III. RENFORCER LES OBLIGATIONS DES FOURNISSEURS

En troisième lieu, les rapporteurs sont convaincus de la nécessité de renforcer les obligations des fournisseurs, de manière à conjurer le risque de défaillance, actuellement peu pris en compte.

Tout d'abord, les rapporteurs estiment crucial de renforcer les conditions requises pour bénéficier d'une autorisation de fourniture.

Actuellement, l'article L. 333-1 du code de l'énergie prévoit que les fournisseurs d'électricité ou les producteurs d'électricité concluant un contrat de vente directe d'électricité doivent être titulaires d'une autorisation délivrée par l'autorité administrative.

Cette autorisation ne peut être accordée qu'aux ressortissants d'un État membre de l'Union européenne ou, dans le cadre d'accords internationaux, d'un autre État, en fonction des capacités techniques, économiques et financières du demandeur et de la compatibilité du projet avec les obligations pesant sur les fournisseurs d'électricité.

Un décret du 11 mars 2021110(*) est venu préciser les conditions d'application de cette autorisation.

L'article R. 333-1 du code de l'énergie prévoit ainsi que le demandeur soumette notamment son immatriculation, son actionnariat, sa compatibilité, sa cote de crédit, l'absence de situation d'impayé, de défaut ou de procédure collective, ses projections financières, la description de ses activités industrielles et commerciales, ses obligations fiscales et sociales, la description de ses caractéristiques commerciales, ses moyens humains, matériels et financiers ou son plan approvisionnement en électricité.

À l'évidence, ces conditions ne sont pas suffisantes pour conjurer le risque de défaut des fournisseurs.

La CRE, le MNE, EDF, Engie, l'Afieg et la CFDT-FCE ont donc appelé à renforcer les conditions requises pour l'obtention et la conservation d'une autorisation de fourniture.

La CRE a ainsi indiqué être favorable au renforcement des conditions d'obtention et de conservation de l'autorisation de fourniture : « Dans un cadre plus large que le seul dispositif Arenh, la CRE est favorable au renforcement des conditions requises pour obtenir et conserver l'autorisation de fourniture d'électricité. »

Dans le même esprit, EDF a estimé utile une révision du décret précité : « Selon EDF, il semble effectivement utile que l'État puisse aller plus loin dans la définition des obligations incombant aux fournisseurs d'électricité en France. À ce sujet, le décret n° 2021-631 a contribué à faire évoluer les choses dans ce sens, sans que cela ne soit pour autant tout à fait suffisant. »

À titre d'exemple, les garanties bancaires sont insuffisantes selon le groupe : « Les garanties bancaires prévues par l'accord-cadre couvrent les factures émises au titre des livraisons réalisées mensuellement, mais ne permettent pas nécessairement de couvrir les éventuels compléments de prix (venant compenser, sinon sanctionner les demandes excessives), calculés dans le courant de l'année suivant la livraison. »

Plus substantiellement, l'Afieg a appelé à instituer un contrôle a priori de la situation financière des acteurs : « Une des mesures susceptibles de limiter ces risques d'abus, serait de renforcer les conditions à remplir pour être titulaire de l'autorisation d'achat pour revente d'électricité, attribuée par la DGEC. Ainsi, l'Afieg est favorable à un renforcement du contrôle pour l'attribution de cette autorisation administrative. En particulier, l'Afieg suggère de favoriser un contrôle a priori de la situation financière des acteurs souhaitant bénéficier d'une autorisation d'achat pour revente plutôt qu'un contrôle a posteriori pouvant s'avérer à la fois plus lourd et moins efficace pour le régulateur. »

Ce constat est convergent avec celui d'Engie, qui a plaidé pour l'institution de stress tests comme condition préalable à l'autorisation de fourniture : « Engie promeut la mise en place de stress tests sous l'égide des autorités de tutelle, comme condition préalable à l'octroi d'une licence de vente d'électricité. À l'instar des règles prudentielles applicables aux acteurs financiers, cette mesure pourrait renforcer les fournisseurs et la confiance que leur accordent les clients. Cela ne devrait pas aller jusqu'à prescrire un modèle précis de couverture, car contrairement à l'objectif recherché, imposer un modèle différent de celui correspondant au portefeuille d'un fournisseur donné pourrait l'affaiblir. Il s'agit plutôt de tester la robustesse des pratiques par lesquelles les fournisseurs garantissent l'approvisionnement de leurs clients sur les durées standard des offres (= 3 ans). Avoir une supervision par le régulateur des pratiques de couverture des fournisseurs pourrait ainsi être bénéfique pour répondre aux préoccupations actuelles. Cette vérification des conditions d'autorisation pourrait en outre être menée sur une base régulière. Lors de ce contrôle, les fournisseurs devraient montrer comment ils ont appliqué leur politique de risque et/ou l'ont modifiée. Nous suggérons ainsi qu'une liste minimale de contrôles financiers, opérationnels et techniques soit définie pour l'approbation des licences [...] au niveau national. »

Quant au MNE, il s'est dit favorable à un renforcement des obligations requises pour l'autorisation de fourniture : « Tout d'abord, le MNE est favorable à un ” durcissement “ des critères d'autorisation de fourniture d'énergie [...] Si la loi a prévu que, pour exercer l'activité de fourniture d'énergie, il fallait disposer d'une autorisation délivrée par les pouvoirs publics, c'est parce qu'il s'agit d'un bien de première nécessité (ou équivalent pour le gaz), ce qui implique des disposer de garanties particulières. »

Enfin, la CFDT-FCE a indiqué que « la mise en oeuvre de règles prudentielles appliquées aux fournisseurs est très importante pour protéger les consommateurs. »

De plus, les rapporteurs jugent souhaitable de centraliser les demandes et les contrôles des autorisations de fourniture auprès de la CRE.

Selon le droit applicable, l'article R. 333-2 du code de l'énergie confie au ministre chargé de l'énergie l'octroi des autorisations de fourniture et l'article R. 333-6 du même code leur retrait ou leur suspension.

Ce n'est pas optimal, dans la mesure où les contrôles en matière d'abus du droit d'Arenh relèvent de la CRE et du CoRDiS, selon l'article L. 134-26 du même code.

Dès lors, la CRE, l'Afieg, l'Anode, Engie, TotalÉnergies et Vattenfall ont suggéré de confier les autorisations de fourniture à la CRE.

La CRE s'est ainsi exprimé en ces termes : « La CRE estime qu'elle dispose d'une expertise fine des marchés de détail qui lui permettrait d'instruire les attributions, suspensions et suppressions d'autorisation de fourniture d'électricité. En revanche, cette nouvelle mission devrait obligatoirement s'accompagner d'effectifs supplémentaires pour la mener à bien. »

De leur côté, l'Afieg et TotalÉnergies « sont favorables à ce que la CRE prenne en charge la mission d'attribution et de contrôle des autorisations de fourniture, lesquelles pourraient être renforcées au niveau des compétences techniques et financières, en incluant par ailleurs des obligations prudentielles en termes de couverture. »

Il en va de même de l'Anode : « Il nous paraît préférable de centraliser cette activité au sein d'une seule autorité pour garantir l'efficacité du dispositif de suivi et de contrôle. De plus, la CRE dispose de prérogatives larges au titre de la surveillance du marché de détail et, depuis 2022 au titre du mécanisme Arenh, pour enquêter et, le cas échéant, demander l'application de sanctions au CoRDiS. »

Un même constat a été fait par Vattenfall : « La CRE a déjà vu des attributions de contrôle renforcées dans le cadre de l'Arenh+. Nous sommes aussi [...] favorables à ce que la CRE étende ses compétences à l'attribution de l'autorisation de fourniture (art. L333-1 et s. du code de l'énergie). »

Plus encore, les rapporteurs considèrent impératif de mieux encadrer l'application des autorisations de fourniture d'électricité, en permettant leur réexamen, leur suspension ou leur retrait notamment.

En l'état actuel de la législation, l'article R. 333-6 du code de l'énergie permet, en cas de manquement, la suspension ou le retrait de l'autorisation. Ce retrait peut être total ou partiel. Il peut s'appliquer par catégorie de client ou par zone de desserte. Cette suspension peut ne concerner que les nouveaux contrats.

Ses possibilités devraient être effectivement appliquées.

C'est pourquoi le Médiateur de l'énergie a indiqué : « Le MNE est favorable à ce que les fournisseurs coupables de pratiques frauduleuses se voient retirer leur autorisation de fourniture. Une autre sanction possible est de leur interdire d'activer des contrats pour de nouveaux clients, comme cela été fait par l'OFGEM111(*) au Royaume-Uni. [...] A noter que depuis l'entrée en vigueur du décret n° 2021-273 relatif à la fourniture d'électricité ou de gaz naturel (article 5), le retrait ou la suspension d'une autorisation de fourniture, pouvant se limiter à la souscription de nouveaux contrats, est rendu possible. »

Autre point, les rapporteurs estiment nécessaire de consolider les fournisseurs de secours en électricité.

Depuis la loi « Énergie-Climat », de 2019112(*), il est prévu que des fournisseurs de secours pallient les fournisseurs défaillants ou ceux dont l'autorisation de fourniture a été retirée.

L'article R. 333-25 du code de l'énergie prévoit que le fournisseur de secours est désigné pour une période de 5 ans. La fourniture de secours doit être assurée jusqu'au terme du contrat ; elle est constituée d'une offre de marché, assortie d'une majoration, ne pouvant excéder un an.

Le groupe EDF a été désigné fournisseur de secours pour la zone de desserte de RTE et les entreprises locales de distribution (ELD) pour leurs zones de desserte respectives, par un arrêté du 5 novembre 2021113(*).

Pour autant, cette désignation a été faite à titre provisoire, jusqu'à la publication de l'arrêté du ministre de l'énergie, pris à l'issue de la procédure d'appel à candidatures, mentionnée à l'article R. 333-22 du code de l'énergie.

Aussi convient-il de conforter la situation juridique mais aussi les conditions financières des fournisseurs de secours d'électricité.

Plus largement, les rapporteurs appellent à relever les moyens de la CRE, du MNE, de la DGEC et de la DGCCRF.

La CRE, le MNE, le CoRDiS mais aussi TotalÉnergies et Vattenfall, ou encore la CFDT-FCE, ont fait part de cette nécessité.

La CRE a rappelé, en ces termes, que les moyens de sa direction relative aux marchés nécessitent d'être consolidé : « Au niveau des moyens humains, la direction du développement des marchés et de la transition énergétique dispose de plusieurs agents dédiés à la mise en oeuvre et au contrôle de l'Arenh, qui travaillent en liaison étroite avec les équipes de la direction des affaires juridiques. Néanmoins, les effectifs de cette direction, également responsable de la mise en oeuvre du bouclier tarifaire, sont extrêmement sollicités et la CRE verrait d'un bon oeil des renforts supplémentaires. »

De son côté, le MNE a précisé ne disposer d'aucun moyen pour répondre possibles abus d'Arenh : « Le MNE n'a pas de compétence, ni de pouvoir pour enquêter ou sanctionner des pratiques frauduleuses. Il ne dispose donc d'aucun moyen pour y répondre. »

Dans ce contexte, plusieurs acteurs ont appelé à un renforcement des moyens de la CRE, en cas de transfert vers cette autorité des autorisations de fourniture.

C'est le cas de l'Afieg et Total : « Au regard de ses missions sans cesse croissantes, la question des moyens budgétaires et salariaux de la CRE se pose »

C'est aussi le cas de Vattenfall : « Cela impliquerait en parallèle d'en renforcer significativement les moyens. ».

Même en l'absence tout transfert, un renforcement des moyens des acteurs précités est crucial.

Ainsi, si la CFDT-FCE a plaidé pour que « la CRE reste le gendarme du marché et que la DGEC [reste] avec les services de l'État et le législateur à l'origine des lois et des règles. », elle a ajouté que « la CRE et le MNE manquent cruellement de moyens pour assurer un rôle de “ police ” des marchés. »

Pour autant, la FNME-CGT a appelé à renforcer les moyens du MNE, plutôt que de la CRE : « La CRE - compte tenu de sa mission - ne peut contrôler la vision qu'elle impose de manière objective. [...] Le MNE est probablement mieux placé pour apporter une vue sincère d'éventuels écarts. »

Dans le même esprit, la FNEM-FO a indiqué : « De plus, le rôle de la CRE ne peut pas jouer totalement sa carte de l'indépendance dans la mesure où elle promeut un système totalement libéral et donc favorise une concurrence qui n'en est en réalité pas une. [...] Les services de l'État français auraient sûrement une partition différente dans ce paysage s'ils en avaient la charge exclusive. »

Enfin, les rapporteurs plaident pour appuyer l'institution de règles de couverture, prévue dans le cadre de la réforme du marché européen de l'électricité.

La CRE, la DGEC, EDF, Engie, TotalÉnergies, Vattenfall et la CFDT-FCE ont indiqué que cette réforme constitue une opportunité sur ce sujet.

La CRE s'est dite favorable aux règles de couverture envisagées dans le cadre de cette réforme : « La proposition de réforme du marché européen de l'électricité publiée par la Commission européenne prévoit des obligations de nature prudentielle pour les fournisseurs, concernant notamment la couverture en amont des engagements (notamment les offres à prix fixe) pris vis-à-vis des consommateurs. La CRE est favorable à cette proposition. »

De son côté, la DGEC a indiqué son souhait d'une régulation prudentielle : « Nous souhaitons que soit créée une régulation prudentielle qui viserait à vérifier que les fournisseurs soient couverts en cohérence avec leurs offres de fourniture. Au-delà de la protection des consommateurs que cela assurerait, cela permettrait de limiter les risques d'abus d'Arenh ou de tout autre mécanisme qui lui succèderait. »

Plusieurs acteurs économiques ont montré leur intérêt pour une telle régulation prudentielle, EDF ayant rappelé que « dans sa consultation sur la réforme de l'architecture du marché, la Commission européenne a évoqué des pistes de renforcement des obligations incombant aux fournisseurs d'électricité. »

Il en va de même de Total Énergies : « TotalÉnergies soutient enfin une régulation prudentielle des fournisseurs d'électricité reposant sur des obligations de couverture minimale. La définition de cette régulation prudentielle de l'activité des fournisseurs d'électricité' serait à définir en lien avec la DGEC et la CRE, dans un cadre européen en cours de redéfinition avec la présentation le 14 mars 2023 du règlement Electricity Market Design (EMD)114(*). »

Il en va également ainsi de Vattenfall : « Cette évolution vers une régulation prudentielle sera de nature à assainir le marché et à protéger les consommateurs des comportements abusifs de certains acteurs minoritaires observés lors de l'hiver 2021-2022 ».

Recommandation n° 3 : Renforcer les obligations des fournisseurs, en :

- Confortant les conditions requises pour bénéficier d'une autorisation de fourniture, avec l'imposition d'obligations prudentielles et la réalisation de stress tests (article L. 333-1 du code de l'énergie) ;

- Centralisant les demandes et les contrôles des autorisations de fourniture auprès de la CRE, plutôt que du MTE ;

- Encadrant mieux l'application des autorisations de fourniture (réexamen des autorisations, retrait des autorisations, interdiction de fourniture) ;

- Consolidant les fournisseurs de secours (article 63 de la loi « Énergie-Climat ») ;

- Relevant les moyens de la CRE, du MNE, de la DGEC et de la DGCCRF ;

- Soutenant l'imposition d'obligations prudentielles aux fournisseurs, dans le cadre de la réforme du marché européen de l'électricité.


* 110 Décret n° 2021-273 du 11 mars 2021 relatif à la fourniture de gaz naturel et d'électricité.

* 111 The Office of Gas and Electricity Markets.

* 112 Loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat (Article 63).

* 113 Arrêté du 5 novembre 2021 portant nomination à titre transitoire d'un fournisseur de secours en électricité sur les zones de dessertes des entreprises locales de distribution (Article 1er).

* 114 En l'espèce, la réforme du marché européen de l'électricité.

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