est simple que pour ceux qui ont l'agrément de constructeur.

Nous essayons, à l'échelle européenne, de monter un syndicat européen pour faire face au paquet « économie circulaire ».

Mme Marie-Christine Blandin, rapporteure. - Actuellement, vous ne pouvez-pas acheter de produits hors des frontières, ni exporter de lots mixtes.

M. Jean-Lionel Laccourreye. - Si la compétence de réparation est située hors de France, c'est effectivement problématique.

Mme Marie-Christine Blandin, rapporteure. - Le problème des tests porte sur le lieu de collecte.

M. Jean-Lionel Laccourreye. - En effet.

J'insiste, il faut s'inspirer du marché des voitures d'occasion : la voiture peut être un produit dangereux et polluant. Sa consommation est désormais structurée par cycles : un premier acheteur, qui la revend après quelques années à son voisin, qui la revendra à son tour à quelqu'un d'autre, avant qu'elle ne soit vendue à un acheteur étranger...

Mme Évelyne Didier, présidente. - Après un certain nombre de kilomètres parcourus !

M. Jean-Lionel Laccourreye. - Quant à la labellisation, c'est le consommateur qui la garantit. Nous nous inspirons du socle européen en la matière, en cours d'élaboration. Le marché d'occasion est un grand pourvoyeur d'emplois...

Mme Évelyne Didier, présidente. - Représente-t-il l'équivalent des « cars Macron » ?

M. Jean-Lionel Laccourreye. - En tous cas, il occupe plusieurs dizaines de milliers de personnes.

Mme Évelyne Didier, présidente. - Pour des produits qui, en définitive, sont destiné à des consommateurs aux revenus modestes.

M. Jean-Lionel Laccourreye. - Pas forcément : les consommateurs sont devenus astucieux !

La réunion est levée à 12 h 05.