B. GARANTIR L'ACCÈS AU DROIT EN PRÉSERVANT LES MOYENS ALLOUÉS À L'AIDE JURIDICTIONNELLE

1. Une hausse des crédits demandés au titre de l'aide juridictionnelle, dans la continuité des exercices précédents

Les crédits demandés sur le programme 101 « Accès au droit et à la justice » connaîtraient une hausse de 3,1 % entre 2023 et 2024, pour atteindre 734,2 millions d'euros en AE et en CP. Principalement dédiés à l'aide juridictionnelle, au soutien aux victimes et au financement de l'accès au droit, 98,3 % des crédits de ce programme correspondent à des dépenses d'intervention (titre 6).

Ces crédits sont peu sensibles à l'inflation. Ainsi, alors que les crédits dédiés à l'aide juridictionnelle représentent près de 90 % des crédits du programme - 657,1 millions d'euros en 2024, en hausse de 16 millions d'euros par rapport à la loi de finances pour 2023 (+ 2,5 %) - l'indemnisation des avocats au titre de l'aide juridictionnelle est fixée par le biais de l'unité de valeur, dont le montant est défini en loi de finances. L'aide juridictionnelle constitue toutefois une dépense d'intervention dite « à guichet ouvert », dans le sens où elle est automatiquement versée à tout bénéficiaire respectant les conditions définies par des textes législatifs et règlementaires. C'est principalement ce qui explique son dynamisme sur le long terme.

Évolution des crédits budgétaires et
du nombre d'admissions au titre de l'aide juridictionnelle

(en nombre et en millions d'euros)

Source : commission des finances, d'après les données transmises dans le questionnaire budgétaire

Il convient par ailleurs de noter que, pour 2023, le Gouvernement a proposé, dans le cadre du projet de loi de finances de fin de gestion, de ne pas annuler toute la réserve de précaution sur le programme 101, du fait du dynamisme des dépenses d'aide juridictionnelle. En effet, au 31 juillet 2023, 81,9 % des crédits de paiement alloués à l'aide juridictionnelle avaient été consommés52(*).

2. Une réforme de l'aide juridictionnelle doublée d'une modernisation de son système d'information

L'aide juridictionnelle a été profondément réformée dans le cadre de la loi de finances pour 202053(*), qui a conduit à simplifier les critères d'éligibilité, à harmoniser la manière dont les bureaux d'aide juridictionnelle (BAJ) traitent les demandes d'admission formulées par les justiciables, à autoriser la formulation d'une demande d'aide juridictionnelle par la voie électronique et à faire évoluer l'organisation et l'implantation des BAJ.

Depuis plusieurs exercices, les dépenses au titre de l'aide juridictionnelle ne cessent d'augmenter. Elles passeraient ainsi de 313,7 millions d'euros en 2015 à 657,1 millions d'euros en 2024, ce qui veut dire qu'elles auraient plus que doublé en dix ans54(*). En revanche, le nombre de bénéficiaires de l'aide juridictionnelle augmenterait dans une moindre mesure sur la même période, de 15 % entre 2015 et 2022 (dernières données connues).

Plusieurs facteurs expliquent ces évolutions :

les diverses réformes intervenues avant 2023 et dont les effets budgétaires sont progressifs telles que la revalorisation de la rétribution des avocats, la révision de la rétribution de certains contentieux, l'extension de la présence obligatoire d'un avocat, par exemple lors de la garde à vue ou de l'audition libre d'un mineur ou de l'audience d'une personne faisant l'objet de soins sans consentement ;

l'accroissement du nombre et de la durée des gardes à vue ;

le rattrapage de la sous-activité temporaire des juridictions en 2020 en raison de la crise sanitaire ;

le nouveau relèvement à 36 euros55(*) du montant de l'unité de valeur (UV) qui sert à calculer la rétribution des avocats ;

- l'assistance apportée à un grand nombre de parties civiles pour les procès d'assises qui font suite aux attentats de novembre 2015 et à l'attentat de Nice ;

- la revalorisation à 50 % en 2023 des rétributions versées à ceux des auxiliaires autres qu'avocats dont les intervenions sont tarifées. Les officiers publics ministériels56(*) n'avaient ainsi pas été augmentés depuis 1992.

Le délai de traitement des demandes d'aide juridictionnelle, qui sont instruites par les bureaux d'aide juridictionnelle (BAJ) s'est légèrement accru en 2022, à hauteur de 53,1 jours, contre 49,8 jours en 2021. Pour mémoire, le Gouvernement prévoyait initialement une cible de 38 jours en 2022, qui avait suscité un certain scepticisme de la part du rapporteur spécial. De fait, les délais atteints en 2019 (41,4 jours) n'ont pas pu encore être retrouvés, en dépit du déploiement du nouveau système d'information de l'aide juridictionnelle (SIAJ).

En effet, alors que le nombre de demandes d'admission à l'aide juridictionnelle est considérable, l'importance de la dématérialisation de ces procédures ne peut être que soulignée. Or, force est de constater que celle-ci est toujours insuffisante puisque seulement 8 % des demandes ont été déposées et traitées par voie dématérialisée en 2022 et que la cible s'établit à plus de 50 % en 2023, ce qui apparaît peu réaliste. En audition, le secrétariat général du ministère de la justice a avancé des prévisions plus réalistes, de l'ordre de plus de 10 % en 2023 et de plus de 15 % en 2024.

Le déploiement du SIAJ, qui remplace l'application AJWIN, datée de plus de vingt ans, est quasiment achevé et doit permettre une forte progression de la dématérialisation des demandes d'aide juridictionnelle. Il devrait ainsi être déployé dans tous les bureaux de métropole d'ici la fin de l'année 2023 et dans les bureaux d'outre-mer en 2024. Le rapporteur spécial souligne ici l'engagement du secrétariat général : alors que le SIAJ était déployé dans moins de la moitié du territoire métropolitain en 2022, l'effort mené cette année a permis de respecter le calendrier initialement fixé.

Une fois le déploiement de SIAJ définitif et dès lors qu'un nombre significatif de demandes sera fait en ligne, le secrétariat général du ministère de la justice indique que le délai cible de traitement serait ramené à cinq jours, contre une moyenne de neuf jours aujourd'hui - à partir du moment où le dossier est complet - ce qui constituerait une avancée considérable pour les justiciables. De même, le secrétariat général a lancé une expérimentation visant à regrouper les BAJ dans un seul bureau près de la cour d'appel. Trois cours d'appel sont concernées, sur la période allant des mois de juin 2023 à juin 2024. L'objectif est d'accroître la professionnalisation du traitement des demandes d'aide juridictionnelle, avec une spécialisation des personnels. Certains bureaux comptent en effet aujourd'hui à peine une personne en équivalent temps plein, ce qui ne permet pas nécessairement de maintenir un haut niveau de service.

Pour autant, en dépit de ces réformes successives, l'évolution de l'aide juridictionnelle suscite encore des inquiétudes, en particulier parmi les avocats. Le Conseil national des barreaux a ainsi alerté sur le fait que l'indemnisation des avocats demeurait limitée au regard des frais engagés et qu'environ 40 % des avocats pouvaient travailler à perte sur un dossier d'aide juridictionnelle relevant de la justice pénale.

Le comité des États généraux de la Justice57(*) avait repris une partie des revendications exprimées par le CNB, avec notamment la revalorisation de certains actes. Pour le rapporteur spécial, une réflexion sur la revalorisation de l'unité de valeur devra s'accompagner d'un même travail sur la liste des prestations éligibles à l'aide juridictionnelle, en conciliant à la fois la maîtrise des coûts et la garantie de l'accès au droit. En ce sens, le comité propose en parallèle un renforcement du rôle de filtre exercé par les bureaux d'aide juridictionnelle, ce qui correspond au sens des réformes adoptées par le Parlement ces dernières années en matière d'aide juridictionnelle.

3. Un renforcement des moyens alloués à l'aide aux victimes

Les crédits dédiés à l'aide aux victimes font à nouveau l'objet d'une revalorisation dans le projet de loi de finances pour 2024. En s'établissant à 46,5 millions d'euros, ils augmentent de 8,1 % par rapport à 2023 (43 millions d'euros), après une progression de près de 7 % entre 2023 et 2022 (40,3 millions d'euros).

Cette hausse permet d'augmenter le financement des associations locales d'aide aux victimes, de développer l'accueil des victimes, d'améliorer leur accompagnement et leur prise en charge pour les plus gravement traumatisées. C'est également par ce canal que sont financées les actions de soutien aux personnes victimes de violences conjugales (prise en charge, déploiement des téléphones grave danger).

Au mois de juillet 2023, plus de 5 400 téléphones grave danger avaient été déployés, contre 4 300 au mois de juillet 2022. Les crédits alloués à ce dispositif ainsi qu'à la plateforme d'assistance téléphonique « 116 006 » augmenteraient de 36 % en projet de loi de finances pour 2024, pour atteindre 10,5 millions d'euros.


* 52 D'après les données transmises en réponse au questionnaire budgétaire du rapporteur spécial.

* 53 Article 243 de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020.

* 54 Il convient de relever qu'avant 2020, le financement de l'aide juridictionnelle était assuré par des crédits budgétaires et extrabudgétaires affectées au Conseil national des barreaux (CNB).

* 55 Article 188 de la loi n° 2021-1900 du 30 décembre 2021 de finances pour 2022.

* 56 Notaires, huissiers de justice, greffiers des tribunaux de commerce, en plus des avocats.

* 57 Synthèse des États généraux de la Justice.

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