N° 485

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 28 mars 2024

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes (1) sur les familles monoparentales,

Par Mmes Colombe BROSSEL et Béatrice GOSSELIN,

Sénatrices

Tome I - Rapport

(1) Cette délégation est composée de : Mme Dominique Vérien, présidente ; Mmes Annick Billon, Evelyne Corbière Naminzo, Laure Darcos, Béatrice Gosselin, M. Marc Laménie, Mmes Marie Mercier, Marie-Pierre Monier, Guylène Pantel, Marie-Laure Phinera-Horth, Laurence Rossignol, Elsa Schalck, Anne Souyris, vice-présidents ; Mmes Marie-Do Aeschlimann, Agnès Evren, Annie Le Houerou, secrétaires ; Mme Jocelyne Antoine, MM. Jean-Michel Arnaud, Hussein Bourgi, Mmes Colombe Brossel, Samantha Cazebonne, M. Gilbert Favreau, Mme Véronique Guillotin, M. Loïc Hervé, Mmes Micheline Jacques, Lauriane Josende, Else Joseph, Marie-Claude Lermytte, Brigitte Micouleau, Raymonde Poncet Monge, Olivia Richard, Marie-Pierre Richer, M. Laurent Somon, Mmes Sylvie Valente Le Hir, Marie-Claude Varaillas, M. Adel Ziane.

L'ESSENTIEL

Aujourd'hui, en France, une famille sur quatre est une famille monoparentale, avec une femme à sa tête dans 82 % des cas. Ces familles sont au croisement des enjeux de lutte contre la précarité, d'insertion professionnelle, d'égalité entre les femmes et les hommes, et d'égalité des chances.

La délégation aux droits des femmes formule dix propositions afin de reconnaître ces familles comme un modèle familial parmi d'autres et de lutter contre leur précarisation.

 

I. UNE MONOPARENTALITÉ CROISSANTE, QUI RIME SOUVENT AVEC DIFFICULTÉS VOIRE PRÉCARITÉ

Les familles monoparentales, et tout particulièrement les mères isolées, sont exposées à un cumul sous-estimé d'inégalités et de difficultés : inégalités de genre, niveau de vie inférieur, privations matérielles et sociales, difficultés d'emploi, de logement, de mode de garde, etc.

 

Taux de pauvreté des enfants en fonction de leur configuration familiale

 

des enfants vivant seuls avec leur mère

 

des enfants vivant seuls avec leur père

 

des enfants vivant dans une famille recomposée

 

des enfants vivant avec leurs deux parents

Le niveau de vie des familles monoparentales, déjà inférieur à celui des autres familles selon l'outil de mesure habituel (échelle d'équivalence de l'OCDE modifiée), est surestimé par cet outil, construit sur la base des couples. Symétriquement, l'ampleur de la pauvreté monétaire de ces familles est sous-estimée et mal corrigée.

Recommandation n°1 : Réviser les échelles d'équivalence de niveaux de vie afin de mieux appréhender le coût de l'enfant et le surcoût de la monoparentalité.

II. RENFORCER LES MÉCANISMES DE SOLIDARITÉ PUBLIQUE ET PRIVÉE POUR AUGMENTER LE NIVEAU DE VIE DES FAMILLES MONOPARENTALES

A. RENDRE LE SYSTÈME SOCIOFISCAL PLUS LISIBLE ET PLUS JUSTE

Deux dispositifs sont dédiés aux parents isolés :

· l'allocation de soutien familial (ASF), qui constitue aujourd'hui une sorte de pension alimentaire minimale versée par la solidarité nationale en cas de défaillance de l'autre parent (décès, non-reconnaissance ou absence de pension). Elle s'élève à 187,24 euros par mois et par enfant ;

· une demi-part fiscale supplémentaire.

Les parents isolés bénéficient également de majorations de plafonds de ressources, de montants et de durée de versement pour un certain nombre de prestations (notamment RSA, prime d'activité, complément familial, AJPP, AEEH, CMG).

Cependant, le système sociofiscal est souvent mal connu ou mal compris et souffre, en outre, de certaines incohérences, que les rapporteures souhaitent corriger, une remise à plat complète du système nécessitant un engagement de plus long terme et une étude approfondie de son impact et de ses effets de bord. En particulier :

· 15 % des familles monoparentales éligibles ne bénéficient pas du RSA ni de l'ASF ;

· les mères isolées ne comprennent pas la suspension du versement de l'ASF - considéré comme un substitut à la pension - lors de leur remise en couple alors même qu'elles pourraient continuer à bénéficier d'une pension ;

· lorsqu'un parent gardien recouvre la pension qui lui est due, son revenu disponible peut diminuer du fait de la perte de prestations (ASF, mais aussi prestations avec plafonds de ressources).

 

Recommandation n°2 : Mener des campagnes d'accès aux droits à destination des parents isolés.

Recommandation n° 3 : Expérimenter, et assortir d'une évaluation chiffrée, le maintien provisoire du versement de l'allocation de soutien familial (ASF) en cas de remise en couple du parent gardien.

Recommandation n° 4 : Instaurer un abattement sur le montant de la contribution à l'entretien et l'éducation de l'enfant (CEEE) pris en compte dans les bases ressources des prestations familiales et des aides au logement, à hauteur de l'ASF.

B. RESPONSABILISER DAVANTAGE LE PARENT NON-GARDIEN EN AUGMENTANT SA PARTICIPATION AUX COÛTS D'ENTRETIEN ET D'ÉDUCATION DE SON ENFANT

Plus d'un parent non-gardien solvable sur quatre ne verse pas de contribution à l'éducation et à l'entretien de l'enfant (CEEE, plus communément appelée « pension alimentaire »), et ce pour quatre raisons principales :

· l'absence de pension fixée par le juge aux affaires familiales (JAF), ce qui est le cas pour 20 % des enfants dont la résidence est fixée chez la mère et pour 72 % des enfants en résidence alternée (qui ne représentent que 10 % des familles monoparentales) ;

· un accord entre les parents ;

· le souhait de la mère de ne pas susciter de conflit avec son ex-conjoint, à mettre en lien avec les violences économiques et psychologiques qui peuvent accompagner les séparations ;

· un défaut de paiement : les impayés de pensions représentent un tiers des pensions et la convention d'objectifs et de gestion Cnaf-État 2023-2027 ne prévoit pas de faire diminuer ce taux en deçà de 21 % d'ici 2027, soit encore plus d'une pension sur cinq.

Le montant moyen de la CEEE est de 190 euros par mois et par enfant. Deux parents sur trois versent un montant inférieur à celui qui résulterait d'une stricte application du barème du ministère de la Justice, mis en place pour aider les JAF dans la fixation du montant de la CEEE. En outre, le calcul de la CEEE occulte une prise en compte visible des revenus du parent gardien et minimise les dépenses relatives à l'enfant (estimées à 13,5 % des dépenses des ménages, soit en moyenne 750 euros par mois par enfant, avec de fortes variations en fonction des revenus, de l'âge de l'enfant et du lieu de résidence).

Recommandation n° 5 : Réévaluer le barème de calcul de la CEEE afin de mieux tenir compte, de façon visible et plus équitable, des revenus des deux parents et des différentes dépenses relatives à l'enfant, comme prévu par la loi.

Recommandation n° 6 : Dresser un bilan annuel de l'intermédiation financière des pensions alimentaires (Aripa) au regard d'objectifs plus ambitieux de réduction des taux d'impayés et envisager une mise en place d'un prélèvement à la source si ces objectifs ne sont pas atteints.

III. RECONNAÎTRE LES FAMILLES MONOPARENTALES COMME UN MODÈLE FAMILIAL PARMI D'AUTRES

Alors que les familles monoparentales s'inscrivent indiscutablement dans les normes de la parentalité contemporaine, ce modèle parental fait trop souvent l'objet d'une forme de stigmatisation et d'un manque de reconnaissance, qui expliquent sans doute pourquoi les politiques publiques à destination des familles monoparentales, si elles existent, peinent aujourd'hui à atteindre leurs objectifs et à soutenir efficacement ce public, dans sa globalité et sa multidimensionnalité.

A. LA CRÉATION D'UNE CARTE « FAMILLES MONOPARENTALES » FACULTATIVE : UNE VOIE EXPÉRIMENTALE À EXPLORER

La reconnaissance de la place des familles monoparentales dans notre société pourrait se traduire par la création d'une carte de « familles monoparentales » facultative et renouvelable, permettant de matérialiser et d'objectiver la situation familiale d'un parent élevant seul son ou ses enfants. Elle serait un moyen pour les parents concernés de se signaler comme tels auprès des structures (employeurs, collectivités, service public de la petite enfance, services de transports ou de loisirs) souhaitant leur proposer des aides ou avantages spécifiques. Lors de leurs auditions, les rapporteures ont notamment constaté que des employeurs souhaitaient proposer des dispositifs plus souples à leurs salariés parents isolés (doublement des jours enfants malades, horaires de travail plus flexibles, facilité d'accès au télétravail...), mais rencontraient des difficultés faute de savoir précisément comment les identifier et par crainte d'être accusés de discrimination.

Recommandation n° 7 : Envisager, à titre expérimental, la création d'une carte de « famille monoparentale », facultative et renouvelable annuellement, ouvrant droit à des avantages et tarifs préférentiels, mis en place par les employeurs, les collectivités et les services publics.

B. LA MISE EN oeUVRE DE POLITIQUES PUBLIQUES ADAPTÉES AUX FAMILLES MONOPARENTALES

Plus de la moitié des parents isolés estime que leur monoparentalité a un impact sur leur vie professionnelle et sur leur organisation au quotidien. Le manque de solutions de garde est le principal frein à l'emploi des mères isolées.

Recommandation n° 8 : Faciliter l'accès des familles monoparentales aux dispositifs d'aide à l'insertion professionnelle.

Les familles monoparentales sont particulièrement touchées par le mal-logement et la précarité locative. 40 % des enfants mineurs vivant seuls avec leur mère vivent en logement social, contre 21 % de l'ensemble des enfants mineurs.

Recommandation n° 9 : Encourager les initiatives d'habitat partagé destinées aux familles monoparentales.

Les parents isolés expriment, bien davantage que les parents en couple, une forte demande de dispositifs d'aide à la parentalité (dans les relations avec l'école, la gestion de l'autorité ou celle des conflits familiaux) et de temps de répit, d'autant plus indispensables que 75 % des enfants en famille monoparentale vivent la totalité du temps au domicile d'un seul parent.

Recommandation n° 10 : Développer les dispositifs d'aide à la parentalité et de répit parental.

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