COM(2022) 105 final  du 09/03/2022

Contrôle de subsidiarité (article 88-6 de la Constitution)


Cette proposition de directive vise à lutter efficacement contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique dans l'ensemble de l'Union européenne.

Annoncée depuis 2 ans, la directive se réfère explicitement à la convention du Conseil de l'Europe de 2014 sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique dite « convention d'Istanbul ». Il s'agit en effet d'intégrer en droit européen les apports de la convention d'Istanbul dont la ratification par l'Union européenne est aujourd'hui bloquée. La directive complète cette ambition d'un axe nouveau : la cyberviolence fondée sur le genre. En 2020, une jeune femme sur deux, selon les estimations, aurait subi un acte de cyberharcèlement fondé sur le genre1(*).

Afin de lutter contre les violences faites aux femmes envisagées, les principales actions dans le texte sont :

· D'ériger en infraction pénale certaines formes de violence touchant les femmes de manière disproportionnée : le viol sur la base du défaut de consentement (sans qu'il y ait nécessairement recours à la force ou aux menaces, comme c'est le cas dans certains États membres), les mutilations génitales féminines et certaines formes de cyberviolence2(*) ;

· De renforcer l'accès à la justice des victimes de la violence à l'égard des femmes et de la violence domestique et leurs droits à bénéficier d'une protection appropriée répondant directement à leurs besoins spécifiques ;

· D'apporter aux victimes un soutien adapté, en prévoyant notamment un soutien spécifique en cas de violences sexuelles et de mutilations génitales féminines, l'accès à des services nationaux d'assistance téléphonique, une meilleure accessibilité aux refuges et un soutien global aux victimes de harcèlement sexuel au travail3(*) ;

· De prévenir la violence par des actions de sensibilisation, par la formation de professionnels susceptibles d'être en contact avec les victimes et par un travail avec les auteurs des infractions ;

· De renforcer la coordination et la coopération au niveau national et au niveau de l'UE, en garantissant une approche interservices et en renforçant la collecte de données sur la violence à l'égard des femmes et sur la violence domestique.

Pour atteindre ces objectifs, la proposition complète des dispositifs existants disséminés aujourd'hui dans différents textes européens. Il s'agit de la directive sur les droits des victimes4(*) ; la directive sur la décision de protection européenne5(*) et le règlement sur la reconnaissance mutuelle des mesures de protection6(*) ; la directive sur les abus sexuels d'enfants7(*) et la directive sur la traite des êtres humains8(*) ; la directive sur l'indemnisation des victimes9(*) ; les directives sur l'égalité des genres10(*) ; la proposition de règlement relatif à un marché intérieur des services numériques (législation sur les services numériques ou Digital Services Act (DSA))11(*).

Une directive spécifique sur la violence à l'égard des femmes et la violence domestique a été préférée à une modification de chaque instrument existant, afin d'en renforcer l'efficacité, tant en termes de suivi que d'application. Les règles de la présente directive s'appliqueront en complément des règles déjà énoncées selon le principe de la lex specialis12(*).

La base juridique retenue pour la directive est l'article 83, paragraphe 1, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE). Cet article autorise l'adoption de directives pénales dans les « domaines de criminalité particulièrement grave revêtant une dimension transfrontière » dont notamment la traite des êtres humains et l'exploitation sexuelle des femmes et des enfants, ainsi que la criminalité informatique. La Commission retient de fait une compréhension quelque peu extensive de ces domaines de criminalité puisqu'elle relie la violence domestique à l'exploitation sexuelle des femmes.

Quant aux moyens retenus, la base juridique est celle de l'article 82, paragraphe 2 du TFUE, qui prévoit que « pour faciliter la reconnaissance mutuelle des jugements et décisions judiciaires, ainsi que la coopération policière et judiciaire dans les matières pénales ayant une dimension transfrontière, le Parlement européen et le Conseil, statuant par voie de directives conformément à la procédure législative ordinaire, peuvent établir des règles minimales». Ces règles minimales portent notamment sur les droits des personnes dans la procédure pénale et les droits des victimes de la criminalité.

La commission des affaires européennes du Sénat a examiné en octobre 2021 une proposition de résolution sur les violences faites aux femmes. Elle avait déjà identifié la difficulté juridique d'une éventuelle intervention européenne dans ce domaine tout en l'appelant de ses voeux. Les mesures ciblées relatives aux infractions pénales et aux droits des victimes contenues dans la directive établissent des règles minimales, ce qui permet aux États membres de fixer des normes plus élevées, tout en leur laissant toute latitude afin de tenir compte de leurs problématiques spécifiques.

Plusieurs États membres n'ont pas ratifié la convention d'Istanbul : il s'agit de la Bulgarie, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, la Slovaquie et la Tchéquie. Mais même pour les États l'ayant déjà ratifiée, la convention d'Istanbul tarde à produire ses effets au niveau national. La Commission européenne note que la violence à l'égard des femmes et la violence domestique sont aujourd'hui présentes dans l'ensemble de l'Union européenne et qu'elles y touchent une femme sur trois.

Partant de ce constat, la directive propose d'intégrer une large partie de la Convention d'Istanbul en droit européen et de la compléter en tenant compte du phénomène récent des cyberviolences. Elle établit pour ce faire un ensemble de règles minimales laissant aux États membres la possibilité d'aller au-delà.

Étant donné ces observations, le groupe de travail sur la subsidiarité a décidé de ne pas intervenir sur ce texte au titre de l'article 88-6 de la Constitution.


* 1 Service de recherche du Parlement européen (EPRS), « Lutte contre la violence fondée sur le genre: cyberviolence, évaluation de la valeur ajoutée européenne », 2021.

* 2 Comme la manipulation ou le partage non consentis de matériels intimes, la traque furtive en ligne et le cyberharcèlement.

* 3L'apport d'un soutien ciblé aux victimes ayant des besoins spécifiques et aux groupes à risque, notamment aux femmes fuyant des conflits armés, est également prévu.

* 4Directive 2012/29/EU

* 5 Directive 2011/99/UE

* 6 Règlement (UE) n° 606/2013

* 7 Directive 2011/93/UE

* 8 Directive 2011/36/UE

* 9 Directive 2004/80/CE

* 10 Directive 2004/113/CE du Conseil du 13 décembre 2004 mettant en oeuvre le principe de l'égalité de traitement entre les femmes et les hommes dans l'accès à des biens et services et la fourniture de biens et services ; directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006 relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité des chances et de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d'emploi et de travail (refonte) ; directive 2010/41/UE du Parlement européen et du Conseil du 7 juillet 2010 concernant l'application du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes exerçant une activité indépendante, et abrogeant la directive 86/613/CEE du Conseil.

* 11 Le DSA prévoit des obligations de diligence raisonnable pour certains fournisseurs de services intermédiaires aux fins de la lutte contre les contenus illicites en ligne sans en proposer de définition. La directive proposée complète le DSA en prévoyant des règles minimales pour les infractions relevant de la cyberviolence.

* 12 Lex specialis derogat legi generali : la loi spéciale prime sur les règles générales dans les situations qu'elle vise spécifiquement à régler, le législateur étant présumé ne pas souhaiter créer une loi qui n'a pas d'application pratique.


Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 15/03/2022