COM(2020) 726 final  du 11/11/2020

Contrôle de subsidiarité (article 88-6 de la Constitution)

Réponse de la Commission européenne

Ce texte a fait l'objet de la proposition de résolution : Proposition de résolution portant avis motivé sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (CE) n° 851/2204 instituant un Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (2020-2021) : voir le dossier legislatif


La Commission européenne a présenté, le 11 novembre 2020, une communication intitulée « Construire une Union européenne de la santé : renforcer la résilience de l'Union européenne face aux menaces transfrontières graves »1(*).

Cette communication s'accompagne de trois propositions de règlements (COM(2020) 727, COM(2020) 726 et COM(2020) 725) visant respectivement :

- une mise à niveau de la décision 1082/2013/UE relative aux menaces transfrontières graves sur la santé ;

- un renforcement du mandat du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) ;

- une extension du mandat de l'Agence européenne des médicaments (EMA).

Dans son rapport intitulé « Union européenne et santé : la nécessaire mobilisation », fait au nom de la commission des affaires européennes2(*), présenté par Mmes Pascale Gruny et Laurence Harribey, notre commission appelait à une plus grande coordination entre les États membres pour faire face à une menace transfrontière grave dans le domaine de la santé et à un renforcement du rôle de l'ECDC et de l'EMA, précisant toutefois que cette plus grande coordination devrait se faire dans le respect des compétences des États membres, qui incluent la préparation et la réaction face aux maladies transmissibles.

Conformément aux recommandations formulées dans le rapport de la commission des affaires européennes du Sénat présenté par Mmes Pascale Gruny et Laurence Harribey « Union européenne et santé : la nécessaire mobilisation »3(*), la Commission propose de renforcer le rôle du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC).

Cette proposition de règlement COM(2020) 726 modifie le règlement (CE) n° 851/2004 en tenant compte de l'expérience acquise face à la COVID-19 et du nouveau cadre de lutte contre les menaces transfrontières dans le domaine de la santé prévu par la proposition COM(2020) 727.

Dès lors, les dispositions prévues à l'article 5 ter de cette proposition de règlement relatives à l'évaluation de la planification de la préparation et de la réaction des États membres soulèvent des questions analogues : cette évaluation permettant de conditionner l'attribution de fonds européens serait en effet utilisée pour imposer une harmonisation des dispositions législatives et réglementaires prévues par les plans de préparation et de réaction des États membres.

Le groupe de travail sur la subsidiarité a jugé nécessaire que la commission des affaires européennes analyse précisément cette question et confie à Mmes Pascale Gruny et Laurence Harribey, rapporteures sur les questions de santé, le soin de présenter leur analyse en vue de l'adoption éventuelle d'un avis motivé.


* 1 COM(2020) 724.

* 2 Rapport d'information de Mmes Pascale GRUNY et Laurence HARRIBEY, fait au nom de la commission des affaires européennes n° 648 (2019-2020) - 16 juillet 2020.

* 3 Rapport d'information de Mmes Pascale GRUNY et Laurence HARRIBEY, fait au nom de la commission des affaires européennes n° 648 (2019-2020) - 16 juillet 2020.


Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 08/12/2020


Questions sociales, travail, santé

Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (CE) n 851/2004 instituant un Centre européen de prévention et de contrôle des maladies

COM (2020) 726 final - Texte E15369

Compte rendu de la commission des affaires européennes du jeudi 4 février 2021

Lutte contre les menaces transfrontières graves pour la santé : communication et propositions de résolution européenne portant avis motivé de Mmes Pascale Gruny et Laurence Harribey

M. Jean-François Rapin, président. - Nous allons maintenant aborder le second point de notre ordre du jour : la réponse européenne aux menaces transfrontières graves pour la santé. Ce n'est pas un sujet sur lequel l'Union européenne était très avancée. C'est pourquoi elle envisage de nouvelles règles pour mieux lutter contre les pandémies du type de celle que nous traversons.

Le 14 janvier, notre commission avait décidé de confier à nos collègues Pascale Gruny et Laurence Harribey, rapporteures sur la santé pour notre commission, le soin d'examiner de plus près trois propositions de règlement européen destinées à renforcer la coordination européenne, notamment en cas de crise sanitaire, car leur conformité au principe de subsidiarité semblait discutable. Nous sommes tous convaincus qu'il faut construire l'Europe de la santé mais cela n'interdit pas de réfléchir à la répartition des tâches entre l'Union et les États membres à ce sujet.

Au terme de leur travail, Pascale Gruny et Laurence Harribey nous soumettent aujourd'hui plusieurs avis motivés pour dénoncer la violation du principe de subsidiarité.

Mme Pascale Gruny, rapporteure. - À la suite de la pandémie de covid-19, la Commission européenne a souhaité renforcer l'action de l'Union dans le domaine de la santé, pour répondre à une crise sanitaire future.

Le rapport que Laurence Harribey et moi vous avions présenté en juillet dernier et dont vous aviez autorisé la publication contenait un certain nombre de propositions en ce domaine. Ce rapport avait été transmis à la Commission européenne, et nous pouvons constater aujourd'hui une convergence de vue sur de nombreux sujets.

Premier point, le programme « santé » de l'Union européenne, inclus dans le cadre financier pluriannuel pour 2021-2027, a été doté d'un budget de 5,1 milliards d'euros. Si la Commission prévoyait initialement un financement à hauteur de 10,397 milliards d'euros, les chefs d'États ou de gouvernement l'avaient réduit à seulement 1,7 milliard d'euros lors du Conseil européen extraordinaire du 21 juillet dernier. Ce n'est qu'à la suite des discussions avec le Parlement européen que ce montant a finalement été porté à 5,1 milliards d'euros, soit dix fois le montant alloué au programme « santé » dans le cadre financier pluriannuel 2014-2020. Il s'agit donc là d'un vrai progrès !

Ce programme permettra de renforcer les capacités de l'Union en matière de prévention, de préparation et de réaction face aux menaces transfrontières graves pour la santé. Les financements serviront au déploiement de moyens sanitaires d'urgence, à la collecte de données et à la surveillance dans un cadre davantage coordonné et intégré. Il s'agira également de garantir la disponibilité, dans l'Union, de personnel médical, ainsi que de réserves ou de stocks de produits pertinents.

Le programme prévoit également de développer la coopération entre États membres, particulièrement dans les régions frontalières.

Enfin, il financera des mesures structurelles permettant de surmonter les difficultés pointées dans le cadre du semestre européen. Ces fonds pourront ainsi permettre d'améliorer les capacités de réorganisation des établissements de soin en cas d'urgence sanitaire, ainsi que la résilience, l'accessibilité et l'efficacité des systèmes de santé des États membres.

Deuxième point, la Commission a fait des propositions pour sécuriser l'approvisionnement de l'Union en médicaments et dispositifs médicaux, tant en période d'urgence que pour répondre aux difficultés structurelles que connaît l'Union. La proposition de règlement COM(2020) 725 final vise à étendre les compétences de l'Agence européenne des médicaments pour répondre à une urgence de santé publique, de sorte que cette Agence puisse surveiller et atténuer les effets des pénuries de médicaments et de dispositifs médicaux, d'une part, et assurer le développement en temps utile de médicaments sûrs et efficaces, d'autre part. Cette proposition de règlement reprend certaines de nos recommandations notamment :

- pérenniser et renforcer les moyens de l'Agence européenne des médicaments ;

- établir une liste de médicaments critiques ;

- et développer l'implication des fabricants de dispositifs médicaux.

En revanche, la stratégie pharmaceutique pour l'Union, présentée par la Commission le 25 novembre dernier, nous apparaît peu ambitieuse au regard de nos propositions, de celles du Gouvernement français ou du Parlement européen. En effet, l'un des objectifs de cette stratégie est d'assurer la souveraineté sanitaire de l'Union de manière pérenne et de répondre ainsi aux déséquilibres structurels que présente le marché du médicament. Pour cela, la Commission propose de lancer une étude en vue de recenser les causes des pénuries. Cette étude pourrait déboucher sur un renforcement des obligations d'approvisionnement continu de l'industrie. La Commission préconise aussi de diversifier les chaînes de production et d'approvisionnement et de constituer des stocks stratégiques. Elle encourage les États membres à coordonner leurs politiques nationales de prix et de remboursement pour permettre des procédures de passation de marché conjointes.

Pour notre part, nous avons proposé des actions plus interventionnistes pour favoriser la croissance des entreprises du médicament et des dispositifs médicaux, en développant l'investissement et la soutenabilité des filières. Nous recommandons également, tout comme le Parlement européen, de prévoir que la capacité à garantir les approvisionnements soit un critère d'évaluation des soumissionnaires aux marchés publics.

De son côté, le Gouvernement français a approuvé la proposition du Parlement européen qui préconise de créer un ou plusieurs établissements pharmaceutiques européens à but non lucratif, notamment pour la production de médicaments matures et jugés indispensables. En outre, dans sa résolution du 25 novembre 2020 sur la stratégie industrielle de l'Union européenne, le Parlement européen a demandé à la Commission de favoriser la relocalisation de la production de produits de santé.

Le débat reste donc ouvert entre les tenants d'un interventionnisme plus poussé afin d'assurer l'autonomie stratégique de l'Union en matière sanitaire, comme le Parlement européen ou le Gouvernement français, et ceux qui souhaitent simplement une meilleure régulation d'un marché fondamentalement concurrentiel, comme la Commission qui ne semble pas prête à aller dans notre sens pour le moment.

Enfin, troisième point, les dispositions encadrant la réaction de l'Union face aux menaces transfrontières graves pour la santé ont montré leurs limites. Consciente de cette situation, la Commission a présenté deux propositions de règlement pour permettre à l'Union de se préparer à une crise sanitaire et se donner les moyens d'y répondre. Il s'agit de la proposition de règlement COM(2020) 727 du Parlement européen et du Conseil concernant les menaces transfrontières graves pour la santé et de la proposition de règlement COM(2020) 726 du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement instituant le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies. Dans notre rapport, nous recommandions de renforcer le rôle de ce Centre, notamment ses capacités de surveillance et de traitement des données. Nous recommandions également de favoriser la coordination et la coopération entre États membres, mais dans le respect des compétences des États membres. Or, cette dernière recommandation ne semble pas avoir été complètement entendue, ce qui explique que nous vous présentions aujourd'hui trois propositions de résolutions portant avis motivé. Laurence Harribey va vous les détailler.

Mme Laurence Harribey, rapporteure. - Merci. Pascale Gruny vous a présenté le cadre général dans lequel s'insèrent trois propositions de règlement. En effet, la Commission européenne a présenté, le 11 novembre 2020, une communication intitulée « Construire une Union européenne de la santé : renforcer la résilience de l'Union européenne face aux menaces transfrontières graves », COM(2020) 724. L'intitulé est plutôt encourageant.

Cette communication s'accompagne de trois propositions de règlement, COM(2020) 727, COM(2020) 726 et COM(2020) 725 visant respectivement une mise à niveau de la décision n° 1082/2013/UE relative aux menaces transfrontières graves sur la santé, un renforcement du mandat du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) et une extension du mandat de l'Agence européenne des médicaments (EMA).

Ces trois propositions de règlement présentent un intérêt certain dans le contexte actuel qui appelle à renforcer l'Europe de la santé. Je crois que, sur ce point, tout le monde est d'accord. Cela ne doit toutefois pas nous empêcher de réfléchir à la meilleure ligne de partage des compétences entre l'Union européenne et les États membres en ce domaine d'intérêt vital, et ce d'autant plus que l'Union ne dispose que d'une compétence d'appui dans ce domaine. Or, après analyse, il nous apparaît que ces trois propositions de règlement contiennent des dispositions qui ne sont pas conformes au principe de subsidiarité. Pour les textes relatifs au Centre européen de prévention et de contrôle des maladies et à l'Agence européenne des médicaments, une seule disposition au sein de chaque texte est en cause. Pour le texte COM(2020) 727 concernant les menaces transfrontières graves pour la santé, les griefs sont plus nombreux.

Commençons donc par ce texte. Pour faire face à de futures épidémies, la Commission européenne estime nécessaire, d'une part, d'améliorer la coordination et la coopération entre États membres, et d'autre part, de développer les capacités de préparation et de réaction de l'Union. Certes, chacun s'accorde sur le fait qu'une plus grande coordination entre les États membres est nécessaire face à une crise qui touche l'ensemble des États membres et justifie donc une action de l'Union. Nous avons tous été témoins des difficultés de cette coordination. Toutefois, cela doit se faire dans le respect des compétences des États membres, comme prévu par les Traités. Je rappelle que l'article 168, paragraphe 7, du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne donne le cadre juridique de la politique de santé en prévoyant que « l'action de l'Union est menée dans le respect des responsabilités des États membres, en ce qui concerne la définition de leur politique de santé, ainsi que l'organisation et la fourniture de services de santé et de soins médicaux. Les responsabilités des États membres incluent la gestion de services de santé et de soins médicaux, ainsi que l'allocation des ressources qui leur sont affectées ». Il s'agit donc de déterminer une limite acceptable pour l'action de l'Union qui présente une valeur ajoutée certaine pour encourager et organiser la coopération entre États membres et limiter le risque d'ingérence dans les politiques nationales. Dès lors, on peut regretter que, dans ses propositions, la Commission ne soit pas plus précise quant à cette limite.

Pour améliorer la coordination entre États membres, la Commission prévoit notamment de renforcer les prérogatives du Comité de sécurité sanitaire. Institué par la décision n° 1082/2013/UE, il est composé de représentants des États membres. La proposition de la Commission prévoit que ce Comité pourra adopter, à la majorité simple, des orientations et des avis sur les mesures prises par les États membres face à une menace transfrontière grave pour la santé. La Commission définira dans un acte délégué les modalités selon lesquelles ces avis seront adoptés. La question est alors de savoir si ces avis lieront les États membres ou pas. Pour nous, il convient donc que la Commission clarifie ce point dans la proposition de règlement et pas dans un acte délégué, pour éviter toute remise en cause des compétences des États membres en matière de santé. Si on fait un parallèle, c'est comme si on autorisait la Commission à légiférer par ordonnance.

De plus, la Commission propose que l'Union établisse un plan de réaction et de préparation contre les crises sanitaires et les pandémies. Les États membres devront faire de même. Le contenu de ces plans sera défini par la Commission via un acte d'exécution. Les plans nationaux devront être cohérents avec celui de l'Union, qui devient donc, de fait, « contraignant » comme la Commission l'indique dans sa communication COM(2020) 724. La Commission organisera des évaluations et des audits réguliers de ces plans, avec le soutien du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies, pour garantir l'interopérabilité des plans nationaux avec celui de l'Union. Ces évaluations devraient même conditionner le soutien financier de l'Union aux plans nationaux.

L'objectif poursuivi est d'harmoniser les plans de préparation et de réaction des États membres. Cela ne peut se faire sans harmonisation de dispositions législatives et réglementaires au sein des États membres. Or, c'est contraire à l'article 168, paragraphe 5, du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, sur lequel la Commission fonde pourtant sa proposition.

La participation du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies aux audits des plans nationaux est une disposition reprise dans le texte COM(2020) 726 qui renforce les compétences de ce Centre. Or, le règlement créant ce Centre a été pris sur la base de l'article 152 du Traité instituant les Communautés européennes qui excluait également toute harmonisation de dispositions législatives et réglementaires des États membres. On va donner une compétence au centre qui n'est pas fondée au regard du cadre juridique qui l'a créé. À nos yeux, le Centre n'a pas vocation à participer à des audits visant à rendre conformes les plans nationaux au plan de l'Union. Si cette disposition mérite d'être dénoncée, le texte COM(2020) 726 est globalement conforme à nos recommandations. Le développement et l'interopérabilité des plateformes numériques permettant la surveillance épidémiologique, la possibilité pour le Centre de formuler des avis plus opérationnels et l'institution d'une task force sous la responsabilité du Centre pour soutenir sur le terrain la réaction des États membres nous semblent des mesures intéressantes.

Enfin, le texte COM(2020) 725 qui renforce le rôle de l'Agence européenne des médicaments dans la préparation aux crises et la gestion de celles-ci en ce qui concerne les médicaments et les dispositifs médicaux contient également des dispositions qui vont dans le bon sens. Le soutien de l'Agence aux promoteurs d'essais cliniques se déroulant dans différents États membres ou l'institution d'une task force visant à fournir gratuitement des avis sur les questions scientifiques ayant trait au développement des traitements et vaccins pour la maladie à l'origine de l'urgence de santé publique sont des mesures essentielles pour accélérer le développement de traitements ou de vaccins.

Toutefois, une disposition a retenu notre attention au regard du principe de subsidiarité. La Commission prévoit qu'elle pourra prendre les mesures nécessaires, dans la limite de ses compétences, pour atténuer les effets des pénuries réelles ou potentielles. Les États membres devront respecter ces mesures. Pour nous, la nature de ces mesures doit être précisée. Si celles qui pourraient concerner les restrictions à l'exportation concernent bien le fonctionnement du marché unique et ressortent donc de l'Union européenne, celles qui concerneraient la gestion des stocks au niveau national relèvent de la compétence des États membres.

Nous vous présentons donc trois propositions de résolution portant avis motivé que nous vous proposons d'adopter. L'enjeu est de préciser un certain nombre de choses pour éviter que le vide juridique de ces règlements provoque un grignotage de la compétence communautaire sur celle des États membres et un conflit entre compétence communautaire et compétence des États membres.

M. Jean-François Rapin, président. - Avant de passer la parole à mes collègues, je souhaitais souligner que notre groupe subsidiarité a bien fonctionné puisqu'il avait pointé ce sujet de partage de compétences entre l'Union et les États membres. Vous l'avez d'ailleurs bien mis en exergue dans les propositions de résolution.

Je pense que votre travail va s'accentuer dans les semaines et les mois à venir sur les sujets sanitaires que l'on n'a pas encore assez appréhendés au sein de cette assemblée. La recherche médicale va être un vrai sujet à défendre, certes par les États membres, mais aussi au niveau européen. On le voit dans la dimension budgétaire nouvellement accordée à ces sujets. Lundi, mes homologues des autres États membres et moi-même échangerons dans le cadre de la COSAC avec Mme Stella Kyriakides, la Commissaire européenne à la santé, d'ailleurs difficile à rencontrer. J'avais notamment demandé, en vain, dans le cadre de la « commission d'enquête Covid », qu'on puisse l'auditionner. Je vais toutefois suggérer qu'elle vienne devant le Sénat français, devant la commission des affaires sociales en même temps que devant notre commission.

La recherche médicale évolue rapidement, avec le risque de se faire dépasser par des grands groupes mondiaux, notamment chinois ou russes. Il ne faut pas négliger la recherche russe qui a toujours été à très haut niveau mais qui a aujourd'hui la capacité de rendre l'Union européenne dépendante de ses produits. Il s'agit d'une question d'avenir, mais finalement d'avenir très proche. Je suis donc convaincu que vos rapports vont se multiplier sur ce sujet, sur lequel, en tant que Président, je vous solliciterai.

Comme le montrent vos résolutions, nos institutions seront également peut-être amenées à évoluer. Ces trois propositions de résolution indiquent une violation du principe de subsidiarité. Cependant, on peut se poser la question de savoir si, à terme, on a raison de dire que la compétence des États membres n'est pas respectée. Ne devrions-nous pas avoir une vision beaucoup plus élargie de ce que va être la santé demain pour ne pas être dépendant des autres ? Ces questions méritent toute notre attention.

Nous avons reçu Michel Barnier il y a quelques jours, devant le groupe politique des Républicains. Nous avons discuté des perspectives vaccinales européennes. L'Europe est décriée pour ne pas avoir rempli sa mission, mais j'estime qu'elle a assumé son rôle en ne laissant pas des États membres de côté et en réalisant des commandes groupées au nom de l'Union. Toutefois, une fois les commandes faites, l'Union européenne n'a pas été dans la capacité d'assumer une logistique à l'échelle des États membres. Il y a ainsi une réflexion à mener sur la capacité de l'Europe à organiser et mettre en place cette politique vaccinale jusqu'au sein des États membres.

Je reviens également sur le volet nutritionnel de ces questions de santé, qui a été abordé par notre collègue Pierre Médevielle. La question de l'harmonisation est essentielle. Vous l'aurez compris, c'est un sujet qui ne me laisse pas indifférent au vu de ma profession mais surtout en raison des enjeux d'avenir proche qu'il va susciter.

M. André Reichardt. - Je voudrais d'emblée féliciter les deux rapporteures pour la qualité de ce travail. Je rejoins naturellement les propositions de résolution qui ont été présentées. Je suis sénateur d'une région transfrontalière, l'Alsace, et j'ai encore le souvenir cuisant des dysfonctionnements de la première partie de la crise sanitaire que nous vivons. En mars dernier, la propagation du virus a commencé à Mulhouse avec ce rassemblement évangéliste, puis elle s'est déplacée vers le Bas-Rhin et en Moselle.

À ce moment-là, nous avons eu le sentiment que l'Europe était complètement absente. Les hôpitaux croulaient sous les malades. Des lits étaient disponibles à 5-10 km, dans le Bade-Wurtenberg, mais les malades n'y étaient pas transportés et étaient conduits dans d'autres régions françaises. Il a fallu que les conseils départementaux s'en préoccupent. L'Agence régionale de santé (ARS) était totalement dépassée. Je souhaite ainsi plus d'Europe dans ce domaine, à tout le moins dans les conditions évoquées par les rapporteures.

Je veux également mettre l'accent sur un élément qui me paraît également fondamental dès lors que l'on parle de souveraineté nationale : l'implication des collectivités territoriales, d'une part, et, d'autre part, la nécessité d'une plus grande déconcentration. L'ARS n'a pas été à la hauteur dans une grande région comme la nôtre, le Grand Est, dans laquelle la situation est très disparate selon les territoires. Il est donc indispensable qu'une approche plus territorialisée se mette en place, avec un travail à conduire entre les collectivités territoriales européennes. Dans la pratique, durant la crise, ces liens entre collectivités territoriales ont permis de transférer des malades au-delà des frontières.

L'Europe doit donc pouvoir faire mieux, en respectant toutefois le droit et le principe de subsidiarité. Je vous remercie.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Je souhaite, tout d'abord, féliciter les rapporteures et je veux évoquer un sujet peut-être annexe mais qui me parait fondamental. J'ai, en effet, été stupéfaite par l'absence de l'Union européenne dans cette crise sanitaire sans précédent et je veux alerter sur les conséquences de la crise sur les libertés de nos citoyens transnationaux. J'ai été la première à demander des tests sur des personnes en provenance de Wuhan et j'ai déploré le manque de masques. On est aujourd'hui dans la même situation avec les vaccins. Mais la crise a également des conséquences très graves pour des centaines de milliers d'Européens qui ne peuvent pas avoir accès à leur territoire national.

L'Europe a favorisé les échanges, et je m'en félicite. Mais aujourd'hui des milliers de citoyens habitent hors de leur pays et les Français ne peuvent revenir en France. Beaucoup d'étudiants paniqués m'appellent. Des familles ne savent pas comment faire pour organiser le retour de leurs enfants, et ne disposent d'aucune information valable. Des couples attentent depuis des mois pour se marier. On constate des situations de détresse extrême. Je souhaite qu'on demande à l'Union européenne d'avoir une position proactive sur ce sujet.

M. Jean-François Rapin, président. - Je me permets de signaler qu'hier a été publiée une excellente tribune sur Figaro vox concernant la situation des Français de l'étranger.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Je n'étais pas au courant, merci Monsieur le Président.

M. Didier Marie. - Je remercie nos rapporteurs pour ce travail. En présentant ces propositions de résolution portant avis motivé, la commission est dans son rôle pour obtenir des éléments nécessaires de la part de la Commission européenne.

Ces résolutions conduisent à s'interroger sur la répartition des compétences entre Union européenne et États membres sur les politiques sanitaires. L'Union européenne, absente durant la crise, a révélé les failles du système européen. Si la Commission européenne a semblé absente sur ces sujets, c'est car elle n'en a pas les compétences. La santé représente en effet une compétence d'appui et non partagée. L'Union européenne a fait le maximum de ce qu'elle pouvait faire, en mutualisant les commandes de vaccins et en organisant un minimum de coopération entre les États membres.

S'agissant des propositions de résolution portant avis motivé, la question est de savoir si nous souhaitons que l'Union européenne se dote d'une compétence en matière sanitaire, propre ou partagée avec les États membres.

La situation sanitaire a montré les carences de l'Union européenne, et notre dépendance à l'égard de l'Asie et notamment de la Chine, s'agissant par exemple des produits actifs.

La crise a également révélé une insuffisance des stocks de médicaments, de matériel comme les blouses ou les gants, fabriqués en Indonésie. Les États membres ont pris conscience de ces difficultés, à l'aune de la crise alors qu'elles existaient pourtant depuis longtemps.

Il faut interroger aujourd'hui l'Union européenne et les États membres sur la politique de santé. Je suis partisan d'aller plus loin. La difficulté est que les traités ne le permettent pas, il faudra trouver une solution, « un trou de souris », pour améliorer la situation sans modifier les Traités.

Je suis ainsi tout à fait favorable pour soutenir ces propositions de résolution portant avis motivé, mais également pour continuer à s'interroger sur l'Europe de la santé.

M. Pierre Laurent. - Tout d'abord je vous remercie pour ce rapport qui clarifie les choses. Les recommandations proposées, dans les propositions de résolution portant avis motivé, sont parfaitement justifiées et utiles à ce stade. Je veux ajouter qu'on a tous conscience qu'on vient d'entrer dans un champ totalement nouveau qui pose beaucoup de questions. Il va falloir progresser et avoir une toute autre ambition. La question s'adresse à l'Union européenne comme aux États membres, à commencer par le nôtre. En effet, il y avait des failles dans la mobilisation européenne mais il y en a eu aussi dans notre capacité nationale à faire face à la pandémie. C'est également vrai pour d'autres pays européens. L'ambition nouvelle qu'il va falloir afficher, il faudra la démontrer au plan national, européen et probablement également au plan mondial.

Le fait que l'Union européenne engage maintenant un programme ambitieux d'Europe de la santé, même si on peut juger qu'il est encore trop modeste, est effectivement une bonne nouvelle et un véritable progrès. Mais je pense qu'on sera confronté à une autre question : est-ce que les règles actuelles, les fondements actuels de l'Union européenne vont nous permettre de répondre aux enjeux sanitaires ? Ces enjeux sanitaires ne vont pas seulement nous mettre devant un niveau d'ambition sanitaire nouveau mais ils vont bousculer les objectifs et les règles actuelles de l'Union européenne. Par exemple, sur les vaccins, nous sommes confrontés aux questions de mise en commun d'accès aux brevets, de liberté de production, qui sont des questions que les règles de concurrence actuelles de l'Union européenne ne résolvent pas. Nous sommes face à des enjeux qui sont d'une autre nature et qui réinterrogent beaucoup de fondamentaux.

Le débat qui s'est déroulé hier dans l'hémicycle sur la manière dont a été gérée l'entreprise qui va finalement produire ses vaccins dans une ville écossaise nous conduit à nous interroger sur les raisons de notre échec. Cette entreprise respecte toutes les règles, en les contournant. Le sujet de l'Europe de la santé est fondamental évidemment pour la sécurité humaine, mais il va également conduire à répondre à des questions nouvelles. J'espère que nous serons capables d'aborder les choses avec cette ambition tout en ayant conscience que certes, l'Europe est interrogée, mais que nos politiques nationales le sont aussi.

Agnès Pannier-Runacher a indiqué à deux reprises en répondant à nos questions, que la France a diminué de moitié la production de médicaments sur son territoire entre 2005 et 2015. Ainsi, si l'on veut parler haut à la table européenne, il va falloir aussi qu'on hausse le niveau d'ambition sanitaire de notre propre pays, en matière de recherche et en matière industrielle. Il faudra le faire en étant vigilant sur la manière dont se construit cette Europe de la santé, selon un mode de coopération efficace. Les questionnements pointés par les propositions de résolution me paraissent donc justifiés puisqu'il s'agit de garder cette vigilance tout en avançant vers une toute autre ambition en la matière.

M. Jean-François Rapin, président. - Je vous prie de m'excuser, mais je dois rejoindre l'hémicycle pour participer à la discussion générale sur le projet de loi « ressources propres », qui débute actuellement en séance. Je veux dire à Pierre Laurent, avant de laisser parler les rapporteures et de m'éclipser, qu'il s'agit d'une histoire de modèle. On peut critiquer notre modèle sanitaire et notre modèle social, mais en matière sanitaire on a quand même gardé une forme de leadership pendant de nombreuses années. Cependant, je ne sais pas si nos homologues européens sont prêts à adopter ce genre de modèle. Il y a une diversité de modèles sanitaires à l'échelle des vingt-sept et cela nécessitera une certaine harmonisation avant d'arriver à des schémas plus élargis.

Mme Pascale Gruny, rapporteure. - Je pense que nous sommes d'accord pour un équilibre entre, d'une part, le respect du principe de subsidiarité et, d'autre part, la nécessité de travailler davantage avec les autres États membres. C'est dans cet équilibre que réside toute la complexité. Les Français qui sont parfois considérés comme anti-européens, déplorent aujourd'hui qu'il n'y ait pas assez d'Europe. On se compare toujours aux pays voisins, où l'herbe paraît plus verte.

André Reichardt a parlé d'une approche territoriale. Le rôle des collectivités a été mis en avant dans notre rapport et le programme de santé de l'Union prévoit le développement des coopérations frontalières. Didier Marie a souligné qu'il fallait agir à l'échelon européen. Or, la proximité est aussi très importante. Il faut jongler comme cela tout le temps, entre la déconcentration et les difficultés des ARS, et la compétence donnée à l'Union selon un schéma commun aux autres États membres.

S'agissant de la question de la fermeture des frontières, les étudiants, heureux d'être partis à l'étranger, se sentent en effet un peu emprisonnés du fait que les frontières sont fermées.

Sur les vaccins, plutôt que de souveraineté nationale, l'on devrait parler de souveraineté européenne : il faut développer les partenariats, sur le modèle d'Airbus dans un tout autre domaine. Cela fait des années que j'appelle à développer la recherche au niveau européen, au lieu de dépenser des sommes à cet effet un peu partout, assorties d'un peu de partenariat. Toutefois, il faut faire très attention parce que ce sont des sujets géopolitiques, sources de conflit.

Mme Laurence Harribey, rapporteure. - Je suis d'accord avec ces propos. Quand on dit qu'il faut plus d'Europe, c'est souvent dans les cas où l'Europe n'a pas compétence. J'ai fait un parallèle, qui vaut ce qu'il vaut, avec ce qui s'était passé au début des années 1990 sur la question de l'Europe de la défense. Je ne sais pas si vous vous souvenez de ce débat entre François Mitterrand et le Chancelier, le premier appelant à plus d'Europe de la défense. Et son homologue lui répondait avec un petit sourire narquois que s'il n'y avait pas eu l'échec de l'Europe de la défense en 1954, on n'en serait sans doute pas là. En réalité, les compétences européennes arrivent avec la nécessité de faire. Didier Marie l'a bien expliqué, et Jean-François Rapin aussi : c'est évident aujourd'hui que l'Europe de la santé devient un enjeu stratégique et qu'il faut bouger les lignes. Si on trouve un « trou de souris » pour essayer d'augmenter la valeur ajoutée de l'Europe en matière de santé, on sera amené à développer des compétences en matière de recherche, marché unique et coopération transfrontière. Mais cela n'épuise pas la question d'une politique européenne de la santé.

Il faut donc, à mon avis, aller vers une compétence partagée en matière de santé, d'autant que c'est le moyen de faire intervenir le politique, le Parlement européen et les parlements nationaux, ce que ne permet pas automatiquement une politique de coopération renforcée. Il me semble en effet qu'on est à la croisée des chemins. J'aimerais revenir sur ce que disait le président Rapin : la question est de savoir si les États sont prêts à cette Europe de la santé. En effet, on ne peut pas dire, en même temps, qu'il faut plus d'Europe et qu'il faut une stratégie européenne en matière de santé et affirmer qu'il y a quelque chose d'anormal à voir une entreprise française pharmaceutique s'implanter en Écosse. Si on joue la carte européenne, il faut la jouer jusqu'au bout, tout en ayant une véritable maîtrise de la politique au niveau européen.

J'aimerais également revenir sur ce que disait André Reichardt parce que cela me semble fondamental, sur la coopération transfrontière et territoriale. En effet, il faut articuler la dimension locale avec la dimension européenne : plus les collectivités coopèreront entre elles, plus la question de l'articulation entre souveraineté nationale et souveraineté européenne se posera dans une perspective positive. Du travail s'annonce sur ces sujets, au-delà de nos propositions de résolution présentement débattues : il faudra bien trancher la question de la compétence de l'Europe en matière de santé. Je vous remercie.

Mme Catherine Fournier. - Je souhaitais revenir sur la politique de la santé européenne et sur les propositions de résolution que vous avez proposées relatives à la gestion de la pénurie de médicaments. Je crois que seule l'Europe est en capacité de travailler sur ce sujet. La souveraineté, c'est la fabrication intramuros de médicaments. Seule l'Europe est en capacité de faire face à la puissance des sociétés pharmaceutiques d'envergure mondiale. Chaque pays pris unitairement ne le pourra pas. Quelles sont nos capacités de négociation ? Qu'a-t-on à mettre dans la balance ? Plus nous perdons nos capacités de production, moins nous avons à mettre dans la balance pour des négociations.

L'Europe s'atteler à réintroduire la fabrication de certains médicaments pour qu'elle puisse peser dans des négociations éventuelles. On l'a vu dans le cadre de la Covid, ce sont les produits de bases - les princeps - qui ont manqué. Ils sont produits par la Chine, l'Inde et les États-Unis. L'Europe doit produire elle aussi les princeps, quitte à s'attaquer aux lobbys de l'industrie pharmaceutique. Ces derniers tomberont bien un jour, comme ceux des tabacs, car les produits de santé ne sont pas un produit commercial comme les autres.

Mme Pascale Gruny, rapporteure. - Je suis tout à fait d'accord avec ces propos. Le risque est d'arriver à une crise beaucoup plus grave où nous ne pourrions plus soigner les Européens et, par conséquent les Français. Il s'agit d'un travail très important à faire sur un sujet où l'humain est au centre des préoccupations. La réponse à apporter doit être rapide, mais en respectant le principe de subsidiarité.

M. André Reichardt, président. - Le président m'a confié le soin de clore nos débats et de soumettre au vote ces propositions de résolutions européennes portant avis motivé.

La commission des affaires européennes adopte à l'unanimité les trois propositions de résolutions européennes portant avis motivé, n° 343, n° 344 et n° 345, disponibles en ligne sur le site du Sénat.