N° 128

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 23 novembre 2023

RAPPORT GÉNÉRAL

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur le projet de loi de finances, considéré comme adopté par l'Assemblée nationale en application de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution, pour 2024,

Par M. Jean-François HUSSON, 

Rapporteur général,

Sénateur

TOME III

LES MOYENS DES POLITIQUES PUBLIQUES ET DISPOSITIONS SPÉCIALES

(seconde partie de la loi de finances)

ANNEXE N° 18

JUSTICE

Rapporteur spécial : M. Antoine LEFÈVRE

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Bernard Delcros, Thomas Dossus, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; M. Michel Canévet, Mmes Marie-Claire Carrère-Gée, Frédérique Espagnac, M. Marc Laménie, secrétaires ; MM. Arnaud Bazin, Grégory Blanc, Mme Florence Blatrix Contat, M. Éric Bocquet, Mme Isabelle Briquet, M. Vincent Capo-Canellas, Mme Marie-Carole Ciuntu, MM. Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Vincent Éblé, Rémi Féraud, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Mme Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek, Mme Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (16ème législ.) : 1680, 1715, 1719, 1723, 1745, 1778, 1781, 1805, 1808, 1820 et T.A. 178

Sénat : 127 et 128 à 134 (2023-2024)

L'ESSENTIEL

I. POUR LA QUATRIÈME ANNÉE CONSÉCUTIVE, UNE HAUSSE TRÈS ÉLEVÉE DES CRÉDITS DE LA MISSION « JUSTICE »

Pour 2024, les crédits demandés sur la mission « Justice » s'élèvent à 14,5 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et à 12,2 milliards d'euros en crédits de paiement (CP), ce qui représente une hausse de 13,8 % en AE et de 5,2 % en CP par rapport à la loi de finances initiale pour 2023, à périmètre constant.

Évolution des crédits de
la mission « Justice » par programme

 

 

Exécution 2022

LFI 2023 (format 2024)

LFI 2024

Évolution 2024/2023

Évolution en volume

Accès au droit et à la justice [P101]

AE

691,8

712,5

734,2

3,1 %

21,75

CP

691,8

712,5

734,2

3,1 %

21,75

Administration pénitentiaire [P107]

AE

6 352,5

5 410,0

6 814,0

26,0 %

1 403,97

CP

4 518,0

4 927,5

5 003,0

1,5 %

75,44

Justice judiciaire [P166]

AE

3 971,8

4 515,1

4 754,0

5,3 %

238,82

CP

3 845,7

4 147,6

4 544,0

9,6 %

396,43

Protection judiciaire de la jeunesse [P182]

AE

1 005,7

1 103,8

1 160,8

5,2 %

57

CP

975,8

1 087,4

1 126,0

3,5 %

38,58

Conduite et pilotage de la politique de la justice [P310]

AE

653,3

764,8

768,2

0,5 %

3,45

CP

619,6

682,8

747,0

9,4 %

64,24

Conseil supérieur de la magistrature [P335]

AE

12,2

4,1

4,6

13,7 %

0,56

CP

4,5

5,0

5,7

15,1 %

0,75

Total

AE

12 687,3

12 510,3

14 235,8

13,8 %

1 725,55

CP

10 655,2

11 562,7

12 159,9

5,2 %

597,19

(en millions d'euros et en %)

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

La prévision pour 2024 s'inscrit dans la continuité des trois exercices budgétaires précédents, marqués par une hausse des crédits de l'ordre de 8 % par an. Les crédits de paiement de la mission « Justice » augmenteraient ainsi deux fois plus vite sur la période 2021-2024 (+ 32,9 %) que sur la période 2015-2020 (+ 16,6 %). La hausse très substantielle des AE en 2024 s'explique quant à elle par l'engagement d'opérations de grande ampleur, notamment sur les parcs immobiliers pénitentiaire et judiciaire et dans le domaine informatique.

Hors contribution au compte d'affectation spéciale (CAS) « Pensions », les CP s'élèveraient à 10,01 milliards d'euros en 2024, soit 510 millions d'euros de plus qu'en 2023. Cette évolution est conforme à la trajectoire inscrite dans la loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, adoptée il y a quelques semaines par le Parlement.

Trajectoire votée dans les lois
de programmation 2018-2022 et 2023-2027

(en milliards d'euros, en CP et hors CAS Pensions)

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

Le ministère justifie la hausse des crédits demandés sur la mission par trois priorités : le financement des recrutements supplémentaires accordés pour le quinquennat 2023-2027 et des mesures catégorielles, la poursuite des programmes immobiliers pénitentiaires et de modernisation des juridictions et le plan de transformation numérique du ministère. Les crédits de l'ensemble des programmes augmentent, en grande partie sous l'effet des dépenses de personnel.

Contribution des programmes de la mission « Justice »
à la hausse des crédits demandés en 2024 (périmètre 2024)

(en millions d'euros, en CP)

P166 : Justice judiciaire ; P107 : Administration pénitentiaire ; P182 : Protection judiciaire de la jeunesse ; P101 : Accès au droit et à la justice ; P310 : Conduite et pilotage de la politique de la justice ; P335 : Conseil supérieur de la magistrature.

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

En 2020, la France consacrait 72,5 euros par habitant au système judiciaire, contre 140,7 euros en Allemagne et 82,2 euros en Italie

Le rapporteur spécial porte la même appréciation sur l'évolution des crédits de la mission « Justice » en 2024 que celle portée ces trois dernières années de hausse très élevée des crédits : si cette dynamique doit être poursuivie et soutenue, elle ne doit pas consister en un blanc-seing donné au ministère et au Gouvernement. Il est plus que temps que la programmation des crédits s'accompagne d'un solide processus d'évaluation, ainsi qu'il l'a récemment recommandé dans le cadre de son rapport d'information sur les programmes immobiliers de l'administration pénitentiaire et de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse1(*).

II. UNE CONFIRMATION DES EFFORTS ENGAGÉS SUR LES FONCTIONS SUPPORT DANS LA LOI DE PROGRAMMATION

La loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 a moins donné lieu à l'engagement de nouveaux projets de grande ampleur que confirmé et consolidé les moyens alloués aux chantiers engagés ou annoncés avant sa présentation. Il s'agit notamment de la création de 10 000 emplois supplémentaires, de la transformation numérique du ministère ainsi que la poursuite des programmes immobiliers, de construction comme de rénovation.

A. PARVENIR À MENER DE FRONT LA REVALORISATION ET LE RECRUTEMENT MASSIF DE PERSONNELS

Le schéma d'emploi de la mission « Justice » devrait se traduire par la création de

Les mesures statutaires et indemnitaires s'élèveraient à

Pour faire face à l'augmentation des recrutements,

 
 
 

en 2024, dont 305 postes de magistrats et 340 de greffiers

dont 111,2 millions d'euros pour la revalorisation de 1 000 euros de la rémunération des magistrats

seraient octroyés à l'École nationale de la magistrature, et 3 ETP à l'École nationale d'administration pénitentiaire

Le recrutement de 10 016 ETP sur la période 2023-2027 suscite des interrogations quant au vivier de recrutements et à la capacité de former ces personnels. La capacité à réaliser ces recrutements dans de bonnes conditions dépendra également de la revalorisation de ces métiers, trop longtemps mise de côté. D'importantes mesures sont prévues à cet égard en 2024, comme les protocoles d'accord sur le régime indemnitaire des greffiers ou des surveillants pénitentiaires ou encore l'extension en année pleine de la hausse du traitement des magistrats.

B. EN INFORMATIQUE, PASSER DU RATTRAPAGE À LA MODERNISATION

Le deuxième plan de transformation numérique (PTN) du ministère de la justice a succédé au premier PTN, déployé sur la période 2018-2022. Il doit notamment permettre de viser le « zéro papier » en 2027, de poursuivre la modernisation des applicatifs les plus utilisés par le ministère, dont le taux d'obsolescence est de près de 50 %, et de favoriser l'interopérabilité entre les systèmes d'information. Pour ce faire, et le rapporteur spécial tient à le souligner, le budget informatique du ministère de la justice a plus que doublé depuis 2018.

Évolution du budget informatique
de la mission « Justice » depuis 2018

(en millions d'euros)

Source : commission des finances, à partir des données transmises en réponse au questionnaire budgétaire du rapporteur spécial

Surtout, ces dépenses de fonctionnement et d'investissement s'accompagnent de la mise en place de techniciens informatiques de proximité dans le ressort de chaque site judiciaire, une revendication de longue date des personnels judiciaires. Ces techniciens permettront d'aider les magistrats à résoudre rapidement les problèmes informatiques qu'ils rencontrent régulièrement, du fait de l'instabilité ou de la vétusté de certaines applications.

C. TENIR LES OBJECTIFS DES GRANDS PLANS D'INVESTISSEMENT IMMOBILIERS, SANS NÉGLIGER L'ENTRETIEN COURANT ET LA RÉNOVATION ÉNERGÉTIQUE

Les dépenses immobilières de l'administration pénitentiaire s'élèveraient à 658,7 millions d'euros en 2024, dont 518,7 millions d'euros pour le seul plan de construction de 15 000 places de détention supplémentaires d'ici 2027, auquel le rapporteur spécial a consacré ses travaux de contrôle budgétaire cette année (cf. supra). Achever ce plan dans de bonnes conditions est essentiel au regard de l'évolution du nombre de personnes détenues en France, qui a atteint un niveau inédit de 74 513 personnes au 1er juillet 2023 - étant acté que ce programme ne suffira pas à permettre à la France de faire baisser le niveau de saturation de parc pénitentiaire.

Pourtant, à l'instar de ce que le rapporteur spécial a constaté sur le plan de création de 20 centres éducatifs fermés (CEF) et sur les opérations de l'immobilier judiciaire, ces programmes immobiliers se caractérisent par d'importants décalages de coûts et de calendrier. En moyenne, pour l'immobilier judiciaire, les surcoûts atteignent 36 % sur les 21 principales opérations, et les délais de livraison sont supérieurs de 24 % à ceux initialement envisagés.

Par ailleurs, ces opérations de grande ampleur ne doivent pas conduire à négliger les opérations d'entretien et de maintenance courantes ainsi que la rénovation énergétique des bâtiments, pour laquelle l'administration pénitentiaire va par exemple consacrer 43 millions d'euros en 2024.

Réunie le mercredi 22 novembre 2023, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a décidé de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, les crédits de la mission.

Réunie à nouveau le jeudi 23 novembre 2023, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a confirmé sa décision.

À la date du 10 octobre, date limite prévue par la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) pour l'envoi des réponses au questionnaire budgétaire, le rapporteur spécial avait reçu 88 % des réponses à son questionnaire budgétaire.

PREMIÈRE PARTIE
2024, UNE PLEINE ENTRÉE DANS
LA LOI DE PROGRAMMATION

La mission « Justice » comprend l'ensemble des moyens budgétaires du ministère de la justice. Elle est composée de six programmes, qui recoupent les différentes directions « métier » du ministère de la justice :

le programme 166 « Justice judiciaire », qui regroupe les crédits relatifs aux juridictions judiciaires ;

le programme 107 « Administration pénitentiaire », relatif au service public pénitentiaire ;

le programme 182 « Protection judiciaire de la jeunesse », piloté par la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ), qui est chargée de l'ensemble des questions intéressant la justice des mineurs ;

le programme 101 « Accès au droit et à la justice », mis en oeuvre par le secrétariat général du ministère de la justice et qui comprend notamment les crédits relatifs à l'aide juridictionnelle ;

le programme 310 « Conduite et pilotage de la politique de la justice », placé sous la responsabilité du secrétariat général du ministère de la justice et qui regroupe les moyens de l'état-major, du secrétariat général, des directions législatives, de l'inspection générale de la justice, des délégations interrégionales du secrétariat général et des opérateurs de la mission, ainsi que les crédits alloués aux politiques transversales telles que l'informatique et la gestion des ressources humaines ;

le programme 335 « Conseil supérieur de la magistrature » (CSM) qui porte les crédits nécessaires à l'activité du CSM.

À noter, la mission « Justice » ne comprend pas les crédits relatifs à la justice administrative, qui sont retracés dans la mission « Conseil et contrôle de l'État ».

Répartition des crédits de la mission « Justice »
par programme en 2024

(en millions d'euros et en %, en CP)

Source : commission des finances, d'après les données publiées dans les documents budgétaires

La nouvelle hausse des crédits demandés sur la mission « Justice » en 2024 s'inscrit dans le cadre de l'adoption par le Parlement de la loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027.

En plus de la trajectoire budgétaire et des emplois pour ces cinq prochaines années, le projet de loi comportait plusieurs réformes d'ampleur pour la justice et notamment pour ses personnels : l'organisation de l'équipe autour du magistrat, l'ouverture d'un statut de surveillant contractuel dans l'administration pénitentiaire ainsi qu'une habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnance pour réécrire le code pénal. Ce projet de loi se doublait d'un projet de loi organique relatif à l'ouverture, à la modernisation et à la responsabilité du corps judiciaire2(*). Tous deux ont été adoptés début octobre, à l'issue d'une commission mixte paritaire conclusive.

I. LES CRÉDITS DEMANDÉS SUR LA MISSION « JUSTICE » CONNAISSENT UNE HAUSSE TRÈS ÉLEVÉE POUR LA QUATRIÈME ANNÉE CONSÉCUTIVE

La mission « Justice » représenterait 3,1 % des crédits du budget de l'État alloués aux dépenses des ministères3(*) en 2024, contre 3,2 % en 2023. Avec une hausse de 5,1 %, ses crédits de paiement progresseraient plus vite que ceux du budget général4(*) (+ 0,7 %), y compris sur le seul périmètre des ministères (- 1,3 %).

A. UNE PROGRESSION DES CRÉDITS EN 2024 DANS LA CONTINUITÉ DES ANNÉES PASSÉES ET CONFORME À LA PROGRAMMATION

1. Une quatrième année de hausse significative des crédits demandés sur la mission « Justice »

Pour 2024, les crédits demandés sur la mission « Justice » s'élèvent à 14,5 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et à 12,2 milliards d'euros en crédits de paiement (CP), ce qui représente une hausse de 13,8 % des AE et de 5,2 % des CP par rapport à la loi de finances initiale pour 2023, à périmètre constant. 

Évolution des crédits de
la mission « Justice » par programme

 

 

Exécution 2022

LFI 2023 (format 2024)

PLF 2024

Évolution 2024/2023

Évolution en volume

Accès au droit et à la justice [P101]

AE

691,8

712,5

734,2

3,1 %

21,75

CP

691,8

712,5

734,2

3,1 %

21,75

Administration pénitentiaire [P107]

AE

6 352,5

5 410,0

6 814,0

26,0 %

1 403,97

CP

4 518,0

4 927,5

5 003,0

1,5 %

75,44

Justice judiciaire [P166]

AE

3 971,8

4 515,1

4 754,0

5,3 %

238,82

CP

3 845,7

4 147,6

4 544,0

9,6 %

396,43

Protection judiciaire de la jeunesse [P182]

AE

1 005,7

1 103,8

1 160,8

5,2 %

57

CP

975,8

1 087,4

1 126,0

3,5 %

38,58

Conduite et pilotage de la politique de la justice [P310]

AE

653,3

764,8

768,2

0,5 %

3,45

CP

619,6

682,8

747,0

9,4 %

64,24

Conseil supérieur de la magistrature [P335]

AE

12,2

4,1

4,6

13,7 %

0,56

CP

4,5

5,0

5,7

15,1 %

0,75

Total

AE

12 687,3

12 510,3

14 235,8

13,8 %

1 725,55

CP

10 655,2

11 562,7

12 159,9

5,2 %

597,19

(en millions d'euros et en %)

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

La prévision pour 2024 s'inscrit dans la continuité des trois exercices budgétaires précédents, à un niveau toutefois légèrement moindre pour les crédits de paiement, qui ont augmenté de l'ordre de 8 % par an entre 2021 et 2023. La hausse très forte sur les AE, qui atteindrait un niveau inédit de plus de 14 milliards d'euros, s'explique principalement par les programmes immobiliers pénitentiaires et l'engagement d'opérations de grande ampleur d'ici la fin du quinquennat. 2024 constituerait un « pic » : les AE baisseraient en 2025 d'environ 17 %, avant de remonter de 12 % en 20265(*).

Évolution des crédits de la mission « Justice »
ces dix dernières années

(en milliards d'euros et en CP)

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

L'année 2024 s'inscrit dans la logique observée depuis 2021, avec un rythme d'évolution des crédits à la fois supérieur à l'inflation et plus élevé que la tendance observée sur la période 2015-2020. Les crédits de la mission « Justice » augmenteraient ainsi deux fois plus vite sur la période 2021-2024 que sur la période 2015-2020.

2. Une demande de crédits conforme à la loi de programmation

La loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 devait intégrer deux contraintes :

- la prise en compte de l'inflation, alors que les hypothèses sous-jacentes pourraient être révisées selon l'évolution du contexte macroéconomique ;

- la nécessité de répondre aux engagements du ministre de la justice, tant sur la hausse des effectifs, avec un schéma d'emplois positif de plus de 10 000 équivalents temps plein (ETP) annoncé sur le quinquennat 2022-2027, que sur les grands projets lancés ces dernières années (revalorisation des métiers, engagement de grands programmes immobiliers, déploiement du plan de transformation numérique de la justice).

La trajectoire votée en octobre 2023 par le Parlement aboutit à une hausse continue des crédits alloués à la mission « Justice », quoiqu'à un rythme moins élevé que celui observé entre 2018 et 2022, la période de la précédente loi de programmation, ou qu'entre 2021 et 2024, la période de plus forte accélération.

Trajectoire votée dans les lois
de programmation 2018-2022 et 2023-2027

(en milliards d'euros, en CP et hors CAS Pensions)

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

Hors contribution au compte d'affectation spéciale (CAS) « Pensions », les crédits de la mission « Justice » s'élèveraient à 11,96 milliards d'euros en AE et à 10,08 milliards d'euros en CP en 2024, soit respectivement 1,4 milliard et 510 millions d'euros de plus qu'en 2023. Les crédits de paiement demandés en 2024 seraient donc pleinement conformes à la trajectoire votée en loi de programmation, qui prévoyait 10,08 milliards d'euros en CP, hors contribution au CAS Pensions.

Le rapporteur spécial note toutefois que 2024 marquant la première « vraie » année de la programmation, c'est-à-dire postérieure à la présentation du projet de loi, la conformité des crédits à la trajectoire définie par le Parlement était quasiment acquise. Il aurait été très surprenant que le Gouvernement revienne sur un engagement pris il y a quelques semaines à peine. En revanche, à l'instar des autres textes de programmation, les difficultés affleurent généralement à moyen terme, avec de premiers écarts. Pour la Justice néanmoins, le niveau des crédits votés annuellement était similaire à celui prévu en programmation, à l'exception de 2022, avec un net dépassement. Si la prévision n'avait alors pas été conforme à la loi de programmation, elle était conforme à la trajectoire qu'avait défendue le Sénat.

B. UNE AUGMENTATION DES CRÉDITS QUI CONCERNE TOUS LES PROGRAMMES

L'ensemble des personnes entendues par le rapporteur spécial ont fait part de leur satisfaction quant aux crédits demandés pour 2024, dont le niveau permet de ne devoir remettre en cause ou affaiblir aucun des projets lancés ces dernières années. L'avantage d'une trajectoire conforme à la programmation réside dans la visibilité qu'elle donne aux responsables de programme, pour pouvoir s'engager dans des chantiers de grande ampleur sans craindre pour leur financement à long terme. De fait, l'ensemble des programmes voient leurs crédits augmenter, bien que dans une ampleur différente, en grande partie sous l'effet des dépenses de personnel (titre 2).

Contribution des programmes de la mission « Justice »
à la hausse des crédits demandés en 2024 (périmètre 2024)

(en millions d'euros, en CP)

P166 : Justice judiciaire.

P107 : Administration pénitentiaire.

P182 : Protection judiciaire de la jeunesse.

P101 : Accès au droit et à la justice.

P310 : Conduite et pilotage de la politique de la justice.

P335 : Conseil supérieur de la magistrature.

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

Le ministère justifie la hausse des crédits demandés sur la mission par trois priorités : le financement des recrutements supplémentaires accordés pour le quinquennat 2023-2027 et des mesures catégorielles, la poursuite des programmes immobiliers pénitentiaires et de modernisation des juridictions et le plan de transformation numérique du ministère.

Évolution des crédits demandés sur la mission « Justice »
en 2024 par titre, à périmètre constant

(en millions d'euros et en CP)

 

 

Exécution 2022

LFI 2023 (format 2024)

PLF 2024

Évolution 2024/2023

Évolution en volume

Titre 2 - Dépenses de personnel

AE

6 220,16

6 679,20

7 131,06

6,8 %

451,86

CP

6 220,16

6 679,20

7 131,06

6,8 %

451,86

Titre 3 - Dépenses de fonctionnement

AE

4 082,6

3 223,52

4 739,50

47,0 %

1515,98

CP

2 585,5

2 713,52

2 966,64

9,3 %

253,12

Titre 5 - Dépenses d'investissement

AE

1 350,5

1 573,55

1 300,35

- 17,4 %

- 273,20

CP

824,9

1 136,00

997,32

- 12,2 %

- 138,68

Titre 6 - Dépenses d'intervention

AE

1 034,1

1 033,99

1 064,93

3,0 %

30,94

CP

1 024,8

1 033,99

1 064,93

3,0 %

30,94

Total

AE

12 687,3

12 510,26

14 235,84

13,8 %

1 725,58

CP

10 655,2

11 562,71

12 159,95

5,1 %

597,24

Source : commission des finances, d'après les réponses au questionnaire budgétaire

1. La création de 1 925 emplois en 2024, doublée d'importantes mesures de revalorisation

Le garde des Sceaux a annoncé en 2022 la création de 10 000 équivalents temps plein (ETP) pour le ministère de la justice entre 2023 et 2027, objectif confirmé dans la loi de programmation.

605 ETP ont été recrutés de manière anticipée en 2022 et correspondent à la pérennisation de 500 postes de contractuels du volet civil de la justice de proximité et de 105 emplois au titre de la lutte contre les violences intrafamiliales. En 2023, le schéma d'emplois devrait se traduire par le recrutement de 2 253 ETP, au profit de la justice judiciaire (1 220 ETP), de l'administration pénitentiaire (809 ETP), du secrétariat général du ministère de la justice (132 ETP) et de la protection judiciaire de la jeunesse (92 ETP).

En 2024, 1 925 emplois seraient créés, en suivant une répartition similaire à celle observée en 2023 : 1 274 ETP pour les services judiciaires, 447 ETP pour l'administration pénitentiaire, 112 ETP pour le secrétariat général du ministère de la justice et 92 ETP pour la protection judiciaire de la jeunesse. À ces emplois s'en ajoutent 36 pour les opérateurs, dont 33 pour l'École nationale de la magistrature (ENM) et 3 pour l'École nationale d'administration pénitentiaire (ENAP).

Le schéma d'emplois comprend la création de 305 postes de magistrats et de 340 postes de greffiers, deux métiers sous tension au sein de la direction des services judiciaires. Au total, la loi de programmation 2023-2027 prévoit le recrutement de 1 500 postes de magistrats et de 1 800 postes de greffiers, une cible rehaussée à l'initiative du Sénat6(*).

Répartition des créations d'emplois par métier

(en équivalents temps plein)

Source : commission des finances, d'après les réponses au questionnaire budgétaire

Sans que ces emplois n'apparaissent dans le schéma d'emplois de la mission, il convient de noter que le plafond d'emplois de la mission « Justice », en équivalents temps plein travaillés (ETPT), a été rehaussé pour intégrer des renforts provisoires dans la perspective des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 (+ 165 ETPT). 140 personnels de la catégorie C administratifs et techniques seraient ainsi alloués aux services judiciaires et 16 à l'administration pénitentiaire, pour des contrats courts qui auront vocation à se terminer avec les Jeux et au plus tard au 31 décembre 2024. 4,5 ETPT seraient également alloués, pour les mêmes raisons, à la protection judiciaire de la jeunesse et 4 ETPT au secrétariat général, au sein de la catégorie des personnels d'encadrement.

La forte hausse des dépenses de personnel, à hauteur de 6,8 % entre 2023 et 2024, s'explique toutefois autant par la création de 1 925 ETP en 2024 que par la mise en oeuvre de mesures statutaires et indemnitaires (cf. infra). Le coût de ces dernières serait de 203,3 millions d'euros en 2024, soit plus de 45 % de l'augmentation annuelle des dépenses de personnel. Ce montant est quasiment deux fois plus élevé que celui qui serait constaté en 2023 (110,9 millions d'euros), ce qui s'explique notamment par l'extension en année pleine de la revalorisation de la rémunération des magistrats, de 1 000 euros par mois en moyenne.

2. Investissement et fonctionnement, deux postes de dépenses qui témoignent de l'ampleur des chantiers lancés par le ministère

Les crédits demandés sur les dépenses de fonctionnement (titre 3) et d'investissement (titre 5), qui représenteraient 33,3 % des crédits de la mission en 2024, connaissent une évolution contrastée : ils augmentent de 9,3 % en CP sur le titre 3, pour s'établir à 2,97 milliards d'euros, mais baissent de 12,2 % sur le titre 5, pour s'établir à 997,3 millions d'euros. La diminution des dépenses d'investissement s'explique principalement par le moindre nombre d'établissements pénitentiaires qui seraient livrés en 2024 dans le cadre du plan de construction de 15 000 places de détention supplémentaires (« plan 15 000 »), par rapport à 2023.

Néanmoins, de manière agrégée, le dynamisme de ces deux postes de dépenses résulterait essentiellement :

des dépenses informatiques, que ce soit pour la maintenance des applicatifs existants, pour l'acquisition et le renouvellement du matériel ou pour le développement de nouvelles fonctionnalités, dans le cadre de la mise en oeuvre du deuxième plan de transformation numérique (PTN) du ministère ;

des dépenses immobilières, qu'elles relèvent d'opérations de construction, de rénovation, d'entretien, d'aménagement des bureaux ou de gestion des locaux. La mise en oeuvre du plan 15 000 et des opérations sur le parc immobilier judiciaire mobilise une part prépondérante de ces crédits ;

- des réformes engagées ces dernières années et visant notamment à développer le statut du travailleur détenu, à développer les places en structures d'hébergement et en milieu ouvert pour prendre en charge les mineurs, à mieux former les personnels ou encore à mettre en place l'équipe autour du magistrat.

L'ensemble de ces crédits intègre également des hypothèses d'inflation, qui expliquent le relèvement de certains coûts (restauration, projets immobiliers, renouvellement des marchés des fluides).

3. Le dynamisme des dépenses de « guichet » du ministère de la justice

Les dépenses d'intervention du ministère de la justice s'élèveraient à 1,06 milliard d'euros en 2024. La majorité relève de l'aide juridictionnelle, portée par le programme 101 « Accès au droit et à la justice », pour une enveloppe estimée à 734,2 millions d'euros (cf. infra).

Répartition des dépenses d'intervention
de la mission « Justice » en 2024

(en millions d'euros et en CP)

Source : commission des finances, à partir des documents budgétaires

S'il ne s'agit pas à proprement parler de dépenses d'intervention, mais de fonctionnement, le rapporteur spécial a choisi de consacrer ici une attention particulière aux frais de justice, qui représenteraient près de 57 % des dépenses de fonctionnement du programme 166 « Justice judiciaire » en 2024. Il partage en effet le propos de la direction des services judiciaires, qui les apparente à de « quasi dépenses de guichet », dans le sens où elles sont liées à l'exercice même de la justice et au volume de l'activité pénale.

L'essentiel des frais de justice constitue en effet une dépense engagée par les officiers de police judiciaire (OPJ) et par les magistrats dans le cadre des procédures judiciaires. Elle concerne principalement les expertises génétiques et médicales mais aussi financières, informatiques ou balistiques, ou encore le recours aux auxiliaires ou collaborateurs de la justice (huissiers, traducteurs, interprètes, délégués du procureur, etc.). La part des frais de justice pénale représente plus de 95 % des frais de justice totaux en 2022. Elle tend à augmenter, tandis que les frais de justice relatifs aux actions civiles et commerciales diminuent depuis 2015.

En 2024, les frais de justice s'élèveraient à 674 millions d'euros en AE et en CP, contre 660 millions d'euros en loi de finances initiale pour 2023, soit une évolution maîtrisée de + 2,1 %. Ce montant pourrait être, à l'instar des années précédentes, revu à la hausse, alors qu'il augmenterait déjà de près de 183 millions d'euros en cinq ans (+ 37,3 %).

Évolution des frais de justice depuis 2017

(en millions d'euros, AE=CP)

Source : commission des finances, d'après les réponses au questionnaire budgétaire

Le difficile pilotage des frais de justice provient, d'une part, de leur dynamisme, lié à l'activité juridictionnelle - elle-même pour partie liée au recrutement de nouveaux magistrats - et, d'autre part, de leur manque de prévisibilité et de l'importance des charges à payer qui se sont accumulées au cours des années. Il a toutefois tendance à s'améliorer. Le rétablissement du délai de forclusion d'un an pour déposer les mémoires de frais de justice à compter de l'achèvement de la mission7(*) permet par exemple d'améliorer la prévision budgétaire. Il explique également une partie de la hausse des frais de justice constatée en 2021 et en 2022, avec un « effet volume » lié au traitement des dossiers proches de l'échéance. En 2023, la hausse des crédits alloués aux frais de justice s'explique en partie par la revalorisation des expertises psychologiques et psychiatriques, dans un contexte toujours marqué par une attrition du vivier d'experts.

Un plan de maîtrise des frais de justice a toutefois été lancé en 2021, resserré sur 15 actions en 2023 et qui devraient se poursuivre en 2024. La direction des services judiciaires doit trouver un point d'équilibre, par définition délicat, entre la contrainte budgétaire et le respect du principe de l'indépendance juridictionnelle. Les principaux leviers qu'elle entend actionner sont donc les suivants :

- un pilotage renforcé par les responsables de budget opérationnel de programme, avec un suivi régulier des plans d'actions et de nouveaux indicateurs sur l'origine et la nature de la dépense. Il importe en effet de distinguer les frais de justice par sous-segment d'activité, tous n'évoluant pas dans la même direction. L'expertise médicale est ainsi le sous-segment le plus dynamique (un tiers des frais de justice)8(*) ;

- la poursuite de l'expérimentation de services centralisés régionaux des frais de justice. Lors de son audition, le directeur adjoint des services judiciaires a en effet expliqué au rapporteur spécial que l'objectif était d'arriver à un référent frais de justice par cour d'appel, pour avoir un suivi quasiment en temps réel de ces dépenses. Cette expérimentation s'accompagne de la mise en oeuvre de mesures telles que le recrutement en interne d'interprètes des langues les plus demandées, au lieu de recourir à des prestataires externes très onéreux. En Guadeloupe par exemple, cinq contractuels ont été recrutés pour l'interprétariat en langue créole ;

- une plus grande sensibilisation des officiers de police judiciaire et un partage de systèmes d'information. En effet, comme la direction des services judiciaires l'a rappelé en audition, 60 % des frais de justice ont pour fait générateur la décision d'un officier de police judiciaire, ratifiée par le procureur ;

- l'engagement de travaux de rationalisation des tarifs d'expertises techniques et du gardiennage des scellés. La montée en charge de la plateforme nationale des interceptions judiciaires (PNIJ) doit également permettre de réduire les frais de géolocalisation, même si la plus grande facilité d'accès aux réquisitions juridiques qu'elle entraine a un effet à la hausse sur le nombre de demandes, cet effet volume compensant partiellement les économies obtenues par le déploiement de la PNIJ.

En tout état de cause, le développement de techniques d'enquête de plus en plus sophistiquées et coûteuses, le développement de l'activité juridictionnelle - pour partie liée aux recrutements de nouveaux policiers et magistrats - ainsi que la masse croissante de données à exploiter, laissent peu de marges de manoeuvre pour une éventuelle réduction significative de ces frais.

En 2022, la dépense moyenne de frais de justice par affaire faisant l'objet d'une réponse pénale a atteint 558 euros, soit 87 euros de plus qu'en 2021 et 174 euros de plus qu'en 20209(*). Cette hausse s'explique principalement par la reprise de l'activité en sortie de crise sanitaire, le déploiement des enquêtes sociales10(*) et le renforcement de la justice de proximité, ainsi qu'une intensification de la lutte anti-terroriste. La prévision actualisée pour 2023 s'élève à 501 euros de dépense moyenne, et celle pour 2024 à 571 euros.

Le rapporteur spécial ne peut que se satisfaire que le Gouvernement fasse enfin preuve de réalisme dans ses prévisions de dépense moyenne. Il était en effet tout à fait impossible, contrairement à ce qui avait initialement été annoncé, que la dépense moyenne des frais de justice atteigne 330 euros en 2023. Une telle trajectoire aurait supposé une diminution drastique des frais de justice, à rebours de la dynamique constatée ces dernières années. Les doutes du rapporteur spécial ont été confirmés et les cibles inscrites dans le projet annuel de performances de la mission « Justice » démontrent que le Gouvernement ne considère plus comme crédible une trajectoire de retour à une dépense moyenne de l'ordre de 300 euros. Il vise plutôt une stabilisation, avec une cible de 571 euros prévue pour la période 2024-2026.

Enfin, et de manière plus anecdotique, même si cela illustre la sensibilité des frais de justice aux aléas conjoncturels, cinq millions d'euros supplémentaires ont été prévus au seul titre des Jeux olympiques et paralympiques, pour anticiper une hausse des coûts de traduction et d'interprétariat.

II. IMPÉRATIVE, LA HAUSSE DES CRÉDITS DOIT ÉGALEMENT S'ACCOMPAGNER D'UN MEILLEUR SUIVI ET D'UNE ÉVALUATION ACCRUE DE LA DÉPENSE

Le rapporteur spécial porte la même appréciation sur l'évolution des crédits de la mission « Justice » en 2024 que celle portée ces trois dernières années de hausse très élevée des crédits : si cette dynamique doit être poursuivie et soutenue, elle ne doit pas consister en un blanc-seing donné au ministère et au Gouvernement.

Il est plus que temps que la programmation des crédits s'accompagne d'un solide processus d'évaluation. D'après les personnes entendues par le rapporteur spécial lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2023, la future loi de programmation devait inclure une réflexion sur l'amélioration de la gestion et sur la construction d'indicateurs de suivi fiables. Maintenant que la loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-202711(*) a été votée, il reste à démontrer, pour le ministère, qu'il est en mesure de répondre à ces nouvelles exigences. Il s'est en effet trop longtemps retrouvé, pour citer Jean-Marc Sauvé, président du comité des États généraux de la Justice, dans l'incapacité de relever les défis d'une gestion rigoureuse.

Cette situation doit changer, sans quoi la hausse des moyens n'aura que peu de répercussions sur l'amélioration du service public de la justice.

A. OCTROYER LES MOYENS NÉCESSAIRES À UN SERVICE PUBLIC DE LA JUSTICE « EN CRISE MAJEURE »12(*)

1. Les États généraux de la justice, un rapport accablant sur l'état de la justice

Les États généraux de la Justice ont été lancés le 18 octobre 2021 par le président de la République. Après deux mois dédiés aux consultations, en ligne et sur le terrain, des ateliers thématiques ont été conduits avec les professionnels, pour formuler des propositions. En parallèle, deux ateliers dits « délibératifs » ont été organisés avec des citoyens pour approfondir certains sujets jugés « sources de débat ». Les recommandations ont été évaluées et restituées au début de l'année 2022, avant que le comité des États généraux de la Justice ne donne son avis, à la fin du mois de février 2022.

Les 12 membres du comité des États généraux de la Justice

Jean-Marc SAUVÉ - Président du comité des États généraux de la Justice, Vice-président du Conseil d'État (2006-2018)

Chantal ARENS - Première présidente de la Cour de cassation

Yaël BRAUN-PIVET - Présidente de la commission des lois de l'Assemblée nationale

François-Noël BUFFET - Président de la commission des lois au Sénat

Bénédicte FAUVARQUE-COSSON - Conseillère d'État

Jérôme GAVAUDAN - Président du Conseil national des barreaux

Christophe JAMIN - Professeur des Universités à Sciences Po

Henri LECLERC - Président d'honneur de la Ligue des droits de l'Homme

François MOLINS - Procureur général près la Cour de cassation

Yves SAINT-GEOURS - Membre du Conseil supérieur de la magistrature

Linos-Alexandre SICILIANOS - Juge à la Cour européenne des droits de l'homme (2011-2021)

Christian VIGOUROUX - Haut-fonctionnaire, déontologue

Les constats dressés par le comité des États généraux de la justice sont accablants et décrivent une crise grave de la justice. Selon le président du comité, la justice traverse en effet une double crise : une crise universelle, que d'autres pays connaissent et qui est celle d'une défiance de plus en plus grande envers la justice, et une crise nationale, celle du service public de la justice. Si cette crise est longtemps restée largement dissimulée, la crise sanitaire a agi comme un révélateur des dysfonctionnements de la justice.

Selon le comité, l'une des deux explications derrière cette défaillance de la politique publique de la justice, en plus de la succession de réformes ponctuelles, réside dans une grave insuffisance des moyens, qu'ils soient humains ou budgétaires, par exemple pour mettre en place une véritable stratégie numérique. Le comité précise néanmoins que tout ne saurait procéder d'une hausse des moyens et qu'une réforme systémique de la justice doit être conduite. Le choix de recourir à des « rustines » pour « colmater les brèches dans un contexte de sous-dotation » a fait son temps et ne saurait répondre à « l'incompréhension des justiciables, [au] découragement des professionnels de justice et [aux] tensions avec les avocats »13(*).

Les États généraux de la justice ont permis « d'objectiver le constat » unanime porté sur l'état du service public de la justice. Ce constat ne peut qu'être partagé, le ministère ayant accumulé un important retard ces dernières décennies, que le dynamisme des crédits depuis quatre ans commence à peine à pouvoir combler.

2. En comparaison européenne, des moyens plus faibles accordés à la justice en France

Le rapporteur spécial rappelle chaque année que la France alloue à la justice des moyens moins élevés que ses principaux voisins européens. Il convient toutefois de noter que ces moyens progressent, sous l'effet de la trajectoire dynamique votée par le Parlement, ce que devrait confirmer la prochaine étude de la Commission européenne pour l'efficacité de la justice (Cepej) du Conseil de l'Europe.

Comparatif des moyens alloués par la France et plusieurs pays
du Conseil de l'Europe à leur système judiciaire en 2020

Indicateur

France

Allemagne

Italie

Espagne

Médiane - Conseil de l'Europe

Budget alloué au système judiciaire
par habitant
(en euros)

72,5

140,7

82,2

87,9

64,5

Budget alloué au système judiciaire par rapport au PIB (en %)

0,21 (stable)

0,35 (en hausse)

0,30 (en hausse)

0,37 (stable)

0,30 (en hausse)

Magistrats professionnels pour 100 000 habitants

11,16

17,6

11,86

11,24

17,60

Personnels non magistrats pour 100 000 habitants

35,7

56,13

35,76

102,69

56,13

Source : «  Systèmes judiciaires européens, rapport d'évaluation de la Cepej », édition 2022 (données 2020)14(*)

La poursuite d'un effort budgétaire significatif apparaît d'autant plus nécessaire que les indicateurs de performance de la mission font état de l'ampleur de la tâche pour rendre une justice de qualité. La Cepej15(*) avait également relevé une baisse de l'efficacité des tribunaux français en 2020. Or, la crise sanitaire ne peut constituer le seul facteur d'explication, d'autres pays ayant réussi dans le même temps à accroître leur efficacité.

Le rapporteur spécial estime toutefois que ce constat doit désormais être nuancé et que la prochaine étude de la Cepej pourrait se montrer plus favorable à la France sur cet aspect. La hausse des moyens et des recrutements semble en effet commencer à porter ses fruits, avec une stabilisation du délai théorique d'écoulement du stock des procédures. Pour les tribunaux judiciaires, ce délai passerait de 10,9 mois en 2021 à 10 mois en prévision en 2023 et 9,5 mois en 2024. Il en serait de même pour les cours d'appel (civil), avec un passage de 13,9 mois en 2021 à 13 mois en 202416(*).

En revanche, ce délai s'allonge pour les cours d'assises, puisqu'il passerait de 13,1 mois en 2021 à 16 mois en 2024. C'est d'autant plus sujet à interrogation que la création des cours départementales avait vocation à remédier à l'engorgement des cours d'assises.

Les cours criminelles départementales

Conformément à l'article 380-17 du code de procédure pénale, les cours criminelles départementales sont composées d'un président et de quatre assesseurs, soit cinq magistrats, contre trois magistrats et six jurés (populaires) pour les cours d'assises. Si le président de la cour criminelle départementale est un magistrat professionnel en exercice, deux des quatre assesseurs peuvent être désignés parmi les magistrats exerçant à titre temporaire ou parmi les magistrats honoraires exerçant des fonctions juridictionnelles. Dans certaines cours, une expérimentation a également lieu pour autoriser la désignation d'avocats honoraires.

La cour criminelle départementale est compétente pour juger, en premier ressort, les personnes majeures accusées d'un crime puni de 15 à 20 ans de réclusion criminelle, lorsqu'il n'est pas commis en état de récidive légale.

Source : circulaire CRIM 2022-21/EI-07/12/2022 relative aux dispositions procédurales applicables à la cour criminelle départementale, 7 décembre 2022

Pour mémoire, l'expérimentation de ces cours départementales avait été généralisée et pérennisée par le Gouvernement avant son terme, contre l'avis du Sénat. En audition, la direction des services judiciaires a admis que les gains de temps de procédure générés par les cours criminelles étaient assez limités mais a également souligné que ces cours avaient permis de criminaliser un certain nombre de faits, notamment de crimes sexuels, jusqu'ici correctionnalisés pour désengorger les cours d'assises ou pour en accélérer le traitement.

Le rapporteur spécial regrette par ailleurs que ne soient plus transmis les délais moyens de traitement des procédures, qui permettaient d'apporter une information davantage mobilisable et concrète pour le citoyen, usager du service public de la justice.

3. La nécessaire prise en compte de l'inflation pour apprécier l'évolution des crédits

Après plusieurs années d'inflation basse voire proche de zéro, le nouveau contexte macroéconomique, avec des niveaux d'inflation inédits depuis le début de l'année 2022, oblige à intégrer ce facteur dans l'analyse de la programmation. En euros constants (euros de 2023), l'augmentation des crédits de la mission « Justice » est légèrement moins forte en 2024, de l'ordre de 2,6 %, contre 5,2 % en valeur. De même, sur le long-terme, à l'échelle de la programmation 2023-2027, la hausse des crédits serait plus limitée, même si de telles estimations doivent être prises avec précaution.

Évolution des crédits de la mission selon la trajectoire définie en loi de programmation 2023-2027, hors contribution au CAS Pensions

(en milliards d'euros et en CP)

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires et d'après les hypothèses d'inflation du Gouvernement

Il convient en effet de tenir compte du fait que l'inflation n'affecte pas de la même façon les différents programmes et dépenses. Si elle se traduit par un rehaussement des coûts des matériaux et des fluides pour tout ce qui concerne les budgets immobiliers, son effet sur les dépenses de personnel dépend des mesures indemnitaires envisagées par le Gouvernement, ce dernier ayant proposé des mesures générales de grande ampleur en 2023 et en 2024 (prime de pouvoir d'achat, augmentation du point d'indice, attribution de points d'indice supplémentaires en bas de grilles indiciaires, octroi de cinq points supplémentaires à l'ensemble des agents de la fonction publique à compter du 1er janvier 2024). L'inflation a également un impact limité sur les frais de justice ou sur l'aide juridictionnelle, avec des tarifs de rétribution fixes pour les avocats.

B. UN SOUTIEN QUI NE PEUT ÊTRE QUE CONDITIONNÉ À UN EFFORT SUPPLÉMENTAIRE D'ÉVALUATION

Ainsi, alors que la justice commence à combler son retard, il est primordial de soutenir le renforcement de ses moyens, en contrepartie de progrès en termes de gestion, de suivi et d'évaluation.

Telle que la conçoit le rapporteur spécial, une loi de programmation ne consiste pas simplement en la définition d'indicateurs de performance et de lignes de crédits et d'emplois. Elle doit être l'occasion pour le ministère concerné de s'interroger sur le sens des politiques publiques qu'il mène, sur la qualité du service public qu'il soutient et sur sa propre gestion des moyens, budgétaires comme humains. Il est difficilement envisageable de concevoir la poursuite d'une trajectoire budgétaire aussi dynamique que celle envisagée pour la justice sans évaluation de l'efficacité de la dépense publique ainsi engagée. Le rapporteur spécial relève à cet égard que le ministère a mis en place un comité de suivi des investissements du ministère de la justice, primordial au regard de l'ampleur des projets informatiques et immobiliers qu'il mène depuis plusieurs années.

En gestion, des progrès ont également été accomplis sur la période 2018-2022. Par exemple, l'augmentation des restes à payer ne résulte plus de sous-dotations initiales mais de retard sur les projets engagés. Des efforts doivent en effet encore être menés pour effectivement consommer les crédits informatiques et immobiliers ouverts en loi de finances.

Dans sa communication sur le plan de transformation numérique (PTN) du ministère de la justice, remis à la demande de la commission des finances du Sénat17(*), la Cour des comptes expliquait ainsi avoir rencontré d'importantes difficultés pour reconstituer les dépenses exécutées au titre du PTN. Ce constat traduit « l'insuffisance du suivi budgétaire des projets et du plan dans son ensemble » alors que le ministère ne semble pas non plus pouvoir totalement maîtriser la comptabilisation des logiciels produits en interne18(*). Plus généralement sur les projets informatiques, la Cour des comptes notait que « la difficulté du ministère à fiabiliser l'évaluation des besoins et le suivi budgétaire crée des situations d'impasse où l'ensemble des actions prévues dans les projets ne sont pas intégrées aux prévisions de crédits ». C'est ainsi que le coût de généralisation du « portail détenu », avec l'installation de tablettes dans toutes les cellules de certaines maisons d'arrêt, est passé de 22 millions d'euros à 55 millions d'euros en prévisionnel, les frais de sécurisation n'ayant par exemple pas été intégrés dans le coût initial.

En matière de suivi et d'évaluation ensuite, il existe une vraie difficulté sur la remontée des informations. Les données sont là mais elles ne sont pas transmises et ne sont donc pas pleinement exploitées. Le ministère doit renforcer ses capacités de pilotage par les données et les utiliser pour mener une évaluation de ses politiques publiques. Même sur un sujet régalien, il ne faut pas craindre de procéder à des évaluations incluant une dimension économique.

Au contraire, cela peut même s'avérer bénéfique. Dans son rapport d'information sur la mise en oeuvre du « plan 15 000 »19(*), le rapporteur spécial plaide ainsi pour que des évaluations soient conduites sur les coûts et les gains socio-économiques générés par la construction d'un établissement pénitentiaire, avec l'objectif de faciliter les discussions avec les populations et les élus locaux sur le lieu d'implantation de ces établissements (recommandation n° 6).

Les indicateurs de performance ne sont en effet pas suffisants s'ils ne sont pas accompagnés d'évaluations plus qualitatives sur le service public de la justice. Par exemple, ce qui est vraiment attendu de la politique publique en matière de justice des mineurs, c'est bien leur protection et leur réinsertion, de même pour les adultes avec la prévention de la récidive.

Or il n'existe que peu d'évaluations permettant de faire le lien entre les actions des différents services et métiers du ministère et ces grands objectifs de politique publique, en dépit d'efforts en ce sens. La sous-direction de la statistique du secrétariat général a ainsi conduit une étude sur le phénomène de réitération des jeunes majeurs, mais elle ne permet pas de faire le lien avec l'action des services de la protection judiciaire de la jeunesse ou de l'administration pénitentiaire. Dans le rapport d'information précité, le rapporteur spécial a appelé à finaliser l'outil de suivi du parcours des mineurs (application « Parcours ») et à produire des évaluations sur la récidive et la réitération des mineurs pour mesurer l'efficacité des mesures de placement.

SECONDE PARTIE
UNE NOUVELLE LOI DE PROGRAMMATION,
MAIS DES PRIORITÉS ANCIENNES

La loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 a moins donné lieu à l'engagement de nouveaux projets de grande ampleur que confirmé et consolidé les moyens alloués aux chantiers engagés ou annoncés avant sa présentation. Il s'agit notamment de la création de 10 000 emplois supplémentaires, de la transformation numérique du ministère ainsi que des programmes immobiliers de l'administration pénitentiaire (plan 15 000), des services judiciaires et de la protection judiciaire de la jeunesse.

Elle devait ainsi s'appuyer sur les recommandations issues des États généraux de la justice, telles que reprises dans le « plan d'action pour une justice plus rapide et plus efficace », présenté par le garde des Sceaux au mois de janvier 202320(*). Ce plan préfigurait le contenu de la loi de programmation (trajectoire budgétaire, modernisation de la justice civile, simplification de la procédure pénale), tout en reprenant des éléments déjà connus (recrutements supplémentaires, revalorisation des personnels, programme immobilier pénitentiaire).

Les trois axes prioritaires identifiés par le rapporteur spécial les années précédentes, à savoir les ressources humaines, l'informatique et l'immobilier, n'ont donc pas été remis en cause. Transverses, ils constituent une préoccupation commune des services judiciaires, de l'administration pénitentiaire, de la protection judiciaire de la jeunesse et du secrétariat général du ministère de la justice, appelé à coordonner leur mise en oeuvre.

Le ministère de la justice doit s'assurer que tout concourt au bon exercice des missions « métiers » de la justice. La gestion des sujets informatique, immobilier et ressources humaines apparaît primordiale dans ce contexte, afin de faire en sorte que, sur le terrain, les personnels et les professionnels de la justice ressentent les effets des hausses budgétaires et puissent pleinement mettre en oeuvre les grands axes de la politique publique de la justice.

I. LES RESSOURCES HUMAINES, L'IMMOBILIER ET L'INFORMATIQUE, TROIS PROBLÉMATIQUES COMMUNES AUX DIRECTIONS « MÉTIERS » DU MINISTÈRE DE LA JUSTICE

Les ressources humains, l'immobilier et l'informatique font l'objet d'une attention renouvelée dans la loi de programmation 2023-2027. Il convient dès lors de s'interroger sur l'adéquation entre les ambitions affichées par le ministère sur chacun de ces aspects et les moyens déployés pour les atteindre. Les problématiques sont par ailleurs partagées : séparer ce qui relèverait des fonctions métiers des fonctions support serait artificiel. Cet aspect a malheureusement été trop souvent négligé par le Gouvernement.

Dans ce cadre, le secrétariat général du ministère de la justice a un rôle fondamental à jouer pour « conduire et piloter la politique de la justice »21(*). Il dispose pour ce faire d'un budget très dynamique entre 2023 et 2024, puisque les crédits augmenteraient de 9,7 % en CP, pour atteindre 747,1 millions d'euros.

Le rapporteur spécial considère que le pilotage des fonctions support doit être davantage centralisé, ce qui ne doit pas pour autant conduire à opposer centralisation et proximité. Il est ainsi tout à fait envisageable d'asseoir un peu plus le rôle du secrétariat général de la justice, y compris dans les directions régionales, dans la gestion des ressources humaines ainsi que des projets informatiques et immobiliers, et de mettre en place des équipes de proximité dans les juridictions. Il est inconcevable que des magistrats se retrouvent encore bloqués pendant plusieurs heures car ils ne disposent pas d'informaticiens en juridiction pour les dépanner et qu'ils doivent signaler leur problème au service régional.

Cette difficulté devrait être résolue en grande partie cette année avec l'installation de techniciens informatiques de proximité dans le ressort de chaque site judiciaire. Le rapporteur spécial salue cette avancée, qu'il avait soutenue l'an dernier, après les États généraux de la justice. L'une des propositions du groupe de travail « numérique » des États généraux avait en effet trait à la création d'une « véritable chaine de soutien informatique au profit des acteurs de la justice »22(*). Cette chaine devait avoir vocation à renforcer l'efficacité de la prise en charge des incidents en juridiction, alors que les outils numériques du ministère ne sont pas suffisamment stables et qu'ils sont fréquemment affectés par des ralentissements ou par des pannes. L'installation des premiers techniciens doit répondre à ces enjeux.

Au-delà de cette assistance, le rôle de ces conseillers pourrait s'avérer tout aussi primordial pour s'assurer que les applicatifs qu'envisage de développer le secrétariat général répondent bien aux besoins des personnels. Là encore, il n'est pas normal que le déploiement de certaines applications se soit traduit par un accroissement de la charge de travail des magistrats, avec par exemple la ressaisie complète de certains dossiers, des doublons dans les procédures ou encore des incohérences. Or, l'adhésion des personnels est l'une des conditions sine qua none de la réussite du plan de transformation numérique de la justice.

Il en va de même pour l'immobilier. L'Agence publique pour l'immobilier de la justice (APIJ) doit disposer de relais auprès des personnels de la justice et des professionnels du monde de la justice au sens large, en incluant par exemple les avocats. La rénovation d'un tribunal judiciaire ne peut simplement conduire à réduire la surface par magistrat en mutualisant les salles de réunion, elle doit tenir compte de la fréquence plus ou moins grande des auditions menées par les magistrats selon leur domaine d'exercice.

A. SUR LES RESSOURCES HUMAINES, PARVENIR À MENER DE FRONT REVALORISATION DES PERSONNELS ET RECRUTEMENT MASSIF

Les États généraux de la justice ont plaidé pour une professionnalisation de la gestion des ressources humaines, qui doit non seulement conduire à renforcer les effectifs au bon endroit, mais aussi à mieux piloter les ressources humaines. Elle constitue l'une des pistes visant à remédier au « constat d'un manque criant de moyens humains, matériels et budgétaires dans les juridictions et d'une forte perte d'attractivité de beaucoup de métiers judiciaires.»23(*)

Le rapporteur spécial considère que ce constat peut et doit être étendu à l'administration pénitentiaire et à la protection judiciaire de la jeunesse. Il s'est dans ce cadre intéressé à trois aspects : un aspect quantitatif avec une interrogation sur la faculté du ministère à pouvoir procéder aux recrutements prévus, un aspect plus qualitatif sur l'attractivité des métiers et la mise en oeuvre de mesures de revalorisation des personnels et, enfin, l'évaluation de la charge de travail des magistrats, élément clé pour pouvoir mieux piloter les ressources humaines en allouant les 1 500 postes supplémentaires au bon endroit.

1. Un enjeu, recruter 10 000 personnes en cinq ans et créer 1 925 emplois en 2024 

Le schéma d'emplois du ministère de la justice sur la période 2023-2027 devrait se traduire par la création de 10 016 équivalents temps plein (ETP), dont 1 925 en 2024.

305 magistrats seraient recrutés en 2024 : à ce rythme, il faudrait plus de 30 ans pour que la France atteigne la médiane des États membres du Conseil de l'Europe quant au nombre de magistrats professionnels pour 100 000 habitants. C'est mieux qu'au rythme des années précédant 2023, où il aurait fallu quasiment deux siècles. Sur le périmètre de la direction des services judiciaires, le recrutement de ces 305 magistrats serait accompagné de celui de 340 greffiers.

L'ampleur des recrutements fait apparaître deux contraintes : la première porte sur le vivier de recrutements, la seconde sur la capacité de formation.

Certains interlocuteurs rencontrés par le rapporteur spécial craignent de ne pas disposer, pour chacun des métiers, des profils adéquats ou tout simplement de ne pas parvenir à combler les postes offerts aux concours, en dépit de la diversification des modes de recrutement. Pour partie pour remédier à cette difficulté, ainsi qu'à celle du déficit d'attractivité de ce métier, l'administration pénitentiaire a obtenu la création d'un statut de surveillant pénitentiaire adjoint, recruté par la voie contractuelle24(*).

Le rapporteur spécial soutient pleinement cette décision, qui doit permettre d'apporter des renforts aux surveillants pénitentiaires. Il a souligné dans son rapport d'information sur le plan 15 00025(*) que cette ouverture devrait permettre de pouvoir recruter des profils différents, qui n'auraient pas forcément envisagé de passer le concours ou qui n'ont pas envie de devoir déménager à l'issue de leur première affectation.

Par ailleurs, les surveillants pénitentiaires adjoints n'auront pas vocation à remplacer les surveillants mais à les seconder dans leurs tâches, et sous leur contrôle. Si suffisamment de surveillants pénitentiaires sont recrutés pour combler les vacances, il ne serait pas recouru aux adjoints contractuels. À cet égard, et contrairement à la première session où plus de 19 % des postes ouverts n'avaient pas été pourvus, la deuxième session annuelle du concours de surveillant a conduit à pourvoir la quasi-totalité des postes26(*).

Évolution de l'écart entre les emplois offerts et pourvus
aux sessions de concours de surveillants pénitentiaires

Source : commission des finances, d'après les données transmises au rapporteur

Les taux de vacance de postes demeurent toutefois élevés, autour de 4 % à 7 % selon les métiers. Au 1er janvier 2023, il y avait 403 postes de magistrats vacants sur 8 636 emplois localisés au sein des tribunaux judiciaires et des cours d'appel, soit un taux de vacance de 4,67 %, inférieur à celui observé pour les greffiers (6,2 %), pour 657 postes vacants et 10 012 emplois occupés. Pour les surveillants pénitentiaires, ce taux s'élevait à 4,55 % au mois de décembre 2022, soit 1 429 postes vacants, en légère baisse par rapport au taux observé au mois de décembre 2021 (4,98 %). L'administration pénitentiaire est également celle qui a pu avoir du mal à saturer son schéma d'emploi ces dernières années. En 2022, la sous-réalisation du schéma d'emplois de la mission « Justice », de l'ordre de 162 ETP était principalement due aux moindres recrutements de surveillants pénitentiaires.

En parallèle, une fois les recrutements opérés, il s'agit de pouvoir parvenir à former les futurs magistrats, greffiers ou surveillants, et donc un volume croissant d'élèves stagiaires dans le contexte de la hausse des emplois du ministère de la justice.

Le rapporteur spécial s'est ainsi intéressé aux effets de la dynamique des recrutements sur l'École nationale de la magistrature (ENM) et sur l'École nationale d'administration pénitentiaire (ENAP).

En 2024, l'ENM devra former 305 auditeurs de plus, avec un effet direct sur le nombre de formations à organiser, le nombre d'enseignants mais aussi les locaux de l'école, qui doivent pouvoir les accueillir. L'ENM a ainsi obtenu, pour l'année 2024, le recrutement de 33 ETP supplémentaires ainsi qu'une hausse de sa subvention pour charges de service public de 31 %, pour atteindre 46 millions d'euros. Les 10,8 millions d'euros supplémentaires ainsi obtenus devront non seulement couvrir les dépenses de personnel supplémentaires mais également permettre une prise à bail pour l'accueil de promotions élargies dans les années à venir.

Quant à l'ENAP, elle bénéficie du renfort de trois créations de postes en 2024 ainsi que d'une enveloppe pluriannuelle de 63,4 millions d'euros supplémentaires pour l'extension de son site d'Agen. Cette opération, entamée il y a plusieurs années, se déroule sous l'égide de l'Agence pour l'immobilier de la justice (APIJ). Une première phase, achevée en 2019, a permis d'installer des locaux pédagogiques modulaires pour accueillir un plus grand nombre d'élèves. La deuxième phase, achevée en 2021, a consisté en la livraison de bâtiments d'hébergement d'une capacité de 900 lits. La troisième phase, pour laquelle 4,2 millions d'euros sont demandés en crédits de paiement en 2024, doit conduire à la livraison de locaux pédagogiques pérennes.

2. Des mesures de revalorisation pour pallier des années de retard

Le rapporteur spécial en est convaincu, le ministère ne pourra pas procéder aux recrutements dont il a besoin pour tenir sa trajectoire, avec des profils adéquats, sans revaloriser les métiers de la justice, sur l'ensemble de ses « branches » (judiciaire, pénitentiaire, support, protection judiciaire de la jeunesse). Il souligne à cet égard les efforts engagés depuis quelques années, tant pour agir sur le traitement indiciaire « socle » que pour rehausser le montant des primes. Les mesures statutaires et indemnitaires devraient ainsi s'élever à 203,3 millions d'euros en 2024, répartis ainsi : 82,9 millions d'euros de mesures statutaires, 12,4 millions d'euros de mesures indemnitaires et 108 millions d'euros au titre de l'extension en année pleine des mesures mises en oeuvre à la fin de l'année 2023.

La plus importante d'entre elles est entrée en vigueur au mois d'octobre 2023 et consiste en une revalorisation de la rémunération des magistrats judiciaires d'en moyenne 1 000 euros par mois, la plus importante depuis 1996, et dont le coût en année pleine devrait s'élever à 111,2 millions d'euros. Il s'agit donc d'une mesure indemnitaire, qui n'a pas remis en cause la structuration du régime indemnitaire des magistrats de l'ordre judiciaire.

Le régime indemnitaire des magistrats

Créé par le décret du 26 décembre 2003 relatif au régime indemnitaire de certains magistrats de l'ordre judiciaire, le régime indemnitaire des magistrats s'articule autour d'une prime forfaitaire, d'une prime modulable, d'une prime spécifique pour les magistrats qui connaissant à titre habituel des infractions de terrorisme, d'une majoration de la prime forfaitaire liée à l'affectation dans certaines juridictions souffrant d'un défaut d'attractivité et de l'indemnisation des astreintes et interventions réalisées par les magistrats du parquet et par certains magistrats du siège.

La prime modulable est l'une des deux composantes, avec la prime forfaitaire, de l'indemnité destinée à rémunérer l'importance et la valeur des services rendus et à tenir compte des sujétions afférentes à l'exercice de leurs fonctions par les magistrats. Elle est calculée en pourcentage du traitement indiciaire brut et versée mensuellement.

Elle peut être allouée aux magistrats de l'ordre judiciaire exerçant leurs fonctions en juridiction, à l'inspection générale de la justice et à l'École nationale des greffes. N'y sont en revanche pas éligibles les magistrats exerçant à la Cour de cassation, à l'exception de ceux exerçant les fonctions de premier président d'une cour d'appel, de président du tribunal judiciaire de Paris, de procureur de la République près ce tribunal, de procureur de la République financier près ce tribunal et de procureur de la République antiterroriste près ce tribunal.

Si la prime forfaitaire est attribuée à raison de la fonction exercée, la prime modulable l'est en fonction de la contribution du magistrat au bon fonctionnement de l'institution judiciaire, notamment en tenant compte des attributions spécifiques qui lui ont été confiées et du surcroît d'activité résultant d'absences prolongées de magistrats.

Source : décret n° 2003-1284 du 26 décembre 2003 relatif au régime indemnitaire de certains magistrats de l'ordre judiciaire et réponses au questionnaire budgétaire du rapporteur spécial

La revalorisation du traitement des magistrats est passée par deux évolutions apportées à la prime forfaitaire ainsi qu'à la prime modulable27(*) :

- la prime forfaitaire n'est plus exprimée en pourcentage du traitement indiciaire brut perçu par le magistrat mais consiste en des montants fixes définis par grade, par échelon ou par emploi. Le montant brut annuel de la prime est compris entre 21 000 et 36 500 euros pour les magistrats exerçant leurs fonctions en juridictions, à l'inspection générale de la justice (IGJ) et à l'École nationale des greffes (ENG) et compris entre 22 500 et 31 900 euros pour les magistrats du cadre de l'administration centrale. Pour les chefs de la Cour de cassation et les chefs des juridictions des premier et second degrés, le montant est compris entre 34 000 et 50 000 euros. Une majoration de la prime forfaitaire est prévue, sous la forme d'un complément annuel, pour tenir compte des sujétions propres à certaines fonctions ;

- la prime modulable n'est, elle non plus, plus exprimée en pourcentage du traitement indiciaire brut mais en montant brut annuel. Les montants de référence sont fixés par grade et par échelon, auxquels est appliqué un coefficient de 0 à 3 par l'autorité hiérarchique du magistrat. Pour les magistrats des juridictions, de l'IGJ et de l'ENG, le montant de référence est compris entre 6 500 et 12 000 euros, contre 8 500 à 12 000 euros pour les magistrats en administration centrale et 10 000 à 18 000 euros pour les chefs de juridictions.

Si d'aucuns pouvaient être sceptiques lors de l'annonce de cette mesure de revalorisation l'été dernier, le rapporteur spécial note qu'elle a été tenue et mise en oeuvre sans difficulté au mois d'octobre. Au final, le montant moyen mensuel brut de la revalorisation s'élève à 1 032 euros par magistrat - avec un montant moyen plus élevé octroyé aux magistrats en juridiction de second grade (début de carrière).

Par ailleurs, 33,4 millions d'euros proviennent de mesures communes à l'ensemble de la fonction publique d'État, issues de la conférence salariale du 12 juin 2023, à savoir le rééchelonnement des bas de grilles des catégories B et C au 1er juillet 2023 (extension en année pleine pour trois millions d'euros) et l'injection de cinq points d'indice à l'ensemble des agents au 1er janvier 2024 (31 millions d'euros).

Enfin, le rapporteur spécial tient à souligner la nécessité des efforts engagés pour les greffiers et les surveillants pénitentiaires, qui passent notamment par des mesures statutaires. Un protocole d'accord a été signé le 26 octobre 2023 avec les greffiers pour la mise en oeuvre d'une mesure de revalorisation de la catégorie B et la création d'un corps de greffiers de catégorie A d'environ 3 200 agents. Pour les surveillants pénitentiaires, la réforme, dont le coût total est estimé à 47,2 millions d'euros, prévoit le passage de la catégorie C à la catégorie B pour les surveillants au 1er janvier 2024 ainsi que le passage de la catégorie B à la catégorie A pour les officiers au 1er avril 2024. Des mesures similaires sont prévues pour certains métiers de la protection judiciaire de la jeunesse, avec également une revalorisation des éducateurs.

Ces mesures sont primordiales pour revaloriser ces métiers et pour pallier leur défaut d'attractivité au sein de la population. Le directeur de l'administration pénitentiaire considère par exemple que le passage en catégorie B des surveillants fait partie des mesures qui commencent à produire leurs effets pour réduire le taux de vacance au concours. Cette réforme a d'ailleurs été conçue en contrepartie de la création du statut de surveillant pénitentiaire adjoint ; si elle ne suffit pas, l'administration pénitentiaire se tournera vers le recrutement de contractuels.

3. L'évaluation de la charge de travail des magistrats, l'arlésienne des services judiciaires

Réitérant un constat posé à de nombreuses reprises ces dernières années, le rapporteur spécial souligne que l'évaluation des besoins en effectifs des juridictions reste à finaliser. Les besoins annuels d'effectifs en juridiction reposent sur le calcul d'un effectif théorique, recensé dans la circulaire annuelle de localisation des effectifs (CLE), qui fait l'objet de négociations entre la direction des services judiciaires et les chefs de cours et de juridictions28(*). Toutefois, comme le souligne la Cour des comptes « les deux parties savent que les plafonds d'emplois alloués ne permettent jamais d'atteindre ces plafonds théoriques », ce qui génère un taux de vacance. De plus, « alors que les missions accomplies par la plupart des fonctionnaires affectés dans les juridictions sont comptabilisées de façon détaillée dans OUTILGREF, aucun outil spécifique n'a été mis en oeuvre pour appréhender la charge de travail des magistrats et évaluer les moyens humains nécessaires au fonctionnement des juridictions »29(*).

Le résultat est celui d'une forte disparité entre l'évolution de l'activité des juridictions et la répartition des moyens. Ainsi, dans les juridictions de première instance du ressort de la cour d'appel de Poitiers et d'Amiens, on compte 4,96 et 6,71 magistrats pour 100 000 habitants, contre 8,23 à Aix-en-Provence, 7,18 à Limoges ou 9,55 à Paris. De même, les magistrats du parquet ont reçu chacun en moyenne 1 114 plaintes en première instance dans le ressort de la cour d'appel de Poitiers, 836 dans celle d'Amiens, mais 818 à Aix-en-Provence, 769 à Limoges et 630 à Paris30(*). Le constat est similaire pour les greffiers, avec un nombre de procédures qui peut varier du simple au double. Si ces critères quantitatifs ne peuvent seuls constituer les paramètres d'une répartition des ressources entre les juridictions, ils peuvent mettre en exergue des déséquilibres.

La professionnalisation de la gestion des ressources humaines passe indubitablement par la construction d'un référentiel objectif, qui doit permettre de répartir les ressources d'une manière prévisible et équitable, en fonction de la charge de travail des juridictions.

Des travaux ont donc été lancés en 2019 pour essayer de construire un référentiel d'activité plus objectif, mais ils ne sont pas encore finalisés, en dépit d'une accélération en 2022. D'après les informations communiquées en audition par la direction des services judiciaires, cinq juridictions pilotes ont été choisies pour la phase expérimentale d'automatisation des remontées d'information. La direction a en effet construit, à l'issue d'une première phase de travaux, une estimation des besoins relatifs des juridictions. Elle doit toutefois disposer de données plus fines et plus précises pour évaluer la charge de travail et adapter les propositions de répartition des effectifs, au-delà de l'approche quantitative.

Les organisations syndicales ont pu estimer que les premières évaluations de la charge de travail démontraient qu'il faudrait parfois jusqu'à deux ou trois fois plus de magistrats en poste31(*). Sur ce point, et sans nier le déficit de moyens que connait la justice et qu'il a largement souligné ces dernières années, le rapporteur spécial insiste également sur le fait qu'il faut impérativement intégrer la contrainte de recrutement. 1 500 magistrats supplémentaires d'ici 2027 soulève des enjeux en termes de qualité de recrutement et de formation qui ne sont pas neutres à long terme. Comme l'avait défendu Jean-Marc Sauvé32(*), il doit être possible de trouver un compromis entre le nombre minimal de recrutements nécessaires pour éviter un écroulement de l'institution judiciaire et le nombre maximal de recrutements pouvant être effectués à qualité de formation constante.

Par ailleurs, en plus d'un sujet « moyens », il y a également un sujet d'organisation, avec notamment le développement de l'équipe autour du magistrat (cf. infra).

B. SUR L'INFORMATIQUE, PASSER DU RATTRAPAGE À LA MODERNISATION AVEC LE DEUXIÈME PLAN DE TRANSFORMATION NUMÉRIQUE

1. Un budget informatique en très forte augmentation

Les crédits demandés en 2024 pour le programme « Conduite et pilotage de la politique de la justice » s'élèvent à 768,3 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) et 747,1 millions d'euros en crédits de paiement (CP), soit une hausse de 0,5 % en AE et de 9,5 % en CP par rapport à 2023, après une hausse également très significative entre 2022 et 2023, de l'ordre de 7 %. C'est principalement sur ce programme que reposent les dépenses informatiques du ministère.

330,7 millions d'euros seraient ainsi ouverts en 2024 sur l'action 09 « Action informatique ministérielle » du programme 310, une hausse de 5 % par rapport à 2023. Sur ce montant, les crédits alloués à l'informatique atteindraient 272,3 millions d'euros, soit une stabilisation par rapport à 2023 (+ 3 %), mais à un niveau inédit de crédits. Le rapporteur spécial soutient pleinement ces efforts budgétaires, absolument essentiels au regard des retards constatés, tant pour résorber la dette technique que pour donner aux personnels de la justice des systèmes d'information fiables, inter-opérationnels et véritablement capables de les soutenir au quotidien.

Cette enveloppe se compose de deux parties. La première est dédiée aux dépenses de « socle informatique », pour 190,6 millions d'euros. Elle doit notamment permettre de financer :

- les activités d'hébergement applicatif, pour sécuriser et maintenir le système d'information de la justice en condition opérationnelle ;

- le transport de données et la desserte intranet de tous les services du ministère de la justice ;

- les formations numériques, pour l'ensemble des agents du ministère (accompagnement à la prise en main des nouveaux outils numériques, montée en compétence numérique) ;

- la maintenance matérielle et applicative. Les applications dites « majeures » du ministère de la justice, qui constituent un tiers du parc applicatif ministériel, sont aussi celles qui présentent un taux d'obsolescence de 50 %. Une partie des crédits du deuxième plan de transformation numérique (PTN) doit donc être consacrée à la résorption de la dette technique, impérative ;

- le déploiement, à l'échelle de la justice, de la stratégie interministérielle d'hébergement, au terme de laquelle l'hébergement et la production des services numériques doivent par défaut être opérés par le cloud ;

- le programme « zéro papier » d'ici 2027, au coeur du deuxième PTN. L'objectif est de parvenir à ce que tous les textes soient adaptés à la dématérialisation et, dans le même temps, qu'il n'y ait pas de ruptures des chaînes de dématérialisation, entre les applications ;

- la sécurité des systèmes d'information, avec la mise en oeuvre d'un plan d'investissement pluriannuel.

La deuxième composante des dépenses informatiques portées par le programme 310 est dédiée au développement des applications. Elle bénéficierait de 81,7 millions d'euros en crédits de paiement en 2024 et couvrirait :

- les crédits du deuxième PTN pour ce qui concerne la conception de nouveaux produits numériques pour répondre aux besoins des directions métiers et des agents du ministère, l'interopérabilité des systèmes d'information, l'accompagnement au changement ou encore les enjeux de sécurité ;

- les crédits alloués à l'ensemble des domaines applicatifs. Pour les personnes placées sous main de justice, l'application GENESIS s'accompagne du développement du Wi-Fi haute intensité et des terminaux mobiles (communication) dans les établissements pénitentiaires. Dans le domaine de la justice civile et pénale, la modernisation de l'application CASSIOPÉE devrait se poursuivre (application dite « coeur de métier »). De nouveaux services devraient également être ouverts à destination des victimes et des justiciables sur l'application justice.fr. Il serait notamment possible de souscrire une demande d'aide juridictionnelle ou une demande d'indemnisation devant le tribunal correctionnel.

Depuis 2018, le budget informatique a plus que doublé. Le rapporteur spécial considère que le ministère de la justice se doit d'être ambitieux dans ce domaine et de préserver une trajectoire de crédits compatibles avec les objectifs assignés au deuxième PTN.

Évolution du budget informatique total
de la mission « Justice » depuis 2018

(en millions d'euros et en CP)

Source : commission des finances, à partir des données transmises en réponse au questionnaire budgétaire du rapporteur spécial

Au-delà des dépenses de fonctionnement et d'investissement, il convient également de s'intéresser aux dépenses de personnel. Dans le cadre de la mise en oeuvre du deuxième PTN, le secrétariat général du ministère de la justice a fait le choix de développer davantage les compétences en interne et donc de réinternaliser une partie des emplois, une démarche soutenue par le rapporteur spécial. Ainsi, sur les 112 ETP supplémentaires octroyés au secrétariat général en 2024, 43 le seraient au titre du numérique.

L'ambition du ministère de la justice passe également par un double changement d'approche. Dans la gestion des crédits d'abord, pour éviter le renouvellement des critiques adressées au premier PTN par la Cour des comptes s'agissant de l'opacité des moyens dédiés à ce plan. Dans les objectifs ensuite, pour passer d'un premier plan de rattrapage du ministère de la justice en matière numérique à un véritable plan de modernisation.

Le comité des États généraux de la Justice avait également insisté sur la nécessité de refonder la stratégie numérique : elle doit conduire à une redéfinition de la maîtrise d'ouvrage, à une montée en puissance du numérique au secrétariat général et dans les directions métiers et à une plus grande interopérabilité des applicatifs. Les systèmes d'information ne peuvent plus fonctionner de manière cloisonnée, faute de quoi aucune des innovations ne pourra se traduire par un véritable renforcement de la qualité du service public de la justice et par un gain de temps pour les professionnels.

Il convient de rappeler ici qu'en comparaison européenne la France stagne à la 20e place sur 27 dans l'Union européenne pour l'utilisation du numérique par les juridictions en 2022 et qu'elle est 21e, en recul d'une place, pour la mise à disposition d'outils d'échanges numériques sécurisés entre les juridictions et les services de police, les notaires, l'administration pénitentiaire et les avocats33(*). C'est très insuffisant, la France se situant loin de l'Allemagne sur ces deux aspects (2e) ou encore de l'Espagne (4e) et de l'Italie (15e).

2. Le deuxième plan de transformation numérique ou la continuité d'un premier plan inachevé

Le premier plan de transformation numérique (PTN), défini en 2017 et doté initialement de 530 millions d'euros sur la période 2018-2022, était divisé en trois axes, progressivement mis en oeuvre :

- l'axe 1 est relatif à l'adaptation du socle technique et des outils de travail ;

- l'axe 2 concentre les évolutions des applications ;

- l'axe 3 traite du soutien aux utilisateurs.

En application du 2° de l'article 58 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances, la commission des finances du Sénat avait demandé à la Cour des comptes de réaliser une enquête sur la mise en oeuvre du PTN. Le rapporteur spécial invite ainsi à se reporter à cette communication et à ses propres conclusions sur les travaux de la Cour34(*) pour davantage de détails sur les constats et les propositions énoncés dans ce cadre. Certains seront succinctement repris pour analyser la programmation des crédits informatiques au titre de l'année 2024 ainsi que le contenu du deuxième PTN mis en place pour la période 2023-2027. Ce dernier s'articulera autour de six axes, qui reprennent ceux du premier PTN en les étoffant :

- axe 1 : sécuriser et améliorer la qualité de l'existant pour redonner confiance aux agents ;

- axe 2 : remettre les utilisateurs au coeur de la transformation numérique ;

- axe 3 : accompagner en proximité tous les agents et justiciables sur l'utilisation des produits numériques ;

- axe 4 : valoriser les données ;

- axe 5 : renforcer le réseau des partenaires de la justice grâce au numérique ;

- axe 6 : garantir la sécurité, la résilience et la souveraineté numérique.

Évolution prévisionnelle des crédits alloués au deuxième plan
de transformation numérique du ministère de la justice

(en millions d'euros)

Note : aucun crédit n'est indiqué pour l'année 2027, le ministère de la justice ayant indiqué que les prévisions faisant encore l'objet d'évaluations.

Source : commission des finances, d'après les réponses au questionnaire budgétaire du rapporteur spécial

a) L'équipement des agents et l'accompagnement de leurs besoins de mobilité

Si les axes concernant l'équipement des agents sont les plus avancés en termes de progrès, des crédits sont encore prévus en 2024 pour améliorer la qualité et la sécurité des équipements des agents (écran et accessoires, accès à la téléphonie, outils collaboratifs). 2024 marquera également l'année d'ouverture du programme environnemental de travail numérique de l'agent (ETNA) à tous les agents du ministère de la justice. Le programme ETNA recouvre l'ensemble des chantiers relatifs au poste de travail des agents.

En particulier, alors que plusieurs textes législatifs visent à permettre le développement de la visioconférence dans certaines procédures35(*), ces outils sont en cours de déploiement dans les tribunaux et dans les établissements pénitentiaires, au rythme de 50 salles environ par an. L'administration pénitentiaire estime que 20 000 extractions judiciaires ont pu être évitées de cette façon, alors qu'il s'agit habituellement de manoeuvres très consommatrices de ressources humaines.

De même, les surveillants pénitentiaires devraient pouvoir bénéficier de la généralisation de smartphones pouvant servir tout à la fois de dispositif d'alarme, d'émetteur-récepteur et de téléphone et remplacer l'ordinateur fixe pour l'acquittement du contrôle des barreaux. Une expérimentation a été menée à Fresnes en 2023 et ses conclusions ne sont pas encore connues. Le deuxième enjeu concernant le déploiement de ces axes du 2e PTN pour l'administration pénitentiaire a trait au projet « Numérique en détention », doté de 126 millions d'euros au total, dont 22,1 millions d'euros de CP en 2024. Il vise à dématérialiser les processus de gestion administrative au profit des personnes détenues et de leurs familles, par l'intermédiaire de trois portails : un portail pour permettre au détenu de réaliser certains actes en autonomie (cantine, requête sur dossiers, formation, travail), un portail grand public pour que les proches puissent réserver des créneaux de parloir et un portail agent pour contrôler les deux autres.

b) Le parc applicatif, des chantiers de long terme

Si des avancées ont été réalisées ces trois dernières années sur le parc applicatif, avec, entre autres résultats notables, le déploiement de la procédure pénale numérique (PPN), la mise en service du bracelet anti-rapprochement, les débuts du logiciel « PARCOURS » pour suivre les mineurs placés sous-main de justice ou encore l'intégration du code de la justice pénale des mineurs dans le logiciel « Cassiopée », d'importants progrès demeurent à réaliser en matière de développement des applications numériques du ministère de la justice.

Le deuxième PTN ne pourra faire l'impasse de la question du cloisonnement des applications, de leurs dysfonctionnements qui obligent à de multiples ressaisies de données et de la prise en compte des besoins des utilisateurs du service public de la justice. Il devra également porter les crédits nécessaires à la fin du déploiement des applications prévues dans le premier PTN. Par exemple, si la procédure pénale numérique concerne déjà plus de 80 % des procédures, elle reste encore à déployer pour les procédures classées sans suite en Outre-mer, pour l'automatisation des classements sans suite ou encore, dans le cadre des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024, pour ouvrir une certaine typologie de classements sans suite dans les tribunaux judiciaires les plus à même de traiter des dossiers liés aux Jeux.

Il apparaît également opportun que le ministère se soit doté de l'outil Mareva, proposé par la direction interministérielle du numérique (Dinum), pour vérifier le respect des étapes opérationnelles des projets et détecter les dérives calendaires et budgétaires. Il est en effet primordial de disposer de mécanismes d'alerte et de redressement en cours de gestion, alors que rares sont les projets à tenir leurs délais et leur coût initiaux. Certains projets, au gré notamment d'ajouts successifs, connaissent d'importants dépassements de près de trois ou quatre fois leur montant et leur calendrier, sans qu'ils ne soient pleinement justifiés dans les documents budgétaires. Assurer ce suivi relève des mesures de bonne gestion qui devraient être défendues dans le cadre du deuxième PTN.

Exemples de dépassements de coûts constatés sur
plusieurs projets informatiques de grande ampleur

(en millions d'euros)

ASTREA : dématérialisation du casier judiciaire.

ATIGIP360 : système d'information de l'Agence du travail d'intérêt général et de l'insertion professionnelle.

Cassiopée : outil sentenciel pour les juges et les greffiers.

Portalis : dématérialisation de la chaine civile.

PPN : procédure pénale numérique.

Source : commission des finances, d'après les réponses transmises au questionnaire budgétaire du rapporteur spécial

Au-delà d'un meilleur suivi, la deuxième priorité sur laquelle insiste le rapporteur spécial pour le parc applicatif du ministère de la justice est sur celle du décloisonnement des applications. La vétusté des outils informatiques et leur cloisonnement nuisent en effet à l'efficacité du traitement des contentieux et, de manière plus générale, au service public de la justice. Les applicatifs métiers des juges pour enfants ne sont par exemple pas interopérables avec ceux des juges aux affaires familiales, et ceux des juges aux affaires familiales ne sont pas accessibles à la direction de la protection judiciaire de la jeunesse.

Le rapporteur spécial avait néanmoins relevé, dans les suites à donner à la communication de la Cour des comptes, que des premiers efforts avaient été faits pour enclencher une culture plus transversale de la fonction informatique, sous l'égide en effet du secrétariat général de la justice, à même de disposer d'une vision plus globale sur les besoins de chacune des directions. Cet effort doit être étendu aux partenaires de la justice. Ainsi que le recommande le groupe de travail « numérique » des États généraux de la Justice : « la justice ne commence ni ne s'arrête aux portes du ministère [...]. Des partenaires interviennent avant, pendant et après le processus judiciaire, et le ministère gagnerait à renforcer les liens numériques qu'il tisse avec eux. »36(*)

c) Un impératif, se placer au service des agents et des usagers de la justice

Le soutien aux utilisateurs est un axe sur lequel, de l'aveu du secrétariat général, des marges de progrès demeurent. Dans le cadre du premier PTN, le ministère s'était concentré sur les deux premiers axes, au détriment du troisième et de l'accompagnement des usagers, conduisant à d'importantes difficultés et à une certaine méfiance des personnels quant aux développements informatiques à venir.

Ainsi, si le portage administratif du déploiement du deuxième PTN est assuré par le secrétariat général, il convient de rappeler l'importance d'inclure l'ensemble des utilisateurs finaux des logiciels développés, tels que les magistrats, les greffiers, les personnels pénitentiaires, les éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse ou encore les justiciables et les avocats.

Il est en effet difficile d'attendre des utilisateurs du service public de la justice qu'ils s'emparent pleinement des outils numériques si ces derniers n'ont pas été conçus avec eux ou en prenant en compte leurs besoins et leurs contraintes. Le groupe de travail « numérique » des États généraux de la Justice a retracé dans son rapport les contributions reçues de la part des magistrats ou des greffiers et témoignant d'un véritable malaise par rapport à des outils parfois anciens, complexes et sources de perte de temps37(*). C'est pour cette raison que, parmi les sept priorités énoncées par le groupe de travail, figure le fait de « simplifier l'environnement de travail numérique des agents » et de « demander à chaque projet et produit de clarifier, mesurer et vérifier avec les utilisateurs la valeur qu'apportent les applications », deux recommandations auxquelles ne peut que souscrire le rapporteur spécial et qu'il défend depuis plusieurs années.

Si cela peut sembler aller de soi, l'une des recommandations les plus importantes de la Cour des comptes dans le cadre de sa communication précitée porte sur la nécessité d'évaluer a posteriori les projets informatiques pour vérifier que les résultats obtenus sont conformes aux objectifs et, le cas échéant, identifier les actions restant à réaliser, même s'il s'agit de réglages fins.

La prise en compte du numérique dès la conception des réformes est un point que met également en avant le secrétariat général du ministère de la justice, reprenant de fait une conclusion des États généraux38(*). En effet, à défaut de prendre le numérique en compte dès le départ, le ministère s'expose à ce que la mise en oeuvre de la réforme connaisse des retards, voire des échecs, source de découragement au sein des administrations et des juridictions.

Le système d'information développé pour l'aide juridictionnelle (SIAJ) est le premier véritable exemple d'utilisation du numérique comme outil de transformation d'une politique publique du ministère de la justice. Si les critères de l'aide juridictionnelle ont été révisés pour s'appuyer sur le revenu fiscal de référence, c'est parce que la DGFiP a mis à disposition une interface de programmation d'application (API39(*)) permettant d'accéder à ces données et de pouvoir traiter ensuite plus rapidement les dossiers d'admission à l'aide juridictionnelle. Le programme « numérique en détention » illustre quant à lui le fait que le numérique peut s'inscrire dans un plan d'actions plus large, par exemple l'amélioration des relations avec les détenus.

C. LA MISE EN oeUVRE DES PROGRAMMES IMMOBILIERS, TENIR LES OBJECTIFS DES GRANDS PLANS D'INVESTISSEMENT SANS NÉGLIGER L'ENTRETIEN COURANT ET LA RÉNOVATION ÉNERGÉTIQUE

Au regard de la nature même des métiers de la justice, articulés autour des juridictions, des établissements et centres pénitentiaires ou destinés aux mineurs, l'immobilier est un aspect essentiel pour apprécier la programmation des crédits demandés sur la mission « Justice ». Les montants mobilisés seraient particulièrement élevés, puisque 3,5 milliards d'euros seraient alloués aux dépenses immobilières du ministère de la justice entre 2023 et 2025. Les investissements immobiliers sont d'autant plus importants qu'ils doivent répondre à des besoins croissants, du fait de la hausse des recrutements et du niveau de l'activité juridictionnelle et pénitentiaire.

Pourtant, c'est un domaine dans lequel le ministère de la justice ne s'est pas montré exemplaire en gestion. Ainsi, une partie des crédits initialement fléchés pour le plan de construction de 15 000 places de prison supplémentaires (plan « 15 000 places ») a par le passé été redéployée à d'autres fins, en raison des aléas de la construction des nouveaux sites. En 2022, ce sont plus de 430 millions d'euros de crédits immobiliers qui ont été mobilisés au profit d'autres lignes budgétaires de la mission.

Les retards pris dans la mise en oeuvre des investissements immobiliers de la mission sont reflétés par la prépondérance de ceux-ci dans les restes à payer de la mission. Estimés à près de 10,7 milliards d'euros pour la fin de l'année 2023, ces restes à payer sont composés à près de 63 % de crédits liés à des opérations immobilières, principalement répartis entre les programmes 166 « Justice judiciaire » et 107 « Administration pénitentiaire ».

À l'échelle de la mission, c'est l'Agence publique pour l'immobilier de la justice (APIJ) qui supervise les opérations de grande ampleur, de construction comme de rénovation, qui excèdent le cadre des opérations d'entretien du propriétaire. Les directions régionales du secrétariat général gèrent également directement des projets de plusieurs dizaines de millions d'euros et supervisent les actions « à gains rapides », destinées à être mises en oeuvre rapidement et sources d'importantes économies d'énergie.

1. Le plan 15 000 ou le risque d'un effet d'éviction

Les crédits immobiliers demandés pour l'administration pénitentiaire s'élèvent à 658,7 millions d'euros en 2024, dont 518,7 millions d'euros pour le seul plan de construction de 15 000 places de détention supplémentaires d'ici 2027, auquel le rapporteur spécial a consacré ses travaux de contrôle budgétaire cette année40(*). La nette baisse constatée sur le plan 15 000 (651 millions d'euros en 2023) s'explique par le fait que moins d'établissements seront finalisés et livrés en 2024 qu'il n'y en a eu en 2023 et qu'il y en aura à compter de 2025.

Achever ce plan dans de bonnes conditions est essentiel au regard de l'évolution du nombre de personnes détenues en France, qui a atteint un niveau inédit (74 513 personnes au 1er juillet 2023). La France présente ainsi le troisième taux de densité carcérale41(*) le plus élevé des pays du Conseil de l'Europe, à 115 %, juste derrière Chypre et la Roumanie mais devant la Belgique, la Turquie et la Grèce.

Si le plan de construction de 15 000 places supplémentaires doit apporter une première réponse - en portant le nombre de places opérationnelles de 60 702 à 75 000 - la crainte est qu'il ne suffise pas au regard de l'augmentation très dynamique du nombre de personnes détenues, d'autant que les dernières places ne seront livrées, au mieux, qu'en 2027. Il est dommageable que le déploiement du plan « 15 000 places » ne s'accompagne pas d'une réflexion plus prospective sur le pilotage de la politique carcérale en France. Plusieurs acteurs craignent qu'en l'absence de toute autre réforme, la création de places ne constitue qu'un « appel d'air » sur la population carcérale.

Ce constat est pour partie repris par le comité des États généraux de la Justice qui rappelle, dans la synthèse de ses travaux, qu'une « réponse fondée uniquement sur la détention par l'enchaînement de programmes de construction d'établissements pénitentiaires ne peut constituer une réponse adéquate »42(*). Le comité est par ailleurs favorable à la mise en place d'un mécanisme de régulation de la population carcérale par la définition, pour chaque établissement pénitentiaire, d'un seuil d'alerte et d'un seuil de criticité. Un tel mécanisme suppose toutefois d'importants travaux préparatoires pour définir ces seuils.

a) La lente progression du plan 15 000

Comme l'a souligné le rapporteur spécial dans son rapport d'information, le plan 15 000 progresse lentement : au 1er juillet 2023, seulement 2 771 places nettes ont été ouvertes, pour 14 opérations achevées. D'ici la fin de l'année 2023, cinq nouveaux établissements devraient ouvrir, pour 1 328 places nettes. Au total, ce sont donc 4 099 places qui devraient avoir été créées cinq ans après le lancement du plan 15 000 à l'automne 2018. C'est près de 3 000 de moins que l'objectif initialement fixé par le Gouvernement, à savoir livrer 7 000 places nettes d'ici la fin de l'année 2022, puis 8 000 supplémentaires d'ici 2027.

De fait, le principal constat tiré des travaux de contrôle budgétaire du rapporteur spécial est celui d'importants décalages calendaires et budgétaires, qui sont repris en détail dans son rapport43(*). Il est d'ores et déjà permis de douter que l'ensemble du plan sera achevé en 2027, alors que les délais de livraison s'allongent au fur et à mesure que cette échéance se rapproche. Le nombre de places devant être livrées non plus en année n mais en 2027 s'accroît d'année en année, faisant peser un risque très fort de soutenabilité sur l'année 2027.

Calendrier initial et actualisé de livraison des programmes
dans le cadre du plan 15 000

Nombre de projets devant être livrés par année :

Nombre de places devant être livrées par année :

Source : commission des finances, d'après les données transmises au rapporteur et les documents budgétaires

Ainsi, le calendrier révisé prévoit la livraison de 19 projets et de près de 9 115 places en 2027, alors qu'il était initialement prévu que 11 opérations s'achèvent en 2027, pour un peu plus de 5 900 places. Cela signifie que, du fait des retards constatés en phase de fiabilisation du foncier, d'études et de travaux, la fin de plusieurs opérations a été décalée de plusieurs mois, voire de plusieurs années. Ce report vers 2027 ne laisse absolument plus aucune marge de manoeuvre pour achever la mise en oeuvre du plan 15 000 dans le calendrier initial, en dépit des efforts et du suivi au quotidien de ces projets par le maître d'ouvrage, l'APIJ.

S'agissant des aspects budgétaires, le constat est le même, avec un surcoût évalué pour le moment à 20 % par rapport à la prévision initiale de 4,5 milliards d'euros. Les données analysées par le rapporteur spécial dans son rapport d'information sur le plan 15 00044(*) font état de coûts actualisés atteignant 5,6 milliards d'euros. Ce montant sera lui aussi probablement dépassé, d'autant qu'il inclut des projets qui sont encore en phase d'études et qui ont vu leur coût être réévalué avant même l'engagement des travaux et la prise en compte des aléas qui ne manqueront pas de survenir au cours des opérations.

Le rapporteur spécial a ainsi plaidé pour la mise en place d'un comité d'audit auprès de l'APIJ (recommandation n° 9), qui permettrait de suivre de manière beaucoup plus fine chacun des projets, d'analyser le passage des coûts théoriques aux coûts réels, de documenter le coût des modifications techniques et donc, in fine, de faciliter la prise de décisions. Si un comité de suivi des investissements a été mis en place, ce qui était absolument nécessaire au regard des projets de grande ampleur menés par le ministère de la justice, le comité d'audit doit permettre un suivi du plan « au quotidien » et quasiment à l'euro près.

De même, et cette fois-ci dans l'optique d'éviter les surcoûts « facilement évitables », le rapporteur spécial a insisté auprès de l'ensemble des personnes entendues en audition sur la nécessité de davantage impliquer les personnels de l'administration pénitentiaire dans les chantiers des opérations (recommandation n° 2). Ces équipes « test » seraient en mesure de repérer le plus tôt possible les éventuels défauts de conception et de proposer d'y remédier à moindre coût (ex. absence de barreaux aux fenêtres de parloirs avocat donnant sur un toit terrasse, isolation par l'intérieur pouvant servir de caches pour des produits illicites, châssis des fenêtres démontables en quelques minutes, etc.).

b) Des crédits d'entretien et de maintenance à sanctuariser

Il convient enfin de souligner que le plan « 15 000 places » ne peut à lui seul résumer l'action immobilière de la direction de l'administration pénitentiaire (DAP) même s'il en consomme la majorité des crédits. La DAP dispose ainsi en 2024 d'une enveloppe de 141,5 millions d'euros dédiés à la maintenance et à l'entretien des bâtiments, à laquelle s'ajoutent 43 millions d'euros pour initier des opérations de rénovation énergétique du parc immobilier pénitentiaire. À noter que les travaux lourds des établissements de Fresnes, La Santé (Paris) et des Baumettes (Marseille) font l'objet de crédits spécifiques et ne sont pas inclus dans ce montant.

De fait, depuis 2020 une enveloppe moyenne de 140 millions d'euros est désormais sanctuarisée pour les opérations de maintenance et d'entretien du parc. Le rapporteur spécial ne peut que saluer et soutenir cette décision : la sous-dotation de ces opérations jusqu'en 2016 (40 à 60 millions d'euros par an) n'a conduit qu'à accroître la vétusté des établissements pénitentiaires, au détriment des conditions de vie des détenus, des relations avec les surveillants pénitentiaires et, in fine, de l'État, condamné à plusieurs reprises du fait de conditions de détention indignes. Or, les bâtiments se dégradent d'autant plus vite en situation de surpopulation carcérale et d'insuffisance, jusqu'à récemment, des moyens consacrés à leur maintenance.

La répartition de cette enveloppe fait l'objet d'un dialogue de gestion avec les directions régionales pour s'assurer que l'intégralité des crédits puisse bien être consommée : cela suppose de disposer des compétences nécessaires pour engager les projets mais également de procéder à des arbitrages entre les établissements en état de fonctionner mais nécessitant une rénovation et les établissements dans un état déplorable qui ont besoin d'une restructuration complète, au risque d'épuiser l'enveloppe disponible.

Tout l'enjeu justement est de parvenir à mobiliser davantage de crédits pour les établissements qui sont trop vétustes pour bénéficier simplement d'opération de maintenance et d'entretien et qui ne font pas pour autant partie des bâtiments démolis ou restructurés dans le cadre du plan 15 000. Dans son rapport d'information précité, le rapporteur spécial a considéré qu'ils devraient être concernés en priorité par le futur programme immobilier pénitentiaire, soit pour être démolis et reconstruits, soit pour faire l'objet d'une restructuration (recommandation n° 7). La première option a par exemple été choisie pour le centre de Bordeaux-Gradignan, que le rapporteur spécial a pu visiter.

Enfin, si le rapporteur spécial note avec intérêt le déblocage de 43 millions d'euros spécialement dédiés à la performance énergétique, il regrette que des données plus fines ne soient pas justement transmises sur la performance énergétique du parc immobilier pénitentiaire, en incluant les établissements en contrat de partenariat et ceux en gestion déléguée45(*).

2. La protection judiciaire de la jeunesse et les 20 nouveaux centres éducatifs fermés

La progression des opérations immobilières est tout aussi heurtée pour ce qui relève du périmètre de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ). Dans le cadre de son rapport d'information, le rapporteur spécial s'est en effet également intéressé au plan de création de 20 centres éducatifs fermés (CEF), qui présente les mêmes décalages budgétaires et calendaires que le plan 15 000, certes sur un programme immobilier de bien moindre ampleur.

Ainsi, sur les 20 CEF envisagés, cinq projets ne disposent pas encore du foncier nécessaire et trois seulement ont été livrés, à Épernay, Bergerac et Saint-Nazaire. Trois autres seulement devraient ouvrir en 2024, à Rochefort, en Guyane et au Vernet, et neuf entre 2025 et 2027. Au mieux, ce sont donc 15 centres qui seraient livrés à la date initiale d'échéance du plan.

État d'avancement du plan de création
de 20 centres éducatifs fermés

Source : commission des finances, d'après les données transmises au rapporteur

Ces retards ne découragent pas la DPJJ, qui a annoncé en audition au rapporteur spécial que deux CEF supplémentaires étaient désormais envisagés, dans la Nièvre et à Mayotte.

En termes budgétaires, le constat est le même, avec un quasi quadruplement du coût total de l'investissement. Initialement estimé à 30 millions d'euros lors du lancement du plan à l'automne 2018, il a récemment été réévalué à 110 millions d'euros, sans compter les deux nouveaux CEF. Or, la plupart de ces CEF étant encore en phase d'études, voire de recherche foncière, ce montant pourrait encore connaître d'importantes réévaluations, comme ce qui a été constaté sur le plan 15 000.

Pour autant, à l'instar de l'administration pénitentiaire, la DPJJ a préservé une partie de son budget immobilier pour des dépenses d'entretien, à hauteur de 45,9 millions d'euros en CP en 2024. Elle a toutefois indiqué en audition que la difficulté était moins d'obtenir les crédits que de parvenir à les dépenser correctement. L'étendue du parc immobilier de la protection judiciaire de la jeunesse ainsi que la multitude des modalités d'accueil (milieu ouvert et fermé) supposerait en effet, selon la DPJJ, des moyens humains de pilotage « considérables ».

3. Des décalages calendaires et budgétaires sur l'immobilier judiciaire

Si près de la moitié des crédits immobiliers de la mission « Justice » sont alloués à l'administration pénitentiaire en 2024, la direction des services judiciaires bénéficie également d'un budget immobilier conséquent du fait de la densité de son parc. Au 1er janvier 2024, les juridictions de l'ordre judiciaire comprendraient la Cour de cassation, 36 cours d'appel, le tribunal supérieur d'appel de Saint-Pierre-et-Miquelon, 164 tribunaux judiciaires, 125 tribunaux de proximité, 134 tribunaux de commerce, 210 conseils de prud'hommes et 6 tribunaux de travail.

Le budget accordé à la direction des services judiciaires pour ses opérations immobilières doit lui permettre :

- de répondre à la hausse des prix de l'énergie et des petites opérations de maintenance et d'entretien ;

- d'accompagner la hausse des effectifs avec des prises à bail suffisantes, même s'il convient de relever qu'il pourrait y avoir un décalage entre l'arrivée des effectifs supplémentaires et les ajustements immobiliers, mécaniquement lié à la lourdeur de ces opérations ;

- de poursuivre un programme de rénovation.

Au regard de ces enjeux, le rapporteur spécial souhaite souligner le dynamisme de la trajectoire engagée par le ministère, avec une hausse de 93 millions d'euros des crédits alloués à l'immobilier judiciaire en 2024. Ils atteindraient ainsi 456,3 millions d'euros en AE et 361,9 millions d'euros en CP pour les dépenses dites du « propriétaire ». Ces crédits doivent notamment permettre de moderniser le parc immobilier judiciaire et de financer des opérations inscrites dans la nouvelle loi de programmation, que ce soit pour accompagner l'évolution des juridictions, améliorer les conditions de travail des personnels des services judiciaires ou mieux accueillir les justiciables.

Le principal enjeu pour la direction est de trouver un bon équilibre entre les projets les plus coûteux et les projets de moindre ampleur mais absolument nécessaires pour rénover les bâtiments ou ajuster la surface des locaux : les premiers ne doivent pas « aspirer » l'ensemble des crédits programmés au détriment des seconds. En 2024, un premier équilibre apparaît dans la répartition46(*), avec notamment :

96,5 millions d'euros en CP pour les opérations gérées en mode déconcentré, avec la mise à niveau du parc immobilier au regard de la sécurité des personnes, des mises aux normes règlementaires, de la mise en sûreté des palais de justice ou encore des opérations de gros entretien et de mise en accessibilité ;

106,8 millions d'euros ont été délégués à l'APIJ, notamment pour des opérations antérieures à 2018. La majeure partie des crédits est allouée aux trois projets de construction et de rénovation de très grande ampleur que sont le nouveau palais de justice de Lille, le palais de justice de l'île de la Cité (Paris) et la réhabilitation-extension du palais de justice de Perpignan ;

64,5 millions d'euros devraient permettre de lancer des opérations déjà identifiées dans la loi de programmation 2018-2022 et de réforme de la justice47(*), qui ont donc pris du retard. Il s'agit par exemple de la remise aux normes et de l'extension du tribunal judiciaire de Bobigny, de la construction de la cité judiciaire de Cayenne, de la restructuration des tribunaux judiciaires de Chartres, de Rouen, de Pointe-à-Pitre et de Moulins, de la construction d'une cité judiciaire à Nancy ou encore de l'extension des tribunaux judiciaires de Nantes et de Fort-de-France ;

8,68 millions d'euros seraient alloués au lancement d'opérations identifiées dans les schémas directeurs réalisés dans le cadre de la loi de programmation 2018-2022. Il s'agit notamment de projets à Cherbourg (palais de justice), de Colmar (tribunal judiciaire et le conseil de prud'hommes), à Marseille (cité judiciaire), à Douai (tribunal judiciaire), Nancy (cour d'appel et service administratif régional), Saint-Brieuc (regroupement de juridictions) et Saint-Denis de La Réunion (extension du tribunal judiciaire) ;

26,7 millions d'euros seraient mobilisés pour des opérations « lourdes » avec d'importants besoins de restructuration, comme à Argentan, Arras, Draguignan, Évry, Grasse, Montpellier, Rennes et Verdun. Ces opérations, identifiées dans le cadre de la nouvelle programmation 2023-2027, ont été confiées à l'APIJ ;

5,1 millions d'euros en CP enfin pour des nouvelles opérations induites par le renforcement des effectifs, telles que la restructuration du tribunal judiciaire de Bonneville, la création d'une annexe au tribunal judiciaire de Brest ou encore la création d'une annexe au tribunal judiciaire de Valence ;

Toutefois, et à l'instar de ce que le rapporteur spécial avait pu constater sur les opérations immobilières pénitentiaires dans le cadre du plan 15 000, les opérations menées sur l'immobilier judiciaire connaissent elles aussi d'importants décalages calendaires et budgétaires. Ainsi, en moyenne, le coût actualisé des projets immobiliers judiciaires serait supérieur de 36 % au coût initial et les délais de livraison supérieurs de 24 % à ceux initialement envisagés48(*).

Évolution du coût et du calendrier
de 10 opérations d'immobilier judiciaire

Coût initial et révisé (en millions d'euros)

Calendrier initial et révisé (en mois)

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

Comme pour l'immobilier pénitentiaire, les explications avancées par le ministère ne peuvent pas simplement se focaliser sur l'inflation ou les tensions en approvisionnement des matériaux : certaines opérations sont antérieures à 2018 et certains projets ont vu leur coût et leur calendrier s'allonger avec les nouvelles spécifications techniques des cahiers des charges, plus importante source de surcoûts.

II. MESURER ET ÉVALUER LES MOYENS BUDGÉTAIRES OCTROYÉS À LA MISE EN oeUVRE DES RÉFORMES DE LA JUSTICE

Après avoir présenté les enjeux du ministère de la justice en matière de fonctions support, absolument essentielles pour que les personnels soient en capacité d'assurer pleinement leurs missions, le rapporteur spécial a souhaité terminer son examen de la mission « Justice » en s'intéressant aux politiques justement mises en oeuvre par ces personnels. Deux angles ont été retenus : la traduction budgétaire des réformes intervenues ces deux dernières années en matière judiciaire et l'accès au droit, un axe essentiel du service public de la justice.

A. LES RÉCENTES RÉFORMES VOTÉES PAR LE PARLEMENT DEVRAIENT TROUVER UNE PREMIÈRE TRADUCTION EN 2024

L'année dernière, le rapporteur spécial s'était penché sur la priorité donnée à la justice de proximité, sur les peines alternatives à la réinsertion ainsi que sur le nouveau code de justice pénale des mineurs. Il a choisi cette année deux autres angles : l'équipe autour du magistrat et la loi organique relative à l'ouverture, à la modernisation et à la responsabilité du corps judiciaire49(*), objets des réformes les plus récentes votées par le Parlement, qui auront des effets à court et moyen terme sur la mission « Justice ».

1. La constitution de l'équipe autour du magistrat

La constitution d'une équipe autour du magistrat apparait clé pour alléger la charge de travail des magistrats afin qu'ils puissent se concentrer sur leurs missions fondamentales. Elle implique le recrutement suffisant de greffiers et de juristes assistants, ce qui ne peut se faire sans une réflexion sur leurs statuts et sur la valorisation de ses métiers. Cette réflexion est essentielle, ainsi que le relève la Cepej : « l'existence, aux côtés des juges, d'un personnel compétent exerçant des fonctions bien définies et doté d'un statut reconnu est une condition essentielle au fonctionnement efficace des systèmes judiciaires »50(*). Un rapport sur ce sujet avait été remis à l'été au garde des Sceaux à l'été 2022 par Dominique Lottin, magistrate, ex-membre du Conseil constitutionnel (2017-2022).

À la suite des États généraux de la justice et de ces travaux, l'article 11 du projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-202751(*) prévoyait de consacrer un chapitre du code de l'organisation judiciaire à l'équipe autour des magistrats, avec deux articles définissant le statut des attachés de justice, qui succèdent aux juristes assistants, et celui des assistants spécialisés. Ils peuvent désormais recevoir des délégations de signature en matière de réquisitions pénales et également, pour les attachés de justice, en matière civile.

Sur les 1 307 ETP créés sur le programme 166 « Justice judiciaire », environ 400 postes de contractuels seraient consacrés au renforcement de l'équipe autour du magistrat. Par ailleurs, si la direction des services judiciaires entend s'appuyer sur les référentiels de charge de travail pour répartir les renforts en personnel sur ces prochaines années, elle insiste également sur la nécessité de revoir les organisations en interne pour optimiser le traitement des dossiers, en s'appuyant justement sur l'équipe autour du magistrat.

Alors que les deux statuts d'attachés de justice et d'assistants spécialisés viennent tout juste d'être renforcés, le rapporteur spécial portera une attention particulière, lors de l'examen de l'exécution du budget 2024 et de la préparation du budget pour 2025, aux recrutements effectués sous ces deux statuts ainsi qu'aux moyens qui leur ont été alloués pour accomplir leurs missions, en appui des magistrats. Il estime également que ces personnes pourraient, pour une partie d'entre elles, présenter des qualifications et une expérience suffisantes pour ensuite souhaiter se présenter au concours de l'École nationale de la magistrature, constituant par là un nouveau vivier de recrutement pour l'ENM.

2. La loi organique relative à l'ouverture, à la modernisation et à la responsabilité du corps judiciaire

Le même effet budgétaire « décalé » serait observé pour les dispositions de la loi organique du 20 novembre 2023 relative à l'ouverture, à la modernisation et à la responsabilité du corps judiciaire, qui nécessitent en effet de nombreuses mesures règlementaires d'application et prévoient des mesures transitoires.

Quelques-unes commenceraient toutefois à produire leurs effets dès le projet de loi de finances pour 2024. L'évaluation élargie des chefs de cours supposerait la mobilisation de 1,2 million d'euros en fonctionnement, hors coût induit par l'intervention d'un prestataire externe, qui serait a minima chargé de former les membres du collège d'évaluation.

La création d'un troisième grade au sein de la hiérarchie judiciaire aura un impact au plus tard en 2026, la mesure devant entrer en vigueur à une date fixée par décret et au plus tard le 31 décembre 2025. Elle amènera toutefois à une révision du régime indemnitaire des magistrats, déjà affecté en 2023 et en 2024 par la révision des primes forfaitaire et modulable, pour permettre la revalorisation de 1 000 euros en moyenne du traitement des magistrats.

Enfin, la possibilité de procéder au recrutement de magistrat exerçant à titre temporaire et de magistrats honoraires exerçant des fonctions juridictionnelles devrait se traduire par un coût supplémentaire de 1,1 million d'euros en 2024 sur les dépenses de personnel. Ces magistrats honoraires sont notamment susceptibles d'être mobilisés dans le cadre des cours criminelles départementales (cf. supra).

B. GARANTIR L'ACCÈS AU DROIT EN PRÉSERVANT LES MOYENS ALLOUÉS À L'AIDE JURIDICTIONNELLE

1. Une hausse des crédits demandés au titre de l'aide juridictionnelle, dans la continuité des exercices précédents

Les crédits demandés sur le programme 101 « Accès au droit et à la justice » connaîtraient une hausse de 3,1 % entre 2023 et 2024, pour atteindre 734,2 millions d'euros en AE et en CP. Principalement dédiés à l'aide juridictionnelle, au soutien aux victimes et au financement de l'accès au droit, 98,3 % des crédits de ce programme correspondent à des dépenses d'intervention (titre 6).

Ces crédits sont peu sensibles à l'inflation. Ainsi, alors que les crédits dédiés à l'aide juridictionnelle représentent près de 90 % des crédits du programme - 657,1 millions d'euros en 2024, en hausse de 16 millions d'euros par rapport à la loi de finances pour 2023 (+ 2,5 %) - l'indemnisation des avocats au titre de l'aide juridictionnelle est fixée par le biais de l'unité de valeur, dont le montant est défini en loi de finances. L'aide juridictionnelle constitue toutefois une dépense d'intervention dite « à guichet ouvert », dans le sens où elle est automatiquement versée à tout bénéficiaire respectant les conditions définies par des textes législatifs et règlementaires. C'est principalement ce qui explique son dynamisme sur le long terme.

Évolution des crédits budgétaires et
du nombre d'admissions au titre de l'aide juridictionnelle

(en nombre et en millions d'euros)

Source : commission des finances, d'après les données transmises dans le questionnaire budgétaire

Il convient par ailleurs de noter que, pour 2023, le Gouvernement a proposé, dans le cadre du projet de loi de finances de fin de gestion, de ne pas annuler toute la réserve de précaution sur le programme 101, du fait du dynamisme des dépenses d'aide juridictionnelle. En effet, au 31 juillet 2023, 81,9 % des crédits de paiement alloués à l'aide juridictionnelle avaient été consommés52(*).

2. Une réforme de l'aide juridictionnelle doublée d'une modernisation de son système d'information

L'aide juridictionnelle a été profondément réformée dans le cadre de la loi de finances pour 202053(*), qui a conduit à simplifier les critères d'éligibilité, à harmoniser la manière dont les bureaux d'aide juridictionnelle (BAJ) traitent les demandes d'admission formulées par les justiciables, à autoriser la formulation d'une demande d'aide juridictionnelle par la voie électronique et à faire évoluer l'organisation et l'implantation des BAJ.

Depuis plusieurs exercices, les dépenses au titre de l'aide juridictionnelle ne cessent d'augmenter. Elles passeraient ainsi de 313,7 millions d'euros en 2015 à 657,1 millions d'euros en 2024, ce qui veut dire qu'elles auraient plus que doublé en dix ans54(*). En revanche, le nombre de bénéficiaires de l'aide juridictionnelle augmenterait dans une moindre mesure sur la même période, de 15 % entre 2015 et 2022 (dernières données connues).

Plusieurs facteurs expliquent ces évolutions :

les diverses réformes intervenues avant 2023 et dont les effets budgétaires sont progressifs telles que la revalorisation de la rétribution des avocats, la révision de la rétribution de certains contentieux, l'extension de la présence obligatoire d'un avocat, par exemple lors de la garde à vue ou de l'audition libre d'un mineur ou de l'audience d'une personne faisant l'objet de soins sans consentement ;

l'accroissement du nombre et de la durée des gardes à vue ;

le rattrapage de la sous-activité temporaire des juridictions en 2020 en raison de la crise sanitaire ;

le nouveau relèvement à 36 euros55(*) du montant de l'unité de valeur (UV) qui sert à calculer la rétribution des avocats ;

- l'assistance apportée à un grand nombre de parties civiles pour les procès d'assises qui font suite aux attentats de novembre 2015 et à l'attentat de Nice ;

- la revalorisation à 50 % en 2023 des rétributions versées à ceux des auxiliaires autres qu'avocats dont les intervenions sont tarifées. Les officiers publics ministériels56(*) n'avaient ainsi pas été augmentés depuis 1992.

Le délai de traitement des demandes d'aide juridictionnelle, qui sont instruites par les bureaux d'aide juridictionnelle (BAJ) s'est légèrement accru en 2022, à hauteur de 53,1 jours, contre 49,8 jours en 2021. Pour mémoire, le Gouvernement prévoyait initialement une cible de 38 jours en 2022, qui avait suscité un certain scepticisme de la part du rapporteur spécial. De fait, les délais atteints en 2019 (41,4 jours) n'ont pas pu encore être retrouvés, en dépit du déploiement du nouveau système d'information de l'aide juridictionnelle (SIAJ).

En effet, alors que le nombre de demandes d'admission à l'aide juridictionnelle est considérable, l'importance de la dématérialisation de ces procédures ne peut être que soulignée. Or, force est de constater que celle-ci est toujours insuffisante puisque seulement 8 % des demandes ont été déposées et traitées par voie dématérialisée en 2022 et que la cible s'établit à plus de 50 % en 2023, ce qui apparaît peu réaliste. En audition, le secrétariat général du ministère de la justice a avancé des prévisions plus réalistes, de l'ordre de plus de 10 % en 2023 et de plus de 15 % en 2024.

Le déploiement du SIAJ, qui remplace l'application AJWIN, datée de plus de vingt ans, est quasiment achevé et doit permettre une forte progression de la dématérialisation des demandes d'aide juridictionnelle. Il devrait ainsi être déployé dans tous les bureaux de métropole d'ici la fin de l'année 2023 et dans les bureaux d'outre-mer en 2024. Le rapporteur spécial souligne ici l'engagement du secrétariat général : alors que le SIAJ était déployé dans moins de la moitié du territoire métropolitain en 2022, l'effort mené cette année a permis de respecter le calendrier initialement fixé.

Une fois le déploiement de SIAJ définitif et dès lors qu'un nombre significatif de demandes sera fait en ligne, le secrétariat général du ministère de la justice indique que le délai cible de traitement serait ramené à cinq jours, contre une moyenne de neuf jours aujourd'hui - à partir du moment où le dossier est complet - ce qui constituerait une avancée considérable pour les justiciables. De même, le secrétariat général a lancé une expérimentation visant à regrouper les BAJ dans un seul bureau près de la cour d'appel. Trois cours d'appel sont concernées, sur la période allant des mois de juin 2023 à juin 2024. L'objectif est d'accroître la professionnalisation du traitement des demandes d'aide juridictionnelle, avec une spécialisation des personnels. Certains bureaux comptent en effet aujourd'hui à peine une personne en équivalent temps plein, ce qui ne permet pas nécessairement de maintenir un haut niveau de service.

Pour autant, en dépit de ces réformes successives, l'évolution de l'aide juridictionnelle suscite encore des inquiétudes, en particulier parmi les avocats. Le Conseil national des barreaux a ainsi alerté sur le fait que l'indemnisation des avocats demeurait limitée au regard des frais engagés et qu'environ 40 % des avocats pouvaient travailler à perte sur un dossier d'aide juridictionnelle relevant de la justice pénale.

Le comité des États généraux de la Justice57(*) avait repris une partie des revendications exprimées par le CNB, avec notamment la revalorisation de certains actes. Pour le rapporteur spécial, une réflexion sur la revalorisation de l'unité de valeur devra s'accompagner d'un même travail sur la liste des prestations éligibles à l'aide juridictionnelle, en conciliant à la fois la maîtrise des coûts et la garantie de l'accès au droit. En ce sens, le comité propose en parallèle un renforcement du rôle de filtre exercé par les bureaux d'aide juridictionnelle, ce qui correspond au sens des réformes adoptées par le Parlement ces dernières années en matière d'aide juridictionnelle.

3. Un renforcement des moyens alloués à l'aide aux victimes

Les crédits dédiés à l'aide aux victimes font à nouveau l'objet d'une revalorisation dans le projet de loi de finances pour 2024. En s'établissant à 46,5 millions d'euros, ils augmentent de 8,1 % par rapport à 2023 (43 millions d'euros), après une progression de près de 7 % entre 2023 et 2022 (40,3 millions d'euros).

Cette hausse permet d'augmenter le financement des associations locales d'aide aux victimes, de développer l'accueil des victimes, d'améliorer leur accompagnement et leur prise en charge pour les plus gravement traumatisées. C'est également par ce canal que sont financées les actions de soutien aux personnes victimes de violences conjugales (prise en charge, déploiement des téléphones grave danger).

Au mois de juillet 2023, plus de 5 400 téléphones grave danger avaient été déployés, contre 4 300 au mois de juillet 2022. Les crédits alloués à ce dispositif ainsi qu'à la plateforme d'assistance téléphonique « 116 006 » augmenteraient de 36 % en projet de loi de finances pour 2024, pour atteindre 10,5 millions d'euros.

LES MODIFICATIONS CONSIDÉRÉES COMME ADOPTÉES PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE EN APPLICATION DE L'ARTICLE 49, ALINÉA 3 DE LA CONSTITUTION

Le Gouvernement, dans le cadre du texte sur lequel il a engagé sa responsabilité en application de l'article 49 alinéa 3 de la Constitution, a retenu deux amendements identiques n° II- 1852 et II-1800 de M. Patrick Hetzel, rapporteur spécial de la mission « Justice », et de Mme Perrine Goulet et de plusieurs de ses collègues (Horizons). Avant l'engagement de la responsabilité du Gouvernement, ces deux amendements avaient été examinés en séance publique, avec un avis favorable du Gouvernement qui en avait levé le gage.

Les amendements majorent de deux millions d'euros les autorisations d'engagement (AE) et les crédits de paiement (CP) de l'action 1 « Aide juridictionnelle » du programme 101 « Accès au droit et à la justice » et minorent en conséquence de deux millions d'euros les AE et les CP de l'action 9 « Action informatique ministérielle » du programme 310 « Conduite et pilotage de la politique de la justice »58(*).

La majoration vise à rehausser les crédits de l'aide juridictionnelle pour tirer les conséquences de l'article 26 de la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants59(*), qui autorise les présidents des conseils départementaux à demander à ce qu'un enfant soit accompagné d'un avocat lors de la procédure d'assistance éducative.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 22 novembre 2023, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a examiné le rapport de M. Antoine Lefèvre, rapporteur spécial, sur la mission « Justice ».

M. Claude Raynal, président. - Nous examinons à présent les crédits de la mission « Justice ».

M. Antoine Lefèvre, rapporteur spécial de la mission « Justice ». - Il me revient de vous présenter les crédits demandés en 2024 sur la mission « Justice », qui comprend l'ensemble des moyens de la justice judiciaire, de l'administration pénitentiaire, de la protection judiciaire de la jeunesse, du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) et du secrétariat général du ministère de la justice.

Je commencerai en rappelant le constat accablant dressé par le comité des États généraux de la justice, celui d'un service public de la justice en crise majeure, d'un bateau naufragé qui a pris l'eau progressivement. La loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, votée il y a quelques semaines, s'inscrit dans ce contexte. C'est bien à l'aune de ce constat que nous devons apprécier la trajectoire des crédits alloués à la justice.

Les hausses budgétaires significatives constatées depuis 2021 paraissent essentielles pour commencer à combler les retards accumulés par la justice. L'année 2024 se place dans cette tendance : les autorisations d'engagement s'élèveraient à 14,8 milliards d'euros, en hausse de 13,8 %, tandis que les crédits de paiement atteindraient 12,2 milliards d'euros, en hausse de 5,2 %. En dix ans, le budget de la justice aurait ainsi augmenté de plus de 54 %, avec une accélération très nette depuis 2021. Entre 2021 et 2024, les crédits alloués à la justice ont augmenté deux fois plus vite que sur la période 2015-2020.

Tous les programmes connaîtraient une augmentation de leurs crédits, en large partie du fait des dépenses de personnel. Le ministre de la justice s'est en effet engagé à procéder à la création de 10 000 emplois sur la période 2023-2027, dont 1 500 postes de magistrats et 1 800 postes de greffiers, une cible relevée sur l'initiative du Sénat. L'année 2024 marquerait la deuxième tranche de mise en oeuvre de ce plan de recrutement, avec un schéma d'emplois positif de 1 925 équivalents temps plein (ETP). Ainsi, il serait créé 305 postes de magistrats, 340 postes de greffiers et 447 postes pour l'administration pénitentiaire. Les opérateurs de la mission, à savoir l'École nationale de la magistrature (ENM) et l'École nationale d'administration pénitentiaire (ENAP) bénéficieraient respectivement du renfort de 33 et 3 personnes.

De même, des crédits supplémentaires sont en parallèle accordés aux deux écoles pour étendre leurs emprises immobilières. Lorsqu'on parle de recrutements supplémentaires, il ne faut en effet pas oublier la logistique, notamment pour former ces nouveaux personnels dans des conditions correctes.

La professionnalisation de la gestion des ressources humaines, recommandée par le comité des États généraux de la justice, ne peut pas se résumer à une hausse des effectifs. Elle implique également de prendre en compte les questions relatives au vivier de recrutement et à la revalorisation de métiers en perte d'attractivité. Les efforts budgétaires seraient particulièrement soutenus sur ce dernier aspect.

Le montant total des mesures indemnitaires et statutaires s'élèverait ainsi à 203,3 millions d'euros en 2024, soit 40 % de la hausse des dépenses de personnel. Elles comprennent des mesures attendues et réclamées de longue date, telles que la hausse du traitement des magistrats, de l'ordre de 1 000 euros par mois depuis octobre 2023, le passage des surveillants pénitentiaires de la catégorie C à la catégorie B et des officiers pénitentiaires de la catégorie B à la catégorie A, ou encore le nouveau protocole d'accord avec les greffiers, qui prévoit également la création d'un corps de catégorie A pour environ 3 200 d'entre eux.

Ces mesures sont primordiales pour revaloriser ces métiers et pour pallier leur défaut d'attractivité. À titre d'exemple, la rémunération des magistrats n'avait pas été revalorisée depuis 1996. Dans le même temps, les taux de vacance demeurent élevés, de 4 % à 7 % selon les métiers.

Concernant ensuite les dépenses de fonctionnement et d'investissement, leur évolution est contrastée. Les crédits alloués au fonctionnement augmentent, ceux alloués aux investissements baissent. Cette diminution s'explique principalement par le plus faible nombre d'établissements pénitentiaires qui seraient livrés en 2024 dans le cadre du plan de construction de 15 000 places de détention supplémentaires, par rapport à 2023. Mes travaux de contrôle sur la mise en oeuvre du plan 15 000 montrent qu'il y aurait un creux en 2024, la majeure partie des livraisons étant reportée à 2026 et, surtout, à 2027.

Au regard de la nature même des métiers de la justice, articulés autour des juridictions, des établissements pénitentiaires et de la prise en charge des mineurs, l'immobilier constitue bien un aspect essentiel pour apprécier la programmation budgétaire. Les crédits immobiliers alloués à l'administration pénitentiaire s'élèveraient ainsi à 658,7 millions d'euros en 2024, dont 518,7 millions d'euros pour le seul plan 15 000. Je ne reviendrai pas sur les décalages calendaires et budgétaires constatés sur ce plan, je soulignerai simplement que l'on observe les mêmes décalages sur le parc immobilier judiciaire. Pour les 21 plus grandes opérations, le coût révisé excède de 36 % le coût prévisionnel initial, tandis que les délais de livraison seraient supérieurs de 24 % à ceux initialement envisagés.

Un point positif doit être souligné, les administrations ont obtenu de préserver des enveloppes spécifiques de crédits pour les opérations d'entretien et de maintenance, ainsi que pour accroître la performance énergétique des bâtiments. C'est d'autant plus primordial que, par exemple, pour l'administration pénitentiaire, la surpopulation accélère le vieillissement des bâtiments et contribue à la dégradation des conditions de prise en charge des détenus, pour lesquelles la France est régulièrement condamnée.

Je ferai les mêmes constats pour le budget informatique : l'évolution dynamique des crédits est très positive au regard des besoins du ministère de la justice, mais encore faut-il que les projets soient correctement menés. Les personnels ont trop souvent critiqué des applications vétustes, complexes ou sources de nouvelles contraintes. L'usager doit être placé au centre des développements informatiques et numériques.

Une de nos recommandations est enfin entendue : rapprocher les cellules de soutien informatique au plus proche des juridictions. L'année 2024 sera marquée par le déploiement des techniciens informatiques de proximité. Dans chaque juridiction, les magistrats auront un référent auquel s'adresser pour résoudre les difficultés informatiques qu'ils rencontrent au quotidien.

S'agissant des dépenses d'intervention, elles augmenteraient de 3 %, ce qui correspond principalement à l'évolution tendancielle de l'aide juridictionnelle. Cette dernière, qui s'apparente à une dépense de guichet, représenterait près de 62 % des crédits d'intervention. C'est un poste de dépenses dynamique : encore dans le projet de loi de finances de fin de gestion (PLFG), que nous avons examiné lundi, il est prévu une moindre annulation de la réserve de précaution sur ce programme, pour pallier la forte consommation des crédits alloués à l'aide juridictionnelle. En dix ans, ces dépenses ont plus que doublé alors que le nombre de bénéficiaires n'a augmenté que de 15 %.

L'évolution des crédits demandés sur la mission « Justice » est très dynamique, pour la quatrième année consécutive. Hors contribution au compte d'affectation spéciale (CAS) « Pensions », les crédits de paiement s'élèveraient à 10,08 milliards d'euros, ce qui est conforme à la trajectoire que nous avons votée il y a quelques semaines dans le cadre de la loi de programmation. La première année de programmation n'est souvent pas difficile à tenir, nous verrons ce qu'il en sera ces prochaines années, d'autant que l'inflation doit maintenant être pleinement intégrée à la prévision. Sur la période 2023-2027, les crédits progresseraient de 12 % en valeur mais seulement de 4 % en volume, en raison de l'inflation.

Par ailleurs, la hausse des crédits alloués à la justice me semble justifiée au regard du retard accumulé ces dernières décennies. Selon les données publiées par la Commission européenne pour l'efficacité de la justice (Cepej), la France consacrait 72,5 euros par habitant à son système judiciaire en 2020, soit près de deux fois moins que l'Allemagne. Elle est le seul grand pays européen à consacrer moins de 0,30 % de son PIB à la justice. Je rappellerai ici les propos du président Sauvé, avec qui j'avais échangé l'année dernière : « On ne peut plus continuer d'appliquer une multitude de rustines à une chambre à air dont on n'a pas voulu voir qu'elle était usée. »

Pour autant, et j'insiste souvent sur ce point lors des auditions et de mes échanges avec le ministre, soutenir la hausse des crédits octroyés à la justice n'est pas donner un blanc-seing au Gouvernement. L'effort en dépenses doit s'accompagner d'un meilleur suivi des crédits en gestion et, surtout, d'une meilleure évaluation des politiques publiques conduites avec ces moyens supplémentaires. Or la culture de l'évaluation fait souvent défaut au ministère de la justice. J'ai pu m'en rendre compte lors de mes travaux de contrôle sur le plan 15 000 et le plan de création de 20 centres éducatifs fermés (CEF) ; nous ne disposons pas, par exemple, d'étude qualitative sur l'impact des différentes mesures de placement des mineurs sur leur parcours de vie et sur leur probabilité de récidive ou de réitération. Je rejoins ici un constat de la mission commune d'information de nos commissions des lois et de la culture qui avait elle aussi appelé à développer ces évaluations.

Or une loi de programmation, telle que je la conçois, ne se limite pas à la définition d'indicateurs de performance et de lignes de crédits et d'emplois. Elle doit être l'occasion pour le ministère concerné de s'interroger sur le sens des politiques publiques qu'il mène, sur la qualité du service public qu'il soutient et sur sa propre gestion des moyens, budgétaires comme humains.

Je vous proposerai donc d'adopter les crédits de la mission « Justice ».

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Ce travail s'inscrit dans le droit fil du rapport de contrôle que le rapporteur spécial nous a présenté récemment sur le « plan 15 000 ».

J'ai souvent évoqué le verdissement du budget, dont la couleur est en réalité plutôt pastel... Récemment, le ministre des comptes publics comparait le nombre de mètres carrés de bureau par collaborateur dans la fonction publique - 24 mètres carrés - contre 16 mètres carrés dans le secteur privé, pour réclamer un alignement du public sur le privé dans un objectif de sobriété. Mais, à Nancy, par exemple, nous avons un tribunal dont la construction présente depuis l'origine de graves défauts ; le nouveau projet est critiqué par les professionnels qui vont l'occuper prochainement en raison de l'exiguïté des locaux. La maintenance, l'entretien et la rénovation des bâtiments de justice - qui sont souvent dans des monuments, parfois classés - sont des opérations d'une grande complexité. Pouvez-vous nous éclairer sur ce qu'envisage le ministère pour gérer cette difficile question de l'amélioration de la consommation énergétique de ces bâtiments ?

M. Michel Canévet. - Je remercie également le rapporteur spécial pour ses éclairages. Nous devrions être très satisfaits de l'augmentation des crédits de la mission « Justice », mais on entend aussi les désillusions de nos concitoyens. Concernant les personnels de la justice, on peut se féliciter de la revalorisation significative des rémunérations des magistrats, mais les greffiers, qui sont un rouage essentiel pour le bon fonctionnement de la justice, attendent également un geste. Que pouvez-vous nous en dire ?

S'agissant de l'immobilier, on regrette le retard pris dans les projets de nouvelles constructions car la surpopulation carcérale crée pour les personnes détenues des conditions de vie inacceptables. Des mutualisations avec les services de l'État spécialisés dans la construction sont-elles prévues ? Ou bien ces opérations sont-elles menées en interne par le ministère de la justice, ce qui expliquerait les délais ?

Enfin, la démultiplication des moyens informatiques est appréciable, mais l'informatisation reste un sujet de tensions au sein du ministère, ce qui explique peut-être le délai important pour rendre la justice. Savez-vous si, là aussi, des mutualisations sont opérées au sein des départements pour assurer un meilleur suivi du parc informatique ?

Mme Isabelle Briquet. - Merci au rapporteur pour son travail. J'ai la même question que M. Canévet sur la rémunération des greffiers, car nous sommes interpellés depuis de nombreux mois sur ce sujet.

Je ferai quelques remarques pour exposer la position du groupe socialiste sur cette mission. L'effort budgétaire est certain, mais notre justice ne se porte pas si bien. L'essentiel des crédits porte sur l'ouverture de nouveaux établissements pénitentiaires. La surpopulation carcérale et l'état de délabrement de certains établissements constituent des problèmes qu'il faut bien évidemment résoudre, mais sans politique de régulation carcérale, aucune évolution notable ne pourra être enregistrée.

Par ailleurs, selon la Commission européenne pour l'efficacité de la justice, la France consacre un peu plus de 72 euros par habitant et par an à son système judiciaire quand l'Allemagne en dépense le double. Un rattrapage s'impose. Nous avons 9 000 magistrats, il en faudrait 22 000 pour atteindre les standards européens.

Nous saluons la création de postes de magistrats et le renforcement de l'accès au droit. Mais l'accent mis presque exclusivement sur l'administration pénitentiaire nous conduira à nous abstenir sur le vote de ces crédits.

M. Claude Raynal, président. - Je ne vois pas d'amélioration de la situation sur le terrain, malgré des augmentations de budget significatives depuis des années. Les changements s'inscrivent certainement dans un temps long, mais un travail sur les procédures, c'est-à-dire la façon de rendre la justice, est sans aucun doute nécessaire également. Nous restons sur un système old fashioned. Une justice plus rapide en première instance serait souhaitable, mais je ne vois pas de travail en ce sens.

M. Antoine Lefèvre, rapporteur spécial. - Les questions énergétiques dans les cités judiciaires sont en effet un enjeu de taille. Les bâtiments sont souvent anciens - quelquefois ce sont des monuments historiques - et inadaptés. Dans la ville de Laon, le très beau palais épiscopal a bénéficié de travaux d'accessibilité et de modernisation, mais de nombreux efforts restent à faire. Les travaux engagés pour la cité judiciaire de Nancy ont vu leurs coûts augmenter de 26 % et leurs délais de livraison être supérieurs de 35 % à ceux initialement prévus.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Et ce n'est pas fini !

M. Antoine Lefèvre, rapporteur spécial. - À propos des contraintes pesant sur les dossiers immobiliers, l'Agence publique pour l'immobilier de la justice (APIJ) est dotée d'une expertise et mon rapport d'information sur la mise en oeuvre du plan de construction de 15 000 places de détention supplémentaires contient des propositions pour améliorer le déroulement des travaux. On a aussi besoin de standardisation, tant pour les établissements pénitentiaires que pour les cités judiciaires car, à chaque fois, avec un cahier des charges quasiment identique, on recourt à des concepteurs ou des architectes différents et on se heurte à de nouveaux problèmes. On pourrait certainement rationaliser ces opérations pour mieux tenir les délais.

Pour les greffiers, les choses avancent, les engagements du garde des sceaux ont été tenus : un protocole d'accord a été signé le 26 octobre dernier pour revaloriser au 1er janvier prochain les rémunérations des greffiers en catégorie B et créer une catégorie A, à laquelle 3 200 greffiers seront éligibles.

Le ministère pilote un plan ambitieux de transformation numérique, il n'y a pas en revanche de transversalité interministérielle, ce qui crée des problèmes d'interopérabilité, comme l'absence de compatibilité entre le logiciel du ministère de la justice et celui du ministère des finances pour le recouvrement des amendes pénales - il faut ressaisir toutes les fiches pour le recouvrement !

Enfin, une politique de régulation carcérale est souhaitable, mais très difficile à mettre en oeuvre. Après un tassement lié au confinement, nous atteignons à nouveau des records de surpopulation carcérale - il y avait plus de 74 500 détenus au 1er juillet 2023- et le plan 15 000 est très attendu pour améliorer la situation des détenus bien sûr, mais aussi pour améliorer les conditions de travail et la sécurité des agents de la pénitentiaire.

La commission a décidé de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, les crédits de la mission « Justice ».

*

* *

Réunie à nouveau le jeudi 23 novembre 2023, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a confirmé sa décision de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, les crédits de la mission « Justice ».

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Secrétariat général du ministère de la justice

- M. Philippe CLERGEOT, directeur, secrétaire général adjoint ;

- M. Jean-Yves HERMOSO, chef du service des finances et des achats et de la conformité ;

- M. Philippe CAILLOL, chef du service de l'accès au droit et à la justice et de l'aide aux victimes (SADJAV) ;

- M. Xavier ALBOUY, chef du service du numérique ;

- M. Philippe MONNOT, chef du service de l'immobilier ministériel.

Direction des services judiciaires (DSJ)

- M. Roland de LESQUEN, directeur des services judiciaires adjoint ;

- M. Gautier LEFORT, sous-directeur adjoint des finances, de l'immobilier et des performances.

Direction de l'administration pénitentiaire (DAP)

- M. Laurent RIDEL, directeur ;

- Mme Laurence VENET-LOPEZ, cheffe du service de l'administration ;

- Mme Patricia THÉODOSE, adjointe au sous-directeur de l'insertion et de la probation ;

- M. Philippe GICQUEL, sous-directeur du pilotage et du soutien des services.

Direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ)

- M. Franck CHAULET, directeur adjoint ;

- M. Hervé HUBERT, sous-directeur adjoint du pilotage et de l'optimisation des moyens.

Agence publique pour l'immobilier de la justice (APIJ)

- M. David BARJON, directeur général ;

- M. Yann BOUBES, direction financier.

LA LOI EN CONSTRUCTION

Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, le tableau synoptique de la loi en construction est disponible sur le site du Sénat à l'adresse suivante :

https://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjlf2024.html


* 1 Rapport d'information n° 37 (2023-2024), « 15 000 places de détention supplémentaires et 20 nouveaux centres éducatifs fermés en 2027 : mission impossible ? », par M. Antoine Lefèvre, fait au nom de la commission des finances, déposé le 18 octobre 2023.

* 2 Désormais loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 et loi organique n° 2023-1058 du 20 novembre 2023 relative à l'ouverture, à la modernisation et à la responsabilité du corps judiciaire.

* 3 Budget général retraité des engagements financiers de l'État, des régimes sociaux et de retraite, des relations avec collectivités territoriales et des remboursements et dégrèvements.

* 4 Ce périmètre inclut les engagements financiers de l'État, les régimes sociaux et de retraite, les relations avec les collectivités territoriales ainsi que les remboursements et dégrèvements.

* 5 Selon les premières prévisions sur le triennal 2024-2026 inscrites dans le projet annuel de performances de la mission « Justice ».

* 6 Dans le projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, 1 500 postes de greffiers supplémentaires étaient prévus.

* 7 Article 236 de la loi n° 2020-1721 du 29 décembre 2020 de finances pour 2021.

* 8 D'après les données transmises par la direction des services judiciaires lors de son audition par le rapporteur spécial.

* 9 Indicateur de performance 3.1 « Dépense moyenne de frais de justice par affaire faisant l'objet d'une réponse pénale » du programme 166 « Justice judiciaire » de la mission « Justice ».

* 10 Enquêtes aux fins de vérifier la situation matérielle, familiale et sociale d'une personne faisant l'objet d'une enquête ou, pour un mineur, d'une demande d'assistance éducative.

* 11 Loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027.

* 12 Pour reprendre une expression citée dans la synthèse des États généraux de la Justice.

* 13 Synthèse des États généraux de la Justice.

* 14 La commission européenne pour l'efficacité de la justice (Cepej) du Conseil de l'Europe publie ses données tous les deux ans. La collecte des données 2022 pour le cycle d'évaluation 2024 s'est ouverte au mois de mars 2023.

* 15 Source : «  Systèmes judiciaires européens, rapport d'évaluation de la Cepej », édition 2022 (données 2020).

* 16 Indicateur de performance 1.3 « Délai théorique d'écoulement du stocke des procédures » du programme 166 « Justice judiciaire » de la mission « Justice ».

* 17 Cour des comptes, communication à la commission des finances du Sénat - «  Améliorer le fonctionnement de la justice - Point d'étape du plan de transformation numérique du ministère de la justice » (janvier 2022).

* 18 Ibid.

* 19 Rapport d'information n° 37 (2023-2024), « 15 000 places de détention supplémentaires et 20 nouveaux centres éducatifs fermés en 2027 : mission impossible ? », par M. Antoine Lefèvre, fait au nom de la commission des finances, déposé le 18 octobre 2023.

* 20 Ministère de la justice, «  Le plan d'action pour la justice », 25 mai 2023.

* 21 Pour reprendre l'intitulé du programme 310, placé sous la responsabilité du secrétariat général.

* 22 États généraux de la Justice. Rapport du groupe de travail « numérique ».

* 23 Synthèse des États généraux de la Justice.

* 24 Article 14 de la loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027.

* 25 Rapport d'information n° 37 (2023-2024), op. cit.

* 26 D'après les informations communiquées au rapporteur spécial par le directeur de l'administration pénitentiaire lors de son audition. Elles n'apparaissent pas encore dans le graphique présenté puisqu'elles n'ont pas encore été publiées par l'École nationale d'administration pénitentiaire.

* 27 Arrêté du 12 août 2023 pris en application du décret n° 2023-768 du 12 août 2023 relatif au régime indemnitaire des magistrats de l'ordre judiciaire.

* 28 Pour une information plus détaillée, le lecteur est invité à reporter au rapport de la Cour des comptes «  Approche méthodologique des coûts de la justice - enquête sur la mesure de l'activité et l'allocation des moyens des juridictions judiciaires », décembre 2018, communication à la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire de l'Assemblée nationale.

* 29 Ibid.

* 30 L'ensemble des données par cour d'appel est disponible dans le rapport du groupe de travail des États généraux de la justice sur le pilotage des organisations.

* 31 Voir par exemple le communiqué de presse du 21 décembre 2022 de l'Union syndicale de la magistrature.

* 32 Entendu en audition par le rapporteur spécial lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2023.

* 33 Commission européenne, Tableau de bord 2023 de la justice dans l'Union européenne, 8 juin 2023.

* 34 Rapport d'information de M. Antoine Lefèvre, fait au nom de la commission des finances. Rapport n° 402 (2021-2022) - 26 janvier 2022, pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, transmise en application de l'article 58-2° de la LOLF, sur le plan de transformation numérique de la justice.

* 35 Par exemple, projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, projet de loi pour contrôler l'immigration et améliorer l'intégration.

* 36 États généraux de la Justice. Rapport du groupe de travail « numérique ».

* 37 Ibid.

* 38 Synthèse des États généraux de la Justice.

* 39 Selon la définition de la CNIL, une API est une interface logicielle qui permet de connecter un logiciel ou un service à un autre logiciel ou service afin d'échanger des données et des fonctionnalités.

* 40 Rapport d'information n° 37 (2023-2024), op.cit.

* 41 Nombre de détenus pour 100 places de détention.

* 42 Synthèse des États généraux de la Justice.

* 43 Rapport d'information n° 37 (2023-2024), op.cit.

* 44 Ibid.

* 45 Les fonctions d'intendance et de logistique telles que la restauration, l'hôtellerie, la cantine, le transport, la maintenance, le nettoyage, l'accueil des familles ou encore le travail en détention peuvent être déléguées dans le cadre de marchés publics « multi-techniques et multi-services ».

* 46 Selon les données transmises en réponse au questionnaire budgétaire du rapporteur spécial.

* 47 Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.

* 48 Indicateur 1.2 « Respect des coûts et des délais des grands projets immobiliers » du programme 310 « Conduite et pilotage de la politique de la justice » de la mission « Justice ».

* 49 Désormais loi organique n° 2023-1058 du 20 novembre 2023 relative à l'ouverture, à la modernisation et à la responsabilité du corps judiciaire.

* 50 Partie 1 du rapport de la Cepej publié en 2020, sur les données 2018.

* 51 Article 11 du projet de loi, désormais article 37 de la loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027.

* 52 D'après les données transmises en réponse au questionnaire budgétaire du rapporteur spécial.

* 53 Article 243 de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020.

* 54 Il convient de relever qu'avant 2020, le financement de l'aide juridictionnelle était assuré par des crédits budgétaires et extrabudgétaires affectées au Conseil national des barreaux (CNB).

* 55 Article 188 de la loi n° 2021-1900 du 30 décembre 2021 de finances pour 2022.

* 56 Notaires, huissiers de justice, greffiers des tribunaux de commerce, en plus des avocats.

* 57 Synthèse des États généraux de la Justice.

* 58 La minoration s'explique par le fait que si le garde des Sceaux avait, au nom du Gouvernement, levé le gage en séance, dans le texte sur lequel le Gouvernement a engagé sa responsabilité en application de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution, les amendements ont été repris à l'identique de leur dépôt, sans gage levé.

* 59 Loi n° 2022-140 du 7 février 2022 relative à la protection des enfants.

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