MISSION COMMUNE D'INFORMATION SUR LA NOTION DE CENTRE DE DÉCISION ÉCONOMIQUE ET L'ATTRACTIVITÉ DU TERRITOIRE NATIONAL

Jeudi 8 février 2007

- Présidence de M. Philippe Marini, président.

Audition de M. Patrick Sayer, président de l'association française des investisseurs en capital (AFIC)

La mission commune d'information a procédé à l'audition de M. Patrick Sayer, président de l'association française des investisseurs en capital (AFIC).

M. Philippe Marini, président, a tout d'abord remercié M. Patrick Sayer pour avoir accepté l'invitation de la mission d'information, dont il a rappelé qu'elle avait été chargée par le Sénat de définir la notion de centre de décision économique et de déterminer les conditions d'attractivité de notre pays pour leur accueil et leur développement.

Puis M. Philippe Marini, président, a interrogé l'intervenant sur la pertinence du concept de nationalité d'entreprise au moment où le capital des sociétés cotées dépendait de plus en plus d'actionnaires étrangers. Il a également souhaité que M. Patrick Sayer précise le contenu qu'il donnait à la notion de centre de décision économique, soulignant l'intérêt que présentait, pour la mission commune d'information, le regard d'un représentant de fonds d'investissements sur des problématiques telles que la localisation territoriale et les caractéristiques culturelles des entreprises. Enfin, il a voulu savoir en quoi pourrait consister une action efficace de l'Etat afin de conserver ou d'attirer des centres de décision économique et, de façon générale, quels étaient les atouts et les handicaps de la France à cet égard.

M. Patrick Sayer a tout d'abord précisé que l'AFIC, qui comptait 235 membres actifs, représentaient les fonds et les sociétés d'investissements faisant profession d'investir au capital des sociétés, essentiellement non cotées, selon trois modes principaux :

- le « capital risque », pour les jeunes entreprises à la dimension technologique affirmée ;

- le « capital développement », pour accompagner, de façon généralement minoritaire, des sociétés plus matures ;

- le « capital transmission », également connu sous le nom anglo-saxon de « leverage buy-out » (LBO), les fonds acquérant alors souvent la majorité du capital dans entreprises dans lesquelles ils investissent.

Il a, à cet égard, tenu à distinguer l'activité des membres de l'AFIC de celle des fonds de pension et plus encore de celle des fonds de gestion alternative, ou « hedge funds », essentiellement axés sur les marchés des matières premières ou les marchés organisés.

M. Patrick Sayer a ensuite évoqué le poids économique et social du capital investissement en France, s'appuyant sur les chiffres d'une étude réalisée, en 2005, par un grand cabinet anglo-saxon. Il a ainsi révélé que près de 1,5 million de salariés, soit environ 10 % de l'ensemble des employés du secteur privé, travaillaient pour une entreprise française détenue, au moins en partie, par une société de capital investissement, ce chiffre affichant une augmentation de 4 % en un an, à périmètre constant. Il a également déclaré que le chiffre d'affaires cumulé de ces entreprises s'élevait à 327 milliards d'euros, en hausse de 8 % par rapport à l'année précédente, là aussi à périmètre constant, ces données indiquant, selon lui, le dynamisme des sociétés financées par le capital investissement.

Au sujet de l'activité propre de ce secteur économique, M. Patrick Sayer a précisé que les opérations de capital investissement avaient concerné 1.250 entreprises en France en 2005, pour une somme totale de 8 milliards d'euros, à comparer avec les quelque 12 milliards d'euros collectés par les fonds cette même année. Il a ajouté que lesdites opérations s'étaient réparties de manière à peu près équitable entre les trois branches précitées.

Puis il a conclu son propos liminaire en indiquant :

- d'une part, que le secteur du capital investissement était globalement attaché à faire participer les dirigeants, mais aussi les cadres, voire même une fraction plus large des salariés des entreprises financées par lui au capital de leur entreprise ;

- d'autre part, que certaines études tendaient à montrer que la rémunération des salariés croissait plus vite dans ces mêmes entreprises que dans les autres.

M. Patrick Sayer a ensuite abordé les questions soulevées par M. Philippe Marini, président.

En premier lieu, il s'est déclaré convaincu que le concept de nationalité d'entreprise était pertinent. A cet égard, il a relevé que le capital investissement fonctionnait avec forte dimension locale, expliquant que le binôme constitué de l'actionnaire professionnel et du chef d'entreprise devait, pour être harmonieux, être culturellement proche. Il a, dès lors, qualifié la proximité du centre de décision économique, qu'il a assimilé à la localisation de l'équipe de direction des entreprises, de « sujet clé » pour son secteur d'activité. Il a, en revanche, reconnu que la localisation des autres salariés paraissait moins importante du point de vue de l'investisseur en capital, indiquant toutefois que, grâce à la réactivité précoce due à la précision des plans à 4 ou 5 ans accompagnant ce type d'investissements, les entreprises ainsi financées délocalisaient leurs activités probablement moins que les autres. Au sujet de la recherche et du développement (R&D), il a jugé qu'il s'agissait d'une activité clé pour la branche « capital risque », estimant nécessaire, afin de conserver des « clusters » de R&D en France, de diriger l'argent des pôles de compétitivité vers les petites et moyennes entreprises (PME) plutôt que vers les grands groupes.

M. Patrick Sayer a ensuite expliqué que les fonds d'investissements étaient « une chance » pour le maintien des centres de décision économique sur le territoire national, aussi bien pour certaines entreprises familiales n'ayant pas atteint une taille critique que pour les branches périphériques cédées par des grands groupes « congloméraux » souhaitant se recentrer sur leur « coeur de métier ». Il a fait valoir qu'alors que la bourse risquait, en pratique, de faire passer ces entités sous pavillon étranger, notamment du fait de la faiblesse française en termes de fonds de pension ou d'assurance-vie investie en actions, le capital investissement pouvait leur permettre de devenir des pôles de consolidation, et non des éléments de la consolidation de groupes étrangers. Il a, de plus, insisté sur le fait que les équipes locales des sociétés de gestion de capital investissement devaient être les pilotes de telles opérations de financement car, par construction, elles aideraient à maintenir sur place la localisation du centre de décision économique.

Abordant enfin la question de l'action possible de l'Etat, M. Patrick Sayer a constaté que, selon le consensus se dégageant du dernier Forum économique mondial de Davos, plus de 40 % des opérations de fusions et d'acquisitions des 10 prochaines années devraient impliquer des opérateurs dits financiers, contre 3 % il y a 10 à 20 ans, et qu'il convenait de bien intégrer cette évolution majeure dans la réflexion politique. Il a donc souhaité que les pouvoirs publics favorisent le développement du capital investissement en France et permettent à ces structures d'acquérir une dimension européenne, pouvant leur permettre d'avoir une taille en rapport avec celle des fonds américains. Il s'est, de plus, déclaré confiant que, même européens, les fonds d'origine française conserveraient un « tropisme » national.

Puis M. Christian Gaudin, rapporteur, s'est demandé si les fonds d'investissements n'étaient pas, du fait de leur fonctionnement consistant à acheter puis à revendre des entreprises quelques années plus tard, des agents objectifs de transfert des centres de décision économique. Il a, en outre, constaté que le changement d'échelle, ces dernières années, de plusieurs fonds anglo-saxons, leur permettait d'envisager l'acquisition, le cas échéant de façon hostile, de grandes entreprises cotées, ce qui renforçait sa remarque précédente. Il a alors interrogé l'intervenant quant à son analyse sur cette évolution de sa profession. Enfin, il a souhaité savoir comment M. Patrick Sayer jugeait le développement respectif des différentes branches du capital investissement et s'il n'estimait pas, en particulier, que le secteur du LBO occupait une part excessive par rapport à l'amorçage ou au capital développement, lui demandant de plus, s'il partageait cette analyse, comment un rééquilibrage pourrait s'opérer.

M. Patrick Sayer, répondant tout d'abord à la question relative à la taille des fonds, a convenu que les montants collectés par certains acteurs, surtout américains, étaient impressionnants, avoisinant parfois 15 milliards de dollars. Il a cependant souligné que la règle de la nécessaire harmonie du couple « actionnaire-dirigeant » qu'il avait précédemment décrite conduisait les fonds à privilégier des opérations de type amical. En outre, constatant qu'à ce jour, aucune société cotée figurant dans le calcul de l'indice CAC 40 n'avait été achetée par des fonds étrangers, alors même que des groupes comme Pechiney ou Arcelor avaient été acquis par des industriels étrangers, il a tenu à relativiser une telle menace.

M. Philippe Marini, président, a voulu savoir s'il ne convenait pas, dans un tel schéma, de distinguer les positions des fonds à vocation majoritaire de celles des fonds à vocation minoritaire, dont il a estimé qu'ils pouvaient être plus sensibles à l'évolution à court terme du cours des actions, de manière à restituer à brève échéance de la performance à leurs souscripteurs.

En réponse, M. Patrick Sayer a fait valoir qu'il fallait surtout distinguer les fonds de capital investissement, dont les prises de participations sont construites dans une perspective de moyen terme, des autres fonds, en particulier des « hedge funds », rémunérés sur une base mensuelle. Il a, d'autre part, souligné que, même après leur cession par un fonds de capital investissement, d'ailleurs assez fréquemment à un autre acteur du même type, la plupart des sociétés conservaient leur équipe de direction. Il en a conclu que, si les fonds de capital investissement pouvaient être considérés comme « des agents de respiration capitalistique », ils ne devaient pas être vus comme des vecteurs de transferts de centres de décision économique.

Répondant ensuite à la question du rapporteur sur le développement des différentes branches du capital investissement, il a indiqué que :

- le capital développement, qui visait essentiellement à accompagner, de façon presque toujours minoritaire, des PME sur la voie de la croissance et n'entraînait donc pas de changement de localisation des centres de décision économique, souffrait de la réticence de nombreux dirigeants de PME à ouvrir significativement le capital de leur entreprise. Il a expliqué que la modicité des « tickets » moyens qui en résultait amoindrissait l'efficacité du capital investissement ;

- le capital risque pâtissait de la relative modestie du marché Alternext, qui aurait vocation à constituer une « porte de sortie » naturelle pour ce type d'investissements, ainsi que de la difficulté « trouver du chiffre d'affaires » en Europe pour des jeunes entreprises technologiques, relevant qu'une telle conjonction aboutissait parfois à des cessions à des acteurs industriels étrangers ;

- le capital transmission, ou LBO, représentait, en valeur, un peu plus des trois quarts des transactions du secteur en France, mais, hormis une poignée de grosses opérations, concernait avant tout des PME. Il a donc plaidé pour que cette branche, qui ne réclamait pas d'avantage particulier, ne soit pas « combattue » d'un point du vue politique, jugeant, en outre, qu'un rééquilibrage entre les différentes branches du capital investissement devait se faire « par le haut » et non « par le bas ».

Enfin, interrogé par M. Philippe Marini, président, sur la mise en place de France Investissement, M. Patrick Sayer a répondu que ce processus n'en était encore qu'à ses débuts, mais que le dialogue avançait entre la Caisse des dépôts et consignations, les banques, les assureurs et les spécialistes afin de lancer des fonds de fonds destinés à soutenir prioritairement les activités d'amorçage, de capital risque et de capital développement.