La proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil COM (2020) 80 final, dite « Loi européenne sur le climat », vise à établir le cadre requis pour parvenir à la neutralité climatique et à modifier le règlement (UE) 2018/19991(*).

Le Sénat a été saisi de cette proposition, qui constitue l'un des engagements importants de la Commission européenne, à la fois au titre des articles 88-6 (contrôle de subsidiarité) et 88-4 de la Constitution.

La proposition de la Commission, qui s'intègre dans le « pacte vert pour l'Europe », précise les modalités concrètes destinées à permettre à l'Union européenne d'atteindre la neutralité carbone à l'horizon 2050.

En se fondant sur les articles 191 et 192 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, la Commission propose en particulier :

- d'inscrire dans la législation européenne l'objectif de neutralité climatique de l'Union européenne d'ici 2050, objectif qui sera évalué globalement au niveau de l'Union et non pas appliqué pays par pays ;

- de préciser la trajectoire nécessaire pour y parvenir :la Commission se verrait à cet effet confier le soin de réexaminer les politiques et mesures législatives existantes de l'Union afin d'en renforcer la cohérence, au regard de l'objectif de neutralité climatique et de la trajectoire établie ;

- de distinguer dans ce cadre deux périodes :

1. une première période menant jusqu'en 2030, l'objectif de la Commission étant de réexaminer d'ici septembre 2020 l'objectif spécifique de réduction des émissions de gaz à effet de serre de l'Union à l'horizon 2030, en vue de le porter de 40 %2(*) à 50 % voire 55 % par rapport aux niveaux de 1990. Des propositions de modifications législatives en ce sens pourraient alors être proposées en ce sens d'ici le 30 juin 2021 au plus tard ;

2. une seconde période allant de 2030 à 2050, au cours de laquelle la Commission serait habilitée à adopter des actes délégués pour ajuster la trajectoire nécessaire pour atteindre la neutralité climatique à l'horizon 2050. Le point de départ de la trajectoire au cours de cette période serait l'objectif spécifique de l'Union arrêté à l'horizon 2030. La trajectoire serait réexaminée tous les 5 ans.

Le texte reprend les principes définis par l'accord interinstitutionnel du 13 avril 2016 « Mieux légiférer ». Il prévoit ainsi que le pouvoir d'adopter des actes délégués serait confié à la Commission pour une durée indéterminée mais pourrait être révoqué à tout moment par le Parlement européen ou le Conseil. Ces derniersrecevraient une notification de chaque acte délégué adopté par la Commission et pourraient formuler des objections dans un délai de deux mois (éventuellement prolongé de deux mois). Les experts désignés par les États membres seraient consultés avant l'adoption de tout acte délégué ;

- enfin, la Commission propose par ce texte d'améliorer la capacité d'adaptation de l'Union, de renforcer sa résilience et de réduire sa vulnérabilité au changement climatique, tâches incombant à la fois aux institutions compétentes de l'Union et aux États membres.

La possibilité de confier à la Commission le soin de recourir à des actes délégués pour une période somme toute assez lointaine est problématique : cela débuterait dans 10 ans, soit le mandat de deux commissions, pour finir dans 30 ans... Cela semble justifier un examen par la commission des affaires européennes, qui avait publié, en 2018, un rapport d'information critique sur cette procédure3(*).

La Commission européenne justifie sa proposition par la valeur ajoutée de l'action de l'Union européenne pour coordonner les actions des États membres. Elle considère que « l'action de l'UE se justifie ainsi pour des raisons de subsidiarité » et que « la mise en place d'une gouvernance solide dans la perspective de l'objectif de neutralité climatique à l'horizon 2050 contribuera à faire en sorte que l'UE reste sur la bonne voie pour atteindre cet objectif ».

Toutefois, la commission Environnement du Parlement européen a commandé une étude juridique aux services du Parlement, qui conclut que le recours aux actes délégués pour ajuster la trajectoire entre 2030 et 2050 est contraire aux stipulations du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE).

Les services du Parlement européen rappellent que l'article 290 du TFUE stipule qu'« un acte législatif peut déléguer à la Commission le pouvoir d'adopter des actes non législatifs de portée générale qui complètent ou modifient certains éléments non essentiels de l'acte législatif. (...) Les éléments essentiels d'un domaine sont réservés à l'acte législatif et ne peuvent donc pas faire l'objet d'une délégation de pouvoir ».

Or ils considèrent, en s'appuyant notamment sur la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, que la fixation de la trajectoire pour atteindre la neutralité climatique à l'horizon 2050 est un élément essentiel de cette « Loi européenne sur le climat » et que l'article 290 du TFUE ne permet donc pas de confier à la Commission européenne le pouvoir d'adopter des actes délégués en la matière.

Pour ces différentes raisons, il a été jugé nécessaire que la commission des affaires européennes analyse précisément cette question en vue de l'adoption d'un éventuel avis motivé.


* 1 Règlement 2018/1999 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 sur la gouvernance de l'union de l'énergie et de l'action pour le climat, modifiant les règlements (CE) n  663/2009 et (CE) n  715/2009 du Parlement européen et du Conseil, les directives 94/22/CE, 98/70/CE, 2009/31/CE, 2009/73/CE, 2010/31/UE, 2012/27/UE et 2013/30/UE du Parlement européen et du Conseil, les directives 2009/119/CE et (UE) 2015/652 du Conseil et abrogeant le règlement (UE) n° 525/2013 du Parlement européen et du Conseil.

* 2 Objectif fixé par le règlement (UE) 2018/1999 précité.

* 3 Rapport d'information Repenser l'action de l'Union : la plus-value européenne - contribution du Sénat au groupe de travail « Subsidiarité et proportionnalité » de la Commission européenne - n° 456 tome I (2017-2018) - 20 avril 2018 - de MM. Jean BIZET, Philippe BONNECARRÈRE et Simon SUTOUR, fait au nom de la commission des affaires européennes.