EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 28 juin 2023 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a examiné le rapport pour avis de M. Christian Klinger sur le projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale de l'année 2022.

M. Claude Raynal, président. - Mes chers collègues, nous examinons le rapport pour avis de notre collègue Christian Klinger sur le projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale de l'année 2022, qui est examiné au fond par la commission des affaires sociales.

Notre commission se prononçant chaque année sur les projets de lois de financement de la sécurité sociale (PLFSS), il paraît naturel de se pencher sur l'exécution de ces textes.

Il s'agit du premier projet de loi de ce type, qui résulte de la dernière révision de la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale (LOLFSS), puisqu'auparavant l'exécution des comptes sociaux faisait l'objet d'un examen rapide lors de l'examen du PLFSS de l'année n+2.

Aucun amendement n'est présenté par notre rapporteur sur ce texte, qui a fait l'objet d'un rejet par l'Assemblée nationale en première lecture.

M. Christian Klinger, rapporteur pour avis. - Nous examinons effectivement le projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale (PLACSS) pour 2022. Ce texte, premier du genre, constitue depuis la loi organique du 14 mars 2022 relative aux lois de financement de la sécurité sociale le pendant pour les comptes sociaux de ce que représente la loi de règlement pour les comptes de l'État.

Dans la continuité de sa pratique habituelle sur les LFSS, la commission des finances a fait le choix de se saisir pour avis de ce texte afin de donner son appréciation de la situation de la sécurité sociale en 2022. Fait rare, mais qui n'est plus tout à fait inhabituel pour ce qui concerne les projets de loi visant à donner quitus de sa gestion au Gouvernement, ce projet de loi a été rejeté par l'Assemblée nationale.

L'article liminaire vise l'approbation des recettes, des dépenses et du solde des administrations de sécurité sociale (ASSO) au sens de la comptabilité nationale. Le solde qui y apparaît est légèrement positif - 0,3 % du produit intérieur brut -, mais il s'agit d'un effet d'optique. Le périmètre des Asso comprend en effet les excédents de la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades), qui rembourse la dette de la sécurité sociale.

Le tableau présenté à l'article 1er donne une meilleure image de la situation de la sécurité sociale : il concerne l'ensemble des régimes obligatoires de base et le Fonds de solidarité vieillesse (FSV). Il fait en effet apparaître un déficit de 19,6 milliards d'euros, dont un déficit de 21 milliards d'euros pour les cinq branches de la sécurité sociale et un léger excédent de 1,3 milliard d'euros pour le FSV. La situation de la branche maladie, toujours en rémission après la crise sanitaire, est particulièrement préoccupante : elle concentre à elle seule un déficit aussi important que celui de l'ensemble de la sécurité sociale, soit 21 milliards d'euros.

Si, en 2022, le déficit est de 4,7 milliards d'euros moins élevé qu'en 2021, il s'est moins amélioré que prévu dans la rectification intervenue dans la LFSS pour 2023. Le Gouvernement peine en effet à appréhender convenablement la situation économique, particulièrement volatile, il est vrai, en raison de l'inflation. Les prévisions de croissance du Gouvernement - 1 % en 2023 - apparaissent systématiquement plus optimistes que celles de la Banque de France - seulement 0,7 % -, ce qui est inquiétant, car, si la croissance ne devait pas se maintenir, une nouvelle dégradation des comptes sociaux serait à prévoir.

L'article 1er vise également l'approbation des recettes et des dépenses des différentes branches de la sécurité sociale et du FSV.

Les ressources de la sécurité sociale et du FSV ont dépassé les prévisions de la LFSS pour 2022 : elles s'établissent à 572 milliards d'euros en 2022. Cette progression rapide résulte essentiellement d'une conjoncture favorable et non d'un quelconque effort en recettes du Gouvernement. La croissance de la masse salariale du secteur privé, sur laquelle sont assises les cotisations sociales, a ainsi crû de 8,7 % en 2022 ; mais il s'agit là d'une situation exceptionnelle, qui a toutes les chances de ne pas se reproduire. La progression des recettes est donc vouée à ralentir.

En miroir, les dépenses ont également augmenté : les charges nettes de la sécurité sociale et du FSV se sont ainsi élevées en 2022 à 591,6 milliards d'euros, en augmentation de 24,3 milliards par rapport à 2021 et surtout de 21 milliards par rapport aux prévisions de la LFSS pour 2022. Ce dépassement résulte d'abord d'une mauvaise anticipation de la vague Omicron, la situation sanitaire ayant été plus dégradée qu'attendu. Il découle ensuite des sommes importantes consacrées au Ségur de la santé, qui sont passées de 9,9 milliards d'euros en 2021 à 12,7 milliards d'euros en 2022 pour l'ensemble des branches. Il est enfin la conséquence des revalorisations des prestations en espèces des différentes branches de 1,8 % au 1er avril, puis de 4 % au 1er juillet 2022, pour prévenir l'impact de l'inflation sur le pouvoir d'achat des bénéficiaires.

Parmi ces dépenses, celles de la branche maladie, et singulièrement de l'objectif national de dépenses de l'assurance maladie (Ondam), se distinguent par leur dynamisme : elles se sont établies à 247,2 milliards d'euros, contre un objectif initial fixé à 236,8 milliards d'euros dans la LFSS 2022, soit un dépassement de 4,4 %. Les dépenses de la branche maladie dépassent quant à elles la prévision initiale de 12 milliards d'euros, soit 5,22 %, ce qui correspond à la sur-exécution la plus importante enregistrée en 2022.

La situation des autres branches est contrastée. Celle de la branche vieillesse est préoccupante : elle connaît un déficit de 3,8 milliards d'euros en 2022, principalement du fait des revalorisations des prestations ; ce déficit devrait se dégrader dans le futur, notamment du fait du déficit croissant de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL).

Les branches famille et autonomie, si elles conservent des excédents - respectivement de 1,9 milliard et de 200 millions d'euros - les voient d'ores et déjà se réduire du fait de la progression rapide de leurs dépenses, plus dynamiques que leurs recettes. La branche autonomie entrera même en déficit à compter de 2023. Seule la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP) bénéficie d'excédents solides.

Les comptes de la sécurité sociale sont donc déficitaires. Mais les difficultés ne s'arrêtent pas là : ils sont aussi, pour certains, de plus en plus insincères. En effet, l'exercice 2022 a été marqué par le refus de la Cour des comptes de certifier les comptes de la branche famille et de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf), qui avaient toujours été certifiés - bien qu'avec réserves en 2021 - depuis 2014. Ce refus est dû à la persistance d'erreurs non corrigées et de la faiblesse des contrôles : ainsi, un quart des montants versés au titre de la prime d'activité est affecté d'erreurs non corrigées neuf mois après leur paiement. La nécessité de mieux lutter contre les abus et la fraude sociale, que le Sénat et cette commission ont maintes fois défendue, s'en trouve réaffirmée. Surtout, il paraît difficile de voter l'approbation du bilan de la sécurité sociale prévue à l'article 3, alors que la Cour des comptes elle-même estime que certains comptes ne donnent pas une image fidèle de sa situation financière.

Un mot, pour terminer, sur l'endettement social. La dette sociale, c'est-à-dire à la fois celle qui est portée par l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) et celle qui est reprise par la Cades, a atteint en 2022 un pic inédit de 161,1 milliards d'euros. L'article 2 du projet de loi vous demande d'ailleurs d'approuver le montant de la dette sociale amortie par la Cades en 2022 : 18,9 milliards d'euros. Mais le niveau de l'endettement social inquiète : en 2022, la Cades a reçu 40 milliards d'euros de transferts de dette de l'Acoss. Ainsi, 136,2 milliards d'euros restent à amortir à l'horizon de 2033.

Or la diminution programmée des ressources de la Cades, la remontée des taux d'intérêt vers des hauteurs dangereuses et la probabilité grandissante que de nouveaux passifs soient transférés à la Cades compte tenu de la dégradation prévisible des comptes sociaux font craindre un nouveau report de l'extinction de la dette sociale au-delà de 2033.

Pour résumer, ces comptes laissent entrevoir des recettes dont la dynamique ne manquera pas de s'épuiser, des dépenses mal maîtrisées en constante augmentation, un solde qui demeure fermement négatif et un endettement social inédit. Dans ces conditions, mes chers collègues, je vous propose que la commission des finances se prononce défavorablement sur le projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale pour 2022.

M. Albéric de Montgolfier. - Je vous remercie de ce rapport pour avis, qui souligne le dynamisme des dépenses de maladie, qui a toutefois été ralenti par la fin de la crise sanitaire. Est-il possible d'évaluer le coût réel de la crise de la covid-19 ? Je pense notamment au coût des tests ou à certaines dépenses mal maîtrisées. De nombreux articles de presse ont fait valoir un faible contrôle de la politique de dépistage.

M. Marc Laménie. - Je vous remercie de cette analyse très détaillée. La somme de 591,6 milliards d'euros qui est mentionnée dans le rapport correspond-elle au coût total des régimes ? Par ailleurs, les dépenses relevant de l'Ondam se sont établies à 247 milliards d'euros. Comment s'explique un tel décalage avec l'Ondam voté en LFSS 2022 ?

Les dépenses liées au Ségur de la santé s'élèvent à 12 milliards d'euros. Ce total couvre-t-il l'ensemble des branches ? Il reste en effet toujours des oubliés du Ségur.

Enfin, concernant la dette sociale, à quoi renvoient les montants de 224 milliards et de 136 milliards qui apparaissent dans le rapport ?

M. Claude Raynal, président. - On se souvient avec émotion de l'époque où l'on évoquait ici la fin de la dette de la Cades : on trouvait alors des moyens supplémentaires pour traiter de nouveaux risques de sécurité sociale.

M. Christian Klinger, rapporteur pour avis. - Albéric de Montgolfier, je n'ai pas à ce jour de données sur le coût total du covid-19 depuis 2020, car cette question excède le champ du projet de loi que nous examinons. Les dépenses relevant de l'Ondam s'élèvent toutefois à 247 milliards d'euros en intégrant celles liées au covid-19, et à 236 milliards en les excluant : le différentiel entre ces deux montants constitue une bonne estimation du coût du covid-19. En 2022, les dépenses directement imputables au covid-19 s'établissent ainsi à 11,7 milliards d'euros, contre une prévision de 4,9 milliards, du fait de la vague Omicron.

Marc Laménie, la somme de 591,6 milliards d'euros correspond effectivement aux charges nettes de l'ensemble des régimes obligatoires de base, pour les cinq branches de la sécurité sociale et le FSV. Le décalage entre l'Ondam voté et l'Ondam constaté résulte pour une large part de la vague Omicron, mais également des revalorisations salariales décidées pour compenser l'impact de l'inflation sur les professionnels de santé.

Le coût du Ségur est de 12,7 milliards en 2022, contre 9,9 milliards en 2021. Ce montant couvre bien l'ensemble des branches et s'explique notamment par les revalorisations salariales pérennes à l'hôpital. Il convient de trouver le juste équilibre entre la volonté de minimiser le nombre « d'oubliés » du Ségur, et la nécessité de maîtriser les dépenses sociales.

Le montant de la dette sociale s'élève à 161,1 milliards en 2022. Quant aux chiffres que vous évoquez : le chiffre de 224,3 milliards d'euros correspond au montant de la dette que la Cades a amorti depuis sa création, et les chiffres de 136,2 milliards d'euros au montant de dette restant à amortir. J'ajoute que la Cades a amorti 18,9 milliards en 2022. Il faut prendre en compte l'augmentation des taux d'intérêt en 2022 : le taux d'emprunt des premières émissions de la Cades en 2022 était de 0,465 %, tandis qu'il était de 2,995 % pour les dernières. Cette hausse va prolonger la durée d'amortissement de la Cades. Par ailleurs, les ressources de la Cades vont diminuer. À partir de 2024, la fraction de contribution sociale généralisée (CSG) affectée à la Cades passera de 0,6 à 0,45 point, tandis qu'en 2025, le versement annuel du fonds de réserve pour les retraites s'élèvera à 1,45 milliard d'euros, contre 2,1 milliards actuellement. Ainsi, les recettes diminuent et le montant de l'emprunt sera plus long à amortir : l'échéance de 2033 ne pourra donc pas être respectée.

La commission émet un avis défavorable à l'adoption du projet de loi.

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