COM(2022) 71 final  du 23/02/2022

Contrôle de subsidiarité (article 88-6 de la Constitution)


En réponse aux demandes des États membres et du Parlement européen ainsi qu'aux attentes d'organisations non gouvernementales (ONG) et d'associations professionnelles, la Commission propose la mise en place d'un devoir de vigilance des entreprises défini au niveau européen, afin de favoriser un comportement durable et responsable tout au long des chaînes de valeur mondiales, en cohérence avec les conventions internationales de protection des droits humains et en matière environnementale.

· Un plan de vigilance établi, pour l'ensemble de la chaîne de valeur, par toute entreprise assujettie

Chaque entreprise concernée - à raison de son pouvoir économique ou de l'exercice d'activités dans des secteurs à fort impact1(*) - devra établir un plan de vigilance qui identifie les incidences négatives réelles ou potentielles de ses activités et de celles de sa chaîne de valeur sur l'environnement et sur les droits humains, et prévoit des mesures appropriées dans la durée pour supprimer ces incidences ou à tout le moins les réduire. Elle devra en outre assurer un suivi de ces incidences et des mesures prévues dans le plan et faire rapport chaque année sur les questions couvertes par le devoir de vigilance (sur la base d'indicateurs), dans le cadre de son rapport de gestion ou, à défaut, dans une déclaration annuelle publiée sur son site. Si les mesures s'avèrent insuffisantes, l'entreprise devra s'abstenir de développer ses relations avec le ou les partenaires concernés et, si possible, les suspendre temporairement ou y mettre fin.

Il est précisé que la chaîne de valeur comprend les activités liées à la production de biens ou à la prestation de services, y compris le développement, l'utilisation, l'élimination, ainsi que les activités connexes des relations de l'entreprise en aval comme en amont, dès lors qu'il s'agit de relations commerciales bien établies, matérialisées par un accord commercial, la fourniture d'un financement, d'une assurance ou d'une réassurance ou encore l'exercice d'activités commerciales liées aux produits ou services de l'entreprise ou au nom de celle-ci.

Pour leur part, les administrateurs sont redevables, au titre d'un « devoir de sollicitude », de la prise en compte des conséquences de leurs décisions sur les droits humains, le changement climatique et l'environnement à court, moyen et long terme. Dans les plus grandes entreprises, leurs obligations sont renforcées et il est prévu que la part variable de leur rémunération doit tenir compte de la prise en compte effective du devoir de vigilance.

· Une supervision par des autorités nationales de contrôle indépendantes dotées de pouvoirs étendus

Des procédures administratives de contrôle et de sanction doivent être mises en place par les États membres qui désignent des autorités de contrôle indépendantes pour les mettre en oeuvre.

Ces autorités doivent pouvoir ouvrir des enquêtes soit de leur propre initiative, soit à la suite de rapports étayés faisant état de préoccupations, présentés par des personnes physiques ou morales.

Elles doivent être en droit de demander des informations, de mener des enquêtes dans le cadre du contrôle des obligations résultant de la directive et de procéder à des inspections.

S'il s'avère que l'entreprise n'a pas pris les dispositions prévues par la directive, l'autorité peut lui accorder un délai pour prendre des mesures correctives si celles-ci sont possibles. Elle doit en outre pouvoir ordonner la cessation des infractions aux obligations prévues par la directive par voie d'injonctions, et interdire la réitération du comportement en cause. Elle doit également pouvoir adopter des mesures provisoires. Enfin, elle doit être en mesure d'infliger des sanctions administratives « effectives, proportionnées et dissuasives », étant précisé que les sanctions pécuniaires sont fondées sur le chiffre d'affaires de l'entreprise concernée. Toute décision contraignante prise par une autorité de contrôle doit pouvoir faire l'objet d'un recours par son destinataire.

Les autorités de contrôle sont réunies au sein d'un réseau européen, qui facilite les échanges d'informations, permet la coopération dans le cadre des enquêtes et contribue à régler d'éventuels conflits de compétence.

· Un accompagnement par les États membres et la Commission

La Commission envisage de publier des lignes directrices sur la manière dont les entreprises devront s'acquitter de leurs obligations en matière de devoir de vigilance, en concertation avec les États membres, les parties prenantes et les agences européennes disposant d'une expertise en la matière. Elle pourrait également adopter des orientations, notamment en ce qui concerne des clauses contractuelles types.

Les États membres devront mettre en place des outils électroniques d'informations dédiés accordant une attention particulière aux PME indirectement touchées. Ils peuvent également apporter un soutien financier aux PME, tandis que la Commission pourrait faciliter les initiatives conjointes des parties prenantes visant à aider les entreprises à remplir leurs obligations.

· Une place reconnue aux parties prenantes, aux salariés et aux victimes

Les parties prenantes peuvent être consultées sur les plans d'action de prévention et de cessation des incidences et doivent l'être sur les plans d'action de prévention et de cessation de ces incidences. Dans les grandes entreprises, les administrateurs, qui sont chargés de mettre en place et de superviser les mesures de vigilance prévues par la directive, doivent tenir dûment compte des contributions pertinentes des parties prenantes et des organisations de la société civile.

Les entreprises devront en outre mettre en place une procédure de réception des plaintes émanant des personnes touchées par une incidence négative, ou susceptibles de l'être, des syndicats ou de représentants des travailleurs de la chaîne de valeur concernée ou d'organisations de la société civile actives dans des domaines liés à celle-ci. Ces plaintes doivent faire l'objet d'un suivi, comportant des rencontres avec des représentants de l'entreprise pour discuter des incidences négatives graves potentielles ou réelles en cause.

Par ailleurs, dès lors qu'elle a des raisons de penser qu'une entreprise ne se conforme pas aux obligations résultant de son devoir de vigilance, toute personne physique ou morale doit pouvoir présenter à l'autorité de contrôle un rapport étayé faisant état de ses préoccupations, rapport qui fait l'objet d'une évaluation par celle-ci. Quant aux signalements de violations du devoir de vigilance, ils seront régis par la directive « lanceurs d'alerte » de 2019 et les personnes signalant ces violations bénéficieront de l'accès aux canaux qu'elle prévoit et de la protection qu'elle organise.

Enfin, des voies de recours doivent être ouvertes aux personnes qui ont présenté un rapport étayé et ont un intérêt légitime en la matière pour contester la légalité des décisions, actes et omissions de l'autorité de contrôle.

Quant aux victimes, elles doivent avoir la possibilité d'intenter une action en justice en réparation des dommages occasionnés qui auraient pu être évités grâce à des mesures de vigilance appropriées. Il est précisé que la responsabilité civile de l'entreprise pour les dommages occasionnés peut être recherchée sous la triple condition que celle-ci n'ait pas respecté ses obligations en matière de devoir de vigilance, qu'il en soit résulté une incidence négative ayant entraîné des dommages et que cette incidence aurait dû être recensée, évitée, atténuée, supprimée ou réduite au minimum par des mesures qu'elle aurait dû prendre.

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Certains États membres, dont la France, se sont dotés d'une législation prévoyant un devoir de vigilance ou y travaillent activement. La fragmentation des règles applicables susceptible de résulter de ces initiatives pourrait créer des conditions de concurrence transfrontière inéquitables.

La Commission estime que la mise en place d'un devoir de vigilance coordonné au niveau européen est de nature à améliorer les pratiques de gouvernance d'entreprise en matière de durabilité, tout en apportant aux entreprises une sécurité juridique et des conditions de concurrence équitables.

Elle se fonde pour ce faire sur l'article 50§1 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), et en particulier le point g), qui confère à l'Union compétence pour agir au soutien de la liberté d'établissement en coordonnant, pour les « rendre équivalentes », les règlementations nationales divergentes applicables à la gouvernance économique des entreprises. Elle se fonde également sur l'article 114 du Traité, qui prévoit l'adoption de mesures de rapprochement des législations pour le bon fonctionnement du marché intérieur, et la suppression d'obstacles à la libre circulation et de distorsions de concurrence, notamment en matière de responsabilité civile. Les parties prenantes des entreprises, les consommateurs et les investisseurs bénéficieraient ainsi d'une plus grande transparence et de voies de recours effectives.

L'intervention d'une législation européenne d'harmonisation minimale sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité et le contrôle de sa mise en oeuvre par des autorités de contrôle nationales indépendantes, dotées de pouvoirs et de moyens suffisants, apparaissent ainsi justifiées ; elle ne semble pas soulever d'objections au regard du principe de subsidiarité.

Compte tenu de ces observations, le groupe de travail sur la subsidiarité a décidé de ne pas intervenir sur ce texte au titre de l'article 88-6 de la Constitution.


* 1 Plus de 500 salariés et un chiffre d'affaires net supérieur à 150 millions d'euros à l'échelle mondiale pour le groupe 1, et l'exercice d'activités dans les secteurs du textile, du cuir, de l'agriculture, de la sylviculture, de la pêche, de la fabrication de produits alimentaires, de l'exploitation de ressources minérales, de la fabrication de produits métalliques de base et de produits minéraux non métalliques pour le groupe 2. Les entreprises de pays tiers actives dans l'UE sont également soumises au devoir de vigilance si leur chiffre d'affaires réalisé dans l'UE excède les seuils du groupe 1 ou lorsque plus de 50% de celui-ci résulte d'un ou plusieurs des secteurs à fort impact et excède 40 millions d'euros.


Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 30/03/2022
Examen : 28/06/2022 (commission des affaires européennes)

Ce texte a fait l'objet de la proposition de résolution : Proposition de résolution européenne relative à la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité (2021-2022) : voir le dossier legislatif