COM(2021) 753 final LIMITÉ  du 23/11/2021

Contrôle de subsidiarité (article 88-6 de la Constitution)


La proposition de règlement COM (2021) 753 tend à apporter une réponse d'urgence et en principe temporaire aux tentatives de déstabilisation des frontières extérieures de l'Union européenne par des pays tiers instrumentalisant des mouvements migratoires irréguliers.

En pratique, cette proposition s'inscrit dans le cadre du plan d'action global de l'Union européenne destiné à répondre à « l'attaque hybride » menée par la Biélorussie depuis le printemps 2021 à ses frontières avec la Lettonie, la Lituanie et la Pologne, par l'organisation de mouvements migratoires irréguliers.

En effet, afin de contraindre l'Union européenne à lever ses sanctions adoptées à l'encontre de son régime à la suite de sa réélection frauduleuse à la tête de la Biélorussie, le président biélorusse Alexandre Loukachenko a provoqué une crise migratoire et diplomatique en organisant, via son pays, des mouvements migratoires irréguliers de ressortissants de pays tiers (venus d'Irak, pour la plupart) vers les frontières extérieures de l'Union européenne. Cette politique délibérée, fondée sur le trafic et la traite d'êtres humains, a provoqué la mort de plusieurs migrants et contribué à un regain des tensions diplomatiques dans cette région. Or, cette instrumentalisation des migrants n'aurait pu être possible sans la complicité d'opérateurs de transport.

Afin d'éviter la reproduction de telles actions illicites de la part de pays tiers à l'égard de l'Union européenne, la Commission européenne a présenté, le 23 novembre dernier, la présente proposition de règlement « pour prévenir et combattre l'utilisation de moyens de transport commerciaux pour se livrer au trafic de migrants ou à la traite des personnes, ou pour faciliter de telles activités. » (article premier de la proposition).

Précisons à ce stade que les opérateurs de tous les moyens de transport aériens, maritimes et terrestres seraient concernés. Précisons aussi que cette proposition de règlement intervient en complément d'une extension des sanctions à l'égard des hiérarques biélorusses, du versement d'une aide humanitaire en faveur des migrants bloqués en Biélorussie, d'un soutien financier de l'Union européenne aux trois États membres concernés pour améliorer les procédures d'asile, les conditions d'accueil des migrants et leurs retours volontaires dans leurs pays d'origine, ainsi que d'un déploiement opérationnel d'équipes de l'agence européenne Frontex sur le terrain, et d'un assouplissement des délais et procédures d'asile et de retour pour une durée de six mois1(*).

En pratique, la proposition de règlement permettrait à la Commission européenne de prendre une ou plusieurs des actions suivantes à l'égard des opérateurs de transport concernés, par la voie d'actes d'exécution immédiatement applicables (article 3) :

- empêcher toute nouvelle extension des opérations de transport actuelles sur le marché de l'Union européenne, ou limiter ces opérations ;

- suspendre le droit d'assurer des services de transport au départ, à destination ou à l'intérieur de l'Union européenne ;

- suspendre le droit de survoler le territoire de l'Union européenne ;

- suspendre le droit de se ravitailler en carburant ou de procéder à un entretien au sein de l'Union européenne ;

- suspendre le droit d'escale et d'entrée dans les ports de l'Union européenne ;

- suspendre le droit de transiter par le territoire de l'Union européenne ;

- suspendre les licences ou autorisations accordées en vertu du droit de l'Union européenne autorisant les opérations au sein de cette dernière ou le transport international de voyageurs.

Avant toute décision, l'opérateur de transport visé pourrait être entendu pour s'expliquer sur son activité et le cas échéant, être invité à cesser sans délai toute activité liée à la traite d'êtres humains ou au trafic de migrants (article 4).

Par ailleurs, avant de prendre toute mesure contre un opérateur de transport établi dans un pays tiers, la Commission européenne consulterait les autorités du pays concerné en vue de coordonner - autant que possible - leurs actions (article 6).

Enfin, la proposition de règlement ne « porterait pas atteinte aux droits des passagers » protégés par le droit de l'Union européenne (article 7)2(*).

Dans les faits cependant, ces mesures ont un rôle avant tout préventif et dissuasif à l'égard des opérateurs de transport.

Ces dispositions ne semblent pas soulever d'objections fondées sur le principe de subsidiarité.

En effet, la nécessité des mesures prévues ne semble pas contestable. Ces mesures sont d'ailleurs en cohérence avec les dernières positions adoptées par les organisations internationales compétentes contre le trafic et la traite des êtres humains (Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) ; Organisation maritime internationale (OMI)...).

La proposition de règlement est fondée sur deux bases juridiques pertinentes dans les traités, à savoir l'article 91 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) et son article 100, dans son paragraphe 2, relatifs à la politique européenne des transports. L'article 91 prévoit en particulier l'établissement de « règles communes applicables aux transports internationaux exécutés au départ ou à destination du territoire d'un État membre, ou traversant le territoire d'un ou de plusieurs États membres » et des « conditions d'admission de transporteurs non-résidents aux transports nationaux dans un État membre ». On peut simplement observer que la proposition aurait également pu viser l'article 79 du TFUE, relatif à la politique commune de l'immigration et aux mesures de lutte contre la traite des êtres humains.

Concernant la dévolution de pouvoirs d'exécution à la Commission européenne, la méthode, si elle ne doit pas être généralisée, semble en l'espèce adaptée aux circonstances et à l'exigence de réactivité. En effet, la proposition de règlement précise que la période d'application de ces mesures ne devrait pas dépasser un an. À l'issue de cette période, elles devraient être réexaminées et, s'il y a lieu, pourraient être reconduites (article 3).

En outre, ce dispositif d'urgence ne se substituerait pas aux décisions susceptibles d'être prises par les États membres : en effet, ces actions seraient menées sans préjudice de l'application des mesures pénales et administratives prévues dans chacun d'entre eux. Enfin, ces actions de la Commission européenne seraient prises en compte par les États membres dans les procédures d'évaluation de l'honorabilité des gestionnaires et des opérateurs de transport, requises pour l'exercice des activités de transport routier et de transport navigable3(*) (article 3).

Le groupe de travail sur la subsidiarité a donc décidé de ne pas intervenir sur ce texte au titre de l'article 88-6 de la Constitution.


* 1 Proposition de décision du Conseil COM(2021) 752 final relatives à des mesures provisoires d'urgence en faveur de la Lettonie, de la Lituanie et de la Pologne.

* 2 Règlements (CE) n°261/2004, (CE) n°1107/2006, (CE) n°1371/2007, (UE) n°181/2011 et (UE) n°1177/2010.

* 3 Conformément au règlement (CE) n°1071/2009 du Parlement et du Conseil du 21 octobre 2009 établissant des règles communes sur les conditions à respecter pour exercer la profession de transporteur par route et à la directive 87/540/CEE relative à l'accès à la profession de transporteur de marchandises par voie navigable dans le domaine des transports nationaux et internationaux et visant à la reconnaissance mutuelle des diplômes, certificats et autres titres concernant cette profession.


Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 07/12/2021