N° 128

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 23 novembre 2023

RAPPORT GÉNÉRAL

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur le projet de loi de finances, considéré comme adopté par l'Assemblée nationale en application de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution, pour 2024,

Par M. Jean-François HUSSON, 

Rapporteur général,

Sénateur

TOME III

LES MOYENS DES POLITIQUES PUBLIQUES ET DISPOSITIONS SPÉCIALES

(seconde partie de la loi de finances)

ANNEXE N° 16

IMMIGRATION, ASILE ET INTÉGRATION

Rapporteur spécial : Mme Marie-Carole CIUNTU

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Bernard Delcros, Thomas Dossus, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; M. Michel Canévet, Mmes Marie-Claire Carrère-Gée, Frédérique Espagnac, M. Marc Laménie, secrétaires ; MM. Arnaud Bazin, Grégory Blanc, Mme Florence Blatrix Contat, M. Éric Bocquet, Mme Isabelle Briquet, M. Vincent Capo-Canellas, Mme Marie-Carole Ciuntu, MM. Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Vincent Éblé, Rémi Féraud, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Mme Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek, Mme Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (16ème législ.) : 1680, 1715, 1719, 1723, 1745, 1778, 1781, 1805, 1808, 1820 et T.A. 178

Sénat : 127 et 128 à 134 (2023-2024)

L'ESSENTIEL

I. DANS UN CONTEXTE DE FORTE MONTÉE DE LA PRESSION MIGRATOIRE ET D'ACCUEIL DES DÉPLACÉS D'UKRAINE, UN BUDGET INCOMPLET ET PRIVILÉGIANT LES DÉPENSES D'ASILE À L'INTÉGRATION

Après une année 2020 marquée par l'épidémie de COVID- 19, la pression migratoire est repartie à la hausse en Europe et en France dès 2021. Cette tendance se renforce aujourd'hui fortement. Alors que le record historique du nombre de demandes d'asile en France est de 132 826 demandes (en 2019), le Gouvernement s'attend à ce que pas moins de 160 000 demandes soient déposées en 2024. Corrélativement, le nombre de contrats d'intégration républicaine signés par les primo-arrivants destinés à demeurer en France est en hausse : alors que 78 764 avaient été signés en 2020, ils sont 110 080 à l'avoir été en 2022.

En 2024, est également prévue la poursuite de l'accueil des personnes déplacées d'Ukraine dans le contexte de son invasion par la Russie en 2022. Ces personnes peuvent, sous certaines conditions, bénéficier de la « protection temporaire » de la France, qui implique notamment l'octroi de l'allocation pour demandeur d'asile (ADA)1(*) et l'accès à un logement. Cet accueil présente un coût notable pour la mission, alors qu'environ 80 000 personnes sont concernées.

Dans ce contexte général, les crédits de la mission sont en hausse en crédits de paiement (CP, + 7,3 % soit + 147 millions d'euros) et en baisse en autorisations d'engagement (AE, - 34,0 % soit - 911 millions d'euros). Les crédits demandés pour l'ensemble de la mission s'élèvent ainsi à 2,16 milliards d'euros en CP et à 1,76 milliard d'euros en AE. Les deux programmes connaissent des évolutions contrastées. Le programme 303 « Immigration et asile » concentre la plus grande part de la baisse des AE (- 799 millions d'euros) mais connait une hausse de ses CP (+ 259 millions d'euros) par rapport à 2023. Le programme 104 « Intégration et accès à la nationalité française » connaît quant à lui une baisse aussi bien de ses AE (- 112 millions d'euros) que de ses CP (- 112 millions d'euros).

Évolution des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration »

(en millions d'euros, en %)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

La mission ne représente qu'une part minoritaire des crédits de l'État en matière de politique d'immigration et d'intégration, évalués au total à 7,9 milliards d'euros pour 2024.

Ces données brutes concernant la mission doivent être interprétées avec précaution, pour trois raisons.

En premier lieu, les crédits demandés n'intègrent pas, de même que l'année dernière, les dépenses qui seront générées par l'accueil des bénéficiaires de la protection temporaire, en provenance d'Ukraine. Or, ces dépenses n'ont rien d'anecdotique. En 2022, elles avaient représenté 482 millions d'euros en CP, dont 218 millions d'euros au titre de l'ADA et 253 millions d'euros au titre de l'hébergement. Pour 2023, le projet de loi de finances n'intégrait pas non plus les dépenses correspondantes dans les crédits demandés, faisant dire à la Cour des comptes que « le défaut de sincérité budgétaire [était] établi à cet égard »2(*). Il en va pourtant de même en 2024 : la mission n'intègre toujours pas les crédits nécessaires, le projet annuel de performances ne les présentant même pas. En conséquence, c'est encore par abondement en gestion que le financement devrait s'opérer pour 2024. La non-budgétisation de ces crédits est d'autant plus problématique que leurs poids par rapport au total des crédits de la mission est significatif. Une telle situation est de nature à limiter le caractère éclairé du vote du Parlement sur la mission.

En deuxième lieu, la mission connait deux évolutions de périmètre cette année. En les neutralisant, le programme 303 voit ses crédits baisser de 45,2 % en AE (- 963 millions d'euros) et augmenter de 6,5 % en CP (+ 95 millions d'euros). Le programme 104 voit quant à lui ses crédits augmenter tant en AE, de 2,6 % (+ 14,3 millions d'euros), qu'en CP, de 2,6 % (+ 14,2 millions d'euros).

En troisième lieu, la comparaison en données brutes par rapport à 2023 mérite d'être corrigée s'agissant des autorisations d'engagement. En effet, budgétairement, l'année 2023 a notamment été marquée par un renouvellement des conventions pluriannuelles avec les gestionnaires s'agissant de l'hébergement d'urgence des demandeurs d'asile (HUDA), d'une part, et des centres d'accueil et d'examen des situations (CAES)3(*), d'autre part. Ces renouvellements ont conduit à une forte hausse ponctuelle des AE engagées en 2023. Cela explique une partie conséquente de la baisse des dépenses en 2024 sur ces deux postes, laquelle atteint respectivement 857 millions d'euros et 187 millions d'euros, soit 1,044 milliard d'euros au total.

Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, les crédits de paiement apparaissent comme le meilleur indicateur de l'évolution des crédits en 2024. En neutralisant les effets de périmètre, ils sont en hausse d'environ 5,4 %, soit une augmentation de 109 millions d'euros.

Les équilibres de la mission restent quant à eux similaires, les crédits liés à l'exercice du droit d'asile (hébergement, examen des demandes, ADA, etc.) représentant près de deux tiers des crédits de paiement demandés pour 2024. Dans le même temps, les dépenses en faveur de l'intégration, pourtant essentielles à une politique d'immigration réussie, ne représentent qu'environ un cinquième des crédits.

II. UN BUDGET MARQUÉ PAR UNE HAUSSE TROP LIMITÉE DES CRÉDITS DÉDIÉS À LA LUTTE CONTRE L'IMMIGRATION IRRÉGULIÈRE ET PAR UNE BAISSE TROP OPTIMISTE DE LA DOTATION AU TITRE DE L'ADA

A. UNE HAUSSE BIEN TROP TIMIDE DES DÉPENSES DE LUTTE CONTRE L'IMMIGRATION IRRÉGULIÈRE

Le plus grande part de la hausse des CP concerne certes cette année les dépenses en lien avec la lutte contre l'immigration irrégulière, qui augmentent de 54 % en 2024, pour s'établir à 261 millions d'euros (en AE, + 46 % pour s'établir à 300 millions d'euros). Si cette hausse doit être notée, il convient de remarquer que son ampleur en valeur absolue (+ 91 millions d'euros en CP et + 94 millions d'euros en AE) reste en réalité limitée face à l'ampleur des enjeux en matière d'immigration irrégulière en France. D'ailleurs, ces dépenses ne représentent qu'un peu plus d'un dixième des crédits de la mission en 2024.

La hausse des crédits touche en particulier deux postes. En premier lieu, est concerné l'investissement dans les centres et locaux de rétention administrative (+ 63,5 millions d'euros en CP et + 103 millions d'euros en AE), notamment dans l'objectif que la capacité d'accueil des CRA soit portée à 3 000 places en 2027, comme prévu par la LOPMI4(*). Il n'est toutefois pas certain que ce nombre de places soient effectivement disponibles à cet horizon. Sont également concernés l'éloignement des migrants en situation irrégulière et la lutte contre l'immigration clandestine (+ 20 millions d'euros en CP et en AE), en particulier pour financer l'achat de matériels, pour 12 millions d'euros (drones, intercepteurs nautiques, moyens de projection et moyens aériens, etc.).

S'agissant des faits, les résultats en matière de lutte contre l'immigration irrégulière sont aujourd'hui très insatisfaisants. Les retours forcés exécutés n'ont ainsi augmenté que de 13,1 % en 2022 (pour s'établir à 11 410 retours) par rapport à 2021, année qui était encore marquée par les restrictions sur les déplacements liées à l'épidémie de COVID- 19. Ils restent inférieurs de 40 % au nombre de retours forcés constatés en 2019.

B. UNE BAISSE DE L'ADA TROP OPTIMISTE

Le budget de la mission prévoit pour 2024 une réduction de la dotation pour l'allocation pour demandeur d'asile (ADA) de 6,6 % (- 21 millions d'euros) par rapport à 2023, pour s'établir à 294 millions d'euros. Cette diminution fait suite à une baisse de 36 % en 2023 par rapport à 2022.

Il convient de constater, d'une part, que le montant prévu pour la dotation au titre de l'ADA n'intègre pas le coût lié à son versement aux bénéficiaires de la protection temporaire, ce qui est regrettable5(*). D'autre part, même en excluant ces dernières dépenses du périmètre budgété, la prévision apparaît trop optimiste. En effet, les résultats à atteindre en matière de raccourcissement des délais de traitement des demandes par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (l'Ofpra, dont l'objectif est fixé à 60 jours en 2024 contre 120 jours en début d'année 2023) et la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) pour respecter l'enveloppe budgétaire apparaissent difficilement atteignables, a fortiori dans un contexte de forte hausse des demandes d'asile.

C. LES CRÉDITS CONCERNANT L'HÉBERGEMENT DES DEMANDEURS D'ASILE, L'INTÉGRATION DES ÉTRANGERS PRIMO-ARRIVANTS ET LES OPÉRATEURS CONNAISSENT PAR AILLEURS QUELQUES ÉVOLUTIONS

En 2024, l'hébergement des demandeurs d'asile représente 564,2 millions d'euros en AE et 995,7 millions d'euros en CP, en intégrant les centres provisoires d'hébergement (CPH), nouvellement transférés à l'action du fait de la suppression de l'action n° 15 du programme 104.

La création de places d'hébergement pour les demandeurs d'asile et réfugiés vulnérables se poursuit en 2024 avec 1 500 places supplémentaires, dont 500 pour les réfugiés vulnérables. Au total, le parc d'hébergement pour demandeurs d'asile et réfugiés vulnérables pourrait atteindre 122 582 places en 2024.

Les crédits d'hébergement sont en baisse de 906 millions d'euros en AE (- 61,6 %) mais sont en hausse de 155 millions d'euros en CP (+ 15,6 %) en 2024. En neutralisant les évolutions de périmètre, la diminution est de 1 032 millions d'euros en AE et la hausse de 29 millions d'euros en CP. La baisse significative en AE s'explique principalement par une ouverture ponctuelle d'autorisations d'engagement en 20236(*).

Les crédits en faveur de l'intégration des étrangers primo-arrivants (action 12 du programme 104) sont quant à eux en hausse de 29 %, soit + 39 millions d'euros (environ 36 millions d'euros hors mesures de périmètre), pour s'établir à 175 millions d'euros en AE=CP. Sont notamment concernés les financements en faveur de l'apprentissage de la langue française, l'accès aux droits et l'accompagnement vers l'emploi, en lien avec les collectivités territoriales. Il n'en demeure pas moins qu'en matière d'intégration, des efforts bien plus importants sont nécessaires, de même qu'une redéfinition des paramètres de la politique mise en oeuvre.

Enfin, le financement des deux opérateurs de la mission connaît de légères évolutions. Les financements de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii) sont réduits de 40 millions d'euros, pour s'établir à 562 millions d'euros, tandis que le plafond d'emplois reste identique, à 1 217 ETPT. Cette baisse est liée à la réduction prévue de la dotation au titre de l'ADA, qui transite par l'Ofii, et de l'action 11 « Accueil des étrangers primo-arrivants ». Cette dernière baisse devant être compensée par une hausse de ses moyens provenant des fonds européens, l'activité de l'Ofii ne devrait pas subir de baisse globale de ses recettes. S'agissant de l'Ofpra, le financement augmente, en lien avec l'objectif d'un raccourcissement des délais d'examen des demandes d'asile, et s'établira à 108 millions d'euros, en hausse de 4,2 % (+ 4,4 millions d'euros) par rapport à 2023, tandis que 17 ETPT seront créés, pour atteindre un plafond de 1 028 ETPT.

Il apparaît au final que le budget ne porte pas de modification de la politique en matière d'immigration et d'intégration, alors que le contexte migratoire, les difficultés prégnantes liées à l'immigration irrégulière et les failles de l'intégration y invitent ardemment.

Réunie le mercredi 25 octobre 2023, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a décidé de proposer au Sénat de ne pas adopter les crédits de la mission.

Réunie à nouveau le jeudi 23 novembre 2023, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a confirmé sa décision.

L'article 49 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) fixe au 10 octobre la date limite pour le retour des réponses aux questionnaires budgétaires.

À cette date, 46,2 % des réponses étaient parvenues au rapporteur spécial en ce qui concerne la mission « Immigration, asile et intégration ».

PREMIÈRE PARTIE :
DANS UN CONTEXTE DE MONTÉE DE LA PRESSION MIGRATOIRE, DES CRÉDITS QUI NE CONNAISSENT PAS D'ÉVOLUTIONS STRUCTURELLES

I. LES CRÉDITS DE LA MISSION, QUI NE CORRESPONDENT QU'À UNE PARTIE DES DÉPENSES LIÉES À LA POLITIQUE D'IMMIGRATION ET D'INTÉGRATION, S'INSCRIVENT DANS UN CONTEXTE DE HAUSSE DES DEMANDES D'ASILE

A. LES CRÉDITS DE LA MISSION NE REPRÉSENTENT QU'UNE PART MINORITAIRE DES DÉPENSES DE L'ÉTAT EN MATIÈRE DE POLITIQUE D'IMMIGRATION ET D'INTÉGRATION

Les dépenses de l'État induites par l'immigration ne se limitent pas à la mission « Immigration, asile et intégration ». Le coût estimé de la politique française de l'immigration et de l'intégration était ainsi de 6,4 milliards d'euros en 2020 en crédits de paiement (CP), de 6,7 milliards d'euros en 2021, de 6,8 milliards en 2022 et de 7,5 milliards d'euros en 2023. Il serait de 7,9 milliards d'euros en 2024.

En outre, ce coût, issu du document de politique transversale (DPT) « Politique française de l'immigration et de l'intégration » annexé au projet de loi de finances pour 2024, auquel contribuent 19 programmes répartis au sein de 13 missions budgétaires, prend en compte les dépenses directes et orientées à titre principal vers les étrangers. Le coût complet des forces de sécurité intérieure, de l'hébergement d'urgence et de l'enseignement scolaire n'est par exemple que partiellement intégré.

Part des crédits de paiement de la mission « Immigration, asile et intégration » par rapport à l'ensemble des crédits de la « Politique française
de l'immigration et de l'intégration » en 2024

(en %)

Source : commission des finances, d'après le document de politique transversale « Politique française de l'immigration et de l'intégration » annexé au présent projet de loi de finances

B. DES FLUX MIGRATOIRES ET DE DEMANDES D'ASILE QUI ATTEIGNENT DES NIVEAUX TRÈS ÉLEVÉS

1. Après une année 2020 marquée par l'épidémie de COVID- 19, la pression migratoire a repris sa tendance haussière en Europe et en France à partir de 2021

En 2020, la situation de crise sanitaire liée à la Covid- 19 avait entrainé une baisse des flux migratoires à destination de la France et de l'Europe. Les restrictions sur les déplacements intérieurs et internationaux intervenus en France et en Europe ainsi que dans les pays de départ et de transit avaient concouru à cette diminution, notamment les restrictions sur les vols commerciaux. Les flux migratoires à destination des pays de l'Union européenne avaient ainsi diminué de moitié au premier semestre 20207(*). En Europe, les demandes d'asile étaient en baisse de 33 % au cours des six premiers mois de 2020 par rapport à la même période en 2019, ce qui coïncidait avec la restriction des déplacements sur le continent pour endiguer la crise sanitaire8(*). En 2020, l'Europe demeurait néanmoins la plus grande terre d'accueil de migrants internationaux en volume, avec un total de 87 millions de migrants y vivant9(*).

Cette situation était conjoncturelle et le retour progressif à une situation sanitaire maitrisée s'accompagne d'un retour progressif des flux migratoires à un niveau proche de celui d'avant-crise. En 2021, plus de 617 800 personnes avaient demandé l'asile dans les États membres ou associés de l'Union européenne, « ce qui [représentait] une augmentation d'un tiers par rapport à 2020 et un retour à la situation antérieure à la pandémie de Covid-19 »10(*). Le nombre de demandes d'asile, après une baisse en 2020, est ainsi reparti à la hausse dès 2021 (+ 7 % avec 103 164 demandes devant l'OFPRA11(*)). En 2022, les flux migratoires se sont encore renforcés en Europe. Ainsi, 962 160 ressortissants de pays tiers ont demandé l'asile dans l'Union européenne en 2022. La France fait partie des trois principaux pays d'accueil, derrière l'Allemagne (244 000) et devant l'Espagne (118 000). Les demandes d'asile y ont en effet augmenté en 2022 de 27 %, pour atteindre 131 254 demandes devant l'OFPRA, soit un niveau très proche de celui de 2019 (132 826 demandes).

Outre les flux en eux-mêmes et les demandes d'asile, les autres volets de la politique migratoire ont également progressé de nouveau à partir de 2021. Les délivrances de visas avaient augmenté cette année-là de 2,9 % et les acquisitions de nationalité par décret ou déclarations de 53,6 % par rapport à 202012(*). En 2022, les délivrances de visas ont augmenté de 137,1 %, tandis que les acquisitions de nationalité ont un peu réduit (- 19,5 % pour les acquisitions par décret, - 2,6 % pour les acquisitions par déclaration). Les contrats d'intégration républicaine13(*) ont également été signés en plus grand nombre (78 764 CIR ont été signés en 2020, 109 000 CIR en 2021, 110 080 en 2022).

2. Des demandes d'asile qui devraient augmenter en 2023 et 2024 pour atteindre un niveau record

Les indicateurs sur la demande d'asile ont fait l'objet d'un changement de méthode de calcul en 2020. Le système d'information asile (SI Asile) a succédé à la source de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides (Ofpra). La nouvelle méthodologie permet désormais de dénombrer, outre les demandes passant par l'Ofpra, les demandes en procédure Dublin « III »14(*) et les demandes déposées en guichet unique pour demandeur d'asile (Guda) mais jamais arrivées à l'Ofpra. Pour rappel, le règlement européen Dublin « III » prévoit qu'un seul État membre est responsable du traitement d'une même demande d'asile au sein de l'Union européenne. Les demandes d'asile concernées sont celles qui relèvent de la compétence d'un autre État membre, c'est-à-dire de migrants arrivés en Europe qui, après avoir enregistré cette demande dans un premier pays européen, la réitèrent dans un autre État membre de l'Union européenne. Ce nouvel indicateur donne ainsi une image plus fidèle de l'évolution du nombre de demandes d'asile à partir de 2018, année depuis laquelle le nouveau périmètre est applicable.

Évolution du nombre de demandes d'asile introduites devant l'OFPRA

 

Premières demandes

Réexamens et réouvertures de dossiers clos

Total demandes d'asile

Évolution nombre demandes d'asile

2018

114 226

9 399

123 625

+ 22,7 %

2019

123 682

9 144

132 826

+ 7,4 %

2020

87 514

8 910

96 424

- 27,4 %

2021

89 256

13 908

103 164

+ 7,0 %

2022

115 091

16 163

131 254

+ 27,2 %

Source : commission des finances du Sénat, d'après l'Ofpra

La baisse observée entre 2019 et 2020 revêtait un caractère exceptionnel (- 27,4 %). En 2021, le nombre de demandes d'asile est ainsi reparti à la hausse pour s'établir à 103 164 demandes, soit 7 %. La poursuite de la levée des restrictions sanitaires au cours des années 2021 et 2022, le contexte international et les effets de rattrapage ont accentué cette augmentation15(*). En 2022, la hausse a été de 27,2 %, les demandes d'asile s'établissant à 131 254. Pour 2023, le Gouvernement ne donne pas d'estimation mais prévoit 160 000 demandes en 2024, soit un niveau record.

Les décisions de protection rendues par l'Ofpra et la CNDA

En 2022, l'Ofpra et la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) ont rendu 56 276 décisions de protection (octroi du statut de réfugié ou d'apatride, protection subsidiaire), contre 54 384 en 2021 (et 33 204 en 2020), soit une hausse de 3,5 %. 43 517 demandeurs d'asile se sont vus accorder le statut de réfugié (+ 25,2 % par rapport à 2021) et 12 759 demandeurs d'asile ont obtenu une protection subsidiaire (- 35 % par rapport à 2021).

La majorité de ces décisions sont prises par l'Ofpra : 38 885 admissions ont été enregistrées en 2022, contre 35 919 en 2021 (+ 8,3 %). 31 136 personnes protégées par l'Ofpra en 2022 se sont vus octroyer un statut de réfugié ou d'apatride et 7 749 une protection subsidiaire. L'Ofpra ayant rendu 134 513 décisions en 2022, le taux de protection de l'Ofpra, qui augmente de 3,3 points, s'établit à 29,2 %, en 2021.

La CNDA a quant à elle rendu en appel 17 391 décisions de protection en 2022, contre 18 465 en 2021 (- 5,8 %). 12 381 personnes se sont vues octroyer un statut de réfugié ou d'apatride et 5 010 une protection subsidiaire.

À l'issue des décisions de l'OFPRA et de la CNDA, 42 % des demandes examinées en 2022 ont conduit à une protection, contre 38,9 % en 2021.

Au total (décisions de l'OFPRA et de la CNDA), les trois principales nationalités concernées par la protection subsidiaire en 2022 sont les Syriens (17,4 % du total des bénéficiaires de la protection subsidiaire), les Somaliens (13,5 %) et les Albanais (5,7 %). Le statut de réfugié a été octroyé principalement à des Afghans (30,2 % du total des statuts de réfugié), des Ivoiriens (6 %), des Syriens (5,9 %) et des Guinéens (5,8 %). Les Ukrainiens bénéficient quant à eux principalement de la protection temporaire, dans un cadre différent16(*).

Source : commission des finances, d'après l'Ofpra

3. Un dispositif d'éloignement qui produit des résultats insuffisants

S'il est par principe très difficile d'estimer le nombre d'étrangers en situation irrégulière en France, certains indicateurs permettent de tenter d'appréhender l'ampleur de l'immigration irrégulière sur le territoire français.

Il en est ainsi du nombre de bénéficiaires de l'aide médicale d'État (AME), qui sont des étrangers en situation irrégulière. En 2020, il s'établissait à 382 899, soit une hausse de + 15 % par rapport à 2019. En 2021, il s'établissait à 380 762. En 2022, il atteint 411 36417(*), soit le niveau le plus élevé jamais enregistré et supérieur de 228 % par rapport à 2003.

Il convient de rappeler que cette aide est versée sous condition de résidence ininterrompue en France de trois mois, et que son taux de recours n'est pas connu, et ne peut donc donner qu'une image tronquée du nombre d'étrangers résidant en France en situation irrégulière.

Dans le même temps, les retours forcés exécutés n'ont augmenté que de 13,1 % en 2022 (pour s'établir à 11 410 retours) par rapport à 2021, année qui étaient encore marquée par les restrictions sur les déplacements liées à l'épidémie de COVID- 19. Ils restent inférieurs de 39,6 % au nombre de retours forcés constatés en 2019.

Nombre de retours forcés exécutés

Source : commission des finances du Sénat, d'après le ministère de l'intérieur

Plus spécifiquement, les obligations de quitter le territoire français (OQTF), qui constituent la majorité des mesures administratives d'éloignement des étrangers en situation irrégulière, connaissent un taux d'exécution inférieur à 10 % depuis début 2020 (voir infra) ; il s'établissait à 6,0 % en 2021 et à 6,9 % pour la première partie de 2022.

Évolution du nombre d'OQTF prononcées
et exécutées depuis 2010

Source : commission des finances, d'après le ministère de l'intérieur

Évolution du taux d'exécution des OQTF depuis 2010 (en %)

Source : commission des finances, d'après le ministère de l'intérieur

C. UNE PROTECTION TEMPORAIRE DES PERSONNES FUYANT LE CONFLIT EN UKRAINE QUI N'EST PAS BUDGÉTISÉE ET QUI FAIT L'OBJET D'INFORMATIONS TROP LACUNAIRES DU PARLEMENT

La directive 2001/55/CE du Conseil du 20 juillet 200118(*) prévoit la possibilité d'octroyer une protection temporaire en cas d'afflux massif de personnes qui fuient des zones de conflit ou de violences ou qui ont été victimes de violations systématiques ou généralisées des droits de l'homme. Cette directive poursuit un double objectif : éviter un effondrement des systèmes d'asile des États membres de l'Union européenne et assurer une protection « immédiate » des personnes déplacées.

Par une décision d'exécution UE n° 2022/382 du Conseil du 4 mars 202219(*), le Conseil de l'Union européenne a constaté l'existence d'un afflux massif de personnes déplacées et a introduit la protection temporaire dans l'Union européenne pour la première fois, dans le contexte de l'invasion de l'Ukraine lancée par les forces armées russes, le 24 février 2022.

Dans ce cadre, les personnes déplacées et susceptibles de se voir protégées au titre de la protection temporaire sont libres d'accéder à l'État de l'Union de leur choix. En effet, la directive ne prévoit aucun mécanisme de détermination d'un État responsable de la protection temporaire, à l'inverse du système dit de « Dublin ».

La directive du 20 juillet 2001 ne prévoit pas non plus de « procédure d'octroi » de la protection temporaire. Ce sont ainsi les États qui sont compétents pour déterminer les règles d'octroi de cette protection temporaire. En France, ces règles sont fixées par l'instruction INTV2208085J20(*) du 10 mars 2022 adressée aux préfets. Sont concernés par la protection temporaire :

- les ressortissants ukrainiens qui résidaient en Ukraine avant le 24 février 2022 ;

- les ressortissants de pays tiers ou apatrides qui bénéficient d'une protection internationale ou d'une protection nationale équivalente en Ukraine avant le 24 février 2022 ;

- les ressortissants de pays tiers ou apatrides qui établissent qu'ils résidaient régulièrement en Ukraine « sur la base d'un titre de séjour permanent en cours de validité délivré conformément au droit ukrainien et qui ne sont pas en mesure de rentrer dans leur pays ou région d'origine dans des conditions sûres et durables » ;

- les membres de famille des personnes mentionnées dans les trois premiers cas et eux-mêmes déplacés d'Ukraine à partir du 24 février 2022, sans qu'y fasse obstacle la circonstance qu'ils pourraient retourner dans leur pays ou région d'origine dans des conditions sûres et durables.

Si l'appréciation des conditions mentionnées soulève une difficulté, les préfectures peuvent s'appuyer sur la direction générale des étrangers en France (DGEF) qui peut solliciter, en tant que de besoin, l'OFPRA.

En application de l'instruction ministérielle susmentionnée, les bénéficiaires de la protection temporaire se voient remettre une autorisation provisoire de séjour d'une durée de 6 mois portant la mention « bénéficiaire de la protection temporaire ». Cette autorisation est renouvelée de plein droit pendant toute la durée de validité de la décision du Conseil de l'Union européenne actionnant la protection temporaire. Il est demandé aux préfets de « veiller à ce que les bénéficiaires de la protection temporaire aient accès à un hébergement si elles n'en disposent pas à titre personnel », étant entendu que « les personnes bénéficiant de la protection temporaire n'ont pas vocation à être hébergées au sein du dispositif national d'accueil pour demandeurs d'asile dès lors qu'elles ne relèvent pas de ce statut ».

En outre, les bénéficiaires de la protection temporaire peuvent disposer de l'allocation pour demandeur d'asile (ADA) pendant la durée de leur protection s'ils satisfont à des conditions d'âge et de ressources. Ils peuvent, sans délai à leur arrivée en France, être affiliés à la protection universelle maladie et se voir ouvrir un droit d'un an à la complémentaire santé solidaire. Ils sont aussi éligibles à certaines aides au logement. En outre, les bénéficiaires de la protection temporaire âgés de moins de 18 ans ont accès au système éducatif.

Par ailleurs, l'étranger bénéficiant de la protection temporaire peut demander à être rejoint par un membre de sa famille qui bénéficie de la protection temporaire dans un autre État membre de l'Union européenne et par un membre direct de sa famille non encore présent sur le territoire de l'Union européenne. La demande est adressée au préfet qui tient compte des capacités d'accueil dans le département et des motifs de nécessité et d'urgence invoqués par les intéressés.

Enfin, le bénéfice de la protection temporaire ne préjuge pas de la reconnaissance de la qualité de réfugié mais ne fait pas obstacle à l'introduction d'une demande d'asile. L'étranger bénéficiaire de la protection temporaire qui sollicite l'asile reste soumis au régime de la protection temporaire pendant l'instruction de sa demande. Si, à l'issue de l'examen de la demande d'asile, le statut de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire n'est pas accordé à l'étranger bénéficiaire de la protection temporaire, celui-ci conserve le bénéfice de cette protection aussi longtemps qu'elle demeure en vigueur.

Le rapporteur spécial constate que si l'accueil des personnes déplacées d'Ukraine et l'octroi de la protection temporaire qui leur est fait sont tout à fait légitimes, il s'agit d'une évolution notable du contexte migratoire pour la France depuis 2022.

Selon le projet annuel de performances de la mission « Immigration, asile et intégration » du projet de loi de finances pour 2024, « plus de 100 000 déplacés d'Ukraine » ont été accueillis en France dans ce cadre. Cette estimation est néanmoins identique à celle fournie l'année dernière dans le document correspondant, qui mentionnait qu' « à la fin de l'été [2022], plus de 100 000 personnes avaient obtenu ce statut en France ». Le document de politique transversale « Politique française de l'immigration et de l'intégration » pour 2024 précise que l'allocation pour demandeur d'asile était versée à environ 72 500 bénéficiaires de la protection temporaire en août 2023.

Le système de la protection temporaire engendre des conséquences budgétaires, notamment en ce qui concerne l'hébergement de ces personnes, la satisfaction de leurs besoins élémentaires, leur accès au système de soins ou encore l'accès à la scolarisation des mineurs, etc.

Ainsi, ce coût aurait été, pour la mission, de 481,8 millions d'euros en 2022 en CP, dont 218,4 millions d'euros au titre de l'ADA, 253,3 millions d'euros au titre de l'hébergement et 10,1 millions d'euros pour les accueils de jour et les transports. Ces dépenses, non prévisibles dans le cadre de la loi de finances initiale pour 2022, avaient été financées en cours d'année, notamment par le décret d'avance du 7 avril 202221(*), qui a notamment ouvert 300 millions d'euros sur le programme 303 « Immigration et asile », ainsi par des dégels et redéploiements de crédits. Il avait été ratifié par la loi n° 2022-1157 du 16 août 2022 de finances rectificative pour 2022.

Répartition du coût pour la mission en 2022 de l'accueil des personnes déplacées en provenance d'Ukraine bénéficiant de la protection temporaire

(en CP, en millions d'euros)

Commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

Plusieurs mois après le début du déploiement de la protection temporaire, le projet de loi de finances pour 2023 présenté était, pour ce qui concerne la mission, particulièrement lacunaire sur le sujet et n'offrait, dans le projet annuel de performances, ni de présentation globale des coûts prévisibles ni leur ventilation. Par exemple, s'il précisait que les personnes bénéficiant de la protection temporaire avaient le droit à l'allocation pour demandeur d'asile, il n'en donnait le coût ni pour 2022, ni pour 2023. S'il précisait que la mission avait financé en 2022 « des places d'hébergement collectif dont l'ouverture [était] apparue indispensable pour mettre à l'abri ces personnes », il n'en détaillait ni la nature ni le nombre. Il énonçait même à deux reprises que « compte tenu des incertitudes qui entourent le conflit et l'évolution des flux, les dépenses prévisionnelles correspondantes pour 2023 ne sont pas présentées ici », ce qui est pourtant l'objet de la documentation budgétaire. Surtout, les crédits nécessaires à la prise en charge des personnes concernées n'étaient en réalité pas intégrés au budget de la mission pour 2023. Selon le document de politique transversale sur la politique française de l'immigration et de l'intégration de 2024, « en 2023, ces dépenses sont financées par le dégel des deux programmes de la mission "Immigration, asile et intégration", ainsi que par une ouverture de crédits ». Selon les informations recueillies par le rapporteur spécial, ces dépenses sont estimées pour l'année 2023 à 345,3 millions d'euros en AE et à 348,9 millions d'euros en CP, dont 174,7 millions d'euros pour l'ADA, 157,4 millions d'euros pour l'hébergement, 6,9 millions d'euros pour l'accueil de jour et les frais de transport et 10 millions d'euros pour les formations linguistiques.

Si une telle organisation budgétaire n'apparaissait déjà pas vertueuse pour 2023, le rapporteur spécial considère que sa reconduction pour 2024 l'est encore moins. En effet, cette année encore, le budget de la mission n'intègre pas les crédits nécessaires à la protection temporaire, crédits que le projet annuel de performances ne présente pas non plus, se contentant d'indiquer laconiquement que « compte tenu des incertitudes qui entourent le conflit et l'évolution des flux, les dépenses prévisionnelles correspondantes pour 2024 ne sont pas présentées ici ». En conséquence, c'est encore par abondement en gestion que le financement devrait s'opérer pour 2024.

Le Gouvernement disposait des informations nécessaires pour estimer et intégrer les dépenses afférentes au budget de la mission pour 2024. En outre, la non-budgétisation de ces crédits est d'autant plus problématique que leurs poids par rapport au total des crédits de la mission est significatif. Une telle situation est donc de nature à limiter le caractère éclairé du vote du Parlement sur la mission. Il est rappelé qu'évoquant la non-budgétisation des crédits dans le projet de loi de finances pour 2023, la Cour des comptes indiquait d'ailleurs que « le défaut de sincérité budgétaire [était] établi à cet égard »22(*).

II. UNE FOIS LES ÉVOLUTIONS PONCTUELLES ET DE PÉRIMÈTRE NEUTRALISÉES, LE BUDGET DE LA MISSION APPARAÎT ORIENTÉ LÉGÈREMENT À LA HAUSSE, SANS ÉVOLUTION MAJEURE

A. LA NEUTRALISATION DES MESURES DE PÉRIMÈTRE ET DES VARIATIONS PONCTUELLES DES CRÉDITS FAIT APPARAÎTRE UN BUDGET EN LÉGÈRE HAUSSE ET QUI ÉVOLUE PEU

En 2024, la mission reste composée de deux programmes :

- le programme 303 « Immigration et asile », qui porte les crédits de garantie du droit d'asile et d'accueil des demandeurs d'asile, ainsi que les crédits relatifs à la lutte contre l'immigration irrégulière ;

- le programme 104 « Intégration et accès à la nationalité française », qui porte les crédits d'intégration des étrangers primo-arrivants et des réfugiés, notamment la subvention à l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii) et les subventions aux associations oeuvrant en la matière.

Les effectifs de la mission sont portés par le programme 216 « Conduite et pilotage des politiques de l'intérieur », rattaché à la mission « Administration générale et territoriale de l'État » ; il n'y a donc pas de dépenses de personnel sur les programmes 303 et 104 de la mission23(*).

1. La mission connaît plusieurs évolutions de périmètre par rapport à 2023

La mission connaît cette année deux évolutions de périmètre, dont l'une, en réalité double, est interne à la mission et une autre consiste en une rétrocession de crédits en provenance d'une autre mission.

En premier lieu, au sein de la mission, l'action n° 15 « Accompagnement des réfugiés » du programme 104 est supprimée. Dans le cadre du PLF pour 2022, cette action avait déjà connu un transfert sortant vers l'action n° 12 « Intégration des étrangers primo-arrivants » du même programme 104. Dans le cadre du budget pour 2024, la suppression de l'action n° 15 aboutit à regrouper les crédits qui lui étaient encore rattachés :

- pour ce qui concerne les crédits restants concernant l'intégration des réfugiés, à l'action n° 12 du même programme 104 (pour un montant de crédits qui représentait 3,3 millions d'euros en AE=CP en 2023) ; selon le Gouvernement, le regroupement des crédits concernés au sein de l'action n° 12 est la traduction budgétaire d'une mise en oeuvre cohérente de la politique d'intégration, qui inclut tous les étrangers primo-arrivants en situation régulière en France, quel que soit le motif de leur admission au séjour (réfugiés ou non) ;

- s'agissant des crédits concernant les places d'hébergement pour réfugiés vulnérables (centres provisoires d'hébergement, CPH, ou similaires), ceux-ci sont transférés sur l'actions n° 02 « Garantie de l'exercice du droit d'asile » du programme 303 (pour un montant de 126,2 millions d'euros en AE=CP en 2024). Selon le Gouvernement, « ces places24(*) représentent en effet des sas de sorties du dispositif national d'accueil des demandeurs d'asile dont elles sont devenues une extension permanente. Elles permettent à ce titre de prolonger de quelques mois l'accompagnement des bénéficiaires d'une protection internationale (...). » L'ensemble des places d'hébergement du dispositif national d'accueil sont ainsi regroupées, que soient concernés des demandeurs d'asile ou de récents bénéficiaires (vulnérables) de la protection internationale, au sein de l'action n° 02 du programme 303.

En second lieu, l'action n° 4 « Soutien » du programme 303 connaît une rétrocession de crédits du programme 216 « Conduite et pilotage des politiques de l'intérieur » (rattaché à la mission « Administration générale et territoriale de l'État ») d'un montant de 38,5 millions d'euros en AE et 37,9 millions d'euros en CP. En effet, dans le cadre de la création de la direction de la transformation numérique (DTNum) le 13 juillet 2023, au sein du ministère de l'Intérieur et des Outre-mer, les crédits dédiés aux développements, à la maintenance et à l'hébergement des grands programmes numériques portés par la Direction générale des étrangers en France (DGEF) supportés par le programme 216 sont rétrocédés à l'action n° 4 au 1er janvier 2024.

2. Les crédits apparaissent, au premier abord, en forte baisse en AE (- 34,0 %) et en hausse en CP (+ 7,3 %)

Les crédits de la mission sont en apparence, par rapport à 2023, en forte baisse en autorisations d'engagement (AE, - 34,0 % soit - 910,5 millions d'euros) et en hausse en crédits de paiement (CP, + 7,3 % soit + 146,9 millions d'euros).

Les crédits demandés pour l'ensemble de la mission s'élèvent ainsi à 1,76 milliard d'euros en AE et à 2,16 milliards d'euros en CP.

Évolution des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration »

(en millions d'euros et en pourcentage)

   

Exécution 2022

LFI 2023

PLF 2024

Évolution PLF 2024 / LFI 2023 (volume)

Évolution PLF 2024 / LFI 2023 (%)

FDC et ADP attendus en 2024

303 - Immigration et asile

AE

1 783,1

2 131,7

1 333,1

- 798,6

- 37,5 %

83,9

CP

1 736,9

1 465,9

1 724,8

+ 258,9

+ 17,7 %

83,9

104 - Intégration et accès à la nationalité française

AE

482,2

543,1

431,2

- 111,9

- 20,6 %

10,7

CP

478,2

543,2

431,2

- 112,0

- 20,6 %

10,7

Total mission

AE

2 265,3

2 674,8

1 764,3

- 910,5

- 34,0 %

94,6

CP

2 215,1

2 009,2

2 156,0

+ 146,9

+ 7,3 %

94,6

FDC et ADP : fonds de concours et attributions de produits.

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Évolution des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration »

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Les deux programmes connaissent des évolutions contrastées. Le programme 303 « Immigration et asile » concentre la plus grande part de la baisse des AE (- 798,6 millions d'euros, soit - 37,5 %) mais connait une hausse de ses CP (+ 258,9 millions d'euros, soit + 17,7 %) par rapport à 2023.

Évolution des crédits par action du programme 303

(en millions d'euros et en %)

   

LFI 2023

PLF 2024

Évolution PLF 2024 / LFI 2023 (volume)

Évolution PLF 2024 / LFI 2023 (%)

FDC et ADP attendus en 2024

01 - Circulation des étrangers et politique des visas

AE

0,5

0,5

0,0

0,0 %

0

CP

0,5

0,5

0,0

0,0 %

0

02 - Garantie de l'exercice du droit d'asile

AE

1 897,2

975,4

- 921,8

- 48,6 %

35,0

CP

1 267,4

1 406,9

+ 139,5

+ 11,0 %

35,0

03 - Lutte contre l'immigration irrégulière

AE

205,5

300,0

+ 94,5

+ 46,0 %

26,2

CP

169,5

260,7

+ 91,2

+ 53,8 %

26,2

04 - Soutien

AE

28,5

57,3

+ 28,8

+ 100,9 %

22,7

CP

28,5

56,7

+ 28,2

+ 98,8 %

22,7

Total programme 303

AE

2 131,7

1 333,1

- 798,6

- 37,5 %

83,9

CP

1 465,9

1 724,8

+ 258,9

+ 17,7 %

83,9

FDC et ADP : fonds de concours et attributions de produits

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Le programme 104 « Intégration et accès à la nationalité française » connaît une baisse identique de ses AE et de ses CP (- 112,0 millions d'euros, soit - 20,6 %) par rapport à 2023.

Évolution des crédits par action du programme 104

(en millions d'euros et en %)

   

LFI 2023

PLF 2024

Évolution PLF 2024 / LFI 2023 (volume)

Évolution PLF 2024 / LFI 2023 (%)

FDC et ADP attendus en 2024

11 - Accueil des étrangers primo arrivants

AE

273,3

246,0

- 27,3

- 10,0 %

0,0

CP

273,3

246,0

- 27,3

- 10,0 %

0,0

12 - Intégration des étrangers primo-arrivants

AE

135,4

174,6

+ 39,1

+ 28,9 %

10,7

CP

135,4

174,6

+ 39,1

+ 28,9 %

10,7

14 - Accès à la nationalité française

AE

1,1

1,4

+ 0,3

+ 27,5 %

0,0

CP

1,1

1,3

+ 0,2

+ 16,8 %

0,0

15 - Accompagnement des réfugiés

AE

122,0

Action supprimée

- 122,0

- 100 %

0,0

CP

122,0

- 122,0

- 100 %

0,0

16 - Accompagnement des foyers de travailleurs migrants

AE

11,3

9,3

- 2,0

- 17,9 %

0,0

CP

11,3

9,3

- 2,0

- 17,9 %

0,0

Total programme 104

AE

543,1

431,2

- 111,9

- 20,6 %

10,7

CP

543,2

431,2

- 112,0

- 20,6 %

10,7

FDC et ADP : fonds de concours et attributions de produits

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

3. Une fois neutralisées les évolutions ponctuelles et de périmètre, le budget de la mission apparaît assez stable et orienté légèrement à la hausse

L'analyse de l'évolution globale des crédits pour 2024 par rapport à 2023 ne peut s'effectuer sur les seules données brutes. En effet, d'une part, les évolutions de périmètre faussent en partie les équilibres et, d'autre part, les évolutions ponctuelles des AE en 2023 donnent une vision en partie déformée de leur niveau en 2024.

En premier lieu, les évolutions de périmètre internes à la mission, présentées supra, aboutissent tout d'abord à rehausser les CP et AE du programme 303 de 126,2 millions d'euros et de réduire d'autant ceux du programme 10425(*). En outre, les crédits du programme 303 sont également majorés de 38,5 millions d'euros en AE et 37,9 millions d'euros en CP du fait d'un rétablissement de crédits en provenance d'une autre mission26(*). Au total, les mesures de périmètre conduisent à une augmentation artificielle des crédits du programme 303 de 164,7 millions d'euros en AE et de 164,1 millions d'euros en CP. En sens inverse, elles aboutissent à une baisse artificielle des crédits du programme 104 de 126,2 millions d'euros en AE=CP.

En neutralisant ces mesures de périmètre, le programme 303 voit en 2024 ses crédits baisser de 45,2 % en AE (- 963,3 millions d'euros) et augmenter de 6,5 % en CP (+ 94,8 millions d'euros). Le programme 104 voit quant à lui ses crédits augmenter tant en AE, de 2,6 % (+ 14,3 millions d'euros) qu'en CP, de 2,6 % (+ 14,2 millions d'euros). La hausse des CP à l'échelle de la mission s'établit à 5,4 %, soit 109,0 millions d'euros.

Au niveau de la mission, la neutralisation des mesures de périmètre a peu d'impact en raison du fait que l'essentiel de leur montant cumulé est réalisé par un transfert entre les deux programmes. Les crédits de la mission s'élèveraient ainsi à 1,73 milliard d'euros en AE et à 2,12 milliards d'euros en CP.

En second lieu, la comparaison en données brutes par rapport à 2023 connait cette année un écueil s'agissant des autorisations d'engagement. En effet, budgétairement, l'année 2023 a notamment été marquée par un renouvellement des conventions pluriannuelles avec les gestionnaires s'agissant de l'hébergement d'urgence des demandeurs d'asile (HUDA), d'une part, et des centres d'accueil et d'examen des situations (CAES), également pour les demandeurs d'asile, d'autre part. Ces renouvellements ont conduit à une forte hausse ponctuelle des AE engagées en 2023. Cela explique une partie significative de la baisse des dépenses sur ces deux postes, qui sont rattachés à l'action n° 2 du programme 303, baisse qui atteint respectivement 857 millions d'euros et 187 millions d'euros, soit 1,044 milliard d'euros au total. Même s'il convient de noter qu'une part de cette baisse en 2024 n'est pas attribuable à cet effet mécanique27(*), il apparaît nécessaire, pour comparer les deux budgets 2023 et 2024, de prendre en compte ce dernier effet.

B. DES CRÉDITS TOUJOURS LARGEMENT DESTINÉS À LA MISE EN oeUVRE DE L'ASILE

Les dépenses de la mission « Immigration, asile et intégration » sont en réalité très concentrées sur l'asile (instruction des demandes et conditions matérielles d'accueil des demandeurs d'asile), puisque l'action 02 « Garantie de l'exercice du droit d'asile » du programme 303 « Immigration et asile » concentre à elle seule 65,3 % des CP demandés pour 2024.

Répartition des crédits de paiement demandés pour 2024 pour la mission

(en %)

Source : commission des finances

S'agissant des équilibres entre les deux programmes, le programme 303 continue de représenter une part substantielle des crédits de la mission. En 2024, il représente 75,6 % des AE et 80,0 % des CP, contre respectivement 24,4 % et 20,0 % pour le programme 104. Ce déséquilibre, de nature structurelle, est accentué cette année par les évolutions de périmètre mentionnées supra.

SECONDE PARTIE :
ANALYSE PAR PROGRAMME

I. LE PROGRAMME 303 « IMMIGRATION ET ASILE » 

A. EN DÉPIT D'UNE BAISSE APPARENTE DES AUTORISATIONS D'ENGAGEMENT, LES CRÉDITS CONSACRÉS À L'ASILE RESTENT ÉLEVÉS

En 2024, les dépenses d'asile, regroupées au sein de l'action n° 02 « Garantie de l'exercice du droit d'asile » du programme 303 « Immigration et asile », continuent de concentrer l'essentiel des dépenses de la mission. Elles représentent 55,3 % des AE et 65,3 % des CP de la mission. Les crédits de cette action s'établissent à 975,4 millions d'euros en AE et à 1,41 milliard d'euros en CP.

En 2024, les AE de cette action sont en baisse de 48,6 % (- 921,8 millions d'euros), tandis que les CP augmentent de 11,0 % (+ 139,5 millions d'euros). En neutralisant les évolutions de périmètre28(*), en 2024, les AE baissent de 1,048 milliard d'euros (- 55,3 %) et les CP augmentent de 13,4 millions d'euros (+ 1,1 %). La baisse des AE s'explique largement par l'importante baisse des AE s'agissant de l'hébergement des demandeurs d'asile par rapport à 2023, année au cours de laquelle avaient été ouvertes ponctuellement de nombreuses AE pour financer le renouvellement des conventions de gestion des HUDA et CADA et par le fait que de nombreuses AE ont déjà été ouvertes sur ces postes depuis plusieurs années. En outre, le budget de l'allocation pour demandeur d'asile (ADA) baisse en AE, alors que celui des CADA (centres d'accueil des demandeurs d'asile) et de l'Ofpra (Office français pour la protection des réfugiés) augmente. La hausse des CP est quant à elle liée principalement au transfert entrant de crédits29(*) et, dans une moindre mesure, à la hausse modérée d'un certain nombre de postes de dépenses, parmi lesquels l'hébergement des demandeurs d'asile (CADA, CAES30(*) et HUDA31(*)) et la subvention à l'Ofpra, en dépit de la baisse de l'ADA.

B. LA POURSUITE DU DÉVELOPPEMENT DU PARC D'HÉBERGEMENT POUR DEMANDEURS D'ASILE ET POUR RÉFUGIÉS VULNÉRABLES

La plus grande part des dépenses d'asile de la mission concerne l'hébergement des demandeurs et des réfugiés vulnérables, qui représente 564,2 millions d'euros en AE et 995,7 millions d'euros en CP (57,8 % des AE et 70,8 % des CP de l'action en 2024), en intégrant les centres provisoires d'hébergement, nouvellement transférés à l'action32(*). Les dépenses d'ADA représentent quant à elles 30,1 % des AE et 20,0 % des CP de l'action.

Les principaux types d'hébergement des demandeurs d'asile,
ainsi que des réfugiés vulnérables

Les centres d'accueil et d'examen des situations (CAES) permettent une prise en charge de premier niveau des personnes migrantes, y compris administrative, en amont de leur orientation vers les lieux d'hébergement, notamment en cas d'afflux massif dans certains territoires. Ils sont également le point d'entrée des personnes faisant l'objet d'une orientation régionale depuis l'Île-de-France. Le parc de CAES représentera, en 2024, 7 622 places.

Les centres d'accueil des demandeurs d'asile (CADA) correspondent au mode normal d'hébergement des demandeurs d'asile. Ces centres, dont les missions sont définies par l'arrêté du 19 juin 2019 relatif au cahier des charges des centres d'accueil pour demandeurs d'asile, offrent aux demandeurs d'asile un hébergement, ainsi que des prestations d'accompagnement social et administratif. Le parc des CADA représentera, en 2024, 49 742 places.

L'hébergement d'urgence des demandeurs d'asile (HUDA) correspond à un dispositif d'urgence. Une part de ce dispositif, offrant des prestations et des conditions d'accueil similaires à celles observées en CADA, est considérée comme de l'hébergement pérenne, permettant une prise en charge des demandeurs tout au long de leur procédure. Les structures n'offrant pas un tel niveau de prestations, tels que les dispositifs hôteliers, sont quant à elles destinées à accueillir, à titre transitoire, des demandeurs d'asile préalablement à leur admission éventuelle dans un hébergement pérenne. L'accompagnement social et administratif des demandeurs d'asile orientés vers les dispositifs hôteliers est pris en charge par les structures du premier accueil des demandes d'asile (SPADA) pilotées par l'OFII. Le parc d'HUDA représentera, en 2024, 52 950 places.

Les centres provisoires d'hébergement des réfugiés (CPH) visent à favoriser l'accompagnement linguistique, social, professionnel et juridique des réfugiés qu'ils hébergent, présentant des vulnérabilités particulières et nécessitant une prise en charge complète dans les neuf premiers mois suivant l'obtention de leur statut. Ces structures, qui font l'objet d'un encadrement juridique spécifique depuis l'entrée en vigueur de la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d'asile, sont des centres d'hébergement de réinsertion sociale (CHRS) spécialisés. Le parc de CPH représentera, en 2024, 11 418 places. S'y ajoutent d'autres types d'hébergement pour réfugiés, pour 850 places.

En cumulé, le parc dédié aux demandeurs d'asile et aux réfugiés serait ainsi de 122 582 places en 2024.

Source : commission des finances, d'après le projet annuel de performances associé au PLF pour 2024

Après 5 900 places supplémentaires en 202333(*), la création de places d'hébergement pour les demandeurs d'asile et réfugiés vulnérables se poursuit en 2024, avec un total de 1 500 places créées. 1 000 places seraient ainsi créées pour les demandeurs d'asile, dont 500 en CADA et 500 en CAES. 500 places seraient en outre créées dans les centres provisoires d'hébergement (CPH), destinés à accueillir temporaire des bénéficiaires de la protection internationale particulièrement vulnérables.

Par ailleurs, 500 places de sas d'accueil temporaire ouvertes en 2023 hors Île-de-France dans le cadre des opérations de mises à l'abri conduites en Île-de-France seraient transformées en places pérennes de CAES, portant le total de places créées en 2024 à 2 000.

Au total, les crédits dédiés à l'hébergement sont en baisse de 906 millions d'euros en AE (- 61,6 %) et en hausse de 155,1 millions d'euros en CP (+ 15,6 %). En neutralisant les crédits entrants au sein de l'action n° 2 qui concernent les places d'hébergement en CPH, en provenance de l'action n° 15 du programme 104 (pour un montant de 126,2 millions d'euros en AE=CP en 2024), la baisse est de 1 032,2 millions d'euros en AE et la hausse de 28,9 millions d'euros en CP.

L'évolution significative en AE s'explique principalement par la baisse des crédits de l'HUDA (- 857 millions d'euros par rapport à 2023) et des CAES (- 187 millions d'euros). Cette évolution est liée selon le Gouvernement au fait qu'un nombre important d'AE avaient été ouvertes ponctuellement en 2023 pour renouveler les conventions pluriannuelles avec les gestionnaires des HUDA et CAES. En outre, on peut penser qu'elle s'explique également par le fait que de nombreuses AE ont déjà été ouvertes dans les années récentes.

En CP, la hausse est imputable aux CADA (+ 11 millions d'euros par rapport à 2023), aux CAES (+ 10 millions d'euros) et aux HUDA (+ 8 millions d'euros).

Au total, le parc d'hébergement pour demandeurs d'asile et réfugiés vulnérables pourrait atteindre 122 582 places en 2024.

Répartition des crédits de paiement par type d'hébergement
des demandeurs d'asile en 2024 (action 02 « Garantie de l'exercice du droit d'asile » du programme 303 « Immigration et asile »)

Source : commission des finances

1. Un budget de l'hébergement d'urgence des demandeurs d'asile (HUDA) qui ne prévoit pas de nouvelles places

Le parc du dispositif d'hébergement d'urgence des demandeurs d'asile (HUDA) est composé de différents dispositifs, à savoir principalement les hébergements d'urgence pour demandeurs d'asile gérés à l'échelle déconcentrée par les préfets (structures collectives, en diffus ou en hôtel) et les hébergements du programme d'accueil et d'hébergement des demandeurs d'asile (PRAHDA), le plus souvent sous une forme collective.

Les crédits affectés à l'hébergement d'urgence étaient en diminution de 2019 à 2021. Pour 2022, les AE avaient augmenté de 95 % en raison de la reconduction du PRAHDA pour 5 ans. En 2023, les crédits demandés augmentaient de 105,3 % en AE (+ 456,5 millions d'euros, soit 67 % de la hausse des AE de la mission en 2023). Cette hausse était principalement liée en 2023 au renouvellement pour trois ans des conventions pluriannuelles de l'HUDA. Elle couvrait, en outre, la création de places. Les crédits demandés au titre de l'HUDA s'élevaient à 890,0 millions d'euros en AE et à 395,0 millions d'euros en CP (en hausse pour leur part de 12,4 %).

Pour 2024, les AE se réduisent fortement et s'établissent à 32,6 millions d'euros, en baisse de plus de 857 millions d'euros. Cette évolution s'explique selon le Gouvernement par le fait qu'un nombre important d'AE avaient été ouvertes ponctuellement en 2023 pour renouveler les conventions pluriannuelles avec les gestionnaires des HUDA, ce qui a un effet mécanique à la baisse en 2024. Néanmoins, ce point ne suffit pas à expliquer l'ampleur de la baisse, probablement également attribuable, d'une part, au fait que les hausses d'AE de 2022 et 2023 ont généré aujourd'hui surtout des besoins en CP et, d'autre part, au fait qu'il n'est pas prévu de créations de places en HUDA en 2024. Les CP s'établissent quant à eux à 402,7 millions d'euros, en hausse de 7,7 millions d'euros.

2. Une baisse également forte des AE dédiées aux centres d'accueil et d'examen des situations (CAES) et une légère hausse des CP

Lancés en 2018, la capacité d'accueil des CAES est en hausse constante.

Le présent projet de loi de finances prévoit le financement des CAES à hauteur de 15,8 millions d'euros en AE et de 77,3 millions d'euros en CP en 2024, respectivement en baisse de 186,3 millions d'euros (- 92,2 %) et en hausse de 10 millions d'euros (+ 14,9 %).

La baisse des AE, de manière similaire aux HUDA, s'explique selon le Gouvernement par le fait qu'un nombre important d'AE avaient été ouvertes ponctuellement en 2023 pour renouveler les conventions pluriannuelles avec les gestionnaires des CAES, ce qui a un effet mécanique à la baisse en 2024. Néanmoins, ce point ne suffit pas à expliquer l'ampleur de la baisse, possiblement également attribuable à une succession d'ouvertures d'AE sur les dernières années, générant aujourd'hui surtout des besoins en CP.

La hausse des CP permet notamment de financer en 2024 la création de 500 places supplémentaires et, d'autre part, la pérennisation, sous la forme de CAES, de 500 places de sas d'accueil temporaire ouvertes en 2023 hors Île-de-France dans le cadre des opérations de mises à l'abri conduites en Île-de-France.

La capacité d'accueil des CAES, fixée à 2 986 places en 2018, devrait ainsi atteindre 7 622 places à fin 2024.

3. Une légère augmentation des crédits dédiés aux centres d'accueil pour demandeur d'asile (CADA) et une création de 500 nouvelles places...

Le nombre de centres d'accueil pour demandeur d'asile (CADA) est en augmentation constante ; il s'élève à plus de 360 centres aujourd'hui.

Le présent projet de loi de finances prévoit l'ouverture de 389,6 millions d'euros en AE et en CP, soit une augmentation de 11,3 millions d'euros par rapport à 2022 (+ 3,0 %).

En 2024, cette dotation permettra le financement du parc, qui sera étendu avec la création de 500 places supplémentaires. La capacité d'accueil des CADA devrait ainsi atteindre 49 742 places à fin 2024.

4. ... de même que pour les centres provisoires d'hébergement des réfugiés (CPH)

Jusqu'en 2023, les dépenses liées aux CPH et aux autres structures dédiées à l'accueil temporaire des réfugiés vulnérables étaient portées par l'action n° 15 « Accompagnement des réfugiés » du programme 104.

À compter de 2024, ces crédits sont transférés à l'action n° 2 du programme 30334(*). Ces crédits représentaient 118,7 millions d'euros en AE=CP en 2023. En 2024, ils seraient de 126,2 millions d'euros, soit une hausse de 7,5 millions d'euros (soit + 6,3 %).

En 2024, 500 nouvelles places en CPH seront créées, portant le parc à près de 11 418 places au total. S'y ajoutent d'autres types d'hébergement temporaires pour réfugiés vulnérables, pour 850 places.

5. Une dynamique globale de création de places d'hébergement qui ne suffit pas à optimiser la prise en charge des demandeurs d'asile

Les efforts budgétaires consacrés à la création de places d'hébergement des demandeurs d'asile ont pour objectif d'optimiser leur prise en charge, tant du point de vue de leurs besoins essentiels (hébergement, alimentation, etc.) que concernant leur accompagnement social et pour la procédure de demande d'asile.

Or, en dépit de l'augmentation significative du nombre de places d'hébergement, la part des demandeurs d'asile hébergés à titre gratuit demeure faible. Elle était de 58 % en 2021 et 2022. En 2023, elle serait de 59 %, pour un objectif fixé à 70 % initialement. La cible pour 2024 est ainsi abaissée, à 64 %, par rapport à celle de 2023.

Par ailleurs, la part des places occupées par des personnes qui ne devraient pas ou plus y séjourner35(*), qui était de 16 % en 2021, a atteint 22 % en 2022. Alors que la cible était fixée à 16 % en 2023, le taux réel devrait être de 21 %.

C. UNE RÉDUCTION OPTIMISTE DES DÉPENSES D'ALLOCATION POUR DEMANDEUR D'ASILE EN 2024

1. L'ADA : une aide financière allouée aux demandeurs d'asile

Créée par la loi du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d'asile36(*), l'allocation pour demandeur d'asile (ADA) est versée aux demandeurs d'asile d'au moins 18 ans pendant toute la durée de la procédure d'instruction de leur demande, y compris en cas de recours devant la Cour nationale du droit d'asile (Cnda). Cette allocation est familialisée et versée à l'ensemble des demandeurs d'asile dès lors qu'ils ont accepté l'offre de prise en charge qui leur a été présentée lors de leur admission au séjour. Les demandeurs d'asile relevant des dispositions du règlement Dublin peuvent également percevoir l'ADA jusqu'à leur transfert effectif vers l'État membre responsable de l'examen de leur demande. En outre, les personnes bénéficiant de la protection temporaire au titre du conflit en Ukraine peuvent également percevoir l'ADA37(*). La gestion de l'ADA est assurée par l'Ofii.

Son montant varie en fonction de la composition familiale, des ressources de la famille et du besoin et des modalités d'hébergement. Il est de 6,8 euros par jour pour une personne seule. Il augmente de 3,4 euros par membre de la famille supplémentaire. Le montant supplémentaire, si aucune place d'hébergement n'a été proposée au demandeur, est de 7,4 euros (ce montant est identique, que le demandeur soit seul ou qu'il ait une famille). Ainsi, le montant mensuel pouvant être versé à un demandeur d'asile seul, s'il ne s'est pas vu proposer de place d'hébergement, est de 432 euros mensuel.

Montants journaliers de l'ADA, en fonction de la composition familiale
et du département d'enregistrement de la demande

Composition familiale

Métropole

Guyane/Saint-Martin

1 personne

6,80 €

3,80 €

2 personnes

10,20 €

7,20 €

3 personnes

13,60 €

10,60 €

4 personnes

17,00 €

14,00 €

5 personnes

20,40 €

17,40 €

6 personnes

23,80 €

20,80 €

7 personnes

27,20 €

23,20 €

8 personnes

30,60 €

27,60 €

9 personnes

34,00 €

30,00 €

10 personnes

37,40 €

34,40 €

Source : commission des finances, d'après l'annexe 8 de la partie réglementaire du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA)

2. Une réduction anticipée du coût de l'ADA en 2024, fondée sur un raccourcissement des délais de traitement des demandes d'asile, qui apparaît optimiste et n'intègre pas les bénéficiaires de la protection temporaire en provenance d'Ukraine
a) Un raccourcissement observé des délais de traitement des demandes d'asile par l'OFPRA, qui s'appuie sur des moyens en hausse ces dernières années

L'Ofpra est l'office chargé, en première instance, d'accorder ou non la protection de la France aux demandeurs d'asile qui la sollicitent. Établissement public administratif de l'État placé sous la tutelle du ministre de l'intérieur depuis 2010, il bénéficie de l'indépendance fonctionnelle. Son financement est assuré presque intégralement par une subvention pour charges de service public versée par le ministère.

En 2020, les subventions accordées à l'Ofpra avaient augmenté de près de 30 % et ses effectifs de 200 ETPT, en cohérence avec l'objectif de réduction des délais de traitement des demandes d'asile. En 2024, les subventions s'établiront au titre du programme 303 et de la mission38(*) à 107,9 millions d'euros, en hausse de 4,2 % (+ 4,4 millions d'euros) par rapport à 2023, tandis que 17 ETPT seront créés (notamment dans le « pôle protection »), pour atteindre un plafond de 1 028 ETPT, tous rémunérés par l'opérateur. Pour mémoire, en 2011, l'OFPRA disposait d'une subvention de 34,5 millions d'euros et de 442 ETP.

La hausse des moyens budgétaires de l'Ofpra en 2024 vise à faire face à la variation de la masse salariale à effectif constant sous l'effet du glissement « vieillesse-technicité », à permettre le renforcement des effectifs de l'office avec un schéma d'emploi positif de 17 ETP et des mesures en faveur de la réduction du taux de rotation des officiers de protection, et à intégrer les conséquences de l'inflation sur les dépenses de loyers, d'interprétariat et de fluides. Néanmoins, dans le même temps, le nombre d'agents mis à disposition par le ministère de l'Europe et des affaires européennes auprès de l'Ofpra passerait de 14 à 4, soit une baisse de 10 ETPT.

En octobre 2022, une antenne de l'Ofpra est entrée en service à Mamoudzou (Mayotte), afin de traiter spécifiquement, conformément au décret n° 2022-211 du 18 février 2022, la demande d'asile enregistrée à Mayotte, sur le même modèle que l'antenne de Cayenne, qui traite des demandes d'asile déposées en Guyane.

L'activité de traitement des demandes d'asiles par l'Ofpra avait été très affectée en 2020 par la mise en place de restrictions sanitaires, les périodes de confinement et par la réduction du flux de demandes. Alors qu'en 2019, l'Ofpra avait rendu 120 634 décisions, seules 89 774 avaient été rendues par lui en 2020, soit une baisse de 25,6 %. Dans un contexte d'une levée progressive des restrictions sanitaires et de moyens humains et budgétaires en hausse, l'Ofpra a rendu 139 810 décisions en 2021 (+ 55,7 % par rapport à 2020). En 2022, il a rendu un nombre de décisions comparables à 2021, à savoir 134 513 (- 3,8 % par rapport à 2021).

La hausse du nombre de décisions annuelles a conduit à une baisse du délai moyen de traitement des demandes d'asile par l'Ofpra, qui est passé de 262 jours en 2021, à 159 jours en 2022 puis à 121 jours début 2023.

Par ailleurs, le nombre relativement élevé de décisions de l'Ofpra ces dernières années a permis de légèrement réduire les stocks de dossiers pendants, qui est passé de 49 207 en décembre 2021 à 47 296 en décembre 2022, et donc l'âge moyen des dossiers, qui s'établit à 94 jours en décembre 2022, contre 176 jours fin 2021.

b) ...qui ne suffit pas à garantir la baisse prévue de la dotation au titre de l'ADA en 2024, laquelle est optimiste et n'intègre pas les bénéficiaires de la protection temporaire

En 2023, la dotation au titre de l'ADA (hors frais de gestion) avait été ramenée à 314,7 millions d'euros en AE et en CP, en diminution de 36 % (- 176,3 millions d'euros), par rapport à la loi de finances initiale pour 2022 (qui prévoyait une dotation de 491 millions d'euros, en incluant la provision de 20 millions d'euros pour couvrir un éventuel dépassement). L'explication donnée à cette réduction importante annoncée des dépenses d'ADA tenait dans le raccourcissement du délai moyen de traitement des demandes d'asile, qui a un effet mécanique sur le coût de l'ADA, laquelle est ainsi versée sur une moins longue période à chaque demandeur.

En 2024, la dotation au titre de l'ADA (hors frais de gestion) est de nouveau diminuée, pour s'établir à 293,9 millions d'euros en AE et en CP, en diminution de 6,6 % (- 20,8 millions d'euros), par rapport à 2023. Le projet annuel de performances précise que le montant de cette dotation s'appuie sur l'hypothèse d'une poursuite de la reprise du flux de demandes d'asile, qui s'établirait à environ 160 000 en 2024, un niveau record supérieur de près de 30 000 demandes au précédent record de 2019 (l'estimation pour 2023 n'est pas fournie). L'allocation serait versée à 106 011 individus en moyenne dans l'année, à un coût moyen de 231 euros par mois et par individu.

Le rapporteur spécial constate, en premier lieu, que l'estimation du coût de l'ADA s'effectue sans intégrer son versement aux personnes déplacées d'Ukraine et bénéficiant de la protection temporaire, ce qu'elle regrette. En effet, si, en 2022, notamment en raison d'un nombre de demandes d'asile finalement constaté légèrement plus faible qu'anticipé, il convient de noter que le budget de l'ADA (fixé en loi de finances initiale à 470,9 millions d'euros 39(*)) était respecté hors accueil des personnes en provenance d'Ukraine, avec une dépense exécutée de 276,5 millions d'euros (très inférieure à celle constatée en 2021, à savoir 387,6 millions d'euros), il ne l'était pas une fois intégrée l'ADA versé à ces personnes, à savoir 218,4 millions d'euros, soit 494,9 millions d'euros en CP au total. En 2023, alors que le budget de l'ADA a été fortement réduit, une telle situation ne pourra être évitée.

En second lieu, a fortiori dans un contexte de forte hausse des demandes d'asile, les résultats à atteindre en matière de délais de traitement des demandes pour respecter l'enveloppe budgétaire, même hors bénéficiaires de la protection temporaire, apparaissent difficilement atteignables. Si les délais effectifs attendus pour respecter l'enveloppe ne sont pas communiqués, le raccourcissement visé dans les cibles présentés dans le projet annuel de performances du délai moyen de traitement des dossiers par l'Ofpra, qui s'appuie sur un objectif de 160 000 décisions rendues en 202340(*) et 2024, apparaît en tout cas ambitieux puisqu'il suppose de le réduire à 60 en 2024, voire dès 2023, soit deux fois moins que le délai constaté début 2023. En outre, si le délai moyen a été réduit en 2021 et 2022 par rapport à 2020, c'est non seulement grâce à la hausse des effectifs et de l'efficacité de l'Ofpra mais aussi, et peut-être surtout, en raison du fait que le nombre de demandes d'asile a été réduit en 2020, contribuant moins qu'à l'accoutumée à la hausse du stock de dossiers. Or, en 2023 et 2024, l'accélération des délais devra être réalisée dans un contexte de niveau record de demandes d'asile.

En outre, le délai de traitement des demandes d'asile ne dépend pas que de l'Ofpra puisque la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) traite des recours contre ses décisions. Durant la période de recours, l'ADA continue à être versée. Or si la CNDA a augmenté le nombre de ses décisions en 2021 de 63 % pour retrouver un niveau d'activité comparable à 2019, puis l'a stabilisé en 2022 (- 2 %), elle n'a que faiblement réduit son délai moyen de traitement des demandes, qui est passé de 222 jours en 2021 à 199 jours en 2022. L'augmentation des demandes d'asile en 2022, 2023 et 2024 pourrait en outre conduire à un rallongement du délai moyen de traitement des demandes par la CNDA. Plus généralement, alors que le Gouvernement a fixé comme objectif un délai global, tous acteurs confondus, de 6 mois pour le traitement des demandes d'asile, le délai effectif était de 11 mois à l'été 2023.

En troisième lieu, les difficultés à assurer l'application du règlement « Dublin »41(*) peut conduire à des dérapages des dépenses d'ADA. En effet, si le nombre de transferts de demandeurs d'asile réalisés vers des pays européens était en progression jusqu'au début de la crise sanitaire (de 12 % en 2018 à 19 % en 2019) ce dernier diminue depuis 2020. Il s'était ainsi établi à 17 % en 2020, dans un contexte de restrictions de circulation liées à l'épidémie de COVID- 19. Le taux de transfert a ensuite baissé à 16 % en 2021 puis à 14 % en 2022. En 2023, le Gouvernement s'était fixée la cible de 20 % de transferts ; cette cible ne sera pas atteinte et est ramenée à 10 %, soit 2 600 transferts, notamment dans le contexte de la décision de l'Italie de suspendre les transferts vers son territoire. En 2024, la cible est fixée à 12 %.

Au final, en 2024, le cumul de la forte hausse des demandes d'asile et des difficultés très probables de l'OFPRA et de la CNDA à réduire leurs délais d'examen dans la mesure des objectifs particulièrement ambitieux fixés, ainsi que le fait que les dépenses d'ADA pour les bénéficiaires de la protection temporaire ne soient pas budgétisées, caractérisent une dotation de l'ADA à la fois optimiste et manquant de sincérité.

D. UN EFFORT, QUI RESTE LIMITÉ, CONCERNANT LES CRÉDITS DESTINÉS À LA LUTTE CONTRE L'IMMIGRATION IRRÉGULIÈRE

L'action 03 du programme 303 relative à la lutte contre l'immigration irrégulière finance trois principaux postes :

- les dépenses de fonctionnement et d'investissement dans les centres (CRA) et locaux de rétention administrative (LRA) et zones d'attente (ZAPI) ;

- les frais d'éloignement des migrants en situation irrégulière ;

- diverses subventions aux associations chargées du suivi sanitaire, social et juridique des étrangers retenus.

Elle voit ses crédits augmenter de 46,0 % en AE (+ 94,5 millions d'euros) et de 53,8 % en CP (+ 91,2 millions d'euros) en 2024, pour s'établir à 300,0 millions d'euros en AE et 260,7 millions d'euros en CP.

1. Des crédits dédiés aux frais d'éloignement des migrants en situation irrégulière en hausse

La hausse des crédits dédiés aux frais d'éloignement des migrants en situation irrégulière sont en hausse en 2024 de 19,6 millions d'euros en AE et en CP (+ 44,4 %), pour s'établir à 63,8 millions d'euros.

Le projet annuel de performances explique cette hausse par plusieurs éléments :

l'achat de matériels de lutte contre l'immigration irrégulière, pour 12 millions d'euros en AE=CP (drones, intercepteurs nautiques, moyens de projection et moyens aériens, etc.) ;

- une action diplomatique auprès des pays tiers en vue de faciliter les retours ;

- l'impact de l'inflation sur les prix du carburant.

En 2024, les dépenses directement liées à l'éloignement des migrants en situation irrégulière représentent 24,5 % des CP de l'action et 3,0 % des CP de la mission.

Ces dépenses portent notamment sur l'organisation des procédures d'éloignement par voie aérienne et maritime des étrangers qui font l'objet d'une mesure d'éloignement dont la mise en oeuvre revient à la police aux frontières (PAF) : principalement les frais de billetterie centrale (avions commerciaux, trains et bateaux), les coûts des aéronefs de type Beechcraft (19 places) et Dash, et les dépenses locales de déplacement supportés par la police notamment.

Pour mémoire, le taux d'exécution des obligations de quitter le territoire français (OQTF), qui constituent la quasi-totalité des mesures d'éloignement prononcées42(*), est en baisse depuis plusieurs années. Après avoir atteint 22 % en 2012, il a connu une forte baisse, ne dépassant plus les 15 % depuis 2016, et atteignant moins de 13 % en 2018 comme en 2019. Son niveau est inférieur à 10 % depuis 2020. Il s'établit à 6,0 % en 2021 et à 6,9 % pour la première partie de 202243(*).

2. Les dispositifs de préparation au retour (DPAR)

Les dispositifs de préparation au retour hébergent en priorité des familles séjournant irrégulièrement sur le territoire français, majoritairement après avoir été déboutées de leur demande d'asile et en présence indue dans le dispositif national d'accueil, volontaires au retour aidé de l'Ofii ou susceptibles de l'être, pour lesquelles il existe une perspective raisonnable d'éloignement. 2 151 places ont été ouvertes depuis l'expérimentation de ce dispositif en 2015.

En 2023, les dépenses liées aux dispositifs de préparation au retour (DPAR) augmentaient de 309 % en AE (+ 29,1 millions d'euros) et de 104,5 % en CP (+ 8,4 millions d'euros), pour s'établir à 38,5 millions d'euros en AE et 19,3 millions d'euros en CP.

En 2024, ces crédits sont en forte baisse en AE, pour s'établir à 1,0 millions d'euros, soit - 37,5 millions d'euros. Cette situation s'explique mécaniquement par le fait que le conventionnement avec les opérateurs de ces structures a été renouvelé en 2023 pour deux ans et que 1 100 places financées par le plan de relance en 2021 et 2022 ont été intégrés à compter de 2023 dans la présente mission. Les CP sont quant à eux en hausse en 2024, pour s'établir à 20,3 millions d'euros, soit + 1,0 millions d'euros.

Les conditions de versement de l'aide au retour volontaire ont été modifiées par un arrêté du 9 octobre 2023 relatif à l'aide au retour et à la réinsertion44(*).

3. Une hausse des crédits centrée sur les dépenses d'investissement des centres et locaux de rétention administrative

L'essentiel des hausses de crédits de l'action n° 03 du programme 303 portent en réalité sur les dépenses d'investissement des centres de rétention administrative (CRA), des locaux de rétention (LRA) et des zones d'attente (ZAPI) et, dans une moindre mesure, sur leurs dépenses de fonctionnement.

Le parc d'hébergement en CRA (26 centres de rétention administrative) fait face à une hausse constante des besoins. Ces structures logent les étrangers ayant fait l'objet d'une décision d'éloignement du territoire, dans l'attente de son exécution. Elles concourent à la lutte contre l'immigration irrégulière.

S'agissant des dépenses d'investissement, en 2022, les crédits demandés pour le parc d'hébergement des CRA avaient augmenté de 51,1 % en CP pour financer la tranche 2022 du plan d'extension des CRA, notamment les opérations d'Olivet (90 places) et de Bordeaux (140 places). Si les crédits d'investissement étaient en baisse en 2023 (de 5,7 millions d'euros en AE et de 5,8 millions d'euros en CP), des investissements immobiliers devaient être réalisés pour financer la tranche 2023 du plan d'extension des CRA, notamment les opérations d'Olivet (90 places), de Bordeaux (140 places) et de Perpignan (12 places). En 2023, la capacité des centres de rétention administrative était ainsi portée à 1 857 places (contre 1 490 en 2017).

En 2024, ces dépenses d'investissement connaissent une forte augmentation, s'établissant à 136,6 millions d'euros en AE et 89,9 millions d'euros en CP, respectivement en hausse de 103 millions d'euros et 63,4 millions d'euros. Cette forte hausse s'explique par plusieurs facteurs :

- l'extension du parc de locaux de rétention administrative (LRA), dans le cadre de la circulaire du 3 août 2022 visant la poursuite de l'exécution du plan de renforcement des capacités de rétention administrative, qui demande à l'ensemble des préfets de zone de diversifier les lieux de placement en développant les capacités de LRA d'au moins un tiers de celles existantes. 66 places supplémentaires en LRA sont ainsi programmées en 2024 ;

- l'appel à projet CRA du 10 janvier 2023 visant à permettre l'augmentation du nombre de places de rétention en application de la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (LOPMI) qui vise à porter le nombre de places en CRA à 3 000 d'ici 2027. Il est prévu l'ouverture de 120 millions d'euros en AE et 60 millions d'euros en CP en 2024 ;

- les travaux de sécurisation des CRA qui doivent se poursuivre en 2024. En effet, conformément à l'instruction ministérielle en date du 3 août 2022, la rétention est désormais prioritairement destinée aux étrangers présentant un profil pouvant constituer une menace pour l'ordre public et aux étrangers radicalisés. Afin de tenir compte des exigences de sécurité face à ce public plus difficile, des chantiers de sécurisation des sites sont nécessaires.

Les taux d'occupation, qui ont connu une baisse pendant la crise sanitaire, ont retrouvé des niveaux proches de ceux qui prévalaient les années précédentes. Le taux d'occupation des CRA de métropole a fortement augmenté depuis l'automne 2017, puisqu'il s'élevait en moyenne à 86 % en 2019 contre 68 % en 2017. En 2020, avec la crise sanitaire qui s'est traduite par des restrictions en termes de places ouvertes en rétention, il s'établissait à 61 % en métropole. Pour 2021, il s'élevait à 82 %.

S'agissant des dépenses de fonctionnement, ils sont en 2024 de 68,7 millions d'euros en AE et à 56,8 millions d'euros en CP, en hausse respective de 7,2 millions d'euros et 4,6 millions d'euros.

E. UNE HAUSSE DES CRÉDITS DE LA DGEF ET UN MAINTIEN DES DÉPENSES EN MATIÈRE DE VISAS PORTÉS PAR LA MISSION

1. Une hausse apparente des crédits de la DGEF

L'action n° 04 « Soutien » du programme 303 regroupe une partie des moyens nécessaires au fonctionnement de la direction générale des étrangers (DGEF), dont une partie des dépenses de fonctionnement, d'investissement et d'intervention relevant du fonctionnement courant des services, et les dépenses liées aux systèmes d'information. Pour rappel, les effectifs de la mission sont portés par le programme 216 « Conduite et pilotage des politiques de l'intérieur », rattaché à la mission « Administration générale et territoriale de l'État ».

Ses crédits, qui s'établissent à 57,3 millions d'euros en AE et à 56,7 millions d'euros en CP en 2024, sont en hausse respectivement de 100,9 % (+ 28,8 millions d'euros) et 98,8 % (+ 28,2 millions d'euros). Cette hausse résulte néanmoins d'un effet d'évolution de périmètre. En effet, l'action connaît une rétrocession de crédits du programme 216 « Conduite et pilotage des politiques de l'intérieur » (rattaché à la mission « Administration générale et territoriale de l'État ») d'un montant de 38,5 millions d'euros en AE et 37,9 millions d'euros en CP. Dans le cadre de la création de la direction de la transformation numérique (DTNUM) au 13 juillet 2023 au sein du ministère de l'Intérieur et des Outre-mer, les crédits dédiés aux développements, à la maintenance et à l'hébergement des grands programmes numériques portés par la Direction générale des étrangers en France (DGEF) supportés par le programme 216, sont en effet rétrocédés à l'action au 1er janvier 2024.

L'essentiel des crédits portent en 2024 sur les dépenses d'investissement dans les systèmes d'information, pour 48,8 millions d'euros en AE et 48,2 millions d'euros en CP. Outre la contribution aux grands projets de la DTNUM ministérielle, la DGEF finance en effet trois grands programmes numériques :

- l'administration numérique des étrangers en France (ANEF), qui permet la gestion dématérialisée de l'ensemble des procédures relatives aux étrangers en France (séjour, intégration, nationalité, éloignement) ;

- France Visas, qui vise, en lien avec le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères, à remplacer l'application actuelle par un système d'information intégré, permettant de dématérialiser le processus d'acquisition et d'instruction de demandes de visas adressées à la France, notamment dans le contexte des Jeux Olympiques de 2024 en France.

la partie informatique du programme pour une frontière sécurisée et fluide (PFSF), qui est censé, selon le Gouvernement, répondre aux enjeux majeurs de la mise en oeuvre des systèmes d'information européens. Les projets PFSF s'organisent d'une part, autour de l'évolution des systèmes existants (central contrôle aux frontières, Parafe, kiosques, etc.) et d'autre part, du développement de nouvelles solutions dans la perspective du système d'information européens EES (entrées et sorties).

2. Un maintien des dépenses en matière de visas portés par la mission

L'action n° 01 « Circulation des étrangers et politique des visas » porte une partie des crédits de la sous-direction des visas de la DGEF, qui traite des questions relatives aux visas d'entrée et de séjour en France, même si l'essentiel de ses crédits relève du programme 216 « Conduite et pilotage des politiques de l'intérieur ». Les crédits de l'action sont stables en 2024 et s'établissent à 520 000 euros en AE = CP.

II. LE PROGRAMME 104 « INTÉGRATION ET ACCÈS À LA NATIONALITÉ FRANÇAISE » 

A. DERRIÈRE UNE BAISSE EN TROMPE L'OEIL, UNE TRÈS LÉGÈRE AUGMENTATION DES CRÉDITS DÉDIÉS À L'INTÉGRATION, DONT LA MISE EN OEUVRE A ÉTÉ DÉFINIE AUTOUR DU CONTRAT D'INTÉGRATION RÉPUBLICAINE (CIR)

L'année 2020 a représenté la première année de mise en oeuvre des mesures d'intégration des étrangers en situation régulière qui résultent initialement de la loi du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France45(*). Cette dernière a réformé le dispositif d'accueil et d'intégration des étrangers accédant pour la première fois au séjour en France et désireux de s'y installer durablement en créant un parcours personnalisé d'intégration républicaine d'une durée de 5 ans et en remplaçant l'ancien « contrat d'accueil et d'intégration » par un « contrat d'intégration républicaine ».

Ce contrat est conçu comme la première étape du parcours d'intégration personnalisé de l'étranger en France. Signé par celui-ci et par le représentant de l'État, il consacre des engagements réciproques, en particulier l'apprentissage du français et l'appropriation des valeurs de la République. Fondé sur une approche individualisée en fonction des besoins de l'étranger, le CIR vise à renforcer ses chances d'intégration dans la société française. Un entretien d'accueil approfondi par les services de l'OFII permet d'établir un diagnostic personnalisé. Il donne lieu à la prescription de formations obligatoires et à une orientation vers les services publics de proximité en fonction des besoins. Ces formations conduisent à une progression du niveau de langue, conditionnant la délivrance, à l'échéance de la carte de séjour temporaire, d'une carte de séjour pluriannuelle.

L'article 48 de la loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie46(*) a précisé et enrichi le contenu du contrat d'intégration républicaine (CIR), notamment :

- en indiquant que la formation en langue française dispensée dans le cadre du CIR est suffisante pour permettre à l'étranger primo-arrivant d'occuper un emploi et de s'intégrer dans la société française, et que cette formation peut donner lieu à une certification standardisée permettant d'évaluer le niveau de langue de l'étranger. On peut y rattacher le doublement du volume des formations linguistiques proposées et le choix de dédier un module spécifique, d'une durée de 600 heures, aux stagiaires non lecteurs, non-scripteurs, décidé par le comité interministériel à l'intégration du 5 juin 2018 ;

en ajoutant au contenu du CIR un conseil en orientation professionnelle et un accompagnement destiné à favoriser l'insertion professionnelle de l'étranger. Un entretien de fin de CIR est destiné à faire à la fois le bilan des formations suivies lors de celui-ci et le bilan de la situation du signataire vis-à-vis de l'emploi afin de l'orienter, selon sa situation, vers l'acteur pertinent au sein du service public de l'emploi (selon les cas, Pôle Emploi, missions locales, Cap Emploi, APEC), et de faciliter la prise d'un rendez-vous avec ce service, auprès duquel le primo-arrivant bénéficiera d'un entretien approfondi.

Puis, le comité interministériel à l'immigration et à l'intégration (C3I) du 6 novembre 2019 a renforcé le volet emploi de cette politique, alors qu'une expérimentation de formation linguistique à visée professionnelle est mise en oeuvre depuis septembre 2022 en collaboration avec les régions.

En outre, le partenariat avec les collectivités territoriales a été renforcé par la mise en place des contrats territoriaux d'accueil et d'intégration (CTAI), dispositif contractuel entre l'État et les collectivités territoriales pour l'intégration des étrangers primo-arrivants résidant sur leur territoire. En 2022, dans la même logique, a en outre été lancé le programme d'accompagnement global et individualisé des réfugiés (AGIR) par instruction conjointe du 25 avril 2022 de plusieurs ministres (intérieur, citoyenneté, travail, insertion, logement, etc.). Déployé en 2022 dans 26 premiers départements, il doit l'être dans 26 départements supplémentaires en 2023, et son déploiement se poursuivrait en 2024. Au 31 août 2023, le dispositif est opérationnel dans 40 départements. Ce dispositif permet la constitution d'un guichet unique de l'intégration des bénéficiaires de la protection internationale par l'accès à l'emploi et au logement. Fin août 2023, plus de 8 300 personnes réfugiées étaient ainsi individuellement accompagnées par le programme AGIR. L'opérateur AGIR a la charge, sous l'autorité du préfet, d'assurer la coordination entre tous les dispositifs et programmes existants dans le département.

Dans un contexte de crise sanitaire, la mise en oeuvre de ce nouveau parcours d'intégration a d'abord été ralentie. La suspension de l'accueil au sein des organes de l'Ofii et des formations linguistiques en présentiel ont notamment freiné les parcours d'intégration. Le rythme de signature des contrats s'en est également ressenti puisque seuls 78 764 CIR ont été signés en 2020, contre 100 000 environ en 2019.

En 2021, les parcours d'intégration ont repris une configuration plus normale. 109 000 CIR ont ainsi été signés, tandis que les formations civiques et linguistes ont repris à un rythme normal. En 2022, 110 080 CIR ont été signés, soit une légère hausse de 1,0 %.

Pour 2024, les crédits du programme 104, qui portent la majeure partie des crédits destinés à l'intégration au sein de la mission, sont en baisse apparente aussi bien en AE (- 111,9 millions d'euros, soit - 20,6 %) qu'en CP (- 112,0 millions d'euros, soit - 20,6 %) par rapport à 2023. Comme mentionné supra, ces baisses sont néanmoins attribuables à la suppression, en 2024 de l'action n° 15 « Accompagnement des réfugiés ». Dans le cadre du PLF pour 2022, cette action avait déjà connu un transfert sortant vers l'action n° 12 « Intégration des étrangers primo-arrivants » du même programme 104. À l'occasion du budget pour 2024, la suppression de l'action n° 15 aboutit notamment à transférer les crédits relatifs à l'intégration des réfugiés via les centres provisoires d'hébergement (CPH) au programme 30347(*) pour un montant de 126,2 millions d'euros en AE=CP.

En neutralisant cette évolution de périmètre, le programme 104 voit en réalité ses crédits augmenter tant en AE, de 2,6 % (+ 14,3 millions d'euros) qu'en CP, de 2,6 % (+ 14,2 millions d'euros). Cette hausse est imputable quasi-exclusivement à l'action n° 12 « Intégration des étrangers primo-arrivants ».

B. UNE BAISSE, A PRIORI COMPENSÉE, DES CRÉDITS À DESTINATION DE L'OFII, DONT LA MAJORITÉ DES FINANCEMENTS RELÈVE TOUJOURS DE L'ASILE

L'action n° 11 « Accueil des étrangers primo-arrivants » voit ses crédits se réduire de 27,3 millions d'euros en AE=CP, en baisse de 10,0 % par rapport à 2023, pour s'établir à 246,0 millions d'euros en AE=CP.

Cette action porte sur le financement, pour ce qui concerne le programme 104, de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii), un établissement public administratif rattaché au programme et chargé de plusieurs missions dans le champ de l'intégration, de l'asile et de l'aide au retour, notamment :

- l'accueil des demandeurs d'asile, la gestion des procédures régulières d'immigration et d'asile, notamment le versement de l'allocation pour demandeurs d'asile (ADA) ;

- l'accueil et l'intégration des immigrés autorisés à séjourner durablement en France notamment via la signature du CIR ;

- l'aide au retour et à la réinsertion des étrangers dans leur pays d'origine.

L'extension des missions de l'Ofii opérée depuis 2015, en même temps que la hausse constante de la demande d'asile, ont entrainé une forte augmentation de ses moyens financiers. Pour 2023, les crédits du programme 104 au titre de la subvention pour charges de service public de l'Ofii s'élèvaient à 252,3 millions d'euros, en AE=CP. Au total, le financement de l'OFII par ledit programme atteignait 281,3 millions d'euros, en intégrant les transferts et les subventions pour charges d'investissement, dont l'essentiel était porté par l'action n° 1.

Pour 2024, les crédits du programme 104 au titre de la subvention pour charges de service public de l'Ofii s'élèveraient à 227,3 millions d'euros. Au total, le financement de l'OFII par ledit programme atteindrait 255 millions d'euros, en intégrant les transferts et les subventions pour charges d'investissement (dont l'essentiel est toujours porté par l'action n° 1), en baisse de 26,3 millions d'euros. Cette baisse, attribuable à celle de l'action n° 1 est expliquée dans le projet annuel de performances par une « augmentation de recettes attendues sur les fonds européens Fonds asile migration intégration » (FAMI). Son plafond d'emploi reste identique, à 1 217 ETPT.

Le financement de l'Ofii provient également du programme 303, au titre de ses activités liées à l'asile. En 2024, les financements en provenance du programme 303 s'établissent à 306,7 millions d'euros, en baisse par rapport à 2023 (- 14 millions d'euros), baisse en réalité imputable à l'ADA qu'il distribue, dotée d'un budget réduit de 20,8 millions d'euros par rapport à 202348(*).

Le financement total par l'État de l'Ofii est ainsi de 561,7 millions d'euros et connaît une baisse de 40,3 millions d'euros (financement total de 602 millions d'euros en 2023), qui ne semble au final en réalité pas devoir impacter les moyens de l'OFII.

C. UNE AUGMENTATION DES CRÉDITS DÉDIÉS À L'INTÉGRATION DES ÉTRANGERS PRIMO-ARRIVANTS

L'action n° 12 « Intégration des étrangers primo-arrivants » connaît cette année une hausse de ses crédits, qui s'établissent à 174,6 millions d'euros en AE=CP (+ 28,9 %, soit + 39,1 millions d'euros). L'action 12 vise à faciliter l'intégration des étrangers, durant les années qui suivent leur admission à séjourner durablement sur le territoire français.

Cette action intègre, depuis 2022, les crédits dédiés à l'accompagnement des réfugiés, jusque-là portés par l'action n° 15 « Accompagnement des réfugiés ». Dans le cadre du budget pour 2024, l'action n° 15 est supprimée et les crédits qui dépendaient toujours d'elle en matière d'intégration des réfugiés sont transférés à l'action n° 12, pour un montant de crédits qui représentait 3,3 millions d'euros en AE=CP en 2023. Selon le Gouvernement, le regroupement des crédits concernés au sein de l'action n° 12 est la traduction budgétaire d'une mise en oeuvre cohérente de la politique d'intégration, qui inclut tous les étrangers primo-arrivants en situation régulière en France, quel que soit le motif de leur admission au séjour (réfugiés ou non).

La hausse des crédits de l'action n° 12 en 2024, outre le transfert entrant des crédits de l'action n° 15, contribue à financer l'action des services de l'État, principalement à l'échelon déconcentré, pour l'apprentissage de la langue française, l'accès aux droits et l'accompagnement vers l'emploi. En outre, elle sert également à financer l'enveloppe dédiée aux projets portés par les collectivités dans une logique partenariale avec ces dernières. Il s'agit notamment des contrats territoriaux d'accueil et d'intégration (CTAI) et du programme d'accompagnement global et individualisé des réfugiés (AGIR) démarré en 202249(*). 9 millions d'euros sont versés à l'OFII sur l'action n° 12 au titre de la formation linguistique post-CIR. 

D. UNE RELATIVE STABILITÉ DES CRÉDITS, D'UN MONTANT MODESTE, RELATIFS À L'ACCÈS À LA NATIONALITÉ FRANÇAISE ET À L'ACCOMPAGNEMENT DES FOYERS DE TRAVAILLEURS MIGRANTS

L'action n° 14 « Accès à la nationalité française » connaît cette année une hausse de ses crédits, qui s'établissent à 1,3 millions d'euros en AE (+ 27,5 %, soit + 294 428 €), de même qu'en CP (+ 16,8 %, soit + 188 553 €). L'action 14 vise à financer le fonctionnement de la sous-direction de l'accès à la nationalité française (SDANF) au sein de la direction de l'intégration et de l'accès à la nationalité du ministère de l'Intérieur. Pour mémoire, 78 711 personnes sont devenues françaises en 2022 au terme de procédures suivies par le ministère de l'Intérieur (naturalisation par décret ou procédures déclaratives). La généralisation du déploiement du système d'information NATALI, composante du programme ANEF (administration numérique pour les étrangers en France)50(*), est en cours. Selon le Gouvernement, elle doit permettre, pour les usagers, le dépôt en ligne des demandes de naturalisation, et la dématérialisation de la procédure de « bout-en-bout» (du dépôt de la demande jusqu'à l'inscription du postulant dans un décret), ainsi que la déconcentration des procédures déclaratives, afin de fluidifier les processus et de réduire les délais.

L'action n° 16 « Accompagnement des foyers de travailleurs migrants » connaît cette année une baisse de ses crédits, qui s'établissent à 9,3 millions d'euros en AE=CP (- 17,9 %, soit - 2,0 millions d'euros). Le ministère de l'Intérieur et des Outre-mer accompagne en effet la rénovation et la modernisation des foyers de travailleurs migrants (FTM) par leur transformation en résidences sociales dans le cadre d'un plan pluriannuel mis en oeuvre depuis 1997 et piloté par la commission interministérielle pour le logement des populations immigrées (CILPI). Le plan de traitement des foyers de travailleurs migrants s'appliquait dès 1998 aux 688 foyers recensés, qui accueillaient environ 110 000 travailleurs immigrés. Fin 2022, selon le projet annuel de performances, le taux de réalisation du plan atteint 83 %, avec 120 foyers en attente de traitement, dont près de la moitié en Île-de-France.

LES MODIFICATIONS CONSIDÉRÉES COMME ADOPTÉES PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE EN APPLICATION DE L'ARTICLE 49, ALINÉA 3, DE LA CONSTITUTION

Les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » ont été modifiés par deux amendements retenus dans le texte sur lequel le Gouvernement a engagé sa responsabilité en application de l'article 49 alinéa 3 de la Constitution.

Un premier amendement de notre collègue députée Blandine Brocard rehausse les autorisations d'engagement et les crédits de paiement du programme 104 « Intégration et accès à la nationalité française » de 200 000 euros et abaisse ceux du programme 303 « Immigration et asile » à due concurrence. La hausse des crédits du programme 104 vise à étendre le bénéfice des cours de français financés par le programme, aujourd'hui centrés sur les étrangers primo-arrivants, à tous les étrangers en situation régulière qui en font la demande.

Un second amendement de notre collègue députée Stella Dupont rehausse les autorisations d'engagement et les crédits de paiement du programme 303 « Immigration et asile » de 300 000 euros et abaisse ceux du programme 104 « Intégration et accès à la nationalité française » à due concurrence. La hausse des crédits du programme 303 concerne l'OFPRA et vise à augmenter les moyens de l'établissement pour produire les actes d'état civil des bénéficiaires de la protection internationale, via le recrutement de 8 ETPT dédiés supplémentaires.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 25 octobre 2023, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a procédé à l'examen du rapport de Mme Marie-Carole Ciuntu, rapporteur spécial, sur la mission « Immigration, asile et intégration ».

Mme Marie-Carole Ciuntu, rapporteur spécial de la mission « Immigration, asile et intégration ». - L'examen des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » s'inscrit cette année, peut-être encore davantage que les années précédentes, dans une actualité particulièrement forte, à plusieurs égards.

Tout d'abord, la mission sera marquée en 2024, comme elle l'est déjà en 2023, par la force de la pression migratoire, en France comme en Europe. Pour ce qui concerne l'asile, qui structure l'essentiel des dépenses de la mission, le Gouvernement s'attend à recevoir 160 000 demandes d'asile en France en 2024, soit environ 20 % de plus qu'en 2019, année qui porte pourtant le record historique de près de 1 330 demandes. Ensuite, la mission est également marquée par la poursuite de l'accueil en France des personnes déplacées d'Ukraine du fait du conflit avec la Russie. Environ 80 000 personnes bénéficient ainsi de la protection temporaire de la France aujourd'hui, qui leur ouvre droit à l'octroi de l'allocation pour demandeur d'asile (ADA) ainsi qu'à un hébergement, en principe.

Enfin, l'étude des crédits de la mission s'effectue peu de temps avant l'examen par le Sénat du projet de loi sur l'immigration. Il n'est pas toujours aisé de faire la part des choses entre ce qui concerne les débats sur ce projet de loi et le présent examen des crédits de la mission. J'ai néanmoins tâché d'examiner ces crédits pour 2024 pour ce qu'ils sont en l'état, sans chercher à jeter un pont entre les deux textes. Le Gouvernement n'a d'ailleurs pas cherché non plus à lier les deux.

Venons-en à l'examen des crédits de la mission pour 2024. D'un point de vue général, les données brutes sont les suivantes : les crédits de paiement sont en hausse d'un peu plus de 7 %, soit près de 150 millions d'euros supplémentaires, et s'établissent à 2,16 milliards d'euros. Les autorisations d'engagement sont quant à elles en baisse de 34 %, soit d'un peu plus de 900 millions d'euros, pour s'établir à 1,76 milliard d'euros. Cette baisse des autorisations d'engagement doit néanmoins être nuancée d'emblée. En effet, l'année 2023 avait notamment été marquée par un renouvellement des conventions pluriannuelles dans le domaine du logement des demandeurs d'asile, renouvellement qui avait conduit à l'ouverture ponctuelle d'un nombre important d'autorisations d'engagement. Cela explique une partie importante de la baisse apparente des autorisations d'engagement en 2024 sur ces deux postes.

Les crédits prévus pour la mission en 2024 présentent quelques petites améliorations, mais aussi et surtout de sérieux défauts. J'ai identifié trois améliorations.

Tout d'abord, des efforts supplémentaires sont proposés pour les crédits dédiés aux centres et locaux de rétention administrative pour les étrangers en situation irrégulière, et plus particulièrement ceux qui présentent une menace. Les dépenses d'investissement concernées sont ainsi en hausse de 63 millions d'euros en crédits de paiement et de 103 millions d'euros en autorisations d'engagement. Cette hausse budgétaire vise à étendre le parc des centres de rétention administrative (CRA) d'un peu moins de 1 900 places aujourd'hui à 3 000 places à l'horizon 2027, comme l'a prévu la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi). Elle tend également à financer les travaux permettant la sécurisation de ces CRA.

Ensuite, les dépenses d'éloignement des migrants en situation irrégulière et de lutte contre l'immigration clandestine sont un peu renforcées, à hauteur de 20 millions d'euros. Cette hausse vise en particulier à financer l'achat de matériels de lutte contre l'immigration clandestine : drones, intercepteurs nautiques, moyens de projection et moyens aériens.

Enfin, les crédits en faveur de l'intégration des étrangers primo-arrivants, qu'ils soient réfugiés ou détenteurs d'une carte de séjour de longue durée, sont en hausse. C'est, sur le principe, une bonne nouvelle, car l'intégration doit être une priorité centrale dans notre politique d'immigration. Cette hausse, d'environ 36 millions d'euros, a vocation à financer des dépenses en faveur de l'apprentissage de la langue française, de l'accès aux droits et de l'accompagnement vers l'emploi.

Venons-en maintenant aux écueils du présent budget, qui sont sérieux et nombreux.

Le premier travers des crédits de la mission, c'est qu'ils ne sont tout simplement pas complets. En effet, comme l'année dernière, le budget prévu n'intègre pas les dépenses liées à l'accueil des personnes déplacées d'Ukraine et bénéficiant de la protection temporaire en France. Que les dépenses en question aient été financées en cours d'année en 2022 était inévitable, puisque l'invasion russe a eu lieu en février 2022. Le fait que les crédits nécessaires en 2023 n'aient ensuite pas été intégrés dans le projet de loi de finances pour 2023 était déjà beaucoup plus contestable. Mon prédécesseur, Sébastien Meurant, l'avait souligné et la Cour des comptes a considéré que « le défaut de sincérité budgétaire était établi à cet égard ». Dans ces conditions, il est d'autant plus surprenant que le budget 2024 fasse de même. L'année prochaine, c'est encore par abondement en gestion que le financement nécessaire devra s'opérer. Or la non-budgétisation de ces crédits pose d'autant plus problème que leurs poids par rapport au total des crédits de la mission est significatif. En 2023, ces dépenses sont en effet estimées à environ 350 millions d'euros. Une telle situation est donc de nature à limiter le caractère éclairé du vote du Parlement sur la mission.

Le deuxième écueil de ce budget concerne la dotation au titre de l'ADA. Son montant avait déjà été fortement diminué l'année dernière, de 36 %. Pour 2024, son montant serait en baisse de 21 millions d'euros, pour s'établir à 294 millions d'euros. Sur le principe, cela pourrait être une bonne nouvelle. En effet, la baisse du budget de l'ADA est fondée sur la réduction des délais de traitement des demandes d'asile par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) et, en cas de recours, par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA). La réduction de ces délais a pour effet l'octroi de l'allocation sur une moins longue période à chaque demandeur, ce qui réduit le coût global de l'ADA.

Concrètement, il est vrai que, hors bénéficiaire de la protection temporaire, le raccourcissement de ces délais a permis de maîtriser le coût de l'ADA, qui a été exécuté à moins de 280 millions d'euros en 2022. Néanmoins, la prévision pour 2024 paraît trop optimiste. En effet, comme je le disais, le nombre de demandes d'asile devrait atteindre 160 000 en 2024, soit un niveau historique, ce qui augmentera le nombre de bénéficiaires de l'ADA, et donc son coût global. En outre, les résultats à atteindre en matière de délais de traitement des demandes pour respecter l'enveloppe budgétaire sont difficilement atteignables. Il est prévu que l'Ofpra divise par deux ses délais entre début 2023 et 2024, passant de 121 jours à 60 jours. Une telle accélération n'a jamais été réalisée. L'Ofpra a même estimé lors de son audition qu'elle paraissait très optimiste. Elle paraît d'autant moins réaliste dans un contexte de niveau record du nombre de demandes d'asile. Enfin, la CNDA ne semble pas pouvoir accélérer significativement ses propres délais. Je considère donc que la dotation prévue pour l'ADA en 2024 est vraisemblablement sous-estimée.

Le troisième écueil du budget concerne les résultats obtenus sur la base des crédits demandés chaque année. Je prendrai trois exemples parmi beaucoup d'autres : la lutte contre l'immigration irrégulière, l'hébergement des demandeurs d'asile et l'apprentissage du français par les signataires du contrat d'intégration républicaine.

Concernant la lutte contre l'immigration irrégulière, certes, les crédits augmentent un peu. Il n'en demeure pas moins qu'ils ne représentent qu'un dixième des crédits de la mission en 2024. Surtout, les résultats obtenus sont très insatisfaisants. Pour donner un seul chiffre, le nombre de retours forcés exécutés de personnes en situation irrégulière n'a été que de 11 410 en 2022, soit un niveau inférieur au nombre constaté en 2019, ce alors même que la pression migratoire est plus forte. Ce nombre de retours forcés exécutés a même été plus faible en 2022 que sur chacune des années de la décennie 2010.

Concernant l'hébergement des demandeurs d'asile, des efforts significatifs ont été fournis au cours des dernières années pour étendre le nombre de places disponibles, pour un coût budgétaire d'ailleurs élevé. Le parc atteindrait ainsi 122 582 places, dont 1 500 places créées en 2024. Pourtant, cette extension continue du parc ne permet pas une prise en charge efficiente des demandeurs d'asile. En effet, la part de ces derniers qui sont hébergés à titre gratuit, ce qui constitue le principe, demeure faible aujourd'hui. Elle serait de moins de 60 % en 2023, contre un objectif fixé dans le projet de loi de finances pour 2023 à 70 %. En outre, la part des places occupées par des personnes qui ne devraient pas - ou plus - y séjourner, qui était de 16 % en 2021, a atteint 22 % en 2022.

Enfin, concernant l'apprentissage du français dans le cadre de l'intégration, seules 67 % des personnes atteignent le niveau A1 visé, qui correspond pourtant seulement au niveau d'utilisateur élémentaire, le plus faible du cadre européen de référence des niveaux de langue. Concernant les cours de formation civique, les auditions ont été l'occasion de constater qu'il n'était pas rare qu'ils soient délivrés à des étrangers qui ne maîtrisent pas encore le français.

Enfin, le quatrième et dernier écueil du budget pour 2024, et sans doute le plus grave, est structurel. Comme les années précédentes, les équilibres entre les différents types de dépenses ne sont pas bons. Alors que les dépenses liées à l'asile représentent deux tiers des crédits, les dépenses d'intégration n'en représentent qu'environ un cinquième et la lutte contre l'immigration irrégulière un dixième. Or, si la mise en oeuvre du droit d'asile est une obligation, une politique d'immigration réussie doit garantir à la fois le renvoi des étrangers en situation irrégulière et l'intégration effective des personnes autorisées à rester en France. C'est une question de bon sens, qui joue également sur l'acceptabilité sociale de l'immigration. En ne garantissant pas cet équilibre, le budget de la mission rate finalement sa cible, et ce d'année en année.

En conclusion, si les crédits de la mission présentent quelques améliorations par rapport à l'année dernière, leurs défauts sont trop nombreux et trop sérieux. En n'intégrant pas les dépenses liées à la protection temporaire des personnes déplacées d'Ukraine, le budget proposé manque de sincérité et ne permet pas un vote éclairé du Parlement. En prévoyant une baisse trop optimiste de la dotation au titre de l'ADA dans un contexte de forte hausse des demandes d'asile, le budget proposé souffre d'un manque de réalisme. Au vu des mauvais résultats obtenus depuis plusieurs années dans différents domaines, le budget proposé peine à convaincre. Enfin, en échouant à garantir un équilibre entre les dépenses d'asile, d'intégration et de lutte contre l'immigration irrégulière, le budget proposé paraît déséquilibré.

En toute logique, je suis donc défavorable à l'adoption des crédits de la mission.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Pour cette mission, comme pour la précédente, on constate des défauts dans la gestion budgétaire par l'État. Au cours de vos auditions, avez-vous pu obtenir des éléments tangibles concernant l'objectif de réduction des délais d'instruction des demandes d'asile affiché par le Gouvernement, ou s'agit-il d'une simple déclaration d'intention, vouée à ne pas se concrétiser ?

Mme Marie-Carole Ciuntu, rapporteur spécial. - Les auditions des représentants de l'Ofpra et de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii) ont montré que l'objectif de 60 jours fixé pour les délais d'instruction des demandes d'asile n'était pas réaliste. La réduction des délais observée dernièrement a d'ailleurs largement tenu aux effets de la crise sanitaire et à la mobilisation d'importants renforts en ressources humaines au sein de l'Ofpra en 2020 pour réduire le stock de demandes en attente de traitement. Mais l'équilibre actuel est fragile : compte tenu du nombre de demandes d'asile annoncé, l'Ofpra craint même de ne pas pouvoir maintenir les délais actuels, qui sont déjà deux fois supérieurs à l'objectif qui lui est assigné. Du côté de la CNDA, aucune amélioration des délais de traitement des dossiers n'a été annoncée.

Il paraît donc très improbable que la réduction des délais d'examen des demandes d'asile se concrétise.

Mme Nathalie Goulet. - Est-il possible de mieux contrôler les budgets des plus de 1 000 associations mobilisées sur l'aide aux migrants et pourrions-nous avoir des précisions à ce sujet ? Au total, l'enveloppe qui leur est allouée s'élève à environ 1 milliard d'euros, ce qui est considérable. Certaines d'entre elles reçoivent 100 millions d'euros de subventions. Il faudrait à mon sens accueillir moins, et mieux. L'absence d'intégration au budget de l'accueil des Ukrainiens en France pose par ailleurs problème.

Mme Christine Lavarde. - Nous suivrons la position du rapporteur spécial concernant le rejet des crédits de la mission. Le ministère de l'intérieur assure-t-il un suivi régulier des conventions pluriannuelles d'objectifs passées avec ces associations, ou celles-ci sont-elles simplement revues tous les trois ans ?

M. Rémi Féraud. - Nous voterons probablement contre les crédits de cette mission. Il faut faire le lien entre ces derniers et le projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, au moins sur certains points. Si le budget alloué à l'ADA diminuait parce que le Gouvernement entendait leur donner l'autorisation de travailler, cela pourrait nous convenir, mais je ne crois pas que ce soit ce qui est prévu.

Le défaut de sincérité budgétaire que vous soulignez est-il une véritable insincérité budgétaire, au sens juridique du terme ? Comment peut-on le qualifier, sachant que le nombre de demandeurs d'asile venus d'Ukraine ne risque pas de diminuer ?

Ne faudrait-il pas prévoir un budget plus important pour l'apprentissage de la langue française, au-delà des seuls primo-arrivants ? Cibler cette action et concentrer les crédits d'intégration sur ces derniers représente en effet un risque.

M. Thomas Dossus. - L'augmentation du nombre de places en rétention administrative est liée aux lois précédentes qui ont allongé les durées potentielles de rétention, sans améliorer pour autant l'exécution des mesures d'éloignement. Moins d'une mesure d'éloignement sur deux est en effet exécutée pour les personnes en rétention. Si cette tendance se poursuit, alors que de nouvelles places sont ouvertes, nous risquons la fuite en avant budgétaire.

Plusieurs alertes sur les conditions de rétention du nouveau modèle de CRA expérimenté à Lyon ont été émises par ailleurs par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), par plusieurs avocats ainsi que par la bâtonnière du barreau de Lyon.

M. Pascal Savoldelli. - Cette mission ne traite qu'une partie des crédits dévolus à la politique d'intégration et à l'immigration. Il faut en respecter le périmètre. Je ne suis pas convaincu par ailleurs que l'absence d'intégration dans le budget de l'accueil temporaire en France des réfugiés en provenance d'Ukraine suffise à caractériser son insincérité.

En outre, il faut savoir distinguer le débat budgétaire du débat politique, le fléchage des crédits et la politique d'immigration et d'intégration, qu'il n'est pas prévu de modifier.

Nous avons toujours eu un esprit de responsabilité. Nous voterons contre les crédits de la mission, mais tout le monde comprendra que ces comptes sont pluriels, et non homogènes, et que notre vote ne devra pas être confondu avec celui de nos collègues.

M. Christian Bilhac. - L'intégration est un ensemble de droits et de devoirs. Ces derniers ne doivent pas être oubliés. Par ailleurs, la question du retour des étrangers en situation irrégulière dans leurs pays d'origine est une question politique et non budgétaire. Avez-vous pu chiffrer les moyens d'une politique efficace à cet égard ? Quels seraient les besoins de la mission sur ce plan ?

M. Jean-François Rapin. - Le périmètre de la mission « Immigration, asile et intégration » ne comprend pas la mobilisation des forces de police, des forces militaires du réseau Sentinelle, ou encore des forces de l'air et des frontières. Pour m'être retrouvé hier soir à la frontière entre Vintimille et Menton, j'ai pu constater un déploiement de forces considérable du côté italien comme du côté français, pour sécuriser le passage contre les entrées frauduleuses, mais également pour protéger les migrants. Or cet élément n'est pas compris dans la mission, alors qu'il représente une somme considérable.

Mme Marie-Carole Ciuntu, rapporteur spécial. - Le budget de la mission s'élève à environ 2 milliards d'euros, quand le Gouvernement chiffre le coût de l'immigration à 8 milliards d'euros. Les crédits alloués aux associations relèvent bien de la mission. En revanche, celle-ci ne comprend pas les aspects liés à la scolarisation ou encore aux forces de police par exemple. Les ressources humaines sont en outre traitées à part, à l'exception de celles qui relèvent de l'Ofii et de l'Ofpra.

Les associations jouent un rôle majeur, et certaines d'entre elles disposent de subventions considérables, notamment pour l'hébergement. J'ai interrogé la direction générale des étrangers en France sur plusieurs points. L'actualité nous invite en effet à étudier le rôle de ces associations, particulièrement celui de la Cimade. Cette dernière a reçu seulement un peu plus de 2 millions d'euros par an en 2021 et 2022 via la mission budgétaire « Immigration, asile et intégration » pour l'exercice de ses missions. Toutefois, les auditions que j'ai menées ont montré que le nombre des expulsions et des contestations d'expulsions, pouvait servir ses intérêts, ce qui n'est pas sans poser de problème et nous ne pouvons cautionner cela.

Le terme d'insincérité a été employé par la Cour des comptes concernant l'absence d'intégration dans le budget de la mission de l'accueil en France des réfugiés ukrainiens. Nous pouvons l'employer sans que ce soit abusif. C'est un élément d'insincérité, ce qui ne signifie pas que tout le budget de la mission le soit. On relève dans tous les cas des écueils graves dans le budget, et notamment celui-là.

La partie du budget consacrée à l'intégration est en augmentation cette année. Nos auditions ont néanmoins montré que nous avions du mal à progresser dans ce domaine, en particulier s'agissant de l'apprentissage de la langue française. Certaines formations, notamment celles qui ont trait à l'enseignement civique, sont parfois dispensées en langue française alors même que les personnes à qui elles s'adressent ne la maîtrisent pas. Il serait intéressant d'exiger, pour certains titres de séjour, que l'apprentissage de la langue commence d'ailleurs dans les pays d'origine des demandeurs, avant même leur arrivée sur le sol français.

Le besoin de places supplémentaires dans les centres de rétention administrative est réel et ne s'explique pas uniquement par le faible taux d'exécution des mesures d'éloignement. Le Gouvernement annonce une augmentation du nombre de places d'ici à 2027, pour atteindre 3 000 à cet horizon. Or, en réponse à mes demandes de précision, il a été souligné que les moyens financiers auront été engagés à cet horizon pour financer ces places ; il n'est en revanche pas certain que les places soient réellement créées et disponibles à cette échéance. La nuance est de taille.

La question relative aux moyens nécessaires pour augmenter le nombre de retours dans les pays d'origine sera largement traitée au cours de l'examen du projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration. Un départ effectif des étrangers en situation irrégulière est effectivement difficile à réaliser. Ainsi, si 40 % des demandes d'asile obtiennent une réponse favorable, la prudence est de mise concernant le retour effectif dans leur pays des 60 % restants. C'est la raison pour laquelle il est envisagé d'étendre les cas d'instruction des dossiers de demande d'asile avant l'entrée des personnes concernées sur le territoire national, à la frontière.

La commission a décidé de proposer au Sénat de ne pas adopter les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ».

*

* *

Réunie à nouveau le jeudi 23 novembre 2023, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a confirmé sa décision.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Direction générale des étrangers en France (DGEF)

- M. Éric JALON, directeur général.

Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII)

- M. Didier LESCHI, directeur général.

Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA)

- M. Julien BOUCHER, directeur général.

LA LOI EN CONSTRUCTION

Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, le tableau synoptique de la loi en construction est disponible sur le site du Sénat à l'adresse suivante :

http://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjlf2024.html


* 1 Même si les bénéficiaires de la protection temporaire ne sont pas automatiquement des demandeurs d'asile.

* 2 Analyse de l'exécution budgétaire 2022, Mission « Immigration, asile et intégration », avril 2023.

* 3 Dédiés également aux demandeurs d'asile.

* 4 Loi n° 2023-22 du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur.

* 5 Voir supra.

* 6 Voir supra.

* 7 Edition 2020 des perspectives des migrations internationales, OCDE, Octobre 2020.

* 8 Rapport d'activité 2020 de l'OFPRA.

* 9 Organisation internationale pour les migrations, World migration report 2022.

* 10 Rapport d'activité 2021 de l'OFPRA.

* 11 Office français de protection des réfugiés et apatrides.

* 12 Les principales données de l'immigration en France, Ministère de l'Intérieur, 20 juin 2022.

* 13 Voir infra.

* 14 Règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

* 15 Voir supra.

* 16 Voir infra.

* 17 Projet annuel de performances de la mission « Santé » annexé au projet de loi de finances pour 2024.

* 18 Directive 2001/55/CE du Conseil du 20 juillet 2001 relative à des normes minimales pour l'octroi d'une protection temporaire en cas d'afflux massif de personnes déplacées et à des mesures tendant à assurer un équilibre entre les efforts consentis par les États membres pour accueillir ces personnes et supporter les conséquences de cet accueil.

* 19 Décision d'exécution UE n° 2022/382 du Conseil du 4 mars 2022 constatant l'existence d'un afflux massif de personnes déplacées en provenance d'Ukraine, au sens de l'article 5 de la directive 2001/55/CE, et ayant pour effet d'introduire une protection temporaire.

* 20 Instruction NOR: INTV2208085J du ministre de l'intérieur, du ministre des solidarités et de la santé, de la ministre déléguée auprès de la ministre de la transition écologique, chargée du logement et de la ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur, chargée de la citoyenneté.

* 21 Décret n° 2022-512 du 7 avril 2022 portant ouverture et annulation de crédits à titre d'avance.

* 22 Analyse de l'exécution budgétaire 2022, Mission « Immigration, asile et intégration », avril 2023.

* 23 Le personnel des deux opérateurs rattachés à la mission est rémunéré directement par ces derniers.

* 24 11 768 places en 2024.

* 25 Dans le cadre du budget pour 2024, la suppression de l'action n° 15 du programme 104 aboutit notamment à transférer 126,2 millions d'euros vers l'action n° 2 du programme 303, voir supra.

* 26 L'action n° 4 « Soutien » du programme 303 connaît une rétrocession de crédits du programme 216 « Conduite et pilotage des politiques de l'intérieur » (rattaché à la mission « Administration générale et territoriale de l'État ») d'un montant de 38,5 millions d'euros en AE et 37,9 millions d'euros en CP, voir supra.

* 27 Voir infra.

* 28 Voir supra.

* 29 Idem.

* 30 Centres d'accueil et d'examen des situations.

* 31 Hébergement d'urgence des demandeurs d'asile.

* 32 Voir supra.

* 33 Selon les chiffrages du Gouvernement.

* 34 Voir supra.

* 35 Sont autorisés à y séjourner les demandeurs d'asile, les bénéficiaires d'une protection dans un délai de six mois maximum après notification de la décision et les déboutés dans un délai d'un mois maximum après notification de la décision. Dans le cas où une solution d'hébergement ou de logement ne peut être trouvée durant cette période, les bénéficiaires de la protection internationale basculent en présence indue.

* 36 Loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d'asile.

* 37 Voir supra.

* 38 L'Ofpra ne bénéficie de financements de l'État qu'au titre du programme 303, contrairement à l'Ofii qui en bénéficie tant au titre du programme 303 que du programme 104, en raison du spectre plus large de ses actions.

* 39 S'y ajoutait potentiellement une provision de 20 millions d'euros.

* 40 Cible qui ne sera pas atteinte, le projet annuel de performances annonçant finalement 140 000 décisions en 2023.

* 41 Voir supra.

* 42 Les autres mesures sont les interdictions de territoire et les expulsions, qui connaissent des taux d'exécution bien supérieurs à celui des OQTF.

* 43 Voir également les graphiques supra sur l'évolution du nombre d'OQTF prononcées et exécutées et de leur taux d'exécution.

* 44 Cette aide composite est constituée par une aide administrative (dont un billet d'avion), une allocation forfaitaire d'un montant plafonné, versée en une fois, et éventuellement une aide à la réinsertion dans le pays d'origine. Elle était proposée jusqu'ici par l'OFII aux personnes en situation irrégulière, aux déboutés de la demande d'asile ou aux personnes visées par une OQTF. Désormais, son versement est adossé « au prononcé de l'OQTF » (et, pour les ressortissants de pays tiers, au fait que l'OQTF soit adossée à une interdiction de retour) pour les personnes qui y vivaient depuis au moins trois mois (contre six mois auparavant), en appliquant un principe de dégressivité de l'aide dans le temps. Ainsi, si l'aide est doublée dans le premier mois après la notification de l'OQTF (pour les ressortissants des pays soumis à visa, pas pour les autres pays), elle chute d'un premier niveau si elle est sollicitée deux à quatre mois après la procédure d'expulsion, puis de nouveau ensuite, selon un tableau annexé à l'arrêté. Si une personne sollicite l'aide au retour quatre mois après une OQTF, elle ne pourra également plus prétendre à l'aide pour la réinstallation.

* 45 Loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France.

* 46 Loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie.

* 47 Voir supra.

* 48 Voir supra.

* 49 Voir supra.

* 50 Voir supra.

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