Mardi 4 juin 2013

- Présidence de M. Henri de Raincourt, président -

Audition de M. Jean-Pierre Finance, délégué permanent de la Conférence des présidents d'université

M. Henri de Raincourt, président. - Nous accueillons M. Jean-Pierre Finance, délégué permanent de la Conférence des présidents d'université (CPU). Notre mission commune d'information, créée à l'initiative de Mme Kalliopi Ango Ela et de son groupe, entend évaluer l'efficacité de l'action extérieure de la France en matière de recherche pour le développement.

M. Jean-Pierre Finance, délégué permanent de la Conférence des présidents d'université. - Merci de m'accueillir. La CPU a été instituée par la loi Faure de 1970, sur les universités en France. Depuis la loi relative aux libertés et aux responsabilités des universités (LRU) de 2007, elle a un statut associatif. Sur ses 108 membres, 82 sont des universités, le reste des grands établissements, comme l'Ecole normale supérieure, Centrale Paris ou l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS). La CPU a une fonction de réflexion, d'analyse, de portage de positions et de mutualisation sur toutes les questions relatives au système universitaire. Depuis vingt ans, elle n'a cessé de se professionnaliser et compte désormais trente permanents. L'Europe et l'international figurent parmi ses chantiers prioritaires, et font désormais l'objet d'une commission spécifique en son sein. Nous avons désormais un bureau à Bruxelles.

La CPU développe des relations avec des organisations analogues telles qu'elles existent par exemple en Allemagne ou en Espagne. Elle est un membre actif de plusieurs réseaux internationaux, comme la European university association (EUA), qui rassemble 850 établissements à l'échelle du Conseil de l'Europe ou l'Agence universitaire de la francophonie (AUF), forte de près de 800 membres.

Depuis quelques années, les universités et les différents organismes de recherche convergent. La moitié des 3 000 laboratoires de recherche français sont ainsi des unités mixtes de recherche (UMR), un millier associant le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), une soixantaine l'Institut de recherche pour le développement (IRD), environ 200 pour l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm).

Quant à moi, j'ai été président de l'université de Nancy I pendant quatorze ans, président de la CPU en 2007-2008, au moment de la loi LRU, et j'en suis depuis un an le délégué permanent à Bruxelles, où je suis également le représentant permanent de l'IRD.

La collaboration entre des opérateurs comme l'IRD et les universités se justifie tout particulièrement quand il s'agit du Sud. Nous assistons à un véritable changement de paradigme : nous passons d'une logique de recherche au Sud à une logique de recherche pour le Sud. Pendant longtemps, l'activité de recherche s'est développée dans certains pays du Sud qui étaient de précieux terrains d'expérimentation en raison de leurs spécificités géographiques ou climatiques, mais sans qu'il soit tenu compte de leurs attentes ni de leurs besoins en matière de développement. Désormais, ce sont nos partenaires. Première conséquence : l'importance de la formation et des transferts de technologie. Deuxième conséquence : les universités du Sud participent à la définition des programmes, à la réalisation des outils et des infrastructures et à la mise en oeuvre des stratégies décidées conjointement. La relation a changé, notre démarche est désormais pluridisciplinaire.

Notre volonté d'excellence scientifique est-elle menacée par ces partenariats avec des pays n'ayant pas le même niveau de développement ? Nous pensons que le choix des thématiques de recherche permet de lever cette apparente incompatibilité : nous travaillons certes peu avec les universités du Sud sur les propriétés des nanomatériaux, mais la biodiversité, l'écologie, l'eau, les questions sanitaires sont autant de thèmes propices à la coopération scientifique. C'est en tout cas le point de vue qu'a défendu la CPU lors des Assises de l'enseignement supérieur et de la recherche.

Parmi nos modes d'action, il y a des projets de recherche communs, des laboratoires internationaux co-portés par des réseaux d'université et des organismes de recherche, la création d'infrastructures - ancien professeur d'informatique, je sais leur importance. Enfin, nous menons des activités de formation : c'est le capacity building.

L'IRD et le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) y contribuent ; le CNRS, très présent au Sud, est en revanche surtout attaché à ses propres activités de recherche. Les universités assurent la cotutelle des thèses et les co-diplômes, mais n'ont pas de rôle moteur en matière de recherche pour le développement, même si elles peuvent accompagner les projets portés par l'IRD dans le cadre d'une UMR. Des partenariats sont toutefois en train de se nouer entre de grandes universités latino-américaines, notamment brésiliennes et chiliennes, et des universités françaises.

D'une manière générale, nous souffrons encore du morcellement historique de nos dispositifs de recherche. La création des Alliances a été un grand pas en avant, qui permet de coordonner les priorités de la recherche sur certaines grandes thématiques. Sollicitées par le ministère chargé de la recherche dans le cadre de la stratégie nationale de recherche pour 2014-2020, elles sont appelées à jouer un rôle à l'échelle européenne. Je sais toutefois d'expérience que lorsqu'il s'agit de se projeter à l'international, la concurrence interne prend le dessus. Il faut lutter contre cela et mettre en cohérence des actions à la fois thématiques et territoriales. C'était l'objectif de la création de l'Agence inter-établissements de recherche pour le développement (AIRD). Son positionnement institutionnel et sa capacité à coordonner les stratégies des différents acteurs continuent toutefois de poser problème.

Tout n'est pas négatif pour autant. Ces organismes ont des représentants dans de nombreux pays, qui sont de plus en plus souvent communs. Nous essayons de joindre notre voix à la leur : à Hanoï par exemple, la CPU et l'IRD seront dotés d'un représentant commun. C'est une politique des petits pas, mais qui porte progressivement ses fruits.

L'Union européenne, à travers ses programmes cadres de recherche et développement (PCRD) successifs, a également renforcé la dimension internationale de sa stratégie. C'est un aspect important du septième PCRD, bien qu'il soit accompagné d'un trop grand nombre d'instruments - Inco-Net, Era-Net, Bilat, la zoologie européenne est riche... Des actions intéressantes sont conduites en partenariat avec l'Amérique latine : coopération entre universités pour le soutien à la mobilité, mais aussi projets de recherche financés par l'Union européenne et portés par l'EUA.

Ce n'est pas tout : dans le cadre du huitième partenariat Europe-Afrique, un volet de recherche complet est porté par l'IRD, et des projets en cours dans le bassin méditerranéen devraient aboutir à une initiative de l'article 185 du Traité.

Dépourvu de volet spécifiquement dédié à l'international, le programme Horizon 2020 me laisse plus sceptique. Son volet « recherche », guidé par la quête d'excellence, est tourné vers l'Europe, tout comme celui consacré au développement des petites entreprises. Seul son troisième pilier, relatif aux défis sociétaux - santé, vieillissement ou climat - envisage des appels d'offres spécifiques pour des partenariats internationaux. Rien n'est pour l'instant arrêté. Les ministères suivent ce dossier de près, mais je doute que notre vision de la recherche pour le développement comme investissement humain de long terme soit partagée par l'Union européenne, qui attend surtout un retour sur investissement à court terme.

Si j'avais une recommandation à formuler, je proposerais de renforcer la coordination entre les acteurs. La France a une vision originale du soutien au développement, qui intéresse notamment les Allemands. Nous devrions maintenir nos efforts financiers dans ce domaine, et favoriser les démarches en réseau à l'échelle européenne.

Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Avez-vous des éléments chiffrés sur les réseaux de coopération universitaire ? Combien de partenariats ont été signés ? Combien fonctionnent ?

M. Jean-Pierre Finance. - Nous ne sommes pas équipés pour cela. Les actions à l'international étant relativement indépendantes les unes des autres, il faudrait procéder par enquête. Je tâcherai toutefois de vous procurer des informations.

Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Merci. La LRU a-t-elle changé les relations entre la CPU et le ministère des affaires étrangères ?

M. Henri de Raincourt, président. - Et quelles sont ces relations ?

M. Jean-Pierre Finance. - Elles ont peu changé. Nous avons avec le ministère des affaires étrangères des échanges fréquents. Nous avons travaillé ensemble sur l'accueil des étudiants étrangers, sur les centres pour les études en France (CEF) dans les ambassades, ou encore sur la création de Campus France en 1998-1999. Nous travaillons encore sur les mécanismes de sélection et de bourses, et entretenons des liens solides avec les attachés et les conseillers de coopération à l'étranger. Malheureusement, le turn-over rapide sur ce type de postes met parfois prématurément un terme aux bonnes initiatives. C'est pourquoi nous plaidons pour des représentants communs aux universités et aux organismes de recherche, afin de nous approprier ces dossiers.

Nous avons depuis longtemps un bras-de-fer avec le Quai d'Orsay autour des bourses du gouvernement français : la CPU demande à les gérer elle-même, dans le cadre de contrats passés entre le ministère et chaque site universitaire, afin d'impliquer davantage les universités dans la sélection des étudiants et l'attribution de ces bourses, comme cela se pratique en Allemagne ou en Grande-Bretagne. Mais dans le contexte budgétaire actuel, les bourses restent un levier d'action dont les postes diplomatiques ne veulent pas se défaire.

Ce que la LRU a modifié, c'est la responsabilité du président d'université et des équipes dirigeantes dans la définition de stratégies internationales : auparavant dépendantes d'initiatives individuelles, elles font désormais l'objet de lignes politiques fortes dans un certain nombre de sites, de pôles de recherche et d'enseignement supérieur (PRES) ou d'établissements, ce qui est une bonne chose.

Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Quelles sont vos relations avec Campus France ? Les universités recrutent-elles les étudiants et les doctorants qu'elles souhaitent ? Quel bilan dressez-vous de l'action de Campus France ?

M. Jean-Pierre Finance. - Je n'ai pas suivi cette question depuis quelques années. Les universités ne sont pas encore suffisamment associées au recrutement des étudiants étrangers. Les CEF traitent surtout des questions administratives, des visas et des conditions de séjour, et les universités ne sont guère informées du contenu académique des dossiers. Résultat, la sélection est difficile - bien qu'il y ait sûrement des contre-exemples.

L'évolution de Campus France a donné lieu à des échanges tendus entre le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche et le ministère des affaires étrangères. Le groupement d'intérêt public a été transformé en établissement public et chargé de gérer également les bourses, mission auparavant dévolue à l'association Egide. M. Antoine Grassin, le directeur général de Campus France, n'est en poste que depuis un an. Il faudra veiller à ce que l'absorption d'Egide ne se fasse pas au détriment de la mission de promotion et d'accueil de Campus France.

Plusieurs rapports sont en cours sur l'accueil des étudiants étrangers. L'un a été confié conjointement à l'inspection générale des affaires étrangères et à l'inspection générale de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche ; un autre, à M. Jean-Pierre Gesson, ancien président de l'université de Poitiers.

Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Que deviennent les étudiants venus des pays du Sud ? Sait-on combien de temps ils restent en France ? S'ils acquièrent une expérience professionnelle, ou plusieurs, hors de leur pays d'origine ? Quelles sont les conditions qui favorisent ou font obstacle à leur retour ?

M. Jean-Pierre Finance. - Je suis incapable de vous répondre. Les statistiques sur la part des retours au pays doivent exister, je vous les communiquerai. Pour faciliter les retours, il faut, à mon sens, favoriser les co-diplômes avec les universités des pays d'origine.

M. Henri de Raincourt, président. - Quelles relations y a-t-il entre Campus France et les entreprises, en France et dans les pays du Sud ? Un cursus soutenu par une entreprise du pays d'origine rendrait plus aisé le retour au pays.

M. Jean-Pierre Finance. - Peut-être.

Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Peut-on imaginer un cursus universitaire avec un emploi à la clé dans le pays d'origine ?

M. Jean-Pierre Finance. - Prenons l'exemple du Brésil. Son programme « Science sans frontière » consiste à financer les bourses de 100 000 étudiants pour leur permettre de passer leur diplôme ailleurs, souvent en Amérique du Nord ou en Europe, afin de pallier leur manque de cadres pour l'industrie. Plusieurs centaines, voire plusieurs milliers d'étudiants vont ainsi venir en France au niveau master ou doctorat. J'étais à Sao Paulo la semaine dernière pour l'assemblée générale de l'AUF : la pénurie est telle que les diplômes importent peu. Les politiques souhaitent donc augmenter le niveau universitaire. La réflexion qu'ils mènent actuellement est passionnante.

En Afrique sub-saharienne, il faut trouver d'autres solutions. J'en reviens au principe du co-diplôme. Par exemple, un mastère conjoint aux universités de Dakar et de Toulouse se ferait pour moitié en France, pour moitié au Sénégal : il faudrait revenir au pays pour avoir son diplôme. Le système licence-mastère-doctorat (LMD), avec les crédits ECTS, l'autorise déjà en Europe. Cela éviterait la fuite des cerveaux.

Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Il faudrait également simplifier les formalités administratives imposées aux étudiants étrangers, faire courir le visa d'un doctorant aussi longtemps que le doctorat lui-même par exemple. Cela ferait gagner du temps et donnerait confiance.

M. Jean-Pierre Finance. - Tout à fait. Il y a de nombreux problèmes annexes à résoudre. Par exemple, les doctorants ont-ils le statut d'étudiant ou de chercheur ? Le visa diffère selon l'hypothèse retenue.

M. Henri de Raincourt, président. - L'Europe finance-t-elle la prise en charge de ces étudiants ?

M. Jean-Pierre Finance. - Il existe des bourses. Le programme Erasmus comportait un volet Erasmus mundus, avec des masters ouverts à des étudiants internationaux, mais il était peu accessible car limité à des programmes d'excellence. Pour la période 2014-2020, « Erasmus pour tous » - le nom n'est pas définitif - devrait englober les sous-programmes de mobilité comme Tempus et Comenius et les étendre à d'autres pays. Reste que le budget de 19 milliards d'euros initialement prévu serait ramené à 13,5 milliards...

Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Quelles relations entretiennent les différents membres de l'AIRD ? Les différences de culture scientifique sont-elles une source de difficultés ? Il est trop tôt pour dresser un premier bilan, mais vous avez sans doute quelques suggestions pour améliorer le fonctionnement de l'agence.

M. Jean-Pierre Finance. - L'AIRD n'a pas pu se positionner comme coordonateur stratégique de la recherche avec les pays du Sud. Ses cinq membres - l'IRD, le Cirad, l'Institut Pasteur, le CNRS et la CPU - n'ont pas la même vision de la politique à mener. Ainsi, le CNRS ne semble pas convaincu que la stratégie internationale doive être coordonnée par l'AIRD. La logique d'Alain Fuchs, son président, c'est l'excellence ; le CNRS ne cherche guère à faire évoluer ses programmes ou ses laboratoires sur un mode pluridisciplinaire et partenarial, même si les choses ont évolué depuis quatre ans.

Les autres partenaires sont plutôt en concurrence les uns avec les autres, à commencer par l'IRD et le Cirad. La création d'Agreenium, consortium composé notamment de l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) et du Cirad et qui promeut la recherche agronomique française dans différents pays, ne rend pas le système plus lisible. Quant à l'Institut Pasteur, il se situe sur un segment assez spécifique.

Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Et la CPU dans tout cela ?

M. Jean-Pierre Finance. - Difficile, avec si peu de moyens, de faire émerger la recherche universitaire. La projection à l'international dépend souvent plus des individus que des stratégies d'établissement. Là aussi, les choses changent et il faut nuancer : à Sao Paulo, plusieurs présidents d'universités françaises consolidaient leur réseau.

L'AIRD a une position institutionnelle curieuse, puisqu'elle constitue une direction de l'IRD : c'est le président de ce dernier qui signe par exemple les conventions conclues par le CNRS...

M. Henri de Raincourt, président. - Avez-vous des suggestions pour améliorer les choses ?

M. Jean-Pierre Finance. - Mon idée serait de faire de l'AIRD une agence à part entière, et de l'IRD un opérateur de cette agence. Aux États-Unis, le National Institute of Health (NIH) consacre 80 % de son budget à financer des projets de recherche extérieurs, au sein des universités par exemple, et 20 % à ses recherches propres. Imaginons une agence orientée « recherche pour le développement » qui aurait un bras séculier - l'IRD, voire l'IRD fusionné avec le Cirad - et consacrerait une partie de son budget à des projets portés par d'autres partenaires. Hypothèse audacieuse certes, mais qui aurait le mérite d'afficher la recherche pour le développement comme objectif phare, à promouvoir à l'échelle européenne.

M. Henri de Raincourt, président. - Intéressant. Nous souhaitons faire des propositions, même si elles ne peuvent se concrétiser aussitôt. En France, l'ardeur réformatrice est toujours en devenir...

M. Jean-Pierre Finance. - J'ai réussi à fusionner les quatre universités lorraines, ce qui n'était pas gagné ! Quoiqu'il en soit, il faudra veiller à préserver l'équilibre existant. L'AIRD compte des gens de grande qualité, ce réseau est une richesse.

Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Avez-vous des relations avec les instituts français de recherche à l'étranger ?

M. Jean-Pierre Finance. - Je ne les connais pas bien.

M. Henri de Raincourt, président. - Réponse éloquente !

Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - La protection du potentiel scientifique et technique de la Nation représente-t-elle une contrainte pour les chercheurs qui travaillent en partenariat avec des équipes du Sud ?

M. Jean-Pierre Finance. - C'est une question importante. Depuis juillet dernier, les mesures de protection ont été renforcées, les laboratoires organisés en cercles, avec des degrés de protection croissants. Dans le même temps, on favorise l'accueil des étudiants et des chercheurs étrangers dans notre pays. Comment faire pour concilier ces deux approches ? Nous recevons d'excellents étudiants chinois qui peuvent nous aider à avancer, mais au risque de retrouver sous la forme de produits commerciaux ce qu'ils auront appris en France... Cette question mériterait un débat au plus haut niveau. Les barrières matérielles et administratives pourront toujours être contournées. Il faut plutôt responsabiliser nos étudiants, nos chercheurs, nos enseignants-chercheurs, comme le font d'autres pays, et les inciter à être vigilants.

M. Henri de Raincourt, président. - Merci.

M. Jean-Pierre Finance. - Votre travail va-t-il aboutir à un rapport ?

M. Henri de Raincourt, président. - Cette mission commune d'information est d'abord l'occasion pour nous de faire le point sur un sujet qui n'a pas été traité, à ma connaissance, dans les nombreux rapports sur les relations Nord-Sud. Nous ferons ensuite des suggestions qui devront être tout à la fois audacieuses et raisonnables.

M. Jean-Pierre Finance. - Je me réjouis de voir ce sujet émerger. Les Allemands, les Portugais s'intéressent à la démarche française. L'Afrique comptera 2 milliards d'habitants en 2050, sans parler de la Chine et de l'Inde : il faut une vraie stratégie nationale et européenne pour s'y préparer.

M. Henri de Raincourt, président. - Nous avons abordé une nouvelle étape dans notre relation avec l'Afrique. Ce n'est pas de la charité, ce n'est pas à sens unique, mais un partenariat authentique.

Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure - Il s'agit d'une relation d'égalité. La recherche commune profite aux deux parties.

M. Jean-Pierre Finance. - Pour sortir des logiques purement mercantiles, il faut des relations de confiance. La recherche y participe : connaître les mêmes échecs, les mêmes succès, cela change les relations humaines.

Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Nous avons évoqué le Brésil. À sa petite échelle, le Gabon envoie tous ses étudiants à l'étranger avec des bourses. Comment intégrer les politiques nationales des pays du Sud pour en tirer des bénéfices mutuels ?

M. Jean-Pierre Finance. - En créant des laboratoires internationaux mixtes, à Libreville ou ailleurs, disposant d'écoles doctorales, de masters. C'est ainsi que l'on augmentera, petit à petit, le niveau des cadres. La France aurait également dû encourager le développement de formations technologiques courtes.

M. Henri de Raincourt, président. - Nous n'y sommes pas parvenus chez nous...

M. Jean-Pierre Finance. - Les IUT fonctionnent bien : c'est cela qu'il faudrait implanter ! Mais nous avons exporté notre vision du col blanc, au détriment des matières technologiques et professionnalisantes. C'est dommage.

M. Henri de Raincourt, président. - L'explosion démographique de l'Afrique entraînera des défis majeurs en termes d'équipement, d'aménagement, d'infrastructures. Ce 'est pas avec des écoles polytechniques que l'on répondra aux besoins quotidiens de la population, qui vont être de plus en plus criants. Or laisser l'Afrique aller dans le mur, c'est mettre en péril la paix et la sécurité.

M. Jean-Pierre Finance. - En effet. L'attitude des Chinois devrait nous interpeller plus qu'elle ne le fait. Agissons de concert avec l'Allemagne, qui possède, elle, cette culture de la formation technologique moyenne, pour former des techniciens supérieurs.

Mercredi 5 juin 2013

- Présidence de M. Henri de Raincourt, président -

Audition de Mme Laurence Tubiana, directrice de l'Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI)

M. Henri de Raincourt, président. - Cette mission d'information, dont l'excellente initiative revient à Mme Ango Ela et à son groupe, examine l'action extérieure de la France en matière de recherche pour le développement, en particulier les partenariats et coopérations entre le Nord et le Sud, pour, si possible, les conforter, à tout le moins les rendre le plus efficaces possibles. Le positionnement de l'IDDRI nous intéresse particulièrement : quel est votre point de vue sur le sujet ?

Mme Laurence Tubiana, directrice de l'Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI). - La France dispose d'un appareil de recherche de très haut niveau et très investi sur le plan international, nous figurons aux toutes premières places sur certains grands sujets sectoriels, comme l'agriculture, l'alimentation et la santé. Cependant, nos institutions de recherche sont par trop spécialisées et elles avancent trop souvent en ordre dispersé.

J'ai créé l'IDDRI en 2002 avec d'anciens collègues exerçant dans les instituts de recherche : l'institut est une fondation de coopération scientifique, associant des acteurs publics et privés - le CIRAD, le CNRS et l'INRA en sont membres de droit, tout comme l'Agence Française de Développement (AFD). Nous nous sommes engagés à associer les différentes disciplines et thématiques qui contribuent au développement, en connectant les communautés de chercheurs qui travaillent au service du développement : c'est notre raison d'être.

Depuis une dizaine d'années, la réorganisation universitaire et l'exigence de qualité incitent les instituts à s'aligner sur l'impératif d'excellence académique et la publication dans des revues prestigieuses, dites de rang 1. Les instituts de recherche dans le Sud en ont progressivement abandonné certaines de leurs spécificités, pour adopter des profils plus académiques. Cette évolution ne va pas sans poser de problèmes, ni interroger sur le fond : il me paraîtrait insensé que la France se défasse de ses outils de recherche dans le Sud, qui sont uniques et qui représentent un facteur d'influence non négligeable. Des impératifs financiers existent, nous devons optimiser l'organisation des moyens, mais nous nous ferions du tort à abandonner des secteurs de recherche où nous excellons aujourd'hui et qui sont des outils de coopération internationale, y compris avec des pays émergents comme la Chine ou le Brésil - des coopérations qui peuvent, plus souvent qu'on ne le croit, ouvrir sur des avancées technologiques et la conquête de marchés.

Nos moyens sont trop dispersés, il faut les articuler davantage. J'insiste sur l'excellent niveau des opérateurs français : l'Agence française de développement (AFD), par exemple, même si elle est plus petite que certaines de ses homologues, par exemple allemande, des largement reconnue pour sa compétence et sa capacité d'influence. Pour améliorer l'efficacité de nos institutions, nous devons leur donner des priorités géographiques communes et articuler leurs interventions dans un ensemble plus cohérent. De fait, quels que soient les efforts de rapprochement des institutions ici et là, nous sommes loin de l'optimum.

Je souhaiterais vous présenter les chantiers qui m'apparaissent majeurs pour les années à venir. Le plus important d'entre eux tient dans la définition des objectifs du développement dit « durable ». D'ici 2015, chaque pays devra déterminer son plan d'action, dans cadre de priorité commun. Jusqu'à présent, les objectifs du millénaire pour le développement concernaient les questions de santé, d'accès à l'eau et à l'alimentation, orientant les programmes de recherche. Le contexte actuel pousse à élargir ces objectifs aux questions d'environnement, telles que la préservation des ressources naturelles ou la protection de la biodiversité. La fusion de ces deux visions créera un cadre d'intervention plus intégré pour nos instituts de recherche. Il me semble que les Assises du développement n'ont accordé que peu de place à la recherche, alors qu'elle est essentielle dans une période charnière comme la nôtre. En effet, la recherche peut identifier les synergies entre les objectifs d'éradication de la pauvreté et ceux de protection de l'environnement, et elle peut cibler les ressources à mobiliser pour le développement durable. Il faut redonner un sens à la recherche et, de ce point de vue, les Assises du développement me paraissent avoir été un rendez-vous manqué. La France accueillera la conférence sur le climat en 2015, sujet éminemment transversal puisqu'il regroupe des questions d'agriculture, d'énergie, de ressource en eau. C'est un contexte particulièrement motivant : nous ne devons pas manquer ce rendez-vous, il faut mobiliser le milieu scientifique.

Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Merci pour ce propos éclairant, qui ouvre des perspectives nouvelles à notre mission. L'IDDRI compte des membres fondateurs publics et privés : comment conciliez-vous les deux secteurs ? Votre institut reste-t-il indépendant ?

Mme Laurence Tubiana. - Nous avons créé cet institut ex nihilo, sans savoir exactement où nous allions. Onze ans plus tard, l'IDDRI s'est considérablement stabilisé et bénéficie d'un fort affectio societatis. Les règles fixées au départ se sont avérées résilientes et fructueuses. Depuis le début, nous revendiquons notre statut d'un institut de coopération scientifique, par opposition à un bureau de consultants. L'IDDRI n'engage aucune recherche pour une entreprise particulière. Nos travaux sont publics. Au-delà du financement, certes primordial, travailler avec des partenaires privés nous permet de réfléchir autour d'informations et de questions propres à chaque entreprise. Nous estimons qu'en réunissant des personnes aux compétences différentes et en confrontant un regard public et un regard privé, nous identifions des questions dépassant les conflits d'intérêts immédiats.

Je vous citerai deux exemples réussis. Nous souhaitions comprendre ce que la décarbonation de notre système énergétique signifiait pour les industries françaises et européennes. Nous avons donc mené un exercice avec les grands groupes industriels français membres de l'IDDRI autour de trois grandes équipes de recherches, dix entreprises et des membres de l'administration intéressés par le suivi des travaux. Nous avons élaboré des questions et créé un modèle afin de simuler l'impact sur chaque secteur, préciser les problèmes et identifier des solutions. En réunissant autour de la table des entreprises concurrentes, comme GDF SUEZ, EDF, Veolia, Lafarge ou Saint-Gobain, différentes visions se sont affrontées. Les entreprises ont apporté de nombreuses informations, l'analyse s'en est trouvée enrichie. Personne n'a revendiqué la propriété de ces résultats, rendus publics. Deuxième exemple : nous cherchions à déterminer la validité des partenariats entre les secteurs public et privé dans les services d'eau au Maroc, en Inde et en Indonésie, avec à l'esprit cette question globale, intéressant toutes les entreprises concurrentes que nous avons associées pour l'occasion : quel modèle et quelles solution technique pour faire accéder les plus démunis à l'eau potable ? Nous avons publié les résultats, avec l'appui de l'AFD et je crois que la collaboration des acteurs directs de ces problématiques enrichit considérablement l'information et l'analyse.

L'IDDRI est également un lieu de débat pour l'administration avec le secteur privé, en témoignent nos conseils d'administration dont les débats sont longs et fructueux. Cette réussite repose cependant avant tout sur des personnes et tient à l'implication personnelle des participants.

L'IDDRI est un institut de recherche, sans agenda politique ni campagne de communication : nous souhaitons faire progresser la cause de l'environnement car cela nous semble important pour le développement économique et social. Nous fournissons à nos administrateurs ainsi qu'aux équipes exerçant chez nos partenaires, les informations nécessaires afin qu'ils soutiennent ces idées au sein de leur entreprise. Des salariés du groupe Lafarge ont défendu des objectifs de réduction d'émission contraignants alors que spontanément, la politique de l'entreprise était autre. Ces contributeurs deviennent des agents de changement en faveur de l'environnement au sein de leur propre structure. Nous retrouvons là l'objet de notre fondation.

Nous définissons nos projets lors de nos conseils d'administration. Nous publions généralement nos travaux mais sur des sujets plus sensibles, comme le biocarburant, une partie de nos discussions se tient en privé. Notre travail s'avère long car beaucoup d'intervenants doivent s'exprimer. Enfin, le financement de l'IDDRI provient du secteur privé pour un tiers, de fonds internationaux pour un second tiers et du secteur public français pour le dernier tiers.

M. Jacques Legendre. - Quelle est l'origine de vos financements internationaux ?

Mme Laurence Tubiana. - Une partie provient des financements de recherche européens. Certains gouvernements européens, britannique et allemand notamment, financent des travaux sur les énergies renouvelables. Enfin, des fondations internationales participent à certains programmes. Nous travaillons avec l'European Climate Foundation et la Children's Investment Fund Foundation, une fondation britannique. La Fondation Gates va commencer à nous financer. Contrairement à d'autres institutions environnementales internationales, nous recevons encore peu de fonds gouvernementaux.

M. Henri de Raincourt, président. - Quand les financements publics se font plus rares, les financements extérieurs sont non seulement nécessaires, mais également source d'indépendance...

Mme Laurence Tubiana. - L'indépendance exige des financements diversifiés, sauf lorsque le capital propre est important.

Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - L'IDDRI entretient-elle des partenariats spécifiques dans les pays du Sud ? Quelles sont vos réussites et vos regrets dans ce domaine ?

Mme Laurence Tubiana. - Nous développons des partenariats dans trois domaines. Le premier, dont je suis particulièrement fière et qui devrait porter ses fruits d'ici 2015, est un travail engagé avec des équipes de recherche dans les quatre grands pays émergents que sont le Brésil, la Chine, l'Inde et l'Afrique du Sud. Ces partenariats portent sur la vision de ces pays sur leur système énergétique aux horizons 2030 et 2050. Dans ce cadre, nous collaborons avec des experts exerçant auprès des gouvernements locaux. Nous avons exposé les travaux français et européens sur le sujet, en donnant beaucoup d'informations sur nos marchés et notre approche. En parallèle, nous nouons une relation de travail avec ces équipes. Nous accueillons des chercheurs, en envoyons sur place, organisons des séminaires. Ces nations s'investissent réellement. Ainsi, il y a quelques années, un engagement de la Chine sur une réduction de ses émissions de gaz à effet de serre semblait impensable. Aujourd'hui, nous en sommes proches. Ce travail au quotidien nous permet de créer un canal de communication privilégié. Les programmes avec la Chine et le Brésil sont de vraies réussites. La collaboration se révèle plus compliquée avec l'Inde compte tenu de la situation actuelle du pays. Nous attendons des résultats qui seront utiles à la préparation de la conférence de 2015 sur le climat.

Pour m'être penchée avec attention sur les négociations sur le climat, je constate l'ampleur de l'incompréhension entre pays. Ces partenariats nous aident à nous comprendre plus en profondeur. Je pourrais également citer en exemple les partenariats réussis avec l'Indonésie et l'Afrique sur la biodiversité. Nous travaillons avec des équipes locales sur des outils légaux pour protéger des espèces et des savoirs.

Il m'est difficile d'évoquer un exemple d'échec particulier, car nous tentons de les oublier. Au départ, nous éprouvions de nombreuses difficultés à travailler avec l'Inde. En effet, leur logique restait très bureaucratique.

Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Comment expliquez-vous ces difficultés ?

Mme Laurence Tubiana. - La réticence des Indiens tenait peut-être au système politique, au manque de maturité du sujet.

M. Henri de Raincourt, président. - Les pays que vous évoquez sont davantage des pays émergents voire déjà avancés plutôt que des pays en développement.

Mme Laurence Tubiana. - Nous collaborons également avec des pays pauvres comme le Bangladesh, le Sénégal ou de petites îles telles que Maurice et la Nouvelle-Calédonie sur les risques liés au changement climatique. Nous nous basons sur ce que nous connaissons des évolutions climatiques et des modèles de régionalisation des impacts. Nous abordons également le sujet urbain avec la Bolivie, le Maroc ou le Sénégal. Nous travaillons sur le lien entre les formes d'urbanisation et les transports publics. Ce programme de recherche a démarré il y a tout juste un an.

L'IDDRI demeure un petit institut. Nous nous demandons si nous devons nous agrandir ou continuer avec un effectif restreint.

M. Henri de Raincourt, président. - Hormis pour ses performances, pour quelle raison un acteur du domaine s'adresserait spécifiquement à votre institut ?

Mme Laurence Tubiana. - La rencontre de plusieurs cultures scientifiques suscite un grand intérêt, d'autant que nous nous focalisons sur des programmes de recherche liés aux préoccupations de politiques publiques. Nous rapprochons des scientifiques avec la perspective pratique de résoudre des problèmes publics, plutôt que de nous engager sur la recherche fondamentale ; ensuite, nous sommes présents à l'international, où nous jouons un rôle d'interface utile aux chercheurs et aux administrations.

M. Henri de Raincourt, président. - A la lumière de votre expérience, quelles pistes auriez-vous à nous suggérer ? Les opérateurs sont nombreux, avec chacun ses références et son histoire : pensez-vous, par exemple, qu'un guichet unique soit envisageable et qu'il serait utile ?

Mme Laurence Tubiana. - La question est délicate. La France dispose d'institutions internationales avec l'IFRI et l'IRIS, des think tanks liés aux questions de politique publique. J'avais envisagé une fusion de l'IDDRI avec une autre institution, mais nous avons finalement rejoint Sciences Po. Comment cela se passe-t-il chez nos homologues européens ? Les Allemands ne sont pas particulièrement performants et les grands exemples dans ce domaine restent pour la plupart anglo-saxons : le World Resources Institute ou le Stockholm Environment Institute emploient chacun environ 300 chercheurs. Regrouper les plus petits instituts pourrait avoir un sens, mais cela me parait difficile.

M. Henri de Raincourt, président. - Ces fusions seraient-elles utiles ?

Mme Laurence Tubiana. - Si ces institutions jouent vraiment leur rôle d'interface auprès de tous les acteurs français, je ne juge pas utile d'avoir un « guichet unique ». J'ai participé à de nombreux rapports sur le regroupement des institutions de recherche. Je pense que nous devrions déterminer si nous souhaitons nous positionner sur un modèle de recherche universitaire : dans ce cas, un regroupement n'aurait pas de sens. Nous nous dirigerions alors vers l'incorporation de tous les instituts au sein des universités et mettrions ces dernières en compétition.

A l'inverse, nous pouvons estimer qu'il existe une spécificité de la recherche pour le développement. Dans le premier modèle, nous ne nous posons pas de questions : les grands instituts s'associent à des universités et nous laissons faire. Je reste convaincue que nous devons conserver cet outil. Dans ce contexte, la question de la pertinence de l'IRD se pose. Le CIRAD et l'INRA ont effectué le travail nécessaire pour se rapprocher. Aujourd'hui, ces deux institutions mêlent la spécificité du CIRAD avec des chercheurs expatriés et des lignes de recherche définies en commun. L'IRD n'a pas réussi son rapprochement avec le CNRS, mais la tâche était compliquée. Par ailleurs, la création de l'Agence Inter-établissements de Recherche pour le Développement (AIRD) ne me convainc pas : j'estime que l'ANR pouvait assumer cette fonction. Les appels à regroupement, positifs ou négatifs, lancés auprès des universités n'ont pas été réédités auprès des instituts de recherche. Créeraient-ils de grands pôles thématiques ? Je l'ignore : les réformes structurelles restent difficiles en temps de crise.

M. Henri de Raincourt, président. - Ce point ne nous aura pas échappé.

Mme Laurence Tubiana. - La question de la dimension adéquate de ces institutions reste effectivement posée.

M. Henri de Raincourt, président. - Vous mentionnez l'Inde, la Chine, le Brésil, de très grands pays. Le fonctionnement de l'IDDRI est-il adapté et sa taille est-elle suffisante pour répondre à leur besoins ?

Mme Laurence Tubiana. - Notre institut est certes trop petit pour épuiser la demande possible de coopération avec de tels pays et nous sommes à la fois en compétition et en collaboration avec les grands instituts. Nous intervenons parfois en amont, avant que les pays ne se tournent vers les organismes les plus importants.

Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Quelles actions souhaitez-vous mener en aval de la recherche sur les politiques publiques des pays du Sud ? Ensuite, vous dites ne pas être convaincue par l'AIRD : mais quelle est alternative, puisque l'ANR ne finance aucune équipe du Sud ?

Mme Laurence Tubiana. - Le financement des équipes du Sud est une question centrale et si nous réorganisons ces institutions, cet aspect devra évoluer. En travaillant avec le Sénégal, nous nouons des relations avec l'université de Dakar et avec le ministre de l'environnement. Nous travaillons sur les questions de déforestation dans le bassin du Congo avec le ministre de l'environnement camerounais et son homologue en République Démocratique du Congo. Souvent, les gouvernements ne considèrent pas leurs universités comme des interlocuteurs valables, ce qui peut être un obstacle et ce qui constitue pour nous un objectif d'action : nous devons aider à ce que les équipes de chercheurs soient considérées à leur juste valeur. Les choses avancent de ce côté, nous l'avons constaté au Cameroun et au Sénégal.

A l'initiative de l'université de Columbia à New-York dans laquelle j'enseigne, 22 universités dans le monde proposent un nouveau Master en pratiques environnementales. En mettant en place un curriculum commun avec une reconnaissance mutuelle des diplômes et un partage des cours, nous confortons les universités, qui sont des agents de changement dans leur pays. C'est l'une des clés : mieux vaut conforter la légitimité des équipes nationales plutôt que nous poser en experts internationaux - je crois que les choses évoluent très positivement sur ce point, d'autant que la technologie facilite le partage de la connaissance. Nous pouvons ainsi former un grand nombre de personnes et leur donner la parole, notamment au Sénégal où le gouvernement apparait très ouvert sur ce point. Toutefois, cette mission revient peut-être aux équipes du CIRAD et de l'IRD qui se trouvent sur le terrain. La démarche actuelle qui consiste à se présenter en conseil direct disparaît d'elle-même, puisque nous n'en avons plus les moyens.

Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Avez-vous des pistes pour intégrer davantage l'AFD à cette valorisation de la recherche dans les pays du Sud ?

Mme Laurence Tubiana. - Depuis plusieurs années, l'AFD nourrit le débat local plutôt que d'imposer des politiques publiques : cette évolution est positive. L'intégration de chercheurs du Sud pourrait peut-être figurer au cahier des charges : ce serait un progrès, car leur implication est un facteur de changement pérenne. En tout état de cause, je crois que l'Agence, qui est une grande institution, a des marges de progrès pour mieux intégrer la recherche et les chercheurs du Sud dans ses interventions.

M. Henri de Raincourt, président. - L'AFD est effectivement un outil performant à ne pas fragiliser. Ses équipes, réparties dans le monde, sont très efficaces. Etes-vous favorable à un rapprochement entre le secteur public et le secteur privé ?

Mme Laurence Tubiana. - Ce rapprochement est indispensable mais il doit être réalisé dans de bonnes conditions. Nous devons dépasser les conflits d'intérêts et être très attentifs aux procédures d'appel d'offres, sachant que le développement requiert des investissements - mais que les malfaçons de certains investissements retardent le développement. C'est pourquoi je milite pour un dialogue informé et rigoureux, avec l'expertise d'un tiers. Notre méthode n'est pas miraculeuse mais elle fonctionne. Nous n'avons pas d'autres solutions puisque l'aide au développement ne résoudra pas ces questions.

M. Henri de Raincourt. - Je vous remercie pour votre coopération.

Audition de Monsieur Erik Solheim, Président du Comité d'aide au développement (CAD) de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et de Madame Chantal Verger, Direction de la coopération pour le développement de l'OCDE

M. Henri de Raincourt. - Monsieur le Ministre, nous vous remercions très sincèrement d'accepter de partager avec nous un moment de travail. Dans cette mission, initiée par Madame Ango Ela et le groupe écologiste, nous examinons la place occupée par la recherche dans les politiques de développement et les moyens de favoriser le développement des pays concernés. Nous nous attachons particulièrement aux nations du Sud avec lesquelles nous entretenons une importante tradition de coopération. Ces échanges nous paraissent essentiels face à l'accession de certains pays à des places éminentes et à la progression de pays dits « pauvres ».

M. Erik Solheim, Président du Comité d'aide au développement (CAD) de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). - Je vous présenterai un aperçu des domaines de développement abordés par le CAD. Ma collègue, Chantal Verger, qui connait bien les politiques de recherche françaises, pourra vous préciser l'ordre du jour de la recherche au CAD.

Le bilan des dix dernières années en matière de développement est contrasté : pour certains, nous avons perdu une décennie, tant les problèmes paraissent au moins inchangés, au pire aggravés ; cependant, l'éducation progresse et, surtout, la pauvreté absolue diminue de 1 % par an depuis 1990, ce qui a réduit de moitié la misère dans le monde. Nous ambitionnons de l'éradiquer entièrement.

Le monde devient multipolaire : l'époque est révolue où l'Europe et les Etats-Unis, avec peut-être le Japon, définissaient l'ordre du jour mondial. La Chine est assurément le nouvel acteur principal, aux côtés de pays comme le Brésil. Ces Etats ont reçu beaucoup d'aide au développement et la Chine en est devenu le principal pourvoyeur. L'Indonésie, la Turquie, le Chili, l'Inde, le Mexique ou le Pérou ont « émergé » à leur tour. Notre principale problématique est de tendre la main à tous ces « nouveaux venus » dans notre monde. Si ces pays semblent plus prometteurs en termes démocratiques, des efforts restent à accomplir en matière de changement climatique et d'énergies renouvelables.

L'aide au développement reste considérable, mais son montant est inférieur à l'investissement privé, aux échanges commerciaux et aux subventions pour l'énergie fossile. Dans ce contexte, nous sommes favorables à l'instauration d'une taxe spécifique pour le développement mondial, comme plusieurs pays le proposent, par exemple la France avec l'idée d'une taxe sur les mouvements internationaux de capitaux. De fait, la fiscalité est très perfectible à l'échelle mondiale - George Osbourne, le ministre britannique des Finances, s'est indigné du fait que Google, Starbucks et Amazon ne paient pas d'impôts au Royaume-Uni, de même qu'ils n'en paient pas en Afrique. Il est certain que les pays en développement ont besoin de moyens pour commencer à rattraper les autres, il faut trouver de nouveaux financements.

En tant que bailleurs de fonds, nous nous focalisons sur le montant de l'aide : nous devrions davantage porter notre attention sur les bénéficiaires. En effet, le montant de l'investissement n'est pas synonyme de la qualité d'un système. En matière de santé, par exemple, la Norvège dépense plus, pour de moins bons résultats que la Finlande. Cela montre bien que la mesure d'efficacité doit aller bien au-delà du simple montant des investissements et que nous devons trouver les outils statistiques pour apprécier les résultats des politiques publiques.

En 2015, deux rendez-vous majeurs nous attendent : une conférence sur les objectifs de développement du millénaire à New-York et une grande conférence sur le changement climatique à Paris. Les objectifs de la finance et de l'environnement doivent converger, c'est un impératif général, qui conditionne également nos politiques d'aide.

Nous sommes donc dans un monde devenu multipolaire où des nations émergentes jouent un rôle grandissant. Ces pays apportent de nouveaux capitaux que nous devons apprendre à mieux utiliser. Enfin, il apparait nécessaire de faire converger les problématiques environnementales et les autres objectifs de développement.

M. Henri de Raincourt, président. - Merci, Monsieur le Ministre. Les faits que vous présentez constituent des données fondamentales de la politique de la France en matière de développement. Les conférences de New-York et de Paris figurent à l'agenda des pays qui, comme la France et la Norvège, essaient de conjuguer efficacité et possibilités financières. Cependant, les ressources ne sont pas infinies. Nous travaillons depuis longtemps à la mise en place de cette taxe sur les transactions financières. Le gouvernement actuel, tout comme le précédent, en examine l'affectation : lorsque les finances publiques vont mal, la tentation est grande d'affecter toute ressource nouvelle au budget général. Pourtant, nous savons bien que l'aide au développement est nécessaire au maintien de l'équilibre mondial. Les besoins actuels sont évalués à 180 milliards d'euros : une somme que nous ne saurions réunir sans ressources nouvelles.

Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. -Nous nous intéressons à la recherche pour le développement dans les pays du Sud, émergents ou plus démunis. Quels contours et enjeux voyez-vous à cette recherche pour le développement ?

M. Erik Solheim. - La recherche pour le développement est importante, ses effets sont positifs, mais je crois que nous devons promouvoir une culture du résultat car sans résultats, aucun responsable politique ne peut défendre de telles dépenses auprès du grand public. Je crois que nous devons fixer un nouveau cap et relier l'attribution de l'aide, à l'atteinte des résultats attendus. C'est ce que nous avons fait pour la protection de la forêt amazonienne : la responsabilité en incombe au Brésil, les outils sont parfaitement identifiés, il s'est donc avéré particulièrement efficace de verser l'aide à mesure que les objectifs étaient atteints - et une fois seulement qu'ils l'étaient. Un tel dispositif, cependant, est difficile à mettre en place avec des pays très pauvres, qui manquent de capacité de recherche ou encore d'institutions pour mettre en place des politiques publiques partenariales, ce qui ne nous interdit pas, bien sûr, d'expérimenter.

Mme Chantal Verger, Direction de la coopération pour le développement de l'OCDE. -  Plusieurs pays membres du CAD disposent de programmes de recherche pour le développement. Les programmes de la France figurent parmi les plus importants, aussi bien dans le secteur de la santé, avec l'Institut Pasteur, que de l'agriculture, avec la CIRAD et l'IRD. En volume, la France apporte 250 à 350 millions de dollars par an ; des montants considérables, tant en valeur relative qu'absolue. En comparaison, elle alloue environ 200 millions d'euros au secteur de la gouvernance. Nous notons également l'existence d'une assistance technique considérable. Le CIRAD dispose de 800 chercheurs dans 90 pays, l'IRD emploie plus de 1 500 chercheurs et 9 000 personnes exercent dans 33 Instituts Pasteur répartis à travers le monde.

La recherche aide à formuler des stratégies de développement plus efficaces : c'est ce que la France vise en faisant participer les instituts de recherche et les universités à la définition des stratégies, par exemple lors des Assises du développement, ou encore lorsque l'AFD, s'engage, dans son contrat d'objectifs et de moyens, à définir ses programmes en concertation avec l'IRD et le CIRAD.

La recherche, ensuite, sert la cohérence des politiques pour le développement, en examinant si l'aide ne contrarie pas les efforts de développement des pays partenaires. Les instituts de recherche français sont membres du Groupe Interministériel sur la Sécurité Alimentaire : cette participation aide le Gouvernement à définir ses positions auprès de l'Union Européenne ou du G20.

Enfin, la recherche, via l'action des équipes sur place, se révèle importante dans le développement de certains pays. Au Cameroun et à Madagascar, les instituts de recherche français jouissent d'une très bonne réputation.

Nous pouvons améliorer l'impact de la recherche sur le développement, en prêtant plus d'attention à la mise en oeuvre même des programmes de recherche dans les pays partenaires. Les équipes locales de l'IRD connaissent cet enjeu, mais elles doivent composer avec les directives de leur direction, qui regarde surtout les résultats en termes de publications, selon les standards internationaux de la recherche. Il n'y a qu'un seul mécanisme d'évaluation pour tous les programmes de recherche, ce qui laisse peu de place aux spécificités de la coopération au développement. Le nombre de co-publications prouve l'effort de travail en partenariat. Cependant, il serait nécessaire d'évaluer l'impact de la recherche sur la coopération au développement.

Enfin, la fragmentation de nos institutions de recherche est une faiblesse, qui amoindrit la recherche dans les politiques de coopération. Le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) ne s'est pas réuni depuis 2009. Cela signifie que le Ministère de la Recherche n'a pas été impliqué dans la détermination des grandes orientations de la politique de coopération depuis quatre ans. La mission budgétaire « Aide publique au développement » n'intègre pas le budget de la recherche, pourtant important. Enfin, dans les pays partenaires, les documents cadres de partenariat, censés consigner l'ensemble des efforts de la France pour appuyer le développement d'un pays partenaire, font peu référence aux efforts de la recherche. Ces documents ne sont plus obligatoires que dans 17 pays dits « pauvres prioritaires ». La question se pose de la cohérence de l'ensemble des leviers d'action de la France dans les autres pays.

M. Henri de Raincourt, président. - Estimez-vous que l'absence de cohérence constitue une réelle entrave à l'efficacité des politiques de recherche pour le développement ?

Mme Chantal Verger. - Ce manque de cohérence affecte le pilotage stratégique et la cohésion de l'effort de la France.

Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Comment pourrions-nous prendre davantage en compte les politiques nationales des pays partenaires ? Comment s'assurer que les partenaires soient réellement pris en compte dans les documents cadres ?

Mme Chantal Verger. - Le document cadre est l'occasion d'un dialogue avec le pays partenaire, pour s'assurer de la cohérence avec les priorités nationales et de la complémentarité avec les réalisations d'autres acteurs. J'ignore ce qu'il adviendra lorsque ces documents cadres disparaîtront. Je pense que la France essaie de consulter davantage les autorités nationales. Ces documents s'inscrivent dans les quatre ou cinq grands axes stratégiques des programmes de lutte contre la pauvreté ou pour la croissance ; ces cadres sont si larges qu'il me semble aisé de s'y insérer.

Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Quels sont les points forts et les points faibles de l'action de la France, par comparaison avec les pays de l'Europe et de l'OCDE ?

Mme Chantal Verger. - La réponse exigerait une investigation supplémentaire, d'autant que le CAD ne dispose pas d'un groupe de travail consacré à la recherche pour le développement et que cette dimension n'est pas souvent mise en avant lors des examens par les pairs, car son volume financier reste faible. Quelques pays membres disposent toutefois d'importants programmes de recherche en la matière. L'Australie est relativement innovante dans le secteur de l'agriculture, le Royaume-Uni collabore avec ses instituts de recherche, la Belgique travaille beaucoup avec ses universités, très intégrées dans la coopération. Je pourrais vous transmettre les données chiffrées de certains pays.

Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Ces pistes sont intéressantes. Disposez-vous d'exemples de bonnes et de mauvaises pratiques de partenariats de la France avec des pays du Sud ?

Mme Chantal Verger. - Le rapport identifie des programmes positifs, comme celui du CIRAD à Madagascar. L'équipe d'examen a été impressionnée par la qualité de la recherche et la volonté de créer des équipes conjointes. L'effort de formation se révèle important mais non documenté car il n'apparait pas dans les critères d'évaluation. Il en va de même dans le domaine de la santé.

Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Vous présentez, Monsieur le Ministre, l'exemple d'aides délivrées a posteriori. Pourriez-vous expliquer cette pratique ? Connaissez-vous d'autres méthodes innovantes pour valoriser la culture du résultat ?

M. Erik Solheim. - Cette méthode est encore marginale, mais j'estime qu'elle devrait être davantage utilisée, parce qu'elle est la plus transparente. Au Brésil, la déforestation a été réduite de 80 % et pays affiche la meilleure contribution en matière de protection de l'environnement ces dernières années, loin devant la Chine, l'Europe ou les Etats-Unis. Le Brésil a conçu et mis en place cette politique et a été partiellement rémunéré par des bailleurs de fonds internationaux qui attendaient des résultats. Des outils militaires américains ont été utilisés pour photographier chaque mètre carré de forêt et calculer précisément le degré de déforestation. Le Royaume-Uni a mis en place un système similaire en Afrique dans le secteur de l'éducation. Les aides dépendent du type d'enseignement dispensé et du respect de l'égalité entre les garçons et les filles. Ce système responsabilise les gouvernements des pays du sud par rapport à leurs concitoyens. Il permet également de montrer au public les résultats concrets obtenus.

Quelques mots, encore, des financements et des efforts de la France pour instaurer la taxe sur les transactions financières. L'aide au développement se maintient globalement, mais la part relative des contributeurs change : certains pays augmentent leur participation, comme la Chine, la Turquie ou le Brésil, ou encore la Grande-Bretagne, d'autres la diminuent fortement, comme l'Espagne, ou légèrement, comme les Pays-Bas. Les grandes déclarations ne manquent pas, comme celle d'Hillary Clinton promettant, devant la conférence de Copenhague sur le changement climatique, quelque 100 milliards de dollars supplémentaires pour la protection de l'environnement. Cependant, nous sommes très loin de cet objectif et nous ne l'atteindrons pas sans la contribution du secteur privé. Dans ces conditions, la taxe sur les transactions financière nous paraît nécessaire, les efforts de la France sont méritoires et nous devons convaincre l'Allemagne et l'Union Européenne d'agir dans ce sens. La taxation du carburant peut également représenter une source de financement innovante.

M. Henri de Raincourt, président. - La France a tenté de convaincre ses partenaires européens mais à ce jour, seuls huit ou dix des 27 pays de l'Union Européenne ont accepté. La question de l'affectation de cette taxe se posera également. Nous ne pourrons répondre à des besoins grandissants avec des enveloppes équivalentes. Nous avons besoin du produit de cette taxe.

Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Comment pouvons-nous mettre en place la culture du résultat dans un pays comme la République Centrafricaine, où la recherche reste très peu développée ?

M. Erik Solheim. - Je reconnais la difficulté d'appliquer ce système dans certains pays mais nous ne devons pas y renoncer. Nous pouvons trouver des accords avec des entreprises privées ou créer des joint-ventures autour d'objectifs spécifiques. Le gouvernement ougandais, avec l'appui de sociétés du secteur de la santé, mobilise des fonds pour réduire le nombre de personnes atteintes de maladies afin de les éradiquer. S'il y parvient, les fonds seront débloqués. Nous devons expérimenter ce système.

Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Les résultats sont-ils déterminés de façon bilatérale, en fonction des besoins définis par les politiques nationales des pays du sud, ou multilatérale, à l'occasion de conférences internationales ?

M. Erik Solheim. - Au Brésil, le Président Lula puis la Présidente Rousseff ont établi un projet dans l'enseignement avec des gouvernements étrangers, notamment celui de Norvège. Nous avons défini conjointement les résultats attendus et les mécanismes de suivi permettant de s'accorder sur la réalisation ou non des objectifs. Dans le cas de la déforestation de l'Amazonie, la performance atteinte s'est avérée bien plus élevée que les attentes. Je ne pense pas que les Brésiliens auraient accepté, il y a dix ans, de conclure un accord leur demandant de réduire la déforestation de 80 %. Si l'idée semblait sympathique, elle n'apparaissait pas réaliste compte tenu de la situation économique du pays. Aujourd'hui, le site du Ministère de l'Environnement affiche les preuves indiscutables de ces résultats. Effectivement, nous ne pouvons nous attendre à ce que le gouvernement centrafricain agisse de cette façon.

Le Royaume-Uni a mis en place ces obligations de résultats dans d'autres secteurs. Le meilleur exemple concerne les maisons d'arrêt. Nous essayons de fixer un objectif pour limiter la récidive. Ce système peut fonctionner car il implique la société civile. Dans le secteur de la santé, des groupes médicaux peuvent travailler en consortium avec le gouvernement et la société civile pour réduire le nombre de personnes atteintes par une maladie donnée.

Mme Kalliopi Ango Ela, rapporteure. - Vous évoquiez la volonté de rapprochement entre les objectifs du millénaire pour le développement et la conférence sur le changement climatique. D'après vous, quelle est la nature des attentes et des écueils à éviter ?

M. Erik Solheim. - Une convergence me semble nécessaire dans deux domaines principaux : l'énergie et l'agriculture. L'énergie représente plus de 50 % des émissions responsables du changement climatique. Pourtant, 1,5 milliard de personnes ne sont toujours pas connectées à l'électricité. Ban Ki-moon a reconnu avoir appris à lire à la lueur de la bougie mais l'électricité facilite cet apprentissage. Tout le monde devrait avoir accès à cette ressource. Comme nous ne devrons pas la produire par les moyens traditionnels tels que le charbon, l'énergie et l'environnement doivent converger.

Nous devons également adapter l'agriculture à l'environnement. De nombreuses personnes pensent que les récoltes dépendent du climat, alors qu'elles dépendent de l'eau. La gestion de l'eau doit donc évoluer pour que l'agriculture devienne plus productive. Cet aspect me semble fondamental. L'Asie augmente sa production sur des territoires qui se restreignent tandis que l'Afrique produit moins sur un nombre plus important de terres arables. Sur ce continent, une révolution de la productivité s'avère nécessaire mais elle doit être pérenne.

La finance climatique me semble également essentielle. Malheureusement, aucun plan réaliste n'a été établi sur ce sujet, me laissant penser que nous ne trouverons pas d'accord lors de la conférence de Paris. Pourtant, plusieurs milliards de dollars sont en jeu. Ces sommes impliquent un investissement du secteur privé ainsi qu'une assurance d'obtenir des résultats, que nous ne pourrons fournir sans un leadership mondial. Peu de nations prennent des initiatives car la crise accentue la sensibilité aux risques. Néanmoins, la France peut endosser ce rôle. De nombreux Etats sont trop occupés par la crise, d'autres n'ont pas cette tradition du leadership hors de leurs frontières. Votre pays peut se targuer de cette culture grâce à sa société civile.

M. Henri de Raincourt, président. - Monsieur le Ministre, je vous remercie infiniment pour cette rencontre, extrêmement instructive. Je ne doute pas que nous serons amenés à nous revoir car ces sujets nous intéressent particulièrement, au-delà de cette mission. Leur importance pour l'avenir de la planète est réelle.