II. MALGRÉ UNE HAUSSE DES MOYENS ALLOUÉS À LA JUSTICE PLUSIEURS POINTS DE VIGILANCE

A. UN EFFORT DE RECRUTEMENT AMBITIEUX, DONT LA QUALITÉ ET LA RÉPARTITION MÉRITENT UN SUIVI ATTENTIF

1. Une politique de recrutement et d'attractivité ambitieuse pour les magistrats

Conformément à la trajectoire fixée dans le cadre de la LOPJ pour 2023-2027, la création nette de 1 500 emplois de magistrats impliquera un effort de recrutement ambitieux de l'ordre de 3 169 magistrats sur le quinquennat.

Planification du nombre et de la nature
des recrutements de magistrats de 2023 à 2027

Source : réponses au questionnaire budgétaire

Cet effort suppose un renforcement très significatif des capacités d'accueil de l'École nationale de la magistrature (ENM) alors que la promotion des auditeurs de justice pour 2023, constituée de 380 membres, est d'ores et déjà la plus importante de l'histoire de l'École. L'École verrait ainsi ses effectifs renforcés en 2024 à hauteur de 33 équivalents temps plein (ETP). Un second site serait par ailleurs inauguré, dans le cadre d'une prise à bail, dès 2024 pour accueillir les nouveaux auditeurs.

Malgré ce renforcement, le recrutement des nouveaux magistrats devrait porter davantage sur des candidats ayant déjà une expérience professionnelle, s'appuyant sur les dispositions adoptées dans le cadre de la loi organique n° 2023-1058 du 20 novembre 2023 relative à l'ouverture, à la modernisation et à la responsabilité du corps judiciaire. Ainsi, la part des auditeurs de justice dans le total des recrutements, de l'ordre de 72,66 % en 2023, devrait atteindre un étiage en 2025 à 68,41 %. Les recrutements par concours à l'auditorat représenteront ainsi une part nettement plus faible du total des recrutements jusqu'en 2025, avant de connaître une hausse à partir de 2026, comme le montre le graphique ci-dessous.

Part des recrutements par les concours d'auditeur de justice
dans le total des recrutements

Source : commission des lois à partir des réponses au questionnaire budgétaire

Condition sine qua non d'une politique de recrutement réussie, l'attractivité de la fonction de magistrat a été très nettement renforcée, en particulier par la revalorisation indemnitaire survenue au mois d'octobre 2023. Comme le précise le projet annuel de performance du programme 166, cette revalorisation indemnitaire, fondée sur un régime défini par le décret n° 2023-768 du 12 août 2023 et un arrêté du même jour, qui avait pour objectif de combler le décalage entre la rémunération des magistrats judiciaires et administratifs, devrait coûter en année pleine 108,46 millions d'euros.

Répartition prévisionnelle des
effectifs supplémentaires d'ici 2027

Source : direction des services judiciaires

Ce recrutement, qui se traduira par la création d'un peu plus de 1 000 postes de magistrats - 400 postes environ étant vacants au 1er janvier 2023 selon la direction des services judiciaires - a déjà fait l'objet d'une première répartition à l'issue d'un dialogue de gestion à l'échelle des cours d'appel. Ce dialogue doit désormais être décliné au plus vite à l'échelle des juridictions, afin de donner une visibilité aux chefs de juridiction dans les moyens dont ils disposent. Les rapporteures appellent à cet égard la Chancellerie à la finalisation rapide de l'outil d'évaluation de la charge de travail des magistrats, dont les résultats pour la première instance sont attendus de longue date.

2. Le nécessaire renforcement du recrutement des greffiers
a) Un effort de recrutement ambitieux, à la hauteur des attentes fixées par le Sénat

Conformément à la volonté de la commission des lois et du Sénat, le recrutement quinquennal de greffiers - initialement fixé à 1 500 - a été revu à la hausse pour atteindre 1 800 personnels de greffe, un effort indispensable au regard du ratio entre magistrats et greffiers en juridiction, généralement de 1,2 greffier pour 1 magistrat.

Si ce recrutement entérine la place des personnels de greffe aux côtés des magistrats en juridiction, il impliquera une mise sous tension du processus de recrutement, au sein de l'École nationale des greffes (ENG) comme en juridiction.

La formation des personnels de greffe

Une fois admis au concours6(*), les personnels de greffe sont formés à l'École nationale des greffes (ENG) à Dijon. S'agissant des directeurs de services de greffe, la formation est d'une durée de 18 mois et alterne enseignements théoriques et stages de mise en application. S'agissant des greffiers, la formation est d'une durée de 12 mois (troisième concours) ou 18 mois (concours interne et externe) et comprend un stage de découverte, un temps de scolarité à l'ENG, des stages pratiques en juridictions, des stages d'approfondissement hors poste et un stage de mise en situation professionnelle sur poste.

Comme la commission a pu le constater lors d'un déplacement à l'ENG le 16 novembre dernier, cette dernière devrait adapter son cycle de formation, y compris par l'ouverture d'un second concours, afin d'accueillir davantage d'élèves.

Répartition prévisionnelle de la formation par l'ENG
des directeurs de greffe (en jaune) et des greffiers (en bleu)
ainsi que la requalification de personnels de catégorie C en greffiers
(en jaune pâle) sur l'année civile

Source : École nationale des greffes

b) Des mesures catégorielles bienvenues, qui doivent s'accompagner d'une réflexion sur la profession

L'année 2023 a été marquée par l'expression d'un vif mécontentement des personnels de greffe. Un mouvement social d'ampleur a ainsi eu lieu dans la profession à partir de juillet 2023, faisant écho aux constats déjà dressés lors des états généraux de la justice.

Les états généraux de la justice ont déjà dressé l'inventaire
des difficultés des personnels de greffe

Dans le sillage du constat d'une « justice au bord de la rupture », le rapport issu des états généraux de la justice avait, dès avril 2022, fait état de la nécessité de « revaloriser le statut et la formation des greffiers pour renforcer l'attractivité des fonctions dans un contexte de recrutements indispensables ».

Le rapport relevait en particulier que, malgré « l'exigence de qualification au recrutement, la prééminence des surdiplômés parmi les admis du concours externe et la diminution des entrants par concours interne [qui] concourent à faire des greffiers un corps de plus en plus diplômé », et que « les greffiers sont moins bien rémunérés que les membres des autres professions et corps de fonctionnaires de catégorie B des ministères, puisqu'ils perçoivent une rémunération nette globale (primes et indemnités comprises) de 13 % inférieure à la moyenne ». Par ailleurs, « la question de la capacité d'accueil de l'ENG et de l'attractivité des fonctions de greffe se pose dès maintenant et va se poser avec acuité dans les prochaines années au regard des recrutements massifs qui sont envisagés et nécessaires. » Le rapport relevait enfin à cet égard comme « particulièrement sensible le problème de la forte rotation des effectifs, surtout en début de carrière, et de l'absentéisme dans les corps des greffes », notant qu'y contribuent « outre les questions financières, l'écart entre les affectations géographiques et les voeux, une motivation défaillante, des conditions de travail souvent médiocres et une insuffisance de l'encadrement. »

Ce mouvement a débouché sur la signature le 13 juillet 2023 par le directeur des services judiciaires et les quatre organisations syndicales représentatives des fonctionnaires des services judiciaires d'un accord de méthode relatif à la négociation d'un protocole d'accord sur la revalorisation des métiers de greffe, aboutissant à la conclusion d'un accord, signé par trois des quatre organisations, le 26 octobre 2023.

Cet accord s'articule autour des éléments suivants :

- une revalorisation indiciaire d'une enveloppe de 11,8 millions d'euros, « dès la fin de l'année 2023 », s'ajoutant à la revalorisation indemnitaire déjà effective depuis juillet 2023 ;

- la modification début 2024 de la grille statutaire des greffiers dans le but « d'accélérer leur déroulement de carrière » ;

- la création d'un corps de débouché de catégorie A, comptant près de 25 % du corps (3 200 greffiers) ;

- la requalification des adjoints administratifs faisant fonction de greffiers, ayant vocation à bénéficier à 700 adjoints administratifs sur trois ans ;

- la poursuite en 2024 des négociations sur la valorisation et l'évolution des fonctions de directeur des services de greffe.

Les organisations syndicales entendues par les rapporteures ont généralement salué ces mesures, tout en relevant qu'elles ne sauraient exonérer la Chancellerie d'une réflexion de long terme sur l'avenir d'une profession qui exprime des inquiétudes légitimes quant à celui-ci.

D'une part, le recrutement en juridiction d'un nombre important de contractuels, dont 1 100 emplois d'attachés de justice à l'horizon 2025, renforts bienvenus pour pallier la pénurie de moyens, a pu conduire au sentiment d'une déstructuration des équipes et à une indétermination relative des tâches accomplies par chacun. Alors que « l'équipe autour du magistrat », dont le greffe constitue pour les rapporteures une part essentielle, peine encore à se structurer, les personnels de greffe peuvent ressentir ce « mille-feuilles de professions » diverses, au statut parfois plus avantageux que le leur, comme une menace pour l'avenir de leur cadre et de leur profession.

D'autre part, la situation du corps spécifique des directeurs de greffe doit faire l'objet d'une attention particulière. De petite taille, ce corps pourrait se voir concurrencer, notamment par la création d'un corps de débouché de carrière catégorie A pour les greffiers, dotés à ce titre de missions d'encadrement.

Enfin, les rapporteures appellent à une réflexion prospective sur l'impact de l'intelligence artificielle générative sur les tâches des personnes de greffe, dont certaines pourraient de ce fait devenir automatisables à brève échéance.


* 6 Le recrutement des directeurs des services de greffe judiciaire, corps de catégorie A, s'opère principalement par voie de concours, le concours externe étant ouvert aux candidats titulaires d'un diplôme de niveau bac+3 ou d'une qualification reconnue équivalente. La profession de greffier des services judiciaires est accessible par trois voies : le concours externe, qui exige d'être titulaire d'un bac+2 minimum ; le concours interne, qui exige d'être fonctionnaire ou agent public depuis au moins quatre ans ; le troisième concours, pour lequel les candidats doivent justifier de l'exercice pendant une durée de quatre ans d'un ou plusieurs mandats ou d'une ou plusieurs activités professionnelles exercées dans le domaine juridique et d'un niveau comparable à celles des greffiers des services judiciaires. Néanmoins, comme le relève le rapport des états généraux de la justice, « près de huit admis aux concours entre 2008 et 2017 sur dix étaient en réalité titulaires d'un diplôme au moins égal à Bac+3. »

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