Mardi 18 janvier 2022

- Présidence de M. Arnaud Bazin, président -

La réunion est ouverte à 14 h 30.

Audition de MM. Thomas London et Karim Tadjeddine, directeurs associés du cabinet McKinsey

M. Arnaud Bazin, président. - Nous poursuivons nos travaux avec l'audition de MM. Thomas London et Karim Tadjeddine, tous deux directeurs associés du cabinet de conseil McKinsey.

Notre commission d'enquête a entrepris d'évaluer l'ampleur du recours par les personnes publiques à des prestations de conseil et d'en comprendre les ressorts ainsi que les modalités. Le cabinet McKinsey est un partenaire actif de l'État et de sa transformation depuis, je crois utile de le rappeler, bien plus longtemps que la survenue de la crise sanitaire.

Nous avons reçu hier soir votre réponse écrite aux demandes de la commission d'enquête et vous en remercions. Je constate cependant qu'elle est incomplète sur au moins deux points. D'une part, votre contribution porte sur l'activité de McKinsey depuis trois ans, alors que la commission d'enquête vous demandait des informations sur dix ans. D'autre part, elle ne comprend pas les prestations réalisées pour les entreprises publiques. Je vous rappelle sur ce point que seuls le secret de la défense nationale, les affaires étrangères et la sécurité intérieure ou extérieure de l'État sont opposables aux commissions d'enquête parlementaires.

Je tiens à votre disposition, au besoin, l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 qui constitue la pierre angulaire du contrôle parlementaire. J'invite donc McKinsey à la transparence, comme les autres cabinets de conseil. Je sais pouvoir compter sur votre diligence pour compléter les éléments manquants de votre réponse écrite.

Cette audition est ouverte au public et à la presse. Elle est retransmise en direct sur le site Internet du Sénat. En raison du contexte sanitaire, les collègues peuvent également intervenir par visioconférence.

Comme pour toutes les personnes auditionnées, je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible de sanctions pénales, qui peuvent aller, selon les circonstances, de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 à 100 000 euros d'amende.

Je vous invite MM. London et Tadjeddine à prêter successivement serment de dire toute la vérité, rien que la vérité. Levez la main droite et dites : « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Thomas London et Karim Tadjeddine prêtent successivement serment.

M. Arnaud Bazin, président. - Je vous laisse la parole pour une intervention liminaire, avant les questions de Madame la rapporteure puis de nos collègues.

M. Karim Tadjeddine, directeur associé de McKinsey. - Monsieur le président, Madame la rapporteure, Mesdames et Messieurs les sénateurs, vous nous avez posé un certain nombre de questions, auxquelles nous allons tâcher de répondre aujourd'hui en vous apportant des éclairages sur le rôle que peuvent jouer les cabinets de conseil auprès du secteur public. Je suis responsable du pôle « secteur public » de McKinsey France et Thomas London est responsable du pôle « santé publique ». Nous pourrons répondre aux questions qui concernent notre action dans notre champ de responsabilités. Pour les questions globales qui dépassent celui-ci, nous reviendrons ultérieurement vers vous par écrit.

J'organiserai ce propos introductif autour de quatre volets : une brève description de notre cabinet, une présentation du périmètre de nos activités, nos règles déontologiques et d'engagement, et, enfin, une première réponse aux questions spécifiques que vous nous avez posées, notamment sur les prestations pro bono, la protection des données ou le développement des compétences. J'expliciterai les principes sans entrer dans le détail des projets réalisés ; nous serons heureux de les illustrer plus tard à travers des exemples concrets.

Notre cabinet McKinsey existe depuis presque un siècle. Depuis sa création en 1926, il accompagne les organisations privées, publiques et associatives dans la durée. Notre engagement auprès des acteurs socio-économiques en France est également ancien, puisque McKinsey s'y est établi en 1964 et compte aujourd'hui environ 600 professionnels répartis dans les bureaux de Paris et Lyon. Le cabinet emploie ses salariés en contrat de travail de droit français, est immatriculé au registre du commerce et des sociétés (RCS) et respecte l'ensemble des règles fiscales et sociales françaises applicables aux sociétés - c'est d'ailleurs un préalable pour répondre aux appels d'offres publics.

Vous l'avez rappelé, Monsieur le président, la présence de McKinsey auprès des administrations publiques en France est très ancienne. Nous avons notamment, en 1947, accompagné la direction du Trésor dans la mise en oeuvre du plan Marshall, et nous accompagnons régulièrement les acteurs du secteur public en France depuis plus de quinze ans. Pour répondre à votre question, 84 % des clients de McKinsey France sont français.

Afin de réaliser nos missions, nous sommes organisés autour de deux pôles de compétences sectoriels.

Le pôle « secteur public », que je dirige, est chargé de coordonner dans la durée nos appuis auprès des responsables publics opérationnels.

Ce pôle représente environ 5 % de notre activité en France. Pour pouvoir exercer ses missions, il mobilise, lorsque cela est pertinent, des stands d'expertise fonctionnelle : dans le domaine des opérations, des organisations, nos spécialistes apportent leur renfort en fonction des thématiques particulières du projet. Nous pouvons aussi nous appuyer sur notre centre de recherche propriétaire. À cet égard, nous investissons chaque année près de 10 % de nos ressources en faveur de la recherche primaire au sein d'équipes de recherche dédiées comme le McKinsey Global Institute qui travaille sur les économies sectorielles ou les centres de mobilité de demain. Enfin, nous pouvons nous appuyer sur un réseau de presque 35 000 collaborateurs dans 67 pays afin de mobiliser de manière extrêmement rapide et précise les meilleures expertises mondiales.

Je soulignerai deux points importants : nous ne considérons évidemment pas que le secteur public fonctionne comme une entreprise privée, ni que les enseignements d'autres pays puissent être répliqués au contexte français. Le rôle du pôle « secteur public » consiste à s'assurer que l'ensemble de ses informations sur d'autres métiers, d'autres secteurs, sont contextualisées et utiles pour les décideurs publics.

S'agissant de notre périmètre d'action, j'apporterai quelques précisions. Notre métier de conseil est d'accompagner de manière « temporaire » - j'insiste sur ce terme - des responsables opérationnels pour les aider à accomplir leur mission, renforcer et développer les compétences de leur équipe. Nous ne remplissons pas de mission d'externalisation ou d'outsourcing, c'est-à-dire des délégations durables de mission comme dans les systèmes d'information ou la veille. Nous n'effectuons pas non plus de mission de certifications ou d'audits externes, à savoir la publication d'un rapport indépendant qui analyse la conformité de la situation par rapport à un référentiel. Nous ne produisons pas de conseil de nature juridique et n'exerçons aucune activité de lobbying ou de communication.

Nous intervenons essentiellement dans deux cas de figure : en amont de la prise de décision, nous aidons à instruire celle-ci grâce à des travaux d'analyse factuels ; en aval, nous aidons les responsables publics dans son exécution.

Je voudrais revenir sur une question qui a été débattue lors des précédentes auditions : pourquoi les responsables publics font-ils appel à des cabinets de conseil ? Quelle est notre valeur ajoutée ? D'abord, ce recours ne traduit ni un défaut de compétence ni une faiblesse. Au cours des dernières décennies, il s'est beaucoup développé au sein des économies avancées. Le président de l'organisation professionnelle Syntec Conseil, Matthieu Courtecuisse, a indiqué les chiffres : en France, ce marché de conseil a doublé en moins de dix ans, et ce pour trois raisons.

En premier lieu, les responsables tant publics que privés sont soumis à des enjeux de plus en plus complexes qui requièrent des champs d'expertise de plus en plus larges. Un responsable doit pouvoir appréhender les enjeux technologiques et opérationnels ainsi que « l'expérience client ». Le niveau de spécialisation ne cesse de croître et certaines expertises sont utilisées trop ponctuellement ou de manière insuffisante pour justifier une internalisation. Nous pouvons mettre à disposition de nos clients quasi immédiatement les expertises les plus pointues et les plus récentes.

En deuxième lieu, les responsables sont sujets à des évolutions très importantes concernant leurs charges : instruire ou réaliser un projet peut nécessiter de mobiliser des équipes de plusieurs dizaines de collaborateurs durant quelques semaines ou quelques mois. Répondre à une crise - nous y reviendrons certainement - implique d'être en mesure de réunir du jour au lendemain des équipes pluridisciplinaires. Nous avons cette capacité au service des responsables publics.

En troisième lieu, eu égard au rythme des avancées technologiques, le besoin permanent d'innovation s'est beaucoup accéléré. Dans ce contexte, tout responsable des opérations se doit d'être à l'écoute des évolutions technologiques, managériales et opérationnelles. Grâce à notre réseau international, et à travers l'ensemble des secteurs, nous pouvons « filtrer » et apporter les idées nouvelles, contextualisées aux besoins propres des responsables du secteur public.

Cette triple évolution - recherche d'expertise, volatilité de l'activité, besoin d'innovation - explique la forte progression des métiers du conseil au cours des dernières décennies, qui devrait probablement se poursuivre dans les prochaines années.

S'agissant spécifiquement du conseil au secteur public, c'est maintenant une pratique courante dans l'ensemble des pays développés et de l'Europe, notamment en Allemagne, au Royaume-Uni et dans les pays scandinaves.

La France a suivi le même mouvement, avec une moindre ampleur, du recours au conseil externe. Depuis plus de quinze ans, cette pratique est devenue normée et usuelle ; l'État s'est doté de véhicules de contractualisation normés et a mis en place des procédures de mise en concurrence pour sélectionner l'offre économiquement la plus avantageuse.

Le marché est aujourd'hui structuré et ouvert ; l'État fait appel, sur une base régulière, à plus de 25 acteurs de conseil différents et à de plus petites structures, ce qui permet aux responsables publics d'avoir accès à un large champ de compétences et d'expertises spécifiques adaptées aux besoins de chaque mission. L'État a également instauré des centrales d'achat de conseils, telles que la direction interministérielle de la transformation publique (DITP) que vous avez auditionnée, la direction des achats de l'État (DAE), la direction interministérielle du numérique (DINUM), l'Union des groupements d'achats publics (UGAP). Des équipes expérimentées ont aussi été constituées au niveau des secrétariats généraux des ministères. La spécification en amont des besoins et le pilotage opérationnel sont conduits selon de très bons standards. Il reste bien sûr des marges d'amélioration et de réflexion - j'y reviendrai.

Je détaillerai à présent les règles éthiques et l'engagement que nous mettons en place dans le secteur public. La déontologie est au coeur de notre relation avec le client. Matthieu Courtecuisse l'a rappelé, un décideur peut arrêter un projet à tout moment et la relation de confiance avec lui est essentielle pour que nous puissions l'accompagner au mieux. Nous avons codifié l'ensemble de nos engagements dans un code de conduite - il est en ligne, et nous l'avons transmis à vos services.

Nous avons aussi défini des règles d'intervention spécifiques dans le secteur public. Nous intervenons uniquement en accompagnement des responsables publics exécutifs, ce qui exclut de fait les acteurs législatifs, les organes de contrôle ou d'évaluation de l'action publique. Nous ne servons pas non plus les partis ou les personnalités politiques ; nos statuts nous l'interdisent. McKinsey est ainsi en mesure de conserver toute la neutralité et l'indépendance requises pour le bon accomplissement de ses missions.

Nous intervenons à travers des contrats-cadres, obtenus au travers de processus compétitifs. Nous sommes essentiellement intervenus ces dernières années auprès de la DITP, de l'UGAP, de la DAE et de la direction générale des entreprises (DGE). Dans les groupements, nous sélectionnons des sous-traitants, notamment des PME françaises, pour construire un écosystème cohérent et permettre aux donneurs d'ordre d'accéder à une offre large et diversifiée. Pour répondre à votre question, nous pratiquons des prix publics inférieurs de l'ordre de 15 % à 30 % par rapport aux prix moyens pratiqués dans le secteur privé.

Dans ce cadre, McKinsey intervient en amont de la décision publique, en apportant une base factuelle des outils d'analyse ou d'aide à la décision, ou en aval de celle-ci, pour accompagner la mise en oeuvre des orientations retenues et le soutien au déploiement opérationnel - toujours en étroite collaboration avec les publics concernés.

Les sujets sur lesquels nous intervenons concernent plus particulièrement l'amélioration de la qualité des services rendus aux citoyens, notamment la réduction du délai de traitement des demandes ou la facilitation de l'accès au service public à travers la digitalisation ou le réseau, et l'amélioration de l'efficacité de l'action publique, notamment au travers du renforcement des processus d'achat ou d'une meilleure qualité des processus opérationnels tels que les parcours clients dans le secteur hospitalier.

Afin de répondre à ces appels d'offres, nous nous assurons systématiquement que les travaux pourront remplir trois conditions : atteindre un impact tangible et mesurable ; apporter une expertise sectorielle ou fonctionnelle spécifique et complémentaire de celle des clients ; accompagner le développement des compétences des organisations publiques. La complémentarité est un principe d'action majeur pour nous. L'apport se fait toujours en appui des structures publiques, jamais en substitution. Tout au long des projets, un accent particulier est mis sur l'implication des agents publics. Le format le plus efficace est de constituer des équipes mixtes mêlant des membres de l'organisation cliente et des membres de cabinets, afin d'assurer l'appropriation complète des outils de méthodologie mis en place.

Les règles précitées sont vérifiées avant le démarrage de chaque projet par une équipe « risque » à l'échelon européen, et indépendante de nos pôles.

Enfin, je souhaiterais revenir sur cinq points qui ont suscité des débats ou des interrogations lors des précédentes auditions.

Les pro bono sont, je le rappelle, des projets à titre gracieux, qui sont effectués selon les mêmes standards que les autres. De telles missions sont rares, concernent des sujets spécifiques et sont entièrement décorrélées de notre activité classique.

Pourquoi de tels projets ? Pour des raisons liées au sens de notre mission et de notre impact social. Il s'agit d'un facteur massif d'attraction, de rétention et de développement de nos personnels. Notre stratégie pro bono est définie à l'échelle globale et vise à contribuer à des thèmes d'intérêts sociétaux, essentiellement auprès de structures associatives.

Nous sommes récemment intervenus en faveur du secteur culturel, notamment pour accompagner des musées - Le Louvre, le Centre Pompidou - dans des stratégies de radiation. Nous sommes intervenus sur des projets collectifs. Par exemple, nous avons accompagné la préparation du dossier de candidature de la France aux Jeux Olympiques de 2024. Nous avons effectué des travaux de coordination ou de recherche. Pour le Tech For Good, nous aidons les groupes de travail réunissant 80 entreprises et organisations à prendre des engagements sociétaux en faveur de l'utilisation de la tech pour la diversité et l'inclusion.

Au cours de ces dernières années, nous avons fait évoluer nos règles de façon proactive, avec un processus systématique de contractualisation précisant que nous ne saurions bénéficier d'aucun traitement préférentiel pour de futurs appels d'offres. Nous indiquons aussi les raisons de notre action pro bono. Toutefois, les propositions du Syntec pour renforcer ces règles, notamment sur le mécénat de compétences, vont dans le bon sens.

Ensuite, sur les allers-retours entre le secteur public et le secteur privé, parmi nos 600 collaborateurs, seuls sept, soit environ 1 %, ont une expérience préalable dans le secteur public de plus de deux ans. Sur ce 1 %, la moitié n'a pas effectué, au sein de notre cabinet, de projet dans le secteur public.

Nos processus d'entretien se basent strictement sur les compétences, avec une candidature en ligne et entre 5 à 10 entretiens par candidat retenu. Ils sont rigoureux et auditables, mais nous ne pouvons pas exclure des personnes sur la base de leur ascendance. Nos consultants nous quittent souvent après trois à cinq ans, et certains vont dans le secteur public, ce qui n'a rien d'exceptionnel. Parmi nos anciens collaborateurs, au 31 décembre 2021, environ 1 % travaille dans le secteur public.

Par ailleurs, rédiger les projets de loi ou de règlement n'est ni notre rôle, ni notre compétence, ni notre mandat. Nous ne le faisons pas.

La confidentialité est la condition d'exercice de notre profession : nos clients ne nous pardonneraient pas d'y manquer. Vous avez mentionné le paradoxe de la donnée. Nous n'utilisons pas les données confidentielles des clients pour concevoir nos benchmarks. Nous nous basons sur nos données propriétaires, issues de nos recherches internes financées sur nos ressources propres, sur les données publiques, en particulier en langues locales, et sur des entretiens conduits dans le cadre des travaux de benchmarking, dont la vocation est toujours explicitée auprès de nos interlocuteurs. Ces règles sont explicites et formalisées.

Enfin, sur le développement des compétences des administrations, il nous a été reproché d'agir à leur place. Ce n'est pas notre philosophie ni notre pratique. Il devient critique de pouvoir déployer sur une courte période des équipes en mode projet pour répondre à des situations d'urgence temporaire : malgré des progrès, certaines administrations n'y arrivent pas encore à cause des rigidités et des contraintes de ressources. De plus, nous n'avons pas vocation à agir durablement dans les administrations, alors que celles-ci doivent internaliser des compétences. Par exemple, sur les activités informatiques, digitales ou de données, les administrations tendent à davantage externaliser que le secteur privé.

Nous observons des améliorations sensibles ces dernières années, avec par exemple l'accélération du plan de recrutement de la DINUM, mais il reste des marges de progrès.

Mme Éliane Assassi, rapporteure. - Quelles entités composent McKinsey en France, et quel est le rôle de celle qui est domiciliée dans l'État du Delaware aux États-Unis ? J'attends une réponse précise à une question précise.

Ensuite, dans quelles entités sont domiciliés les contrats de travail des collaborateurs employés en France, votre chiffre d'affaires et votre bénéfice réalisés en France ?

Quelle est l'entité de McKinsey qui porte le chiffre d'affaires réalisé dans le secteur public français ?

Enfin, pourquoi McKinsey France ne publie-t-elle pas ses comptes annuels ?

M. Karim Tadjeddine. - Je précise que je n'interviens qu'en tant que responsable du pôle « secteur public », et non pas en tant que directeur général.

McKinsey France est enregistrée au registre français des sociétés. L'ensemble des contrats de travail est porté par cette société de droit français, de même que l'ensemble du chiffre d'affaires.

Nous sommes organisés en succursale rapportant à l'entité mère basée au Delaware mais l'ensemble de nos activités, dans les secteurs publics et privés, et l'ensemble des contrats de travail sont portés par cette société de droit français.

M. Arnaud Bazin, président. - Êtes-vous donc bien soumis aux impôts français, comme n'importe quelle société ?

M. Karim Tadjeddine. - Bien sûr, Monsieur le président. Je le dis très nettement : nous payons l'impôt sur les sociétés en France et l'ensemble des salaires sont dans une société de droit français qui paie ses impôts en France.

Mme Éliane Assassi, rapporteure. - Une question plus précise : vous disiez que votre valeur ajoutée est de réaliser des expertises sur des enjeux complexes. Je sais que le métier des enseignants est difficile, notamment dans ce moment de crise épidémique, et ceux-ci ont pu démontrer qu'ils étaient des experts en matière d'enseignement. Or, vous avez obtenu un contrat de 496 800 euros pour, je cite, « évaluer les évolutions du métier d'enseignant ». Quel a été l'aboutissement de cette mission ?

M. Karim Tadjeddine. - Nous avons été sollicités par le biais du contrat-cadre de la DIPT, par le ministère de l'éducation nationale.

Notre rôle a été d'accompagner la DITP pour organiser un séminaire qui était prévu par le ministère, en lien avec des organisations internationales, pour réfléchir aux grandes tendances d'évolution du secteur de l'enseignement, à quelles étaient les évolutions attendues du marché de l'enseignant et, à ce titre, quelles pouvaient être les réflexions autour du métier d'enseignant.

Nous avons accompagné la DITP dans cette réflexion. Nous travaillons depuis une vingtaine d'années sur l'analyse de l'évolution des systèmes d'éducation.

Mme Éliane Assassi, rapporteure. - Votre réponse me semble un peu imprécise pour un sujet d'ampleur, alors que le montant du contrat est conséquent.

À quoi cela a-t-il abouti, concrètement ?

M. Karim Tadjeddine. - Cela a conduit à un ensemble de travaux réalisés avec à la fois la DITP et le ministère de l'éducation nationale.

Il s'agissait, d'une part, de travaux de benchmarking, de comparaison de quelles avaient été les évolutions faites par les autres pays européens pour anticiper les évolutions du métier d'enseignant et, d'autre part, d'analyser les évolutions des systèmes éducatifs dans l'ensemble des pays européens et donc de réfléchir à un certain nombre de thèmes de réflexion qui étaient prévus pour la tenue d'un séminaire avec les responsables enseignants, qui était prévu en février 2021

Mme Éliane Assassi, rapporteure. - Il y avait donc des responsables des enseignants qui collaboraient ?

M. Karim Tadjeddine. - Oui, Madame la rapporteure.

Mais je n'ai pas directement piloté ces travaux. Je pilote l'ensemble du secteur et j'ai des collègues qui sont spécialistes de ces problématiques d'évolution de l'enseignement.

Mme Nathalie Goulet. - Vous avez indiqué ne pas participer à des campagnes politiques. En revanche, la presse s'est longuement penchée sur votre rôle dans la campagne d'Emmanuel Macron. Elle évoque le fait que vous avez comparé des prestataires pour réaliser un site de campagne. Avez-vous effectué des missions dans ce cadre et quel est votre rôle au sein du think tank En Temps Réel, dont vous êtes membre du conseil d'administration ?

Plus généralement, une vingtaine de vos salariés a participé à cette campagne électorale : comment avez-vous veillé aux règles relatives aux conflits d'intérêts et ces prestations figurent-elles sur les comptes de campagne ? Je rappelle qu'un de vos salariés est ensuite rapidement devenu directeur de cabinet du secrétaire d'État Mounir Mahjoubi. Les liens entre votre cabinet et la campagne présidentielle semblent donc assez forts...

M. Karim Tadjeddine. - Tout d'abord, nos statuts nous interdisent de travailler, à titre payant ou pro bono, pour des organisations ou des personnalités politiques. Nous ne le ferons jamais.

Ensuite, vous le savez, la loi française est protectrice des activités politiques et associatives de chacun : comme employeur, je ne peux pas demander à une personne si elle a des activités politiques ni lui donner des instructions, dans un sens ou dans l'autre.

Enfin, depuis que je suis étudiant, j'ai conservé des activités associatives au profit du collectif, y compris parfois de nature politique, dont En Temps Réel que vous avez mentionné.

M. Arnaud Bazin, président. - Nous entendons cette liberté fondamentale de chacun de s'engager, mais ces choses doivent être contrôlées. Pouvez-vous garantir que ces salariés n'ont pas exercé leurs activités politiques sur leur temps professionnel ?

M. Karim Tadjeddine. - En effet, l'exercice de cette liberté individuelle implique de ne pas utiliser les ressources de notre institution. En particulier, nous veillons au respect strict des obligations de confidentialité.

M. Arnaud Bazin, président. - Comment contrôlez-vous concrètement l'application de ce principe ?

M. Karim Tadjeddine. - Nous pouvons le contrôler par un suivi de l'utilisation des moyens de l'entreprise.

Mme Nathalie Goulet. - L'ancien directeur de cabinet de Mounir Mahjoubi est-il revenu dans votre société ?

M. Karim Tadjeddine. - Il me semble qu'il n'était pas directeur de cabinet.

Par ailleurs, je rappelle que moins de 1 % de nos anciens personnels sont actuellement dans le secteur public. Cela reste très marginal par rapport à l'ensemble de nos collaborateurs. Il n'y a pas d'aller-retour mais, en tant qu'employeur, je n'ai pas le contrôle sur les choix individuels des personnes qui quittent notre cabinet.

M. Arnaud Bazin, président. - Vous avez vous-même, Monsieur Tadjeddine, contribué aux travaux des commissions Attali pour la libération de la croissance française. Quel était le véhicule juridique de votre participation ? Était-elle gratuite ou non ? Des consultants de McKinsey ont-ils été mobilisés en tant que tels, ou sur leur temps libre ?

M. Karim Tadjeddine. - Ce support, en 2008 puis de nouveau en 2010 ou 2011, a eu lieu dans le cadre d'un projet pro bono, au même titre que celui d'autres cabinets comme Accenture ou Capgemini, que vous avez auditionné.

M. Arnaud Bazin, président. - Y avait-il un contrat, dans cette activité gratuite ?

M. Karim Tadjeddine. - Je l'ignore. Je n'étais à l'époque qu'un jeune consultant.

Mme Christine Lavarde. - Monsieur London vous avez travaillé sur une publication de l'Institut Montaigne en vue de la campagne présidentielle de 2017. Votre notice biographique, sur le site de McKinsey, fait état de votre participation à la commission Marescaux sur l'avenir des centres hospitaliers universitaires en 2009. Vous n'êtes donc pas un débutant sur le secteur de la santé.

Comment faites-vous abstraction des données dont vous avez pu avoir connaissance dans le cadre de votre travail pour des clients publics ?

Est-ce à des auditeurs ou à des conseillers au secteur public de formuler des propositions d'évolution qui aboutissent à créer des marchés pour vous-mêmes ? Ainsi, quand vous proposiez en 2017 d'ouvrir les données de santé, nous avons bien vu que cela a créé un débouché pour les cabinets de conseil...

Enfin, vous avez parlé des actions pro bono : combien y en a-t-il eu et dans quels secteurs des politiques publiques ? Certaines ont-elles débouché sur des prestations payantes ?

M. Thomas London. - L'Institut Montaigne, think tank indépendant, regroupe de nombreuses sociétés dont McKinsey. Nous participons à certains de leurs travaux à ce titre. En l'occurrence, j'ai contribué à certains travaux collectifs de cet institut, et non pas de McKinsey, ayant mobilisé des dizaines d'experts, avec de nombreuses auditions. J'y ai bien sûr amené mon expérience précédente.

En revanche, nous nous interdisons absolument d'utiliser des données confidentielles obtenues au cours de travaux « clients » pour des travaux auprès d'autres clients.

M. Karim Tadjeddine. - Chaque année, nous effectuons deux à trois projets pro bono décidés par la direction générale de McKinsey France. À ma connaissance, ces projets n'ont jamais été suivis d'un projet payant.

M. Arnaud Bazin, président. - Lorsque vous dites deux ou trois par an, est-ce pour les administrations centrales, pour les centres hospitaliers, etc. ?

M. Karim Tadjeddine. - C'est le chiffre global pour la totalité du secteur public et associatif.

M. Arnaud Bazin, président. - Y compris les entreprises publiques ?

M. Karim Tadjeddine. - Oui. Mais à ma connaissance, nous n'avons jamais fait de projet pro bono pour les entreprises publiques.

Mme Éliane Assassi, rapporteure. - Confirmez-vous que McKinsey a participé depuis 2018 à l'organisation des sommets Tech for Good pour l'Élysée ? Si oui, pourquoi et quel a été votre rôle exact ? McKinsey aurait notamment été chargé de préparer les débats et de suivre le respect des engagements financiers des participants... Combien d'évènements sont concernés, et pour quels montants ?

McKinsey a-t-il consenti à des prestations pro bono dans ce cadre ?

M. Karim Tadjeddine. - Oui, je l'ai signalé dans mon intervention liminaire : nous avons effectivement accompagné, sous forme de pro bono, l'événement Tech for Good depuis 2018.

Le sommet Tech for Good, c'est environ 80 entreprises et associations qui se réunissent pour prendre des engagements collectifs du côté du secteur privé, pour que les progrès technologiques bénéficient au plus grand nombre. Cinq thématiques ont été identifiées, comme la diversité ou l'inclusion économique. L'objectif, c'est que les participants prennent des engagements suivis d'année en année.

Nous réalisons un support pour aider à préparer les ateliers thématiques, en rassemblant des bases factuelles et en mettant en place des outils pour suivre dans la durée les engagements de ces acteurs.

Cette prestation est réalisée pro bono, car nous estimons que cela fait partie de notre engagement pour mobiliser le secteur privé sur ces thématiques d'engagement sociétal.

M. Arnaud Bazin, président. - Cela donne-t-il lieu à une contractualisation ?

M. Karim Tadjeddine. - Ce n'était pas contractualisé pour la première édition, mais depuis lors, nous contractualisons.

M. Arnaud Bazin, président. - Y a-t-il un document qui décrit les objectifs ? Qui vous passe commande ? L'Élysée ou l'administration ?

M. Karim Tadjeddine. - Il y a un contrat. Je ne sais pas avec qui nous contractons, car plusieurs administrations sont engagées, mais c'est le secteur public qui nous passe commande.

Je vous ai expliqué dans mon propos liminaire pourquoi nous avions cet engagement : c'est un engagement sociétal, sans aucune attente de contrepartie, et nous précisons quel est notre périmètre de responsabilité.

M. Arnaud Bazin, président. - Est-ce toujours en cours ?

M. Karim Tadjeddine. - Le dernier sommet a été annulé, compte tenu de la crise sanitaire. Je ne sais pas quels sont les projets pour la suite de ce sommet.

M. Arnaud Bazin, président. - Est-ce à revoir annuellement ?

M. Karim Tadjeddine. - Tout à fait.

M. Jérôme Bascher. - Avec ma collègue Christine Lavarde, j'ai fait partie d'une commission d'enquête qui étudiait les allers-retours entre le public et le privé. Vous avez déclaré que seul 1 % de vos effectifs proviendrait du secteur public. Certes, c'est assez peu, mais tout dépend de quel pourcent il s'agit...

Par exemple, vous avez co-écrit un ouvrage avec Thomas Cazenave, qui était délégué interministériel à la transformation publique, celui-là même qui donne des crédits à des cabinets de conseil pour faire des études. À titre illustratif, quelles règles déontologiques avez-vous mises en place, compte tenu de vos amitiés et écritures communes, pour les contrats passés à ce moment-là ?

M. Karim Tadjeddine. - Thomas Cazenave n'a jamais été membre de nos effectifs. Je ne suis pas sûr de bien comprendre votre question...

M. Jérôme Bascher. - Vous avez co-écrit un ouvrage avec lui ; vous êtes prestataire de la DITP dont il était délégué interministériel. Est-ce que vous avez mis une muraille de Chine entre vos différentes activités ? Vous êtes-vous déporté ? C'est juste à titre illustratif...

M. Karim Tadjeddine. - Une précision : je n'ai pas co-écrit ce livre, qui a été préparé par Thomas Cazenave. Il y avait une quinzaine de contributions ; j'y ai contribué au même titre que d'autres acteurs engagés sur le thème de la transformation publique.

À l'époque du livre, en 2016, Thomas Cazenave n'était pas en poste à la DITP. Je n'ai eu aucune relation avec Thomas Cazenave, qui était alors responsable de la chaire de transformation publique à Sciences Po. À ce titre, il a contacté un certain nombre d'acteurs pour réfléchir à l'avenir de la fonction publique. Je n'ai eu aucun intérêt ensuite, lorsqu'il y a eu d'autres cas de présomption ou de perception de potentiel conflit d'intérêts.

La règle est, qu'en cas de présomption de conflit d'intérêts, le décideur public se déporte et ne participe pas à la prise de décision. Cette règle est suivie assez rigoureusement par l'administration.

Mme Nicole Duranton. - L'influence d'un cabinet de conseil peut tendre à l'hégémonie. Faudra-t-il établir en France un système de contrôle de la répartition des marchés publics de conseil, un peu sur le modèle européen de la formation des cartels économiques ?

M. Karim Tadjeddine. - Il est important qu'il y ait une pluralité d'interventions de conseil auprès du secteur public.

Je prends l'exemple du contrat-cadre avec la DITP, construit dans cette perspective : il y a une rotation entre les titulaires et une règle d'équilibre de charge. Cela a été mis en place.

Les décideurs publics ont la capacité de choisir entre une vingtaine d'acteurs. Il ne me semble pas qu'il y ait des « situations fortes » prises entre les acteurs de ce marché.

M. Arnaud Bazin, président. - L'essentiel, voire la quasi-totalité, de vos marchés sont-ils réalisés via cet accord-cadre de la DITP ? Avez-vous des marchés passés directement par certaines administrations ? Quelle en est la proportion ?

Lorsque vous êtes attributaires, notamment dans le cas du marché avec la DITP, c'est une attribution au « tourniquet », c'est-à-dire chacun son tour. Dans quelle proportion avez-vous recours à la sous-traitance, ou bien êtes-vous sous-traitant vous-même dans ces marchés ?

M. Karim Tadjeddine. - Presque la totalité de nos prestations transite à travers ces grands contrats-cadres avec la DITP, l'UGAP et la direction des achats de l'État. À ma connaissance, nous n'avons pas de contrat direct avec ces administrations.

M. Arnaud Bazin, président. - Ces trois accords-cadres fonctionnent-ils au « tourniquet » ?

M. Karim Tadjeddine. - Non. Le contrat avec la DITP fonctionne au « tourniquet », mais sur les autres lots et les autres appels d'offres, c'est par lot, par type de prestation sollicitée.

Concernant la sous-traitance, lorsque nous répondons aux appels d'offres, nous mettons en place des groupements pour proposer, au-delà de nos compétences internes, un réseau de sous-traitants, notamment locaux, capable d'apporter des prestations spécifiques.

Selon les appels d'offres, le montant des prestations de sous-traitance s'élève entre 5 et 10 %. C'est une part assez faible des volumes.

M. Arnaud Bazin, président. - Vous faites appel à la sous-traitance pour environ 5 à 10 % du montant ?

M. Karim Tadjeddine. - Exactement. C'est relativement marginal, lorsqu'en cas d'expertise spécifique, nous ne sommes pas capables de l'assurer en interne.

M. Arnaud Bazin, président. - Êtes-vous, à l'inverse, sollicités par d'autres cabinets comme sous-traitants ?

M. Karim Tadjeddine. - C'est marginal. Nous le sommes très rarement.

Mme Éliane Assassi, rapporteure. - Je rebondis sur la question de Jérôme Bascher sur votre participation à l'ouvrage L'État en mode start-up avec Thomas Cazenave. Ne l'avez-vous pas aussi connu lors de la rédaction du rapport Attali ?

M. Karim Tadjeddine. - Je ne pense pas.

Mme Éliane Assassi, rapporteure. - Je reviens à la crise sanitaire.

McKinsey aurait perçu 13,5 millions d'euros au titre de cette crise, essentiellement à partir de décembre 2020 pour l'organisation de la campagne vaccinale.

Quel a été le rôle exact de votre cabinet dans la définition et la conduite de la politique vaccinale ? Quelle est l'expertise de McKinsey, cabinet généraliste, sur ce sujet très spécifique ?

L'intervention de McKinsey a-t-elle permis de rattraper les retards du début de la campagne de vaccination en France ?

M. Thomas London. - Nous avons été sollicités fin novembre 2020 pour appuyer les équipes du ministère dans le déploiement de la campagne vaccinale contre le covid-19. Je prendrai un peu de temps pour bien expliciter notre rôle et pour illustrer les principes d'intervention que mon collègue mentionnait tout à l'heure. Je reviendrai sur le cadre et le contexte de la mobilisation, je préciserai les expertises mobilisées en complément de celles du ministère, avant d'apporter quelques précisions sur notre intervention et ce qui en était exclu.

Contractuellement, ces prestations ont été réalisées dans le cadre du marché avec la DITP. Début décembre, il a fallu très rapidement bâtir, en quelques semaines - puisque les premières injections ont eu lieu fin décembre -, un réseau de distribution de plus de 20 000 points de vente, 2 000 centres de distribution, en mesure de prendre des commandes de près de 90 000 professionnels avec des enjeux très forts de délais et de qualité de service, pour des produits dont la logistique était complexe : il y avait plusieurs circuits de distribution, plusieurs vaccins, avec pour certains des contraintes de stockage à moins 80 degrés, avec des contraintes de temps de transport maximum pour que les vaccins ne se détériorent pas. Il donc fallu bâtir, en quelques semaines, ce schéma.

Entre janvier et avril 2021, il a fallu, chaque mois, doubler le volume des injections et donc des livraisons de doses : 1,5 million en janvier, 12 millions en avril, 18 millions en juin et en juillet. Il a aussi fallu que le ministère bâtisse un système qui lui permette de coordonner, dans un laps de temps extrêmement rapproché, environ 250 000 personnes impliquées dans la campagne de vaccination.

Nous sommes très fiers d'avoir eu l'occasion de participer à cette campagne et d'aider à ce que des résultats ambitieux soient atteints. En un an, 125 millions d'injections ont été réalisées, contre une dizaine de millions d'injections pour la campagne annuelle vaccinale contre la grippe. Ce furent donc des enjeux majeurs, une mobilisation en appui et en complémentarité des ressources du ministère et du grand nombre d'acteurs mobilisés, avec des résultats tangibles.

Pour cela, nous nous sommes appuyés sur différentes expertises en termes de logistique, de campagne de vaccination, de gestion de crise et de gestion de projets de grande ampleur et d'une grande complexité. Concevoir une telle infrastructure opérationnelle dans des délais aussi courts, c'est un enjeu auquel une administration n'est confrontée que très épisodiquement - fort heureusement ! Nous, c'est une typologie de projet que nous conduisons régulièrement. Sur les six dernières années, nous sommes intervenus dans la reconfiguration d'environ 700 chaînes logistiques mondiales. Voilà l'expertise que nous avons.

M. Arnaud Bazin, président. - Est-ce justifié par le fait qu'il y avait de nombreux lieux de distribution et beaucoup d'acteurs pour effectuer la vaccination ? C'est un choix qui a été fait. En 2009-2010, au moment de l'épisode de grippe H1-N1, les choix de distribution étaient radicalement différents et entièrement gérés par l'administration, avec des « vaccinodromes ».

Avez-vous, par votre expertise, par des éléments proposés à l'administration, participé à la décision de ne pas reproduire ce schéma de vaccinodromes pour un choix de diffusion beaucoup plus complexe à gérer ?

M. Thomas London. - Pour être clair, nous n'avons pas eu de rôle dans la définition de la stratégie vaccinale en tant que telle. Notre rôle était dans l'opérationnalisation des choix logistiques.

M. Arnaud Bazin, président. - Dans la logistique ?

M. Thomas London. - Oui, dans l'opérationnalisation des décisions et des actions qui ont suivi ces choix. Les choix tels que qui vacciner, dans quel ordre, quel vaccin utiliser, quels devaient être les lieux de vaccination, quels effectifs devaient être mobilisés, le passe vaccinal, les actions de communication, étaient exclus de notre périmètre d'intervention. C'est important de le préciser.

Concrètement, nous avons appuyé la task force interministérielle sur trois volets : d'abord, le cadrage opérationnel et la mise à l'échelle des flux logistiques. Nous avons apporté un appui à la mise en oeuvre de pilotes, puis de tests à l'échelle de différents schémas logistiques. Nous avons ensuite construit des outils de pilotage qui permettent un ajustement continu, de manière à s'assurer que la qualité de service soit au rendez-vous et qu'elle suive l'évolution de la campagne. Par exemple, avant l'été, il nous a fallu anticiper les déplacements de population durant les vacances pour nous assurer que les vaccins seraient là où se trouve la demande durant l'été. Nous avons donc eu, tout au long de la campagne, des sujets très opérationnels à gérer.

Après cet appui pour le pilotage des flux, nous nous sommes mobilisés pour accompagner les processus et les outils de coordination de la campagne. Nous avons défini les rôles et les responsabilités pour que les centaines d'actions qui devaient être menées en parallèle soient instruites comme il se devait. Puis nous avons mis en place le processus de suivi pour identifier très tôt où il y avait éventuellement des déviations et des mesures correctives à apporter.

Enfin, nous avons fait du benchmarking et avons réalisé une cartographie et un suivi en continu de l'avancement des campagnes de vaccination dans d'autres pays, à la fois pour éclairer les choix pris et pour comparer l'avancement de la campagne française à la situation internationale.

M. Arnaud Bazin, président. - En janvier 2021, vous avez eu aussi une mission pour la mise en place d'une « tour de contrôle stratégique » auprès de Santé publique France, pour 605 000 euros. Selon les informations recueillies, vous avez participé à l'animation et à la mise en place de « briefs quotidiens transverses internes » à Santé publique France, deux fois par jour, à 9 heures et à 15 heures. En quoi consistait concrètement cette mission ?

M. Thomas London. - Dès les premières semaines de la campagne, il est apparu que Santé publique France avait un rôle absolument central et qu'un grand nombre des actions étaient sous sa responsabilité, avec des délais à mesurer en heures plutôt qu'en jours ou semaines, dans un contexte de tensions fortes sur les ressources, en raison de la grande quantité d'activités à gérer en parallèle.

C'est le ministère qui nous a demandé cet appui complémentaire auprès de Santé publique France - je pense que Mme Chêne vous l'a précisé lors de son audition - pour appuyer ces travaux de coordination extraordinairement intenses. J'insiste sur le côté exceptionnel de la situation : il s'agissait de conduire des « revues d'anticipation », plusieurs fois par semaine, pour anticiper les sujets pouvant engendrer des risques opérationnels sur les activités de Santé publique France.

Quelques exemples : comment assure-t-on l'anticipation de la montée des cadences de livraison sur les capacités de stockage à moins 80 ou à moins 20 degrés, la capacité de transport et la nature des transports nécessaires, la capacité des établissements pivots qui ont joué un rôle clé dans un certain nombre de flux logistiques...

À chaque fois qu'une décision était prise au niveau ministériel, il fallait prendre en compte toutes les implications potentielles pouvant poser des difficultés.

M. Arnaud Bazin, président. - Cette « tour de contrôle » était en fait une déclinaison des questions logistiques que vous aviez en mission préalablement ?

M. Thomas London. - La « tour de contrôle » mise en place au sein de Santé publique France avait pour but de suivre et d'aiguiller tous les aspects logistiques. C'était quelque chose de très opérationnel, pour coordonner l'ensemble des actions en cours. Au fond, on parle d'une fonction de gestion de projets.

Par exemple, cette « tour de contrôle » permettait de s'assurer que tous les problèmes étaient anticipés et que tous les aléas qui se produiraient étaient gérés dans des délais permettant d'assurer la bonne qualité de service. Sur les flux amont, pour l'approvisionnement des dispositifs médicaux, il fallait pouvoir réagir si un avion était bloqué ou si un fournisseur avait un retard de livraison. Nous anticipions comment gérer cette situation. Dans les flux aval, c'était savoir comment traiter les aléas dans les livraisons, les exclusions de température...

Cette « tour de contrôle » était là pour s'assurer de la coordination et de la gestion, dans des délais extrêmement courts, avec des enjeux de qualité de service important, pour que le résultat soit au rendez-vous.

M. Arnaud Bazin, président. - À côté de cette mission, il semble qu'un de vos collaborateurs a été mis à disposition de Santé publique France et du ministère de la Santé afin, je cite, « d'assurer la coordination opérationnelle sur le volet logistique-approvisionnement-distribution des vaccins », qui semble être le sujet de cette « tour de contrôle ». Cette personne, qualifiée d'« agent de liaison », a fait l'objet d'une facturation de 170 000 euros. Comment cela s'articule-t-il avec le marché précédent ?

M. Thomas London. - L'articulation s'est réalisée dans le temps.

Dans un premier temps, le ministère nous a demandé de venir appuyer cette coordination extraordinairement intense à partir de la mi-décembre. C'est cette fonction-là qui a été qualifiée d'« agent de liaison », pour s'assurer de l'anticipation et de la coordination d'actions prises au sein du ministère, des autorités régionales de santé (ARS) et de Santé publique France.

Mme Éliane Assassi, rapporteure. - Ne pensez-vous pas que des hauts fonctionnaires pourraient remplir cette mission d'agent de liaison ? Cela semble assez étonnant de faire appel à un cabinet de conseil pour faire la liaison entre deux structures...

M. Thomas London. - Je ne m'attarderai pas sur le terme d'« agent de liaison », qui peut interroger. Mais il était nécessaire de coordonner finement, à l'heure près, et en parallèle, toute une série d'activités très complexes, dans un contexte de tension sur les ressources, pour une bonne qualité de service.

M. Karim Tadjeddine. - La réponse est oui ; mais il faut se rappeler le contexte. Nous avons été appelés tout début décembre, et il fallait réagir très vite. Nous avons fait ce rôle de manière temporaire. Ensuite, notre rôle a été de faire monter une équipe dédiée qui a repris l'ensemble de ces tâches, et nous nous sommes désengagés.

Mme Éliane Assassi, rapporteure. - Et si malheureusement la crise s'amplifie - ce que nous n'espérons pas - il n'y aurait toujours pas de personnel au sein de l'administration pour assumer ces missions ? C'est une grande question...

M. Karim Tadjeddine. - Nous avons mobilisé, pendant les vacances de Noël, une équipe d'une vingtaine de personnes pour permettre le lancement de la vaccination.

Ensuite, et je l'ai dit dans mon propos liminaire, ce n'est pas notre rôle d'exercer durablement ces missions. Notre rôle, c'était de construire une équipe qui puisse ensuite opérer dans la durée. Oui, le ministère de la santé doit déployer des équipes pour faire face à cela.

M. Arnaud Bazin, président. - Si j'ai bien compris, la première mission était une préfiguration, qui s'est avérée insuffisante en dimensionnement. Du coup, vous avez enchaîné avec quelque chose d'un peu plus robuste : « la tour de contrôle ».

Comment cela est-il compatible avec le système de « tourniquet », puisque vous réalisez successivement deux missions ? J'avais compris qu'il y avait une rotation entre les prestataires de l'accord-cadre...

M. Karim Tadjeddine. - Dans le principe du « tourniquet », lorsqu'il y a une continuité de projet, le cabinet demeure, pour éviter toute rupture de charge vis-à-vis de l'administration. Il aurait été inexplicable de faire une transition au milieu de la crise.

M. Arnaud Bazin, président. - Cela peut s'entendre, mais le « tourniquet » semble être à géométrie variable...

M. Karim Tadjeddine. - Non, c'est prévu dans le cahier des charges. Lorsque le principe de continuité justifie le maintien du titulaire, il demeure.

M. Arnaud Bazin, président. - Vos consultants ont-ils eu physiquement accès à la cellule interministérielle de crise ? Si oui, à quelles procédures de sécurité et de vérification ont-ils été soumis au préalable ?

D'après les informations que nous avons recueillies, vous auriez par exemple appuyé la task force dans la synthèse et la préparation des réunions ou de « comités clés ».

M. Thomas London. - Le travail de l'équipe s'est fait au sein du Centre de ressources documentaires ministériel (CRDM) où est basée la task force interministérielle de gestion de la crise. Notre équipe a donc eu accès aux salles de réunion du CRDM.

M. Arnaud Bazin, président. - Donc oui, vous avez eu accès à cette cellule. Y avait-il des procédures particulières de sécurité ?

M. Thomas London. - Chacun des consultants mobilisés a rempli une déclaration d'intérêts préalablement aux travaux ; l'accès au CRDM est protégé par des badges. Nos consultants ont eu accès à des badges, au même titre que les agents qui y travaillent.

M. Karim Tadjeddine. - Nous avons toujours travaillé au CRDM qui est situé au ministère de la santé. Nous n'avons jamais accédé à d'autres centres de crise situés ailleurs.

Mme Éliane Assassi, rapporteure. - Vous n'avez jamais participé au Conseil de défense ?

M. Karim Tadjeddine. - Non, jamais.

Notre rôle a été uniquement d'aider la task force du ministère de la santé. Nos équipes étaient installées là-bas et travaillaient avec un badge en respectant les consignes de sécurité applicables à l'ensemble des salariés.

M. Arnaud Bazin, président. - Travaillez-vous toujours sur des missions liées à la crise sanitaire ?

M. Thomas London. - Fin décembre, le ministère nous a sollicités pour apporter un appui ponctuel à la task force sur la campagne de rappel vaccinal dans le contexte de rebond de l'épidémie.

Mme Éliane Assassi, rapporteure. - Les missions d'agent de liaison sont donc terminées ? C'est un fonctionnaire qui a repris le flambeau ?

M. Thomas London. - Oui. Je précise que nous avons toujours eu le souci de développer les compétences des équipes, et de transférer nos outils et modèles aux équipes de la task force et aux agents publics.

M. Stéphane Sautarel. - Vous nous avez expliqué que le secteur public représentait 5 % de votre activité et que vous pratiquiez des prix inférieurs à ceux que vous pratiquez dans le secteur privé. Vous avez indiqué que vos interventions pro bono étaient conformes aux missions sociétales poursuivies par votre société, et vous avez cité quelques exemples, comme les Jeux Olympiques. Or il me semble qu'une telle mission pourrait représenter un marché important. Pourtant vous avez aussi dit que vous ne meniez pas de mission marchande après des interventions pro bono.

Je m'interroge donc sur votre modèle économique : pourquoi engager des moyens dans des missions pour le service public à un prix inférieur à vos autres interventions ?

M. Karim Tadjeddine. - Notre mission relative aux Jeux Olympiques était en amont, au moment du dépôt de la candidature de la France. Nous n'avons pas eu de mission payante par la suite.

Le secteur public nous semble important pour notre économie, et il nous paraît pertinent d'accompagner les responsables publics dans la mise en oeuvre de programmes majeurs pour le bien-être collectif, à l'image de la vaccination par exemple. Nous avons volontairement accepté d'appliquer des tarifs moindres pour pouvoir y opérer. Cela dit, plusieurs cabinets de conseil font le choix de ne pas intervenir dans ce secteur. Il est donc important pour le secteur public de créer les conditions pour lui permettre d'avoir des partenaires fiables dans la durée, dans des conditions économiques viables.

M. Laurent Burgoa. - Comment contrôlez-vous que vos salariés n'ont pas de conflits d'intérêts entre leurs activités professionnelles et extra-professionnelles, associatives ou politiques ? Avez-vous une preuve écrite de ce contrôle ?

M. Karim Tadjeddine. - Nos salariés signent un code de conduite, qui contient certains engagements. Dans la perspective de la campagne présidentielle, nous avons ainsi réaffirmé les principes très clairs qui encadrent les conditions de participation à une campagne électorale.

M. Arnaud Bazin, président. - Avez-vous les moyens de suivre le temps de présence de vos salariés, et de vous assurer qu'ils consacrent bien leur temps de travail à leur mission et non à d'autres activités ?

M. Karim Tadjeddine. - Nous avons un système de suivi, de staffing pour suivre l'activité de nos consultants. Lorsqu'un consultant participe à une mission, cette information figure dans nos bases et nous pouvons reconstituer son activité.

M. Arnaud Bazin, président. - Évidemment, on ne s'attend pas à ce que fassiez pointer vos consultants ! Vous nous dites que vous pouvez vérifier qu'ils accomplissent bien leurs missions en comparant les objectifs qui leur sont assignés et les produits rendus ?

M. Karim Tadjeddine. - Oui. Je sais si un consultant est affecté à une tâche, mais il est certain que si la personne utilise son téléphone personnel pour des activités personnelles ou autres, je ne peux pas le tracer, et ce ne serait d'ailleurs pas souhaitable.

M. Patrice Joly. - Thomas London a été membre du Comité Action Publique 2022, dont il semble, si l'on en croit ses préconisations, qu'il avait une vision essentiellement budgétaire des missions du service public.

Comment estimez-vous que votre cabinet se situe sur le plan idéologique ou philosophique ? Certains membres du cabinet ont des liens avec certains think tanks, comme l'Institut Montaigne par exemple.

M. Karim Tadjeddine. - Votre question concerne notre neutralité et l'idéologie implicite qui peut se trouver véhiculée dans nos propositions. C'est une question fondamentale. Nous sommes très sensibles à cet aspect et suivons avec attention les travaux des sociologues sur la réforme de l'État ou le new policy management.

Nous ne considérons pas que le secteur public s'apparente à une entreprise privée. Nous ne croyons pas que nous puissions transposer telles quelles toutes les solutions applicables dans le privé, même si certains processus métiers peuvent être sources d'inspiration pour les décideurs publics : par exemple, dans le traitement des dossiers, il faut toujours s'assurer de la complétude des dossiers lors des différentes étapes.

On ne peut pas non plus transposer mécaniquement des solutions en cours à l'étranger : il faut tenir compte de l'histoire et du contexte de chaque pays. C'est pourquoi notre cabinet s'est implanté à Paris, pour travailler auprès de ses clients. Mais, là encore, les problématiques rencontrées étant proches, c'est une richesse de pouvoir proposer aux responsables opérationnels publics des solutions inspirées de celles retenues ailleurs, en les adaptant au contexte politique, institutionnel et social français.

Nous n'envisageons pas l'activité publique sous le prisme uniquement budgétaire : pour nous, sa finalité est d'améliorer le bien-être des citoyens. Dès lors, s'agissant du coût, l'essentiel est d'analyser le rendement économique et social de chaque euro investi.

Une autre critique qui nous est souvent faite est que nous aurions le culte des indicateurs. Notre rôle n'est pas de prendre des postures, mais d'apporter des analyses factuelles pour éclairer la prise de décision. En amont, nous essayons d'évaluer les différents scénarios ; en aval, nous cherchons à construire les indicateurs permettant de mesurer l'expérience client et l'efficacité des politiques, afin de faciliter leur pilotage par les responsables publics.

M. Thomas London. - Sur la CAP 2022, j'ai répondu à titre personnel à une sollicitation de l'exécutif. Il s'agissait d'un travail collectif qui a mobilisé une quarantaine d'experts. J'ai contribué aux travaux sur la santé.

M. Arnaud Bazin, président. - Pourriez-vous nous préciser dans quel cadre vous avez effectué cette intervention ? Était-ce un marché public ?

M. Thomas London. - Non, c'était une sollicitation de l'exécutif...

M. Arnaud Bazin, président. - C'était donc une prestation gratuite et bénévole ?

M. Thomas London. - Oui, à titre personnel, pour participer à une réflexion collective sur la santé aux côtés de fonctionnaires, de professionnels de santé, de responsables associatifs, etc.

Il s'agissait de faire des propositions qui ne visaient pas seulement à améliorer l'efficience économique, mais aussi à améliorer les conditions d'accès et de prise en charge des patients, d'amélioration des conditions d'exercice des médecins et d'efficacité de la dépense.

Mme Nathalie Goulet. - Avez-vous un registre recensant les interventions extra-professionnelles de vos collaborateurs ? Cela permettrait de contrôler les conflits d'intérêts.

Pourriez-vous nous fournir un récapitulatif de vos interventions dans le temps durant la crise sanitaire, sous forme d'un schéma ?

M. Karim Tadjeddine. - Nous vous fournirons un récapitulatif.

Sur le premier point, la loi ne m'autorise pas à demander, en tant qu'employeur, à mes salariés s'ils ont des activités politiques, syndicales ou associatives.

Mme Éliane Assassi, rapporteure. - Pourriez-vous nous indiquer le montant de la mission que vous avez effectuée en décembre concernant la campagne de rappel vaccinal ?

Monsieur Tadjeddine, confirmez-vous avoir utilisé votre messagerie professionnelle pour échanger avec l'équipe de campagne de M. Macron en 2017 ? Cela ne semble pas conforme aux règles que vous nous avez présentées.

En 2019, McKinsey a obtenu une mission d'appui à la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV) pour la préparation d'une potentielle réforme des retraites, pour un montant de près de 920 000 euros. Quel était l'objet de cette mission ?

M. Thomas London. - Concernant la mission d'appui à la campagne de rappel, nous vous fournirons les éléments par écrit.

En ce qui concerne la mission d'accompagnement de la CNAV, il s'agissait de réfléchir aux axes d'évolution de l'organisme dans la perspective de la réforme des retraites, mais aussi de l'aider, d'une manière plus générale, à améliorer ses processus et son fonctionnement.

M. Karim Tadjeddine. - L'utilisation de l'adresse électronique de l'entreprise était une erreur. Je le reconnais, cela a donné lieu à une suite en interne.

M. Franck Montaugé. - Il a pu arriver, dans une période récente, que des conseillers de cabinets ministériels, anciens consultants de McKinsey France, contribuent à la définition et à la mise en oeuvre de politiques de santé publique sur lesquelles vous aviez effectué des missions dans le cadre de marchés publics. Cette situation est-elle de nature à permettre la mise en oeuvre de politiques plus efficaces pour les citoyens ?

Mme Valérie Boyer. - Quels liens avez-vous eus avec les agences régionales de santé (ARS) au cours de vos différentes activités ? En quoi les missions que vous avez remplies n'auraient-elles pas pu l'être par l'administration ?

Mme Christine Lavarde. - Monsieur London, pourquoi ne figurez-vous pas sur l'organigramme des membres de CAP 2022 ? J'y participais moi-même, mais ne me souviens pas de vous. À quel titre avez-vous participé ? Seuls les membres désignés menaient des auditions et pouvaient participer aux travaux d'écriture des rapports, même si ces derniers nous ont largement échappé... Est-ce à dire que vous avez pris la plume pour faire notre travail ?

M. Thomas London. - Monsieur Montaugé, l'information, qui est apparue lors d'une audition de votre commission, selon laquelle un collaborateur de McKinsey aurait d'abord exercé des missions pour nous avant de rejoindre le cabinet du ministère la santé, est fausse : la personne a d'abord travaillé au ministère, puis nous a rejoints, entre 2011 et 2020. Il n'y a donc pas eu d'aller-retour.

Sur les ARS, nous n'avons jamais eu l'occasion de travailler directement avec ces agences. Il est vrai que celles-ci jouent un rôle central dans la campagne de vaccination. Une part importante de notre travail au sein de la task force a consisté à aider et à structurer les liens avec les ARS.

Je ne figure pas dans l'organigramme inaugural de CAP 2022, car je n'ai pas été sollicité immédiatement : j'ai été mobilisé par l'exécutif deux ou trois semaines après sa constitution, en qualité d'expert ; j'ai participé au rapport et mon expérience rejoint la vôtre à cet égard...

M. Arnaud Bazin, président. - Les données ou la connaissance que vous accumulez lors de vos travaux au profit du secteur public sont-elles mobilisées pour d'autres prestations dans le cadre de benchmarks ? Les données de vos clients sont-elles détruites à l'issue de vos prestations ou seulement « anonymisées », pour nourrir d'autres travaux ?

La direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) vous a par exemple commandé en janvier 2021 une étude d'environ 500 000 euros sur l'utilisation des données dans la gestion de la crise sanitaire, en lien avec la stratégie nationale de santé 2018-2022. Quel a été le traitement de ces données sensibles ?

La société McKinsey France est-elle soumise au Cloud Act américain, qui donne au juge américain la possibilité d'accéder à l'ensemble de vos données ?

M. Karim Tadjeddine. - L'utilisation des données est au coeur de la relation de confiance que nous entretenons avec nos clients. Si ceux-ci avaient le moindre doute sur l'usage que nous faisons de leurs données, nous n'aurions plus de clients ! Nous n'utilisons pas les données confidentielles pour réaliser des benchmarks, ni même pour des travaux de synthèse.

Je comprends vos inquiétudes selon lesquelles nos données pourraient être « siphonnées » par le biais du Cloud Act ou du Patriot Act américain. Mais, comme Guillaume Poupard l'a expliqué devant vous, le Cloud Act n'a pas été conçu pour des sociétés comme la nôtre, mais pour des sociétés qui gèrent des données dans le domaine du cloud.

M. Arnaud Bazin, président. - Cela signifie que la loi américaine ne permet pas au juge américain de vous solliciter ?

M. Karim Tadjeddine. - En effet. La loi lui donne uniquement compétence pour des opérateurs du cloud, du stockage ou de l'hébergement de données.

Deux questions sont plus complexes. Concrètement, comment faire pour assurer la confidentialité des données ? Nous avons mis en place des principes de ségrégation des documents. Nous travaillons sur une technologie appelée Box où sont stockées les données. Il y a un nombre limité de personnes qui peuvent avoir accès à ces données et donc à ces espaces de stockage interne. Seule l'équipe habilitée, dont la liste est validée en début de projet par le commanditaire, peut avoir accès à ces données. Nous pouvons suivre et tracer qui y a accès ou non.

Les règles de stockage varient selon les contrats-cadres. Dans certains contrats, on nous demande de détruire l'ensemble des données au bout de deux, trois ou cinq ans. Dans d'autres cas, on nous demande parfois de conserver une copie des livrables. C'est ce qui est mis en place à travers ces boites dans lesquelles l'ensemble des données liées à un projet sont traitées. Aucune autre personne que celles qui sont habilitées n'a accès à ces données.

Pour nous prémunir contre un risque éventuel de piratage ou de cyberattaque, nous essayons de mettre en place les meilleures pratiques possibles de protection de nos données. Par exemple, nous recourons, dans les technologies que nous utilisons comme Box ou Zoom, un double système d'encryptage : en plus de celui qui est proposé, nous avons rajouté notre propre système, uniquement réservé à nos clients et à nous.

Nous faisons aussi appel régulièrement à des audits externes pour nous assurer que nous avons le meilleur standard. Certes, le risque zéro n'existe pas, mais nous faisons en sorte de proposer à nos clients les meilleures solutions.

M. Arnaud Bazin, président. - Je ne vous interrogeais pas sur la cybersécurité, surtout que vous devez donner des conseils en cette matière...

M. Karim Tadjeddine. - Pas moi !

M. Arnaud Bazin, président. - Des cabinets de conseil le font. On peut espérer que vous soyez particulièrement pointus sur le sujet.

Je voudrais revenir sur la notion de confiance. Les administrations ont aussi évoqué cet aspect. Je le comprends comme une relation dans la durée : s'il y a un mauvais usage de la donnée, cela finit par se savoir. En plus, les choses sont écrites dans les marchés qui sont passés, avec des obligations.

Tout cela a du sens s'il y a un contrôle du client sur le devenir de ces données. Concrètement, comment l'administration qui vous a confié des données peut-elle vérifier que tout ce que vous venez de nous décrire est effectivement mis en oeuvre ? N'est-elle pas obligée de vous croire sur parole ?

M. Karim Tadjeddine. - Il faut distinguer les différents types de données. Je ne suis pas en charge de cela pour notre cabinet, or ce sont ces questions complexes, tant d'un point de vue technique que juridique.

Je vous donne ma perception en tant que responsable du pôle « secteur public ».

Il y a trois types de données. D'abord, nous ne souhaitons pas traiter les données de nature personnelle. Elles font l'objet d'un encadrement très spécifique. Ce n'est pas notre métier de les traiter.

Ensuite, il y a des données extrêmement sensibles : nous ne souhaitons pas les héberger sur notre système. Nous demandons donc à travailler sur les ordinateurs du client pour que les données restent hébergées chez lui.

Enfin, il y a les données auxquelles nous avons accès dans le cadre du projet et des différents contrats-cadres : nous devons les traiter comme des données confidentielles. Au début du projet, nous expliquons au client les règles que je viens de vous décrire sur l'usage de Box. Nous définissons avec lui quelles personnes ont accès à ces boîtes, et nous précisons les conditions d'utilisation et de destruction des données. S'il le souhaite, nous pouvons proposer des audits pour qu'il puisse vérifier que les règles ont été bien mises en place.

M. Arnaud Bazin, président. - Les données utiles pour la gestion de la crise sanitaire ont-elles été détruites ?

M. Thomas London. - En l'occurence, il ne s'agissait pas pour nous de récolter ces données, mais de comprendre auprès des acteurs quelles étaient les données à leur disposition et pour quels usages.

Nous n'avons pas eu accès à ces données. C'était un travail sur l'usage qui en a été fait par les acteurs.

Mme Éliane Assassi, rapporteure. - Pour rire - ou pas -, pourquoi êtes-vous surnommés « la Firme » ?

M. Karim Tadjeddine. - Les débats aujourd'hui montrent que nous avons besoin d'être beaucoup plus pédagogiques et de mieux expliquer les prestations que nous faisons - ou pas - auprès des acteurs publics, très concrètement, pour que nous ne soyons plus appelés « la Firme ».

M. Arnaud Bazin, président. - Je vous remercie. Nous attendons les compléments sur les demandes écrites que nous vous avons formulées.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Recours aux cabinets de conseil par l'administration et les hôpitaux - Audition d'universitaires : MM. Nicolas Belorgey, chercheur au CNRS, Fabien Gélédan, directeur « transformation et innovation » à l'École polytechnique, et Mme Julie Gervais, maîtresse de conférence à l'Université Paris I Panthéon-Sorbonne

M. Arnaud Bazin, président. - Nous poursuivons nos travaux avec l'audition conjointe de Mme Julie Gervais, maîtresse de conférences en science politique à l'université Paris I, M. Nicolas Belorgey, chercheur au CNRS, et M. Fabien Gélédan, directeur des programmes « Management de l'innovation » à l'École polytechnique.

Mme Julie Gervais étant installée au Royaume-Uni, elle intervient par visioconférence.

Notre commission d'enquête a entrepris de cartographier l'action des cabinets de conseil dans la sphère publique, en dégageant à la fois des éléments chiffrés et des pistes de réflexion quant aux causes, à la signification et aux conséquences de cet interventionnisme croissant.

Nous souhaitions vous entendre car vos travaux vous ont conduits, à divers titres, à vous intéresser à cette thématique.

Madame Gervais, vos travaux ont porté sur la sociologie des grands corps de l'État et leurs réseaux : dans un article de 2012, vous évoquez notamment les « sommets très privés de l'État ».

Monsieur Belorgey, vous avez travaillé sur l'intervention des cabinets privés dans le monde de l'hôpital public, allant jusqu'à parler de « consultocratie hospitalière ».

Enfin, monsieur Gélédan, après une expérience de consultant et de chef de projet à la Direction générale de la modernisation de l'État (DGME), vous avez embrassé une carrière de chercheur, vous intéressant notamment aux évolutions du management et à la haute administration.

Nous espérons que vos points de vue se compléteront au mieux pour éclairer notre réflexion.

Cette audition est ouverte au public et à la presse. Elle est retransmise en direct sur le site Internet du Sénat. En raison du contexte sanitaire, nos collègues peuvent également intervenir par visioconférence.

Comme pour toutes les personnes auditionnées, je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible de sanctions pénales, qui peuvent aller, selon les circonstances, de 3 à 7 ans d'emprisonnement et de 45 000 à 100 000 euros d'amende.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Julie Gervais et M. Fabien Gélédan et M. Nicolas Belorgey prêtent serment.

Mme Julie Gervais, maîtresse de conférences en science politique à l'université Paris I. - Mes premiers travaux ont porté sur la haute fonction publique et notamment sur la formation initiale dans les grands corps, à partir du cas du corps des Ponts. Je montre notamment que ce sont des dispositifs à l'articulation entre l'État et le monde des affaires. C'est de là qu'est parti mon intérêt pour les consultants.

Au début des années 2000, on parlait encore, à l'exemple de Michel Crozier, de la résistance au changement des hauts fonctionnaires, de l'« énarchie » contre la « consultocratie » pour reprendre les termes de Denis Saint-Martin. L'idée est celle d'une exception française avec des grands corps qui retarderaient la managérialisation des politiques publiques.

Or mes observations indiquaient que non seulement les choses changeaient mais qu'en outre il n'était pas pertinent d'opposer frontalement les hauts fonctionnaires et les consultants. Les frontières n'étaient pas étanches.

Deux pistes me le laissaient penser. En schématisant, il y a d'une part la managérialisation des formations dans les grandes écoles et d'autre part, la circulation d'agents entre les sphères publiques et privées. Ces deux éléments témoignent d'imbrications plutôt que d'oppositions radicales.

Je me suis intéressée au rôle d'entremetteur joué par certains passeurs, des personnes positionnées à l'articulation des sphères publiques et privées, qui contribuent à la porosité des frontières. En tant qu'observatrice, j'ai intégré des lieux de sociabilité qui agissent comme des relais entre les consultants, des personnalités politiques et de très hauts fonctionnaires.

En ce qui concerne la consultocratie, du côté des grands cabinets de conseil, c'est dans les années 90 que l'on voit s'ouvrir des directions dévolues au secteur public. C'est un secteur florissant. La réforme de l'État est un processus permanent comme l'exprime mon collègue Jean-Michel Eymeri-Douzans. L'apport des contrats avec le public est limité en termes de chiffre d'affaires, cependant le secteur public est considéré comme un relais de croissance. Il s'agit d'une bonne carte de visite, c'est une garantie de sérieux et de fiabilité.

C'est dans les années 2000 que la production d'expertise sur l'administration va s'ouvre réellement au secteur privé. On observe alors une nette accélération du recours aux cabinets dans l'administration en France. Ils entrent par la voie des audits de modernisation et élargissent ensuite leur champ d'action avec la révision générale des politiques publiques (RGPP). Il y a des variations intéressantes entre la RGPP, la modernisation de l'action publique (MAP) et la direction interministérielle de la transformation publique (DITP). Pour documenter précisément l'évolution de ces politiques, il faudrait qu'il y ait moins d'opacité sur le budget consacré au conseil et sur le contenu même de ces prestations.

La RGPP a certes offert des opportunités aux cabinets : elle leur a ouvert un accès à l'État. Il ne faudrait cependant pas laisser croire que les consultants auraient assiégé l'État face à des hauts fonctionnaires rétifs. En réalité, un tournant s'est opéré bien avant : les conditions de possibilité de cette accélération sont à chercher dans la généralisation d'un esprit gestionnaire au sein de l'État dès les années 70, mais aussi dans le rôle qu'a joué l'élite dirigeante au sein du ministère de l'économie, des finances et du budget. Autrement dit, les cabinets de conseil n'ont pas introduit le nouveau management public au sein de l'État.

L'essentiel n'est pas de souligner la diffusion de catégories issues du secteur privé, car il ne s'agit pas seulement de considérations gestionnaires. Cela relève d'un système collusif, pour reprendre les termes de Pierre France et Antoine Gaucher. C'est la question de la circulation des élites, du rôle du pantouflage et des privatisations qui ont préparé le terrain. Cela ne concerne pas tous les hauts fonctionnaires, mais ceux qui constituent la noblesse managériale public-privé.

Cela se fait par le recrutement de consultants dans des cabinets ministériels, par leur rôle de conseiller des décideurs, par le fait que des fonctionnaires du Conseil d'État comme Édouard Philippe deviennent des lobbyistes ou que des inspecteurs des finances travaillent chez Rotschild.

Ce qui est en jeu, ce n'est donc pas tant une opposition privé-public ou État-marché que l'existence d'un État managérialisé porté par certains très hauts fonctionnaires qui entretiennent des relations d'affinité avec des acteurs privés, et qui partagent la même vision des services publics.

Le rôle des consultants est essentiel dans la diffusion du nouveau management public, parce qu'ils ont pu trouver des oreilles bienveillantes auprès de cette noblesse managériale, responsables politiques compris.

Comment définir les relations entre haute administration et cabinets de conseil ? Est-ce qu'il y a un tropisme en faveur de ces cabinets ? Est-ce qu'il y a une rivalité entre hauts fonctionnaires et consultants ?

Il n'y a pas une haute fonction publique qui partagerait une position unanime. Il faudrait pouvoir examiner la situation au sein de chaque grand corps. Ainsi, j'ai pu constater que celui des Ponts était tiraillé entre devoirs publics et désirs privés. Pour simplifier, on peut mettre en avant deux types d'attitudes des hauts fonctionnaires vis-à-vis du monde du conseil : ceux qui s'en accommodent et y recourent volontiers et ceux qui perçoivent les consultants comme des rivaux. Ce qui m'interroge, c'est que ces deux attitudes apparaissent en opposition mais viennent toutes deux mettre en péril l'expertise interne de l'État.

Avec les hauts fonctionnaires qui voient une valeur ajoutée au recours au conseil, il y a un risque, voire un objectif assumé de déperdition de certaines compétences en interne, dans une logique visant à recentrer l'État sur son coeur de métier et à réduire son périmètre. C'est cependant parfois le coeur de métier lui-même qui est concerné, comme lorsque la rédaction d'un texte réglementaire est confiée à Capgemini.

De l'autre côté, il existe une rivalité qui n'est pas dénuée d'une forme de fascination. Des hauts fonctionnaires vont emprunter aux consultants leurs méthodes, leurs thèmes et leurs approches. Cela est encore relativement limité, on ne trouve pas trop d'executive summaries (résumés opérationnels) dans les rapports d'inspection, qui conservent une forme très littéraire : il y a moins de tableaux ou d'outillage que dans des documents de consultants. Le tropisme est cependant bien présent. Les magistrats de la Cour des Comptes que j'ai pu interroger évoquent le recours direct à des cabinets de conseil en interne. Ils sont par exemple accompagnés par BearingPoint dans la réforme des juridictions financières.

Cela passe également par la duplication des préconisations des cabinets de conseil : nécessité du benchmarking, évaluation à 360°, etc. Plus généralement, cela passe par l'évolution de l'orientation des rapports de la Cour des Comptes : Thomas Lépinay montre dans sa thèse que les rapports, d'abord focalisés sur des questions de régularité, ont évolué vers des enjeux d'efficacité, d'organisation voire sur les politiques publiques elles-mêmes. C'est toute la thématique du transfert de compétence : apprendre à faire comme les consultants.

D'une part, cette relation ne semble pas fonctionner - je renvoie là au problème de la mémoire de l'administration et de la circulation de l'information en son sein. D'autre part, vouloir affranchir les fonctionnaires et leur donner les moyens de l'autonomie en organisant leur dépendance avec cette forme de transitoire pérennisé est un calcul risqué. Il n'y aurait alors rien de surprenant à ce que certains politiques finissent par préférer l'original à la copie.

M. Fabien Gélédan, directeur des programmes « Management de l'innovation » à l'École polytechnique. - Je me suis intéressé aux consultants non pas parce qu'ils m'intéressaient en tant que tel, mais parce que, dans le cadre d'une thèse, j'ai été en immersion à la DGME de 2009 à 2014. J'ai croisé beaucoup de consultants à ce moment-là, étant moi-même un ancien consultant embauché pour travailler sur des questions de simplifications administratives.

À mon arrivée en 2009, les audits de la première vague de la RGPP étaient terminés et ceux de la deuxième vague commençaient tout juste. Connaissant mal le secteur public, j'ai néanmoins trouvé mes marques assez facilement car les consultants représentaient plus de la moitié des effectifs, beaucoup plus si l'on ne tenait pas compte des supérieurs hiérarchiques et les services purement administratifs. La DGME venait d'être réorganisée et « restaffée » avec l'idée qu'il fallait des consultants pour piloter des consultants. Il fallait « unir le meilleur du public avec le meilleur du privé ». C'est à cette époque que le cabinet Mars & Co avait été missionné pour noter les ministres en fonction d'un certain nombre d'indicateurs composites. Cela faisait partie de la politique de rupture qui allait avec la RGPP, et la DGME était portée par ce vent.

C'est donc en faisant une sorte d'ethnographie de la modernisation de l'État que je me suis intéressé aux consultants.

Peut-on parler de consultocratie ? Je me suis permis de répondre par la négative pour ce qui concerne la RGPP. C'est un moment ou beaucoup de consultants sont arrivés dans l'État et ont contribué à diffuser des nouvelles méthodes. J'ai appelé ce phénomène « introduction sous contrainte », notamment pour les méthodologies de management. Pendant la RGPP, il y avait un système de gouvernement global de la réforme qui remontait directement à l'Élysée et à Matignon.

Cette gestion à très haut niveau était combinée à un système de feux. Si vos mesures avançaient, elles recevaient un feu vert ; si elles n'avançaient pas conformément à ce que la DGME considérait comme un progrès normal, elles étaient affectées d'un feu orange, voire rouge. Au début, les ministres étaient convoqués régulièrement et se faisaient réprimander s'ils avaient trop de feux rouges ou orange. Ils détestaient cela.

Nous nous rendions donc auprès des administrations pour leur dire que certains feux orange pourraient être levés si elles introduisaient un peu de lean management, et s'il était possible de commencer une expérimentation chez elles. Nous arrivions avec des méthodes que nous introduisions dans les administrations. Au début, elles les recevaient avec méfiance. Des secrétariats généraux nous ont dit que c'était américain, puis que c'était japonais - le lean est inspiré de la méthode Toyota et certains mots comme le kaizen renvoient à des concepts japonais. Finalement, on a tout voulu mettre à la sauce lean : les préfectures, la police des frontières, les tribunaux, etc.

Cet exemple du lean montre bien comment se fait cet export sous contrainte, et comment arrive cette sorte d'accoutumance aux consultants et à ces méthodes : elles permettent notamment d'afficher des résultats chiffrés. Très souvent, les consultants obtiennent ce qu'ils appellent des « victoires rapides », les quick wins, qui vont permettre de prouver très vite la légitimité de leur action. C'est quelque chose de très puissant : là où il n'y avait pas de résultats depuis des années, vous vous retrouvez très vite avec 50 % d'amélioration dans le délai de traitement de tel ou tel type de dossier. Cela permet à l'administration de rendre des comptes de manière positive et aux consultants de s'installer comme ceux qui maîtrisent ces moyens d'améliorer très rapidement les choses.

Il est très compliqué de parler de consultocratie, car les consultants ne définissent pas les politiques publiques. Cependant, ils ont joué un rôle central lors de la RGPP, en lien avec la DGME, grâce aux marchés à bon de commande qui permettaient d'y recourir de manière systématique et grâce aux mécanismes de gouvernement global de la réforme.

Cependant, même avec la RGPP, il ne faut pas perdre de vue la forte diversité parmi les consultants. On ne peut pas parler des consultants de McKinsey comme de ceux de BearingPoint, ils ne font pas forcément la même chose et même chez McKinsey, tout le monde ne fait pas de la stratégie.

Les gros bataillons de consultants ont des profils plutôt junior ; ils sont affectés à d'importantes opérations de fusion, de réorganisation, qui ont été décidées au-dessus de leur niveau. Ils ne décident ni de l'orientation ni de la manière dont sont conduites les opérations. Il y a en revanche des individus qui peuvent parler à l'oreille des dirigeants, mais ils sont assez peu nombreux, et je ne suis pas sûr qu'ils n'étaient pas déjà là avant.

Un moyen d'objectiver mes propos serait d'évaluer le taux journalier moyen (TJM) des consultants - je n'ai pas les chiffres car ils sont très difficiles à trouver. Je pense que le TJM moyen a baissé, alors que le nombre de jours de conseil est plutôt en augmentation. Cela signifierait que de gros bataillons de consultants plus junior sont affectés à des tâches d'exécution.

Les cabinets ont-ils participé à la définition en France du Nouveau Management Public (NMP) ? Je ne sais pas très bien ce qu'est le NMP, et je n'en ai jamais entendu parler pendant la RGPP. Personne n'en parlait, sauf les chercheurs et les journalistes. Au sein de la DGME, on m'a même demandé d'expliquer ce qu'était le NMP parce que je faisais de la recherche !

Y a-t-il eu un apport d'outils néomanagériaux ? Oui, bien sûr. Je dirais même que c'est normal, les consultants sont payés pour cela, y compris dans le privé. Le client a recours à des consultants pour avoir accès au meilleur de l'état de l'art en matière de pratiques ou de méthodes. C'est pour cette raison que les consultants eux-mêmes veulent se renouveler en permanence. Aujourd'hui, ils essaient, en achetant des cabinets de conseil spécialisés, de s'approprier les prestations de design et de design thinking qui ont été introduites dans la fonction publique et dans la modernisation de l'action publique. Accenture a ainsi racheté Fjord, et McKinsey a racheté des cabinets de design.

À travers le NMP, on fait référence à des choses très différentes. Il y a aussi bien des consultants qui travaillent sur des mesures de performance et de productivité de type lean - Roland Berger a par exemple produit un rapport sur l'administration libérée - que des consultants qui travaillent sur de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC).

La question est moins la participation du consultant à la diffusion du NMP que le fait qu'il adopte toujours une approche solutionniste. Il n'interroge pas ou peu le cadrage qu'on lui propose. Si on lui pose un problème en termes de gestion de flux, par exemple dans le cas d'une préfecture confrontée à des queues trop longues, il va tenter de faire disparaître cette queue avec des outils de lean management.

Cela marche un temps, puis cela ne marche plus, parce qu'il y a de l'entropie dans les organisations, parce que les gens partent, parce que ces méthodes sont violentes et ne marchent que tant que le consultant est là. Est-ce qu'il n'en reste rien ? Ce n'est pas tout à fait vrai. Il en reste quelque chose, mais pas nécessairement la diminution des queues. C'est aussi pour cette raison que l'approche solutionniste est quelque peu dommageable.

À cet égard, il peut être intéressant de se demander pourquoi les problèmes leur sont posés de manière gestionnaire, ce qui appelle des solutions gestionnaires.

M. Nicolas Belorgey, chercheur au CNRS. - Agrégé de sciences économiques et sociales, j'ai consacré ma thèse, effectuée entre 2003 et 2009 à l'EHESS, aux hôpitaux. J'ai couvert une quinzaine d'établissements de toute taille, sur la France entière, et une agence, la Mission d'expertise et d'audit hospitaliers (MEAH), alors responsable de la réorganisation hospitalière dans le cadre du plan Hôpital 2007. Ce plan avait été lancé en 2003 par Jean-François Mattri, ministre de la santé du gouvernement Raffarin. La MEAH a ensuite été fusionnée avec l'Agence nationale de la performance des établissements publics hospitaliers (ANAP) sous le ministère Bachelot, en 2009.

Au cours de cette thèse, j'ai constaté avec surprise la présence massive des consultants dans les hôpitaux. Une partie de mon travail a donc porté sur ces consultants, replacés dans le contexte de la politique hospitalière. Plus précisément, j'ai mené une observation participante au sein de la MEAH, travaillant gratuitement pour celle-ci en échange d'un droit de regard sur l'activité de ses consultants. J'avais précédemment essayé de travailler en tant que sociologue pour des consultants, mais cela m'avait été refusé au motif que les clients ne comprendraient pas la présence d'un tiers.

J'ai ainsi été en contact avec une vingtaine de cabinets de conseil. Cette expérience m'a donné une image du secteur du conseil dans les hôpitaux à l'état « natif ».

J'ai ensuite continué à travailler sur le secteur de la santé, en m'intéressant aux hôpitaux, aux cliniques et à la question de la dépendance. Mes principaux travaux sont un ouvrage issu de ma thèse, L'Hôpital sous pression, et une vingtaine d'articles dans différentes revues scientifiques et grand public consacrés à ces questions, dont le dernier a été publié l'année dernière.

Vous m'avez interrogé, dans votre questionnaire, sur le terme de « consultocratie ». Il a été forgé par les Britanniques Christopher Hood et Michael Jackson en 1991 et repris par le Canadien Denis Saint-Martin pour caractériser l'emprise croissante des consultants sur le « Nouveau management public » et l'administration.

L'expression « Nouveau management public » désigne un ensemble d'idées et de pratiques inventées par les administrations Thatcher et Reagan dans les années 1980, qui consistent, dans une définition minimale, à importer dans le secteur public des outils et des idées du secteur privé.

Peut-on parler de « consultocratie » dans la santé ? Mon collègue Frédéric Pierru et moi-même avons repris ce terme dans un article de 2017, en utilisant le point d'interrogation. Néanmoins, la réponse est globalement positive : il y a bien eu une emprise croissante des consultants dans le secteur de la santé. Leur influence passe directement par des personnes qui alternent entre des fonctions de consultants et des positions de pouvoir dans l'administration ou dans la politique.

En voici un exemple topique, déjà ancien : celui de Jean de Kervasdoué, directeur des hôpitaux de 1981 à 1986, qui a fondé par la suite la Sanesco, société de conseil qui a pu travailler dans ce secteur grâce aux changements qu'il y avait impulsés.

Autre exemple que j'ai pu observer directement, celui d'un ancien membre du cabinet de Jean-François Mattei, qui a participé à la conception du plan Hôpital 2007 avant de développer la branche santé du cabinet de conseil Ineum, ensuite devenu Kurt Salmon puis Accenture. Cette personne exerçait une grande influence au sein de la MEAH, tout en y obtenant beaucoup de ses contrats.

On pourrait également citer CapGemini, qui a contribué à la conception de l'ANAP, et certaines personnes qui ont travaillé dans le conseil - notamment chez McKinsey - avant et après leur passage au cabinet de Roselyne Bachelot.

Peut-on considérer que les cabinets de conseil ont participé en France à la diffusion du Nouveau management public ? Bien sûr. Il existe une grande affinité entre ce concept, inventé par des administrations politiquement conservatrices, voire réactionnaires, et les outils développés qui, sous des prétextes d'efficience et de meilleur service rendu aux donneurs d'ordre, ne défendent qu'un seul des objectifs de l'action publique : l'économie des deniers publics. C'est tout à fait louable, et le public et le privé ont en partage le souci d'optimisation financière - la différence étant que le public a aussi d'autres objectifs : l'intérêt des usagers, la bonne exécution du service et la justice entre les citoyens.

Vous nous avez aussi interrogés sur les relations entre l'administration et les cabinets. Pour avoir observé la situation de l'intérieur au début des années 2000, j'ai été frappé des difficultés des cabinets de conseil à faire valoir leurs compétences et leur légitimité au sein des hôpitaux. Dans une institution ancienne ou beaucoup de professions se faisaient déjà concurrence, ils constituaient un acteur supplémentaire qui devait prouver le bien-fondé de sa présence. Au début, c'était difficile : tout le monde leur renvoyait l'idée qu'ils ne servaient à rien. De plus, l'État étant traditionnellement plus fort en France qu'aux États-Unis, les cabinets de conseil avaient affaire à des adversaires qu'ils connaissaient moins bien.

La principale question que se posaient les consultants était celle des marchés : il s'agissait de vendre des prestations, et le secteur public représentait pour eux un domaine très important. La commande publique est fondamentale pour les cabinets de conseil, comme elle l'est pour les architectes.

Pour pallier leur manque de légitimité, les cabinets ont en premier lieu recruté d'anciens fonctionnaires, voire des fonctionnaires encore en poste, pour leur connaissance du secteur. J'ai cartographié la circulation des professionnels entre leur corps d'origine, les institutions de conseil, la MEAH, etc. À partir d'un certain niveau, des médecins, des infirmières, des directeurs d'hôpitaux, des ingénieurs étaient recrutés par les cabinets qui, dans leurs réponses aux appels d'offres, pouvaient ainsi afficher une palette de compétences enrichie.

Quant aux conséquences de cette pénétration des cabinets de conseil pour l'action publique, j'en vois trois. La première est une ouverture des marchés publics : les consultants ont gagné d'importantes parts de marché.

La deuxième est la mise en place d'indicateurs univoques et biaisés. Ainsi, dans les services d'urgences que j'ai suivis de près, l'indicateur phare développé par plusieurs cabinets de conseil était celui du temps d'attente, qui est particulièrement vendeur : tout le monde veut réduire les files d'attente aux urgences. Cependant, en pratique, en réduisant le temps de passage, on dégradait la qualité, ce qui faisait augmenter le taux de retour. La plupart des indicateurs développés relèvent ainsi de ce que les économistes appellent la productivité apparente du travail : si l'on y regarde de plus près, comme je l'ai fait, la qualité se dégrade.

Troisième conséquence : le développement, dans l'action publique, du recours aux mercenaires, dans l'acception la plus traditionnelle du terme. Ils peuvent rendre de grands services à la puissance qui les emploie mais, ultimement, ne poursuivent que leur propre intérêt.

M. Arnaud Bazin, président- Je vous remercie.

Mme Éliane Assassi, rapporteure- Vous avez tous les trois montré comment les cabinets pouvaient être perçus comme une contrainte par certains fonctionnaires, mais utilisés comme points d'appui par d'autres. Ainsi, madame Gervais, vous écrivez : « Les prestataires privés disposent des ressources favorisant le dépassement des oppositions internes au champ bureaucratique et le contournement des résistances suscitées par les réformes ».

Comment analysez-vous les besoins de ceux qui, au sein de l'administration, ont recours à ces cabinets ? S'agit-il de dépasser des blocages administratifs, de renforcer la légitimité de mesures qu'ils savent impopulaires ?

Mme Julie Gervais. - Un terme résume les avantages comparatifs des consultants tels que les perçoivent les fonctionnaires : celui de « force de frappe », qui revient souvent dans leur discours. Les moyens dont les consultants disposent permettent d'abattre un travail considérable, de le documenter par des benchmarks internationaux ou des analyses financières par exemple, et de mobiliser une masse de connaissances en la formalisant - le tout dans l'urgence. C'est l'élément qui semble le plus valorisé par la hiérarchie.

Les personnes auprès de qui j'ai mené des entretiens me disaient ainsi qu'en deux semaines, McKinsey était en mesure de produire un rapport de trois cents pages en allant puiser auprès de ses succursales aux États-Unis, en Suisse, en Australie ou ailleurs les « best practices ». Concrètement, quand le besoin émerge, pour une réunion interministérielle, de refaire les maquettes des tableaux de bord pour la semaine suivante, les consultants McKinsey se présentent avec des centaines de pages de tableaux de bord, vingt diapositives consacrées à une réforme récente qu'ils ont menée en Australie dans le même domaine... Et tout cela conçu par des diplômés de Polytechnique ou de HEC, qui travaillent beaucoup et très vite.

Le thème de l'urgence est important car c'est, de façon croissante, la marque de fabrique des chefs, des ministres, des directeurs, jusqu'aux Présidents de la République : on joue sur la rupture, on mène des réformes au pas de charge. Les hauts fonctionnaires sont mis sous pression, car délivrer des résultats dans l'urgence est impossible à l'administration, avec les moyens dont elle dispose.

Cette capacité à répondre dans l'urgence est dans la structure même des cabinets comme McKinsey qui ont des équipes en « back-up ». Ils ont un centre de production de diapositives en Inde qu'ils appellent le « Studio » ; lorsque les délais demandés sont très serrés, ce centre travaille en horaires décalés pour délivrer, le lendemain à sept heures, un PowerPoint complet et mis en forme.

Outre le benchmark ou parangonnage international, les cabinets apportent de la capitalisation : à chaque mission, ils augmentent leur offre de services et leur palette de prestations. De la méthodologie aussi, car les hauts fonctionnaires manquent de méthodes et d'outils de conduite de projets. De la polyvalence : ils sont spécialistes en gestion des ressources humaines, en systèmes d'information, en conduite de projets, et ils possèdent une expertise financière de plus en plus valorisée dans un contexte de contrainte budgétaire.

Il ne faut pas non plus négliger la forme : des graphiques arborescents, en cubes, de belles matrices, cela donne une impression de rigueur et de scientificité, ce qui favorise l'adhésion et est valorisé par la hiérarchie.

Il y a enfin ce que vous avez mentionné, madame la rapporteure : la légitimation de la décision, le court-circuitage ou le contournement de l'obstruction de certaines administrations, la dépolitisation apparente.

M. Fabien Gélédan. - Je ne peux qu'aller dans le sens de Julie Gervais lorsqu'elle évoque la force de frappe des cabinets. Au-delà de leur dimension internationale et de leur capacité à capitaliser les connaissances, il faut souligner leur force de travail : un consultant travaillera jusqu'à deux heures du matin s'il le faut, et il sait utiliser Excel. Ce sont deux différences importantes avec ce que l'on voit dans beaucoup d'administrations ! Cela permet d'aller très vite.

La méthodologie aussi a son importance : j'évoquais dans mon intervention le lean management et les quick wins, ces « victoires rapides » qui consistent, après avoir identifié les objectifs les plus visibles et les plus proches, à les atteindre le plus vite possible pour présenter rapidement des résultats tangibles et chiffrables. Cela permet de surmonter les blocages, parce que l'on montre que cela marche, et c'est un facteur de légitimité, car cela produit des mesures positives. Il est vrai, comme l'a souligné Nicolas Belorgey, que la mesure en question peut être biaisée ; et l'on est trop content de la voir arriver rapidement pour la soumettre à la critique...

Il convient également d'évoquer le pro bono. Les premières missions sur le lean management au sein du ministère de l'intérieur ont été conduites à titre quasi-gratuit. La DGME n'arrivait pas à imposer le lean management ; c'est Accenture qui l'a fait, mais en s'assurant évidemment des marchés pour la suite... C'est une démarche classique dans le conseil : ne pas faire payer les « victoires rapides », pour montrer que ce que l'on propose fonctionne, et obtenir ensuite le marché important.

M. Nicolas Belorgey. - Je souscris aux propos de mes collègues, en ajoutant que l'un des usages des consultants est de permettre le dépassement d'oppositions politiques au sein de l'administration.

Le droit de la fonction publique autorise les agents à ne pas exécuter des ordres auxquels ils ont des raisons de s'opposer en conscience. C'est une conviction très présente dans le milieu médical. Or des consultants ne s'interrogent pas sur le bien-fondé des consignes, faute quoi ils perdraient le prochain marché. Là où des fonctionnaires de tous niveaux refusent d'exécuter une politique qu'ils estiment contraire à leurs missions, les consultants ne poseront pas de questions. C'est expliqué dans les manuels de conseil, et l'on retrouve ces comportements sur le terrain.

Mme Nicole Duranton. - Madame Gervais, observe-t-on la constitution d'une élite privée de conseillers qui dépasse le cadre de chaque entreprise - une sorte de caste indépendante des groupes d'influence habituels ?

Monsieur Gélédan, l'appel gouvernemental à des cabinets comme McKinsey relève-t-il davantage d'une recherche d'efficacité technique ou de légitimité symbolique ?

Mme Julie Gervais. - Ce que vous appelez une caste, et que je préfère désigner comme la noblesse managériale public-privé, ne se place pas niveau des entreprises. Elle repose sur des affinités entre des consultants, des banquiers, des personnes du monde de la finance, et de très hauts fonctionnaires.

On décrit souvent le pro bono comme un moyen de mettre le pied dans la porte, dans l'espoir d'obtenir des contrats futurs, mais il présente aussi l'avantage de ne pas laisser de traces. Les échanges de services au sein de cette noblesse managériale public-privé passent aussi par des rétributions personnelles et indirectes, avec des liens de causalité sont très difficiles à établir faute de traces. On en trouve aisément des exemples dans la presse : je citerai ce directeur de McKinsey qui a travaillé pour la campagne du candidat Macron, avant d'être nommé à la tête de l'École Polytechnique. C'est l'articulation de l'État et du marché qu'il faut considérer.

M. Fabien Gélédan. - Entre l'efficacité technique et l'efficacité symbolique, je pense que c'est la première que l'on recherche : une efficacité qui se traduit en termes de gestion. C'est la manière dont les questions sont posées qui induit la réponse des cabinets de conseil ; or, comme il y a souvent identité de vues entre le commanditaire et le consultant, la réponse coïncide avec la question posée. En revanche, le design, qui est un autre type de prestation, interroge la commande elle-même.

M. Arnaud Bazin, président- Les administrations comme les cabinets de conseil mettent souvent en avant le transfert de compétences. Comme vous l'avez décrit, le prestataire résout une difficulté en un temps limité, avec des moyens dont ne dispose pas l'administration ; mais celle-ci, nous dit-on, progresse également grâce à cette intervention.

Or l'administration, dans sa gestion des ressources humaines, ne prend pas nécessairement en compte le maintien de ces compétences acquises à l'endroit où elles peuvent servir ; pour cela, il faudrait un suivi très poussé. Le transfert de compétences vous semble-t-il une possibilité, ou le fonctionnement réel de l'administration en fait-il un mythe ?

M. Nicolas Belorgey. - Je ne suis pas sûr de pouvoir répondre totalement à la question, mais mon sentiment est que les cabinets de conseil ne souhaitent ni n'ont intérêt à transférer les compétences.

M. Arnaud Bazin, président- Qu'ils n'aient pas d'intérêt à le faire, je l'entends parfaitement, mais leur discours, et celui de l'administration, est de dire que cela se fait et qu'elle en bénéficie.

M. Nicolas Belorgey. - Ce qui m'a frappé, c'est que les cabinets de conseil disparaissent après leur intervention. Ils obtiennent un marché, réalisent un diagnostic et mettent en oeuvre une solution puis s'en vont sur un autre marché.

J'ai l'impression que leur temporalité est réduite et que le transfert de compétence a lieu dans l'autre sens : ils recrutent des personnes des secteurs dans lesquels ils travaillent pour leur expliquer comment les choses marchent. Sinon, ils ne peuvent pas intervenir.

M. Fabien Gélédan. - Y a-t-il transfert volontaire de compétences de la part des cabinets ? Je suis d'accord, ils n'ont aucun intérêt à le faire - ou alors il faudrait les payer pour qu'ils le fassent, et ce n'est pas toujours très efficace.

Prenons l'exemple du lean management, que j'ai pu observer de près. Dans une préfecture, quelques mois après le passage d'un cabinet, les agents ont changé et ceux qui avaient été formés sont partis ailleurs. On peut penser que cela enrichit une autre administration, mais c'est très hypothétique.

De plus, le transfert de compétences est souvent involontaire. Il se réalise à la faveur d'un compagnonnage sur un projet, et parce que les slides produites resteront, mais sans ceux qui les ont produites. Les fichiers Excel complexes, avec des macros laissées sur place, ne peuvent être pris en main par personne.

De fait, davantage que de transfert de compétences, je parlerais d'amélioration transitoire et de constitution d'indicateurs qui, eux, restent souvent. Un agent du ministère de l'intérieur me disait que grâce au lean management dans les préfectures, il avait des indicateurs sur son tableau de bord, ce qui n'était pas le cas avant.

Au niveau local, il n'y a pas d'amélioration durable, ni de volonté de réaliser un réel transfert de compétences.

Mme Julie Gervais. - Je souscris totalement à ces propos. Le transfert de compétences est une croyance qui permet de justifier le recours à ces prestations extérieures. Les hauts fonctionnaires se bercent d'illusions en la matière, d'autant qu'ils auront toujours un train de retard. Comme le dit M. Gélédan, les méthodes évoluent vite et les fonctionnaires risquent de devenir de pâles copies des consultants.

Néanmoins, il serait utile de centraliser davantage les informations issues des prestations des cabinets de conseil, pour disposer au moins d'un inventaire des missions menées. Cela améliorerait la transparence sur l'utilisation des deniers publics, et cela permettrait aux ministères de savoir ce qui a déjà été fait avant de faire appel à un cabinet : on éviterait ainsi les doublons. Cela permettrait enfin à plusieurs administrations de bénéficier de la même prestation.

Ce défaut de mémoire et de circulation de l'information en interne, du fait de la rotation permanente des équipes, est un vrai problème. Les chercheurs en pâtissent beaucoup.

M. Nicolas Belorgey. - De plus, les outils des consultants changent rapidement au cours du temps. Même en supposant qu'il y a effectivement transfert de compétences, les outils et méthodes seraient rapidement obsolètes et l'intérêt du transfert serait limité du point de vue opérationnel.

M. Arnaud Bazin, président. - Je vous remercie de nous avoir éclairés à la lumière de votre expérience et de vos travaux. Notre commission en tirera profit dans la rédaction de son rapport.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 17 h 20.

Mercredi 19 janvier 2022

- Présidence de M. Arnaud Bazin, président -

La réunion est ouverte à 16 h 30.

Audition de Mme Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publiques

M. Arnaud Bazin, président. - Nous accueillons aujourd'hui Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publiques.

Il s'agit d'une audition importante, car vous avez sous votre responsabilité deux acteurs majeurs du recours aux cabinets de conseil : la direction interministérielle de la transformation publique (DITP) et la direction interministérielle du numérique (DINUM).

L'objectif de la commission d'enquête est de cartographier le recours aux consultants dans le secteur public et de comprendre l'organisation mise en oeuvre par l'État lorsqu'il recourt à ce type de prestations.

Cette audition est ouverte au public et à la presse. Elle est retransmise en direct sur le site internet du Sénat. En raison de la situation sanitaire, nos collègues peuvent intervenir par visioconférence.

Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible de sanctions pénales, qui peuvent aller, selon les circonstances, de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 à 100 000 euros d'amende.

Je vous invite, Madame la ministre, à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité. Levez la main droite et dites : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Amélie de Montchalin prête serment.

M. Arnaud Bazin, président. - Avant de vous laisser la parole pour votre propos liminaire, je souhaiterais vous poser deux questions très directes, en lien avec vos interventions dans la presse, ce matin. J'apprécierais que nous nous accordions d'emblée sur les chiffres illustrant le recours aux cabinets de conseil.

Vous avez affirmé ce matin sur Europe 1 : « dans ce quinquennat, les dépenses de conseil n'ont pas augmenté. Elles sont à 140 millions d'euros ».

Pourriez-vous nous préciser votre source, car les chiffres donnés par la direction du budget nous semblent supérieurs ? Pourriez-vous nous indiquer le montant des dépenses de conseil constaté en 2017, afin que nous puissions comparer avec le début du quinquennat ?

Vous avez également déclaré que les dépenses de conseil de l'État allaient baisser de 15 % en 2022. Sur quelle base vous appuyez-vous pour avancer ce pourcentage ? Pourquoi cette baisse ne s'élèverait-elle pas à 10 ou 30 % par exemple ?

Pour éclairer nos débats et en écho à votre intervention dans la presse, je souhaiterais que vous puissiez répondre à ces questions dès à présent, avant votre propos liminaire.

Mme Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publiques. - Un rapport de la Cour des comptes précise que les dépenses de conseils - hors informatique - s'établissaient à environ 135 millions d'euros par an entre 2011 et 2013. À ma demande, la direction du budget a établi que, pour le même périmètre, ces dépenses s'élevaient en moyenne à 145 millions d'euros entre 2018 et 2020. Celles-ci sont donc stables, eu égard à la dynamique de dépenses publiques de notre pays.

J'ai annoncé un objectif de 15 % de réduction des dépenses en matière de recours aux cabinets de conseil. Celui-ci porte sur le périmètre de transformation et de stratégie et résulte de choix forts.

L'une des dispositions de la loi de finances pour 2022 vise à réinternaliser les compétences au sein de l'administration. La DITP bénéficiera ainsi de 10 équivalents temps plein (ETP) supplémentaires, ce qui permettra de diminuer le recours aux prestations extérieures et de réaliser une économie d'un million d'euros. Je précise que la DINUM a adopté la même démarche, pour réduire notre dépendance à des cabinets extérieurs.

Par ailleurs, nous favorisons le repositionnement des inspections générales, dans le cadre de la réforme de la haute fonction publique.

Grâce au soutien de la DITP et de l'Institut national du service public (INSP), j'ai engagé une réforme visant à former en 2022 100 chefs de projets, qui seront déployés dans toutes les administrations.

Ce sont ces trois mesures qui nous permettront d'atteindre notre objectif d'au moins 15 % de réduction des dépenses en conseil de transformation et de stratégie. Nous comptons élargir cette démarche à d'autres segments confiés à des cabinets de conseil, notamment les missions relevant de l'informatique et du numérique. Le Premier ministre prendra prochainement une circulaire, sur laquelle nous travaillons depuis de longs mois.

M. Arnaud Bazin, président. - Merci pour ces précisions.

Je comprends donc que la moyenne des crédits de paiement s'élevait à 140 millions d'euros entre 2018 et 2020. En 2020, 170 millions d'euros ont été dépensés, contre 107 millions d'euros en 2018 : l'augmentation s'élève donc à près de 60 % entre 2018 et 2020.

Vous avez évoqué le sujet du conseil dans le secteur informatique, qui ne comprend pas les prestations fournies dans ce domaine. Là encore, le montant est important, puisqu'il s'élevait à près de 458 millions d'euros en 2020.

Si l'on cumule les deux rubriques de conseil, nous arrivons à un total de 628 millions d'euros en 2020, ce qui est un sujet. Toutefois, j'ai bien noté que le recours aux cabinets de conseil en informatique était intéressé par les mesures d'économies envisagées.

Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Tout à fait. Nous oeuvrons à la réinternalisation de nombreuses compétences : plus d'une dizaine d'experts seront recrutés au sein des brigades d'intervention numérique, placées sous l'autorité de la DINUM, afin d'améliorer la gestion des projets dans les ministères et de les piloter nous-mêmes.

Par ailleurs, tous les projets numériques dont le budget est supérieur à 9 millions d'euros devront désormais recevoir un avis conforme de la DINUM. De plus, au moins 30 % des personnes déployées sur ces missions devront être des agents de l'État.

Des programmes accélérés pour le recrutement de chefs de projet numérique ont également été lancés ; nous disposons aussi des entrepreneurs d'intérêt général et des « commandos UX ».

Établir une séparation claire entre le conseil et les prestations en informatique n'est pas chose aisée : le chiffre que vous avez cité en matière de conseil intègre parfois certaines prestations.

La Cour des comptes considère que le recrutement d'au moins 400 chefs de projet numérique s'impose pour atteindre l'objectif minimum de 30 % d'agents internes à l'administration.

Nos efforts paient : avant la mise en place de ces critères sur les projets interministériels, nous avions constaté une dérive budgétaire de 36 %, contre 13 % aujourd'hui. La réinternalisation permet non seulement de faire des économies, mais contribue aussi à la réussite des projets : l'argent public est ainsi mieux utilisé.

M. Arnaud Bazin, président. - Je vous remercie de ces précisions. Je vous laisse la parole pour votre intervention liminaire.

Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Vous m'auditionnez aujourd'hui sur le recours, par l'administration, aux cabinets de conseil, un sujet de première importance pour la conduite de l'action publique et l'organisation de l'État.

Cette commission d'enquête intervient à un moment particulièrement opportun, car le Gouvernement est sur le point de présenter sa nouvelle doctrine de recours aux consultants.

Trois éléments de contexte nous ont en effet conduits à engager, depuis plusieurs mois, cette réflexion.

Premièrement, nous devons tirer les enseignements de la crise sanitaire pour l'organisation de l'État.

Deuxièmement, la réforme de la haute fonction publique, que je conduis au sein du Gouvernement, nous invite à nous interroger sur les compétences dont l'État doit disposer en interne.

Troisièmement, le prochain renouvellement du premier accord-cadre interministériel de la DITP, que nous avions mis en place en 2018, arrive cette année à échéance ; nous en avons évalué les avantages et les limites afin de tracer des voies d'amélioration.

La création de cette commission d'enquête, comme son caractère transpartisan, témoigne de l'intérêt que la représentation nationale porte aux enjeux d'efficacité de l'action publique - et de l'État en particulier - et je ne peux, en tant que ministre de la transformation et de la fonction publiques, que m'en réjouir.

Le recours par l'État. Je suis convaincue que nous devons aborder ce sujet avec pragmatisme, guidés par le seul souci de l'efficacité de l'action publique au service des Français et de la bonne utilisation de l'argent public, sans parti pris idéologique.

Je le dis sans détour, l'État n'est ni omniscient ni omnipotent. Dans l'intérêt même de l'action publique, il est possible qu'il doive recourir ponctuellement à des avis extérieurs. Mais nous devons aussi reconnaître que cette pratique a peut-être parfois été trop systématique, et mérite donc d'être davantage encadrée et réfléchie.

Le Premier ministre m'a ainsi confié le soin de préparer une nouvelle doctrine de recours aux cabinets de conseil, dont je souhaite aujourd'hui vous livrer les grandes lignes.

Permettez-moi de revenir en premier lieu sur les raisons qui peuvent, dans certaines circonstances, justifier que l'État fasse appel à des consultants.

Le Gouvernement a engagé depuis 2017 un grand nombre de chantiers de transformation de l'action publique et impulsé des réformes prioritaires pour changer le quotidien des Français.

Ces chantiers ont exigé une très forte mobilisation des administrations, centrales comme déconcentrées. Cette mobilisation a été décuplée dans le contexte de la crise sanitaire avec la gestion de l'épidémie et la mise en oeuvre du plan de relance. Je souhaite profiter de cette occasion pour rendre hommage à l'ensemble des agents publics engagés dans ces transformations.

Nos administrations ont parfois dû solliciter l'appui de conseils extérieurs. Tout d'abord, un certain nombre de compétences ne sont pas disponibles à un instant donné dans les administrations. C'est le cas, par exemple, en matière de logistique ou d'optimisation des processus. Le recours à des prestataires externes permet alors un apport d'expertise de manière temporaire, dont il n'est pas pertinent de vouloir disposer de façon pérenne en interne.

Ensuite, il arrive que l'urgence d'un besoin ou que l'ampleur des tâches à accomplir dans des délais imposés par le temps politique ne puisse être affrontée avec les seules ressources disponibles en interne et nécessite une force de frappe additionnelle et ponctuelle.

Enfin, l'État a parfois besoin d'un regard extérieur pour s'inspirer de pratiques diversifiées ou innovantes, observées à l'extérieur, à l'étranger ou dans le secteur privé, pour garder la maîtrise de sa capacité d'action.

Les projets numériques illustrent ces différents cas de figure même si nous veillons systématiquement à ce qu'au moins un tiers des effectifs engagés sur un projet soit issu de l'administration.

Le recours à des cabinets de conseil permet d'absorber des pics de charge en disposant de capacités indisponibles au sein de l'État pour accélérer un projet de transformation numérique ; de se doter de compétences techniques de pointe qui ne seraient pas directement mobilisables en interne et de pouvoir disposer des meilleures pratiques d'autres grandes organisations confrontées à des projets similaires.

Dans ce contexte, nous avons fait le choix de renforcer nos capacités internes de conseil.

En tant que ministre chargée de la réforme de l'État, j'ai une conviction : l'administration ne peut se transformer que si elle est actrice de son propre changement. Les greffes artificielles non maîtrisées de solutions imaginées par d'autres et pour d'autres sont condamnées à l'échec.

Les modèles précédents n'ont pas produit les effets attendus : la révision générale des politiques publiques (RGPP) a imposé à l'administration des solutions de consultants qui n'étaient pas toujours adaptées. La modernisation de l'action publique (MAP) avait confié cette mission à des inspections générales qui, si elles peuvent apporter un éclairage indispensable aux décisions, sont elles aussi éloignées des réalités concrètes des administrations et réalisaient des missions trop courtes pour avoir une influence réelle.

Nous avons choisi une autre méthode consistant à mettre en place des équipes mixtes de consultants internes, de consultants externes et des agents publics eux-mêmes impliqués dans les évolutions afin de garantir une transformation adaptée aux réalités et aux besoins de notre État pour définir, mettre en oeuvre et suivre les projets.

Nous avons donc recruté à la DITP des consultants internes à l'administration, issus de la fonction publique ou du secteur privé, dont l'expertise est reconnue et qui ont contribué à la mise en oeuvre de réformes prioritaires du Gouvernement, avec les agents publics des administrations concernées. Au printemps de 2019, nous avons ainsi conçu en un temps très court le système d'intermédiation des pensions alimentaires ayant permis de sécuriser leur versement. Plus de 41 000 familles en bénéficient aujourd'hui. Nous avons également simplifié l'accès aux droits pour les personnes en situation de handicap avec la mise en place d'un droit à vie et la réduction des délais de traitement dans les différentes maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) de notre pays.

À chaque fois, il s'agit de missions sur mesure, qui s'appuient sur des constats de terrain recueillis auprès des usagers et des agents. L'apport d'équipes « projet », composées de ressources internes et externes, est éprouvé. Mon objectif est de poursuivre ce mouvement, de développer ces méthodes, en renforçant nos capacités internes.

De même, nous avons développé des capacités de conseil interne au sein de la DINUM, également placée sous mon autorité. La procédure dite « article 4 », qui lui permet d'apporter son appui à un ministère sur un projet numérique complexe a été utilisée près d'une dizaine de fois en 2020 et 2021. Par ailleurs, la DINUM a mis en place un cycle de formation des directeurs de projets informatiques. Enfin, un renforcement de la gouvernance des projets, par un contrôle le plus amont possible, au moment des phases de cadrage, a été mené.

Je ne condamne donc pas par principe le recours aux consultants qui, dans certains cas bien identifiés et sous certaines conditions, peuvent apporter un concours précieux à l'action publique. Pour autant, l'État ne peut faire l'économie d'une refonte de sa politique de recours aux cabinets de conseil. Cette réflexion s'inscrit d'ailleurs dans une réflexion plus large, commandée par la crise sanitaire sur notre organisation et nos modes de travail.

Le recours aux cabinets de conseil exige de la part des décideurs publics une grande vigilance compte tenu de la nature des tâches dont l'État a la charge et de l'exigence qui s'attache à la gestion des deniers publics. Il fait l'objet d'une attention légitime de la part des organes de contrôle et de la représentation nationale. Un rapport de 2014 de la Cour des comptes, commandé par votre assemblée au titre de l'article 58 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), établissait un diagnostic équilibré et formulait un certain nombre de recommandations dont nous avons tenu compte à partir de 2017.

Le Gouvernement a voulu rompre avec certaines pratiques observées par le passé.

Premièrement, je le dis avec force, nous n'avons pas de position idéologique sur le recours aux consultants. En effet, force est de constater que, depuis 2005, les audits « Copé » puis la RGPP, le recours aux consultants par l'État est devenu monnaie courante. Ce phénomène s'est renforcé lorsque le discours politique a assumé le postulat idéologique d'une défaillance de l'État : défaillance à se réformer par lui-même ; défaillance à se repenser par lui-même ; défaillance à faire lui-même. Ceux-là mêmes qui s'insurgent aujourd'hui contre le recours aux consultants sont responsables de l'importation des théories du New Public Management dans les organisations publiques, qui consistent à appliquer les recettes du secteur privé à l'action publique.

Deuxièmement, contrairement à ce qui a pu être fait par le passé, nous gardons la maîtrise de la décision, en toutes circonstances. Nous avons ainsi rompu avec les pratiques qui plaçaient les consultants dans les instances de décision. On se souvient, par exemple, de la participation de cabinets de conseil au conseil de modernisation des politiques publiques qui avait été mise au jour par un rapport d'inspection en 2012. Ce n'est plus le cas aujourd'hui.

Troisièmement, nous avons engagé un mouvement de rationalisation des commandes, par l'intermédiaire de l'accord-cadre de la DITP, ainsi qu'une stabilisation des dépenses. Dès 2017, nous avons engagé un retour d'expérience des pratiques précédentes et avons instauré le premier accord-cadre interministériel et fait de la DITP le guichet unique pour les ministères sur les sujets de transformation.

Pour la première fois, nous avons mis en place un marché centralisé pour que les ministères - à l'exception du ministère de la défense - disposent d'un seul et même support contractuel fonctionnant selon le système du « tourniquet ».

Les dépenses sont stables. La Cour des comptes, dans son rapport de 2014, a estimé les dépenses de consultants - hors informatique - à environ 130 millions d'euros en moyenne entre 2011 et 2013. Entre 2018 et 2020, l'État a dépensé environ 140 millions d'euros.

Toujours selon la Cour des comptes, la France se distingue par un recours plutôt modéré aux consultants par rapport aux autres grands pays européens. Dans son dernier rapport de référence sur le recours aux consultants dans la sphère publique réalisé au mois de novembre 2014, la Cour estimait à 13 % la part du chiffre d'affaires des cabinets de conseil réalisé dans le secteur public, contre 20 % en moyenne dans l'Union européenne, 22 % au Royaume-Uni et 17 % en Espagne.

À l'occasion des réflexions préalables au renouvellement du premier accord-cadre, qui arrive à son terme en juin 2022, et en m'appuyant sur les travaux conduits par la mission d'information de l'Assemblée nationale présidée par Véronique Louwagie et dont Cendra Motin était la rapporteure, j'ai demandé un bilan des pratiques à l'oeuvre depuis plusieurs années afin d'en tirer les conclusions.

Notre ambition est d'instaurer un suivi centralisé pour disposer d'une vision d'ensemble des marchés passés par les ministères, des missions réalisées et des montants facturés.

L'objectif est également de disposer d'un pilotage renforcé des prestations et de systématiser le partage de bonnes pratiques entre administrations.

Pour la première fois, le Gouvernement définit une nouvelle doctrine de recours aux consultants et engage un réarmement de l'État avec l'objectif de réduire le recours aux cabinets de conseil. Cette doctrine fera l'objet dans les prochains jours d'une circulaire du Premier ministre, dont je souhaite vous présenter les principaux objectifs.

Premièrement, l'administration devra faire la démonstration qu'elle ne peut pas répondre à la demande sans recourir à une prestation externe. Des mécanismes de gouvernance sont mis en place pour s'en assurer.

Seront ainsi institués dans chaque ministère des comités d'engagement des prestations intellectuelles sous la responsabilité des secrétaires généraux, en associant les directions métier et les services d'inspection, de contrôle et de conseil internes. Ils seront chargés notamment de vérifier la justification du recours à un prestataire externe, l'absence de solution alternative, mais également de l'adéquation entre les besoins et la prestation, y compris le prix.

Un pôle interministériel d'achat de prestations intellectuelles sera créé au sein de la DITP, qui deviendra la tour de contrôle pour encadrer, suivre et accompagner les ministères dans le recours aux cabinets de conseil. L'accord-cadre a vocation à rester le principal vecteur contractuel pour les prestations de conseil en stratégie et en organisation. Ce pôle aura un véritable rôle d'aiguillage pour les ministères, et aura pour mission de se prononcer sur la pertinence du recours aux cabinets de conseil pour une mission donnée. Les bons de commande supérieurs à 500 000 euros devront être approuvés par un comité d'engagement présidé par le secrétaire général du ministère concerné et associant la DITP et les inspections ou conseils généraux compétents.

Deuxièmement, nous souhaitons imposer le respect d'une charte de principes et de bonnes pratiques dès lors que le besoin de recours à un cabinet est avéré.

Le suivi du déroulé des missions sera renforcé ; les comités de pilotage seront présidés par le ministre lorsque l'importance du projet le justifie. Toute l'équipe projet devra intégrer un ou plusieurs agents du service concerné afin de garantir le transfert des compétences et la capitalisation des connaissances acquises pendant le projet. Toute prestation intellectuelle devra faire l'objet à son terme d'une évaluation, non seulement sur la qualité du service rendu par le prestataire, mais aussi sur l'atteinte des objectifs définis en amont.

Des garde-fous complémentaires seront instaurés en matière de prévention des conflits d'intérêts dans le cadre des relations avec les conseils extérieurs, comme en témoignent le renforcement des dispositions dans les chartes de déontologie et l'encadrement strict des missions dites pro bono.

Une mission d'inspection sera diligentée par le Premier ministre d'ici à la fin du deuxième semestre pour s'assurer de la bonne mise en oeuvre, dans chacun des ministères, des dispositifs permettant le respect de ces règles.

Troisièmement, nous voulons réarmer l'État afin de renforcer les compétences internes et limiter, de ce fait, le recours aux conseils extérieurs.

Ce renforcement des compétences internes s'appuie tout d'abord sur la consolidation du rôle de la DITP et de la DINUM comme « cabinets de conseil interne » au service des administrations publiques grâce aux équipes de consultants internes qu'elles ont constituées.

Les effectifs de conseil interne de la DITP seront dans un premier temps accrus de 10 ETP pour réduire les coûts de conseil externes et créer des économies, de l'ordre d'un million d'euros.

Nous poursuivrons également l'effort d'internalisation des compétences numériques, en faisant monter en puissance les initiatives comme les « commandos UX » lancés en 2020 qui sont des experts en matière d'expérience utilisateurs, ou aux « brigades d'intervention numérique » pour lesquelles douze profils ont été recrutés pour une période de six mois afin d'accompagner les projets prioritaires du Gouvernement. L'objectif est de renforcer les administrations qui n'ont pas la capacité de prendre en charge un projet dans le périmètre et le calendrier souhaités. Ce dispositif sera pérennisé grâce au recrutement, dans mon ministère, de 14 experts pour deux ans. Cette stratégie fait l'objet d'une vraie rupture de doctrine dans la loi de finances pour 2022.

Les ministères sont ensuite appelés à réfléchir à l'internalisation des compétences et des expertises correspondant à des besoins permanents ou réguliers, et aux commandes récurrentes, sur le modèle de cabinets de conseil internes ou, tout simplement, d'équipes projet. La DITP et la délégation interministérielle à l'encadrement supérieur de l'État (DIESE) ont été missionnées pour établir un référentiel de compétences internes disponibles.

Enfin, la réforme de la haute fonction publique vise à renforcer la formation initiale et continue des cadres dirigeants de l'État avec la montée en puissance de l'INSP, au service d'une fonction publique mieux formée et dont les parcours de carrière seront plus variés, plus évalués, et plus adaptés aux besoins de l'État employeur.

Je souhaite en particulier que les cadres supérieurs de l'État, futurs ou actuels, soient formés à la conduite de projets transverses, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. L'INSP devra ainsi conduire un plan de formation d'au moins 100 chefs de projet au cours de l'année 2022, en plus de ses missions de formation initiale. Nous réfléchissons à ce qu'un module dédié puisse intégrer le tronc commun à l'ensemble des hauts fonctionnaires, qu'ils soient administrateurs de l'État, directeurs d'hôpitaux, commissaires de police, administrateurs territoriaux, ou encore magistrats. C'est donc une culture de la conduite de projet que nous souhaitons développer dans notre administration pour réduire le recours à de telles compétences dans le secteur privé.

L'évolution du positionnement des inspections générales, dont le statut a été rénové via la réforme de la haute fonction publique, sera en outre mise à profit pour réinternaliser les missions de réflexion stratégique et d'organisation. Les inspections bénéficieront de possibilités de recrutement plus ouvertes encore pour attirer des profils jeunes ou expérimentés en matière de conseil et d'évaluation. La complémentarité des inspections générales avec la DITP et les administrations pourra se concrétiser dans le cadre de missions mixtes.

Notre objectif est donc de réduire en 2022 les dépenses de conseil en stratégie et en organisation de 15 % par rapport à 2021. Nous en tiendrons compte dans la préparation du prochain accord-cadre de la DITP qui sera lancé au printemps.

Mesdames et Messieurs les sénateurs, je crois que nous partageons le même objectif : construire un État plus efficace au service de nos concitoyens, un État pleinement capable de définir ses priorités stratégiques, un État en mesure de trouver les compétences nécessaires pour conduire une action publique adaptée aux réalités et aux défis du XXIe siècle.

La plupart du temps, l'État dispose de ces compétences en son sein, mais, parfois, celles-ci sont disponibles ailleurs. C'est d'ailleurs aussi le sens de « l'accélérateur d'initiative citoyenne » que j'ai lancé au mois de décembre dernier pour encourager la société civile à développer des projets d'amélioration des services publics.

Nous avons su tirer les leçons de la crise sanitaire et faire le bilan des événements survenus depuis 2018, en étant lucides sur les faiblesses existantes.

Gardons-nous en toutes circonstances à la fois d'un excès d'idéologie et de naïveté sur cette question et agissons pour continuer à transformer notre État pour un meilleur service rendu à nos concitoyens.

Mme Éliane Assassi, rapporteure. - Vous avez affirmé ce matin que le Gouvernement est « obsédé » par l'efficacité de l'action publique et par la bonne gestion de l'agent public. Je ne peux que souscrire à vos propos. Je ne place pas ici un curseur idéologique ou simpliste. Je suis ni simpliste ni idéologue, encore que ce ne soit pas un gros mot !

Cet après-midi, vous répondez aux questions d'une commission d'enquête dotée de pouvoirs constitutionnels. Nous souhaitons comprendre pourquoi le recours aux cabinets privés de conseil a été si important, au lieu d'utiliser les ressources de l'administration. Il ne s'agit pas ici d'opposer un quinquennat à un autre, et encore moins de se projeter vers le mandat du prochain Président de la République. Nous nous en tiendrons aux faits.

Hier, nous avons auditionné - entre autres - le cabinet McKinsey. Nous avons évoqué la commande de 496 800 euros passée en 2020 pour « éclairer les évolutions du métier d'enseignant ». Vous avez indiqué ce matin que ce contrat était une erreur. Cette somme aurait pu être utilisée pour fournir un purificateur d'air à 1 600 restaurants scolaires ou un million de masques FFP2, attendus avec impatience par les enseignants.

Dans cette affaire, quelle a été la répartition des rôles entre la DITP, qui a passé et évalué ce marché, et le ministère de l'éducation nationale ?

M. Arnaud Bazin, président. - Vous avez indiqué ce matin que vous souhaitiez « bloquer les contrats » de conseil. Pouvez-nous nous préciser ce que vous entendez par cette formule ?

Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Le comité d'engagement et le secrétaire général d'une administration pourront bloquer les contrats de conseil s'il s'avère qu'ils disposent des compétences internes permettant de répondre à la mission. Notre objectif est de ne plus recourir à des consultants externes lorsque cela n'est pas justifié. Par ailleurs, les bons de commande supérieurs à 500 000 euros seront soumis à la DITP.

La mission d'évaluation du métier d'enseignant que vous avez évoquée a été commandée avant ma nomination. J'en ai eu connaissance hier, par voie de presse. Je ne peux donc pas me prononcer sur son bien-fondé, la qualité des livrables ou les suites réservées à la mission. Toutefois, la DITP m'a transmis des éléments que je souhaite porter à la connaissance de votre commission.

Le ministre de l'éducation nationale a lancé au printemps un important travail de réflexion sur l'avenir du métier d'enseignant avec une perspectiviste internationale, qui devait se conclure par un colloque organisé au mois d'avril 2020. Le ministère a sollicité l'appui de la DITP. Le travail confié au cabinet McKinsey pour un montant de 496 000 euros consistait en la préparation des documents utilisés lors du colloque et d'analyses comparatives internationales. Très vite après le démarrage de la mission, la crise sanitaire a perturbé son calendrier. Le colloque a d'abord été reporté à juillet 2020 avant d'être finalement annulé. Les travaux se sont étendus jusqu'au mois de juin 2019, sans que le budget initial soit modifié. Ces documents ont ensuite été utilisés par Yann Algan, puis pour la préparation d'un rapport rédigé à la suite d'un colloque, « Le professeur du XXIe siècle », organisé le 1er décembre 2020 au Collège de France.

Je me tiens à votre disposition sur les livrables que nous pourrons vous communiquer.

Cette mission a respecté les règles de l'accord-cadre, ainsi que celles du « tourniquet » permettant aux cabinets d'être sollicités successivement sans que l'un ou l'autre soit favorisé.

M. Arnaud Bazin, président. - L'application du « tourniquet » semble relativement souple : lors de la crise sanitaire, le cabinet McKinsey a ainsi bénéficié de 11 contrats pour un montant de 13,5 millions d'euros.

Hier, nous avons interrogé le cabinet sur cette bizarrerie. Il nous a été répondu qu'il existait un droit de suite : lorsqu'un cabinet commence une mission, on s'affranchit du « tourniquet » si des travaux supplémentaires sont nécessaires. On pourrait le comprendre pour une deuxième, voire une troisième mission. Mais c'est plus difficile à admettre pour 11 contrats et 13,5 millions d'euros : ce constat ne remet-il pas en cause la pertinence de la procédure du « tourniquet » ?

Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Je vous transmettrai par écrit le fonctionnement précis de ce mécanisme.

Le « tourniquet » permet de s'assurer que les contrats ne sont pas toujours confiés aux mêmes cabinets de conseil. Si l'un d'entre eux accumule plusieurs marchés, les autres cabinets deviennent ensuite prioritaires afin de rééquilibrer le montant total des factures. Dès lors, le cabinet que vous citez a été beaucoup moins sollicité pour les missions suivantes.

M. Arnaud Bazin, président. - En l'espèce, le montant initial du contrat s'élevait à 3,2 millions d'euros pour finir à 13,5 millions d'euros. Nous souhaitons connaître les causes ayant rendu possible cette démarche !

Mme Éliane Assassi, rapporteure. - En janvier 2021, vous avez lancé le baromètre de l'action publique pour évaluer les résultats des politiques prioritaires du Gouvernement, par exemple celles qui visent à doubler le nombre d'élèves dans les réseaux d'éducation prioritaire (REP), à offrir un logement aux sans-abri, à réduire la mortalité sur les routes. Vous avez, pour ce faire, recouru au cabinet Capgemini, pour un montant d'environ 3,6 millions d'euros, d'après les informations qui sont à notre disposition. Pourriez-vous nous présenter l'action de ce cabinet ?

En 2019, le cabinet BCG a travaillé sur une mission intitulée « Amélioration de l'accueil téléphonique des services publics » pour 358 200 euros. Pourriez-vous nous présenter cette prestation et son résultat ?

Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Le baromètre de l'action publique, outil qui n'existait pas jusqu'alors, sert à faire remonter depuis un certain nombre de services, qui ne relèvent pas tous de l'État, des données, notamment sur les politiques menées par les collectivités territoriales. Il a par exemple servi à déterminer le délai de réponse moyen pour l'allocation aux adultes handicapés (AAH). Le principe est de mettre à la disposition des Français, en open data et en prévoyant une mise à jour trimestrielle, de manière publique, sur le site Internet du Gouvernement, des éléments sur l'avancée concrète et tangible de nos réformes prioritaires. Ils sont déjà disponibles en ligne, pour 43 d'entre elles, département par département, grâce au déploiement de l'outil Pilote, en janvier 2021.

Nous avons pris la décision de créer, en 2022, 8 ETP pour internaliser ces activités et pour concevoir, développer et déployer ces outils en régie, qu'il s'agisse de Pilote, du baromètre de pilotage des réformes prioritaires, ou de la plateforme d'expérience usagers Service Publics +.

Nous avons déployé le projet Pilote dans le cadre du plan de relance, afin que le ministère de l'économie et des finances puisse en suivre son déploiement, grâce à la remontée de données territorialisées. Il s'agit donc d'une infrastructure nouvelle, qui permet un reporting automatique, normé, département par département, de l'ensemble des informations pour le suivi des réformes prioritaires.

Le recours à des consultants externes peut être une réponse à un besoin ponctuel. Dès lors que l'État considère que le besoin est devenu pérenne, plutôt que de continuer d'alimenter un marché extérieur, il choisit d'internaliser des compétences.

Quant à l'amélioration de l'accueil téléphonique, elle correspond à une commande qui découle d'un comité interministériel de la transformation publique, conduit par le Premier ministre. Il constitue la base du « plan téléphone » qui doit permettre une meilleure accessibilité et une meilleure qualité des services publics. Nous avons atteint 85 % des objectifs que nous nous étions fixés, en produisant notamment un certain nombre de cadrages qui nous permettent de suivre le « taux de décroché » de chacun des numéros de service public.

Ce dispositif s'est inscrit dans le cadre de la fin de la surfacturation des numéros des plateformes téléphoniques publiques, car il nous semblait qu'il fallait garantir la qualité de ces plateformes. Il nous permet de nous assurer que les services publics continuent de bien fonctionner et restent joignables par les Français.

Mme Nicole Duranton. - En quoi la réforme de la haute fonction publique peut-elle constituer une réponse aux fragilités sous-jacentes des compétences au sein de l'État ? En quoi le recrutement d'anciens consultants et contractuels par la DITP peut-il constituer un nouveau vivier pour l'administration ?

Mme Amélie de Montchalin, ministre. - La réforme de la haute fonction publique est multiforme. C'est une réforme du recrutement, dans la mesure où nous cherchons à attirer des profils plus diversifiés, notamment par le concours spécial « docteurs » qui a été institué pour faire venir des chercheurs au sein de l'administration. Nous souhaitons également recruter dans les universités, hors de Paris, pour diversifier notre vivier, grâce au concours « Talents ». Nous ouvrons aussi les recrutements pendant la carrière, pour lever tout frein au recrutement de personnes compétentes à des postes de direction de management, dans l'administration, même si elles sont contractuelles. La loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique le permet.

La réforme de la haute fonction publique change profondément la formation de nos hauts fonctionnaires, qu'ils soient issus de l'une des quatorze écoles de service public ou de l'un des cinq corps de sortie de l'École polytechnique. Cette réforme de la formation s'appuie sur un tronc commun organisé en cinq modules portant sur la transition écologique, la transition numérique, les valeurs de la République, les enjeux d'inégalité et de pauvreté et les enjeux de rapport à la science et à la technologie. Nous étudions la possibilité de créer un sixième bloc de compétences sur la capacité à être chef de projet. En effet, c'est en ce sens que l'administration évolue.

La réforme vise aussi à développer une véritable stratégie de formation continue interministérielle et ministérielle, pour que les compétences soient mises à jour au fil du temps.

Enfin, la réforme porte sur l'organisation même de l'administration. Elle prévoit la fin des corps qui pouvaient rigidifier les recrutements, notamment dans les inspections générales. Elle crée, à la place, un corps unique d'administrateurs de l'État pour favoriser la circulation des compétences entre ministères, telle qu'elle était déjà souhaitée dans l'ordonnance de 1945.

Le but est donc que l'État se montre beaucoup plus clair sur les besoins auxquels il doit faire face, sur les compétences qu'il souhaite attirer et sur son organisation interne, pour que les logiques administratives passées, ou bien le mimétisme, n'empêchent pas de réorganiser notre administration en la rendant capable de conduire des projets. Nous savons, en effet, que des cabinets de conseil extérieurs ont souvent été mobilisés pour gérer des projets parce que nos structures administratives ne pouvaient pas le faire, empêchées par des questions liées aux ressources humaines.

Quant à la seconde question, nous pourrions diaboliser symboliquement le recrutement d'anciens consultants dans l'administration. Je crois, au contraire, que c'est une bonne pratique porteuse d'un véritable enrichissement. Ceux qui viennent dans notre administration en acceptent le fonctionnement, en matière d'évaluation, de déontologie, de droits et de devoirs des agents publics. Leurs compétences enrichissent, dans les missions qu'ils ont à mener, notre capacité à mener des projets. Il s'agit là d'une passerelle très intéressante.

En outre, les anciens consultants qui sont recrutés par la DITP poursuivent leur carrière dans les différents ministères. Je pourrai vous fournir des éléments plus précis par écrit.

Nous avons également souhaité renforcer l'attractivité des métiers du numérique, en lançant une plateforme et en adoptant une stratégie innovante pour que l'État puisse recruter les meilleures compétences. La première mission que j'ai confiée à la direction interministérielle du numérique (DINUM) vise à rendre le recrutement attractif. Quelque 400 postes sont ouverts chaque année. Par le renouvellement des contrats, nous procédons également à des milliers de recrutements. Nous avons revu les grilles salariales. Nous avons surtout créé des programmes très innovants, notamment celui des entrepreneurs d'intérêt général, c'est-à-dire des personnes qui sont recrutées pour une mission bien spécifique par la DINUM. Une quarantaine d'entre elles sont ainsi déployées dans les ministères, chaque année. Nous en sommes à la cinquième promotion.

Alors qu'elles sont initialement recrutées pour dix mois, 64 % de ces entrepreneurs d'intérêt général finissent par rester dans l'administration et 45 % y sont encore trois ou quatre ans plus tard. Nous avons lancé la première promotion il y a trois ou quatre ans. Un peu moins de la moitié est encore dans l'administration.

Notre ambition n'est pas de remettre en question les règles de déontologie. Toutefois, si nous voulons que l'administration puisse ne pas dépendre de l'extérieur et renforcer sa capacité à piloter des projets, il faut que nous puissions recruter des personnes compétentes.

Mme Nathalie Goulet. - J'ai écouté avec attention ce que vous avez dit. Si j'ai bien compris, jusqu'à ce qu'on mette en place les nouvelles dispositions, il n'y avait pas de vérification des compétences en interne avant de recruter les services d'un cabinet extérieur...

J'ai une question précise à vous poser : le cabinet McKinsey aurait touché 235 620 euros en 2020 pour la rédaction d'un guide du télétravail dans la fonction publique, à destination des managers et des agents publics. Pourquoi avoir eu recours à un cabinet de conseil pour rédiger ce type de guide ?

Comment coordonnez-vous votre action avec celle de France Stratégie, institution bien identifiée qui peut être aussi compétente qu'un cabinet privé ?

Mme Amélie de Montchalin, ministre. - L'administration s'organise, bien évidemment, en interne, mais il manquait une gouvernance systématisée et formalisée pour assurer une véritable diligence, fondée sur une cartographie des compétences de l'administration. Il s'agit, par exemple, de s'assurer que les compétences que l'on recherche ne se trouvent pas dans les services déconcentrés, dans un ministère voisin ou bien dans le reste de l'administration. Pour cela, le Premier ministre demandera aux ministres d'établir une gouvernance ad hoc, qui donnera lieu à une mission d'inspection. Nous aurons ainsi la garantie, qu'en matière d'organisation et de transformation, si nous faisons appel à l'extérieur, c'est bien parce qu'il y a un besoin factuel et formalisé.

Le télétravail reste un enjeu majeur pour l'administration. J'ai été à l'initiative d'un accord de méthode, puis d'un accord unanime avec l'ensemble des employeurs publics et des organisations syndicales, le 13 juillet dernier, pour que nous déterminions, par le dialogue social, la bonne manière de le déployer dans nos organismes publics. Il y a deux ans, au début de la crise sanitaire, 90 000 agents de l'État pouvaient télétravailler ; plus de 400 000 le font aujourd'hui. La semaine dernière, plus de 75 % des agents de l'État, qui pouvaient le faire, ont télétravaillé. Au printemps dernier, nous étions plutôt à 55 % des agents.

Le guide que nous avons publié visait à accélérer notre capacité à déployer une nouvelle culture du travail. Nous avons confié à un sous-traitant la mission d'identifier les bonnes pratiques dans d'autres organisations, car nous partions de loin. Le pilote a été mené par la DITP et la direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP) et j'ai moi-même travaillé avec les organisations syndicales sur le sujet. Il ne s'agit donc absolument pas d'un guide écrit en chambre, qui aurait été mis en oeuvre sans aucune appropriation.

Nous souhaitions voir comment des organisations beaucoup plus matures que nous en matière de télétravail avaient traité d'enjeux comme le suivi du droit à la déconnexion, l'égalité entre les hommes et les femmes ou le maintien d'un collectif de travail dans la pratique.

Ces deux guides sont publics et sont évidemment à votre disposition. Les collectivités territoriales les consultent de manière proactive tout comme l'ensemble des employeurs publics. Ils seront actualisés par les administrations.

Il s'agissait donc de lancer un processus qui a ensuite été internalisé et qui a fait l'objet d'un certain nombre d'échanges avec les organisations, avant de devenir notre outil.

M. Arnaud Bazin, président. - Vous avez évoqué à plusieurs reprises la doctrine que le Premier ministre devrait valider. Je vous entends parler de « nouvelle doctrine » et de « recours plus encadré » aux cabinets de conseil.

Ne faudrait-il pas plutôt parler simplement de « doctrine », car il y en avait pas auparavant, et d'« encadrement », car il était plus que léger ?

Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Cette doctrine est nécessaire pour formaliser, systématiser, harmoniser aussi les pratiques entre les ministères. La Cour des comptes a publié un rapport, en 2014, qui comportait des préconisations qui sont restées sans effet. En 2017, quand le Gouvernement a été formé, ce sujet est apparu comme majeur. Un accord-cadre a donc été établi, au début de 2018, afin de mettre en oeuvre le système du « tourniquet » pour éviter des liens de favoritisme à l'encontre de tel ou tel cabinet de conseil. Ce marché fixait également des éléments chiffrés avec un plancher et un plafond encadrant le marché. Enfin, il qualifiait ce qu'est une mission de conseil en organisation ou en transformation. Il s'agissait donc d'établir des règles.

J'ai pris mes fonctions de ministre en juillet 2020. Sachant que cet accord-cadre arrivait à échéance en juin 2022, j'ai demandé qu'on en fasse un bilan et la mission conduite sur le sujet, à l'Assemblée nationale, par Cendra Motin, sous la présidence de Véronique Louwagie, a été très utile. Nous en avons conclu que nous garderions l'accord-cadre, en le renforçant par des ressources humaines complémentaires, par une gouvernance et, désormais, par la doctrine interministérielle du Premier ministre.

Par ailleurs, la réforme de la haute fonction publique nous permet d'agir là où nous ne le pouvions pas auparavant. Elle n'a rien de symbolique, mais elle détermine la manière dont nous organiserons les carrières, dont nous repenserons le rôle des inspections en les transformant de corps en services, dont nous ferons évoluer les carrières et dont nous organiserons la formation continue. Tout cela me permet désormais d'établir un certain nombre de règles que je sais pouvoir tenir sans nuire à l'efficacité de l'action publique.

Nous avons aussi tiré les leçons de la crise sanitaire. Nous avons bien vu, en effet, que nous avons parfois eu recours à des cabinets de conseil externes parce que nous ne savions pas où étaient les compétences en interne, parce qu'elles nous manquaient tout bonnement ou aussi parfois parce qu'elles existaient sans que nous sachions où les mobiliser. La réforme, en cartographiant les compétences et en procédant à un suivi individuel des administrateurs de l'État, nous permettra de mettre en place une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. Nous préparons ainsi un État qui regarde l'avenir, qui l'anticipe et qui s'arme pour faire face aux défis.

Le risque cyber en est un, qui impose que nous renforcions nos capacités internes en concertation avec l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI). Nous veillerons d'ailleurs à ce que les profils que nous recrutons correspondent aux compétences qu'a identifiées l'ANSSI.

Si nous agissons, c'est parce que l'accord-cadre de 2018 arrive à échéance, parce que la réforme de la haute fonction publique nous permet d'organiser autrement, en interne, nos fonctions de cabinet de conseil, parce que nous tirons les leçons de la crise sanitaire et parce que le Premier ministre a la volonté politique de développer une doctrine interministérielle cadrée, claire et formalisée.

Mme Éliane Assassi, rapporteure. - Vous avez indiqué que les cabinets de conseil ne participaient pas à la prise de décision. Néanmoins, la frontière peut être ténue. Pour preuve, l'accord-cadre de la DITP stipule, je cite, que les prestations attendues des cabinets de conseil couvrent la phase amont des projets de transformation, y compris « la phase de contribution à la prise de décision stratégique, permettant de définir le niveau d'ambition et le niveau d'effort requis pour sa réalisation ».

Dès lors, comment s'assurer que les cabinets de conseils ne participent pas à la prise de décision politique ?

Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Je le réaffirme solennellement, la responsabilité de la décision incombe aux ministres. Le Gouvernement n'a pas à sous-traiter cette responsabilité. Oui, il a pu se produire que, parfois, des acteurs extérieurs à l'administration formulent des comparaisons et chiffrent des avantages et inconvénients pour éclairer celui qui prend la décision.

Il faut évaluer davantage la qualité des prestations : cet éclairage doit être le plus factuel possible, pour qu'il ne s'assimile pas à une prédétermination de la décision. N'alimentons pas une vision erronée des choses, les décideurs publics sont responsables devant le Parlement et se soumettent à évaluation, notamment par la Cour des comptes.

Mme Éliane Assassi, rapporteure. - J'ai bien compris, Madame la ministre. Mais pouvez-vous bien nous préciser que cette mention ne figurera plus dans le nouvel accord-cadre ?

Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Il me semble difficile de dire que les cabinets de conseil ne peuvent pas éclairer la prise de décision.

M. Arnaud Bazin, président. - Éclairer n'est pas contribuer...

Mme Éliane Assassi, rapporteure. - Exactement, les termes de « contribution à la prise de décision stratégique » sont bien employés dans l'accord-cadre de la DITP !

Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Nous allons examiner la formulation précise, pour que le prochain accord-cadre soit clair : on peut demander un appui extérieur tout en respectant les prérogatives du Gouvernement, dans le respect de la Constitution.

Mme Éliane Assassi, rapporteure. - Je connais la Constitution, Madame la ministre. Ma question est simple : cette notion de « contribution à la prise de décision stratégique » n'apparaîtra-t-elle plus dans l'accord-cadre de 2022 ?

Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Nous sommes en train de rédiger le contrat. Nous préciserons bien que nul acteur extérieur à l'État ne prendra de décision qui ne relève pas de ses prérogatives.

Mme Christine Lavarde. - Madame la ministre, vous avez parlé des démarches dans les ministères, mais qu'en est-il des opérateurs de l'État ? Y a-t-il une procédure de contrôle ou d'assistance des ministères de tutelle ?

Mme Amélie de Montchalin, ministre. - La circulaire du Premier ministre intégrera bien les opérateurs afin d'harmoniser les pratiques et de nous assurer que ces agences et acteurs soient strictement dans l'application de la doctrine que nous aurons définie.

M. Laurent Burgoa. - Je reviens sur la question du recrutement à la DITP. En tant que parlementaires, nous connaissons bien la déclaration de conflits d'intérêts, dont vous nous avez parlé. En tant que ministre, avez-vous fait part, et si oui sous quelle forme, de votre volonté qu'il y ait un contrôle des conflits d'intérêts pour ce recrutement ? Quel est l'outil utilisé ?

Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Des règles statutaires déontologiques s'appliquent aux agents de l'État, auxquelles j'accorde une attention particulière.

La DITP utilise la charte déontologique des ministères économiques et financiers, disponible sur l'intranet, et fait appel au référent déontologue de ces mêmes ministères. Ce dernier est sollicité en amont des recrutements s'il y a risque de conflit d'intérêts tel qu'il est défini par la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, c'est-à-dire « toute situation d'interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou paraître influencer l'exercice indépendant, impartial et objectif de ses fonctions ».

Ce référent déontologue assure en outre, deux fois par an, l'information de tout le personnel de la DITP, et en particulier des nouveaux arrivants. Il répond aussi, en totale discrétion, aux questions des agents et de l'administration. Ces obligations sont des déclarations de liens d'intérêts, mais aussi de déport.

De façon générale, tout agent public a une obligation de prévention des conflits d'intérêts. Un contrôle déontologique a aussi lieu en cas de cumul d'activité, de cessation temporaire ou définitive d'exercice de ses fonctions ou de départ vers le privé.

Je ne suis pas personnellement informée de toutes les situations, même si le directeur m'a fait part de situations de déport à la DITP.

M. Patrice Joly. - Vous avez précisé que tous les ministères et opérateurs publics seraient concernés par la circulaire du Premier ministre. Cela englobe-t-il l'Union des groupements d'achats publics (UGAP) et d'autres types d'opérateurs ? Que cela représente-t-il dans l'ensemble des consultations sollicitées par le secteur public ?

Par ailleurs, créer des règles, c'est ouvrir des possibilités. Dans le recours aux consultants, nous savons qu'il y a des prismes particuliers, parfois critiqués, par exemple une approche excessivement budgétaire ou certains partis pris sur le numérique. Comment assurer une neutralité par rapport à cela pour assurer une décision proprement politique ?

Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Parlez-vous de neutralité dans le choix des prestataires ou de qualité des travaux ?

M. Patrice Joly. - Par exemple, dans un espace environnemental protégé, le fait même de définir un cadre pour les véhicules motorisés témoigne d'une forme d'autorisation. Ici, créer un cadre pour le recours à des cabinets laisse envisager cette possibilité alors qu'on pourrait recourir à des outils internes.

Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Tout d'abord, sur le premier point, l'UGAP est sous tutelle des ministères économiques et financiers de Bercy. Pour tout recours à une prestation de conseil dans le cadre de la procédure UGAP, la même procédure s'appliquera. Notre doctrine ne dépend pas de l'utilisation ou non d'un marché public. Dès qu'un conseil extérieur est sollicité, l'administration doit s'assurer que la compétence interne n'existe pas et que le besoin est effectif.

Sur le second point, l'ensemble des travaux que j'ai menés comme ministre avec mon administration, tout comme ceux de votre commission d'enquête, montre le besoin d'une tour de contrôle interministérielle, et donc d'une doctrine. Nous ne créons pas des besoins en créant des règles, mais cherchons plutôt à organiser une réalité déjà existante.

M. Arnaud Bazin, président. - La Secrétaire générale du Gouvernement, quand nous l'avons auditionnée il y a deux semaines, nous disait qu'il n'y avait pas de doctrine d'État sur le recours aux cabinets de conseil et qu'elle s'interrogeait sur son utilité...

Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Ce que vous dites illustre le fait que la responsabilité de la décision incombe aux politiques et que l'administration applique ensuite nos décisions.

En effet, il n'y avait pas de doctrine au sens où, avant aujourd'hui, aucun Premier ministre n'a signé de document équivalent à celui qui est en cours de préparation. Nous sommes le premier Gouvernement à avoir signé un accord-cadre, en 2018. Nous sommes donc le premier Gouvernement à avoir pu l'évaluer, notamment au vu de la réforme de la haute fonction publique, du retour d'expérience de la crise sanitaire et d'éléments de bonne gestion publique et d'efficacité, et prenons nos responsabilités. Il me semble sain d'avoir cette doctrine. Il ne s'agit pas ici de questions purement juridiques, mais du pilotage quotidien de l'action publique.

Ce sont bien les secrétaires généraux des ministères qui animeront cette gouvernance. La Secrétaire générale du Gouvernement préside un comité les réunissant et aura un rôle de coordination de ce groupe de secrétaires généraux, en lien avec la DITP.

M. Arnaud Bazin, président. - Je reviens sur cet accord-cadre de la DITP : pour 2021, quel pourcentage des 170 millions d'euros de marchés de conseil hors conseil informatique est passé sous les fourches caudines de cet accord-cadre ? Au cours de certaines auditions, nous avons entendu que certains ministères pouvaient passer des marchés hors accord-cadre.

Par ailleurs, maintiendrez-vous la pratique du « tourniquet », dont je disais tout à l'heure que nous pouvions douter de son efficacité, ou l'encadrerez-vous différemment dans le prochain accord-cadre ?

Enfin, pouvez-vous préciser davantage les intentions de votre ministère sur la pratique du pro bono ?

Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Sur le « tourniquet » dans le cadre du nouvel accord-cadre, nous prévoirons, à partir d'un seuil que nous définirons, des remises en concurrences subséquentes des titulaires hors cette règle du « tourniquet ».

Sur le pourcentage des dépenses de conseil passant hors du « tourniquet » en raison du droit de saisine autonome des ministères, je vous répondrai par écrit pour vous donner un chiffre fiable et précis.

Sur les travaux pro bono, la circulaire du Premier ministre précisera qu'ils ne doivent donner lieu à aucune contrepartie, que le secrétaire général du ministère doit l'autoriser, avec enregistrement auprès de l'acheteur compétent, et qu'il n'y a aucun droit de suite, ce qui permettra de bien les encadrer. Cette transparence sera d'ailleurs fort utile pour répondre aux questions futures de la représentation nationale.

M. Arnaud Bazin, président. - Une position plus radicale serait l'interdiction des prestations pro bono, cela n'a pas requis votre intérêt ?

Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Notre travail interministériel approfondi a abouti à la doctrine que je viens d'évoquer.

Mme Éliane Assassi, rapporteure. - Pour être précise, vous n'êtes donc pas favorable à l'interdiction des pro bono ?

Mme Amélie de Montchalin, ministre. - L'arbitrage pris est que la pratique du pro bono doit être fortement encadrée. Elle doit être portée à la connaissance du secrétaire général du ministère.

Cette doctrine sera, comme tout élément de politique publique, évaluée.

Mme Éliane Assassi, rapporteure. - De votre point de vue, Madame la ministre, ce recours au pro bono est-il nécessaire ?

Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Je ne sais pas si c'est nécessaire mais il y a des cas.

Je pense personnellement que des acteurs peuvent, parfois à leur initiative, vouloir éclairer une décision publique, mais que, dans ce cas, il faut s'assurer qu'il n'y ait aucune contrepartie et que ce soit transparent. Le ministre doit en être pleinement informé de tout ce qui se passe dans son administration. Ce modèle me semble équilibré.

M. Arnaud Bazin, président. - Je souhaite aborder un dernier sujet, celui de la donnée, qui a plusieurs aspects. Il y a d'abord celui de la souveraineté : des cabinets privés, notamment étrangers, reçoivent des données. Y aura-t-il des éléments sur la sécurité et la souveraineté sur ces données dans la doctrine du Premier ministre ?

En effet, nous avons soulevé à plusieurs reprises le paradoxe du consulting : les données fournies par les administrations ne sont pas exploitées en dehors de la mission, mais on demande aux cabinets de conseil de fournir des données de comparaison avec d'autres pays. Dans ce cadre, comment la sécurité et la souveraineté de nos données seront-elles assurées ?

Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Le périmètre de mon ministère illustre l'aspect stratégique de ces questions. Sur les comparaisons internationales, nous avons un partenariat avec la Commission européenne et l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sur l'accès à des données publiques.

La doctrine fait de la donnée un axe majeur. Il s'agit d'abord de limiter la transmission de données au strict nécessaire. On trouve certes l'open data, pour laquelle la France est le premier pays en Europe. Cependant, il faut limiter les données transmises. Il faut ensuite les minimiser, par agrégation, anonymisation et pseudonymisation.

De plus, les prestataires doivent respecter les règles de confidentialité, dont le RGPD. Aucune donnée ne doit être communiquée en dehors des donneurs d'ordre administratifs, y compris des données de comparaison. Enfin, toutes les données transmises doivent être retournées au donneur d'ordre et supprimées par le prestataire une fois la mission terminée.

En matière de souveraineté, tant que les prestataires ont ces données en main, notamment dans des clouds, ceux-ci doivent respecter la doctrine du Premier ministre qui fait appliquer le critère SecNumCloud défini par l'ANSSI. Les serveurs ne le respectant pas ne peuvent pas héberger de données publiques.

Ensuite, la France est à cet égard au plus haut niveau de protection au sein de l'Union européenne, les données sur le cloud doivent faire l'objet d'une validation juridique pour que les serveurs ne soient pas accessibles, par des lois extraterritoriales, à des services de renseignement non européens.

Ainsi, dès que l'État a une donnée personnelle sur un citoyen, que ce soit quand il les gère lui-même ou qu'un prestataire y a accès, elle ne peut être placée sur un serveur ne répondant pas à des critères cyber et juridiques très stricts.

M. Arnaud Bazin, président. - Considéreriez-vous normal que des services européens de renseignement puissent y accéder ?

Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Non, il s'agit bien de tout service de renseignement et en particulier non européen. De fait, le respect des règles européennes fait que les services européens de renseignement n'accèdent pas à nos données.

M. Arnaud Bazin, président. - Ils ne sont pas censés le faire en tout cas...

Mme Amélie de Montchalin, ministre. - Cela s'appelle la loi, Monsieur le président !

M. Arnaud Bazin, président. - J'ai le sentiment d'avoir entendu des éléments de décision de nature à répondre à nos inquiétudes, mais seulement après cinq ans de gouvernement... Mieux vaut tard que jamais. Toutefois, il faudra veiller à la bonne application des critères qui doivent encadrer les choses. Je ne peux pas m'empêcher de regretter que tout cela soit un peu tardif...

Nous vous remercions de votre participation et attendons vos compléments par écrit.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de MM. Laurent Benarousse, associé chez Roland Berger, Gilles Bonnenfant, président, et Mme Claudia Montero, directrice générale d'Eurogroup Consulting et MM. Guillaume Charlin, directeur général, et Jean-Christophe Gard, directeur associé du Boston Consulting Group (BCG)

M. Arnaud Bazin, président. - Mes chers collègues, Madame la rapporteure, nous poursuivons nos travaux avec l'audition en format table ronde de trois cabinets de conseil.

Nous recevons M. Laurent Benarousse, associé chez Roland Berger France ; MM. Guillaume Charlin, directeur général, et Jean-Christophe Gard, directeur associé, du Boston Consulting Group (BCG) ; M. Gilles Bonnenfant, président, et Mme Claudia Montero, directrice générale d'Eurogroup Consulting.

Depuis le début de nos travaux, nous avons entendu plusieurs cabinets de conseil et nous souhaitions aujourd'hui poursuivre avec nos intervenants.

Comme l'a rappelé notre rapporteure, nous ne sommes pas là pour instruire le procès de qui que ce soit mais pour évaluer l'ampleur et les modalités du recours aux cabinets de conseil dans le secteur public.

Madame, Messieurs, je vous remercie de votre présence et des éléments que vous allez nous apporter pour mieux comprendre vos modalités d'intervention auprès de l'État et de ses opérateurs.

Cette audition est ouverte au public et à la presse. Elle est retransmise en direct sur le site Internet du Sénat. En raison du contexte sanitaire, certains de nos collègues peuvent également intervenir par visioconférence.

Comme pour toutes les personnes auditionnées, je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible de sanctions pénales, qui peuvent aller, selon les circonstances, de 3 à 7 ans d'emprisonnement et de 45 000 à 100 000 euros d'amende.

Je vous invite, chacun l'un après l'autre, à prêter successivement serment de dire toute la vérité, rien que la vérité. Levez la main droite et dites « je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Claudia Montero et MM. Gilles Bonnenfant, Laurent Benarousse, Guillaume Charlin et Jean-Christophe Gard prêtent successivement serment.

M. Guillaume Charlin, directeur général du Boston Consulting Group (BCG). - Je suis ravi que vous nous donniez l'occasion de nous exprimer devant la représentation nationale.

Dans ce propos liminaire, je voudrais couvrir trois sujets : notre activité en France, notre activité pour le service public et le pro bono.

BCG est un cabinet de conseil international présent dans 60 pays dans le monde. Il s'agit d'une société privée détenue par ses associés. Nous sommes bien implantés en France où nous fêterons nos 50 ans en 2023. Sur le territoire national, la quasi-totalité de nos clients sont Français.

Le coeur de notre activité est le conseil en stratégie. Nous accompagnons les grandes entreprises et leurs dirigeants dans leurs transformations, notamment technologiques, digitales et environnementales. Nous accompagnons nos clients en amont et en aval de leurs décisions. En amont pour éclairer la prise de décision et en aval pour aider à gagner en vitesse et en impact dans la mise en oeuvre de leur stratégie.

Nous avons pour cela trois types d'expertise au sein de notre cabinet : des expertises dites sectorielle - la santé, la distribution, les télécommunications, etc. -, des expertises dites fonctionnelles - les achats, la production, le marketing, le commercial, etc. -, des expertises technologiques - la datascience, les ERP, l'ingénierie logicielle, etc.

La combinaison de ces trois expertises nous permet de répondre aux besoins de transformation de nos clients. Nous sommes l'un des rares cabinets de la place à toutes les avoir sous le même toit.

Notre modèle se base sur la confiance que nos clients veulent bien nous accorder. Cette confiance repose sur notre parfaite intégrité professionnelle, notre engagement à maintenir une totale confidentialité sur les missions menées pour nos clients et notre déontologie qui garantit l'absence de conflit d'intérêts.

Un code de conduite regroupe toutes ces obligations déontologiques. Il s'applique à l'ensemble de nos collaborateurs, quelle que soit leur fonction ou leur niveau hiérarchique, à toutes nos missions et à tous nos clients, privés ou publics.

Ce code de conduite est un pilier de notre cadre de déontologie. Il existe depuis 1990 et est actualisé en permanence. Il a valeur prescriptive et est fondé sur les obligations légales mais également sur nos valeurs et nos politiques de conformité. Il sert de référence pour toutes nos prises de décision.

M. Jean-Christophe Gard, directeur associé du Boston Consulting Group (BCG). - Nous sommes très fiers de pouvoir servir l'État au travers des missions que vous nous confiez, même si cette activité représente une part modeste des activités de notre cabinet en France : de l'ordre de 1 % de notre chiffre d'affaires en moyenne sur les dix dernières années et une part inférieure à 1 % de notre chiffre d'affaires sur les cinq dernières années.

La totalité des projets que nous menons respecte le code de la commande publique. Nous intervenons essentiellement, et exclusivement sur les dernières années, via l'accord-cadre de la DITP, qui nous a été attribué en juin 2018.

L'ensemble de nos missions en France sont conduites par des intervenants Français. Ces missions donnent lieu à la mise en place d'équipes spécifiques à chaque projet afin d'assembler les meilleures compétences et expertises - technologiques, sectorielles et fonctionnelles - compte tenu du besoin qui est exprimé par notre donneur d'ordre.

Nos équipes respectent les règles de confidentialité, de déontologie et de protection des intérêts de nos clients. Ces règles s'appliquent systématiquement à l'ensemble des projets que nous réalisons dans le cadre du secteur public.

M. Guillaume Charlin. - S'agissant du pro bono, nous traversons une période inédite avec la crise sanitaire. Dans le cadre de notre responsabilité sociétale, nous avons voulu trouver un moyen de mettre à disposition certaines de nos expertises pour contribuer à l'effort national et aider notre pays à traverser cette période délicate.

Cette contribution correspond à une demande de nos équipes.

Nous avons réalisé deux missions dites pro bono pour le secteur public.

Nous avons aidé l'Assistance Publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) dans la mise en place de modèles de prévision des appels au SAMU au moment des pics de la pandémie et des admissions en réanimation pendant le premier confinement. Nous avons également aidé sur des tâches d'organisation comme des tris de fichiers de volontaires ou des tableaux d'occupation de lits pour permettre à l'AP-HP de mobiliser tous ses cadres à un moment où nous en avions grandement besoin et où tout le monde avait été pris par surprise.

Deuxième mission : nous avons accompagné le ministère de l'économie et des finances dans la mise en place de mesures économiques d'urgence pour soutenir les PME en difficulté lors du premier confinement et tout particulièrement les artisans et les commerces de détail.

Ces actions s'inscrivent dans le cadre de notre responsabilité sociétale, à laquelle le BCG apporte une attention particulière depuis plusieurs décennies. Nous avons créé à Paris il y a plus de 15 ans le prix de l'entrepreneur social, qui récompense chaque année deux entreprises oeuvrant dans l'économie sociale et solidaire.

M. Gilles Bonnenfant, président d'Eurogroup Consulting. - Votre commission d'enquête sur l'influence croissante des cabinets de conseil sur les politiques publiques est un sujet d'importance pour le secteur public bien sûr mais également pour notre profession. Aussi nous vous remercions d'auditionner Eurogroup Consulting dans le cadre de cette enquête.

Je voudrais situer Eurogroup Consulting dans le vaste monde des cabinets de conseil. Nous sommes un cabinet en organisation, qui a fêté ses 40 ans vendredi dernier. Nous avons une vocation : offrir au marché un savoir-faire de conseil sur mesure.

Le consulting est né dans le monde anglo-saxon, les cabinets apportant des méthodes, des savoir-faire et des techniques. Nous nous sommes inspirés de ces méthodes et les avons adaptées, considérant que nous avions une touche « à la française » à apporter. Eurogroup a l'ambition de créer le premier cabinet de conseil en transformation Français, dans le contexte européen.

Eurogroup est un cabinet indépendant qui appartient à ses 254 actionnaires, tous salariés opérationnels et spécialistes du conseil en organisation. Notre société est une SAS de droit Français, qui paie ses impôts en France. Elle n'a pas d'extension internationale qui porterait sa marque.

Notre développement s'est fait en plusieurs étapes. Dans les années 80 nous avons démarré nos activités dans le domaine bancaire puis dans l'industrie et les services et, récemment, dans le secteur public. Ce développement est passé par un élargissement de nos offres de conseil, toujours ancrées dans la transformation des organisations, par un accompagnement des structures et des hommes et des femmes qui les composent et par une extension de notre réseau international, qui a progressivement fait de nous l'un des cabinets de référence des entreprises du CAC 40 ou du SBF 120.

Nous réalisons environ un quart de notre chiffre d'affaires à l'international. Au 31 août 2021, Eurogroup Consulting France a réalisé un chiffre d'affaires de 74 millions d'euros pour un peu plus de 300 consultants. Notre chiffre d'affaires a crû de 35 % depuis 10 ans.

Notre métier est d'accompagner nos clients, privés ou publics, dans la structuration et la conduite de leur transformation. Notre ADN est d'embarquer les équipes de nos clients dès la structuration de la transformation.

Notre exercice professionnel est guidé par une extrême attention portée sur la construction des solutions pour et avec nos clients afin que le résultat attendu puisse être conforme à la commande et pérenne. Nous effectuons dans ce cadre le transfert de savoir-faire.

Nous ne sommes pas là pour faire la stratégie à la place des dirigeants mais pour éventuellement la nourrir ou la questionner.

Notre mission est de s'assurer que la stratégie arrêtée soit comprise par les équipes et soit déclinable et déclinée au plus près du terrain et des équipes opérationnelles. Nous sommes des spécialistes de la structuration et de la gestion de projets complexes dans de nombreux domaines d'intervention. Je pourrais citer la finance, la relation client, les ressources humaines, l'innovation, les achats ou encore l'excellence opérationnelle.

Un point est évoqué sur les missions pro bono ou le rôle sociétal. Depuis une vingtaine d'années, Eurogroup Consulting France oeuvre gracieusement sous forme de mécénat de compétence auprès de petites associations, pour les aider à se transformer et pour que leurs actions soient encore plus efficaces pour le plus grand nombre. En France, nous avons été les pionniers de cette logique.

Les associations que nous accompagnons sont proposées par les collaborateurs d'Eurogroup à un jury indépendant qui effectue la sélection après un appel à projets. En aucun cas cela n'a de lien avec des clients potentiels. Nous ne faisons aucune mission pro bono.

Lors de la signature de son contrat de travail, chaque collaborateur d'Eurogroup s'engage à respecter les règles déontologiques de notre profession et est tenu au secret professionnel. Un comité d'éthique veille à la gestion des conflits d'intérêts qui pourraient survenir. Ce comité peut être saisi par chaque collaborateur ou peut s'autosaisir de tout sujet qu'il souhaiterait investiguer.

Une question semble revenir lors des auditions : les consultants ont-ils un rôle à jouer dans le secteur public ? Cela présente-t-il un intérêt pour la personne publique ? Je répondrai que notre profession a vocation à accompagner les organisations, les hommes et les femmes de tout secteur d'activité pour les rendre plus efficaces. Il n'y a pas, selon nous, à distinguer les lieux d'exercice de notre métier.

Dans tous les secteurs, les questions me semblent plutôt être : la mission est-elle justifiée ? A-t-elle livré l'impact escompté ? Le donneur d'ordre maîtrise-t-il le résultat obtenu ? En est-il satisfait ? Y a-t-il eu transfert de savoir-faire ? Aurait-on pu mobiliser en interne les mêmes expertises, dans les mêmes délais et sans déstabiliser le quotidien ?

La question centrale est donc : doit-on faire cet acte d'achat ? Le fait-on au juste prix ? En est-on satisfait ?

M. Claudia Montero, directrice générale d'Eurogroup Consulting. - Pour revenir sur notre travail dans le secteur public, nous avons décidé de nous impliquer fortement depuis une quinzaine d'années, considérant que nous devions jouer un rôle dans sa transformation, tant par notre engagement citoyen que par la légitimité de nos compétences. En tant que cabinet de conseil Français et indépendant, nous avons considéré que nous pouvions prétendre à une part de marché, comme dans le secteur privé.

De plus, les besoins de conseil dans le secteur public ont augmenté considérablement depuis une quinzaine d'années et se sont diversifiés, passant d'une dominante de l'accompagnement de grands projets informatiques à de besoins diversifiés de transformation.

Notre part de marché a crû depuis dix ans auprès des trois fonctions publiques, en cohérence avec l'accélération du recours au conseil dans le secteur public et du fait du succès que nous avons rencontré sur certains marchés.

Nous sommes titulaires de plusieurs accords-cadres. Nous pouvons considérer que le secteur public et parapublic représente environ 30 à 40 % de notre activité en fonction des années. Nous précisons que ce chiffre intègre l'ensemble des fonctions publiques - État, collectivités territoriales et hôpitaux -, le parapublic et les entreprises dans lesquelles l'État a une participation, soit le périmètre de travail de votre commission d'enquête.

Environ 150 de nos collaborateurs interviennent dans ce périmètre. Les missions que nous réalisons dans le secteur public sont des interventions d'appui à la transformation où nous pouvons accompagner les acteurs publics pour qualifier les solutions qu'ils souhaitent mettre en oeuvre, pour identifier les impacts qu'elles vont avoir sur les femmes et les hommes qui vont les utiliser, sur leurs métiers, leurs façons de faire. C'est ce que nous appelons la conduite du changement. Nous aidons également à programmer et à suivre le plan de mise en place de ces transformations. C'est ce que nous appelons l'appui au pilotage.

Je souhaiterais mentionner cinq exemples de thématiques sur lesquels nous intervenons.

Il y a, tout d'abord, l'accessibilité du service public aux usagers. Dans le cadre du projet France services, nous avons contribué à des expérimentations dans des territoires ruraux puis urbains pour définir un nouveau modèle d'opération des services publics. Nous travaillons aussi sur la simplification des relations entre l'État et ses usagers.

Il y aussi l'amélioration des conditions de production du service public, tant pour l'usager que pour les collaborateurs. Nous intervenons sur des projets qui permettent d'améliorer les temps d'attente et travaillons en immersion avec les équipes opérationnelles pour diagnostiquer ensemble les pertes de temps et trouver les solutions pour les éradiquer.

Nous travaillons également sur les démarches de consultation qui nourrissent les politiques publiques. Notre savoir-faire de mobilisation du plus grand nombre pour des démarches d'intelligence collective est ancien. Nous sommes sollicités depuis quelques années pour appuyer la construction de méthodes de consultation et leur mise en oeuvre dans le service public.

Je mentionnerais aussi l'accompagnement des évolutions professionnelles induites par les transformations. Nous examinons les impacts des transformations sur le métier des agents publics et conduisons des évaluations collectives et individuelles.

Nous intervenons enfin sur l'appui à la définition des nouvelles organisations et des nouveaux modes de fonctionnement à mettre en place, par exemple pour la création ou la fusion d'entités publiques.

À la question qui nous est posée : « votre cabinet a-t-il déjà participé directement ou indirectement à la rédaction des documents qui accompagnent les projets d'actes réglementaires ou législatifs ? », la réponse est non.

La décision est toujours celle de client, en l'occurrence le client public. Notre rôle est souvent de constituer des « entrants » à sa décision, qui lui permettent d'avoir une vision objectivée du champ des possibles.

Par exemple, dans le cadre de la convention citoyenne pour le climat, en tant qu'animateurs, nous avons synthétisé l'ensemble des séances de travail des citoyens. Toutes les propositions de mesures réglementaires ont été rédigées par un comité légistique, dont nous n'étions pas partie prenante.

Toutes nos missions sont définies et contractualisées conformément au code de la commande publique. Nous travaillons toujours avec un engagement sur les livrables à remettre. La facturation est déclenchée lorsque les prestations sont conformes au besoin et validées par nos clients.

M. Laurent Benarousse, associé chez Roland Berger. - Roland Berger est un cabinet de conseil européen, implanté en France depuis 1990. Notre bureau parisien compte 260 collaborateurs pour un chiffre d'affaires de 74 millions d'euros en 2020, au trois quarts pour le compte de clients Français.

L'expertise et l'indépendance constituent les briques fondamentales de notre offre de valeur. Nos interventions se concrétisent par des livrables précis, portent sur des périmètres délimités et sont réalisées dans des délais définis en amont avec nos clients.

Dans ce cadre, pour nos clients privés comme pour nos clients publics, nous élaborons des plans et revues stratégiques, réalisons des modélisations économiques et financières et accompagnons la conduite de grands programmes de transformation.

Roland Berger France intervient ainsi dans de nombreux secteurs d'activité, comme les services financiers, l'aéronautique et les transports, l'automobile ou le secteur public. Chacun de ces domaines d'activité a un poids comparable dans notre portefeuille. Le secteur public et parapublic au sens du périmètre de votre commission d'enquête représente environ 15 % de notre chiffre d'affaires. Ce chiffre inclut une part significative d'activités co-traitées ou sous-traitées à des partenaires externes.

Cette activité dans le secteur public génère un niveau de marge comparable à celle réalisée pour le compte de nos clients privés. Depuis 2018, nos travaux pour l'État sont majoritairement réalisés au travers de l'accord-cadre interministériel porté par la DITP.

Comme pour les autres domaines d'intervention de Roland Berger France, nos prestations auprès du secteur public sont pilotées par une équipe dédiée, mobilisant environ 15 % de nos effectifs.

Nous avons actuellement trois salariés ayant eu une expérience dans le secteur public. Ces recrutements répondent à notre recherche permanente d'expertise et de capacité à accompagner nos clients, avec la hauteur de vue nécessaire. Nous appliquons alors la plus stricte déontologie, ainsi que les règles édictées par la HATVP.

Contrairement à une perception assez étendue, notre activité ne se construit pas sur l'accès à tel ou tel décideur, que ce soit dans le secteur privé ou a fortiori dans le secteur public, soumis aux règles de la commande publique.

Pour remporter une consultation et convaincre un client, nos actifs techniques sont de trois ordres : nos expertises et nos savoir-faire, la qualité et la motivation de nos équipes et enfin notre réputation. La réputation est un mécanisme très efficace pour pousser notre secteur à la performance.

Roland Berger est extrêmement vigilant en matière de déontologie : le cabinet a élaboré un code de conduite qui s'applique à tous nos collaborateurs et à tous les niveaux de l'organisation.

Nous devons tous suivre des modules de formation portant notamment sur la conformité, la lutte contre les discriminations et la protection des données. Avant chaque prestation, La lutte contre les conflits d'intérêts fait l'objet d'une attention systématique au sein de notre cabinet.

Sur le plan quantitatif, notre cabinet accompagne le secteur public depuis plus de quinze ans. Si son poids dans notre portefeuille a pu varier d'une année à l'autre, son poids cumulé sur les dix dernières années s'élève à environ 15 %. Nous n'avons donc pas observé d'accroissement relatif du recours à nos services sur cette période, comparativement à nos autres secteurs d'intervention.

Sur le plan qualitatif, nous avons pu observer en revanche une professionnalisation des achats de conseil par l'État, tant du point de vue du choix de ses prestataires que de son pilotage. La mise en place des différentes générations d'accords-cadres a permis au client public d'accéder à un catalogue d'expertise et de prestations précis et dimensionné au meilleur coût.

Le développement d'expertise au sein même de l'État sur les bonnes pratiques de recours et de pilotage des prestataires privés a permis de mieux utiliser ces expertises externes aux côtés des clients publics. J'insiste sur le terme « aux côtés » : nos prestations sont le plus souvent réalisées en équipes conjointes avec nos clients. Cela permet d'assurer, d'une part, une intervention au plus près de besoins et, d'autre part, une appropriation des solutions proposées et un transfert de compétences efficace. Des modules de transfert de nos outils et de nos modèles sont régulièrement mis en oeuvre à la fin de nos missions.

Notre cabinet a eu l'occasion d'accompagner le secteur public au cours de la crise sanitaire liée au covid-19. Nous avons apporté un soutien à la direction générale de la santé au sein de la cellule de coordination logistique, en contribuant à la sécurisation des approvisionnements et de la distribution de masques, d'équipements de protection individuelle et de tests antigéniques.

Nous avons aussi participé à l'organisation des équipes dans le cadre du transfert progressif des activités logistiques à Santé publique France.

Durant le premier confinement au printemps 2020, dans le cadre d'une démarche citoyenne, naturelle et spontanée au regard de l'ampleur de la crise, certains de nos collaborateurs sont intervenus bénévolement et de manière très ponctuelle en appui au secteur public, à l'instar de mise en place d'outils de formation en ligne à la réanimation pour les soignants de l'AP-HP.

Sur le sujet des projets bénévoles et au-delà du soutien ponctuel lié à la crise sanitaire, je précise que nos interventions sont, sauf rares exceptions, systématiquement facturées à nos clients, privés comme publics.

Ces exceptions sont de deux ordres.

Il nous arrive de manière ponctuelle d'intervenir au titre du mécénat de compétence ou à titre gracieux auprès du secteur associatif dans le cadre de notre politique RSE.

Nous avons aussi participé bénévolement à des initiatives ou à l'organisation d'évènements visant à sensibiliser les acteurs publics comme privés à deux thématiques qui nous tiennent à coeur. La première est le soutien aux TPE et PME, car nous sommes convaincus qu'elles constituent en France un gisement important de la création d'activité et d'emplois. La deuxième est celle du développement de champions capables de rivaliser au plan international avec leurs grands concurrents et de participer sur le marché national aux enjeux de souveraineté.

Nous avons recensé trois contributions bénévoles de ce type sur les dix dernières années et aucun des travaux bénévoles que nous avons pu mener n'a donné lieu à des prestations complémentaires facturées.

Pourquoi le secteur public fait-il appel à des prestations externes privées ? De mon point de vue, il n'y a pas de réelles différences avec les raisons qui guident ce choix pour nos clients privés, même si nous sommes conscients que l'État et la puissance publique ont des objectifs et des exigences spécifiques en raison de leur mission d'intérêt général.

Nos équipes apportent de l'expertise, comme par exemple pour l'élaboration de propositions de modèles économiques adaptés à une infrastructure publique, l'élaboration d'une nouvelle organisation pour un service public ou encore la mise en place de dispositifs de conduite du changement.

Cette expertise constitue le capital intellectuel mis à la disposition de nos clients. Elle est constamment enrichie par des activités de recherche internes au groupe Roland Berger, sur des thématiques innovantes comme actuellement les enjeux de l'hydrogène, l'urgence écologique ou la robustesse des organisations face aux crises.

Nos équipes apportent également leur soutien lors de situations d'urgence qui nécessitent la production de livrables en temps contraint. Vous avez peut-être dans votre entourage des personnes qui exercent le métier de consultant et vous avez pu observer que ce métier de service nécessitait un engagement personnel très important, souvent avec des échéances courtes.

Ce qui nous guide et nous passionne, c'est justement la satisfaction du client. Tous nos processus internes sont orientés dans ce sens. Nous demandons systématiquement à nos clients de nous évaluer en fin de mission et nous disposons d'équipes internes pour nous aider à progresser dans ce service apporté. Cet engagement fiable, sans faille et sans compter de nos équipes constitue pour nos clients une raison du recours à nos services.

Mme Éliane Assassi, rapporteure. - Je commencerais par des questions transverses, s'adressant aux trois cabinets présents.

La première : mobiliser un cabinet de conseil, c'est aussi identifier une marque, un signe de prestige. La discrétion de vos missions est-elle une condition de leur bon déroulement ?

Deuxième question : les données et connaissances que vous accumulez lors de vos différents travaux au service de la puissance publique sont-elles ensuite mobilisées pour d'autres prestations dans le cadre des benchmarks ?

Troisième question : quelle est votre doctrine de recrutement de hauts fonctionnaires ? Fait-elle partie de votre stratégie de développement et de croissance dans le secteur public ?

Dernière question : avez-vous réalisé des missions liées à la conception ou la mise en oeuvre des mesures d'urgence dans le cadre du plan de relance ?

M. Guillaume Charlin. - Si, par discrétion, on entend confidentialité absolue dans le traitement de l'information sur les sujets qui nous préoccupent, la réponse est absolument oui.

Mme Éliane Assassi, rapporteure. - Le grand public ne vous connaît pas et ne sait pas que des ministères font appel à vous.

La discrétion est-elle une marque de fabrique de l'intervention des cabinets de conseil ?

M. Guillaume Charlin. - Comme je vous le disais, nous réalisons moins de 1 % de notre chiffre d'affaires dans le secteur public.

Le coeur de notre activité, c'est le secteur privé et plus précisément ce que nous appelons le CAC 80, le CAC 40 et les très grandes entreprises françaises. Nous avons peu de clients et nous ne nous adressons pas au grand public.

Nous sommes connus des dirigeants des grandes entreprises et sur les campus, car c'est là que nous recrutons, mais pas par le grand public. Par nature, notre notoriété est très confidentielle.

M. Jean-Christophe Gard. - Pour répondre à votre seconde question, les règles de gestion de la donnée dans le secteur public sont les mêmes que celles que nous appliquons dans le secteur privé.

Nous sommes régulièrement soumis à des chartes de sécurité informatique imposées par nos clients pour garantir la sécurité des données qui nous sont confiées pendant le projet.

Ces informations ne sont accessibles qu'aux seuls membres de l'équipe, du moment où elles sont pertinentes pour leurs missions. Elles ne sont pas partagées avec le reste de l'équipe et sont détruites ou remises à nos clients à la fin de la mission.

Nous gardons les livrables, exclusivement pour des sujets de conformité. Ces livrables sont gardés sur un système informatique dont les serveurs sont localisés en Allemagne. Tous nos systèmes et tous nos codes de gestion de la donnée respectent scrupuleusement le RGPD.

M. Arnaud Bazin. - Êtes-vous concernés par le Patriot Act et le Cloud Act ?

M. Jean-Christophe Gard. - Non, dans la mesure où nos données ne sont pas sauvegardées sur le territoire américain.

Par ailleurs, l'ensemble des données que nous sauvegardons sur nos serveurs sont cryptées. Nous sommes les seuls détenteurs de ces clés.

M. Guillaume Charlin. - Je confirme que nous ne sommes pas soumis au Cloud Act.

M. Arnaud Bazin. - Comment réalisez-vous les benchmarks proposés à vos clients ? Sur la base de vos anciens livrables ?

M. Jean-Christophe Gard. - Quand nous construisons des benchmarks, ils s'appuient sur trois sources. Il y a des données d'ordre public, que nous pouvons exploiter. Il y a des données propriétaires, générées par nos enquêtes, typiquement des enquêtes consommateurs. Enfin, il y a des données assemblées par certains acteurs avec l'objectif spécifique de les partager entre eux.

Nous sommes un tiers de confiance qui récolte certains indicateurs auprès d'acteurs. Nous les restituons de manière anonyme afin qu'ils puissent se comparer entre eux.

M. Gilles Bonnenfant. - Sur la première question portant sur la discrétion, nous ne sommes pas des entreprises qui travaillent avec le grand public. Nos marques et nos métiers sont moins connus et accessibles. Nous existons depuis 40 ans et avons mis du temps pour que notre marque soit connue. Nous sommes également connus des étudiants.

Nous commençons à être un peu connus du grand public car nous réalisons des contributions, des études et du marketing sur des sujets que nous traitons.

Mme Éliane Assassi, rapporteure. - C'est du réseautage !

M. Gilles Bonnenfant. - Ce ne sont pas des logiques de réseaux mais des logiques de communication et de marketing. Chacune des entreprises représentées ici recrute dans les grandes écoles.

Sur les données, nous avons des contrats de travail et une charte informatique qui régissent cette question. Les données échangées sont cryptées, selon les règles qui nous sont données par nos clients. Les livrables appartiennent à nos clients et nous ne les partageons pas. Les éléments de comparaison sont issus soit de données open source, soit d'enquêtes ou d'entretiens spécifiques que nous réalisons. Dans ce cas, la personne concernée a connaissance que les données peuvent être partagées.

M. Claudia Montero. - Une question portait sur la doctrine de recrutement des hauts fonctionnaires et son utilité pour un cabinet de conseil. Nous n'avons pas de doctrine de recrutement de hauts fonctionnaires. Nous n'avons pas et n'avons jamais eu de hauts fonctionnaires dans nos effectifs.

Nous ne sommes pas intervenus dans le cadre du plan de relance ni sur le plan d'urgence lors de la crise sanitaire.

M. Arnaud Bazin. - M. Jean-Christophe Gard, vous avez déclaré à Politico, concernant le recrutement d'anciens fonctionnaires : « il y a une logique d'investissement et notamment d'investissement sur des personnes qui sont aujourd'hui de hauts fonctionnaires, qui sont des personnes influentes dans la fonction publique et qui seront influentes dans le secteur privé demain. » Pouvez-vous nous préciser votre pensée ?

M. Jean-Christophe Gard. - Je vous remercie de cette demande de clarification.

Nous avons aujourd'hui moins d'une vingtaine de nos collaborateurs qui sont issus du secteur public, sur un millier d'employés dans le marché français. Pour la plupart d'entre eux, ils ne sont pas arrivés chez nous directement, mais après une expérience dans le privé avant de nous rejoindre. Notre activité « secteur public » représentant moins de 1 % de notre chiffre d'affaires, la plupart de ces collaborateurs ne travaillent pas sur des missions en lien avec les administrations.

Ce que je souhaitais signifier, c'est que l'État recrute de grands talents. Certains d'entre eux vont dans le privé et, en tant qu'employés du secteur privé, peuvent devenir des gens intéressants à côtoyer pour nous, comme des clients ou prescripteurs potentiels. Dans une logique de construction de réseaux, il y a des talents dans l'administration qui peuvent être des contributeurs intéressants. Mon propos ne faisait pas référence à une logique de recrutement au sein du BCG.

M. Laurent Benarousse. - Cela a été dit par mes confrères et je n'apporterai pas beaucoup plus d'éclairage sur la question de la marque : nous sommes une activité de « professionnels à professionnels » ; notre marque n'est pas une marque de grand public. Elle a un certain lustre et la réputation est un actif important dans notre activité. Pour moi, la force de la marque d'un cabinet de conseil est qu'elle constitue une garantie de la qualité du livrable.

La discrétion de notre intervention est à la discrétion du client. Il nous est arrivé de mener des projets éminemment publics, tout comme il nous est arrivé de devoir mener des projets en toute confidentialité. Il n'y a pas de règle particulière et le client décide de l'usage de notre accompagnement et de nos livrables.

Les données de Roland Berger France sont hébergées en France, sur des serveurs appartenant à Roland Berger. Ces serveurs sont protégés par des mécanismes de cybersécurité, que nous espérons les plus fiables possible. Les données sont la propriété de nos clients.

Nous devons parfois travailler dans des salles où la donnée est mise à notre disposition, sans qu'on puisse la copier. Dans d'autres cas, nous accédons à la donnée à titre temporaire, pour réaliser nos travaux, avant de la détruire à la fin de notre mission. Enfin, il nous est parfois demandé de garder les données et les livrables.

Ces données ne sont pas utilisées dans le cadre de benchmarks. Chez nous, le benchmark consiste à « compiler » des informations publiques, à comparer des processus et organisations. Dernier élément du benchmark : les entretiens, réalisés de manière ouverte et dont l'objectif est précisé à nos interlocuteurs dès le début de la rencontre.

Concernant le recrutement de hauts fonctionnaires, nous n'avons pas de doctrine particulière. J'ai moi-même été fonctionnaire pendant quelques années, mais enfin il y a 20 ans. Nous sommes trois dans la structure : moi-même, un salarié d'une entreprise publique et un haut fonctionnaire. C'est un peu le fruit du hasard. Il n'y a pas de projet derrière cela. Ce sont les individus qui, à un instant donné, semblent vouloir effectivement apporter leur valeur au sein du cabinet. Il n'y a pas d'objectifs quantifiés de recrutement.

Nous n'avons pas participé à la conception du plan de relance. Cependant, nous avons participé de manière bénévole à deux études qui ont donné lieu à des contrats avec la DGE, dont nous avons fait état dans le document que nous vous avons transmis. Chacune d'entre elles a été ponctuelle et a mobilisé une vingtaine de jours-hommes. Nous avons accompagné les équipes de la direction générale des entreprises (DGE) sur deux sujets : l'identification des vulnérabilités des chaînes de valeur face aux difficultés d'approvisionnement de nos industriels et un premier niveau de réflexion sur ce que pourraient être les mesures à déployer dans certaines filières industrielles pour faire face à ces vulnérabilités.

Ces mesures ont par la suite été étudiées avec chaque branche industrielle puis déployées. Mais nous ne sommes pas intervenus sur ces travaux.

M. Arnaud Bazin. - S'agissait-il de prestations payantes ?

M. Laurent Benarousse. - Non, les deux actions étaient bénévoles auprès de la DGE.

M. Arnaud Bazin. - Vous avez évoqué l'implication bénévole de vos salariés, est-ce qu'il s'agit d'une implication bénévole en dehors du temps de travail ou est-ce qu'il s'agit de prestations pro bono avec des salariés rémunérés par l'entreprise à cette occasion ?

M. Laurent Benarousse. - Dans le cadre de la crise covid-19, je ne saurais dire ce que les individus ont pu faire à titre personnel. J'imagine que certains ont pu participer à des actions de soutien locales sur leur temps libre.

Ce que nous avons fait, au titre de la société, c'est l'accompagnement des équipes de l'AP-HP et les deux projets pour le compte de la DGE dont je viens de faire état.

Mme Nathalie Goulet. - Je voudrais connaître votre appréciation concernant la règle du « tourniquet ». Les commandes semblent « tourner », mais lentement.

Deuxième question : M. Benarousse, vous avez évoqué la HATVP. Pourriez-vous nous donner plus de détails concernant vos interactions avec la HATVP ?

Ma troisième question porte sur les conflits d'intérêts. Vos salariés font-ils une déclaration en présence d'un potentiel conflit d'intérêts ? Collectez-vous ces déclarations, est-ce qu'un registre est tenu et, si tel n'est pas le cas, pensez-vous qu'un tel registre pourrait être utile ?

M. Jean-Christophe Gard. - Le « tourniquet » est le mécanisme de l'accord-cadre de la DITP, dont nous sommes attributaires. Nous le vivons donc au quotidien. C'est un système qui a une vertu d'équité entre les attributaires du contrat, qui doivent normalement récupérer des volumes d'activité équilibrés. La seconde vertu, c'est qu'il donne l'occasion aux donneurs d'ordres recourir à des prestataires différents. Le mécanisme est également simple dans sa mise en oeuvre.

Pour ce qui nous concerne, il est vrai que la compréhension de la place de chacun dans le « tourniquet » pour telle ou telle administration n'est pas toujours très claire. Nous n'avons pas systématiquement l'information : ce sont les donneurs d'ordre qui décident à quel moment tourne le « tourniquet ». Nous n'intervenons pas du tout sur ce point.

Le « tourniquet » a ses avantages : nous sommes conviés à certaines missions pour telle ou telle administration, sans vraiment savoir pourquoi c'est notre tour.

M. Arnaud Bazin. - Il semble qu'il y ait un droit de suite, lorsqu'un cabinet a démarré une intervention auprès d'une administration et que la mission se prolonge. On peut le comprendre. Néanmoins, lors de la crise sanitaire, il semble qu'un cabinet ait bénéficié de 11 missions successives. N'est-ce pas excessif ?

M. Jean-Christophe Gard. - Sans doute. Ce n'était pas le cas du BCG.

Par ailleurs, il peut arriver que nous ne soyons pas en capacité de répondre à une demande car nous n'avons pas les compétences requises ou la ressource disponible. Nous pouvons alors laisser passer notre tour, au bénéfice des autres attributaires.

M. Arnaud Bazin. - Et dans le cadre de l'UGAP, comment procède-t-on à l'évaluation  des prestations?

M. Jean-Christophe Gard. - Nous ne sommes pas attributaires de l'accord-cadre de l'UGAP.

M. Guillaume Charlin. - Sur les conflits d'intérêts, les salariés qui rejoignent le BCG ont l'obligation de nous déclarer tous leurs investissements et toutes les positions officielles qui pourraient les amener à avoir des conflits d'intérêts au sein de la société.

C'est un rappel que nous faisons tous les ans, avec une obligation de déclaration pour nos employés. Nous dispose d'un registre, parfaitement informé, qui nous permet d'identifier les conflits d'intérêts et de les traiter.

M. Claudia Montero. - Nous considérons que le « tourniquet » est in fine relativement efficace par rapport à ce que l'on peut observer dans d'autres accords-cadres, qui fonctionnent sur la base de marchés subséquents. Quand l'administration a une demande dans un temps contraint, cette règle constitue un moyen simple de distribuer équitablement les projets, sous réserve bien sûr que le cabinet sollicité dispose de la compétence attendue.

M. Arnaud Bazin. - Et si le cabinet ne dispose pas de la compétence ? Le recours à la sous-traitance est-il fréquent ?

M. Claudia Montero. - Nous sommes titulaires, parfois cotraitants, d'accords-cadres et faisons alors appel à des sous-traitants.

Lorsqu'arrive le tour d'Eurogroup dans le « tourniquet », la prestation peut être exécutée par notre cabinet, par un de ses partenaires cotraitants ou sous-traitants, en fonction des compétences.

M. Arnaud Bazin. - Quel est le pourcentage de recours à la sous-traitance ?

M. Claudia Montero. - Nous allons vérifier et nous vous donnerons la réponse par écrit.

M. Arnaud Bazin. - Cette demande s'applique aux trois cabinets. Cela nous intéresse de connaître la proportion de recours à la sous-traitance, notamment dans l'accord-cadre de la DITP.

M. Gilles Bonnenfant. - Sur la question des conflits d'intérêts, comme je le précisais, nous avons un comité d'éthique qui peut être saisi par chaque consultant ou qui peut se saisir lui-même. Il est souverain et sa décision s'applique à l'intérieur du cabinet.

M. Arnaud Bazin. - Y a-t-il un registre ?

M. Gilles Bonnenfant. - Il y a un suivi des requêtes.

M. Laurent Benarousse. - En réponse à votre question, Roland Berger n'interagit pas avec la HATVP. En revanche, lorsqu'il nous est arrivé de recruter quelqu'un qui devait demander un avis à la Haute Autorité, nous avons vérifié que cette demande avaient bien été faite et que la HATVP avait rendu un avis favorable.

Concernant le « tourniquet », aucun système n'est parfait. Mais le système est pensé de manière rationnelle, au sens où il permet un bon équilibre entre le recours assez rapide aux cabinets de conseil par leur préréférencement, et un équilibre en chiffre d'affaires entre les différents prestataires.

M. Arnaud Bazin. - Disposez-vous d'indications transparentes sur le fonctionnement du « tourniquet » ? Il a été indiqué que ce dispositif n'était pas évident à suivre...

M. Laurent Benarousse. - Personnellement, je ne l'ai pas.

Je crois que le « tourniquet » est organisé à la fois au niveau de la DITP et des ministères. Il y a bien un seul véhicule contractuel, mais qui peut être mobilisé soit par la DITP sur son propre budget, soit par chacun des ministères.

Mon appréciation est que le système fonctionne assez bien. Est-ce qu'il a été dévoyé ? Je ne saurais le dire.

Pour répondre à la question connexe de la sous-traitance, lorsque le « tourniquet » tombe sur nous, nous ne transférons jamais le travail à un sous-traitant. Quand nous travaillons avec des sous-traitants, ce sont des sous-traitants qui contribuent de manière spécifique à une expertise aux côtés de Roland Berger ou de son cotraitant, qui est Wavestone dans le cadre du marché DITP.

M. Arnaud Bazin. - La plupart de vos prestations semblent relever de l'accord-cadre de la DITP. Est-ce bien le cas ? Recevez-vous des commandes directes de la part des ministères ou des grandes administrations ?

M. Jean-Christophe Gard. - C'est tout à fait ça pour nous.

M. Gilles Bonnenfant. - Ce n'est pas le cas d'Eurogroup : nous avons aussi des contrats avec l'UGAP et le ministère des Armées. Les appels à projets s'y organisent différemment.

M. Arnaud Bazin, président. - Nous savons que les contrats avec le ministère des Armées sont à part, pour des raisons que chacun comprendra. En dehors de ce contrat, et de votre contrat avec l'UGAP, recevez-vous des commandes directes de la part d'autres administrations ?

M. Gilles Bonnenfant. - Non.

Mme Éliane Assassi, rapporteure. - Eurogroup est-il intervenu dans la réorganisation des services de la présidence de la République en 2018 ?

M. Gilles Bonnenfant. - Oui.

Mme Éliane Assassi, rapporteure. - Directement ?

M. Gilles Bonnenfant. - Non. Un premier appel d'offres a été conduit par la présidence de la République...

M. Arnaud Bazin, président. - Par « directement », nous entendons « sans passer par l'accord-cadre de la DITP ».

M. Gilles Bonnenfant. - Pour ce marché, nous ne sommes pas passés par l'accord-cadre. Nous avons d'abord remporté un appel d'offres porté par le secrétariat général de l'Élysée. La suite de cette prestation a été effectuée à travers l'accord-cadre de l'UGAP.

M. Arnaud Bazin, président. - Pourriez-vous préciser les missions liées à cette prestation ?

M. Gilles Bonnenfant. - Nous sommes d'abord intervenus entre mars et juillet 2018, dans le cadre d'une commande directe, pour un plan de transformation sur la base d'un audit réalisé par les services de l'Élysée. Le montant de cette première commande s'élevait à 46 000 euros.

La deuxième mission a commencé en septembre 2018, via un marché porté par l'UGAP. Elle a consisté à accompagner la transformation de l'Élysée sur plus d'un an. Le montant de la commande s'élevait à 1,2 million d'euros. La Cour des comptes, dans le cadre du contrôle annuel des comptes et de la gestion des services de la présidence de la République pour l'année 2019, a souligné l'efficacité de notre intervention.

M. Arnaud Bazin, président. - Cette réorganisation était-elle liée aux problèmes de sécurité mis en évidence par l'affaire « Benalla » ?

M. Gilles Bonnenfant. - Absolument pas. L'organisation antérieure, constituée de seize services, « se caractérisait par un fort particularisme dans le fonctionnement de chaque service et par des modes opératoires [...] insuffisamment formalisés », relevait la Cour des comptes. Nous avons aidé l'Élysée à créer une direction générale des services (DGS), à s'organiser en quatre directions et à optimiser un certain nombre de travaux. La Cour des comptes a souligné que notre intervention avait réduit les heures supplémentaires de 20 %.

Nous sommes donc intervenus dans le cadre d'une volonté de l'Élysée de réorganiser ses services support. La sécurité ne faisait pas partie de nos missions : cela n'entre pas dans nos compétences, et nous n'avons pas été sollicités sur cette problématique.

M. Laurent Benarousse. - Roland Berger n'est pas attributaire de l'accord-cadre de l'UGAP. En revanche, nous sommes attributaires des lots n° 1 et n° 3 de l'accord-cadre de la DITP et du lot n° 5 de l'accord-cadre de restructuration mis en place en 2020 par le ministère de l'économie et des finances.

L'écrasante majorité de nos prestations s'effectue dans le cadre du contrat de la DITP, même si nous continuons à répondre à des demandes de consultations directes pour la Caisse des dépôts et consignations, Bpifrance ou pour entreprises.

Mme Éliane Assassi, rapporteure. - Roland Berger est intervenu pour la commission sur les 1 000 premiers jours de l'enfant, lancée en septembre 2019, pour un montant d'environ 425 000 euros. Pouvez-vous nous décrire cette prestation ?

Quelles mesures avez-vous recommandées en faveur de l'industrie, dans le cadre du plan de relance ? Avez-vous suggéré d'alléger la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises ou les impôts fonciers ?

M. Laurent Benarousse. - Nous sommes intervenus en 2019 sur les 1 000 premiers jours de l'enfant. L'objectif était d'organiser au mieux pour le nouveau-né, mais aussi pour la maman, l'accès aux services publics. Ce travail a été mené en collaboration avec les services de l'État, à travers des ateliers, des entretiens avec les jeunes mamans pour comprendre leurs besoins, ainsi que ceux des jeunes papas. Il a donné lieu à un réalignement des services de l'État en fonction de ces besoins. Cela fait partie des projets dont nous sommes fiers, car il a donné un accès plus aisé à ces services.

Mme Éliane Assassi, rapporteure. - C'est justement ce type de prestations qui nous interpelle : n'y a-t-il personne, au sein de notre administration, qui soit capable de mener des missions comme celle-ci ?

M. Laurent Benarousse. - Il est difficile pour moi d'y répondre, sinon en tant qu'observateur de cet environnement. Permettez-moi au préalable de ne pas minimiser les méthodologies que nous apportons. Elles ont une vraie valeur ajoutée.

Mme Éliane Assassi, rapporteure. - Tel n'est pas mon propos.

M. Laurent Benarousse. - Je comprends, mais je souhaite insister sur ce qu'est la valeur ajoutée d'un cabinet comme le nôtre dans le cadre de ce travail.

Notre intervention a consisté, en un temps relativement court - comme d'habitude : c'est le propre de notre métier - à comprendre, à faire accoucher, sans mauvais jeu de mots, les parents de leurs besoins ; à comprendre les contraintes spécifiques aux dispositifs existants et à essayer, aussi rapidement que possible, de proposer des solutions tenant compte de cette attente et de ces contraintes. C'est une expertise que de savoir écouter, prendre le temps, concilier, convaincre les agents de l'État de changer. C'est ce que nous avons mis en place dans ce projet.

Y a-t-il des compétences équivalentes dans l'administration ? Certainement, ne serait-ce que parce qu'il y a d'anciens consultants dans ses rangs... Y en a-t-il suffisamment ? Je ne saurais le dire. Y avait-il des compétences disponibles, à ce moment-là, pour mener ces travaux ? J'imagine que non, mais je ne peux pas vous le certifier.

Quant au plan de relance, nous ne sommes pas entrés dans ce niveau de détail. De mémoire, nous avons délivré 25 jours de prestation. La mission a consisté à identifier pour chacune des industries concernées - l'aéronautique, l'automobile, les industries chimiques et parachimiques - ce qui pourrait être fait pour les aider à combler leurs vulnérabilités. Nous restions à un niveau principiel, aux grandes idées. Nous ne sommes pas entrés dans le niveau de détail que vous évoquez, ni dans les questions de fiscalité.

La prestation a été réalisée bénévolement par nos équipes, et elle a donné lieu à un contrat en bonne et due forme avec la DGE.

Mme Éliane Assassi, rapporteure. - Le BCG peut-il nous présenter l'étude sur la réindustrialisation de la France qui lui aurait été confiée par Bercy en 2021 ? Le sujet m'intéresse particulièrement, et je ne crois pas être la seule. Pouvez-vous préciser son coût et son état d'avancement ?

Ma deuxième question porte sur la contre-étude sur l'action environnementale du Gouvernement, réalisée en février 2021 et commandée par ce dernier pour justifier son action. Comment avez-vous assuré l'indépendance de cette prestation ?

Enfin, le BCG compte-t-il des énarques dans ses effectifs ?

M. Jean-Christophe Gard. - À l'heure actuelle, nous n'avons aucun énarque parmi nos employés, même si nous avons pu en avoir à certains moments.

Mme Éliane Assassi, rapporteure. - « À certains moments » ? Pouvez-vous préciser ?

M. Jean-Christophe Gard. - L'un de mes collaborateurs, qui travaillait dans le secteur de l'assurance, était énarque. Il nous a quittés voici trois ou quatre ans. C'est donc une présence très marginale.

L'étude sur la réindustrialisation de la France, qui a fait l'objet de plusieurs articles de presse, est une fake news. Nous n'avons jamais réalisé cette prestation. Je vous remercie de me donner l'occasion de clarifier cette question.

Le BCG a, en revanche, été sollicité par le ministère de la transition écologique pour déterminer si l'ensemble des mesures prises positionnaient la France sur sa trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES). En cinq ou six semaines, nous avons construit un modèle pour analyser ces mesures. Il s'agissait également d'en apprécier la faisabilité concrète.

Nous sommes intervenus car nous disposons d'une forte expertise dans ces domaines : nous considérons que les transformations environnementales sont de même amplitude que les transformations technologiques et digitales, qui touchent notre monde en profondeur. Nous investissons beaucoup en savoir-faire, en expertise, en compétences, en données, ce qui nous positionne de manière très pertinente sur ces sujets. C'est la raison pour laquelle, je le crois, nous avons été sollicités.

Cette étude a-t-elle été conduite sous la dictée ? La marque de fabrique du BCG, comme, je le suppose, celle de mes confrères, est une très grande indépendance intellectuelle vis-à-vis de nos donneurs d'ordre. C'est notre grande fierté - peut-être jusqu'à l'arrogance parfois... Nous disons ce que nous pensons. Si ce n'est pas ce que le client a envie d'entendre, nous le disons aussi habilement et poliment que possible, mais nous le disons.

Si nous avons conclu que la France, avec le corpus d'initiatives prises par le Gouvernement, est en mesure de respecter sa trajectoire de réduction de GES, c'est que nous en étions convaincus. Sinon, nous ne l'aurions pas dit.

Notre réputation et l'intégrité de nos recommandations sont les raisons pour lesquelles nos clients nous sollicitent. Ce contrat n'a pas été rédigé sous la dictée, et les faits remontés reposent sur des analyses aussi factuelles et scientifiques que possible, compte tenu de l'état de l'art.

M. Arnaud Bazin, président. - Je me tourne vers Eurogroup : comment les clients de l'UGAP évaluent-ils votre intervention ?

La deuxième question porte sur vos interventions auprès du ministère des Armées. Quelles sont les principales missions qui vous sont confiées, sans bien sûr trahir le secret de la défense nationale ?

M. Claudia Montero. - Eurogroup est titulaire de deux accords-cadres avec l'UGAP, sur le conseil en stratégie - en tant que co-traitants, et avec des sous-traitants - et le conseil en organisation.

Le fonctionnement du marché UGAP a la particularité de donner la possibilité, dès le début, d'entrer directement en discussion avec le client final, pour instruire son besoin et co-construire la proposition d'accompagnement avec lui. Dans ce processus de structuration de l'intervention, les choses peuvent s'arrêter à tout moment si le client n'est pas satisfait.

Une fois le processus arrivé à son terme et la proposition acceptée par le client, la mission se déroule. À la fin de chaque intervention, un questionnaire d'évaluation est envoyé par l'UGAP au client, sous forme numérique. Nous recevons les résultats de cette évaluation.

Pour chaque intervention, nous mettons en place, avec nos clients, des « moments-clés » au cours desquels nous vérifions ensemble la conformité de la production, en termes de délais comme de contenu.

Dès qu'une étape de production est franchie, dès qu'un « livrable » est remis au bénéficiaire, celui-ci le valide. Il peut aussi demander qu'il soit complété, voire le rejeter. La facturation repose sur la validation stricte de ces prestations. En validant le livrable, le client signe un PV de réception, ce qui donne lieu à la facturation.

M. Arnaud Bazin, président. - Ces deux éléments d'évaluation et de validation des livrables sont-ils prévus par la procédure de l'UGAP, ou est-ce une plus-value de votre cabinet ?

M. Claudia Montero. - La réception de service est toujours présente dans nos contrats avec le secteur public, de manière plus ou moins formalisée. Dans le cas de l'UGAP, il y a un véritable process. C'est une relation tripartite : nous avons un client, l'UGAP, et un bénéficiaire final. Le questionnaire d'évaluation est spécifique à l'UGAP ; nous avons proposé qu'il soit numérisé, alors qu'il était auparavant en format papier.

M. Gilbert Favreau. - D'après vos propos, les entités publiques ou parapubliques représentent 30 à 40 % de votre activité. L'UGAP est un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC). Cette centrale d'achat relève-t-elle du droit public ou du droit privé ?

M. Gilles Bonnenfant. - Le chiffre de 30 à 40 % couvre l'administration mais aussi les collectivités territoriales, les établissements publics et l'ensemble des entreprises dont l'État est actionnaire, comme Engie, EDF, la RATP ou la SNCF.

M. Claudia Montero. - L'appel d'offres de l'UGAP est public, et relève du code de la commande publique.

Le métier d'origine de l'UGAP est l'achat, au contraire des collectivités territoriales ou d'autres groupements publics. Dans cette relation, nous avons face à nous des acheteurs, en même temps que des personnes en contact quotidien avec le secteur public. C'est un marché dont la procédure est spécifique, mais qui relève bien du public.

M. Gilbert Favreau. - L'UGAP réalise 5 milliards d'euros d'achats par an. J'ignorais, avant cette audition, que son champ couvrait également les prestations intellectuelles...

M. Gilles Bonnenfant. - La part du conseil dans les achats de l'UGAP est infinitésimale.

M. Arnaud Bazin, président. - Notre commission d'enquête a également auditionné l'UGAP.

M. Gilles Bonnenfant. - Concernant nos prestations pour le ministère des Armées, nous travaillons notamment sur la transformation numérique, pour dégager des capacités de production pharmaceutiques à travers une démarche de lean management. Nous avons aussi travaillé en appui à la mise en place de l'Observatoire de la santé des militaires. Nous travaillons actuellement sur un projet pour améliorer le taux de disponibilité de certains aéronefs du ministère. Nous commençons à obtenir des résultats concrets.

Sur d'autres sujets, je ne pourrai répondre que dans le respect des règles de confidentialité imposées par le ministère des Armées.

M. Arnaud Bazin, président. - Je vous remercie, Madame et Messieurs, d'avoir éclairé la commission sur vos activités.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 19 h 30.