Mercredi 11 mars 2009

- Présidence de Mme Michèle André, présidente. -

Les femmes dans les espaces privatifs de liberté - Audition de M. Jean-Charles Toulouze, adjoint au chef de l'Inspection des services pénitentiaires

La délégation a entendu M. Jean-Charles Toulouze, adjoint au chef de l'Inspection des services pénitentiaires.

Mme Michèle André, présidente, a souhaité la bienvenue à M. Jean-Charles Toulouze, rappelant que son audition s'inscrivait dans le cadre du thème de réflexion que la délégation s'est assigné cette année, qui porte sur la question des femmes dans les espaces privatifs de liberté, et qui fera l'objet d'un rapport rendu en fin d'année. Après avoir rappelé que les femmes représentaient moins de 4 % de la population carcérale totale, elle a indiqué que la délégation souhaitait en examiner les caractéristiques et les spécificités, les problèmes généraux qu'elle pose, en particulier dans le cas des femmes enceintes ou ayant un enfant auprès d'elles pendant leur détention, ainsi que les conditions de leur réinsertion.

Après avoir rappelé qu'au sein de la population carcérale, la proportion de femmes en détention était faible et relativement constante, s'établissant à environ 3,5 %, M. Jean-Charles Toulouze a indiqué que la proportion de prévenues parmi les femmes incarcérées était en revanche significativement supérieure à la proportion de prévenus dans la population pénale globale. Il a constaté que les femmes étaient ainsi plus souvent prévenues que condamnées, expliquant cette réalité par la gravité des faits pour lesquels elles étaient poursuivies ou condamnées. Il a indiqué, à cet égard, que contrairement aux hommes qui pour une majorité d'entre eux sont condamnés en comparution immédiate, les femmes se retrouvaient plus souvent dans le cadre d'une instruction traditionnelle.

M. Jean-Charles Toulouze a estimé, au vu de son expérience, qu'on n'observait pas de différence significative entre la situation des détenus hommes et celle des détenues femmes. Il a toutefois noté que, dans les quartiers de femmes, on rencontrait une concentration des difficultés à la fois physiologiques, psychologiques et sociologiques, avec des situations souvent plus complexes et plus douloureuses que dans les quartiers d'hommes.

M. Jean-Charles Toulouze a précisé que les cas de détenues enceintes et mères de famille étaient relativement limités. Il a ensuite confirmé la difficulté que représentait l'accueil en détention d'enfants en bas âge, même si l'administration pénitentiaire s'efforçait de mettre en place des quartiers offrant les meilleures conditions possibles pour la prise en charge de ces nourrissons. A cet égard, il a rappelé que plusieurs établissements et plusieurs quartiers de femmes étaient équipés de quartiers nourrices, prenant pour exemple la maison d'arrêt des femmes à Fleury-Mérogis, où un quartier spécifique a été aménagé, avec notamment des cellules disposant d'un endroit réservé à la prise en charge de l'enfant, un dispositif général garantissant aux mères les meilleures conditions possibles, ainsi que des surveillantes spécialisées, affectées spécifiquement à ce quartier.

Il a indiqué que la loi prévoyait la possibilité pour l'enfant de rester avec sa mère jusqu'à l'âge de dix-huit mois, même s'il était assez rare, en pratique, d'aller jusqu'au bout de ce délai. Il a également rappelé l'existence d'une procédure permettant de prolonger éventuellement la présence de l'enfant auprès de sa mère au-delà de dix-huit mois, après décision d'une commission présidée par le directeur régional des services pénitentiaires et composée notamment des responsables du quartier des femmes, d'un médecin et de travailleurs sociaux. Ayant été lui-même directeur régional des services pénitentiaires de Lille puis de Paris pendant neuf ans, M. Jean-Charles Toulouze a confié qu'il n'avait eu à connaître qu'une seule fois d'une telle procédure, et qu'il avait alors décidé, conformément à l'avis de la commission, de prolonger le délai au-delà des dix-huit mois prévus, compte tenu de la situation de la mère, dont la date de libération était proche.

D'une façon plus globale, il a indiqué qu'à part la région parisienne et les grandes métropoles régionales où les quartiers de femmes sont relativement importants, les autres maisons d'arrêt comportaient des quartiers plus petits, séparés du reste de la détention. Il en résultait un certain nombre de difficultés qui tiennent à la fois à la nécessité d'assurer une couverture permanente en personnel de ces quartiers et au problème des femmes mineures incarcérées. Il a rappelé qu'il était prévu de développer des unités accueillant des jeunes filles dans le cadre des établissements pour mineurs, mais que l'on continuait, pour le moment, à les placer dans des quartiers de femmes en veillant à ne les mettre en contact qu'avec des détenues adultes qui ne soulevaient pas de problème grave. Il a précisé que lorsqu'il était directeur régional en Île-de-France, le nombre de jeunes filles mineures détenues était d'environ trois ou quatre sur plus de 400 détenues dans la région.

Après avoir rappelé que, pendant longtemps, le centre pénitentiaire de Rennes avait été le seul établissement pour peines prenant en charge les femmes, M. Jean-Charles Toulouze a indiqué que, depuis une vingtaine d'années, avec la mise en place du programme de construction de prisons en gestion déléguée lancé au début des années 1990, des quartiers de femmes avaient été créés notamment à Bapaume dans le Pas-de-Calais et à Joux-la-Ville dans l'Yonne.

Concernant la prise en charge et la préparation à la sortie, M. Jean-Charles Toulouze a estimé qu'il n'existait pas de distinction entre les hommes et les femmes. Il a rappelé que l'administration pénitentiaire avait mis en place un certain nombre d'actions de formation et d'activités ainsi qu'une préparation à la sortie, en liaison en particulier avec le service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP).

Mme Michèle André, présidente, l'a alors interrogé sur la préservation des liens familiaux, dont elle a souligné l'importance en matière de réinsertion, se demandant notamment si ceux-ci étaient plus importants pour les femmes que pour les hommes.

M. Jean-Charles Toulouze a estimé que la préservation des relations avec les proches, et surtout avec le conjoint, était plus fréquente lorsque la personne détenue était un homme que lorsqu'il s'agissait d'une femme.

En réponse à une question de Mme Muguette Dini, M. Jean-Charles Toulouze a précisé qu'au 1er février 2009, 2 120 femmes étaient détenues dans l'ensemble des établissements pénitentiaires en France, dont 769 prévenues et 1 351 condamnées, c'est-à-dire des personnes dont la peine est définitive et ne disposant plus d'aucune voie de recours. Il a ensuite précisé qu'il y avait en permanence entre huit et dix femmes enceintes détenues à Fleury-Mérogis et qu'il était ainsi possible d'en déduire le nombre d'une trentaine de détenues enceintes au niveau national.

Mme Christiane Kammermann a demandé quelle était la durée moyenne de détention des femmes, et souhaité savoir si les cas de femmes condamnées à perpétuité étaient nombreux. Après avoir indiqué que ces cas étaient peu nombreux, M. Jean-Charles Toulouze a précisé qu'un condamné à perpétuité effectuait au moins une peine de vingt ans.

Mme Françoise Cartron a souhaité approfondir la question de la préservation des liens familiaux, se demandant si les enfants de femmes détenues accompagnaient beaucoup leur mère pendant la période de détention. Elle s'est par ailleurs interrogée sur le niveau scolaire des femmes détenues par rapport à celui des hommes.

En réponse à ces questions, M. Jean-Charles Toulouze a indiqué que s'agissant des enfants, qui sont souvent en bas âge, le maintien de liens avec leur mère dépendait pour l'essentiel de l'existence éventuelle d'un accompagnement familial dans son ensemble. Il a par ailleurs indiqué que le niveau scolaire était faible en moyenne, et participait de la concentration des difficultés rencontrées par cette population.

Mme Claudine Lepage s'est demandé, concernant la prise en charge des enfants de dix-huit mois enlevés à leur mère détenue, s'ils étaient accueillis dans le reste de leur famille ou placés dans les Directions départementales des affaires sanitaires et sociales (DDASS). Sur ce point, M. Jean-Charles Toulouze a alors indiqué qu'une circulaire avait redéfini ces conditions il y a environ cinq ans et qu'elle avait privilégié la solution consistant à confier l'enfant à l'autre titulaire de l'autorité parentale. Il a par ailleurs indiqué qu'un certain nombre de dispositifs avaient pour but d'instaurer une prise en charge progressive de l'enfant par le père, de façon à le sortir de l'espace confiné de la prison.

Mme Jacqueline Chevé a indiqué que, suivant les constats opérés par certains services sociaux ou par certains éducateurs, les femmes seraient, pour des faits comparables, condamnées à des peines plus lourdes que les hommes. Se basant sur les visites qu'elle a effectuées, elle a par ailleurs confirmé le sentiment de concentration des difficultés sociales, psychologiques et familiales. Enfin, concernant la réinsertion de ces femmes, elle a évoqué le cas d'une femme dont la libération, à l'issue d'une incarcération de dix-sept ans, était compromise par la difficulté à lui trouver un foyer pour personnes âgées.

M. Jean-Charles Toulouze a insisté sur le fait que les femmes peuvent être condamnées lourdement et pour des faits très graves, ce qui entraîne la coexistence au sein d'un même quartier, de femmes condamnées pour des faits de délinquance traditionnelle avec des femmes condamnées pour des faits d'homicides extrêmement graves. Sur la question de la fin de détention, il a considéré que le même problème existait chez les détenus hommes, notamment à travers la difficulté à trouver, à la fin d'une très longue peine, des structures pour accueillir les détenus âgés. Il a indiqué que la pénurie de structures d'accueil pouvait parfois reporter la libération de certaines détenues et que l'Assistance Publique - Hôpitaux de Paris (APHP) avait récemment fait l'objet d'une condamnation pour n'avoir pas apporté de solution dans un cas de cette nature. Il a également ajouté que l'administration pénitentiaire travaillait sur ces questions, qui ne concernaient pas que les détenues. Après avoir évoqué les difficultés qui pouvaient se rencontrer à l'occasion de ce type de placement dans des structures d'accueil, il a indiqué que la direction régionale de Paris venait de passer une convention avec une association à Blois.

M. Yannick Bodin a souhaité que la délégation puisse obtenir un tableau comparatif entre les hommes et les femmes recensant un certain nombre d'éléments comme le motif des condamnations, la durée des peines prononcées, le nombre de libérations conditionnelles, les nationalités concernées, la répartition géographique ou encore les catégories socio-professionnelles, afin de mettre en évidence l'existence ou non de caractéristiques spécifiques.

Concernant la répartition géographique, M. Jean-Charles Toulouze a indiqué que pour les neuf directions régionales métropolitaines et la direction outre-mer, on n'observait pas, a priori, de différences de pourcentages significatives, à l'exception de Rennes et de la région parisienne, du fait de l'implantation sur le territoire de centres pénitentiaires pour femmes.

M. Jean-Charles Toulouze a confirmé ensuite à M. Yannick Bodin que, dans les prisons franciliennes, le nombre de détenues étrangères condamnées pour trafic de stupéfiants était plus élevé que dans les autres régions, mais que, d'une manière générale, la proportion de femmes étrangères détenues était sans doute moins importante que celle des hommes.

A Mme Muguette Dini qui l'interrogeait sur la réalité des difficultés que pouvait poser la présence, au sein du personnel pénitentiaire, de surveillants masculins dans les prisons de femmes, M. Jean-Charles Toulouze a indiqué que l'administration pénitentiaire s'efforçait d'affecter des surveillantes femmes dans les quartiers de femmes, même si les fonctions d'encadrement, et notamment de directeur, pouvaient sans inconvénient être confiées à des hommes, comme c'était le cas, par exemple, pour le centre pénitentiaire de Rennes.

Il a en outre précisé que le code de procédure pénale encadrait strictement les conditions dans lesquelles les personnels masculins pouvaient pénétrer dans les quartiers de femmes.

En réponse à M. Yannick Bodin, M. Jean-Charles Toulouze a précisé que le niveau de violence semblait d'une manière générale moins élevé chez les détenues femmes que chez les détenus hommes.

Mme Michèle André, présidente, a demandé si le problème de la surpopulation dans les établissements pénitentiaires, évoqué à l'occasion de l'examen récent du projet de loi pénitentiaire devant le Sénat, affectait de la même manière les quartiers réservés aux femmes. M. Jean-Charles Toulouze a estimé que la situation variait selon les établissements, notant par exemple qu'il n'y avait pas de surpopulation à Rennes mais que ce problème pouvait exister dans d'autres maisons d'arrêt, comme par exemple celles de Fresnes et de Fleury-Mérogis, où les détenues sont deux par cellule, ou encore celui de la maison d'arrêt de Versailles, où les détenues sont hébergées en dortoirs.

Répondant à Mme Christiane Kammermann qui lui demandait des précisions sur l'accompagnement des détenues par des assistantes sociales et sur les soins dispensés par les services médicaux en cas de problèmes de santé graves, M. Jean-Charles Toulouze a indiqué que l'administration pénitentiaire avait accompli beaucoup d'efforts ces dernières années pour le recrutement de conseillers d'insertion et de probation, même si la durée de leur formation pouvait entraîner une certaine érosion de leurs effectifs. Cette amélioration avait cependant fait ressortir l'insuffisance des locaux qui sont affectés à ces services. Il a rappelé les missions de ces personnels : accompagner les détenus dans la préparation d'un projet de sortie et les aider dans les aspects sociaux relatifs à leur sortie de prison. Il a précisé qu'il n'existait pas de rythme imposé de consultation de ces conseillers d'insertion et de probation par les détenus mais que ce rythme dépendait des différents projets mis en place par les détenus ou par les signalements des problèmes rencontrés.

Après avoir rappelé que s'il n'existait pas au sein des établissements pénitentiaires de structures d'hospitalisation, M. Jean-Charles Toulouze a indiqué que les détenus étaient pris en charge, en cas d'incident médical, par les Unités Hospitalières Sécurisées Interrégionales (UHSI), qui sont en cours d'aménagement, ou par les hôpitaux traditionnels.

M. Jean-Charles Toulouze a ensuite précisé à Mme Françoise Cartron que les cas de suicides étaient plus fréquents chez les hommes détenus que chez les femmes. Tout en estimant qu'il fallait se garder de sous-estimer ce problème, il a cependant rappelé que la proportion de suicides avait eu tendance à diminuer sur la longue durée, si on la rapportait au nombre total de journées d'incarcération et au nombre de détenus.

En réponse à Mme Michèle André, présidente, qui souhaitait savoir si les conditions d'activité dans les espaces privatifs de liberté étaient les mêmes pour les femmes que pour les hommes, M. Jean-Charles Toulouze a indiqué que des activités professionnelles étaient mises en place de la même manière dans les quartiers de femmes que dans les quartiers d'hommes, et qu'elles se trouvaient d'ailleurs confrontées aux mêmes difficultés liées à la concurrence sur le marché du travail.

Il lui a également indiqué que les centres éducatifs fermés pour mineurs relevaient de la compétence des services de la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ).

Les femmes dans les espaces privatifs de liberté - Audition de M. Laurent Ridel, sous-directeur des personnes placées sous main de justice à la Direction de l'administration pénitentiaire

Mme Michèle André, présidente, a accueilli M. Laurent Ridel, sous-directeur des personnes placées sous main de justice à la Direction de l'Administration pénitentiaire, en lui indiquant que la délégation s'attachait tout particulièrement à établir un bilan statistique précis de l'incarcération des femmes et de ses caractéristiques spécifiques.

M. Laurent Ridel a tout d'abord confirmé le faible nombre - entre 2 000 et 2 100 - de femmes incarcérées en France, soit une proportion de 3 à 3,4 % de l'ensemble des détenus. Il a fait observer qu'il s'agissait là d'un phénomène général en Europe mais qui demeure particulièrement accentué en France. Il a ajouté que depuis une quinzaine d'années, le nombre de femmes détenues n'augmentait pas, contrairement à la population carcérale masculine qui a progressé de plus de 20 %. Il a ensuite évalué à 34 % la proportion de prévenues parmi les femmes écrouées alors que seuls 25 % des détenus masculins sont en instance de jugement. En revanche, il a noté que la durée moyenne de détention des femmes et des hommes était similaire, se situant entre huit mois et demi et neuf mois. Il a également évoqué la similitude croissante des motifs d'incarcération quel que soit le sexe : l'idée d'une délinquance féminine spécifique qui se manifestait il y a une dizaine d'années n'est plus d'actualité ; les différences se sont ainsi atténuées, même si les femmes demeurent surreprésentées dans le trafic de stupéfiants ou dans les crimes de sang dictés par l'émotion et sous-représentées en matière de moeurs ou de violences « classiques ».

Compte tenu de la stabilisation du nombre de femmes incarcérées, M. Laurent Ridel a constaté qu'il n'y avait pas de phénomène global de surencombrement des prisons : 66 établissements, à peu près répartis sur l'ensemble du territoire, sur 194, sont en mesure d'héberger, au total, 2 300 femmes. Tout en admettant que cette capacité d'accueil théorique, globalement supérieure au nombre de détenues, pouvait s'accompagner de difficultés ponctuelles de suroccupation, notamment en ce qui concerne les mineures, il a évoqué, de façon générale, une atmosphère plus apaisée dans les espaces de détention réservés aux femmes. Puis il a précisé que seuls 5 d'entre ces 66 établissements accueillaient des femmes condamnées pour de longues peines - notamment à Marseille, Joux-la-Ville, Bapaume, ou à Rennes - ce qui soulève certains problèmes géographiques, par exemple pour les personnes originaires du Sud-Ouest de la France. A cet égard, il a mentionné la possibilité de contrebalancer cet inconvénient par la délivrance plus fréquente de permissions de sortie ou l'aménagement d'unités de vie familiales. Puis il a souligné que 25 établissements disposaient de « quartiers nourrice » permettant d'héberger des mères en compagnie de leurs enfants - 19 cas de détention de ce type ont été recensés en janvier 2009 - pendant une durée maximale de 18 mois. Il a observé qu'en pratique, cette durée était la plupart du temps abrégée : le séjour des enfants en détention s'élève en moyenne à quatre mois, les mères prenant elles-mêmes conscience que la place d'un bébé n'est pas en prison. Il a signalé la possibilité d'une prolongation au-delà de 18 mois, selon une procédure exceptionnelle, tout en témoignant n'avoir pas eu connaissance, au cours des vingt dernières années de sa carrière, de demandes en ce sens.

Puis M. Laurent Ridel a indiqué que le taux de mineurs incarcérés était comparable chez les femmes et les hommes, évaluant entre une trentaine et une quarantaine le nombre total de mineures en détention. Il a précisé que, jusqu'à la mise en service des établissements dédiés aux mineurs, fin 2007, toutes les jeunes filles étaient hébergées dans les quartiers de femmes détenues ; depuis cette mise en place, l'hébergement des mineures est assuré dans des locaux qui leur sont exclusivement réservés mais les activités sont mixtes, ce qui suscite - a-t-il signalé - des difficultés de mise en oeuvre lorsqu'on ne compte qu'une seule jeune fille incarcérée. Lorsqu'il est possible de regrouper au moins deux ou trois mineures, il a estimé que cette mixité encadrée par des adultes avait des retombées extrêmement positives en termes de sociabilisation et de respect mutuel des sexes.

Il a ensuite exprimé le sentiment, non étayable par des statistiques, que les magistrats avaient sans doute, par réflexe, moins recours à l'incarcération pour les femmes que pour les hommes, ce qui peut trouver son origine dans une tendance à redouter que la détention des femmes soit moins propice à l'aménagement des peines. Or il a constaté que cette dernière impression ne correspondait pas au constat chiffré dont il ressort que les aménagements de peine - sous forme de libération conditionnelle, de placement extérieur, de semi-liberté ou d'utilisation de bracelet électronique - sont un peu plus souvent accordés aux femmes qu'aux hommes. Il a précisé que ces aménagements étaient fréquemment liés non pas à l'exercice d'un emploi mais à l'implication des détenues dans leur vie familiale.

M. Laurent Ridel a conclu son exposé préliminaire en indiquant que le nombre assez faible de femmes en détention leur permettait de bénéficier de conditions de détention plus sereines mais que, en revanche, les femmes apparaissaient victimes de leur faible nombre en raison d'un moindre accès aux diverses activités - en atelier, en bibliothèque ou en formation professionnelle - pour des raisons d'organisation pratique tenant à la « loi du nombre ».

Mme Claudine Lepage s'est alors interrogée sur le nombre de femmes françaises incarcérées à l'étranger.

M. Laurent Ridel a répondu qu'il convenait de s'en remettre sur ce point aux informations collectées par le bureau de l'aide pénale internationale relevant de la direction des affaires criminelles et des grâces.

M. Yannick Bodin s'est également interrogé sur le nombre de femmes étrangères incarcérées en France.

M. Laurent Ridel a indiqué que, globalement, 18 % des personnes incarcérées étaient de nationalité étrangère - alors que ce chiffre atteignait 30 % il y a plusieurs années -, en estimant que cette proportion était sans doute légèrement supérieure chez les femmes. Il a également confirmé, en prolongeant une observation de M. Yannick Bodin, que la proportion de détenus originaires d'Amérique latine était incontestablement plus importante chez les femmes que chez les hommes.

Mme Jacqueline Chevé s'est interrogée sur la difficulté d'obtention, par les détenus, du statut de demandeur d'emploi non indemnisé, ce qui limite leurs possibilités d'accès à la formation professionnelle, aux aménagements de peine et à un certain nombre de mesures d'accompagnement social.

M. Laurent Ridel a indiqué que les aménagements de peine étaient, en effet, jusqu'à présent, accordés en corrélation directe avec l'exercice d'un emploi. Il a cependant souligné que les difficultés économiques actuelles avaient conduit à prévoir, à l'article 33 du projet de loi pénitentiaire, la possibilité d'aménager les peines en fonction d'un projet d'insertion professionnelle. Il a ajouté que, normalement, les détenus femmes ou hommes ne pouvaient pas s'inscrire comme demandeur d'emploi et qu'ils n'avaient pas non plus accès au revenu minimum d'insertion (RMI) au-delà des deux premiers mois de leur incarcération, et jusqu'à la cessation de leur prise en charge par l'administration pénitentiaire. Il a signalé que les personnes faisant l'objet d'un aménagement de peine étaient juridiquement considérées comme matériellement « prises en charge » alors qu'elles ne l'étaient pas, en pratique. Il a précisé que, pour résoudre cette difficulté, il était envisageable de modifier les textes réglementaires, mais que, plus pragmatiquement, des instructions avaient été données par le directeur de l'administration pénitentiaire afin de modifier le bordereau de fin de prise en charge matérielle remis aux détenus par les services pénitentiaires ; en même temps, un courrier a été envoyé à M. Christian Charpy, directeur général de Pôle Emploi - qui procède de la fusion Anpe-Assedic - et à M. Claudy Lebreton, président de l'Assemblée des Départements de France (ADF), afin de recueillir leur soutien pour favoriser l'éligibilité des détenus aux divers dispositifs d'insertion, sur la base de ce bordereau.

Mme Françoise Cartron a demandé des précisions sur les difficultés d'accès des femmes aux diverses activités et à la formation professionnelle proposées aux détenus.

M. Laurent Ridel, sur la base d'exemples concrets, a montré la difficulté d'organiser des activités aussi variées pour 10 femmes incarcérées que pour 150 hommes. Il a observé que l'Espagne, conformément à une conception pénitentiaire renouvelée après la disparition du général Franco, pratiquait la mixité des activités et avait adopté des systèmes différenciés comportant à la fois certaines normes de sécurité, qui pourraient choquer les esprits en France, et des mesures très novatrices, comme l'incarcération en couple de condamnés. En réponse à Mme Michèle André, présidente, qui s'est alors demandé si de telles innovations étaient transposables dans notre pays, M. Laurent Ridel a signalé que cette dernière pratique semblait susciter une assez forte augmentation des naissances, désirées ou pas, dans les prisons mais que les autorités espagnoles constataient les retombées positives des incarcérations en couple sur l'apaisement du climat pénitentiaire et la diminution de la violence.

Puis, répondant à une question de Mme Françoise Laborde sur les implications, pour les femmes, des naissances en détention, M. Laurent Ridel a convenu que les conditions d'incarcération étaient, dans un certain nombre de pays comme l'Espagne, indéniablement plus confortables pour les femmes ayant un enfant. Cependant, il a estimé, sur la base de son expérience, que les femmes ne réagissaient pas de la sorte en France, en faisant référence à des cas concrets où les mères vivent cette situation de manière douloureuse.

Interrogé par Mme Françoise Laborde sur les caractéristiques des détenu(e)s, M. Laurent Ridel a confirmé la surreprésentation d'un public qui cumule les handicaps en termes de parcours professionnel, familial, culturel et sentimental. Il a précisé que les femmes avaient dû faire face, plus souvent que les hommes, à des situations dramatiques, et notamment aux violences conjugales.

Puis, en réponse à une interrogation de M. Yannick Bodin sur l'état de santé comparé des femmes et des hommes, M. Laurent Ridel a rappelé que l'on constatait chez les détenus en général une plus grande précarité physique et quatre à cinq fois plus de pathologies psychiatriques avérées que la moyenne, sans qu'apparaissent des différences notables entre femmes et hommes sur ce point. Il a souligné que, grâce à l'intervention des services hospitaliers, les personnes concernées étaient certainement mieux soignées et suivies en prison qu'elles ne l'avaient été à l'extérieur. Par ailleurs, il a signalé un nombre de suicides compris entre 95 et 115 par an en moyenne depuis 2005, dont 3 à 5 % commis par des femmes.

Evoquant la fréquence des pratiques mutilantes, comme l'anorexie, chez les adolescentes, Mme Françoise Cartron s'est interrogée sur l'ampleur de tels comportements autopunitifs parmi les détenues.

M. Laurent Ridel a d'abord confirmé la difficulté de l'analyse de la signification de telles pratiques, qui peuvent relever du comportement suicidaire ou de l'appel à l'aide. Il a ensuite noté, même si les effectifs concernés sont trop peu nombreux pour en tirer des conclusions statistiques, que ces manifestations de désespoir qui s'accompagnent, la plupart du temps, d'un cumul de handicaps sociaux, scolaires et affectifs chez les jeunes filles incarcérées apparaissaient encore plus accentuées que chez les jeunes garçons.

Mme Michèle André, présidente, s'est alors interrogée sur les remèdes envisageables à cette situation et sur leur efficacité.

M. Laurent Ridel a indiqué que l'administration pénitentiaire s'était mobilisée depuis plusieurs années pour donner à l'incarcération des mineur(e)s une dimension réellement éducative : à cet égard, il a souligné l'ampleur de la mobilisation des moyens d'intervention avec, en particulier, des « trinômes » d'enseignants, d'éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse et de surveillants, qui s'efforcent d'assurer un suivi personnalisé et éducatif du jeune. Il s'est particulièrement félicité de l'intervention de la protection judiciaire de la jeunesse, qui permet d'éviter les ruptures trop brusques dans le parcours de réinsertion des jeunes délinquants.

Se disant naturellement enclin à s'en remettre à la responsabilité individuelle, il a cependant souligné que les caractéristiques des mineurs délinquants lui paraissent justifier pleinement une politique de prise en charge en amont.

Mme Michèle André, présidente, a demandé à l'intervenant si la problématique carcérale se présentait de façon différente en Nouvelle-Calédonie.

Après avoir souligné le caractère attachant de ce territoire et de ses habitants, M. Laurent Ridel a ensuite résumé les impressions qu'il retirait des quatre années qu'il avait passées en Nouvelle-Calédonie : malgré une délinquance plus faible qu'en métropole, on y enregistrait paradoxalement un taux d'incarcération plus élevé, cette apparente sévérité de la justice s'expliquant sans doute en grande partie par la tendance des Calédoniens à reconnaître leurs actes devant les tribunaux. Il a précisé qu'on recensait une majorité de Canaques et de Wallisiens parmi les 350 détenus de Nouvelle-Calédonie. Il a en outre relevé que la configuration pénale du territoire avait tendance à évoluer sous la pression de la mondialisation et d'un appétit de consommation qui provoquait des tensions dans une société restée très inégalitaire et s'accompagnait de nouvelles difficultés sociales, d'une fragilisation des structures coutumières et d'une montée de la volonté d'émancipation ainsi que de la délinquance des jeunes.

Il a ensuite évoqué le développement d'outils juridiques adaptés à la réalité calédonienne, en observant que leur mise en oeuvre était facilitée par la proximité des intervenants en Nouvelle-Calédonie. Il a également signalé que les femmes étaient incarcérées dans ce territoire essentiellement pour avoir commis des crimes passionnels et mentionné un phénomène d'alcoolisme qui se concentre en fin de semaine et s'accompagne de faits de violences conjugales donnant lieu à des ripostes féminines.

A M. Yannick Bodin, qui s'est ensuite interrogé sur le fait religieux en prison, M. Laurent Ridel a répondu qu'il n'existait aucune différence de traitement à cet égard entre les femmes et les hommes, même si les aumôneries ou les horaires des messes s'adaptent à la configuration essentiellement masculine de la population pénitentiaire. Il a observé que la surreprésentation traditionnelle d'aumôniers catholiques et protestants - respectivement au nombre de 500 et de 200 - paraissait aujourd'hui en décalage avec la composition de la population carcérale, tout en rappelant que le nombre d'aumôniers musulmans avait été doublé - de 60 à 120 - en quelques années. A ce sujet, il a signalé les difficultés particulières tenant, malgré la constitution du Conseil français du culte musulman, à la faible structuration institutionnelle de cette religion et à la nécessité de faire appel à des aumôniers musulmans à la fois respectueux des valeurs de la République et reconnus par leurs coreligionnaires. Il a également estimé qu'il était nécessaire de leur offrir une compensation financière suffisante. Il a précisé à M. Yannick Bodin que la loi du 9 décembre 1905 relative à la séparation des Églises et de l'État permettait bien de rémunérer les aumôniers, et rappelé que M. Roland du Luart, rapporteur spécial de la commission des finances sur la mission « Justice », était attentif à l'évolution des crédits qui leur sont consacrés. Il a jugé que donner la possibilité à chacun de pratiquer sa religion constituait le meilleur moyen de lutter contre certaines formes de prosélytisme.

Puis Mme Michèle André, présidente, a interrogé l'intervenant sur le rôle des visiteurs de prison.

M. Laurent Ridel a indiqué que l'administration pénitentiaire était très favorable à l'intervention régulière de ces acteurs qui constituent des interlocuteurs précieux car ils contribuent à la préservation des contacts entre la société civile et la prison.

Mme François Cartron s'est inquiétée, à partir d'un exemple ponctuel relevé en Aquitaine, de la diminution des crédits affectés à des activités culturelles en prison, notamment en faveur du livre et de la lecture.

M. Laurent Ridel a fait observer qu'il s'agissait souvent, dans ce domaine, de financements croisés, auxquels contribuent non seulement les ressources de l'administration pénitentiaire mais aussi celles du ministère en charge de la culture et des collectivités locales. Il a mentionné le soutien des bibliothèques municipales aux bibliothécaires de détention, parfois formalisé sous forme de conventions de prêts de livres ou de mise à disposition de personnel, avant de regretter que la contrainte budgétaire globale puisse avoir pour conséquence, ici ou là, le sacrifice de certaines actions culturelles en direction des détenus.

Il a enfin évoqué le caractère exemplaire du centre pénitentiaire de Rennes, qui doit faire l'objet d'une visite de terrain par la délégation aux droits des femmes, en insistant particulièrement sur l'intérêt des unités de vie familiale qui permettent aux personnes incarcérées de se réaccoutumer à des conditions de vie normales.