N° 134

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 23 novembre 2023

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi de finances, considéré comme adopté par l'Assemblée nationale en application de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution,
pour
2024,

TOME VI

ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE

Par M. Louis VOGEL,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. François-Noël Buffet, président ; M. Christophe-André Frassa, Mme Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Marc-Philippe Daubresse, Jérôme Durain, Philippe Bonnecarrère, Thani Mohamed Soilihi, Mme Cécile Cukierman, MM. Dany Wattebled, Guy Benarroche, Mme Nathalie Delattre, vice-présidents ; Mmes Agnès Canayer, Muriel Jourda, M. André Reichardt, Mme Isabelle Florennes, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Philippe Bas, Mme Nadine Bellurot, MM. Olivier Bitz, François Bonhomme, Hussein Bourgi, Ian Brossat, Christophe Chaillou, Mathieu Darnaud, Mmes Catherine Di Folco, Françoise Dumont, Jacqueline Eustache-Brinio, Françoise Gatel, Laurence Harribey, Lauriane Josende, MM. Éric Kerrouche, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Audrey Linkenheld, MM. Alain Marc, Hervé Marseille, Michel Masset, Mmes Marie Mercier, Corinne Narassiguin, M. Paul Toussaint Parigi, Mme Olivia Richard, M. Pierre-Alain Roiron, Mmes Elsa Schalck, Patricia Schillinger, M. Francis Szpiner, Mmes Lana Tetuanui, Dominique Vérien, M. Louis Vogel, Mme Mélanie Vogel.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (16ème législ.) : 16801715, 1719, 1723, 1745, 1778, 1781, 1805, 1808, 1820 et T.A. 178

Sénat : 127 et 128 à 134 (2023-2024)

L'ESSENTIEL

Le budget de l'administration pénitentiaire prévu pour 2024 se caractérise par une croissance modeste après plusieurs années d'expansion.

Certes, pour la première fois de son histoire, le budget de l'administration pénitentiaire devrait dépasser, en 2024, les 5 milliards d'euros (5,003 milliards) en incluant les dépenses relatives aux pensions. Ce niveau historique résulte d'une augmentation des crédits de 1,5 % par rapport à 2023.

Mais au-delà de ce seuil symbolique l'augmentation elle-même peut paraitre doublement modeste. D'une part, l'augmentation de 1,5 % du budget de l'administration pénitentiaire doit être comparée aux 5,3 % d'augmentation du budget de la mission justice dans son ensemble pour 2024. D'autre part, depuis 2018, le taux de croissance des budgets de l`administration pénitentiaire n'a jamais été inférieur à 5 % et a même été supérieur à 7 % depuis 2020 (augmentations de 2,2 % en 2018, 5,7 % en 2019, 6,2 % en 2020, 7,8 % en 2021, 7,4 % en 2022 et 7,5 % en 2023).

Le gouvernement présente la perspective pour 2024 comme une stabilisation du budget à un niveau élevé. D'autres éléments plus conjoncturels doivent cependant être pris en compte. Ainsi, l'augmentation de 1,5 % résulte d'une moyenne entre une augmentation de près de 5 % des crédits de personnels et une baisse de 4,5 % des autres crédits. Si l'on ne prenait pas en compte les dépenses relatives aux pensions, l'augmentation du budget de l'administration pénitentiaire ne serait que de 0,8 % en 2024.

Si l'administration pénitentiaire a incontestablement bénéficié de l'augmentation des crédits de la mission justice au cours des cinq dernières années la stabilisation prévue pour 2024 est l'occasion de s'interroger sur l'allocation optimale des sommes.

I. DES CRÉDITS DE PERSONNELS SOUMIS À UNE DOUBLE CONTRAINTE

A. DES CRÉATIONS D'EMPLOIS MARQUÉES PAR LA PERSPECTIVE DES JEUX OLYMPIQUES POUR 2024

La création de 447 emplois est prévue pour 2024. Près de la moitié d'entre eux (217) résulte de la reprise par l'administration pénitentiaire des missions d'extraction judiciaire (EJ). Cette décision découle en partie de la nécessité de libérer les forces de sécurité intérieure encore impliquées dans ces missions pour les Jeux Olympiques de 2024.

Les missions de transfert de prisonniers vers les tribunaux font depuis 2010 l'objet d'une prise en charge complexe. Les extractions relevaient en effet des forces de sécurité intérieure jusqu'à ce qu'une réunion interministérielle du 30 septembre 2010, ne décide du transfert de cette mission vers le ministère de la Justice moyennant un transfert de 800 équivalents temps plein (ETP). L'évaluation du nombre d'emploi à transférer reposait notamment sur l'idée que le nombre d'extraction serait appelé à décroître avec le développement de la visioconférence. En réalité le nombre de demande d'extraction n'a fait que croître et comme le notait le ministère de la Justice en 2018, « ce premier volume d'emplois, nettement insuffisant, a été plusieurs fois réévalué, notamment à la faveur de la reprise progressive, région administrative par région administrative, des EJ par l'administration pénitentiaire ». Le transfert des extractions de l'ensemble des régions administratives ne s'est achevé qu'en novembre 2019. En pratique ce sont environ 1 700 personnels du ministère de la Justice qui participent actuellement aux EJ sur 1 801 postes théoriquement affectés à cette mission.

Du fait du manque de personnels les cas de carence et donc d'impossibilité d'extraction est important à 9 % en 2022 au niveau national avec un pic à 17 % pour les ressorts des directions interrégionales de Dijon et de Lyon. Or la non présentation à magistrat entraine parfois la remise en liberté immédiate. 26 remises en liberté ont eu lieu de ce fait en 2021, en 2022 et 5 au premier semestre 2023. Le taux de carence a baissé au cours des trois dernières années, malgré l'augmentation du nombre de demandes d'extraction. Mais la pression croissante sur les effectifs de l'administration pénitentiaire pour assurer ces missions, un syndicat indiquant au rapporteur que 60 % des effectifs d'agent pénitentiaires d'Ile-de-France se trouvent appelés à y participer, et la difficulté croissante à organiser l'intervention des forces de sécurité intérieure conduit l'administration à estimer nécessaire la création de 370 nouveaux ETP. Les 217 ETP prévue pour 2024 ne couvriront donc que partiellement les besoins.

208 nouveaux postes sont prévus pour les nouveaux établissements pénitentiaires. Dans ses rapports pour avis au nom de la commission des lois, Alain Marc avait souligné que si ces créations étaient nécessaires, elles constituaient en pratique l'essentiel des créations de ces dernières années, ce qui laisse craindre une prise en compte insuffisante des besoins en création de postes dans les établissements existants.

On peut enfin noter que 22 postes sont prévus pour l'amélioration des systèmes d'information.

B. DES AMÉLIORATIONS CATÉGORIELLES DESTINÉES À LUTTER CONTRE L'ÉROSION DES EFFECTIFS.

Les mesures d'amélioration catégorielle pour les fonctionnaires de l'administration pénitentiaire doivent doubler pour 2024 par rapport à 2023 et atteindre 68,5 millions d'euros. Il s'agit là de l'aboutissement d'une importante réforme statutaire, notamment permise par la loi d'orientation pour la justice. Elle repose pour l'essentiel sur le passage en catégorie B des surveillants pénitentiaires et en catégorie A des officiers.

Très attendue, cette réforme intervient dans un contexte de fortes difficultés de recrutement et de dégradation des conditions de travail liées à la surpopulation carcérale. La possibilité de recruter des surveillants adjoints de prison, ouverte par la loi d'orientation et programmation du ministère de la justice 2023-20271(*) est une tentative de reproduire pour l'administration pénitentiaire les mécanismes de recrutement mis en place par les forces de sécurité intérieure et particulièrement par la police.

II. UNE SURPOPULATION CARCÉRALE QUI SOUS-TEND TOUTE LA PROGRAMMATION BUDGÉTAIRE

A. UNE SURPOPULATION DURABLE

La France a franchi, en mars dernier, le seuil historique des 74 000 personnes détenues. Cette situation paraît appelée à durer. Le taux de surpopulation carcérale prévu par le gouvernement est supérieur à 140 % jusqu'en 2026 et le principe de l'encellulement individuel a été reporté par la dernière loi de finances jusqu'en 2027.

Cette situation pèse sur les détenus et sur leurs conditions de détention. Du fait de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme sur les conditions indignes de détention, et de la décision du conseil constitutionnel du 2 octobre 2020 à laquelle a répondu la loi Buffet du 8 avril 2021, le juge se trouve de plus en plus appelé à enjoindre aux établissements pénitentiaires d'entreprendre des actions d'amélioration de la situation des détenus. Le financement de ces actions est d'autant plus problématique que la surpopulation accentue la vétusté des locaux et les conditions d'insécurité. Le budget pour 2024 tente d'apporter des réponses en augmentant le financement de certaines mesures alternatives à l'incarcération comme le placement extérieur. Il poursuit également la politique de sécurisation et de modernisation du parc pénitentiaire qui devrait augmenter de 9 % à 83,7 millions d'euros.

La surpopulation pèse également sur l'ensemble des personnels de l'administration pénitentiaire qui doit gérer une situation sur laquelle elle n'a aucune prise.

B. DES DÉLAIS PARTICULIÈREMENT DIFFICILES À TENIR POUR LE « PLAN 15 000 »

Entre octobre 2023 et la fin de l'année 2024, 13 nouveaux établissements pénitentiaires devaient ouvrir leurs portes. Ceci marquerait la fin de la première phase de construction des 15 000 nouvelles places de prison. L'administration pénitentiaire semble prévoir que les nouvelles phases de travaux s'engageront à partir de 2025. Les emprises foncières des établissements du plan 8 000 (deuxième phase du plan 15 000) semblent avoir été trouvées.

L'administration pénitentiaire semble prévoir que les travaux du plan 8 000 (deuxième phase du plan 15 000) s'engageront à partir de 2025.

Lors de son audition le directeur général de l'agence publique pour l'immobilier de la justice (APIJ) a rappelé l'objectif qui lui a été donné par le garde des Sceaux, soit l'ouverture de tous les établissements, est 2027. Ce volontarisme, s'il n'est pas encore démenti par la réalité est d'abord politique et il semble que les services estiment plus crédible les établissements soient en voie de finalisation en 2027. Je rappelle que si toutes les emprises foncières ont été trouvées, c'est-à-dire identifiées par les préfets pour l'implantation de nouveaux établissements, les négociations avec les collectivités sont en cours.

Le directeur général de l'APIJ a indiqué que pour la construction d'une prison ces négociations prennent un tiers du temps, le deuxième tiers de temps est pris par l'octroi des différentes autorisations administratives et le dernier tiers est celui de la construction et de la livraison. La durée de totale est de six à huit ans pour la construction d'une prison, ce qui paraît difficilement compatible avec la finalisation des projets d'ici mi-2027.

III. UNE STABILITÉ DES MOYENS DÉDIÉS AUX SERVICES PÉNITENTIAIRES D'INSERTION ET DE PROBATION QUI CONSTITUENT UN LEVIER MAJEUR DANS LA LUTTE CONTRE LA SURPOPULATION CARCÉRALE

A. L'INSERTION ET LA PROBATION SONT LE PARENT PAUVRE DU BUDGET 2024

Si la politique d'aménagement de peines est présentée comme une « priorité de l'administration pénitentiaire2(*) », force est de constater que les crédits qui y sont consacrés dans le cadre du projet de loi de finances pour 2024 sont en léger recul, en contraste avec l'exercice précédent marqué par une hausse historique de 34 %. 51,8 millions d'euros (en AE et en CP) seront ainsi dédiés au développement des aménagements de peine et des mesures alternatives à l'incarcération, soit une baisse de 3 %, alors que le nombre de personnes écrouées en aménagement de peine a augmenté de plus de 50 % en dix ans (en AE et en CP).

Cette diminution concerne plus particulièrement le déploiement du bracelet anti-rapprochement et les mesures liées à la surveillance électronique dont les crédits diminuent respectivement de 9,5 % et de 1,4 % tandis que le budget alloué au placement à l'extérieur reste stable (13,8 millions d'euros) malgré la revalorisation du prix de la journée d'hébergement et la poursuite du déploiement du contrôle judiciaire sous placement probatoire (CJPP) expérimenté depuis 2021. Cette évolution apparaît d'autant plus problématique que le placement sous surveillance électronique (PSE) représente le premier aménagement de peine sous écrou et que le rythme de déploiement de cette mesure continue de s'accélérer (+ 5,6 % de personnes concernées entre 2022 et 2023, + 11,7 % au premier semestre 2023).

La diminution de la surpopulation carcérale s'appuie par ailleurs sur la lutte contre la récidive portée par l'action 2 « Accueil et accompagnement des personnes placées sous-main de justice » (PPSMJ) qui finance également l'entretien des bâtiments et l'hébergement et la restauration des personnes détenues. Le projet de loi de finances pour 2024 prévoit de financer les activités de réinsertion des PPSMJ à hauteur de 112,4 millions d'euros en AE et 107,4 millions d'euros en CP, des montants comparables à ceux de l'année passée3(*). L'insertion professionnelle des personnes détenues représente le premier poste de dépenses de cette politique puisque le projet de loi de finances pour 2024 prévoit d'y consacrer 20,5 millions d'euros en AE et en CP, un montant similaire à celui alloué à toutes les autres dépenses de réinsertion.

La réforme du travail en détention par la loi n° 2021-1729
du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire

10 millions d'euros sont consacrés à la réforme du travail pénitentiaire prévue aux articles 19 à 22 de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire et mise en oeuvre partiellement depuis 2023. Cette loi prévoit la création d'un statut du détenu travailleur fondé sur l'établissement d'une relation de travail de nature contractuelle dans le but de rapprocher le travail en détention du droit commun et de favoriser la réinsertion professionnelle des personnes détenues. Elle comprend deux volets : la création du contrat d'emploi pénitentiaire (CEP) et le développement de l'offre d'emploi en détention, d'une part, et le renforcement et la création de droits sociaux, d'autre part4(*).

Cette réforme a pour ambition d'enrayer la diminution du travail pénitentiaire qui n'est désormais accessible qu'à moins de 30 % des personnes détenues contre 50 % au début des années 20005(*). D'après la direction de l'administration pénitentiaire, le déploiement de cette réforme s'est opéré « sans difficulté majeure dans les établissements qui ont bénéficié d'un accompagnement soutenu »6(*) et a permis à 567 détenus supplémentaires d'exercer une activité professionnelle7(*), même si la proportion des travailleurs détenus régresse légèrement du fait du rythme de progression plus rapide de la population carcérale.

À ces postes de dépenses s'ajoutent le financement de l'enseignement à hauteur d'1,4 million d'euros et le renforcement des prises en charges collectives en milieu ouvert à hauteur de 4 millions d'euros. Ces dépenses de fonctionnement sont complétées par des dépenses d'intervention : 8 millions d'euros seront consacrés à la lutte contre la pauvreté, comme en 2023, et 7 millions d'euros seront versés sous forme de subventions aux associations, un montant en baisse de 10 % alors que le Gouvernement considère que « le développement et la diversification du réseau partenarial de l'administration pénitentiaire, tant au niveau national que local, demeure un levier essentiel de l'action des services d'insertion et de probation8(*) ».

Le budget dédié à l'insertion et à la probation est donc marqué par une certaine stabilité, voire une diminution des crédits dans certains domaines. Cependant, les moyens dédiés au financement des dépenses de fonctionnement des services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) connaissent une augmentation d'1,2 million d'euros (+ 3,9 %) et s'établissent ainsi à 31,6 millions d'euros. Cet accroissement, légèrement plus important que celui des dépenses de fonctionnement globales des SPIP, des directions interrégionales des services pénitentiaires (DISP) et de l'administration centrale (+ 3,6 %), s'explique notamment par la prise en compte de la création de 1 500 emplois au sein de l'administration pénitentiaire prévue dans le cadre de la mise en oeuvre de la réforme pénale sur la période 2018-2022.

En ce qui concerne les dépenses de personnels, le projet de loi de finances pour 2024 se contente de tenir compte des mesures décidées en 2020 et 2022 sans véritable gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences, la direction de l'administration pénitentiaire considérant que « fin 2024, l'ensemble des postes en SPIP identifiés au sein des effectifs de référence (CPIP, personnels médico-social et administratifs) seront comblés.9(*) » Outre les mesures communes à tous les corps de l'administration pénitentiaire, il intègre la revalorisation indiciaire du corps des directeurs pénitentiaires d'insertion et de probation (DPIP) à hauteur de 0,23 million d'euros10(*). Par ailleurs, les derniers agents contractuels recrutés au titre des 100 emplois de conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation (CPIP) créés en 2020 seront affectés sur leur poste en 2024.

Au-delà des timides efforts budgétaires consentis dans le cadre du projet de loi de finances pour 2024, le renforcement de l'activité des SPIP doit également passer par une clarification des modes de fonctionnement de ces services dans le but de renforcer le recours aux aménagements de peine et aux alternatives à l'incarcération. L'annonce, pour 2024, de la finalisation du référentiel de l'organisation et du fonctionnement (RPO3) participe de cette dynamique. Cependant, les syndicats représentant les personnels des SPIP s'inquiètent unanimement du déploiement de ce nouvel outil perçu comme un « fourre-tout d'orientations politiques et de gestion11(*) », d'autant que les services ont déjà rencontré des difficultés à s'approprier le RPO1 (relatif à la méthodologie d'intervention des SPIP) et le RPO2 (consacré aux compétences et aux qualifications des agents) censés professionnaliser leurs pratiques. Notons que la direction de l'administration pénitentiaire a d'ores et déjà annoncé la création d'un RPO4 portant sur les outils de pilotage. Ces référentiels, inspirés de la criminologie et des pratiques anglo-saxonnes, semblent peu adaptés aux spécificités françaises, d'une part, et se fondent principalement sur le critère de l'absence de récidive pour évaluer l'action des SPIP, d'autre part. Or, le taux de récidive est, par essence, complexe à mesurer et ne constitue que l'une des dimensions de la politique de réinsertion des personnes condamnées. À cet égard, les syndicats ayant répondu aux sollicitations du rapporteurs ont indiqué craindre que l'expérimentation, poursuivie en 2024 ; d'un « outil d'évaluation afin d'adapter les modalités de prise en charge et de mieux prévenir la récidive12(*) » procède, une fois encore, de cette logique réductrice.

L'accroissement du recours aux aménagements de peine et aux mesures alternatives à l'incarcération passe également par l'amélioration de la lisibilité de l'offre de ces mesures encore trop méconnue par l'autorité judiciaire. Dans cette perspective, le rapporteur salue l'annonce de la refonte, par la direction de l'administration pénitentiaire et la direction des affaires criminelles et des grâces, de la fiche correctionnelle, cartographie de l'offre de peine destinée aux présidents de chambres correctionnelles. D'autres outils informatiques ont également été déployés progressivement en 2023 tels que l'application PE360 qui offre une vision géo localisée des offres de placement extérieur ou le répertoire national des structures de semi-liberté, accessible en ligne.

Les limites du développement des aménagements de peine :
l'exemple du placement extérieur

Le placement extérieur est un aménagement de peine dont peuvent bénéficier les personnes condamnées libres ou détenues, sous certaines conditions. Cette mesure consiste à permettre à la personne condamnée d'effectuer sa peine à l'extérieur de la prison, au sein d'une structure accueillant des offres de placement à l'extérieur.

Des progrès restent à faire pour développer le placement extérieur qui ne représente que 4 % des mesures d'aménagement de peine et 1 % de l'ensemble des mesures suivies en milieu ouvert par les SPIP.

Ces statistiques sont d'autant plus problématiques que près de 50 % des 2011 places offertes sont demeurent inoccupées13(*). Les raisons de cet échec sont à chercher au-delà des enjeux budgétaires, les crédits alloués au placement extérieur ayant augmenté de 55 % en deux ans14(*). La faiblesse du recours au placement extérieur s'explique par des causes plus profondes qui tiennent à la fois à l'inégalité de répartition et au manque de visibilité de l'offre sur le territoire, à la préférence donnée par les juridictions et les PPSMJ à la surveillance électronique et à la lourdeur des procédures d'instruction de la mesure et de son modèle de financement.

Il apparaît donc essentiel, au-delà du renforcement des moyens budgétaires alloués au développement des aménagements de peine, de mieux faire connaître et de crédibiliser ce dispositif auprès des juridictions. Le rapporteur salue, à ce titre, la création en 2023 d'un groupe de travail par la sous-direction de l'insertion et de la probation pour mettre à jour le cahier des charges du placement à l'extérieur.

Le développement de la probation est un pilier essentiel de la lutte contre la surpopulation carcérale mais le renforcement des moyens qui lui sont dédiés, d'une part, et la simplification des procédures des aménagements de peine et des mesures alternatives à l'incarcération, d'autre part, ne sont pas suffisants pour enrayer ce phénomène. En effet, le nombre de personnes suivies en milieu ouvert a cru de 145 % entre 1980 et 202215(*) mais le nombre de détenus a augmenté de 86 % sur la même période16(*). Cette évolution parallèle démontre « le caractère réduit de l'effet de substitution entre incarcérations et mesures alternatives de milieu ouvert dont le développement a été une des orientations majeures de la politique pénale depuis plus de 20 ans17(*) ». Ce paradoxe s'explique par des causes plus profondes qui tiennent, notamment, à l'apparition de nouveaux délits sanctionnant des comportements autrefois considérés hors du champ pénal et au durcissement des peines existantes. Ainsi, le contentieux lié aux violences intrafamiliales a explosé depuis l'avènement du mouvement « Me Too » : depuis 2017, 4 000 détenus ont été condamnés pour des faits relevant de cette catégorie18(*).

B. L'ABSENCE DE SOLUTION SIMPLE A LA SURPOPULATION CARCERALE

Dans le cadre de cet avis budgétaire la commission souhaite procéder à quelques constats. Le premier est qu'il est évident que le plan 15 000 n'est pas la seule solution à la surpopulation carcérale. Il a d'abord pour finalité de permettre de remédier à la vétusté des établissements actuels en permettant de déplacer les prisonniers pour réhabiliter ou détruire et reconstruire les établissements existants. Ceci devenant particulièrement urgent pour l'Île-de-France.

Le second constat est que les alternatives à la prison ne viennent pas se substituer à la prison mais sont réservées à un autre type de population. Le développement des alternatives à la prison est nécessaire mais ne vient pas réduire la population carcérale. Le rapport rendu en octobre 2023 par la Cour des comptes démontre que le profil des prisonniers tend de plus en plus à la concentration de profils multi-réitérants marqués par les précarités sociale et sanitaire, et notamment par des troubles mentaux. La surpopulation carcérale résulte notamment d'un déficit chronique de lieux d'accueil et de traitement dédiés à la psychiatrie. Si l'on compare la situation de la France à celle des autres pays de l'OCDE, on constate que ce sont souvent les pays qui ont le plus fort taux de prononcé de peines alternatives qui ont également le plus fort taux d'incarcération.

Troisième constat, les mécanismes automatiques de sortie de prison ne sont pas pleinement satisfaisants parce qu'ils font peser sur les services pénitentiaires un contraintes guidée par les chiffres au détriment des projets de réinsertion. Il est trop tôt pour faire le bilan de la libération sous contrainte voulue par le Garde des Sceaux mais le constat fait par les syndicats et les services pénitentiaires d'insertion et de probation est d'abord celui d'une embolie des greffes pénitentiaires pour gérer cette mesure qui repose finalement sur le seul critère que le détenu dispose d'un logement.

Dernier constat, la surpopulation carcérale provient du durcissement de la réponse pénale et de l'augmentation de la durée moyenne des peines. Ce point dépasse le cadre de mon avis mais doit nous conduire à nous interroger sur la politique pénale et la manière dont elle est définie.

La surpopulation carcérale pèse enfin sur les perspectives de réinsertion des détenus. Je m'inscrits dans la lignée des rapports d'Alain Marc pour noter la faiblesse de la culture d'évaluation en la matière, qui fait que nous progressons de manière empirique et un peu par tâtonnements. La contrôleure générale des lieux de privation de liberté a fait part lors de son audition de l'exemple allemand : dans ce pays, 70 % des détenus travaillent, contre 28 % France. Or, la surpopulation empêche l'accès au travail et à toutes les activités, et détourne même de leur vocation les dispositifs de réinsertion comme les structures d'accompagnement vers la sortie (SAS), dont la contrôleure générale a indiqué qu'elles sont actuellement occupées par des détenus qui ne sont pas proches de la sortie à seule fin de soulager les maisons d'arrêt.

*

* *

La commission a émis un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « Administration pénitentiaire » inscrits au projet de loi de finances pour 2024.

Ces crédits seront examinés en séance publique le 11 décembre 2023.

EXAMEN EN COMMISSION

__________

MERCREDI 29 NOVEMBRE 2023

M. Louis Vogel, rapporteur pour avis. - Nous poursuivons l'examen des crédits de la mission « Justice » en abordant le programme 107 consacré à l'administration pénitentiaire.

En 2024, les crédits dépassent 5 milliards d'euros, ce qui est un seuil historique. Par rapport à 2023, les crédits augmentent de 1,5 %. L'augmentation doit cependant être relativisée, car elle résulte d'une moyenne entre une augmentation de près de 5 % des crédits de personnels et une baisse de 4,5 % des autres crédits. Si l'on ne prenait pas en compte les dépenses relatives aux pensions, l'augmentation du budget de l'administration pénitentiaire ne serait donc que de 0,8 % en 2024. De plus, l'augmentation des crédits de l'administration pénitentiaire doit être comparée aux 5,3 % d'augmentation du budget de la mission « Justice » dans son ensemble pour 2024.

Depuis 2018, le taux de croissance des budgets de l'administration pénitentiaire n'avait jamais été inférieur à 5 % et a même été supérieur à 7 % depuis 2020. La croissance des budgets marque donc le pas, mais ces derniers se stabilisent à un niveau élevé, comme l'indique le Gouvernement.

Ces moyens supplémentaires massifs sont nécessaires et servent depuis plusieurs années à mettre en place d'indispensables politiques de construction, de réhabilitation, de recrutement et de revalorisation des salaires. C'est le coeur du budget, j'y reviendrai.

Pour autant, je constate, à l'issue de mon premier exercice en tant que rapporteur pour avis, que ces moyens, et les politiques qu'ils financent, n'ont pas encore produit leurs effets dans un contexte particulièrement dégradé du fait de la surpopulation carcérale et de la perte de sens des métiers de l'administration pénitentiaire.

J'ai ainsi été frappé du consensus qui existe parmi les organisations syndicales, pourtant très divisées sur l'avenir de la profession, sur le fait que le métier de surveillant de prison n'est pas un métier que l'on exerce par vocation, mais seuls la rémunération et le statut permettaient encore d'espérer recruter, voire de conserver les effectifs existants.

J'aborderai trois points : le plan 15 000 places, ou « plan prisons », l'attractivité des métiers et enfin la surpopulation carcérale, qui conditionne tout le reste.

Les crédits relevant du programme 107 soutiennent au premier chef le plan Prisons. Contrairement aux années précédentes, en 2024, le budget de construction des 15 000 places de prison n'augmente pas. Cela tient au fait que, entre octobre 2023 et la fin de l'année 2024, 13 nouveaux établissements pénitentiaires devraient ouvrir leurs portes, marquant la fin de la première phase de construction des 15 000 nouvelles places.

L'administration pénitentiaire prévoit que les travaux du « plan 8 000 » - c'est-à-dire la deuxième phase du plan précité - s'engageront à partir de 2025.

Le directeur général de l'Agence publique pour l'immobilier de la justice (APIJ), que j'ai auditionné dans le cadre de ce rapport, m'a indiqué que le garde des sceaux lui avait donné pour objectif une ouverture de l'ensemble des établissements en 2027.

Ce volontarisme politique, qui permet de maintenir l'impulsion initiale du projet, fait cependant face à des difficultés très concrètes qui rendent, à mon sens, plus crédible l'objectif de parvenir à des établissements en voie de finalisation en 2027.

En effet, je rappelle que si toutes les emprises foncières ont été trouvées, c'est-à-dire identifiées par les préfets pour l'implantation des nouveaux établissements prévus, les négociations avec les collectivités sont en cours, et s'avèrent pour certaines très difficiles.

Le directeur général de l'APIJ a d'ailleurs indiqué que, pour la construction d'une prison, ces négociations prenaient un tiers du temps, l'octroi des différentes autorisations administratives le deuxième tiers, et la construction et la livraison le dernier tiers. Sachant que la durée de totale de construction d'une prison varie de six à huit ans et que nous sommes fin 2023, chacun pourra faire le décompte des prisons qui seront effectivement livrées le moment venu.

Ensuite, le budget pour 2024 met en place un certain nombre de mesures devant maintenir l'attractivité des métiers de la pénitentiaire et permettre le recrutement de nouveaux personnels, des créations de postes étant également prévues. Ainsi, les mesures d'amélioration catégorielle pour les fonctionnaires de l'administration pénitentiaire doivent doubler par rapport à 2023, pour atteindre 68,5 millions d'euros.

Il s'agit là de l'aboutissement d'une importante réforme statutaire, notamment permise par la loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice (LOPJ) 2023-2027, qui repose, pour l'essentiel, sur le passage des surveillants pénitentiaires en catégorie B et des officiers en catégorie A. Très attendue, cette réforme intervient dans un contexte de fortes difficultés de recrutement et d'une dégradation des conditions de travail liée à la surpopulation carcérale.

La possibilité de recruter des surveillants adjoints, ouverte par la LOPJ, est une tentative de reproduire pour l'administration pénitentiaire les mécanismes de recrutement mis en place pour les forces de sécurité intérieure, particulièrement pour la police.

Enfin, je souhaiterais aborder un phénomène qui sous-tend le budget 2024 comme les précédents : l'augmentation de la population carcérale, qui a pour effet de dégrader les conditions de travail du personnel ainsi que les conditions de détention.

Vous connaissez les chiffres de cette hausse : après la forte baisse observée en 2020, en raison de la crise sanitaire, la population carcérale est repartie à la hausse et, en mars dernier, le seuil historique des 74 000 personnes détenues a été franchi, nombre en dessous duquel nous ne sommes jamais redescendus.

Cette situation est appelée à durer. Le taux de surpopulation carcérale prévu par le Gouvernement sera supérieur à 140 % jusqu'en 2026 et le principe de l'encellulement individuel a été reporté par la dernière loi de finances jusqu'en 2027. Voilà la réalité.

Je connais les importants débats qui ont déjà eu lieu au sein de notre commission sur les moyens de remédier à la surpopulation carcérale. Dans le cadre étroit d'un avis budgétaire et à la suite des auditions que j'ai menées, je souhaiterais simplement dresser quelques constats sur ce sujet.

Premièrement, il est évident que le plan 15 000 places ne sera pas la seule solution à la surpopulation carcérale. Ce plan, nécessaire et utile, doit être mis en oeuvre, mais il a d'abord pour finalité de remédier à la vétusté des établissements actuels, en déplaçant les prisonniers pour réhabiliter ou détruire et reconstruire les établissements existants, cela étant particulièrement urgent et indispensable pour l'Île-de-France.

L'objectif de réduction de la surpopulation carcérale ne pourra donc pas être atteint dans le cadre d'une logique purement bâtimentaire, le rattrapage du retard n'étant simplement pas possible.

Deuxièmement, les alternatives à la prison ne jouent pas leur rôle : elles ne se substituent pas à la prison, mais sont réservées aujourd'hui à un autre type de population.

J'ai pu entendre deux membres de la Cour des comptes, auteures d'un rapport paru en octobre dernier sur la surpopulation carcérale. Elles ont clairement établi que la courbe de l'incarcération et celle des alternatives à la prison se développaient de manière parallèle, sans jamais que l'une n'ait une influence sur l'autre, alors qu'elles devraient, en toute logique, se rapprocher. Ces alternatives ne viennent donc pas, aujourd'hui, réduire la population carcérale.

Troisièmement, les mécanismes automatiques de sortie de prison ne sont pas pleinement satisfaisants, car ils font peser sur les services pénitentiaires une contrainte guidée par les chiffres, au détriment des projets de réinsertion.

S'il est trop tôt pour faire le bilan de la libération sous contrainte voulue par le garde des sceaux, le constat fait par les syndicats et les services pénitentiaires d'insertion et de probation est d'abord celui d'une embolie des greffes pénitentiaires pour gérer cette mesure, qui repose finalement sur le seul critère que le détenu dispose d'un logement.

Quatrièmement, la surpopulation carcérale provient d'un déficit chronique de lieux d'accueil et de traitement dédiés aux troubles mentaux. Les moyens mis sur la psychiatrie en prison sont notoirement insuffisants.

Cinquièmement, la surpopulation carcérale provient également d'un durcissement de la réponse pénale et de l'augmentation de la durée moyenne des peines. Ce point dépasse le cadre de mon rapport, mais doit conduire notre commission à s'interroger sur la politique pénale, sur la manière dont elle est définie et sur ses objectifs.

Enfin - c'est le point le plus grave, à mon sens -, la surpopulation carcérale pèse sur les perspectives de réinsertion des détenus. Je m'inscris dans la lignée des rapports d'Alain Marc pour noter la faiblesse de la culture d'évaluation en la matière et, en règle générale, le manque de données permettant de mesurer l'efficacité de nos politiques de lutte contre la récidive.

La Contrôleure générale des lieux de privation de liberté m'a fait part de l'exemple allemand : dans ce pays, 70 % des détenus travaillent, contre 28 % en France. Or la surpopulation carcérale empêche l'accès au travail et à toutes les activités, et détourne même de leur vocation les dispositifs de réinsertion comme les structures d'accompagnement vers la sortie (SAS), dont la Contrôleure générale a indiqué qu'elles sont actuellement occupées par des détenus qui ne sont pas du tout proches de la sortie, à la seule fin de soulager les maisons d'arrêt. Les instruments de réinsertion sont donc dévoyés.

Dans cette perspective, les moyens liés à l'insertion et à la probation paraissent encore insuffisants, les services pénitentiaires d'insertion et de probation (Spip) étant les enfants pauvres de ce budget pour 2024.

Pour autant, je vous propose d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « Administration pénitentiaire ». En effet, en dépit des difficultés qu'il me paraissait utile de souligner, nous pouvons saluer l'effort important réalisé pour les personnels et la volonté de développer les mécanismes de réinsertion, même si celle-ci ne s'est pas encore suffisamment concrétisée. Nous restons cependant conscients de l'important chemin qu'il reste à parcourir pour garantir que la peine ait un sens et que les objectifs de lutte contre la récidive et de promotion de la réinsertion soient atteints.

Mme Laurence Harribey. - Merci au rapporteur pour ce travail édifiant et cette analyse fine qui a bien identifié les problèmes, comme l'a aussi fait la Cour des comptes, autre source particulièrement pertinente. Avec 74 000 détenus, nous avons en effet atteint un record historique. Une fois que les prisons promises auront été construites et ouvertes, le taux de surpopulation carcérale s'établira encore à 140 %.

Le cas de la Gironde illustre bien le phénomène : outre l'établissement de Gradignan, déjà occupé à 240 %, la nouvelle prison qui ouvrira cette année ou l'année prochaine sera déjà occupée à 140 % ou 150 %.

Par ailleurs, je souscris complètement à votre remarque relative à l'évaluation. Les analystes de politiques publiques ont coutume de dire qu'une politique publique se perd non pas en voulant répondre à un problème, mais en cherchant à refléter la manière dont l'opinion publique perçoit un problème. Aujourd'hui, cette perception consiste à affirmer qu'il faut enfermer tous les délinquants, et tout discours qui s'en écarte est inaudible.

Il n'en reste pas moins que vouloir enfermer à tout prix toutes les catégories de délinquants, en plaçant côte à côte les primodélinquants, les délinquants plus endurcis et ceux touchés par des troubles psychiatriques, n'aboutit qu'à fabriquer de la récidive. Nous avons été un certain nombre à participer à des missions d'information, ce qui nous a permis de constater que la question de la récidive n'est absolument pas traitée. Nous pourrions tirer d'utiles enseignements des expériences du Québec ou de l'Allemagne.

Cette situation nous conduit à nous interroger sur le sens de notre politique pénale et sur la place qu'y occupe l'incarcération. Nous sommes prêts à accompagner le président de la commission afin que le Sénat porte des propositions dans ce domaine : nous en avons le temps et la volonté. L'audition du garde des sceaux a laissé apparaître une obsession pour la construction et l'enfermement, même si ses réponses ont aussi souligné la complexité de la question. Nous sommes à la croisée des chemins, d'autant que la question carcérale renvoie à de lourds enjeux politiques : nous ne pouvons pas prendre le risque de mener une politique qui ne répondrait pas aux attentes de nos concitoyens. Prenons le rapport au mot et travaillons dans cette direction.

Mme Nathalie Delattre. - Je partage également les conclusions de ce rapport de grande qualité et m'associe à la volonté de Laurence Harribey de dépasser ce travail afin de bâtir des propositions plus audacieuses.

Face à ce triste record de surpopulation carcérale, nous plaçons notre espérance dans les livraisons de nouveaux bâtiments, même si les propos du ministre de la justice suscitent des inquiétudes. S'il paraît tout à fait sincère lorsqu'il se dit très préoccupé par la situation, il semble dans le même temps démuni. Ainsi, lorsque j'ai évoqué le cas de Gradignan et du nouveau bâtiment qui comptera 602 places alors que 840 personnes sont détenues, je n'ai obtenu que peu de réponses. Certes, le taux de surpopulation carcérale diminuera, mais, en pratique, outre l'utilisation de lits doubles dans les cellules, nous savons sera déjà que des matelas seront à nouveau installés à même le sol, ce qui est inacceptable.

Le ministre a été par ailleurs peu disert sur l'acquisition de nouveaux matériels, source de motivation qui doit accompagner la revalorisation des émoluments. Pour prendre l'exemple des drones, ces engins sont utilisés à Gradignan pour des livraisons expresses de drogue, d'armes blanches, et peut-être demain d'armes à feu. Il est nécessaire que notre personnel en soit aussi muni, ainsi que de caméras-piétons et de pistolets à impulsions électriques face aux tensions liées à la suroccupation des cellules.

Concernant le foncier, il est certain que peu de communes considèrent l'arrivée d'un établissement pénitentiaire d'un bon oeil, ce qui semble logique compte tenu des problématiques de sécurité qui se posent autour des prisons, notamment en zone urbaine : les riverains sont excédés et les maires savent d'avance qu'ils feront face à de nombreuses difficultés.

Enfin, au sujet de la psychiatrie, qui me tient particulièrement à coeur, la France compte 1 % de schizophrènes, mais la population carcérale en dénombre plus de 7 %, sans qu'aucune obligation de soin n'existe. Ces détenus n'ont rien à faire en prison et devraient aller dans des établissements spécialisés tels que celui de Cadillac, dont certains services sont d'ailleurs menacés de fermeture.

Au-delà des amendements que nous pourrions présenter dans le cadre de cette mission, il est indispensable d'établir un lien avec la commission des affaires sociales pour se joindre à la construction d'un plan dédié à la psychiatrie en milieu carcéral. En l'état, les personnes détenues et souffrant de troubles psychiatriques ressortiront sans avoir été soignées, ou du moins sans suivi, ce qui est très préoccupant pour eux et pour la société.

M. Philippe Bas. - Les enjeux de la politique pénitentiaire ont été parfaitement décrits par le rapporteur. Nous parlons soit de sous-capacité carcérale soit de surpopulation carcérale. Si les deux notions sont symétriques, l'intention qui les sous-tend n'est pas la même. La question quantitative, réelle, ne saurait être escamotée, mais est loin de résumer les enjeux de la politique pénitentiaire.

Vous avez, je crois, fait crédit au Gouvernement de son volontarisme en la matière, mais je ne partage pas cet avis. En 2017, le Président de la République avait annoncé la création de 16 000 places pour son premier mandat : on peut dire que c'était impossible, mais on ne peut pas dire qu'il ne les avait pas promises.

S'il s'agissait de volontarisme, la politique pénitentiaire aurait pris exemple sur le chantier de Notre-Dame-de-Paris ou sur les jeux Olympiques, en modifiant les règles d'urbanisme pour aller plus vite. Or rien de tel n'a été fait pour les prisons, d'où un bilan des cinq dernières années très mauvais, avec un peu plus de 2 000 places ouvertes, venant compenser certaines fermetures. J'ajoute que la construction de ces places a été lancée avant 2017.

J'apporte ces précisions par souci d'exactitude, non pas pour faire des reproches aux deux ministres de la justice et aux gouvernements qui se sont succédé depuis 2017. Il est inexact de parler de volontarisme alors que nous n'avons pas réellement pris le problème à bras-le-corps.

Par ailleurs, nous n'avons pas suffisamment réfléchi à l'élargissement de la palette des solutions d'enfermement. En fin de détention, les risques d'évasion sont ainsi plus faibles, ce qui devrait nous inciter à diversifier nos modèles de prisons.

La capacité carcérale reflète l'évolution de la délinquance et des réponses apportées. Vous avez justement souligné que l'allongement et l'aggravation des peines ne représentent pas une solution convaincante à la surpopulation, au même titre que les peines alternatives.

Concernant l'utilité de la peine et son découpage en plusieurs phases afin de préparer une éventuelle réinsertion et de prévenir la récidive, les questions de l'accès à la formation, au travail et à la santé pendant la durée de la détention sont déterminantes. Au fond, la question n'est pas tant de savoir si un délinquant ou un criminel passera cinq ou sept ans ou en prison, mais de savoir ce qu'il fera à sa sortie. La peine sert non seulement à punir, mais également à donner des chances de réinsertion ultérieure aux individus condamnés.

Il me semble qu'il s'agit de l'enjeu majeur auquel nous faisons face, et que nous avons fort à faire pour convaincre nos concitoyens que la véritable protection réside non pas dans la longueur de l'enfermement, mais dans la qualité de la sortie. Le Sénat a son rôle à jouer afin de forger des solutions équilibrées.

M. Alain Marc. - Je félicite à mon tour le rapporteur pour la qualité de ses analyses. Pour avoir été moi-même rapporteur sur ces crédits, je crains que plus personne ne se soucie des prisons une fois l'examen du projet de loi de finances passé, qu'il s'agisse de la réinsertion ou de la maladie mentale des détenus.

Je rejoins l'avis de mes collègues Laurence Harribey et Nathalie Delattre : il me semble que nous pourrions engager, au sujet des prisons, un travail plus approfondi et dans la durée, à la différence du ministre, qui est confronté à l'urgence des situations. Nous nous honorerions à proposer des solutions qui nous permettraient, à l'occasion du prochain PLF, de guider les choix du Gouvernement, en matière de construction de prisons ou de santé mentale des détenus, en dépassant ainsi le stade du simple constat.

M. André Reichardt. - Nous sortons d'un débat sur l'immigration et l'intégration, au cours duquel les infractions commises par des immigrés irréguliers ont été évoquées. Avez-vous travaillé sur ce point précis ? Disposez-vous, notamment, de chiffres concernant les détenus en situation irrégulière ? Peut-on en tirer des conclusions sur le plan de la surpopulation carcérale ?

M. Olivier Bitz. - Je formulerai une observation, dans le cadre de ce débat budgétaire, sur l'efficience de l'utilisation de l'argent public, notamment au niveau des maisons d'arrêt, dans lesquelles les mesures de sécurité nécessitent un certain nombre d'agents pénitentiaires et induisent des coûts élevés.

Nous gagnerions à engager une réflexion sur la différenciation des régimes de détention : des détenus condamnés pour des infractions routières ne posent ainsi aucune difficulté de sécurité en détention. Si l'on souhaite optimiser la dépense en milieu pénitentiaire, cette réflexion est incontournable. Un mouvement avait été lancé quelques années plus tôt avec le module Respecto, qui confie une forte autonomie aux personnes détenues. J'estime que les efforts à fournir dans ce domaine restent nombreux dans les maisons d'arrêt.

Mme Marie Mercier. - Je partage les propos de Laurence Harribey au sujet de l'opinion publique. Gardons-nous du prêt-à-penser, car il est très facile de dire qu'il faut enfermer tout le monde et construire des prisons sans avoir évalué leur efficacité. Je souhaite d'ailleurs remercier les éducateurs, les assistants sociaux et tous les personnels de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), dont l'implication extraordinaire au service de la réinsertion devrait nous conduire à nous appuyer davantage sur leurs retours d'expérience.

Dans la majorité des cas, lorsque la prison ne fonctionne pas, il faut proposer autre chose aux détenus afin de les revaloriser. Interrogeons-nous sur les moyens d'éviter la récidive de personnes qui ont payé leur dette à la société.

M. Louis Vogel, rapporteur pour avis. - Madame Harribey, les membres de la Cour des comptes que j'ai rencontrées préparent un deuxième rapport, qui développera les hypothèses de leur première publication, les résultats les ayant elles-mêmes surprises. Il faudra suivre ces travaux, sachant qu'elles sont prêtes à venir nous les présenter.

Pour ce qui concerne l'évaluation, les personnels des Spip demandent à être associés à l'évolution des indicateurs, car ceux qui sont retenus ne reflètent absolument pas la réalité.

Madame Delattre, 5,8 millions d'euros sont consacrés à ce stade à la sécurisation des établissements et à lutte anti-drones, un montant limité qui traduit néanmoins une prise de conscience.

Monsieur Bas, vous avez évoqué comme Olivier Bitz l'élargissement de la palette des solutions d'enfermement. En réalité, la différenciation est l'une des clés du problème, les personnels ayant souvent évoqué une spécialisation des prisons en fonction du profil des détenus. Parallèlement, des pesanteurs existent du côté des syndicats, qui veulent que l'APIJ construise un certain type de prisons.

Il faut dépasser ces contradictions et aller vers la différenciation des établissements et des manières de traiter les détenus, ce qui permettrait d'ailleurs de réaliser des économies dans certains endroits et de réaffecter les moyens ailleurs.

Monsieur Marc, la commission des lois pourrait en effet conduire un travail de fond sur la politique pénale, les interrogations étant nombreuses.

Monsieur Reichardt, nous ne disposons pas de chiffres sur le nombre d'étrangers en situation irrégulière dans les prisons, hormis le fait qu'ils sont davantage incarcérés en l'absence de peines alternatives. À ce sujet, j'ai demandé aux syndicats s'ils préféraient des quartiers spécialisés dans les maisons d'arrêt ou des maisons d'arrêt spécialisées : ils plébiscitent la seconde option.

Madame Mercier, vous avez tout à fait de raison de souligner que la sortie de prison est l'enjeu le plus important, bien qu'il disparaisse du débat aujourd'hui. Le rapport a été abordé dans un premier temps au seul prisme du bâtimentaire, mais il est très vite apparu que des places supplémentaires de prison ne régleront pas les problèmes.

La seule solution viable réside, me semble-t-il, dans une véritable politique pénale qui se donne pour objectif de réduire la surpopulation carcérale. Certains établissements n'ont jamais reçu la visite de magistrats, ce qui illustre une partie de la problématique.

M. François-Noël Buffet, président. - Nous avons un problème de continuum : la police fait au mieux, la justice est peu à peu remise à niveau, mais nous oublions toujours l'échelon pénitentiaire, la plus importante sur le plan budgétaire. Je crois que notre système pénal pèche au niveau de l'exécution des peines : en réalité, toutes les peines sont exécutées, mais elles le sont dans délais extrêmement variables, et parfois bien trop tardivement.

Par ailleurs, nous devons aussi diversifier les lieux privatifs de liberté et n'utilisons pas suffisamment, en particulier, la semi-liberté : une série d'infractions et des personnalités ne nécessitent pas un placement dans un endroit bardé de portes et de surveillants, mais simplement un lieu privatif de liberté permettant d'exécuter la peine dans les conditions souhaitées par les tribunaux. Ce sujet est, selon moi, essentiel.

Je vous propose donc de mettre en place, en début d'année 2024, mission d'information dédiée aux modalités d'exécution des peines, afin de donner davantage de cohérence à l'ensemble.

Par ailleurs, la construction de lieux privatifs de liberté est toujours source de difficultés, puisque tous réclament des prisons, mais à la condition de ne pas les construire sur leur territoire. Peut-être faudra-t-il instaurer un système dérogatoire afin de réussir à construire.

J'ai pu visiter des centres d'incarcération en Allemagne : nous sommes à cent lieues de nos voisins, qui réfléchissent en amont à l'immobilier et au concept du lieu privatif de liberté. En outre, les détenus travaillent le plus souvent, à la différence d'établissements français tels que celui de Gradignan.

Tous ces sujets doivent être expertisés de manière large, sans quoi nous ne dépasserons pas le stade des déclarations de principe.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - J'allais faire la même suggestion. Un débat très intéressant a émergé, dépassant le seul cadre budgétaire, nos positions n'étant pas nécessairement si éloignées sur ce sujet.

Mme Dominique Vérien. - L'Espagne pourrait être un cas d'étude intéressant, de nombreux responsables ayant expérimenté eux-mêmes la prison sous le franquisme avant d'avoir à traiter de la justice dans leur pays.

Mme Patricia Schillinger. - Je vous invite à venir visiter le centre pénitentiaire de Mulhouse-Lutterbach, ouvert récemment et déjà suroccupé. J'ajoute que la population carcérale a changé, avec de nombreuses personnes originaires d'Europe de l'Est et des dossiers impliquant des comportements plus violents. En outre, la construction de la prison de Mulhouse-Lutterbach a été l'objet d'un conflit avec les élus locaux, ce qui en fait un cas d'étude intéressant.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 107 « Administration pénitentiaire » de la mission « Justice ».

COMPTE RENDU DE L'AUDITION
DE M. ERIC DUPOND-MORETTI, GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE

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MARDI 28 NOVEMBRE 2023

M. François-Noël Buffet, président. - Nous sommes rassemblés ce soir pour évoquer, dans le cadre du projet de loi de finances (PLF) pour 2024, le budget de la justice dans toutes ses dimensions.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. - Je suis très heureux de vous retrouver pour aborder ce sujet pour la quatrième année consécutive.

Le projet de budget du ministère de la justice pour 2024 s'inscrit dans un contexte tout à fait particulier puisque le Sénat a adopté définitivement la loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, ce dont je veux ici vous remercier. Cette loi pérennise les hausses de moyens destinées à renforcer notre justice en la rendant plus proche, plus protectrice et plus rapide pour chacun de nos concitoyens - l'objectif est ambitieux !

L'enjeu est avant tout aujourd'hui pour moi de vous démontrer comment, concrètement, le Gouvernement tient les engagements qu'il a pris devant vous et devant les Français.

Le projet de budget pour 2024 du ministère de la justice respecte à la lettre la trajectoire budgétaire que nous donne la loi de programmation, conformément à l'engagement du Président de la République et à la volonté de la Première ministre, grâce au soutien du ministre délégué chargé des comptes publics.

Ce nouveau budget vise à améliorer la qualité de la justice qui doit être rendue aux justiciables. Il vient s'ajouter à des années d'augmentation, qui ont permis au budget du ministère de passer de 6,9 milliards en 2017 à 9,6 milliards d'euros en 2023. La hausse se poursuivra en 2024.

On peut dire que c'est historique. Le projet de budget de la justice que je vous soumets dépasse la barre symbolique des 10 milliards, pour atteindre 10,1 milliards d'euros. Entre 2023 et 2024, la hausse représente près d'un demi-milliard d'euros supplémentaires - 503 millions très précisément -, soit près de 5,3 % d'augmentation.

Rien que pour les rémunérations versées aux agents du ministère, hors cotisations retraite, l'enveloppe passera de 4,7 milliards d'euros en 2023 à 5,1 milliards en 2024, soit une hausse proche de 8 %, parmi les plus importantes que le ministère a connues. C'est la traduction directe et concrète de la politique de ressources humaines que nous menons, celle de recrutements massifs conjugués à une forte revalorisation des rémunérations.

Le défi du ministère dans les quatre années à venir ne consistera pas à savoir si nous allons recruter, mais plutôt de savoir comment nous réussirons à pourvoir la totalité des nouveaux emplois que nous créerons. D'où l'importance, à côté des recrutements que j'ai annoncés, de renforcer l'attractivité des métiers de la justice.

Au terme de la loi de programmation, en 2027, le budget du ministère frôlera les 11 milliards d'euros, soit une hausse de près de 60 %.

Dans le détail, ces moyens importants alimenteront chacune des grandes composantes du ministère, pour lesquelles les hausses annuelles de crédits, hors cotisations retraite, évolueront de la manière suivante.

Une augmentation de 12 % concerne les services judiciaires, qui atteindront ainsi 3,8 milliards d'euros en 2024, contre 3,4 milliards en 2023. Depuis mon arrivée en 2020, le budget des services judiciaires aura connu une hausse d'environ 30 %.

Le budget de l'administration pénitentiaire se stabilise en 2024 par rapport à 2023, avec 3,9 milliards d'euros. La progression du budget de la direction de l'administration pénitentiaire (DAP) reprendra en 2025, à la faveur d'une dernière vague de mises en chantier d'établissements pénitentiaires, conformément au programme immobilier pénitentiaire. Ce dernier prévoit 15 000 places de prison supplémentaires - 18 000 places, me demande-t-on parfois de dire, mais j'attends qu'on me soumette des propositions en ce sens.

Le budget de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) progresse de 3 %. Il atteindra 950 millions d'euros en 2024, contre 922 millions en 2023.

Enfin, le secrétariat général du ministère voit son budget augmenter de 9 %, passant ainsi de 642 millions d'euros en 2023 à 702 millions en 2024.

L'année 2024 représente donc une étape majeure dans le rattrapage de ces années d'abandon budgétaire, politique et humain, auxquelles le Président de la République a décidé de mettre un coup d'arrêt. On ne répare pas un abandon de trente ans en un claquement de doigts, mais nous sommes, me semble-t-il, en bonne voie ; 2021, 2022, 2023, 2024, l'année change, mais le cap reste le même : restaurer la place de la justice à la hauteur de la mission fondamentale qui est la sienne, de l'engagement de ceux qui la servent et, surtout, des attentes des Français au nom de qui elle est rendue.

Je veux solennellement remercier votre commission et le Sénat dans son ensemble, qui, par son vote, a accompagné chacune de ces hausses massives de moyens.

Il est désormais essentiel que, de manière très concrète, celles-ci améliorent directement le fonctionnement de la justice, comme nous commençons à le percevoir par l'effet des moyens déployés lors des précédentes lois de finances. Je prendrai un seul exemple : les délais de justice.

Lors de la présentation du plan d'action pour la justice, j'ai fixé un objectif clair, celui de réduire de manière draconienne tous les délais de justice. Cela passe d'abord par la réduction des stocks d'affaires. Je souligne que, grâce aux moyens supplémentaires et à l'engagement de nos magistrats, de nos greffiers et de nos contractuels, nous avons obtenu entre janvier 2021 et la fin de 2022 une baisse des stocks allant jusqu'à 30 %, selon les matières et les juridictions. Le 1er novembre dernier, nous avons mis en place une politique de l'amiable qui vise également à réduire les délais en matière civile.

Mais je veux être clair : il faut aller plus loin et il faut que chacun prenne sa part dans cet effort collectif. Les Français ne comprendraient pas que l'État consacre autant d'argent à notre justice - et vous savez combien je me suis battu pour obtenir ces budgets - sans que de tels moyens améliorent effectivement le service public de la justice qui leur est rendu. Les efforts des contribuables nous obligent à des résultats.

Les acteurs du monde judiciaire ont pu compter sur moi pour obtenir des budgets à la hausse, sur le Parlement pour les voter ; je sais qu'on peut compter sur leur engagement pour que ces moyens tant attendus, et mérités, produisent rapidement des effets concrets au service des justiciables. C'est un impératif et il y va de la crédibilité de notre justice.

En ce qui concerne les emplois, la priorité du budget 2024 est d'accélérer le rythme de recrutement, pour tenir le cap fixé par la loi de programmation qui prévoit la création de 10 000 emplois durant ce quinquennat. Nous dépasserons ainsi en 2027 la barre des 100 000 agents au sein du ministère. Afin de conserver une certaine flexibilité, ces 10 000 emplois seront répartis année après année, en fonction des besoins des métiers, de l'avancement des projets et des capacités de recrutement et de formation des écoles.

Comme le prévoit la loi d'orientation et de programmation, nous créerons 1 500 postes de magistrats et, grâce au Sénat, 1 800 postes de greffiers pendant le quinquennat. Par ailleurs, entre 2023 et 2025, 1 100 attachés de justice seront recrutés, afin de constituer une véritable équipe autour du magistrat, ce qui lui permettra de se concentrer sur son coeur de métier : dire le droit, trancher les litiges, rendre la justice.

Je voudrais insister sur un point qui n'a pas toujours été bien compris - parfois de bonne foi, parfois de mauvaise foi - notamment au cours des débats parlementaires : ces créations d'emplois sont des créations nettes. Il est bon de le répéter. Autrement dit, elles viennent en plus du remplacement de tous les départs en retraite. Les 1 500 postes supplémentaires de magistrats, par exemple, représentent en réalité un recrutement de près de 2 800 magistrats, pour compenser les départs en retraite. Les chiffres que je vous présente ne sont pas des trompe-l'oeil ; ils induisent une augmentation concrète, précise, vérifiable, des effectifs dans les juridictions par rapport à aujourd'hui.

J'ai eu l'occasion d'annoncer, le 31 août dernier à Colmar, la répartition géographique par cour d'appel des renforts judiciaires. Je citerai quelques exemples : 91 magistrats supplémentaires dans le ressort de la cour d'appel de Douai, au moins 127 greffiers supplémentaires dans le ressort de la cour d'appel de Versailles, 72 attachés de justice d'ici à 2025 dans le ressort de la cour d'appel d'Aix-en-Provence.

Cette première répartition géographique traduit deux principes cardinaux.

D'une part, la répartition nationale entre cours d'appel tient compte de plusieurs critères objectifs : le niveau des stocks, l'évolution du nombre des affaires au cours des dix dernières années, la délinquance, des données socioéconomiques et des prévisions de croissance démographique.

D'autre part, la répartition relative à ce qu'on appelle « le dernier kilomètre » repose sur les acteurs de terrain. J'ai souhaité que le détail de la répartition des emplois revienne aux chefs de cour d'appel, afin de répartir les efforts au plus près des besoins des juridictions de leur ressort, qui sont mieux connus d'eux que du garde des sceaux. C'était une demande forte des chefs de cour que d'entreprendre un dialogue de gestion rénové avec les différents tribunaux judiciaires placés sous leur direction.

Nous connaîtrons très prochainement cette répartition. J'ai pour ma part annoncé les chiffres cour d'appel par cour d'appel. À charge ensuite pour les chefs de cour, au terme d'un dialogue avec les chefs de juridiction, de leur attribuer tel ou tel nombre de postes de magistrats, greffiers ou contractuels.

Outre les remplacements de départs en retraite, le ministère obtient pour 2024 une autorisation de recrutement maximale de 2 110 équivalents temps plein (ETP). Par comparaison avec les créations nettes d'emplois accordées globalement par l'État, le ministère de la justice représentera près du tiers de l'ensemble des agents publics recrutés en 2024.

Pour rappel, en 2022, 720 emplois avaient été créés par le ministère de la justice. Nous avons triplé ce nombre en 2023. Les créations se maintiendront à ce niveau exceptionnel en 2024.

Sur le total de 2 110 ETP, 1 307 concerneront la justice judiciaire, avec 327 magistrats, 340 greffiers, 400 attachés de justice, et 33 postes, dont 22 de magistrats, spécifiquement alloués au renforcement des capacités de formation de l'École nationale de la magistrature (ENM). La promotion actuelle de l'ENM, ainsi que la prochaine, sont historiques. Il a fallu trouver de nouveaux locaux à l'école, tant ses effectifs d'élèves sont importants.

L'administration pénitentiaire comptera jusqu'à 599 ETP supplémentaires, dont 512 surveillants. Ce nombre inclut une possibilité de rattrapage de 149 ETP, à la suite d'une sous-exécution de crédits antérieurs. L'École nationale d'administration pénitentiaire (Enap) bénéficiera du renfort de trois emplois.

La PJJ gagne 92 ETP. Les 112 ETP restants bénéficieront à la coordination de la politique publique de la justice et, plus particulièrement, au secrétariat général.

J'en viens aux rémunérations.

Elles concourent évidemment à l'attractivité des métiers de la justice, nécessaire afin d'assurer un niveau inédit de recrutement.

À mon arrivée en 2020, l'enveloppe catégorielle servant à revaloriser les professionnels du ministère s'élevait à 17 millions d'euros. Elle est passée à 50 millions d'euros par an en 2021 et 2022, puis à 110 millions en 2023, dont 80 millions de mesures nouvelles. J'ai le plaisir d'annoncer que cette enveloppe catégorielle augmentera de même significativement en 2024, pour atteindre un montant de plus de 170 millions d'euros, dont 64 millions de mesures nouvelles. Cela représente une multiplication par dix depuis ma prise de fonctions. Une telle progression nous engage.

Par ailleurs, les crédits interministériels financeront les mesures catégorielles issues de la conférence salariale du mois de juin 2023, à hauteur de 33 millions d'euros pour le ministère de la justice. Ces mesures permettront l'injection de 5 points d'indice supplémentaires pour l'ensemble des agents du ministère dès le 1er janvier 2024, afin de prendre en compte l'inflation.

Au titre des grandes mesures financées par l'enveloppe catégorielle de 170 millions d'euros, et comme annoncé en 2022, une revalorisation sans précédent du traitement des magistrats a été mise en place depuis octobre 2023. Elle s'élève en moyenne à 1 000 euros brut par mois par magistrat. La mesure représente un effort budgétaire de 88,5 millions d'euros en 2024. Elle est nécessaire au maintien de l'attractivité du métier, de même que pour aligner la rémunération de nos magistrats de l'ordre judiciaire avec celle de leurs collègues de l'ordre administratif. Les premiers n'avaient pas obtenu de revalorisation indiciaire depuis 1996 et, à l'exception de modestes revalorisations spécifiques, leur régime indemnitaire n'avait pas connu de modification depuis des temps très anciens. La mesure témoigne également de notre reconnaissance à leur égard.

J'ai annoncé en février dernier qu'à compter du 1er janvier 2024, les surveillants pénitentiaires passeront en catégorie B, tandis que les officiers passeront en catégorie A, avec des revalorisations indemnitaires et indiciaires correspondantes. Les contours de cette réforme seront bientôt tracés. Je peux déjà dire que 47 millions d'euros seront sanctuarisés pour la financer. Elle-même inédite, elle est destinée à rendre hommage au personnel de l'administration pénitentiaire, ainsi qu'à recruter. Il s'agit de reconnaître l'importance des métiers pénitentiaires, de prendre en compte la difficulté et, parfois, la dangerosité des missions qui y sont attachées.

Je porte la même attention aux autres fonctionnaires du ministère, qui ne seront pas oubliés.

Une revalorisation indiciaire et indemnitaire concernera en particulier les personnels de greffe, à hauteur de 15 millions d'euros. Ce sera la première étape d'une réforme approfondie de ce corps.

Le secrétariat général du ministère continue de porter des mesures transversales, pour un montant de 15,5 millions d'euros. Des mesures en faveur des corps spécifiques de la PJJ représenteront un montant de 3 millions d'euros. La revalorisation du corps de direction de la DAP et des agents du service national du renseignement pénitentiaire (SNRP) s'élèvera à 1 million d'euros.

Outre l'enveloppe de 170 millions d'euros, une mesure complémentaire de revalorisation des magistrats et une mesure catégorielle en faveur des greffiers seront octroyées, avec un budget pouvant atteindre 22,5 millions d'euros en 2024.

Pour les personnels de greffe, ces mesures s'accompagnent d'une réforme statutaire d'envergure. Conformément à l'accord majoritaire signé le mois dernier avec trois des quatre organisations syndicales représentatives, elle s'articulera autour de trois axes.

La restructuration du corps des greffiers de catégorie B permettra d'abord une accélération de leur carrière et un accès plus ouvert à l'échelon sommital de greffier principal. La création d'un corps de greffiers de catégorie A de 3 200 agents favorisera ensuite la reconnaissance de l'expertise des greffiers, notamment des greffiers principaux et fonctionnels, dans leurs missions juridictionnelles. Enfin, un plan pluriannuel de requalification des agents de catégorie C, ceux qu'on appelle les « faisant fonction », reconnaîtra les compétences de métiers absolument indispensables à la justice de notre pays. Nous procédons par ailleurs sans attendre à la mise en oeuvre immédiate de la nouvelle grille indiciaire, annoncée en septembre dernier.

Un greffier en milieu de carrière, affecté à des missions classiques, percevait au 31 décembre 2021 2 312 euros brut mensuels, au titre de son traitement de base et de ses primes. Il perçoit aujourd'hui 2 606 euros brut, ce qui représente une augmentation de 294 euros brut par mois, soit une progression mensuelle de sa rémunération de l'ordre de 13 %.

Mon cap est clair en matière de revalorisation : c'est celui de l'attractivité de tous les métiers de la justice, de la fidélisation des femmes et des hommes qui oeuvrent au service de nos concitoyens. Il s'y attache un enjeu de reconnaissance de leur engagement.

Quant à la programmation immobilière pénitentiaire, les crédits de 2024 permettront de poursuivre le plan de construction voulu par le Président de la République. Ce plan portera à plus de 75 000 le nombre total de places de prison disponibles à l'horizon de 2027, avec la création de 51 nouveaux établissements pénitentiaires. Je suis pleinement engagé dans sa réalisation. Fin 2024, nous aurons parcouru la moitié du chemin, avec 23 nouveaux établissements opérationnels.

En 2023, ce sont 11 établissements qui auront été mis en service, comme je m'y étais engagé devant vous l'année dernière.

En 2024, le programme de construction continuera avec la même intensité. Il concernera sept chantiers. Quatre nouveaux établissements seront livrés : à Toulon, Noisy-le-Grand, Colmar et Nîmes. Trois sites pénitentiaires achèveront leur première phase de travaux : Bordeaux-Gradignan, Basse-Terre et Baie-Mahault. Pour la réalisation du programme de construction pénitentiaire, c'est un total de 308 millions d'euros qui sont inscrits au budget de 2024.

À ce jour, ce sont près de 2 milliards d'euros qui ont été investis dans ce plan de construction, pour un coût estimatif total de 5 milliards.

Au titre des réhabilitations d'établissements existants, les opérations courantes de maintenance représenteront 130 millions d'euros en 2024. Nous conservons ce très haut niveau d'investissement annuel, deux fois supérieur à celui qui était investi entre 2012 et 2017. Un budget de 2 millions d'euros sera consacré aux études relatives à la réhabilitation, devenue absolument indispensable, des établissements de Fresnes et de Poissy.

Je souhaite évidemment poursuivre l'effort de modernisation et d'agrandissement de l'immobilier judiciaire, afin de permettre l'accueil des renforts humains que j'ai décrits. Un total de 362 millions d'euros sera ainsi alloué en 2024 à l'immobilier judiciaire en pleine propriété, contre 269 millions en 2023, soit une hausse qui avoisine 35 %.

Ces crédits permettront notamment de poursuivre les 20 principaux chantiers engagés, dont 3 nouveaux palais de justice, 15 restructurations-extensions de palais de justice existants et 2 réhabilitations de bâtiments tiers pour construire des annexes de palais de justice.

En conclusion de ce propos introductif, je souhaite mettre en lumière quelques enveloppes budgétaires qui me tiennent à coeur, car elles ont vocation à moderniser et à améliorer concrètement le service public de la justice, ainsi que le bien-être de ses agents.

Dans les crédits d'investissement informatiques, les techniques d'enquêtes numériques judiciaires sont portées à 209 millions d'euros, soit une hausse de 7,2 % en un an. L'ensemble de ces crédits servira en particulier à poursuivre la mise en oeuvre du second plan de transformation numérique de la justice en France, lequel comprend deux projets principaux.

D'un côté, le soutien des agents du ministère sur le terrain, spécialement au sein des juridictions, passe par le recrutement en 2023 de 100 techniciens informatiques de proximité (TIP) - 80 ont d'ores et déjà été recrutés -, puis de 100 autres en 2024. Ceux qui, comme vous, se rendent dans les juridictions le savent : le « plantage » d'une machine un vendredi soir est insupportable... Il produit de la difficulté et de la frustration. Récemment encore, il fallait remonter l'information à la direction des services judiciaires (DSJ), voire au secrétariat général du ministère. Nous envoyons donc les techniciens informatiques sur le terrain, au plus près de ceux qu'ils aident.

D'un autre côté, la modernisation des logiciels métiers vise un objectif de numérisation à 100 %, de « zéro papier », d'ici à la fin du quinquennat. Nous progressons. J'en donnerai un exemple. À mon arrivée, la procédure pénale numérique (PPN) s'en tenait à l'état embryonnaire : environ 500 procédures par mois étaient transmises de manière dématérialisée des enquêteurs vers les tribunaux. Depuis juin dernier, avec l'aide du ministère de l'intérieur et des outre-mer, ce nombre a été multiplié par près de 300. Nous en sommes à 143 000 procédures transmises mensuellement. Une direction de programme unique, commune au ministère de l'intérieur et des outre-mer et au ministère de la justice, a été créée en juin 2023, de manière à accélérer de façon décisive le déploiement de la PPN.

Par ailleurs, l'enveloppe de crédits consacrés aux dépenses de frais de justice est portée à 674 millions d'euros en 2024, afin de renforcer les moyens d'enquête et d'expertise de la justice, ce qui équivaut à une hausse de 14 millions par rapport à 2023. En 2017, le budget qui leur était alloué s'élevait à 496 millions d'euros. En comparaison de cette année, l'augmentation atteint près de 36 %. La poursuite de notre effort doit faciliter le déstockage des affaires.

Enfin, les crédits alloués à l'accès au droit et à la justice s'élèveront à 734 millions d'euros en 2024, soit une hausse d'environ 3 % par rapport aux crédits de 2023, qui s'établissaient à 714 millions. Plus spécifiquement, dans cette enveloppe, les crédits dédiés à l'aide juridictionnelle continueront à croître en 2024, pour atteindre 657 millions d'euros, soit 16 millions de plus en un an. Parallèlement, l'aide aux victimes est portée à 47 millions d'euros, soit une hausse de 2 millions en comparaison de 2023.

Mme Agnès Canayer, rapporteur pour avis sur les crédits relatifs à la justice judiciaire et à l'accès au droit et à la justice. - Alors que l'encre de la loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice est à peine sèche, nous voilà de nouveau à échanger sur la trajectoire et les crédits budgétaires de votre ministère.

Nous nous félicitons une fois de plus de l'augmentation de ces crédits et des moyens, avant tout humains, qu'ils représentent. Le recrutement de 1 500 magistrats, ou 2 800 si nous prenons en compte le remplacement des départs en retraite, pourvoira - nous l'espérons - les 400 postes actuellement vacants dans nos juridictions ; celui de 1 800 greffiers renforcera également les équipes juridictionnelles.

Néanmoins, si la question se pose de savoir comment recruter, elle se pose également de savoir pourquoi.

La charge de travail des magistrats est en cause. Le référentiel sur lequel la DSJ a travaillé avec les représentants des organisations syndicales représentatives de magistrats est en cours d'expérimentation pour les juridictions de première instance et semble manifestement prêt. Quand sera-t-il dévoilé ?

La restructuration de l'équipe autour du magistrat et la réorganisation de son travail constituent par ailleurs un axe fort, car il ne suffit pas d'accorder des moyens supplémentaires. Les greffiers s'interrogent aujourd'hui sur la place qu'ils occuperont dans cette équipe. S'ils se réjouissent des revalorisations qui les concernent et du passage en catégorie A d'une partie d'entre eux, ils nourrissent aussi des inquiétudes sur les changements qui interviennent. Nous apprécierions davantage de clarté sur votre vision de l'équipe qui se formera autour du magistrat.

Nous observons une progression en flèche des crédits alloués à la prise en charge des frais de justice. Pensez-vous que vous parviendrez à les juguler ? Dans l'affirmative, comment vous y prendrez-vous ?

En 2024 se tiendront les jeux Olympiques et Paralympiques. Une telle manifestation laisse présager de fortes sollicitations des juridictions, qui pèseront sur la chaîne pénale. Les juridictions seront-elles prêtes ?

Mme Dominique Vérien, rapporteure pour avis sur les crédits relatifs à la justice judiciaire et à l'accès au droit et à la justice. - Merci pour les techniciens informatiques que vous dépêchez dans les tribunaux. Ils aideront beaucoup les greffiers et les magistrats tant, en effet, les pannes sont régulières. Deux noms reviennent depuis quatre ans dans nos conversations, ceux des programmes Portalis et Cassiopée. Quand cesserons-nous d'en parler, sauf pour enfin reconnaître qu'ils fonctionnent ?

L'objectif de « zéro papier » en 2027 s'étend au-delà de la seule PPN et se révèle plus ambitieux. Ne faut-il pas se concentrer d'abord sur la PPN ? Pour l'heure, ce sont très majoritairement les procédures dites « petits x » qui remontent de cette manière. Nous n'en sommes pas encore à la transmission de dossiers effectivement traités par des magistrats.

Sur l'immobilier judiciaire, les utilisateurs nous font observer que les travaux n'ont pas été suffisamment anticipés et qu'ils n'ont été que trop peu associés à la programmation. Nous vous remercions des nombreux recrutements, mais comment faire avec des bâtiments qui, pourtant neufs, s'avèrent déjà trop exigus ? Entendez-vous modifier la méthode d'élaboration de la programmation relative aux prochains bâtiments ?

Vous n'avez par ailleurs pas évoqué de politique d'économies d'énergie. La meilleure façon de trouver de l'argent consiste à ne pas le dépenser inutilement ! Or certains tribunaux sont de véritables passoires thermiques. Prévoyez-vous d'agir dans ce domaine ?

Nous avons soutenu une proposition d'expérimentation de tribunaux des affaires économiques. Quand les juridictions d'expérimentation seront-elles connues ? Par ailleurs, une contribution pour la justice économique a été créée dans le cadre de la loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice pour 2023-2027. Existe-t-il une possibilité de flécher cette recette sur le budget de la justice, voire sur celui des tribunaux de commerce ou des futurs tribunaux des affaires économiques ? Cela permettrait aux magistrats et juges concernés de disposer de ressources fort utiles.

Enfin, à quand des adresses mail dédiées pour les juges des tribunaux de commerce ?

Mme Laurence Harribey, rapporteure pour avis sur les crédits relatifs à la protection judiciaire de la jeunesse. - Merci, monsieur le ministre, pour votre présentation. On constate une relative stabilité du budget de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) qui augmente de 3 %, mais il faut souligner que l'augmentation était de 10 % l'an passé. Des efforts particuliers sont engagés depuis plusieurs années, notamment sur la question des rémunérations. Néanmoins, le bilan est en demi-teinte.

Ma première question concerne les centres éducatifs fermés (CEF), dispositif auquel vous êtes attaché ; l'ouverture de 20 centres est prévue d'ici à 2027. Pourtant, un rapport récent de la Cour des comptes fait état d'un taux d'occupation de seulement 68 % et de nombreux professionnels évoquent un risque d'éviction, c'est-à-dire le fait qu'en recourant aux CEF, on délaisse des places existant dans d'autres types de centres, ce qui pourrait les conduire à réduire leur offre de placement, dont nous avons pourtant besoin.

Ma deuxième question porte sur l'impact de l'entrée en vigueur du code de la justice pénale des mineurs : elle se traduit par une diminution de la durée des placements. Sur le fond, c'est une bonne chose, mais les personnels de la PJJ la jugent problématique car historiquement, la durée moyenne d'un parcours était de 6 mois minimum. Or aujourd'hui la durée de placement est de 4 mois et demi en moyenne. Les pratiques professionnelles en sont bouleversées : comment concilier désormais le tempo de l'éducatif et le tempo judiciaire ? Qu'advient-il des séjours de rupture de plusieurs mois, qui ont prouvé leur efficacité, mais qui deviennent plus rares avec cette réforme ?

Enfin, j'aimerais connaître le calendrier d'aboutissement de Parcours, la Cour des comptes évoquant en effet la date de 2032. Ce dispositif a déjà coûté 10 millions d'euros pour la mise en oeuvre du premier volet de la première partie et le choix - que l'on peut comprendre -, d'impliquer les acteurs dans sa construction, a ralenti le processus. Par ailleurs, le secteur associatif habilité n'est toujours pas associé, alors qu'il représente la grande majorité des placements.

M. Louis Vogel, rapporteur pour avis sur les crédits relatifs à l'administration pénitentiaire. - Monsieur le ministre, il faut saluer votre action puisque le budget de la justice augmente globalement, y compris pour l'administration pénitentiaire, et il était grand temps ! Mais, au sein de ce budget, les crédits prévus pour l'insertion et la probation sont en baisse. Or l'insertion et la probation sont unanimement considérées comme les meilleurs moyens de lutter contre la récidive. Comptez-vous revaloriser ce secteur et comment ?

On dit couramment que la surpopulation carcérale est liée à l'augmentation des peines et que les alternatives à la prison permettraient de réduire le nombre de détenus. Mais le récent rapport de la Cour des comptes dont il a été question montre qu'en réalité les deux courbes croissent parallèlement : il y a, à la fois, une augmentation du nombre de détenus et du nombre de personnes condamnées à des peines alternatives. Face à ce constat, comment comptez-vous agir pour réduire efficacement le nombre de détenus ?

Mme Nathalie Delattre, rapporteure pour avis sur la mission « Direction de l'action du Gouvernement ». -En tant que rapporteure pour avis de la mission « Direction de l'action du Gouvernement », je me suis notamment penchée sur les crédits et l'activité de la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) et de la direction interministérielle du numérique (Dinum).

J'ai pu étudier les récents rapports de la CGLPL ainsi que les grands projets numériques de votre ministère. Afin de réduire la surpopulation carcérale, préoccupation récurrente de la CGLPL, le Gouvernement prévoit un plan de construction de 15 000 places de prison d'ici à 2027, revu à la hausse par la loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027. La CGLPL qualifiait en juillet dernier ce programme d'irréaliste. Ce plan sera-t-il suffisant pour résoudre la crise actuelle ? Le calendrier des livraisons prévues pour 2024 sera-t-il tenu ? Ainsi, le centre pénitentiaire de Gradignan compte déjà 825 détenus : la nouvelle construction de 602 places sera en suroccupation au moment de son ouverture.

Par ailleurs, dans son rapport d'activité, la CGLPL observe que le suivi de ses recommandations par les ministres demeure un exercice formel et fastidieux, mentionnant un taux de réalisation relativement faible : existe-t-il un suivi effectif des rapports et recommandations de cette autorité indépendante ?

La transformation numérique est une autre priorité du budget de la justice pour 2024. Parmi les 52 grands projets numériques qui font l'objet d'un suivi par la Dinum, 7 sont portés par votre ministère. Lors de l'exercice précédent, les écarts budgétaires et calendaires de ces projets accusaient une hausse de 5 % des coûts et de 7 % de la durée par rapport aux estimations initiales ; ces écarts s'accroissent pour 2024 avec des hausses respectives de 15 % et 29 %. Pourriez-vous expliquer ces dérives ? Comment ces projets ainsi que le deuxième plan de transformation numérique dans son ensemble sont-ils suivis et pilotés par les services de votre ministère ? Quelle a été la portée des recommandations éventuellement formulées par la Dinum ?

Enfin, les personnels réclament la modernisation du matériel, en vain car il serait trop cher. Ainsi, au centre pénitentiaire de Gradignan, les surveillants attendent : des drones d'interception et de surveillance, pour faire face aux drones livrant drogues et objets divers ; des pistolets à impulsion électrique pour les fouilles de cellule ; ainsi que des caméras-piéton à utiliser dans les sas, lorsque les surveillants hommes se retrouvent seuls avec des détenues femmes.

M. Philippe Bonnecarrère. - Monsieur le ministre, la remise à niveau de la justice française est indiscutablement à porter à votre crédit. Les questions portent maintenant sur la mise en oeuvre.

Je partage le tropisme de Dominique Vérien sur la question informatique. Vous avez évoqué 209 millions d'euros d'investissement dans le budget 2024. Quel est le taux d'exécution de ces investissements informatiques qui se situent autour de 190 millions d'euros ?

La gestion de nos collectivités locales nous a appris que les bonnes réalisations reposent sur une bonne maîtrise d'ouvrage, une bonne maîtrise d'oeuvre et un bon dialogue entre les deux. Comment cela est-il organisé dans votre ministère ? J'aimerais savoir qui, dans vos services, sur le terrain, s'occupe de la maîtrise d'oeuvre : est-elle totalement externalisée ? Comment le dialogue avec la maîtrise d'ouvrage fonctionne-t-il ?

M. Alain Marc. - À mon tour, je me félicite de l'augmentation du budget. Je me suis rendu à l'École nationale d'administration pénitentiaire (Enap) à Agen il y a deux ans. Il m'avait été souligné à cette occasion la sous-exécution du recrutement des surveillants pénitentiaires lors des années précédentes, et un niveau de recrutement qui est en conséquence très bas. Or les prisons sont aujourd'hui dotées de cellules de renseignement qui exigent, entre autres, de savoir rédiger des rapports synthétiques, ce qui suppose des qualités rédactionnelles et une culture de base. Comment comptez-vous améliorer l'attractivité de ces métiers ?

Je pense également que les conciliateurs de justice pourraient être plus nombreux si les bénévoles, souvent de jeunes retraités, s'y investissaient davantage. Cela soulève la question de la publicité faite autour de ce dispositif.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Vous avez publié le 23 novembre dernier, soit juste avant la Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes, un décret instituant des pôles spécialisés en matière de violences intrafamiliales au sein des tribunaux judiciaires et des cours d'appel - ces pôles seront généralisés au 1er janvier 2024. Pourriez-vous en donner les détails budgétaires et en termes de ressources humaines ? En effet, le nombre de plaintes déposées augmente très significativement. On peut se réjouir de cette libération de la parole, mais les services de police et de justice manquent de personnels face à ces demandes. Les magistrats ont du mal à rester longtemps dans des fonctions qui entraînent une lourde charge mentale.

M. Hussein Bourgi. - Monsieur le ministre, je me réjouis cette année encore de l'augmentation du budget.

Les pôles spécialisés évoqués par Marie-Pierre de La Gontrie ont déjà été mis en place dans certaines juridictions, avant la parution du décret, mais d'autres juridictions m'ont fait part de leurs inquiétudes. En effet, les magistrats chargés des violences intrafamiliales conservent les attributions antérieures qui étaient les leurs. Certains disent ainsi de manière un peu provocatrice qu'ils prioriseront les violences intrafamiliales au détriment du reste. Ils s'inquiètent de devoir négliger les autres types de contentieux et que l'opinion publique se retourne contre cette grande cause qu'est la lutte contre les violences faites aux femmes, à laquelle elle adhère jusqu'à présent.

Aujourd'hui, dans les services du juge aux affaires familiales (JAF) du tribunal judiciaire de Montpellier, 350 décisions de justice attendent d'être mises en forme et notifiées aux parties et, de même, 300 audiences sont prévues mais n'ont pas encore été notifiées aux avocats. Dans le contentieux familial, et particulièrement lorsqu'il y a des enfants, ces délais enveniment les situations. On m'alerte sur le manque de greffiers. Si les convocations arrivent tard, les avocats risquent de demander des reports d'audience. Les mêmes difficultés structurelles m'ont été rapportées pour d'autres tribunaux. Comment pensez-vous résoudre ce problème ?

Mme Marie Mercier. - En 2016 a été mise en place la tentative de médiation familiale préalable obligatoire (TMFPO) à titre expérimental : une évaluation de ce dispositif a-t-elle été menée et celui-ci sera-t-il pérennisé ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Vos nombreuses questions montrent tout l'intérêt que vous portez à la justice.

Madame Canayer, vous me demandez comment piloter la montée en charge du plan de recrutement. Il s'agit de 10 000 recrutements nets, inscrits dans la loi d'orientation et de programmation. Je prévois d'abord de sanctuariser 1 500 magistrats et 1 800 greffiers. Les 10 000 recrutements représentent une hausse de 11 % des effectifs actuels, qui s'élèvent à 92 000 agents. La répartition plus fine se fera année par année, en fonction des besoins de chaque métier, de l'avancement des projets pénitentiaires et naturellement des capacités de recrutement et de formation des écoles.

J'ai accueilli récemment la prestation de serment de la toute dernière promotion de l'École nationale des greffes qui compte désormais quatre promotions par an au lieu de deux. L'École nationale de la magistrature (ENM) a vu son budget augmenter d'un tiers, ce qui permet de recruter de nouveaux enseignants, d'élargir les salles de cours, de décupler la capacité de formation des auditeurs de justice. La prochaine promotion sera très importante puisqu'elle frôlera les 500 auditeurs de justice.

Ces recrutements imposent d'adapter le parc immobilier judiciaire qui compte actuellement 699 bâtiments en activité : il va falloir poursuivre l'effort de modernisation et de construction avec une programmation immobilière quinquennale en cours de révision, à la hausse. L'année 2024 verra ainsi : la construction de trois nouveaux palais de justice à Lille, Saint-Benoît à la Réunion, Saint-Laurent-du-Maroni ; deux réhabilitations pour construire des annexes au palais de justice, à Niort et à Valenciennes ; et enfin quinze restructurations de palais de justice existants à Arras, Bayonne, Bourges, Bourgoin-Jallieu, Chaumont, Carcassonne, Évry, Fort-de-France, Mâcon, Nancy, Nantes, Nanterre, Paris-Cité, Versailles et Vienne.

Sur les frais de justice, nous avons porté deux actions principales. Le 9 mai dernier, j'ai signé une dépêche relative aux dépenses, invitant les chefs de pôle et les chefs de juridiction à activer ensemble les leviers qui sont à leur main, pour maîtriser les coûts. J'ai mis en place un plan de maîtrise selon six axes en cours de mise en oeuvre : revoir l'organisation des juridictions, automatiser les dépenses de traduction, mutualiser les frais de gardiennage, mettre en place une tarification sur le recours aux laboratoires, et sur les investigations numériques, expérimenter un processus de destruction des armes avec le ministère de l'intérieur. Je peux vous donner ultérieurement des détails supplémentaires sur ces dépenses afférentes aux frais de justice si vous le souhaitez.

Vous m'avez interrogé sur les jeux Olympiques et Paralympiques : ils sont attendus avec beaucoup d'enthousiasme, mais ils nous contraignent à faire des choix. Les juridictions concernées devront être renforcées. Nous serons prêts, car nous avons anticipé cet événement de longue date, en région parisienne, à Lyon, à Marseille et en outre-mer : nous allons recruter 164 contractuels pour faire face à la hausse d'activité, 49 magistrats en surnombre dans les juridictions de la région parisienne. La direction de l'administration pénitentiaire (DAP) prévoit des transfèrements pour libérer des places dans les établissements pénitentiaires : en effet, un afflux massif de population va provoquer une inflation de la délinquance avec les pickpockets, les questions de dopage, la fausse billetterie. Ainsi, le centre pénitentiaire de Caen-Ifs qui vient d'être inauguré, pourra, avec ses 1 000 places, accueillir des détenus de région parisienne pour que nous soyons opérationnels.

Madame Vérien, à propos de Portalis, j'ai constaté à mon arrivée au ministère une dérive du projet. On est donc revenu à l'objectif premier, à savoir déployer un logiciel unique pour tout le contentieux civil et nous allons donc remplacer huit applicatifs. Une première version de l'applicatif a été déployée à titre expérimental dans neuf juridictions. La généralisation à l'ensemble des prud'hommes se déroule jusqu'à la mi-2024. Ensuite, nous le déploierons pour les contentieux relatifs au droit de la famille. Je rappelle que ce sont les deux contentieux civils les plus importants dans la vie de nos concitoyens.

Le déploiement ira de plus en plus vite, parce que les principaux obstacles techniques ont été surmontés. L'avancée du projet est décisive pour l'ambition « zéro papier », que les juridictions administratives ont réussi à mettre en oeuvre : c'est donc parfaitement possible. On a maintenant un secrétaire général adjoint qui s'occupe de ces questions numériques, et on avance très rapidement.

Vous m'avez parlé de la charge de travail des magistrats et du fameux référentiel, cet outil ancien, délaissé, auquel j'ai décidé de revenir. C'est long, mais il a fallu quatre ans à l'Allemagne pour élaborer sa propre version. Nous y travaillons avec les syndicats et nous avons pu adopter 16 référentiels pour la première instance, soit 11 pour les fonctions du siège et 5 pour les fonctions du parquet. Les travaux sont en voie de finalisation pour les juridictions interrégionales spécialisées (JIRS) et l'activité de soutien au siège et au parquet avec les spécificités des chefs de juridiction doit être examinée prochainement.

Je n'ai pas la prétention de dire que ces budgets vont tout régler, mais on avance. Tout ne sera pas réglé d'ici à 2027, mais nous sommes sur une trajectoire où la justice est enfin considérée comme essentielle. Je rappelle qu'à une époque, le budget des anciens combattants était supérieur à celui de la justice, qui connaissait des taux de croissance de 1 %... Ces temps sont révolus. On a tous collectivement compris à quel point il était important de donner à la justice des moyens supplémentaires, et on ne sera plus dans l'abandon humain, budgétaire et politique.

La création prochaine de tribunaux des activités économiques (TAE) suscite beaucoup de candidatures, je m'en réjouis. On se concerte, des parlementaires l'appellent de leurs voeux dans leur circonscription, on fait des expertises. L'ouverture est prévue pour 2025.

Au sujet des adresses mail des juges consulaires, il y a eu un très faible usage du service : quinze connexions par mois sur un ressort de 147 juges. Nous échangeons avec la direction des services judiciaires (DSJ) et les juges consulaires afin d'affiner plus précisément les besoins.

Enfin, s'agissant des rénovations énergétiques du parc immobilier, on construit et on réhabilite « vert ». J'ai par exemple demandé à la DAP si les toitures des établissements pénitentiaires, qui sont vastes, ne pourraient pas être équipées de panneaux. Il y a possiblement des problèmes de sécurité, mais c'est en cours d'étude. Mais les dépenses d'investissement dédiées à la rénovation du parc immobilier judiciaire sont en constante augmentation depuis 2020 et la quasi-totalité des tribunaux doivent atteindre l'objectif de réduction de 40 % de leurs dépenses énergétiques d'ici à 2030.

Madame Harribey, vous avez raison, je suis attaché aux CEF, malgré les critiques. En effet, un rapport de la PJJ que je tiens à votre disposition indique que les CEF permettent une diminution de la récidive importante. Il y a dans les CEF plus d'éducateurs que de jeunes, afin de leur apporter tous les soins - psychologique, psychiatrique, sanitaire - et l'attention qui leur permettent de s'épanouir. On apprend aux jeunes à lire, à écrire, à faire de la mécanique... Naturellement, on ne peut pas sauver tous les enfants qui s'y trouvent, mais les succès rencontrés pour quelques-uns justifient l'existence de ces centres. On n'oublie pas les centres éducatifs renforcés non plus. D'ailleurs, j'ai toujours été favorable à un partenariat entre la PJJ et l'armée. Certains de ses jeunes ont besoin de l'autorité bienveillante des militaires. J'ai vu une expérimentation séduisante à Coëtquidan et, dans le cadre de notre travail post-émeutes, nous allons accélérer ce partenariat entre la PJJ et l'armée.

Vous m'interrogez sur l'impact du code de la justice pénale des mineurs (CJPM). Il est vrai que la phase antérieure à l'audience de culpabilité ne permet pas un placement de plus de trois mois. L'objectif du CJPM était de raccourcir les délais. On peut améliorer les choses, on a deux ans d'expérimentation. La PJJ estime qu'il s'agit d'un beau texte, majoritairement apprécié par les juges des enfants. Avant son entrée en vigueur, un mineur sur deux était jugé quand il était majeur, ce qui était insensé. Le message pédagogique arrivait bien trop tard, tout le monde perdait son temps, son énergie : juger un jeune homme de 16 ans quand il en a 21, s'il a sombré dans la délinquance, il n'aura que faire du jugement d'un tribunal pour enfants, s'il en est sorti, le juger ne sert plus à rien.

En ce qui concerne le déploiement du logiciel Parcours, nous procédons par étape et les choses devraient être réglées en 2025 pour le secteur associatif. Il a fallu du temps pour le mettre en place. Vous l'avez dit : ceux qui ont les mains dans le cambouis l'ont créé et c'est son grand avantage, puisqu'il prend en compte les réalités.

Monsieur Vogel, les missions réalisées par le service pénitentiaire d'insertion et de probation (Spip), en milieu ouvert comme en milieu fermé, doivent continuer à être développées. En 2024, la dotation se maintiendra au niveau élevé de 51,8 millions d'euros, après avoir été de 53,4 millions d'euros en 2023. Ce budget représente une hausse de 30 % par rapport à celui de 2022, qui s'élevait à 39,8 millions d'euros.

J'en viens à la surpopulation carcérale, qui est le sujet difficile par définition et ne souffre pas la caricature. Dominique Simonnot me rappelle régulièrement que nous avons un problème en la matière - cette difficulté ne m'a pas échappé et elle me hante. Elle souhaiterait que nous libérions un grand nombre de personnes et, chaque fois que j'échange avec elle, on me parle de ce qu'a fait Nicole Belloubet. Cependant, cette dernière a agi pendant la période du covid, quand il s'agissait de protéger la santé des détenus et des agents pénitentiaires, dont certains sont morts. C'était indispensable, et je l'ai dit à l'époque.

Mais les choses ont changé. D'abord, il faudrait assumer la responsabilité politique de libérer des milliers de gens. Je ne suis pas sûr que les Français aient envie d'une telle mesure. En revanche, je suis sûr que certains mouvements très à droite en bénéficieraient, par contrecoup.

Dominique Simonnot propose que nous adoptions des quotas, ce qui signifie que, dans un établissement pénitentiaire qui n'est pas plein, nous pourrions incarcérer à tour de bras...

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - ... il s'agirait de régulation. Vous avez pourtant dit que le sujet ne souffrait pas la caricature.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. - Je travaille sur le sujet, madame la sénatrice, et je souhaite que nous trouvions les bonnes solutions. Ma porte est ouverte et je vous invite à venir me voir.

C'est ce que Dominique Simonnot propose : on incarcère là où il y a de la place et pas là où il n'y en a plus, ce qui pose des difficultés. Pourquoi l'un bénéficierait d'une clémence en raison de la surpopulation ? De plus, cette solution vient percuter l'indépendance des magistrats qui ont décidé de la peine.

Dans le dernier texte voté par le Sénat, nous avons étendu les travaux d'intérêt général (TIG) au secteur associatif. Je rappelle que le TIG est réservé à la délinquance de basse intensité. Nous avons aussi avancé sur l'assignation à résidence sous surveillance électronique (Arse), dans ce texte que nous avons construit ensemble et que vous avez amélioré. Des pistes existent donc.

Par ailleurs, j'ai conditionné les réductions automatiques de peine à l'effort car on n'a rien sans rien. Nous avons donc augmenté de façon considérable le nombre d'emplois pénitentiaires, qui bénéficient d'un contrat d'emploi pénitentiaire. Ces mesures sont novatrices et incitatives.

La construction d'établissements pénitentiaires constitue l'autre levier d'action. Elle permet d'assurer une réponse pénale ferme, de régler la question de la détention indigne, sur laquelle la commission des lois du Sénat a produit un très beau texte, mais aussi d'améliorer la sécurité et le confort du personnel pénitentiaire. Plus les conditions sont dignes, plus le personnel peut mettre en place la réinsertion. Nous avons développé les structures d'accompagnement vers la sortie (SAS), pour permettre à des détenus d'être au plus près des différents organismes pouvant les aider à se réinsérer et à trouver du travail. Ces dispositifs permettent de réduire la récidive.

Par ailleurs, nous avons mis en place la libération sous contrainte (LSC), qui est entrée dans les moeurs judiciaires. Elle permet une libération avec une obligation de logement quand le reliquat de peine est de trois mois ou moins. Il s'agit d'éviter les sorties sèches, pour empêcher la récidive.

Nous travaillons, mais ma réflexion sur le sujet n'est pas encore aboutie et, si vous avez des idées à partager, je suis preneur. Ces questions sont complexes et nous vivons dans une époque qui ne connaît plus la nuance.

S'agissant du taux d'exécution en matière informatique, j'y suis très attentif et 100 % des crédits numériques votés par le Parlement seront utilisés pour 2023. Vous pouvez délivrer un petit satisfecit au ministère !

Je vous donne le mode opératoire du deuxième plan de transformation numérique du ministère de la justice : sur chaque projet, un responsable rapproche maîtrise d'ouvrage et maîtrise d'oeuvre. Par ailleurs, nous internalisons les compétences informatiques et les effectifs numériques du secrétariat général sont passés de 450 à près de 900 depuis 2017. En 2024, nous recruterons encore 55 ingénieurs, pour limiter le recours aux prestations extérieures. Les consultations sont beaucoup plus systématiques sur le terrain.

J'en viens à la question des drones. Nous avions constaté que certains procureurs faisaient des choses formidables dont les autres ne profitaient pas. Nous avons donc regroupé ces bonnes pratiques sur un site, que les magistrats pouvaient consulter et compléter. Nous avons même franchi nos frontières pour découvrir un travail réalisé en Italie, où la pénitentiaire s'est rapprochée de l'aviation. Des moyens de sécurisation importants ont été mis en place, notamment des filets. Il reste des choses à faire, puisqu'on peut apprendre dans la presse que des détenus se sont fait livrer en produits stupéfiants ! C'est insupportable. Nous sommes attentifs et proactifs. Il faudrait s'inspirer de la pratique italienne, en s'assurant d'abord de sa faisabilité. J'en ai parlé au ministre des transports, pour essayer de déployer une réponse ferme et précise. Il faut nous adapter aux techniques utilisées. Les moyens alloués pour sécuriser les personnels et les établissements pénitentiaires sont importants.

En ce qui concerne les pôles spécialisés en matière de violences intrafamiliales, j'ai signé une circulaire de mise en oeuvre le lendemain de la publication au Journal officiel, le 24 novembre, du décret instituant des pôles spécialisés en matière de violences intrafamiliales au sein des tribunaux judiciaires et des cours d'appel. L'entrée en vigueur est prévue pour le 1er janvier 2024, 179 chargés de mission seront déployés et 17,2 millions d'euros leur seront consacrés dans le budget pour 2024.

Cette organisation est indispensable. Nul ne conteste la grande qualité du travail réalisé par nos parlementaires, dont Dominique Vérien. La proposition des tribunaux spécialisés n'a pas été retenue, de façon légitime, et les magistrats n'en voulaient pas. Pour anticiper, il ne faut plus fonctionner en silo et les différents acteurs - JAF, juge de l'application des peines (JAP), procureur ou forces de sécurité intérieure - doivent se parler. Ce fonctionnement serait à l'inverse de ce qui s'est passé dans l'affaire de Mérignac. Selon l'inspection générale de la justice (IGJ), il n'y a pas eu de faute individuelle dans cette affaire, mais de mauvaises habitudes, qui font que les uns et les autres ne se parlent pas. La catastrophe est ainsi arrivée. À cette époque, j'avais pris une circulaire, qui avait été qualifiée de comminatoire, pour rappeler que les bracelets anti-rapprochement ne devaient pas rester dans les tiroirs. Les magistrats sont sensibilisés à ces questions des violences intrafamiliales, ils ont reçu une formation à l'ENM et bénéficient d'une formation continue.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Vous avez évoqué le chiffre de 17,2 millions d'euros ; s'agit-il de crédits supplémentaires ?

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. - Non, c'est le budget pour 2024.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Il s'agit donc d'un redéploiement ?

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. - Je donne le chiffre pour répondre à la question de l'allocation. Par ailleurs, l'autre partie de la solution pour que les pôles puissent se mettre en place réside dans les personnels envoyés. Ainsi, nous envoyons des magistrats, des greffiers et des contractuels.

J'en viens à l'équipe autour des magistrats, qui doit permettre à ces derniers de se recentrer sur leur coeur de métier et de diviser par deux le délai de jugement. J'ai constaté, lors de mes déplacements, que les greffiers craignent la concurrence des attachés de justice, d'autant que ces derniers devraient prêter serment. Je les ai rassurés chaque fois que possible, les assurant du fait que leur place reste essentielle dans l'équipe, eu égard à leur connaissance de la procédure et du magistrat, ainsi qu'à leurs réflexes judiciaires dont on ne peut se passer. Lors de chacun de mes déplacements, j'entendais leurs craintes...

Mme Agnès Canayer, rapporteur pour avis. - ...nous les entendons encore.

M. Éric Dupond-Moretti, ministre. - Je les entends de moins en moins. Cette équipe ne se constituera pas sans eux. Dès que l'équipe se mettra en place, les greffiers constateront qu'ils en occupent le coeur.

En ce qui concerne la TMFPO, je me tiens à la disposition de la commission pour que l'on détaille, si vous le souhaitez, les dispositions réglementaires qui ont été prises et les deux nouvelles procédures que nous avons mises en place.

D'abord, elles visent à ce que le justiciable se réapproprie son procès. Il s'agit de procédures civiles qui touchent à l'intime et, parfois, le justiciable ne voit pas son juge ; comment les gens peuvent-ils aimer la justice quand elle n'est pas incarnée ?

Je porte ces sujets avec beaucoup d'enthousiasme. Nous avons mis en place les ambassadeurs de l'amiable, parmi lesquels se trouvent des professeurs de droit, des avocats, des magistrats, des notaires ou des commissaires de justice. Ils se déplaceront dans toutes les cours d'appel pour expliquer les deux nouvelles procédures. S'agit-il d'un modèle économique viable pour les avocats ? Oui.

Ensuite, ces nouvelles procédures contribueront à replacer le juge au coeur de son métier. Tant de questions ont été évoquées par les magistrats quand ils se sont exprimés sur leur mal-être. Ils s'interrogent sur le sens de leur mission.

Enfin, le dispositif permettra d'aller beaucoup plus vite. Nous comptons 1 % de procédures de médiation, quand ce pourcentage s'élève à 70  % ou 80 % au Canada. Dans ce pays comme dans d'autres pays anglo-saxons, il s'agit d'un réflexe. Mais l'évolution implique un changement de paradigme : les avocats ne doivent plus privilégier systématiquement la culture de la castagne et accepter de se mettre autour de la table. Quand deux personnes trouvent un accord grâce à ces procédures, elles en sont toutes les deux satisfaites. Au terme d'un procès, il y a une personne satisfaite et une personne déçue, qui pense que la justice n'a pas bien fonctionné. Si nous voulons améliorer le lien de confiance entre nos compatriotes et la justice, nous n'avons aucune raison de nous priver de cette évolution. Conciliateurs et médiateurs nous sont indispensables. La TMFPO est un dispositif expérimental. Ses résultats n'étant pas encore clairs, j'ai prolongé l'expérimentation pour quelques années et à périmètre constant.

S'agissant de l'attractivité de la DAP, sur les 162 recrutements non effectués par rapport à l'objectif de 2022, 149 sont imputables à l'administration pénitentiaire au titre des personnels de surveillance. Le métier de surveillant pénitentiaire est difficile et souffre d'un manque d'attractivité. C'est la raison pour laquelle j'ai annoncé le 21 février dernier qu'à compter du 1er janvier 2024, le corps des surveillants passerait de la catégorie B à A. Il s'agissait d'une revendication portée par les personnels pénitentiaires depuis plus de 20 ans.

Enfin, le budget de la DSJ augmente de 36 % et nous passons de 2,8 milliards en 2020 à 3,2 milliards d'euros en 2024. Priorité au service judiciaire.

M. François-Noël Buffet, président. - Merci, monsieur le ministre, pour ce débat fourni.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
ET DE LA CONTRIBUTION ÉCRITE

Direction de l'administration pénitentiaire

M. Laurent Ridel, directeur

Agence publique pour l'immobilier de la justice

M. David Barjon, architecte et urbaniste de l'État, directeur général

M. Yann Boubes, directeur des finances et du contrôle de gestion

Contrôleur général des lieux de privation de liberté

Mme Dominique Simonnot, contrôleure générale des lieux de privation de liberté

Cour des comptes

Mme Nathalie Casas, présidente de section

Mme Marie Nil Chounet, première conseillère au tribunal administratif de Paris

Union fédérale autonome pénitentiaire - Union nationale des syndicats autonomes (UFAP-UNSa) Justice

M. Emmanuel Chambaud, secrétaire général et premier surveillant à la maison d'arrêt de Lyon Corbas

M. Luciano Ducceschi, secrétaire général adjoint, capitaine au centre de détention d'Oermingen

M. Simon Pierre Lagouche, secrétaire national, conseiller d'insertion et de probation au service pénitentiaire d'insertion et de probation d'Amiens

Mme Nolwen Dugue, secrétaire nationale et surveillante brigadier au centre pénitentiaire de Nantes

Syndicat national de l'ensemble des personnels de l'administration pénitentiaire - Fédération syndicale unitaire (SNEPAP-FSU)

Mme Marianne Girard, conseiller pénitentiaire d'insertion et de probation au service pénitentiaire d'insertion et de probation de Dijon

M. Éric Aouchard, directeur pénitentiaire d'insertion et de probation à la direction interrégionale des services pénitentiaires de Paris

Syndicat national Pénitentiaires Force ouvrière (SNP-FO) - Direction

M. Ivan Gombert, secrétaire national

Syndicat national des directeurs pénitentiaires - Confédération française démocratique du travail (SNDP-CFDT)

Mme Flavie Rault, membre du secrétariat national

M. Jean-François Fogliarino, secrétaire général

Mme Aurélie Jammes, trésorière

Confédération nationale du travail (CGT) Insertion - Probation

M. Benjamin Bons, secrétaire national

Mme Marion Bonneaud, secrétaire nationale

Syndicat national Pénitentiaires Force ouvrière (SNP-FO) - Personnels de surveillance

Mme Valérie Vaissie, capitaine à la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis

M. Hervé Segaud, premier surveillant à la maison d'arrêt de Grasse

Confédération nationale du travail (CGT) Pénitentiaire

M. Samuel Gauthier, secrétaire général

M. Damien Tripenne, secrétaire local

Syndicat pénitentiaire des surveillants (S.P.S.)

M. Joseph Paoli, délégué régional pour Bordeaux

M. Philippe Kuhn, délégué régional pour Paris

CONTRIBUTION ÉCRITE

Direction de l'administration pénitentiaire


* 1 Loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023.

* 2 Source : projet annuel de performances sur les crédits de la mission « Justice » du projet de loi de finances pour 2024.

* 3 111,7 millions d'euros en AE, 106, millions d'euros en CP (projet de loi de finances pour 2023).

* 4 Ordonnance n° 2022-1336 du 19 octobre 2022 relative aux droits sociaux des personnes détenues.

* 5 Source : projet annuel de performances sur les crédits de la mission « Justice » du projet de loi de finances pour 2024.

* 6 Source : contribution écrite de la direction de l'administration pénitentiaire adressée au rapporteur.

* 7 Entre janvier et septembre 2023.

* 8 Source : projet annuel de performances sur les crédits de la mission « Justice » du projet de loi de finances pour 2024.

* 9 Source : contribution écrite de la direction de l'administration pénitentiaire adressée au rapporteur.

* 10 En 2024, la revalorisation indiciaire du corps des DPIP n'aura d'incidence que sur deux mois. Le coût total de la mesure est estimé à 1,4 millions d'euros en année pleine.

* 11 Table ronde des syndicats représentant les services pénitentiaires d'insertion et de probation entendus par le rapporteur.

* 12 Source : projet annuel de performances sur les crédits de la mission « Justice » du projet de loi de finances pour 2024.

* 13 Source : projet annuel de performances sur les crédits de la mission « Justice » du projet de loi de finances pour 2024.

* 14 Le montant des crédits consacrés au placement extérieur était de 8,9 millions d'euros en 2022 contre 13,8 millions d'euros en 2024 (projet de loi de finances pour 2024).

* 15 Source : « Une surpopulation carcérale persistante, une politique d'exécution des peines en question », rapport public thématique de la Cour des comptes (octobre 2023).

* 16 Source : séries statistiques des personnes placées sous main de justice (1980-2022) publiées par le ministère de la justice

* 17 Source : « Une surpopulation carcérale persistante, une politique d'exécution des peines en question », rapport public thématique de la Cour des comptes (octobre 2023).

* 18 Source : audition de la Cour des comptes.

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