PROPOSITION DE RÈGLEMENT DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL CONCERNANT LES VÉGÉTAUX OBTENUS AU MOYEN DE CERTAINES NOUVELLES TECHNIQUES GÉNOMIQUES ET LES DENRÉES ALIMENTAIRES ET ALIMENTS POUR ANIMAUX QUI EN SONT DÉRIVÉS, ET MODIFIANT LE RÈGLEMENT (UE) 2017/625

La proposition de règlement COM(2023) 411 vise à assouplir les règles relatives à certaines nouvelles techniques génomiques (NTG) afin d'encourager leur développement au sein de l'Union européenne.

Désignant diverses techniques visant à modifier le matériel génétique d'un organisme pour permettre le développement de variétés végétales dotées de caractéristiques spécifiques, les NTG se distinguent des techniques génomiques établies (c'est-à-dire des techniques de modification génétique mises au point avant 2001 et l'adoption de la législation de l'Union sur les organismes génétiquement modifiés) en ce que (i) elles peuvent conduire à des modifications plus ciblées et plus rapides du génome et (ii) elles se limitent à l'insertion d'un matériel génétique provenant uniquement d'espèces pouvant être croisées.

Alors qu'elles sont apparues ou se sont principalement développées après l'adoption, au début des années 2000, de la législation de l'Union sur les organismes génétiquement modifiés, les NTG relèvent encore de ce cadre règlementaire, ce qu'a confirmé la CJUE dans un arrêt du 25 juillet 20181(*). Dans une décision du 8 novembre 20192(*), le Conseil a donc chargé la Commission d'étudier, à la lumière de cet arrêt, le statut des NTG dans le droit de l'Union et de soumettre une proposition pour tenir compte des résultats de l'étude.

1. La législation actuelle sur les OGM s'avérant inadaptée aux NTG, la proposition de règlement entend favoriser l'essor des NTG

Dans l'étude qu'elle a remise le 29 avril 20213(*), la Commission a conclu que le cadre législatif actuel n'était pas adapté aux végétaux NTG obtenus par mutagenèse ciblée ou cisgenèse et devait par conséquent être adapté aux progrès scientifiques et techniques réalisés dans ce domaine. La Commission relève notamment que, pour les variétés de végétaux obtenus par mutagenèse ciblée ou cisgenèse, la législation sur les OGM :

- se caractérise par une procédure d'autorisation et des exigences en matière d'évaluation des risques disproportionnées ;

- se révèle difficile à mettre en oeuvre et à faire respecter, puisque dans certains cas, les modifications génétiques introduites ne peuvent pas être distinguées au moyen des méthodes analytiques des mutations naturelles ou distinguées des modifications génétiques introduites par des techniques d'obtention conventionnelle ;

- s'avère inadaptée pour permettre à l'UE de tirer parti des nouveaux développements en matière de biotechnologie dans la mesure où elle est essentiellement axée sur les risques.

Par conséquent, la Commission a présenté le 5 juillet dernier une proposition de législation destinée à soumettre les NTG à un niveau plus approprié de surveillance règlementaire, afin de favoriser leur essor et renforcer ainsi la compétitivité du secteur agroalimentaire de l'Union, tout en continuant à maintenir un niveau élevé de protection de la santé humaine et animale et de l'environnement.

Cette proposition se fonde sur plusieurs constats :

i) Les travaux de l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) ont établi que la mutagenèse ciblée et la cisgenèse ne présentaient pas de dangers particuliers pour la santé humaine et animale ou pour l'environnement ;

ii) Les végétaux NTG, en apportant des solutions à des problèmes globaux comme le changement climatique ou la perte de biodiversité, peuvent contribuer à rendre plus résilientes les chaînes alimentaires et donc renforcer la sécurité alimentaire ; ces produits font donc l'objet d'une demande croissante dans l'Union européenne et dans le monde ;

iii) Caractérisées par des coûts d'entrée et de fonctionnement faibles, les NTG sont souvent plus accessibles que les techniques génomiques établies, ce qui laisse envisager une plus grande diversification des développeurs et utilisateurs de ces techniques ;

iv) Les NTG pourraient concourir à réduire la dépendance de l'Union aux importations et donc renforcer son autonomie stratégique, dans la mesure où elles s'appliquent à une gamme beaucoup plus large d'espèces cultivées que les techniques génomiques établies.

2. Une proposition de législation reposant sur l'identification de deux catégories de NTG

La proposition de règlement ne couvre que les végétaux obtenus au moyen de certaines NTG, à savoir la mutagenèse ciblée et la cisgenèse (y compris l'intragenèse). Le champ d'application du texte ne se limite cependant pas aux végétaux NTG, puisqu'il englobe également les produits contenant ces végétaux ou consistant en ces végétaux, ainsi que les denrées alimentaires et les aliments pour animaux contenant ces végétaux, consistant en ces végétaux ou produits à partir de ces derniers.

En pratique, la proposition de législation repose sur une distinction entre deux catégories de NTG : les NTG « qui pourraient apparaître ou être produits par obtention conventionnelle », dites « NTG de catégorie 1 » et les autres, dites « NTG de catégorie 2 ».

Tandis que les végétaux NTG de catégorie 1 seront traités comme des végétaux apparaissant naturellement ou produits au moyen de techniques d'obtention conventionnelle et donc dérogeront entièrement à la législation de l'UE sur les OGM, les végétaux NTG de catégorie 2 resteront soumis aux exigences de cette dernière, modulo quelques adaptations.

2.1. Une nouvelle procédure de vérification pour les végétaux NTG de catégorie 1

Les végétaux NTG de catégorie 1 seront soumis à une procédure de vérification, permettant de déterminer s'ils auraient également pu être obtenus naturellement ou par des techniques d'obtention conventionnelle (chapitre II de la proposition de règlement). Ils seront ainsi exemptés des exigences de la législation sur les OGM et soumis aux dispositions applicables aux végétaux conventionnels, mais resteront interdits dans la production biologique (article 5).

La proposition de règlement définit les critères permettant de déterminer si un végétal NTG est équivalent à un végétal apparaissant naturellement ou obtenu de manière conventionnelle (énumérés à l'annexe I), la Commission étant habilitée à modifier ces derniers afin de les adapter au progrès scientifique et technologique (article 5).

En pratique, avant toute dissémination volontaire et mise sur le marché, les opérateurs devront obtenir une déclaration de « végétal NTG de catégorie 1 ». Si la demande de vérification intervient en vue des essais de terrain, il incombera à l'État membre saisi de cette dernière de vérifier la conformité avec les critères de l'annexe I, la décision étant ensuite valable pour l'ensemble de l'Union et couvrant la mise sur le marché ultérieure des végétaux NTG mais également des produits NTG connexes (article 6). Si aucun essai de terrain n'a été réalisé dans l'Union et que la demande intervient en vue de la mise sur le marché, la décision sera rendue par la Commission, sur la base d'un avis scientifique fourni par l'Autorité européenne de sécurité des aliments (article 7).

Enfin, même si les végétaux NTG de catégorie 1 ne seront pas soumis aux exigences de traçabilité et d'étiquetage relatives à la directive OGM, la proposition de la Commission prévoit plusieurs dispositions destinés à garantir la transparence, avec notamment :

- la mise en place d'une base de données accessible au public, chaque végétal NTG de catégorie 1 se voyant attribuer un numéro d'identification (article 9) ;

- l'étiquetage des semences comme étant NTG de catégorie 1 (article 10) ;

2.2. Le maintien d'une procédure d'autorisation assortie d'une évaluation des risques pour les végétaux NTG de catégorie 2

Pour les végétaux NTG qui ne remplissent pas les critères permettant de considérer qu'ils pourraient également être obtenus naturellement ou par obtention conventionnelle
(« végétaux NTG de catégorie 2 »), la législation sur les OGM continuera à s'appliquer (chapitre III, articles 12 à 25), modulo quelques adaptations.

Ainsi, compte tenu de la diversité de ces végétaux NTG, la quantité d'informations nécessaires devrait varier au cas par cas, les exigences en matière de données pour l'évaluation des risques étant assouplies.

En parallèle, les exigences en matière de suivi et la nécessité d'un renouvellement régulier pourront être adaptées au profil de risque. La proposition instaure, enfin, des modalités permettant de se conformer aux exigences relatives aux méthodes de détection dans les cas où il n'est pas possible de fournir une méthode qui détecte, détermine et quantifie.

Des mesures d'incitations règlementaires - comme une procédure accélérée d'évaluation des risques ou un renforcement des conseils préalables à la soumission pour aider les développeurs à préparer les dossiers (article 22) - sont également prévues en faveur des végétaux NTG de catégorie 2 contenant certains traits susceptibles de contribuer à la performance globale des variétés en ce qui concerne la durabilité (tolérance aux stress biotiques ou abiotiques, amélioration des caractéristiques nutritionnelles, etc.).

Les végétaux NTG de catégorie 2 resteront soumis aux exigences de traçabilité et d'étiquetage prévues par la législation de l'Union sur les OGM ; les opérateurs seront néanmoins autorisés à compléter l'étiquetage par des informations sur le trait conféré par la modification génétique (article 23).

Tableau récapitulatif de la proposition de législation

Végétaux NTG de catégorie 1

Végétaux NTG de catégorie 2

Procédure de vérification

-> Données demandées uniquement pour démontrer la conformité avec les critères d'équivalence à l'obtention conventionnelle

Procédure d'autorisation

-> Données pour l'évaluation des risques et sur la méthode de détection

Non-soumis aux exigences d'évaluation des risques

Évaluation des risques adaptée pour tenir compte de la diversité des profils de risque et pour répondre aux difficultés liées à la détection

Non-soumis aux exigences de traçabilité et d'étiquetage en tant qu'OGM

-> Mise en place d'un registre de transparence pour ces végétaux

-> Obligation d'étiquetage uniquement pour les semences, afin de favoriser le maintien d'une production biologique exempte de NTG et de préserver la confiance des consommateurs

Exigences maintenues quant à la traçabilité et d'étiquetage en tant qu'OGM

-> Possibilité d'informer les acheteurs de l'objectif de la modification génétique, afin de permettre aux opérateurs et aux consommateurs de faire des choix en connaissance de cause

Interdits dans la production biologique

Interdits dans la production biologique

Source : commission des affaires européennes à partir de la proposition de législation

Enfin, il est prévu que la clause d'opt out permettant aux États membres, conformément à la directive OGM telle que révisée en 20154(*), de restreindre ou d'interdire la culture d'OGM sur leur territoire ne s'applique pas aux végétaux NTG de catégorie 2 (article 25). Les États devront néanmoins obligatoirement adopter des mesures de coexistence pour éviter la présence involontaire de ces végétaux NTG dans les cultures biologiques et conventionnelles (article 24).

3. Examen au titre de la subsidiarité et la proportionnalité

La proposition se fonde sur les articles 43 (mise en oeuvre de politique agricole commune), 114 (fonctionnement du marché intérieur) et 168, paragraphe 4, point b (mesures destinées à assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine dans les domaines vétérinaires et phytosanitaire) du TFUE. Si les exigences relatives à la dissémination volontaire et la mise sur le marché des NTG font d'ores et déjà l'objet d'une harmonisation à l'échelle de l'Union, par le biais de la législation sur les OGM, l'objet de la présente proposition est d'adapter ce cadre juridique aux particularités de certains végétaux NTG.

Il aurait été envisageable de confier aux États membres le soin de réglementer les végétaux NTG, en les excluant purement et simplement de la législation sur les OGM ; néanmoins, selon la Commission, cette option se traduirait inévitablement par une grande disparité de règles et de niveaux de protection au sein de l'Union, compromettant le bon fonctionnement du marché intérieur. S'il paraît dès lors souhaitable de promouvoir une approche européenne de la réglementation applicable aux végétaux NTG, certaines stipulations de la proposition de règlement ne sont pas sans soulever des questions au regard du principe de subsidiarité.

En première analyse, la proposition de la Commission réduit indéniablement la marge de manoeuvre sont les États membres bénéficient en matière d'OGM. À cet égard, tandis que la législation actuelle sur les OGM comporte des clauses de sauvegarde5(*) et des mesures d'urgence6(*), autorisant les États membres à limiter ou à interdire l'utilisation ou la vente d'OGM dont la culture ou la commercialisation a été autorisée, sur le fondement de motifs exclusivement liés à la santé humaine, animale ou à l'environnement, la proposition de la Commission ne comprend aucune clause de ce type.

De surcroît, la proposition de la législation exclut explicitement la possibilité pour les États membres de recourir à la clause d' « opt out » pour les végétaux NTG de catégorie 2, arguant que cette disposition va à l'encontre des objectifs de durabilité visés par le Pacte Vert et la stratégie « De la ferme à la table ». Cette clause, introduite en 2015 à la demande des États membres, leur permet d'interdire ou de restreindre la culture d'un OGM autorisé ou en cours d'autorisation au niveau de l'Union, en invoquant des motifs plus étendus que les clauses de sauvegarde ou d'urgence (incidences socio-économiques, aménagement du territoire, affectation des sols, objectifs de politique agricole ou environnementale, volonté d'éviter la présence d'OGM dans d'autres produits ou encore préservation de l'ordre public).

Cette clause d'opt out, actuellement utilisée par 18 États membres, concerne exclusivement la culture des OGM, cette dernière comportant, comme le relève la directive de 2015, « une forte dimension nationale, régionale et locale en raison de son lien avec l'affectation des sols, les structures agricoles locales et la protection ou la préservation des habitats, des écosystèmes et des paysages »7(*). Dès lors, elle ne couvre ni la libre circulation, ni la libre importation de semences et de matériels de multiplication végétale génétiquement modifiés, ainsi que les produits de leur récolte.

Si l'impossibilité de recourir à cette clause d'opt out dans le cas des végétaux NTG de catégorie 2 conduirait de facto à limiter la capacité des États à définir une politique agricole correspondant à leur territoire, il convient de rappeler que la politique agricole commune constitue une compétence exclusive de l'Union européenne, tout comme le bon fonctionnement du marché intérieur. Les controverses juridiques ayant entouré son introduction témoignent à cet égard du caractère relativement incongru de la clause d'opt out, conduisant à renationaliser des choix politiques relevant jusqu'alors de l'Union européenne et portant indéniablement atteinte à l'unité du marché intérieur. Plusieurs États membres s'étaient ainsi vigoureusement opposés à toute renationalisation des décisions de mise en culture, relevant l'incompatibilité d'une telle proposition avec la volonté affichée de poursuivre et d'approfondir la construction européenne. Dans ce contexte, il aura fallu pas moins de cinq ans pour que la proposition de la Commission soit adoptée et devienne la directive du 11 mars 2015.

En tout état de cause, dans le cadre du processus de négociation législative en cours au Conseil, si la France s'est déclarée favorable à un assouplissement du cadre légal relatif aux NTG, considérant que ces technologies ne peuvent être assimilées à des OGM et que leur développement constitue à la fois l'une des clés pour renforcer la souveraineté alimentaire de l'Union et l'un des moyens pour atteindre les objectifs de réduction des produits phytopharmaceutiques, elle a également demandé explicitement le maintien d'un opt out pour les NTG de catégorie 2, ainsi qu'une évaluation des risques fiable et rigoureuse.

Compte tenu de ces observations, le groupe de travail sur la subsidiarité a décidé de ne pas intervenir plus avant sur ce texte au titre de l'article 88-6 de la Constitution, la proposition de législation étant au demeurant susceptible de faire l'objet d'un examen au fond au titre de l'article 88-4.


* 1 Confédération paysanne e .a./ Premier ministre et ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, C-528/16, EU : C : 2018 :583

* 2 Décision (UE) 2019/1904.

* 3 SWD(2021) 92

* 4Directive (UE) 2015/412 du 11 mars 2015 modifiant la directive 2001/18/CE en ce qui concerne la possibilité pour les États membres de restreindre ou d'interdire la culture d'organismes génétiquement modifiés sur leur territoire.

* 5 Article 23 de la directive 2001/18/CE du 12 mars 2001 relative à la dissémination volontaire d'organismes génétiquement modifiés dans l'environnement

* 6 Article 34 du règlement 1829/2003 du 22 septembre 2003 concernant les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés

* 7 Considérant 6, Directive 2015/412/UE.