COM(2022) 245 final  du 25/05/2022

Contrôle de subsidiarité (article 88-6 de la Constitution)


I) La proposition de directive

A) Le droit existant

Les produits de la criminalité organisée au sein de l'Union européenne sont estimés par Europol à 110 milliards d'euros par an. Leur confiscation constitue donc un enjeu majeur pour les États membres.

Dans cette perspective, ces derniers ont accepté de mettre en place une coopération européenne approfondie :

- en créant, le cas échéant, des bureaux nationaux de recouvrement des avoirs afin de permettre le dépistage rapide des avoirs illicites1(*) ;

-en adoptant des règles minimales pour le gel, la gestion et la confiscation des avoirs criminels. La directive 2014/42/CE2(*) prévoit ainsi des dispositions permettant de procéder à la confiscation des avoirs d'une personne sans attendre sa condamnation, autorisant la confiscation élargie3(*) de certains biens et assurant, dans certains cas, la confiscation des avoirs de tiers. Elle précise les modalités de gel des biens en vue de leur confiscation ultérieure et celles de la gestion des biens gelés et confisqués. Elle prévoit des règles de dépistage des biens même après une condamnation définitive, ainsi que les garanties dont peuvent se prévaloir les parties concernées par ces procédures ;

-en assurant la reconnaissance mutuelle des décisions de gel et de confiscation des avoirs. Le règlement (UE) 2018/18054(*), qui s'applique à toutes les décisions de gel et de confiscation prises dans le cadre de procédures pénales, tend à faciliter le recouvrement transfrontière des avoirs d'origine criminelle et à faciliter leur gel et leur confiscation à travers l'Union européenne.

Dans les années 90, dans le cadre de sa législation anti-blanchiment, la France a été pionnière pour affirmer que la confiscation des avoirs criminels était un objectif des politiques publiques. En 1992, l'article 131-21 du code pénal introduisait ainsi les premières dispositions générales sur la peine complémentaire de confiscation. Par la suite, le droit français a été régulièrement précisé5(*). Outre l'article 131-21 précité du code pénal, de nombreuses dispositions du code de procédure pénale encadrent le recouvrement, le gel et la confiscation des avoirs criminels6(*). Aujourd'hui encore, la législation française est considérée comme une référence. Sur cette base, la chambre criminelle de la Cour de Cassation a développé une jurisprudence abondante. En pratique, le recouvrement et la gestion des avoirs criminels ont été confiés à l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC).

B) Une proposition liée à la crise ukrainienne

La proposition de directive examinée tend à actualiser les règles de recouvrement et de confiscation d'avoirs en tirant les conséquences de la crise ukrainienne. Si, à ce stade, elle fait seule l'objet du présent contrôle de subsidiarité, elle forme un ensemble cohérent avec la proposition de décision du Conseil COM (2022) 247 final, et la communication « Vers une directive sur la pénalisation de la violation des mesures restrictives de l'Union européenne » (COM (2022) 249 final), présentées comme elle, le 25 mai dernier.

La proposition de décision du Conseil a un seul objet : ajouter la violation des mesures restrictives prises par l'Union européenne à la liste des infractions pénales de l'Union européenne précisée à l'article 83 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE)7(*), afin d'en harmoniser la qualification juridique au niveau européen et de donner une efficacité maximale à ces mesures. Pour cela, le Conseil doit adopter cet ajout à la majorité qualifiée, après approbation du Parlement européen.

Encadré : Les mesures restrictives

Ces mesures peuvent être décidées, dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC), par le Conseil de l'Union européenne8(*) à la majorité qualifiée, à l'encontre de pays tiers, d'entités ou de particuliers. Elles peuvent comprendre des mesures individuelles ciblées (ex : gel des avoirs d'une personne ; interdiction de pénétrer sur le territoire de l'Union européenne) ainsi que des mesures sectorielles (restrictions à l'importation et à l'exportation, restrictions à la fourniture de certains services comme les services bancaires...). Leur mise en oeuvre relève de la responsabilité première des États membres. Or, à la suite de l'agression russe contre l'Ukraine, le Conseil a pris plusieurs séries de mesures restrictives visant tant des organismes liés à l'État russe que des responsables politiques et économiques du pays. Cependant, aujourd'hui, dans les États membres, la violation de ces mesures restrictives peut constituer soit une infraction pénale, soit une simple infraction administrative, ce qui favorise les solutions de contournement.

En complément, la communication COM (2022) 249 final expose ce que pourrait être le contenu d'une directive relative aux sanctions pénales en cas de violation des règles de l'Union européenne.

II) Le contenu de la proposition de directive

La proposition de directive COM (2022) 245 final se propose de remplacer la directive de 2014 précitée. Elle en reprend les définitions et les dispositions majeures, tout en relevant les exigences minimales européennes. Ainsi, elle :

-demande aux États membres de prendre les mesures nécessaires au dépistage et à l'identification rapides des instruments, produits et biens susceptibles de faire l'objet d'une décision de gel ou de confiscation (article 4) ;

-impose aux États membres de mettre en oeuvre une stratégie nationale de recouvrement des avoirs et de disposer d'au moins un bureau de recouvrement des avoirs pour procéder à l'identification des instruments produits et biens précités, échanger des informations avec leurs homologues des autres États membres et prendre des mesures immédiates pour prévenir ou détecter des infractions pénales liées à la violation de mesures restrictives de l'Union européenne (articles 5 et 24) ;

-fixe la liste des informations susceptibles de faire l'objet d'échanges entre bureaux de recouvrement9(*) et les délais de transmission de ces informations (sept jours en principe, 8 heures en cas d'urgence), et régule l'accès à ces informations (ex : un bureau peut refuser de transmettre des informations si les intérêts fondamentaux de son État en matière de sécurité nationale sont en cause ou si cette transmission compromet une enquête en cours ou constitue une menace imminente pour la vie ou l'intégrité physique d'une personne ; articles 6 à 10) ;

-complète les dispositions existantes relatives au gel des avoirs criminels en prévoyant la possibilité de mesures immédiates et celle du gel des possessions d'un tiers, et en précisant qu'une décision de gel ne reste en vigueur que le temps nécessaire pour préserver les biens en vue de leur éventuelle confiscation (article 11) ;

-étend le champ possible des confiscations : possibilité de confisquer des biens dont la valeur correspond à celle des instruments et produits tirés d'une infraction pénale et ceux gelés dont la juridiction compétente est convaincue qu'ils proviennent d'activités criminelles ; simplification des critères permettant une confiscation élargie (articles 12 à 18) ;

-exige des États membres une évaluation préalable des coûts potentiels de gestion de biens susceptibles d'être gelés et l'établissement de registres centralisés des biens, et prévoit des situations dans lesquelles le transfert ou la vente de biens gelés doit être possible avant une décision de confiscation (ex : en cas de dépréciation de l'avoir, telle qu'une exploitation agricole ou tel qu'un immeuble en location) ((articles 19 à 21) ;

-rappelle les garanties des personnes concernées par le gel ou la confiscation de leurs biens (droit à l'information ; motivation des décisions ; droit à une défense, à un recours effectif et à un procès équitable) (articles 22 et 23).

Des actes délégués de la Commission européenne seraient possibles mais simplement pour effectuer des collectes statistiques (articles 27 et 30). Les États membres disposeraient d'un délai d'un an pour transposer la proposition dans leur droit interne (article 32).

III) La proposition de directive est-elle conforme au principe de subsidiarité ?

La proposition de directive COM (2022) 245 final répond à une nécessité et apporte une valeur ajoutée évidente : favoriser le recouvrement, le gel et la confiscation des avoirs criminels dans l'Union européenne. Incontestablement, le rehaussement des exigences minimales en la matière accroîtrait l'efficacité de la lutte contre la grande criminalité et le terrorisme, activités transnationales par essence. Selon Europol en effet, 70% des groupes criminels qui opèrent dans l'Union européenne sont actifs dans plus de trois États membres. Elle semble de plus largement inspirée du droit français.

La proposition est de plus fondée sur plusieurs bases juridiques pertinentes, à savoir :

-l'article 82, paragraphe 2, du traité sur l'Union européenne (TUE), concernant les dispositions relatives aux garanties procédurales et à l'indemnisation des victimes ;

-l'article 83, paragraphes 1 et 2, du TUE, pour les dispositions relatives aux règles minimales relatives aux sanctions, au gel des avoirs, à la stratégie nationale en matière de recouvrement des avoirs, aux mécanismes de coopération et aux ressources nécessaires ;

-l'article 87 du TUE, concernant les mesures de dépistage et d'identification des avoirs et de coopération, d'une part, entre bureaux de recouvrement et de gestion des avoirs et, d'autre part, en matière de prévention, de détection et d'enquêtes sur des infractions pénales.

Enfin, cette proposition est proportionnée à l'objectif poursuivi.

Compte tenu de ces observations, le groupe de travail sur la subsidiarité a donc décidé ne pas intervenir plus avant au titre de l'article 88-6 de la Constitution.


* 1 Décision 2007/845/JAI du Conseil du 6 décembre 2007 relative à la coopération entre les bureaux de recouvrement des avoirs des États membres en matière de dépistage et d'identification des produits du crime ou des autres biens en rapport avec le crime.

* 2 Directive 2014/42/CE du Parlement européen et du Conseil du 3 avril 2014 concernant le gel et la confiscation des instruments et des produits du crime dans l'Union européenne.

* 3 Confiscation de tout ou partie des biens d'une personne reconnue coupable de certaines infractions pénales dont la juridiction est convaincue qu'ils proviennent d'activités criminelles.

* 4 Règlement (UE) 2018/1805 du Parlement européen et du Conseil du 14 novembre 2018 concernant la reconnaissance mutuelle des décisions de gel et des décisions de confiscation.

* 5 En particulier, par les lois n°2004-204 du 9 mars 2004, n°2007-297 du 5 mars 2007 et n°2010-768 du 9 juillet 2010 ou encore, concernant les « biens mal acquis » par certains chefs d'État étrangers en France, n°2021-1031 du 4 août 2021.

* 6 Articles 694-10 à 694-14, 695-9-1à 695-9-30-2, 706-103, 706-141 à 706-165 et 713-36 à 713-41.

* 7 À l'heure actuelle, cette liste comprend : le terrorisme, la traite des êtres humains et l'exploitation sexuelle des femmes et des enfants, le trafic illicite de drogues, le trafic illicite d'armes, le blanchiment d'argent, la corruption, la contrefaçon de moyens de paiement, la criminalité informatique et la criminalité organisée.

* 8 Article 215 du TFUE.

* 9 Données fiscales ; registres immobiliers nationaux, registres fonciers et cadastraux ; registres nationaux de citoyenneté et de population ; registres nationaux des véhicules à moteur, des aéronefs et des véhicules nautiques ; bases de données commerciales ; registres nationaux de sécurité sociale ; autres informations pertinentes détenues par les autorités compétentes en matière de détection, de prévention et de poursuite des infractions pénales.


Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 21/06/2022


JUSTICE ET AFFAIRES INTÉRIEURES

Texte E16851

Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative au recouvrement et à la confiscation d'avoirs

COM (2022) 245 final

(Procédure écrite du 13 décembre 2022)

La commission a décidé de ne pas intervenir plus avant sur ce texte au titre de l'article 88-4 de la Constitution.