N° 850

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 5 juillet 2023

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable (1) relatif à la consigne pour réemploi et recyclage sur les emballages,

Par Mme Marta de CIDRAC,

Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-François Longeot, président ; M. Didier Mandelli, Mmes Nicole Bonnefoy, Marta de Cidrac, MM. Joël Bigot, Rémy Pointereau, Frédéric Marchand, Guillaume Chevrollier, Mme Marie-Claude Varaillas, MM. Jean-Pierre Corbisez, Pierre Médevielle, Ronan Dantec, vice-présidents ; M. Cyril Pellevat, Mme Angèle Préville, MM. Pascal Martin, Bruno Belin, secrétaires ; MM. Jean-Claude Anglars, Jean Bacci, Étienne Blanc, François Calvet, Michel Dagbert, Mme Patricia Demas, MM. Stéphane Demilly, Michel Dennemont, Gilbert-Luc Devinaz, Mme Nassimah Dindar, MM. Gilbert Favreau, Jacques Fernique, Mme Martine Filleul, MM. Fabien Genet, Hervé Gillé, Éric Gold, Daniel Gueret, Mmes Nadège Havet, Christine Herzog, MM. Jean-Michel Houllegatte, Olivier Jacquin, Gérard Lahellec, Mme Laurence Muller-Bronn, MM. Louis-Jean de Nicolaÿ, Philippe Pemezec, Mmes Évelyne Perrot, Marie-Laure Phinera-Horth, Kristina Pluchet, MM. Jean-Paul Prince, Bruno Rojouan, Mme Denise Saint-Pé, MM. Philippe Tabarot, Pierre-Jean Verzelen.

AVANT-PROPOS

Il y a plus de trois ans, la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire1(*) (« AGEC ») était promulguée.

Le texte, largement voté au Sénat et à l'Assemblée nationale après plusieurs mois d'un intense travail parlementaire, jetait des bases ambitieuses engageant notre pays vers la sortie d'une société de consommation fondée sur le « tout jetable ».

Au Sénat, première assemblée saisie, l'examen en commission de l'aménagement du territoire et du développement durable puis en séance publique avait transformé le texte initial, court et principalement technique, en une loi riche, abordant, parfois de manière novatrice, de nombreuses thématiques : gaspillages alimentaire et non-alimentaire, lutte contre le suremballage, lutte contre les dépôts sauvages, amélioration de l'information du consommateur, création d'un fonds de réemploi et d'un fonds de réparation, réduction de la production des plastiques à usage unique, exemplarité de l'État en matière d'économie circulaire...

Sur ces nombreuses thématiques, un grand nombre d'apports sénatoriaux avait été conservé au terme de la navette parlementaire. Les voir aujourd'hui figurer dans notre droit et observer leur mise en oeuvre constitue pour notre assemblée et notre commission un motif de satisfaction et de fierté. Ce travail nous engage également à en suivre l'application, afin que l'ambition qui fut la nôtre ne soit pas remise en cause par le pouvoir réglementaire.

*

Si une large majorité des problématiques avait donc fait l'objet d'un échange constructif et consensuel, la question de la consigne pour recyclage ou réemploi sur les emballages avait cristallisé les débats et les divergences entre le Sénat d'une part, et l'Assemblée nationale et le Gouvernement, d'autre part.

En la matière, derrière les dispositions du texte initial particulièrement floues, l'intention gouvernementale était précise : l'instauration d'une consigne pour recyclage sur les bouteilles en plastique, présentée par le Gouvernement comme l'unique solution pour atteindre l'objectif européen d'un taux de collecte pour recyclage des bouteilles en plastique pour boisson de 77 % en 2025 et de 90 % en 2029.

Au Sénat, cette proposition avait fait l'objet d'une opposition transpartisane dont l'unanimité doit encore être soulignée. Les groupes politiques de notre assemblée avaient tout d'abord pointé la double régression écologique du projet gouvernemental, tendant à « monétiser » un geste de tri, en principe désintéressé, et à pérenniser la bouteille en plastique à usage unique - en contradiction avec l'objectif de réduire de 50 % d'ici à 2030 le nombre de bouteilles en plastique à usage unique pour boisson mises sur le marché, aujourd'hui inscrit dans la loi.

Nous avions également déploré la double peine pour le citoyen. La mise en place de la consigne pour recyclage des bouteilles PET aurait en effet créé deux systèmes de collecte concurrents : le premier sur l'ensemble des emballages plastiques, financé par les contribuables via la collecte séparée, le second sur les seules bouteilles plastiques, financé par les consommateurs via la consigne.

Face à ce projet, nous avions opposé une autre piste, celle de la consigne pour réemploi sur les emballages en verre, qui nous semblait doublement vertueuse, d'un point de vue environnemental et économique.

Au terme du débat parlementaire et des négociations entre les deux chambres, une position de compromis avait été trouvée : sur le fondement de bilans annuels de l'Ademe, le Gouvernement pourrait définir, après la publication du bilan réalisé en 2023, les modalités de mise en oeuvre d'un ou plusieurs dispositifs de consigne pour recyclage et réemploi, après évaluation des impacts économiques et environnementaux et concertation avec les parties prenantes, notamment les collectivités en charge du service public des déchets, et à condition de ne pas avoir atteint les performances cibles sans ces dispositifs.

La loi « Climat et résilience »2(*), adoptée quelques mois plus tard et promulguée en août 2021, n'avait pas remis en cause cet équilibre. Avec l'accord et, parfois à l'initiative de notre commission, elle avait renforcé le volet réemploi des emballages de la loi « AGEC », en rappelant notamment la possibilité de mettre en oeuvre des dispositifs de consigne pour réemploi pour les emballages en verre, sur le fondement d'un bilan environnemental global attendu en 2023.

*

La loi « AGEC » a donc fait de l'année 2023 une année charnière pour le devenir de notre politique de prévention et de gestion des déchets d'emballages, non seulement en raison du calendrier fixé pour la réalisation des analyses sur les consignes pour recyclage ou réemploi, mais aussi du fait du calendrier de la filière de responsabilité élargie du producteur (REP) sur les emballages ménagers et de la toute nouvelle filière REP sur les emballages professionnels3(*) - dont les cahiers des charges et les agréments de six ans sont attendus d'ici la fin de l'année.

Le lancement en janvier d'une concertation portant sur la mise en place éventuelle d'un ou plusieurs dispositifs de consigne pour recyclage et réemploi constituait à cet égard une étape d'application attendue de la mise en oeuvre de la loi « AGEC ».

Toutefois, le législateur avait exigé la remise préalable d'un bilan par l'Ademe avant le début de cette concertation avec les parties prenantes. En commençant celle-ci sans disposer des éléments d'expertise nécessaires, le Gouvernement a manifestement fait le choix d'agir dans le désordre, en laissant planer un doute quant à ses intentions.

Cette remise en cause du calendrier, contraire à l'esprit de la loi votée en 2020, est d'autant plus dommageable que d'autres volets du texte ont depuis pris du retard (mise en place des filières REP, déploiement de la collecte « hors foyer »...), en raison notamment de la crise sanitaire.

Dans ce contexte, la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable a décidé de lancer, en avril dernier, une mission d'information flash relative à la consigne pour réemploi et recyclage sur les emballages, avec deux objectifs clairs : exercer sur la concertation engagée une vigilance renforcée et s'assurer que le débat engagé soit le plus complet possible.

*

Ce rapport reflète les préoccupations et les priorités qui furent celles de notre commission lors de l'examen de la loi « AGEC ». Cohérent avec les principes et engagements qui sont les nôtres, le travail engagé depuis le printemps n'en demeure pas moins marqué par la volonté de réexaminer le sujet, sans a priori et sans parti pris, en tenant compte notamment des derniers éléments d'expertise, notamment des études de l'Ademe parues à la fin du mois de juin.

Comme il y a quatre ans, nos travaux ont été guidés par une exigence : fonder notre politique d'économie circulaire sur une priorité, la protection de l'environnement.

Cette exigence se traduit de plusieurs manières.

Premièrement, nous souhaitons faire de la réduction et du réemploi des emballages une priorité réelle, et non seulement théorique. Car derrière les priorités affichées, la prévention est indéniablement le « parent pauvre » de nos politiques publiques d'économie circulaire. Réduire les quantités d'emballages ne se décrète pas ; cette ambition se planifie, appelle une attention politique constante et requiert d'importants moyens opérationnels et financiers.

Deuxièmement, il nous a semblé primordial de nous intéresser à tous les emballages, et pas seulement au « totem » que constitue la bouteille plastique, qui ne représente qu'un centième des déchets ménagers, 2,8 % des déchets d'emballages et 15,4 % des déchets emballages en plastique.

Enfin, nous devons nous intéresser à l'ensemble des leviers disponibles, les dispositifs de consigne n'étant qu'un moyen parmi d'autres pour améliorer nos performances en matière de prévention et de gestion des déchets d'emballages.

Reflétant, certes, les préoccupations et les priorités qui furent celles de notre commission lors de l'examen de la loi « AGEC », le présent rapport d'information tient également compte de l'évolution du contexte depuis la promulgation de ce texte.

Contexte sanitaire, d'abord : la pandémie a retardé la mise en oeuvre de plusieurs volets de la loi « AGEC », à l'instar du déploiement de la REP « emballages de la restauration », initialement programmée en 2021 et repoussée à 2023. Elle a, dans le même temps, accéléré la mutation des modes de consommation, en accentuant par exemple les pratiques de vente à emporter ou de livraisons à domicile, génératrices de déchets d'emballage.

Contexte économique et social, par ailleurs. La guerre en Ukraine a provoqué une vague inflationniste inédite au XXIème siècle, nous invitant à manier avec précaution des politiques publiques qui pourraient avoir un impact sur le pouvoir d'achat de nos concitoyens. Ce conflit a également souligné la nécessité de renforcer notre souveraineté économique, en réduisant notre dépendance aux importations. En contribuant à relocaliser la matière dans les territoires, l'économie circulaire répond à ce défi, faisant un trait d'union entre développement durable et aménagement du territoire, cher à notre commission.

*

Une chose est certaine : les retards accumulés par la France, tant en matière de prévention que de collecte et tri pour recyclage, appellent une action déterminée.

Nous devons, d'une part, renforcer considérablement nos politiques pour réduire la quantité d'emballages mis sur le marché, en particulier par le développement résolu du réemploi, notamment en déployant une consigne pour réemploi sur les emballages en verre.

D'autre part, les mauvaises performances de la France en matière de collecte triée pour recyclage, principalement sur les plastiques et l'aluminium, nous invitent à sortir du statu quo : tous les leviers pertinents d'un point de vue environnemental et économique doivent donc être mobilisés pour améliorer le geste de tri, ainsi que la collecte, dans et en dehors du foyer.

C'est le sens des nombreuses propositions formulées par ce rapport - inspirées de la trajectoire « ambitieuse » de la récente étude de l'Ademe.

Il ressort de cette étude que l'activation de l'ensemble de ces leviers permettra d'atteindre l'objectif spécifique de 90 % de collecte pour recyclage des bouteilles plastiques pour boisson, à la condition toutefois d'être rapidement, intégralement et simultanément mises en oeuvre.

Aussi, la consigne pour recyclage, notamment sur les bouteilles plastiques, n'apparaît pas, à ce stade, comme un levier pertinent : moins performant qu'il n'y paraît, le dispositif est même porteur de nombreux effets pervers environnementaux, tout en étant économiquement irrationnel, ainsi que socialement et territorialement injuste.

En outre, à l'inverse du scénario reposant sur une consigne pour recyclage - qui ne porterait que sur un gisement spécifique, bouteilles en plastique et, éventuellement, canettes en aluminium - les solutions identifiées par ce rapport présentent un avantage majeur : elles contribueront à améliorer le recyclage de l'ensemble des déchets d'emballages ainsi que des papiers et cartons, tout en incitant, pour certaines d'entre elles, au tri à la source des biodéchets, aujourd'hui très peu valorisés alors qu'ils représentent un tiers des ordures ménagères résiduelles.

Comme le permet, en l'état, le projet de règlement européen « emballages », une clause de revoyure pourrait être prévue en 2026, pour réévaluer la pertinence de mettre en place une consigne pour recyclage sur les emballages et juger de l'efficacité de l'ensemble des autres leviers ambitieux identifiés par le présent rapport d'information.


* 1 Loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire.

* 2 Loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.

* 3 Cette filière créée en 2023 est d'abord limitée aux emballages utilisés par les professionnels de la restauration. Elle sera étendue dès 2025 à l'ensemble des emballages professionnels.

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