COM(2021) 780 final  du 08/12/2021

Contrôle de subsidiarité (article 88-6 de la Constitution)


v La proposition de recommandation COM (2021) 780 tend à conforter la coopération policière opérationnelle entre les États membres, en particulier, en levant les obstacles à l'intervention des policiers agissant dans le cadre de poursuites transfrontalières, de patrouilles communes ou d'opérations conjointes (sections 1 et 2), en favorisant cette coopération contre l'immigration irrégulière et le trafic d'êtres humains (sections 3 et 4), en transformant les actuels centres de coopération policière et douanière (CCPD) en commissariats communs (section 5), en améliorant la planification des opérations conjointes (section 6), en garantissant la disponibilité effective des informations et des communications pendant les opérations transfrontalières (section 7), et en renforçant la culture commune des personnels concernés (section 8).

Si l'article 4 du traité sur l'Union européenne affirme que « la sécurité nationale reste de la seule responsabilité de chaque État membre », les traités ont également « européanisé » des pratiques de coopération policière préexistantes au nom de l'espace de liberté, de sécurité et de justice, par les dispositions de l'article 3, paragraphe 2, du traité sur l'Union européenne (TUE)1(*) et celles de l'article 87, paragraphe 1, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE)2(*).

A l'heure actuelle, cette coopération policière est, au niveau opérationnel, régie par de nombreux textes : convention d'application de l'accord de Schengen3(*) ; décisions Prüm de 20084(*) ; accords entre États membres autorisant les patrouilles communes et les opérations conjointes (il en existe une soixantaine) ; droit national des États membres, qui tient alors compte de documents non contraignants du Conseil (lignes directrices...).

Le constat motivant l'initiative envisagée est le suivant : malgré l'existence de ce cadre juridique précis, la coopération policière est largement perfectible, en particulier, du fait de l'obsolescence de certains accords en vigueur, mais aussi, paradoxalement, de la coordination parfois lacunaire des patrouilles communes dans les zones frontalières intérieures de l'Union européenne, ainsi que de l'incompatibilité des équipements de communication et de l'insuffisance de la formation des personnels. S'il est possible de partager ces constats sur la perfectibilité de la coordination et sur les défaillances matérielles et de formation, il est également nécessaire de nuancer le constat sévère de la Commission en rappelant que la coopération policière est une réalité européenne ancienne ancrée dans le quotidien des citoyens des zones frontalières, dont l'efficacité a été prouvée, en particulier contre la criminalité organisée et les trafics.

Ajoutons que la Commission européenne poursuit un objectif complémentaire avec cette proposition : en lien avec ses propositions de réforme de l'Espace Schengen, elle souhaite que les États membres privilégient la coopération policière opérationnelle entre États membres à la réintroduction des contrôles aux frontières intérieures de l'Union européenne, pour lutter contre les déplacements non autorisés de migrants en situation irrégulière (« Il convient de remédier aux déplacements non autorisés au sein de l'espace Schengen qui ne sont pas liés à une crise migratoire majeure ou à des défaillances structurelles dans la gestion des frontières intérieures par des moyens autres que les contrôles aux frontières intérieures, qui ne peuvent être utilisés qu'un dernier recours, pour faire face aux menaces concrètes pour la sécurité intérieure ou l'ordre public. »).

La présente note n'a pas pour objet d'analyser la pertinence de cette affirmation. Il peut simplement être relevé, d'une part, qu'en l'absence de contrôle efficace aux frontières extérieures de l'Union européenne, et la coopération policière opérationnelle et la réintroduction temporaire des contrôles aux frontières intérieures ont permis aux États membres de répondre à des situations migratoires. Et que ces contrôles ont été également utilisés au cours des dernières années pour prévenir une menace terroriste et pour limiter la propagation de la pandémie de covid-19.

Le Sénat devra évaluer si cet équilibre demeure pertinent lorsqu'il examinera cette proposition au fond, en lien avec son analyse des propositions de réforme de « l'espace Schengen ».

En l'espèce, concernant la conformité de la proposition au principe de subsidiarité, les observations suivantes peuvent être formulées :

-la nécessité d'un renforcement de la coopération policière opérationnelle dans l'Union européenne est incontestable afin de faire face à des réseaux criminels dont la nature transfrontalière s'est encore accrue avec la pandémie ;

-la proposition est fondée sur les dispositions de l'article 87 paragraphe 1 du TFUE précitées, qui constituent une base juridique pertinente pour fonder une telle initiative ;

-en prenant la forme d'une recommandation, la proposition est respectueuse d'une compétence qui, même partagée, demeure, pour l'essentiel, liée à la souveraineté nationale. À cet égard, il faut préciser que les recommandations sont des actes juridiques qui ne lient pas les États membres mais ne sont pas totalement dépourvus d'effet juridique, utiles aux juges (Cour de justice de l'Union européenne ou juges nationaux) pour interpréter le droit national ou de l'Union européenne.

Le groupe de travail sur la subsidiarité a donc décidé de ne pas intervenir sur ce texte au titre de l'article 88-6 de la Constitution.


* 1 « L'Union offre à ses citoyens un espace de liberté, de sécurité et de justice sans frontières intérieures, au sein duquel est assurée la libre circulation des personnes, en liaison avec des mesures appropriées en matière de contrôle des frontières extérieures, d'asile, d'immigration ainsi que de prévention de la criminalité et de lutte contre ce phénomène. »

* 2 « L'Union développe une coopération policière qui associe toutes les autorités compétentes des États membres, y compris les services de police, les services des douanes et autres services répressifs spécialisés dans les domaines de la prévention ou de la détection des infractions pénales et des enquêtes en la matière. »

* 3 Cette convention fixe un ensemble de règles de base sur la conduite des poursuites transfrontalières et des opérations d'observation transfrontalière.

* 4 Décisions 2008/615/JAI et 2008/616/JAI du Conseil. L'article 17 de la décision 2008/615/JAI prévoit les opérations conjointes et son article 18, l'assistance en cas de manifestations de masse, de catastrophes ou d'accidents graves.