MISSION COMMUNE D'INFORMATION SUR LA NOTION DE CENTRE DE DÉCISION ÉCONOMIQUE ET L'ATTRACTIVITÉ DU TERRITOIRE NATIONAL

Mercredi 17 janvier 2007

- Présidence de M. Philippe Marini, président.

Audition de M. Louis Gallois, président du comité exécutif d'EADS

La mission commune d'information a procédé à l'audition de M. Louis Gallois, président du comité exécutif d'EADS.

En préambule à cette audition, M. Philippe Marini, président, a souligné la richesse du parcours professionnel de M. Louis Gallois. Il a également relevé le caractère original de l'organisation d'EADS, groupe « plurinational », et l'intérêt que présentait cette situation en vue d'alimenter la réflexion de la mission commune. Pour amorcer le débat, il a questionné M. Louis Gallois sur la manière dont la notion de « centre de décision économique » était conçue au sein d'EADS.

M. Louis Gallois a indiqué que le sujet occupait une place centrale dans les réflexions des dirigeants d'EADS. Il a rappelé que le groupe, depuis sa création, en 2000, maintenait un équilibre exigeant entre les intérêts français et allemand, compte tenu, notamment, des enjeux de souveraineté s'attachant à ses activités. Il a fait observer que l'organisation spécifique qui en résultait, en particulier l'existence de deux présidents du comité exécutif et de deux présidents du directoire, constituait un facteur de complexité dans la vie de l'entreprise. Toutefois, il a estimé que les clivages nationaux au sein d'EADS, dans l'avenir, devraient s'estomper, rendant possible une simplification de la gouvernance du groupe.

Il a déclaré, néanmoins, ne pas croire à la possibilité d'une culture « hors sol » des entreprises mais, au contraire, à la nécessité, pour celles-ci, de conserver une identité propre. Il a cité en exemple la compagnie Boeing, dont la présence mondiale n'avait pas remis en cause la forte identité américaine. Il a fait valoir que l'identité d'EADS, à ses yeux, devait être, quant à elle, européenne. Rappelant que la stratégie d'EADS était de viser une présence et des marchés mondiaux, il a détaillé certains des moyens d'assurer cette identité européenne du groupe, qu'il s'agisse de règles relatives à la détention du capital (comme la limitation des actionnaires non européens), de règles d'organisation du management (telles qu'une condition de nationalité des dirigeants ou la fixation d'un quota de membres européens au sein du conseil d'administration) ou de localisation de centres de décision ou de centres technologiques.

Plus largement, il s'est interrogé sur les critères d'identification des centres de décision économique au sein d'un groupe industriel d'envergure mondiale. Il a retenu, comme les plus importants, la nationalité de l'entreprise, la composition du management, la répartition du capital, l'implantation des centres officiels de décision et, enfin, la localisation des capacités technologiques et de recherche.

M. Christian Gaudin, rapporteur, a souhaité savoir si l'internationalisation d'EADS pouvait conduire à la délocalisation de centres de décision économique du groupe. En réponse, M. Louis Gallois a d'abord rappelé la triple cause de l'internationalisation d'EADS : d'une part, la recherche de nouveaux marchés, notamment en Asie ; d'autre part, l'appel à des capacités extra-européennes de financement et d'ingénierie ; enfin, la réalisation d'une majeure partie de son chiffre d'affaires en dollars US. Dans ce dernier domaine, il a insisté sur l'importance du risque auquel EADS se trouvait exposé : il a indiqué qu'une baisse du cours du dollar de 10 centimes d'euros représentait une perte d'1 milliard d'euros pour le groupe.

M. Gérard Cornu, ayant évoqué l'activité d'EADS en Chine, s'est interrogé sur les moyens dont disposait le groupe afin d'éviter un transfert trop rapide de technologie au bénéfice de ses partenaires chinois. A cet égard, M. Louis Gallois a reconnu l'existence d'un risque objectif de transfert non souhaité. Cependant, il a souligné la nécessité, pour EADS, de s'engager sur le marché chinois, dont il a fait observer qu'il devrait constituer, à terme, environ 20 % du marché aéronautique mondial, et indiqué que les ressources européennes en ingénieurs s'avèrent insuffisantes pour répondre aux défis d'Airbus et que la Chine offre une forte capacité d'ingénierie. Rappelant, par ailleurs, la forte présence en Asie de la concurrence américaine d'EADS, il a présenté les modalités de mise en oeuvre destinées à limiter l'accès à certaines enceintes de production et à l'information technologique détenue par le groupe.

M. Aymeri de Montesquiou a demandé des précisions sur le risque monétaire, lié au dollar US, auquel EADS se trouvait exposé. Il a également sollicité l'appréciation de M. Louis Gallois sur le niveau européen des soutiens à la recherche aéronautique.

Sur le premier point, M. Louis Gallois a expliqué que le risque « dollar » affectait la moitié du chiffre d'affaires de son groupe. Il a répété que la réduction de ce risque s'avérait nécessaire, alors que, selon lui, Boeing ne supportait un risque « euro » que dans une bien moindre mesure. Il a jugé que le financement européen de la recherche aéronautique avait atteint un niveau certainement significatif, mais qui restait loin, cependant, des efforts dont bénéficiait la recherche américaine. Il a rappelé la dualité des technologies aéronautique et spatiale entre le militaire et le civil, avec un secteur « non commercial » constitué par la production à usage militaire et par divers programmes gouvernementaux, base des activités de recherche, représentant 50 % de l'activité globale de Boeing, contre seulement 25% de celle d'EADS. Il a mis en exergue, également, que les crédits de recherche et de technologie du Pentagone étaient cinq fois supérieurs à ceux de l'ensemble des Etats européens, qui, de surcroît, consacrent 90% de leurs efforts en national et seulement 10% en coopération.

Mme Nicole Bricq a soulevé la question des nationalités dans la « culture d'entreprise » d'EADS. M. Louis Gallois a indiqué qu'il s'agissait d'un enjeu fondamental pour le groupe, eu égard aux différentes nationalités de ses actionnaires. Ayant répété que les clivages nationaux, en particulier entre Français et Allemands, constituaient une contrainte forte dans le fonctionnement d'EADS, il a considéré qu'il revenait au management d'en favoriser l'assouplissement, en vue de parvenir à une culture d'entreprise homogène dépassant les clivages nationaux.

En réponse à une question de M. Francis Grignon, il a indiqué que 95 % des emplois créés par le groupe EADS, depuis 2000, en particulier au sein de la société Airbus, étaient localisés, à ce jour, en Europe. Néanmoins, compte tenu des mauvais résultats d'Airbus pour 2006, il a annoncé que des mesures de délocalisation paraissaient inévitables, afin de réduire les coûts de production et le risque-dollar. Il a précisé, toutefois, que la nature même des activités d'EADS exigeait que les activités du groupe restent ancrées dans des zones à forte capacité technologique, notamment en Europe.

M. Christian Gaudin, rapporteur, a demandé à M. Louis Gallois quels étaient, selon lui, les atouts dont la France disposait en vue de demeurer un lieu de décision économique, mais aussi les handicaps qu'elle devrait surmonter en la matière.

Parmi les atouts, M. Louis Gallois a relevé que notre pays continuait d'attirer des investissements étrangers comme des entreprises de haute technologie, et que les infrastructures françaises étaient de la meilleure qualité. Il a également fait état de la valeur des ingénieurs français, mais il a estimé que les grandes écoles qui formaient ces derniers, devraient, à l'avenir, se réformer, en vue de répondre aux défis de l'internationalisation.

M. Philippe Marini, président, a relevé que ce constat était identique à celui que M. Denis Ranque, précédemment auditionné par la mission commune d'information, avait dressé.

Du côté des handicaps nationaux, M. Louis Gallois a pointé, à titre principal, la faiblesse de la durée moyenne de travail sur une base annuelle, mais surtout mesurée sur la durée de vie des personnes, avec une entrée plus tardive sur le marché du travail et une sortie plus précoce. En outre, il a fait valoir que les rigidités dénoncées sur le marché du travail reflétaient en fait des équilibres sociaux complexes et appelaient une réflexion approfondie, dans la perspective de réformes touchant, notamment, aux contrats à durée indéterminée. Pour le reste, il a considéré que les contraintes administratives de notre pays portaient un préjudice certain au développement des petites et moyennes entreprises, mais qu'elles ne pesaient pas réellement sur les grandes entreprises comme EADS.

M. Philippe Marini, président, a posé trois questions à M. Louis Gallois. En premier lieu, il lui a demandé quelle part l'organisation singulière de la gouvernance d'EADS avait pu prendre dans les retards de livraison annoncés pour l'avion A380. En deuxième lieu, ayant mentionné les intentions de réduire leur participation au capital d'EADS affichées par les groupes Daimler-Chrysler et Lagardère, il l'a interrogé sur la possibilité qu'EADS, à l'avenir, ne dispose plus d'actionnaires industriels « stratégiques ». En troisième et dernier lieu, rappelant que la banque publique russe Vnechtorbank avait acquis, au mois d'août 2006, une participation à hauteur de plus 5 % du capital d'EADS, il l'a questionné sur les problèmes éventuels que posait cette situation pour le management de l'entreprise.

En réponse, M. Louis Gallois, tout d'abord, a détaillé les causes proprement techniques des retards pris par la production de l'A380, dont il a souligné la grande complexité technologique. Il a reconnu, toutefois, qu'une part de la « catastrophe industrielle » résidait dans la faible intégration, jusqu'à une date récente, de la société Airbus, traduite notamment par l'absence d'harmonisation des méthodes de travail et par l'existence de circuits de décision parallèles aux circuits officiels de l'entreprise. Il a appelé à des changements rapides dans l'organisation industrielle de cette dernière, dont il a déploré qu'elle soit encore très marquée, actuellement, par des clivages nationaux.

S'agissant de l'évolution de la répartition du capital d'EADS, il a fait valoir qu'elle ne l'empêchait nullement, à ce jour, de travailler dans des conditions satisfaisantes. Il a rappelé le soutien des groupes Lagardère et Daimler-Chrysler sur le long terme au travers du lancement de l'A350 XWB et leur position favorable à une augmentation de capital. La question de la nécessité, pour le groupe, de conserver des actionnaires de référence, n'est pas d'actualité. Du reste, il a fait observer que Daimler-Chrysler, entendant céder à hauteur de 7,5 % sa participation au capital de l'entreprise en janvier 2007, avait trouvé la solution d'un regroupement d'investisseurs essentiellement allemands ; cependant, les investisseurs non européens, potentiellement, étaient nombreux. Quant à l'entrée dans le capital d'EADS de la Vnechtorbank, elle était considérée comme un investissement financier ; il a noté cependant qu'elle avait fait du sujet aéronautique un enjeu important des relations diplomatiques entre le couple franco-allemand et la Russie, consacré par la création d'un comité stratégique EADS/Industrie russe lors du sommet de Compiègne en septembre dernier.

M. Philippe Marini, président, a confirmé que cette question, en effet, s'était trouvée au coeur des échanges du sommet de Compiègne, le 23 septembre 2006.

Enfin, M. Paul Blanc l'ayant questionné sur la situation de l'industrie aéronautique russe, M. Louis Gallois a expliqué que la Russie disposait, aujourd'hui, d'une forte capacité d'ingénierie dans le domaine aéronautique, mais pas encore d'une capacité industrielle qui apparaisse en rapport avec celle-ci.

Au nom de la mission commune d'information, M. Philippe Marini, président, a remercié M.  M. Louis Gallois pour la qualité de ses réponses.