N° 337

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 14 février 2024

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, transmise en application de l'article 58-2° de la LOLF, intitulée « l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), un outil à consolider - exécution 2020 2022 »,

Par M. Bernard DELCROS,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Bernard Delcros, Thomas Dossus, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; M. Michel Canévet, Mmes Marie-Claire Carrère-Gée, Frédérique Espagnac, M. Marc Laménie, secrétaires ; MM. Arnaud Bazin, Grégory Blanc, Mme Florence Blatrix Contat, M. Éric Bocquet, Mme Isabelle Briquet, M. Vincent Capo-Canellas, Mme Marie-Carole Ciuntu, MM. Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Vincent Éblé, Rémi Féraud, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Mme Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek, Mme Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel.

AVANT-PROPOS

La commission des finances du Sénat a demandé à la Cour des comptes la réalisation, sur le fondement de l'article 58-2° de la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001, d'une enquête relative à la mise en place et la viabilité de l'agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT).

Pour donner suite à la remise de cette enquête, la commission a organisé le mercredi 14 février 2024, une audition réunissant, Mme Catherine DÉMIER, présidente de la cinquième chambre de la Cour des comptes ayant réalisé l'enquête, M. Stanislas BOURRON, directeur général de l'ANCT et Mme Cécile RAQUIN, directrice générale des collectivités locales.

Le champ de compétences de l'ANCT recouvre une grande variété de missions : le pilotage de la politique de la ville, l'appui en ingénierie aux territoires, les conseillers numériques, le déploiement et le suivi du plan France Services (2 700 maisons aujourd'hui), le pilotage des programmes Action coeur de ville, Entrées de ville, Territoires d'industrie, Petites Villes de demain, Avenir montagnes, France Très Haut Débit, France mobile et Villages d'avenir, etc. L'ANCT est également autorité de coordination pour la gestion des fonds européens, ce qui constitue une attribution rare parmi les opérateurs de l'État1(*). L'agence est enfin en charge de la mise en oeuvre de la réserve d'ajustement au Brexit, créée en 2021. Les élus locaux sont particulièrement attachés aux nombreux programmes que l'agence pilote.

L'ANCT est une agence récente, puisqu'elle a été créée le 1er janvier 2020. En quatre ans, elle a connu une montée en charge très rapide de ses missions. Il lui a été demandé de remettre de la proximité entre les services de l'État et les collectivités et de simplifier la politique territoriale de l'État. Ces objectifs restent d'actualité. Ils sont même cruciaux afin de rétablir la confiance et l'efficacité dans l'action territoriale de l'État.

Le lancement et la mise en oeuvre des actions de l'agence ont été entravés par plusieurs difficultés. Premièrement, l'agence a dû absorber dès sa création la fusion de trois entités distinctes : le Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET), l'agence du numérique et l'Établissement public national d'aménagement et de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux (EPARECA). Chacune de ces structures avaient des missions spécifiques, son propre mode de fonctionnement et de gouvernance. Le Commissariat Général à l'Égalité des Territoires (CGET) avait pour mission de concevoir, préparer et assurer la mise en oeuvre de politiques luttant contre les inégalités entre les territoires, ainsi que le développement des capacités territoriales. L'agence du numérique avait vocation à développer les services numériques dans les collectivités territoriales. L'Epareca avait pour objectif de maintenir les commerces de proximité dans les quartiers de la politique de la ville, y amener de nouveaux services et créer de l'emploi local. 

De plus, quelques mois seulement après sa création, l'agence a subi les effets de la crise sanitaire. Cela n'a pas facilité la mise en oeuvre des missions qui lui étaient confiées lors de son lancement.

Dernière difficulté, l'ANCT a dû faire face à une montée en charge très rapide de ses missions qui n'avaient pas toutes été prévues lors de sa création. Les moyens nécessaires pour les mener à bien n'ont pas toujours été mis à sa disposition au bon moment.

L'agence a ainsi dû faire preuve de capacités d'adaptation et d'organisation face à la multiplication des missions qui lui ont été confiées.

Comme le démontre la Cour des comptes au travers du schéma d'emplois, le rapporteur spécial considère que ce n'est qu'à partir de 2023 que l'agence a été dotée de moyens à la hauteur des nombreuses tâches qui lui ont été confiées. Pour autant, cette question n'est pas entièrement réglée à ce jour. La mission de coordination des fonds européens reste structurellement déficitaire. Son coût n'est couvert qu'à 70 % environ, ce qui implique d'attribuer plus en amont les moyens nécessaires lorsque sont confiées de nouvelles missions à l'agence.

Globalement, l'ANCT a surmonté les difficultés rencontrées. Elle a démontré son utilité et sa capacité à agir au profit des territoires. Pour autant, le rapporteur spécial souscrit à deux pistes prioritaires d'amélioration mises en avant par la Cour dans son enquête :

- accroître la visibilité de l'agence et de son action à l'échelle territoriale ;

- améliorer la lisibilité financière de l'ensemble des programmes pilotés par l'agence.

Sur le premier point, le rapporteur spécial considère, comme la Cour des comptes et comme cela a pu être rappelé lors de l'audition du 14 février 2024, que l'ANCT est trop peu visible au niveau local. Les élus locaux, notamment dans les petites collectivités, peinent à la connaître, à comprendre son organisation et à pleinement identifier son rôle ainsi que son offre de services. Ce manque d'identification est un handicap pour l'efficacité de l'action de l'agence sur le terrain.

Pour y remédier, les préfets de département ont une responsabilité majeure. Ils sont les délégués territoriaux de l'agence et animent le guichet unique auquel les élus locaux ont accès. Certains d'entre eux doivent se mobiliser davantage pour que les élus identifient mieux les missions de l'agence, notamment son rôle dans les programmes qu'elle pilote et son offre de services en faveur des collectivités, tout particulièrement les plus petites d'entre elles.

Sur le second point, à savoir parfaire la lisibilité financière des programmes pilotés par l'ANCT, il s'avère que les dispositifs de l'agence sont nombreux et variés, mais les modalités de financement sont aussi d'une grande diversité, mobilisant les crédits de nombreuses missions du budget de l'État. Dans certains cas, les crédits sont intégrés au budget de l'agence : c'est le cas pour les maisons France services, par le biais d'une subvention pour charges de service public. Dans d'autres cas, l'agence pilote des programmes dont les financements ne transitent pas par son budget, ce qui a pour effet de disperser l'information financière.

Pour autant, le rapporteur n'est pas favorable à une intégration de tous les crédits de l'ensemble des programmes que pilote l'agence au sein de son budget. Cela n'est d'ailleurs ni préconisé par la Cour, ni souhaité par l'ANCT elle-même, comme son audition a permis de le préciser. Le cadre actuel offre à l'ANCT une grande souplesse et le rapporteur spécial considère qu'il s'agit d'un atout. Le rapporteur spécial défend cependant l'idée que les élus doivent disposer d'une meilleure information et d'une meilleure lisibilité financière de l'ensemble des programmes que pilote l'agence. Cela est nécessaire pour appréhender de façon globale l'engagement financier de l'État dans les programmes pilotés par l'ANCT.

Pour y remédier, la Cour des comptes suggère une adaptation du document de politique transversale consacré à l'aménagement du territoire : celui-ci devrait présenter une synthèse financière pour chacun des programmes nationaux. Le rapporteur spécial souscrit à cette recommandation.

Ces deux pistes d'amélioration - identification locale et lisibilité financière - constituent aux yeux du rapporteur spécial des priorités. Toutefois, il n'occulte pas les autres recommandations de la Cour sur la gouvernance de l'agence. Des pistes d'amélioration sont possibles à cet égard.

Le rapporteur spécial souligne également que l'enquête de la Cour impose de s'interroger sur le rôle que pourrait jouer l'ANCT dans les années à venir. Faut-il prévoir une pause dans son développement pour laisser à l'agence le temps de s'adapter et de conforter ses missions actuelles ou, au contraire, élargir son champ d'action afin qu'elle devienne l'intermédiaire de référence sur l'ensemble des sujets relatifs à l'aménagement du territoire ?

Le rapporteur spécial souhaite qu'une réflexion soit initiée sur cette seconde voie. Ainsi, l'ANCT pourrait, sous réserve qu'on lui en donne les moyens, devenir un acteur encore plus central des politiques d'aménagement du territoire. Pour réussir ce pari, il faudrait renforcer la transversalité et l'action interministérielle de l'agence, les questions d'aménagement du territoire allant, en effet, bien au-delà de ses compétences actuelles.


* 1 Il s'agit habituellement d'une compétence exercée par l'administration centrale des ministères.

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