MISSION COMMUNE D'INFORMATION SUR LA NOTION DE CENTRE DE DÉCISION ÉCONOMIQUE ET L'ATTRACTIVITÉ DU TERRITOIRE NATIONAL

Mercredi 9 mai 2007

- Présidence de M. Philippe Marini, président.

Audition de M. Augustin de Romanet, directeur général de la Caisse des dépôts et consignations

La mission commune d'information a procédé à l'audition de M. Augustin de Romanet, directeur général de la Caisse des dépôts et consignations (CDC).

En préambule, M. Philippe Marini, président, a indiqué que cette audition constituait la dernière que devait réaliser la mission commune d'information. Il a souligné la qualité de la vingtaine d'auditions antérieures, grâce auxquelles les membres de la mission avaient déjà pu nourrir leur réflexion, ainsi que l'intérêt des déplacements effectués. Il a rappelé l'objet de la mission commune d'information avant de présenter les perspectives d'aboutissement de ses travaux pour le mois de juin 2007.

Après avoir remercié M. Augustin de Romanet d'avoir accepté l'invitation de la mission commune d'information, il a évoqué la mémoire de son prédécesseur à la tête de la Caisse des dépôts et consignations, M. Francis Mayer, en rappelant la dernière audition de celui-ci par la commission des finances du Sénat, le 11 octobre 2006. Il a notamment rapporté les propos par lesquels M. Francis Mayer, à cette occasion, avait présenté la mission de la Caisse des dépôts et consignations comme celle d'un investisseur s'inscrivant dans le long terme. Il a alors demandé à M. Augustin de Romanet quelles réponses, du point de vue de cette institution « sui generis », pouvait être apportées aux trois questions que la mission commune d'information avait pris coutume de soumettre aux personnalités auditionnées :

- la nationalité conserve-t-elle un sens pour les entreprises ?

- que recouvre la notion de centre de décision économique ?

- que peut faire l'Etat afin de conserver ou d'attirer de tels centres sur son territoire ?

M. Augustin de Romanet, tout d'abord, a constaté la vulnérabilité de certains groupes français, telle que plusieurs opérations l'avaient révélée dans les dernières années, à l'exemple du rachat du groupe Péchiney par le groupe Alcan à l'automne 2003. Il a fait observer que la délocalisation de centres de décision qui, en général, accompagne ce type d'opérations, se traduit par une importante perte de substance pour l'économie nationale. Partant de cette remarque, il a déclaré que les entreprises, selon lui, possèdent une nationalité dont la pérennité constitue un enjeu économique essentiel. Il a détaillé les critères principaux qui, à ses yeux, permettent de définir la nationalité des entreprises, tenant avant tout à la localisation de la direction générale, à la nationalité des principaux dirigeants et à l'implantation de services stratégiques, ainsi que, subsidiairement, à la localisation des emplois et à la nationalité des actionnaires. Il en a conclu que la nationalité d'une entreprise se déduit d'un faisceau d'indices convergents et est liée, de manière étroite, à la situation géographique de ses centres de décision.

S'attachant alors à définir la tâche de l'Etat en vue de maintenir et d'attirer de tels centres sur le territoire français, il a exposé que celle-ci devait consister à fournir un cadre social, juridique et financier qui renforce la compétitivité des entreprises nationales. En particulier, il a insisté sur la nécessité, pour les pouvoirs publics, de créer un environnement favorable aux entreprises sur le plan fiscal. Il a également posé en principe que le droit tant la législation française que, le cas échéant, les règles communautaires devait être mis au service des entreprises. A titre d'exemple, il a appelé à la vigilance pour que la réglementation prudentielle applicable au secteur de l'assurance, en cours de refonte, ne pénalise pas les investissements en actions et en prises de participation.

Evoquant avec M. Philippe Marini, président, les objectifs à conduire en la matière, il a cité l'application du droit européen de la concurrence.

En réponse à M. Philippe Marini, président, qui avait fait valoir la difficulté, pour l'Etat français en tant que tel, de peser efficacement sur les pratiques de la Commission européenne ou sur la jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes, il a estimé que des actions de sensibilisation s'imposaient. Plus généralement, il a souhaité que le droit continental soit mieux défendu et promu comme culture juridique de référence.

Par ailleurs, il a jugé que les dispositifs « anti-OPA » étaient légitimes, du moins pour le temps d'adaptation nécessaire aux entreprises françaises, dès lors que les groupes prédateurs peuvent eux-mêmes bénéficier de dispositifs très protecteurs. Il a plaidé, en outre, en faveur du développement de l'actionnariat salarié, compte tenu de la fonction de stabilisation du capital assurée par ce dernier.

Rappelant que la Caisse des dépôts et consignations, au coeur du développement économique de notre pays, est le premier investisseur d'intérêt général de France et le premier investisseur en actions de la place de Paris, il a estimé qu'elle se trouve particulièrement bien placée pour contribuer utilement à l'objectif de maintenir et d'attirer des centres de décision sur le territoire national. Dans cette perspective, il a présenté les cinq modes d'intervention de l'institution.

Le premier concerne le soutien apporté par la Caisse des dépôts et consignations aux politiques publiques de l'Etat, au moyen d'une large palette d'instruments financiers que M. Augustin de Romanet a ainsi présentés :

- d'abord, les prêts sur fonds d'épargne, destinés à financer de grands projets d'infrastructure, proposés par la CDC, aux meilleures conditions du marché, aux collectivités territoriales et aux établissements publics;

- ensuite, les investissements sur fonds propres réalisés par la CDC, seule, ou aux côtés d'acteurs du secteur privé ;

- enfin, les partenariats publics-privés pilotés par elle.

En réponse à une demande d'éclaircissement de M. Philippe Marini, président, il a précisé que la Caisse des dépôts et consignations s'engage à investir un tiers de son résultat, chaque année, dans des interventions en appui de politiques publiques. Il a ajouté que l'institution avait fait le choix d'investir fortement dans le domaine des infrastructures, du logement et de l'aménagement immobilier. A cet égard, il a insisté sur sa volonté de renforcer, en les systématisant, les interventions de la CDC dans les zones d'excellence scientifique et de développer, notamment, le financement de structures destinées à l'accueil des étudiants et des chercheurs.

Abordant le deuxième mode d'intervention de la Caisse des dépôts et consignations, qui vise à fournir aux petites et moyennes entreprises (PME) les moyens financiers de leur développement, M. Augustin de Romanet a rappelé l'insuffisance de fonds propres qui handicape les PME françaises. Il a présenté les trois circuits à travers lesquels la CDC tente d'y remédier:

- d'une part, le micro-crédit, au travers de fonds de prêts d'honneur, auxquels elle contribue ;

- d'autre part, les prêts et garanties consentis par l'intermédiaire d'Oséo ;

-  enfin, les apports en fonds propres réalisés dans le cadre du programme « France investissement » géré par CDC Entreprises, représentant un investissement global de plus de 2 milliards d'euros sur une période de six à huit années.

Il a également fait état de l'attention portée par la CDC à des investissements dans les PME opérant dans le secteur des technologies, qu'illustre sa participation dans la Financière de Brienne. M. Philippe Marini, président, ayant exprimé des doutes sur la nécessité de ce dernier instrument, M. Augustin de Romanet a expliqué que, dans la mesure où le Haut responsable chargé de l'intelligence économique estime qu'un besoin de financement existe dans le secteur, il est du devoir de la Caisse des dépôts et consignations de s'efforcer d'y répondre.

Le troisième mode d'intervention de l'action de la Caisse des dépôts et consignations tient à son rôle d'investisseur dans le capital des grandes entreprises françaises. M. Augustin de Romanet a indiqué que la CDC est le premier ou le deuxième actionnaire d'un tiers des sociétés figurant au CAC 40, que son portefeuille d'actions cotées est investi dans 250 sociétés à plus de 80 % françaises, et qu'elle détient 2,4 % à 5 % du capital des sociétés identifiées par le gouvernement comme menacées d'OPA. Il a souligné qu'elle peut contribuer, en sa qualité d'investisseur de long terme, au développement des entreprises et à la stabilisation de leur capital. Dans ce contexte, et dès lors que c'est conforme à son intérêt patrimonial, il lui paraît dans son rôle qu'elle puisse concourir à l'ancrage des centres de décision en France. En revanche, elle ne saurait être utilisée pour contrecarrer de manière systématique des tentatives étrangères de prise de contrôle. M. Augustin de Romanet a cité à cet égard la montée au capital de Veolia de la Caisse des dépôts lors de la sortie de Vivendi Universal.

Le quatrième mode d'intervention défendu par la Caisse des dépôts et consignations tend à appuyer des filiales à haute valeur ajoutée, comme Transdev et EGIS.

Le cinquième et dernier mode d'intervention de la Caisse des dépôts et consignations est orienté vers le développement de l'industrie touristique nationale. M. Augustin de Romanet a notamment mentionné que la Caisse des dépôts est actionnaire du groupe Accor, de la Compagnie des Alpes et de VVF.

Pour conclure, il a exposé que le maintien et l'attraction de centres de décision en France supposait, à ses yeux, non seulement une dépense publique efficace, mais encore une offre optimale en termes de formation à travers les universités et la recherche, afin de promouvoir la société de la connaissance. Dans cette optique, il a préconisé de mettre l'accent sur l'accueil des étudiants étrangers, en vue d'attirer les ingénieurs dont nos entreprises ont besoin. Mme Nicole Bricq a fait observer que cette mesure suppose un assouplissement de la politique de visas.

M. Christian Gaudin, rapporteur, a alors posé trois questions à M. Augustin de Romanet :

- les Fonds de réserve pour les retraites, dont le directoire est présidé par le directeur général de la Caisse des dépôts et consignations, pourrait-il servir à pallier l'absence de fonds de pension français ?

- un « Small Business Act » à la française favoriserait-il le développement d'entreprises de taille moyenne dans notre pays ?

- quel rôle la Caisse des dépôts et consignations joue-t-elle en direction des pôles de compétitivité ?

Sur le premier point, M. Augustin de Romanet a mis en avant les spécificités du Fonds de réserve pour les retraites. Il a rappelé les modalités de fonctionnement de l'établissement, en soulignant que sa mission « active » se bornait, pour l'essentiel, à l'allocation stratégique des fonds mis en réserve, la gestion directe des actifs incombant aux sociétés mandatées à cette fin. Il a précisé que les fonds devant être décaissés en vue de couvrir les besoins de financement des retraites, à partir de l'année 2020, les actions dans lesquelles ils avaient été placés devraient être vendues, progressivement, à l'approche de cette date.

S'agissant de la deuxième question, il a fait part de ses doutes qu'un accès privilégié des PME aux marchés publics, sur le modèle du « Small Business Act » américain, puisse réellement remédier au déficit national en entreprises de taille moyenne. Il a signalé que le problème, en l'occurrence, réside dans la faible solidité financière des PME nationales et leur manque de fonds propres. Il a analysé cette situation comme résultant en partie de comportements d'ordre culturel, propres au capitalisme français, les PME se montrant réticentes à accueillir de nouveaux actionnaires au sein de leur capital.

Quant aux pôles de compétitivité, il a indiqué que la Caisse des dépôts et consignations cherche à mettre à leur disposition les partenariats public-privé les plus performants possibles, sans pouvoir exercer une expertise de nature technologique sur les projets concernés.

M. Denis Badré, en s'appuyant sur le cas d'Airbus, a souhaité mettre en relief la dimension européenne des questions traitées par la mission commune d'information. Il s'est interrogé sur la manière dont pourraient être conçues des mesures qui soient bénéfiques à la France et à l'Europe à la fois.

M. Augustin de Romanet, en signalant la complexité d'une telle démarche, a estimé que les mentalités, en France, ne sont sans doute pas encore prêtes à adopter un point de vue aussi ouvert.

En clôturant le programme d'auditions de la mission commune d'information, M. Philippe Marini, président, a remercié M. Augustin de Romanet pour la richesse des éléments qu'il avait bien voulu fournir.