III. UNE STABILITÉ DES MOYENS DÉDIÉS AUX SERVICES PÉNITENTIAIRES D'INSERTION ET DE PROBATION QUI CONSTITUENT UN LEVIER MAJEUR DANS LA LUTTE CONTRE LA SURPOPULATION CARCÉRALE

A. L'INSERTION ET LA PROBATION SONT LE PARENT PAUVRE DU BUDGET 2024

Si la politique d'aménagement de peines est présentée comme une « priorité de l'administration pénitentiaire2(*) », force est de constater que les crédits qui y sont consacrés dans le cadre du projet de loi de finances pour 2024 sont en léger recul, en contraste avec l'exercice précédent marqué par une hausse historique de 34 %. 51,8 millions d'euros (en AE et en CP) seront ainsi dédiés au développement des aménagements de peine et des mesures alternatives à l'incarcération, soit une baisse de 3 %, alors que le nombre de personnes écrouées en aménagement de peine a augmenté de plus de 50 % en dix ans (en AE et en CP).

Cette diminution concerne plus particulièrement le déploiement du bracelet anti-rapprochement et les mesures liées à la surveillance électronique dont les crédits diminuent respectivement de 9,5 % et de 1,4 % tandis que le budget alloué au placement à l'extérieur reste stable (13,8 millions d'euros) malgré la revalorisation du prix de la journée d'hébergement et la poursuite du déploiement du contrôle judiciaire sous placement probatoire (CJPP) expérimenté depuis 2021. Cette évolution apparaît d'autant plus problématique que le placement sous surveillance électronique (PSE) représente le premier aménagement de peine sous écrou et que le rythme de déploiement de cette mesure continue de s'accélérer (+ 5,6 % de personnes concernées entre 2022 et 2023, + 11,7 % au premier semestre 2023).

La diminution de la surpopulation carcérale s'appuie par ailleurs sur la lutte contre la récidive portée par l'action 2 « Accueil et accompagnement des personnes placées sous-main de justice » (PPSMJ) qui finance également l'entretien des bâtiments et l'hébergement et la restauration des personnes détenues. Le projet de loi de finances pour 2024 prévoit de financer les activités de réinsertion des PPSMJ à hauteur de 112,4 millions d'euros en AE et 107,4 millions d'euros en CP, des montants comparables à ceux de l'année passée3(*). L'insertion professionnelle des personnes détenues représente le premier poste de dépenses de cette politique puisque le projet de loi de finances pour 2024 prévoit d'y consacrer 20,5 millions d'euros en AE et en CP, un montant similaire à celui alloué à toutes les autres dépenses de réinsertion.

La réforme du travail en détention par la loi n° 2021-1729
du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire

10 millions d'euros sont consacrés à la réforme du travail pénitentiaire prévue aux articles 19 à 22 de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire et mise en oeuvre partiellement depuis 2023. Cette loi prévoit la création d'un statut du détenu travailleur fondé sur l'établissement d'une relation de travail de nature contractuelle dans le but de rapprocher le travail en détention du droit commun et de favoriser la réinsertion professionnelle des personnes détenues. Elle comprend deux volets : la création du contrat d'emploi pénitentiaire (CEP) et le développement de l'offre d'emploi en détention, d'une part, et le renforcement et la création de droits sociaux, d'autre part4(*).

Cette réforme a pour ambition d'enrayer la diminution du travail pénitentiaire qui n'est désormais accessible qu'à moins de 30 % des personnes détenues contre 50 % au début des années 20005(*). D'après la direction de l'administration pénitentiaire, le déploiement de cette réforme s'est opéré « sans difficulté majeure dans les établissements qui ont bénéficié d'un accompagnement soutenu »6(*) et a permis à 567 détenus supplémentaires d'exercer une activité professionnelle7(*), même si la proportion des travailleurs détenus régresse légèrement du fait du rythme de progression plus rapide de la population carcérale.

À ces postes de dépenses s'ajoutent le financement de l'enseignement à hauteur d'1,4 million d'euros et le renforcement des prises en charges collectives en milieu ouvert à hauteur de 4 millions d'euros. Ces dépenses de fonctionnement sont complétées par des dépenses d'intervention : 8 millions d'euros seront consacrés à la lutte contre la pauvreté, comme en 2023, et 7 millions d'euros seront versés sous forme de subventions aux associations, un montant en baisse de 10 % alors que le Gouvernement considère que « le développement et la diversification du réseau partenarial de l'administration pénitentiaire, tant au niveau national que local, demeure un levier essentiel de l'action des services d'insertion et de probation8(*) ».

Le budget dédié à l'insertion et à la probation est donc marqué par une certaine stabilité, voire une diminution des crédits dans certains domaines. Cependant, les moyens dédiés au financement des dépenses de fonctionnement des services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) connaissent une augmentation d'1,2 million d'euros (+ 3,9 %) et s'établissent ainsi à 31,6 millions d'euros. Cet accroissement, légèrement plus important que celui des dépenses de fonctionnement globales des SPIP, des directions interrégionales des services pénitentiaires (DISP) et de l'administration centrale (+ 3,6 %), s'explique notamment par la prise en compte de la création de 1 500 emplois au sein de l'administration pénitentiaire prévue dans le cadre de la mise en oeuvre de la réforme pénale sur la période 2018-2022.

En ce qui concerne les dépenses de personnels, le projet de loi de finances pour 2024 se contente de tenir compte des mesures décidées en 2020 et 2022 sans véritable gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences, la direction de l'administration pénitentiaire considérant que « fin 2024, l'ensemble des postes en SPIP identifiés au sein des effectifs de référence (CPIP, personnels médico-social et administratifs) seront comblés.9(*) » Outre les mesures communes à tous les corps de l'administration pénitentiaire, il intègre la revalorisation indiciaire du corps des directeurs pénitentiaires d'insertion et de probation (DPIP) à hauteur de 0,23 million d'euros10(*). Par ailleurs, les derniers agents contractuels recrutés au titre des 100 emplois de conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation (CPIP) créés en 2020 seront affectés sur leur poste en 2024.

Au-delà des timides efforts budgétaires consentis dans le cadre du projet de loi de finances pour 2024, le renforcement de l'activité des SPIP doit également passer par une clarification des modes de fonctionnement de ces services dans le but de renforcer le recours aux aménagements de peine et aux alternatives à l'incarcération. L'annonce, pour 2024, de la finalisation du référentiel de l'organisation et du fonctionnement (RPO3) participe de cette dynamique. Cependant, les syndicats représentant les personnels des SPIP s'inquiètent unanimement du déploiement de ce nouvel outil perçu comme un « fourre-tout d'orientations politiques et de gestion11(*) », d'autant que les services ont déjà rencontré des difficultés à s'approprier le RPO1 (relatif à la méthodologie d'intervention des SPIP) et le RPO2 (consacré aux compétences et aux qualifications des agents) censés professionnaliser leurs pratiques. Notons que la direction de l'administration pénitentiaire a d'ores et déjà annoncé la création d'un RPO4 portant sur les outils de pilotage. Ces référentiels, inspirés de la criminologie et des pratiques anglo-saxonnes, semblent peu adaptés aux spécificités françaises, d'une part, et se fondent principalement sur le critère de l'absence de récidive pour évaluer l'action des SPIP, d'autre part. Or, le taux de récidive est, par essence, complexe à mesurer et ne constitue que l'une des dimensions de la politique de réinsertion des personnes condamnées. À cet égard, les syndicats ayant répondu aux sollicitations du rapporteurs ont indiqué craindre que l'expérimentation, poursuivie en 2024 ; d'un « outil d'évaluation afin d'adapter les modalités de prise en charge et de mieux prévenir la récidive12(*) » procède, une fois encore, de cette logique réductrice.

L'accroissement du recours aux aménagements de peine et aux mesures alternatives à l'incarcération passe également par l'amélioration de la lisibilité de l'offre de ces mesures encore trop méconnue par l'autorité judiciaire. Dans cette perspective, le rapporteur salue l'annonce de la refonte, par la direction de l'administration pénitentiaire et la direction des affaires criminelles et des grâces, de la fiche correctionnelle, cartographie de l'offre de peine destinée aux présidents de chambres correctionnelles. D'autres outils informatiques ont également été déployés progressivement en 2023 tels que l'application PE360 qui offre une vision géo localisée des offres de placement extérieur ou le répertoire national des structures de semi-liberté, accessible en ligne.

Les limites du développement des aménagements de peine :
l'exemple du placement extérieur

Le placement extérieur est un aménagement de peine dont peuvent bénéficier les personnes condamnées libres ou détenues, sous certaines conditions. Cette mesure consiste à permettre à la personne condamnée d'effectuer sa peine à l'extérieur de la prison, au sein d'une structure accueillant des offres de placement à l'extérieur.

Des progrès restent à faire pour développer le placement extérieur qui ne représente que 4 % des mesures d'aménagement de peine et 1 % de l'ensemble des mesures suivies en milieu ouvert par les SPIP.

Ces statistiques sont d'autant plus problématiques que près de 50 % des 2011 places offertes sont demeurent inoccupées13(*). Les raisons de cet échec sont à chercher au-delà des enjeux budgétaires, les crédits alloués au placement extérieur ayant augmenté de 55 % en deux ans14(*). La faiblesse du recours au placement extérieur s'explique par des causes plus profondes qui tiennent à la fois à l'inégalité de répartition et au manque de visibilité de l'offre sur le territoire, à la préférence donnée par les juridictions et les PPSMJ à la surveillance électronique et à la lourdeur des procédures d'instruction de la mesure et de son modèle de financement.

Il apparaît donc essentiel, au-delà du renforcement des moyens budgétaires alloués au développement des aménagements de peine, de mieux faire connaître et de crédibiliser ce dispositif auprès des juridictions. Le rapporteur salue, à ce titre, la création en 2023 d'un groupe de travail par la sous-direction de l'insertion et de la probation pour mettre à jour le cahier des charges du placement à l'extérieur.

Le développement de la probation est un pilier essentiel de la lutte contre la surpopulation carcérale mais le renforcement des moyens qui lui sont dédiés, d'une part, et la simplification des procédures des aménagements de peine et des mesures alternatives à l'incarcération, d'autre part, ne sont pas suffisants pour enrayer ce phénomène. En effet, le nombre de personnes suivies en milieu ouvert a cru de 145 % entre 1980 et 202215(*) mais le nombre de détenus a augmenté de 86 % sur la même période16(*). Cette évolution parallèle démontre « le caractère réduit de l'effet de substitution entre incarcérations et mesures alternatives de milieu ouvert dont le développement a été une des orientations majeures de la politique pénale depuis plus de 20 ans17(*) ». Ce paradoxe s'explique par des causes plus profondes qui tiennent, notamment, à l'apparition de nouveaux délits sanctionnant des comportements autrefois considérés hors du champ pénal et au durcissement des peines existantes. Ainsi, le contentieux lié aux violences intrafamiliales a explosé depuis l'avènement du mouvement « Me Too » : depuis 2017, 4 000 détenus ont été condamnés pour des faits relevant de cette catégorie18(*).


* 2 Source : projet annuel de performances sur les crédits de la mission « Justice » du projet de loi de finances pour 2024.

* 3 111,7 millions d'euros en AE, 106, millions d'euros en CP (projet de loi de finances pour 2023).

* 4 Ordonnance n° 2022-1336 du 19 octobre 2022 relative aux droits sociaux des personnes détenues.

* 5 Source : projet annuel de performances sur les crédits de la mission « Justice » du projet de loi de finances pour 2024.

* 6 Source : contribution écrite de la direction de l'administration pénitentiaire adressée au rapporteur.

* 7 Entre janvier et septembre 2023.

* 8 Source : projet annuel de performances sur les crédits de la mission « Justice » du projet de loi de finances pour 2024.

* 9 Source : contribution écrite de la direction de l'administration pénitentiaire adressée au rapporteur.

* 10 En 2024, la revalorisation indiciaire du corps des DPIP n'aura d'incidence que sur deux mois. Le coût total de la mesure est estimé à 1,4 millions d'euros en année pleine.

* 11 Table ronde des syndicats représentant les services pénitentiaires d'insertion et de probation entendus par le rapporteur.

* 12 Source : projet annuel de performances sur les crédits de la mission « Justice » du projet de loi de finances pour 2024.

* 13 Source : projet annuel de performances sur les crédits de la mission « Justice » du projet de loi de finances pour 2024.

* 14 Le montant des crédits consacrés au placement extérieur était de 8,9 millions d'euros en 2022 contre 13,8 millions d'euros en 2024 (projet de loi de finances pour 2024).

* 15 Source : « Une surpopulation carcérale persistante, une politique d'exécution des peines en question », rapport public thématique de la Cour des comptes (octobre 2023).

* 16 Source : séries statistiques des personnes placées sous main de justice (1980-2022) publiées par le ministère de la justice

* 17 Source : « Une surpopulation carcérale persistante, une politique d'exécution des peines en question », rapport public thématique de la Cour des comptes (octobre 2023).

* 18 Source : audition de la Cour des comptes.

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