MISSION COMMUNE D'INFORMATION SUR LE FONCTIONNEMENT DES DISPOSITIFS DE FORMATION PROFESSIONNELLE

Mercredi 14 février 2007

- Présidence de M. Jean-Claude Carle, président. -

Audition de M. Dominique Balmary, président du Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie (CNFPTLV), et de Mme Françoise Amat, secrétaire général du CNFPTLV

La mission d'information a tout d'abord procédé à l'audition de M. Dominique Balmary, président du Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie (CNFPTLV), et de Mme Françoise Amat, secrétaire générale du CNFPTLV.

M. Dominique Balmary a préalablement indiqué que le CNFPTLV, créé depuis moins de deux ans, a un rôle d'observateur de la formation professionnelle. Cet organisme, qui comprend soixante-deux membres, au rang desquels figurent des représentants de dix ministères, de chacune des régions, des organisations syndicales, des organismes consulaires et des représentants du Parlement, a connu une mise en route assez difficile, mais fonctionne aujourd'hui normalement. Ses missions sont les suivantes :

- donner un avis sur la législation et la réglementation applicables en matière de formation continue et d'apprentissage ;

- évaluer les politiques régionales d'apprentissage et de formation professionnelle, avec la production d'un rapport d'évaluation des politiques régionales d'apprentissage et de formation continue tous les trois ans ;

- veiller sur les comptes de la formation continue, avec la production d'un rapport annuel sur l'utilisation des ressources financières destinées à la formation professionnelle et à l'apprentissage. Une « commission des comptes » fonctionne déjà, à cet effet, au sein du CNFPTLV.

Puis M. Dominique Balmary a rappelé que les lois du 4 mai 2004 et du 13 mai 2004 ont modifié le paysage de la formation continue en mettant l'accent sur la sécurisation des parcours pour le premier texte, et en organisant l'achèvement de la décentralisation de la formation professionnelle pour le second. Selon lui, les insuffisances actuelles tiennent à un financement éclaté, tandis que si le conseil régional devient le pivot de la formation continue, subsiste l'écueil d'un localisme excessif et du corporatisme des partenaires sociaux.

M. Dominique Balmary a souligné ensuite l'insuffisance de l'évaluation en matière de formation continue, qui tient d'abord à la difficulté d'en déterminer les critères, ceux-ci pouvant être l'efficacité économique, la fluidité sociétale (ascenseur social), la régulation sociale ou la qualité de l'offre au regard du marché de l'emploi. La loi est muette sur ce point et le CNFPTLV devra dégager ces critères, qui sont capitaux pour la gouvernance de la formation professionnelle. Le conseil a mis en place une « commission de l'évaluation », appuyée par un « comité scientifique », qui s'attache à déterminer un « chemin critique » vers une évaluation pertinente, tâche rendue difficile par le manque d'information statistique, particulièrement au niveau régional, les renseignements tirés de la « déclaration 24-83 » ne donnant pas lieu à une exploitation sectorielle ou géographique.

Un large débat s'est alors instauré.

M. Bernard Seillier, rapporteur, s'est interrogé sur l'importance des flux financiers sur la régulation de la formation professionnelle continue, marquée par la prégnance de l'offre, sur les difficultés que pouvait rencontrer le CNFPTLV en termes de concertation, sur la cause nationale que représentent les jeunes sans qualification et l'opportunité que pourrait constituer, à leur égard, la formation continue, ainsi que sur la coordination des différents acteurs.

En réponse, M. Dominique Balmary a d'abord convenu du caractère déterminant de l'offre dans la formation du système. Pour autant, il ne lui semble pas que la thèse du « pilotage par les flux financiers » soit totalement étayée, le véritable problème étant celui que pose l'absence de « priorisation » des contributions financières résultant de l'obligation légale. Concernant la concertation, les débats au CNFPTLV ont aujourd'hui pour principal mérite d'établir un « langage commun », en particulier au travers de groupes de réflexion, et il semble que le conseil parvienne ainsi à trouver un certain équilibre entre ses différentes composantes. A l'égard des jeunes, le problème résulte du fait que le régime financier de la formation professionnelle n'est pas suffisamment « priorisé », et cette difficulté devrait incliner à en tirer les conséquences sur les modalités de l'obligation de financement. En effet, les entreprises sont aujourd'hui astreintes à une obligation générale d'entretien des qualifications du personnel, qui permettrait d'assigner à l'obligation légale des objectifs plus ciblés. Enfin, l'objectif d'une bonne articulation entre les politiques de branche et de région constitue une priorité absolue et, à cet égard, le rôle du CNFPTLV consiste précisément à permettre une application harmonieuse des deux grandes lois de 2004.

Mme Françoise Amat a précisé que l'articulation des politiques de branche et des politiques régionales, avec la mise en oeuvre de « contrats d'objectifs territoriaux », constitue la première thématique de travail du conseil. Par ailleurs, les lois de 2004 dénotent la volonté de privilégier un pilotage par la demande au travers, d'une part, d'une fréquence accrue des négociations de branche, ramenée de cinq ans à trois ans, ce qui s'est traduit par la signature de 450 accords, et d'autre part, par la mise en place, au niveau régional, d'un plan régional de développement des formations professionnelles (PRDF). Pour la définition des besoins à plus long terme, les branches professionnelles ont leurs propres observatoires, de même que les régions : les observatoires régionaux emploi formation (Oref) existent depuis 1989.

Mme Muguette Dini, rapporteur adjoint, s'est interrogée sur la capacité du CNFPTLV à dégager les objectifs de la formation professionnelle, sur la réaction du conseil aux récentes observations de la Cour des comptes sur le financement des OPCA (organismes paritaires collecteurs agréés) et sur l'opportunité d'encadrer de façon plus précise les versements au fonds national de gestion paritaire de la formation professionnelle continue (Fongefor). En réponse, M. Dominique Balmary a indiqué que l'importance des fonds reçus par le Fongefor renvoie à la question générale du financement des syndicats, que si le rôle consultatif du conseil le rendait plus libre pour déterminer les objectifs de la formation professionnelle, les pouvoirs publics n'en seraient pas moins appelés à prendre leurs responsabilités, cette configuration renforçant l'intérêt d'éventuels « Etats généraux de la formation professionnelle », et que, depuis environ quinze ans, des progrès certains ont été accomplis au niveau des OPCA, ces derniers étant parvenus à un certain degré de concentration, certes encore insuffisant.

M. Paul Girod a voulu savoir ce que recouvre, parmi les critères d'évaluation de la formation professionnelle, l'« efficacité économique » et il a remarqué que si un « vocabulaire commun » se dégage au CNFPTLV, il n'en va peut-être pas de même dans les instances de décision. M. Dominique Balmary a précisé que le critère d'efficacité économique correspond à une approche micro-économique, au terme de laquelle l'utilité de la formation professionnelle des salariés se mesure à leurs seuls gains de rémunération, et celle des chômeurs à la reprise d'un emploi, ce qui pose accessoirement le problème du délai à l'issue duquel doit être observée la situation des chômeurs concernés. Par ailleurs, il a souligné qu'une réunion du conseil sur deux se conduisait en région, en présence d'acteurs régionaux.

M. Serge Dassault, après s'être interrogé sur les réalisations concrètes du président du CNFPTLV, s'est intéressé au devenir des 180 000 jeunes qui sortent chaque année du système scolaire et de formation sans qualification et sans métier. Mme Gisèle Printz a estimé, pour sa part, que la formation professionnelle ne s'adresse pas suffisamment aux chômeurs et remarqué que, par conséquent, les effectifs les plus nombreux de personnes à former relèvent de l'ANPE.

En réponse, M. Dominique Balmary a explicité son rôle de coordinateur et souligné que le CNPTLV avait d'ores et déjà clarifié les conditions de financement de l'apprentissage. Concernant les chômeurs, si la formation n'est pas la « panacée », la mise en place d'un référent unique à l'ANPE offre des perspectives prometteuses et, de fait, le taux de placement après certains stages organisés par l'association nationale pour la formation professionnelle des adultes (Afpa) peut atteindre 80 %. Puis Mme Françoise Amat a insisté sur le rôle du CNPTLV en matière de concertation sur l'apprentissage, dont les règles se trouvent très éclatées.

Enfin, M. Dominique Balmary a précisé à M. Jacques Legendre, qui s'interrogeait sur le nombre exact de jeunes sortant du système scolaire et universitaire sans diplôme, qu'ils étaient au nombre de 60 000 au niveau VI, le plus bas degré de qualification, qu'on dénombrait 80 000 jeunes sortant du système scolaire sans diplôme avant le Bac, et que 85 000 étudiants ne parvenaient pas à mener à bien un premier cycle universitaire, puis indiqué à M. Bernard Seillier, qui avait évoqué les chiffres du rapport du conseil de l'emploi, des revenus et de la cohésion sociale (Cerc), que les évaluations en circulation correspondaient à des catégories non stabilisées.

Audition de M. André Gauron, conseiller-maître à la Cour des comptes

Puis la mission d'information a procédé à l'audition de M. André Gauron, conseiller-maître à la Cour des comptes.

Dans le souci d'apporter à la mission d'information des indications utiles à l'élaboration d'un état des lieux de la formation professionnelle, M. André Gauron a centré son propos liminaire sur quatre observations.

Afin, tout d'abord, de répondre à la question « Où va l'argent ? » de la formation professionnelle continue, il a rappelé que les dernières statistiques publiées en janvier 2007 sous l'égide du ministère en charge de l'emploi chiffraient à 24 milliards d'euros le total des dépenses de la nation en faveur de l'apprentissage et de la formation continue. Il a indiqué que 80 % de ce montant global finançaient la formation des deux catégories de population en situation de travail que constituent, d'une part les salariés du secteur privé ou public et, d'autre part, les jeunes en contrat d'apprentissage ou de professionnalisation, 20 % de la dépense étant affectés à un second pôle de personnes au chômage ou en phase d'insertion.

Progressant dans la répartition, il a précisé que les employeurs publics et privés finançaient 60 % de la formation de leurs salariés et 20 % de celle des jeunes sous contrat. Il a également noté que la dépense globale de 24 milliards d'euros correspondait à l'addition de 9 milliards de financements consentis par l'Etat et les collectivités territoriales et de 15 milliards qui se rattachent à l'obligation légale de contribution des entreprises à la formation professionnelle. Il a fait observer que, sa compétence consistant à réformer éventuellement le taux de cette obligation légale, l'Etat n'avait pas la maîtrise de l'utilisation de ces 15 milliards de dépenses.

Il a rappelé qu'au-delà d'un effectif de vingt salariés, la quasi-totalité des entreprises consentaient à un effort financier supérieur à leur obligation légale et que celui des grandes entreprises avoisinait même 4 % de leur masse salariale. Il a attribué la légère baisse de ce pourcentage depuis 1999 à une volonté de rationalisation des dépenses, et son maintien à un niveau élevé à la prise en compte par des entreprises de l'importance de la formation, ce qui incite désormais à considérer comme inopportune la remise en cause de l'obligation légale.

En second lieu, pour cerner « Qui sont les bénéficiaires », il a souligné qu'à travers les enquêtes se dégageait un constat récurrent et majeur : la formation va aux mieux formés. Il a expliqué cette situation par les difficultés pédagogiques que suscitent certains publics, en évoquant, par exemple, le cas de certains salariés ayant une grande ancienneté et n'ayant suivi aucun stage depuis leur formation initiale à un niveau brevet d'études du premier cycle (BEPC) et a ajouté que les phénomènes étaient comparables dans les secteurs public et privé. Il a souligné qu'en conséquence la formation continue prolongeait et amplifiait les inégalités de la formation initiale et que le « noyau dur » des populations de chômeurs ou ayant des difficultés de réinsertion cumulait les handicaps de formation. M. André Gauron a ainsi constaté que l'affirmation d'une priorité à accorder aux moins bien formés ne s'était jamais réellement traduite dans les faits.

S'agissant, en troisième lieu, de l'articulation entre formation continue et initiale, il a attiré l'attention de la mission sur un point « crucial » : la mission traditionnellement assignée à la formation professionnelle est d'adapter les compétences aux besoins des employeurs et non pas de suppléer aux insuffisances de la formation initiale, et ce principe est à la base de la logique de construction de l'appareil de formation continue. Par exception, il a noté que seules certaines entreprises s'interrogeaient sur la remise à niveau des salariés ne disposant pas du socle minimum des connaissances et oeuvraient dans ce sens.

Puis il s'est appuyé sur les statistiques de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) montrant que le taux d'emploi est directement lié au niveau de formation, ce taux étant de 89 % pour les hommes et de 78 % pour les femmes pour les diplômés de l'enseignement supérieur, respectivement de 83 % et de 66 % au niveau baccalauréat, et de 73 % et de 49 % en dessous du niveau baccalauréat.

Il a alors souligné que le problème de la maîtrise de la langue était essentiel et trop souvent sous-estimé, en rappelant qu'aujourd'hui la capacité de lecture est plus que jamais une clef de l'accès aux compétences. A ce titre, il a évoqué les difficultés particulières des garçons : 13 % d'entre eux manifestent de « faibles capacité de lecture » lors des journées d'appel de préparation à la défense nationale (JAPD) contre 7,7 % des jeunes filles. Il a observé que les cursus scolaires confirmaient ce phénomène en rappelant qu'un garçon sur deux, soit 53 %, était orienté vers l'enseignement professionnel, contre 37 % des filles. Il a également constaté le décalage entre l'objectif d'amener « 80 % d'une génération au baccalauréat » et les réalités statistiques : 41 % de filles et 28 % de garçons accèdent au baccalauréat dans les filières générales : par conséquent les problèmes d'insertion ont tendance à se concentrer sur une population masculine.

Mme Gisèle Printz s'est demandé pour quelles raisons, dans ces conditions, les emplois de direction étaient majoritairement occupés par des hommes, Mme Annie David s'associant à cette interrogation.

M. André Gauron a répondu en rappelant notamment que les garçons choisissaient plus volontiers les filières scientifiques qui bénéficient, en France, de débouchés plus prestigieux.

En quatrième lieu, il s'est attaché à démontrer que la validation des acquis de l'expérience (VAE) ne pouvait ni suppléer totalement ni se substituer au déficit de la formation initiale. Dans un monde où l'évolution des techniques s'accélère - a-t-il précisé - il ne suffit pas de valider les compétences acquises et, de façon générale, les entreprises recherchent des compétences nouvelles, également nécessaires en cas de reconversion.

Puis M. André Gauron a soumis à la mission d'information trois sujets de débat.

Tout d'abord, il s'est félicité de ce que l'importance de la formation professionnelle soit désormais pleinement reconnue par les entreprises. Il a toutefois signalé que, depuis vingt ans, perdurait une certaine tension entre, d'un côté les branches professionnelles et les organismes collecteurs qui leur sont associés et, de l'autre, les chambres consulaires, qui administrent notamment l'apprentissage. Rappelant l'importance des masses financières allouées à la formation professionnelle continue, il a constaté que les tentatives de nature à modifier le périmètre de ces deux grands ensembles avaient suscité des « levées de bouclier » dissuasives. Par analogie avec cette situation, il a évoqué les difficultés de certaines structures de l'éducation nationale confrontées à une surabondance de l'offre et qui s'efforcent, en conséquence, de maintenir un flux d'élèves ou d'étudiants suffisant. Il a également indiqué que certaines entreprises souhaiteraient pouvoir financer directement la mise en place de filières d'apprentissage spécifiques, par ailleurs délaissées.

En second lieu, il a indiqué que la politique d'exonération de charges sociales soulevait, de manière sous-jacente, la question du choix entre une première option, qui consiste à financer des emplois non qualifiés à hauteur de 20 milliards d'euros et une seconde orientation, qui consisterait à accompagner la mutation des entreprises vers des emplois qualifiés. Il a illustré son propos en prenant l'exemple de l'industrie textile qui, après avoir sollicité des pouvoirs publics, pendant de nombreuses années, l'accroissement des exonérations de charges pour résister aux délocalisations, avait pris conscience qu'à l'image de l'industrie allemande, la formation des salariés aux nouvelles compétences nécessaires à la confection de « textiles techniques », aux débouchés assurés, constituait une solution alternative plus satisfaisante.

Il a enfin évoqué le paradoxe français de la formation professionnelle, celle-ci étant considérée au niveau secondaire comme la filière des « exclus » des sections générales, tandis qu'au-dessus du niveau baccalauréat la formation technologique bénéficie d'une réputation prestigieuse. Il a d'ailleurs observé que les instituts universitaires de technologie (IUT) recrutaient deux tiers de bacheliers généraux sur la base d'une sélection des étudiants.

A l'invitation de M. Jean-Claude Carle, président, M. Bernard Seillier, rapporteur, a tout d'abord évoqué la ligne de partage entre formation initiale et continue, qui fait apparaître un interstice à combler pour venir en aide aux jeunes non diplômés ou sans qualification. Il s'est également interrogé sur la possibilité de parvenir à une prévision des besoins en emplois suffisamment précise pour guider l'adaptation de l'appareil de formation initiale. Le rapporteur s'est enfin demandé dans quelle mesure la formation continue ne comportait pas, comme l'enseignement universitaire supérieur, une proportion trop élevée de stages dont les contenus, fondés sur les disciplines « psycho-sociales », ne correspondent pas à un besoin immédiatement perceptible.

M. André Gauron a rappelé que la formation initiale technique se répartissait entre apprentissage et formation sous statut scolaire et a expliqué les meilleurs résultats de l'apprentissage par les vertus de la « pédagogie active » qui s'y développe et correspond aux besoins d'un certain nombre de jeunes ayant un « rapport au savoir » plus concret. Il a cependant observé que l'offre d'apprentissage était limitée par le nombre d'entreprises qui s'y consacrent, avant de constater que la fonction d'apprentissage de l'entreprise était moins développée en France qu'en Allemagne, où le cursus du jeune incorporait un apport culturel et linguistique. Il a jugé souhaitable d'accroître les incitations financières pour favoriser l'extension de cette forme de pédagogie à l'industrie et au secteur tertiaire, alors qu'elle se cantonne principalement à l'artisanat et aux « métiers de bouche ». Il a cependant évoqué les réticences compréhensibles du corps enseignant à une telle idée, tout en faisant observer qu'il n'y a « pas tellement d'autres choix » pour les jeunes en difficulté scolaire.

Puis il a dénoncé l'excessive spécialisation des diplômes sanctionnant les formations professionnelles, qui risquent « d'enfermer » leurs titulaires dans des compétences trop étroites et de diminuer leurs chances de trouver un emploi. M. André Gauron a analysé les difficultés d'une réforme dans ce domaine en évoquant « l'écartèlement des partenaires sociaux » qui sont amenés, dans les instances nationales ou confédérales, à reconnaître le bien-fondé de formations ayant un champ suffisamment large puis, au niveau des commissions paritaires qui gèrent les diplômes, à militer pour la préservation des découpages existants. Rappelant que cette segmentation extrême et inadaptée à l'emploi constitue une singularité française, il a ensuite montré que la spécialisation des diplômes et la multiplication des filières avaient pour effet de renchérir le coût des formations dans les lycées professionnels ou les classes préparant aux brevets de technicien supérieur (BTS).

En réponse à une interrogation de M. Bernard Seillier, rapporteur, sur les mesures à prendre pour organiser une filière dans le secteur des services à la personne, M. André Gauron a estimé souhaitable, au vu des difficultés analysées notamment par divers rapports d'inspection de l'éducation nationale, de supprimer la filière du brevet d'enseignement professionnel (BEP) de secrétariat, qui constitue une « impasse » pour les jeunes élèves, les embauches ne s'effectuant qu'au niveau du baccalauréat ou du BTS, et de les réorienter vers des formations débouchant sur des emplois sociaux. Il a ensuite évoqué la nécessité d'impliquer plus efficacement le ministère des affaires sociales pour parvenir à articuler les filières professionnelles de l'éducation nationale avec les diplômes délivrés sous son égide.

M. Jean-Claude Carle, président, a observé que l'intégration des formations sanitaires et sociales dans le plan régional de développement de la formation (PRDF) était de nature à faire évoluer cette situation.

M. André Gauron a approuvé ce propos, en soulignant le rôle essentiel des collectivités territoriales en matière de carte professionnelle.

S'agissant des formations « psycho-sociales », il a rappelé que la logique de la sélection en formation initiale conduisait les effectifs de lycéens qui n'ont pas accès aux filières sélectives de l'enseignement supérieur à s'inscrire à l'université, ceux qui n'ont pas les connaissances requises pour suivre une filière scientifique n'ayant alors guère d'autre choix que de s'inscrire dans les filières de psychologie et de sciences humaines. Il a estimé que le débat sur l'orientation constituait, à bien des égards, une « fausse piste », en insistant sur le fait que, faute notamment de maîtrise suffisante de la langue, un certain nombre de titulaires de baccalauréats technologiques se dirigeaient vers l'enseignement supérieur sans avoir le niveau de connaissances ou la capacité de rédaction suffisante pour y réussir.

Compte tenu de l'intérêt du débat suscité par les propos de l'intervenant et des contraintes de temps, M. Jean-Claude Carle, président, a souhaité qu'il puisse répondre à une nouvelle invitation pour prolonger le dialogue.

Mme Annie David a estimé nécessaire de clarifier les objectifs et la nature de la formation professionnelle afin de pouvoir juger de la pertinence de l'allocation des financements. Evoquant ensuite le cas des salariés peu diplômés, elle s'est demandé si certaines entreprises ne cherchaient pas avant tout à s'acquitter de leurs obligations sans veiller à proposer des formations suffisamment gratifiantes à leurs salariés. Elle a souligné les mérites de la validation des acquis professionnels pour permettre aux salariés de matérialiser leurs compétences. Puis, tout en admettant les insuffisances de la filière conduisant au BEP de secrétariat, elle s'est interrogée sur la réorientation de ses effectifs.

M. Jean-Claude Carle, président, a indiqué qu'on pouvait s'interroger sur la pertinence du BEP et, en particulier, sur sa vocation professionnalisante.

M. Jacques Legendre a marqué son intérêt à l'égard des observations de l'intervenant sur les difficultés de maîtrise de la langue, en particulier pour les garçons. Il s'est demandé si ce phénomène ne portait pas la trace des difficultés spécifiques des garçons des minorités visibles ou des banlieues. Il a ensuite souhaité savoir si on ne constatait pas, sur la période la plus récente, une détérioration de la relation entre le niveau de formation et l'accès à l'emploi. S'agissant de l'alternance sous statut scolaire et de l'apprentissage, il s'est demandé si les progrès dans ce secteur ne nécessitaient pas une coordination ministérielle renforcée ou la désignation d'un ministre délégué directement rattaché au Premier ministre. Il a également noté que « tout système de formation a tendance à agir en fonction de ses formateurs », alors qu'il devrait être centré sur les besoins des élèves ou des stagiaires. Il s'est enfin interrogé sur les instruments de mesure qui pourraient être utilisés ou inventés pour démontrer qu'un certain nombre de publics sont dirigés vers des voies de formation vouées à l'absence de débouchés.

M. André Gauron a tout d'abord indiqué que désormais un diplôme de niveau élevé n'était plus une garantie absolue d'accès à l'emploi, mais que la relation entre la possession d'un diplôme d'enseignement supérieur et les chances d'insertion demeurait solide. Puis il a estimé nécessaire de dépasser les clivages ministériels pour faire progresser la politique de formation professionnelle. Il a également jugé souhaitable l'élaboration d'une carte scolaire professionnelle et la réduction simultanée du nombre excessif de diplômes. Il a enfin souligné l'intérêt qui s'attache à aménager un statut permettant d'accroître le nombre de formateurs issus du monde de l'entreprise et invité à s'inspirer de l'enseignement agricole, qui se caractérise par un degré d'adaptabilité et de mobilité exemplaire.

Audition de Marc Ferracci, chercheur au centre de recherche en économie et en statistiques - Institut national de la statistique et des études économiques (Crest-Insee)

La mission a procédé en dernier lieu à l'audition de M. Marc Ferracci, chercheur au centre de recherche en économie et en statistiques - Institut national de la statistique et des études économiques (Crest-Insee).

M. Marc Ferracci a indiqué qu'il était l'auteur d'une thèse de doctorat sur l'évaluation du dispositif de la formation professionnelle des chômeurs en France, réalisée dans le cadre d'une convention d'insertion des doctorants dans le monde professionnel co-financée par l'Université Paris-I et l'Union nationale pour l'emploi dans l'industrie et le commerce (Unedic), avec la collaboration de MM. Bruno Crépon et Denis Fougère.

M. Marc Ferracci a, ensuite, précisé la démarche adoptée pour son étude.

En premier lieu, il s'est interrogé sur ce que l'on pouvait attendre de la formation. En recensant les différentes évaluations des dispositifs, il a constaté qu'il existait en France des travaux sur la formation des jeunes chômeurs, mais presque rien sur celle des adultes, alors qu'en Allemagne, aux Etats-Unis ou dans les pays scandinaves, ces études sont nombreuses. Deux questions principales se posent en effet : quels sont les effets de la formation sur le rythme de retour à l'emploi, d'une part, sur la stabilité de l'emploi retrouvé, d'autre part ?

M. Marc Ferracci a indiqué qu'en moyenne, la formation ne semblait pas avoir un impact sur le rythme de retour à l'emploi, tout en nuançant son propos par deux considérations : d'une part, il est difficile d'isoler ce qui est lié à la formation et ce qui relève de la qualité intrinsèque des individus en formation ; d'autre part, « un phénomène d'enfermement » touche les chômeurs en formation, qui ont moins de temps disponible que les autres pour chercher un emploi, ou attendent l'achèvement de leur formation pour lancer leur recherche. En revanche, il a été possible de démontrer, en moyenne, l'effet positif de la formation sur la stabilité de l'emploi retrouvé, compte tenu notamment de l'augmentation de la productivité des personnes concernées.

En deuxième lieu, M. Marc Ferracci a enquêté sur le système de formation des chômeurs et son fonctionnement. Il a insisté sur le caractère éminemment complexe de ce système organisé autour de trois acteurs (Etat, régions, partenaires sociaux), dont les actions peuvent se superposer. D'où la difficulté pour les chômeurs d'accéder à la formation à travers diverses étapes à franchir : la prescription de formation (ANPE), le bilan de compétences, la recherche d'un prestataire de formation parmi une offre pléthorique et enfin, celle d'un financement.

Il a estimé que le système français était à deux vitesses, les chômeurs éligibles aux formations de l'association pour l'emploi dans l'industrie et le commerce (Assedic), largement indemnisés et dont les frais peuvent être pris en charge dans le cadre des conventions du plan d'aide au retour à l'emploi (Pare), étant dans une situation nettement plus confortable que les autres, généralement désorientés devant la complexité du système. Cette complexité est un facteur de sélectivité, puisque les formations sont proposées en principe aux plus vulnérables, alors que ceux qui y accèdent sont déjà les mieux formés.

En troisième lieu, M. Marc Ferracci a étudié l'impact de la formation. La formation a plutôt tendance, a-t-il précisé, à rallonger la durée de l'épisode de chômage (de cent jours environ) en raison de « l'effet d'enfermement » et d'une incidence brièvement négative, selon les statistiques, de la formation sur le retour à l'emploi immédiatement à l'issue de celle-ci. Mais les formations ont également tendance à allonger la durée de l'emploi retrouvé (d'environ 330 jours en moyenne). En conclusion, la formation n'est pas une « potion magique » pour l'emploi, mais à long terme, elle est un investissement intéressant, même s'il faudrait en chiffrer le bilan coûts/avantages (dépenses de formation/recettes de cotisations sociales supplémentaires encaissées du fait du retour à l'emploi).

En quatrième lieu, M. Marc Ferracci a travaillé sur l'effet de l'augmentation des programmes de formation au plan macro-économique. A l'échelle du bassin d'emplois, a-t-il noté à ce sujet, l'existence d'un service public de l'emploi a tendance à réduire pour l'entreprise la durée et le coût de la recherche de salariés, d'où l'enclenchement d'un cycle « vertueux » favorable à la création d'emploi.

M. Marc Ferracci a conclu en indiquant que la formation professionnelle pouvait ainsi avoir des effets positifs au-delà de la population des chômeurs, à condition de mieux évaluer le système, de développer l'analyse coûts/bénéfices, et d'arriver à stratifier les résultats par type de prestataires.

M. Bernard Seillier l'a ensuite interrogé sur le rôle croissant des formations Unedic, les dispositifs spécifiques (AREF, AFR et Pare), ainsi que sur l'opportunité d'une réforme des rémunérations des stagiaires.

Mme Sylvie Desmarescaux l'a questionné sur l'intérêt du « guichet unique » pour les chômeurs et sur les propositions contenues dans les rapports récents concernant la formation professionnelle.

Mme Gisèle Printz a posé la question de l'efficacité de l'offre de la formation professionnelle et celle de l'infiltration de l'offre de formation professionnelle par des sectes.

En réponse, M. Marc Ferracci a indiqué qu'il serait souhaitable d'évaluer les dispositifs Unedic conventionnés et les dispositifs homologués, et a estimé qu'une certaine rupture s'était produite en 2001 avec l'instauration de l'AREF, puis avec la suppression de la dégressivité des allocations dans le Pare. Il a aussi jugé souhaitable d'envisager un nivellement « par le haut » des rémunérations des stagiaires, car actuellement le dispositif est trop complexe.

M. Marc Ferracci a aussi indiqué qu'il était favorable aux maisons de l'emploi et de la formation, tout en insistant sur l'importance d'inciter les chômeurs à faire un réel effort de recherche d'emploi. Sur le « guichet unique », M. Jean-Claude Carle, président, ayant souligné qu'il ne fallait pas perdre de vue le rôle crucial de la proximité, M. Marc Ferracci a estimé que l'accompagnement des chômeurs était insuffisant (en général, une entrevue de quarante-cinq minutes tous les six mois).

Il a également noté l'existence d'une sorte de « malfaçon » dans le système de formation des salariés, dans la mesure où la formule consistant à « former ou payer » est inéquitable pour les moins qualifiés, et pour les petites entreprises qui supportent une part du coût du système, alors qu'elles n'ont pas forcément besoin de former leurs salariés.

Il a défendu, en conclusion, l'idée d'un service public de l'emploi placé sous la responsabilité de la puissance publique, dans la perspective de traiter globalement les effets collatéraux du chômage sur la société, citant notamment la violence et la délinquance.

M. Marc Ferracci a enfin regretté que le système de formation soit sous l'influence d'une offre pléthorique, les prestataires ayant tendance à placer les prescripteurs devant le fait accompli, et a relevé la nécessité de renforcer la notation ou la certification. Il a aussi considéré que la présence des sectes dans le système de formation n'était pas un phénomène significatif par rapport à l'ensemble des problèmes.