Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte européen
Examen : 25/06/2014 (commission des affaires européennes)

Ce texte a fait l'objet de la proposition de résolution : n° 558 (2014-2015) : voir le dossier legislatif


Agriculture et pêche

Situation du secteur laitier

Rapport d'information et proposition de résolution européenne
de MM. Claude Haut et Michel Raison

(Réunion du 25 juin 2015)

M. Jean Bizet, président. - Notre ordre du jour appelle, en premier lieu, l'examen du rapport d'information de nos collègues Claude Haut et Michel Raison sur la situation du secteur laitier après les quotas.

Après avoir entendu la communication de nos deux collègues, nous examinerons la proposition de résolution européenne qu'ils ont préparée et qui vous a été adressée.

Je rappelle que ce secteur est confronté à la fin des quotas laitiers qui pendant trente ans en a fait le secteur le plus administré de l'agriculture européenne. Avec la fin de ce régime, le secteur a basculé dans le libre marché. La fin des quotas laitiers semblait aussi coïncider avec un retournement de conjoncture et une nouvelle baisse des prix. Une crise semblait probable, pareille à celle de 2009.

C'est donc un nouveau défi que doivent relever les éleveurs européens, singulièrement français. Il faut leur rendre hommage car ils exercent l'un des métiers les plus durs du monde agricole.

Claude Haut et Michel Raison ont réalisé un travail approfondi pour évaluer la situation et examiner les perspectives envisageables pour le secteur laitier.

Je leur donne la parole.

M. Claude Haut. - Comme vous l'avez dit, Monsieur le Président, nous sommes deux co-rapporteurs. Mais à la différence de Michel Raison, je suis le néophyte. J'ai découvert le secteur, les éleveurs, les fermes avec un regard neuf.

Il m'a d'abord fallu comprendre la situation et les inquiétudes des éleveurs. Ce sont ces deux points que je vais évoquer avant de passer le relais.

Pendant plus de trente ans, le secteur laitier a été le plus administré de l'agriculture européenne et tous les leviers de l'action publique ont été mobilisés. Les quotas laitiers ont été la pièce maîtresse du dispositif de régulation de l'offre. Le 1er avril 2015, le régime a basculé dans le libre marché. Le secteur est passé du presque trop au presque rien.

Ce basculement a généré en France une certaine appréhension. La fin des quotas coïncidait avec un retournement de conjoncture. Une crise s'annonçait même, pareille à celle de 2009. « La crise ? Quelle crise ? » : le mot fait sourire nos partenaires. C'est juste un nouveau contexte pour les éleveurs européens et un défi à relever.

Ce furent trente années émaillées de disputes qui ont même duré jusqu'au dernier jour.

Je dois préciser que si la fin des quotas laitiers est perçue comme un changement radical, elle n'est, en réalité, sur le plan juridique, que l'application retardée du régime prévu en 1984 qui n'était que « provisoire », jusqu'en 1989. Ses reconductions successives l'ont fait passer pour un régime permanent. D'ailleurs, jusqu'au bout, de nombreux éleveurs ont cru que la réforme ne serait pas appliquée. Comme cela fut le cas, deux ans auparavant avec la réforme des droits de plantation, grâce à une mobilisation politique dans laquelle le Sénat a eu sa place. Cette fois, le retournement n'a pas eu lieu.

Il y a des divergences d'intérêt entre États, dont quelques-uns s'estimaient pénalisés par des quotas trop restrictifs. Il y a le clivage entre partisans d'une régulation du marché et ceux qui ne jurent que par la libre concurrence.

Le débat sur les quotas laitiers a également agité le monde politique français, chaque camp accusant l'autre d'avoir abandonné les éleveurs.

Quel est le bilan de ce dispositif ?

L'idée du contingentement visait à supprimer les surproductions. Il faut reconnaître que les quotas, qui n'ont jamais été très rigoureux, n'ont eu qu'un rôle mineur dans cette résorption. D'autres instruments ont été autrement plus efficaces pour réduire les volumes, qu'il s'agisse de la baisse des prix d'intervention et des restitutions ou du découplage des aides.

En revanche, les quotas se sont avérés très utiles pour assurer une production laitière équilibrée dans l'ensemble de l'Union européenne et dans l'ensemble des régions. Ils ont ainsi contribué aux politiques d'aménagement du territoire.

Si l'abandon des quotas est acté, il reste un regret. Les quotas furent l'emblème d'un choix équilibré entre la politique et l'économie, entre la productivité et l'aménagement du territoire, entre l'homme et le marché.

Le maintien des quotas était peut être possible avec quelques ajustements : une augmentation pour répondre à la demande mondiale, une nouvelle répartition entre États, des ajustements plus automatiques. Mais la force du courant abolitionniste était telle que cette option n'a guère été envisagée.

Telle est l'histoire de la fin des quotas laitiers.

Place au marché.

En France, ce passage suscite des appréhensions légitimes.

En premier lieu, le dispositif juridique censé assurer la transition de la fin des quotas laitiers n'a pas donné toute satisfaction.

La fin des quotas a été préparée en 2012 par un règlement connu sous le nom de « Paquet lait ». Ce règlement concerne le rôle des organisations de producteurs (OP) dans le secteur laitier et évoque les relations contractuelles entre les éleveurs et les transformateurs.

Les OP du secteur laitier présentent des singularités. Le coeur de la mission reste la négociation de contrats de livraison de lait, mais cette opération a deux spécificités : la négociation a lieu qu'il y ait ou non transfert de propriété. L'éleveur reste propriétaire et mandate un tiers pour négocier ses livraisons ; la négociation porte sur les prix et les volumes, ce qui est une dérogation exceptionnelle au droit commun de la concurrence.

De son côté, la contractualisation figure dans la loi de modernisation de l'agriculture de 2010. Elle fut présentée comme une sorte de relais qui permettait de maintenir un cadre dans les relations entre éleveurs et fabricants.

La plupart des intervenants dressent un bilan mitigé de ces dispositifs.

Les éleveurs sont très critiques sur les OP et la contractualisation.

L'idée courante est que les OP ne servent à rien. Que peut peser une OP de quelques centaines d'éleveurs face aux géants mondiaux de l'industrie laitière ? Le contrat ne peut qu'entériner les pratiques antérieures. Ce constat désabusé s'appuie aussi sur une certaine maladresse française. La logique aurait été de s'organiser en OP avant de négocier. C'est le contraire qu'a fait la France, en imposant des contrats, avant la mise en place des OP. Résultat : quand les OP ont été créées, il n'y avait plus rien à négocier. Les seules  OP qui marchent sont les OP qui sont entre les mains des laiteries. « OP maison - OP bidon ? » s'interrogeait d'ailleurs notre président.

Les industriels ont eu aussi leurs raisons de se plaindre.

Il y a une critique sur la durée des contrats. Une douzaine de pays ont choisi la formule de contractualisation obligatoire, mais seule la France a choisi une durée de contractualisation de 5 ans alors qu'elle est de 6 mois ou d'un an dans les autres pays.

Il y a aussi une critique sur le prix. Les formules de prix sont applicables pendant trois ans. Pour éviter des renégociations périodiques, et pour tenir compte de la guerre des prix de la grande distribution, les industriels multiplient les clauses de sauvegarde qu'ils actionnent quand bon leur semble.

Ainsi, personne ne semble satisfait du dispositif mis en place. Ces critiques doivent être entendues mais aussi analysées avec circonspection.

Il y a bien sûr des raisons objectives à la lenteur de mise en place des OP, mais pour les observateurs, les oppositions aux OP sont aussi et surtout de nature politique.

Il y a d'abord une méfiance des coopératives. A priori, les coopératives ne sont pas concernées par les OP puisque leurs relations avec leurs adhérents relèvent du statut et non du contrat. Mais il n'y a pas d'étanchéité et les éleveurs pourraient être mobiles s'ils voient que les OP défendent mieux les prix que les coopératives. Comme ce fut le cas en Pologne, par exemple.

Mais il y aurait également de fortes réticences du côté syndical. Derrière un discours officiel favorable à ces regroupements, les structures syndicales peuvent être inquiètes d'une redistribution des rôles qui ne leur est pas favorable. Tandis que les syndicats auraient une action d'influence, les OP auraient la charge de signer les contrats. Pour le médiateur des contrats, je cite, « Il y a un combat d'arrière-garde, notamment par ceux, qui pétris de syndicalisme agricole, déplorent leur perte d'influence. L'OP a exproprié une partie de leur pouvoir et leur capacité à faire pression ».

Dans ce flot de critiques, il y eut pourtant quelques voix encourageantes.

D'abord parce que les OP se mettent en place progressivement. On compte 50 OP en avril 2015 qui couvrent 45 % du potentiel de la collecte privée concernée. Et puis, selon le médiateur des contrats, « les contrats et les OP ont apporté des progrès dans les relations entre éleveurs et fabricants. On est sorti de la confrontation syndicale. Aujourd'hui, les OP discutent avec les collecteurs. »

Ensuite, même si les industriels sont vigilants, les OP sont loin d'être « à la botte des industriels ». Le contentieux récent entre une OP et Lactalis, inimaginable en 2012, est même le signe d'un vrai pouvoir des OP.

En deuxième lieu, les hypothèses de marché sont peut-être optimistes.

La croissance du marché mondial semble acquise, de l'ordre de 2 % par an, et l'Union européenne peut y prendre sa place. Pourtant, certains tempèrent cet enthousiasme, en évoquant de possibles déconvenues.

Il y a d'abord des doutes sur les prix. Plus de volume, certes, mais à des prix plus faibles. Autrement dit : « travailler plus, pour gagner moins ». Et puis, la volatilité des prix, indissociable du marché mondial, est perçue très négativement par les éleveurs. L'éleveur admet parfaitement que son prix dépende de la pluie et du beau temps ; il ne peut comprendre qu'il dépende aussi des nurseries de Shanghai !

Il faut cependant noter que la volatilité des prix n'entame en rien la confiance des grands États laitiers dans les vertus du libre marché. Les pays les plus engagés dans la libéralisation du marché sont aussi les pays où la volatilité des prix est la plus forte. C'est le risque du marché, parfaitement assumé par les intéressés et qui, à aucun moment, ne les ferait regretter leur choix.

Il y a aussi des déconvenues possibles sur les perspectives de marché.

La sensibilité des échanges aux parités monétaires est cruciale. Un incident sanitaire peut casser une dynamique. De même, un écart minime sur la croissance du marché asiatique a un impact immédiat sur les importations de ces pays. Gare aussi aux nouvelles concurrences. Les États-Unis sont une très grande puissance laitière, une sorte de « géant endormi » qui pourrait perturber les prévisions.

Enfin, à trop se focaliser sur le marché extérieur on a tendance à oublier l'importance du marché intérieur.

Les belles performances françaises à l'exportation ne parviennent pas à faire disparaître une certaine inquiétude. La tradition française a orienté le marché vers les produits à haute valeur ajoutée, mais aujourd'hui, c'est sur la poudre qu'il faut aller. Les perspectives pour le fromage sont excellentes, mais c'est le fromage ingrédient qui s'exporte et pas nos fromages de tradition. Les Français sont globalement assez inquiets.

La troisième crainte porte sur la recomposition du paysage laitier européen.

La libéralisation du marché va amplifier ces évolutions, en cours depuis plusieurs années. Certains pays ont affiché clairement des ambitions laitières. Le cas le plus emblématique est l'Allemagne, leader laitier européen et qui entend bien le rester. Notre mission nous a conduits en Basse-Saxe. Les laiteries disent « produisez tout ce que vous pouvez, on prend tout ».

L'Allemagne n'est pas un modèle pour la France, mais, elle a une ambition, une stratégie qui la fait peser en Europe. C'est cette leçon qu'il faut garder en mémoire.

L'Allemagne n'est pas seule à avoir des ambitions. La filière laitière hollandaise est la plus compétitive en Europe. De même, l'Irlande veut devenir la Nouvelle-Zélande de l'Europe, c'est-à-dire un pays avec un potentiel de production tournée vers l'export.

À l'inverse, certains pays pourraient avoir de grandes difficultés à trouver leur place dans le nouveau paysage laitier européen (Portugal, Espagne, Roumanie par exemple).

Beaucoup d'éleveurs et de laiteries se sentent libérés par la fin des quotas et se fixent des objectifs. Quel contraste avec la France ! Les Français ne semblent pas être dans une stratégie de développement, encore moins dans une posture de conquête. Il y a à la fois un manque d'anticipation et une grande prudence. La France a le potentiel laitier. Mais le potentiel ne suffit pas. Demain, on sera à 30 milliards de litres ou à 15 milliards ? Tout est ouvert.

Cette recomposition s'accompagne d'une redistribution régionale. La production laitière est répartie sur le territoire. Les quotas ont eu leur rôle dans cette situation. C'est à partir de 2007 que sont apparues des dynamiques laitières bien différenciées, avec ce qu'on appelle « le croissant laitier ». La fin des quotas fait craindre cet équilibre territorial. D'ailleurs, pour les opérateurs sur le terrain, l'affaire est entendue.

La clef est l'ambiance laitière et en particulier la fréquence des collectes. Quand la densité des fermes diminue, la collecte faiblit, et l'engrenage est fatal. Les industriels n'ont aucune intention de fermer les outils industriels. Mais ils n'investiront pas. Ainsi, la recomposition du paysage laitier semble inéluctable, mais elle a changé de nature. Jusqu'à présent, l'éleveur avait une part de choix. Désormais, la concentration relève davantage de la contrainte.

Une telle recomposition pose de sérieuses difficultés. Maintenir des zones de collecte suppose de gros investissements. Mais transférer des troupeaux vers des zones en dynamique suppose autant d'investissements. 40.000 exploitations pourraient gérer en 2020 le même nombre de vaches laitières que 75 000 en 2013. Mais cela suppose 800 millions d'euros par an.

En deuxième lieu, le positionnement officiel laisse toujours planer l'ambiguïté. A-t-on une stratégie laitière ? C'est sur cette question que je cède la parole à mon collègue Michel Raison.

M. Michel Raison. - Je remercie le président de m'avoir confié cette mission. Il me revient d'aborder les perspectives, que j'orienterai sur quatre axes.

La question générale qui se pose est : « est-ce que la France veut rester un grand pays laitier exportateur ou un pays autosuffisant ? »

Le premier impératif est de définir une stratégie

Où en est-on ? À la demande du ministre, France Agrimer, a publié en juin 2014, un document intitulé « Stratégies de filières». Pour la filière laitière, rien ne manque : l'aménagement de territoires, le maintien des laiteries partout en France, les marges des entreprises, les revenus des producteurs, la performance économique, la performance écologique, l'exportation, l'innovation, les relations contractuelles, la volatilité des prix et du marché... Il ne manque plus que le paysage et la lutte contre le changement climatique pour que le catalogue soit complet. Il y a presque tout. Autrement dit, il n'y a presque rien.

On touche là un problème de fond. Une stratégie suppose un cap, un objectif clair. Il y a des pays qui en ont. On les connait. Mais force est de reconnaître que la stratégie française, pour le moment, tient plus du catalogue que du cap.

Même devant les perspectives du marché mondial, beaucoup d'éleveurs vont arrêter leur exploitation. Ce que la démographie ne fera pas, la concurrence l'imposera, Les dynamiques laitières vont s'accélérer. Les contrastes vont se creuser. Certaines zones peuvent se retrouver en déprise laitière et dans un engrenage fatal. Il est tout à fait certain qu'il y aura des restructurations. Il me semble qu'il faut accompagner ces mouvements et non pas nier la réalité.

Il paraît nécessaire de bien séparer les deux notions : la stratégie économique et l'objectif politique d'aménagement du territoire. À l'État de définir un cap, une stratégie de compétitivité pour la filière, élaborée avec la profession laitière, orientée vers les marchés. Aux régions, aidées par l'Union européenne, d'avoir un objectif de localisation, d'équilibre, pour aider les zones les plus fragiles. Ce travail stratégique reste à mener. Les régions ont une expérience dans ce domaine.

Après avoir défini une stratégie, il faut l'accompagner. C'est le deuxième axe.

Il faut avant tout redonner confiance et lutter contre ce mal français : le pessimisme. Ce qui frappe le plus dans ces quelques mois de préparation, c'est en effet ce pessimisme ambiant, la crainte des concurrences, l'impression d'une inadaptation, et, plus que tout, le sentiment diffus de ne pas savoir où aller. Une situation invraisemblable aux yeux de nos compétiteurs qui mettent en avant les formidables atouts français.

Il y a des atouts objectifs: la France a tous les climats, elle a de l'eau, et un prix du foncier accessible. Mais surtout l'agriculture française a une notoriété mondiale, une réputation fondée sur des productions d'excellence.

Ce sont ces atouts qu'elle doit valoriser, un peu comme une marque.

Les perspectives du marché mondial sont, pour le moment, sur la poudre de lait et les fromages ingrédients. Soit. La France a les capacités de répondre si les dynamiques laitières vont jusqu'au bout. Mais sur ce terrain, la France sera en concurrence avec le monde entier.

Et puis, il y a aussi des créneaux de qualité, de typicité, et, sur ce terrain, la France reste encore la meilleure même si les pays étrangers peuvent nous rattraper. Si vous me pardonnez cette comparaison, dans la guerre commerciale dans le secteur laitier, les AOP sont les « forces spéciales » de l'industrie française.

Raison de plus pour veiller à les protéger.

L'enjeu du moment est le TTIP qui intéresse très directement la filière laitière française, avec deux volets : la négociation sur les droits de douane et les pics tarifaires, et les indications géographiques (IG). Aux États-Unis, c'est l'industrie laitière qui est la plus hostile aux IG européennes. Elle refuse d'être freinée par un système qui l'empêcherait de fabriquer du Munster ou de la Fourme.

C'est un sujet extrêmement sensible. Rien n'est joué, même en France. On peut même imaginer qu'il peut y avoir des tensions entre fabricants de lactosérum, très intéressés par supprimer des droits de douane américains de 112 % et les fabricants de Munster précités.

La France n'est pas seule à défendre ses indications géographiques. Une initiative politique franco-italienne pourrait avoir du sens pour appeler les gouvernements et la Commission à une grande vigilance et à mener le combat en permanence.

Troisième accompagnement : la formation.

La fin des quotas laitiers fait entrer les éleveurs dans un monde de turbulences. D'autres agriculteurs ont connu cette transition. Les céréaliers, les producteurs de porcs connaissent depuis longtemps ces variations de prix. C'est aujourd'hui le tour des éleveurs.

Il y a un besoin criant de formation à la gestion et à la volatilité des prix. Ce doit être une priorité de l'enseignement professionnel et de la formation permanente. Ce type de formation intéresserait tous les agriculteurs, contrairement à d'autres formations plus ciblées qui n'intéressent qu'une minorité d'exploitants.

À qui incombe cette formation ? Les pouvoirs publics ont leur rôle mais les structures professionnelles, notamment les chambres d'agriculture, ont aussi une mission.

Quatrième accompagnement : innover.

Il n'y aura pas de succès sans innovation comme dans les autres domaines économiques.

Ce peut être l'innovation dans les techniques. Il faut accepter la modernité. Une partie de la société a une vision misérabiliste de l'éleveur ! Non, il faut des robots, des caméras de surveillance, des outils d'analyse des troupeaux. C'est aussi les nouvelles technologies qui attirent les jeunes.

Ce peut être l'innovation dans les productions comme en témoigne le succès, inimaginable il y a quelques années, du lactosérum qui rentre dans la fabrication d'aliments pour nourrissons.

Ce peut être l'innovation dans les marchés. Avec des productions de niche qui répondent aux envies du consommateur. Je pense au bio, bien sûr, mais aussi à la carte de la proximité, ainsi qu'à de nouveaux fromages adaptés aux consommateurs asiatiques. Il faudra aussi que l'État fasse preuve d'innovation dans l'organisation juridique et fiscale du secteur.

Le troisième axe est d'ajuster le cadre de régulation.

A priori, il peut sembler provocateur d'imaginer un cadre de régulation alors que les États ont mis trente ans à s'en débarrasser. Néanmoins, un renouveau est possible et indispensable.

Il y a une mobilisation sur le sujet visant à maîtriser les volumes, en cas d'alerte sur les marchés. Je pense à la proposition Dantin  et son système du bonus/malus, ou au corridor de prix d'European Milk Board. Mais le signal le plus important vient de la Commission elle-même que je cite : « Des doutes subsistent sur la capacité du cadre réglementaire de l'Union européenne à faire face à des épisodes d'extrême volatilité des marchés ou à une situation de crise ». Ce n'est pas un syndicaliste contestataire ou un éleveur exaspéré qui le dit, c'est la Commission !

Il faut profiter de cet état d'esprit pour réfléchir, proposer. Pourquoi ne pas réunir à nouveau un groupe de Haut niveau, qui serait chargé de suggérer des modalités de régulation du secteur laitier en cas d'alerte, de prévenir les crises et les endiguer ?

Quelles sont les mesures à envisager ?

La première est une mesure symbolique : faire cesser l'humiliation du prix d'intervention. Ce prix correspond à un prix du lait de 220 euros les 1 000 litres. Un prix de casse en baisse de 50% en euros constants depuis 2000.

Deuxième mesure : renforcer les OP. La question qui agite la profession est celle des OP territoriales. Inutile de dire que cette perspective n'enthousiasme guère les industriels qui préfèrent contractualiser avec « leur » OP ou avec des OP modestes qu'avec de grandes OP de bassin. Mais la FNIL regrette surtout la position agressive de ceux qui prônent cette idée. Il faut donner envie de travailler ensemble et faire changer cette culture de conflit.

Une évolution est possible. Pour la Commission, l'enjeu dépasse les relations entre éleveurs et fabricants. Je la cite à nouveau : « La France est engluée dans un système construit sur la confrontation. Si on arrivait à sortir de ce carcan et à faire vivre ce système de négociation, ce serait un pas considérable ». Avancer ensemble, c'est sans doute l'une des clefs de la réussite de la filière pour les prochaines années.

Troisième mesure : préparer de nouveaux contrats.

La première vague des contrats signés en 2011 arrivera à échéance en 2016. De part et d'autre, on espère une évolution. Que demandent les éleveurs ? La prise en compte de leurs charges. Que demandent les industriels ? La prise en compte de leurs contraintes de marché face à la grande distribution.

Nous pensons que ce pas l'un vers l'autre est possible. Danone serait en train de discuter un nouveau modèle contractuel qui inclurait la prise en compte des coûts de production. Ainsi, ce qu'European Milk Board revendique depuis des années, est en train d'être discuté par le premier fabricant mondial ! Bongrain imagine lui aussi une évolution de son modèle contractuel avec une sorte de système de bonus/malus.

Bien sûr, le rôle écrasant de la grande distribution dans la fixation des prix a été évoqué par tous. La distribution essaye toujours de payer moins cher que son voisin. Ainsi, de fait, une majoration du prix du lait ne peut être décidée que collectivement. Avec une menace d'entente à la clef même s'il s'agit d'une entente pour augmenter le prix de vente. Il serait navrant qu'une telle initiative soit condamnée par l'Autorité de la concurrence.

Quatrième mesure : utiliser pleinement les aides de la PAC.

Sur le premier pilier, une aide laitière couplée aux vaches laitières est à nouveau possible. C'est un signal très positif pour la filière.

La conditionnalité des aides est souvent discutée. Même si c'est en quelque sorte le prix à payer pour garder un budget. La règle du bien-être animal suscite une vive irritation des éleveurs français. Les éleveurs allemands admettent mieux ces « contraintes sociétales » qu'ils anticipent souvent mieux que nous. La prise en compte du bien-être animal aurait même été initiée par le syndicat agricole lui-même pour éviter des mesures obligatoires !

Enfin, la France a fait le choix de régionaliser le 2ème pilier. Les régions disposent aujourd'hui des outils juridiques et d'un potentiel budgétaire pour accompagner l'élevage laitier. C'est une ouverture majeure pour la filière.

Le quatrième et dernier axe, qui est aussi le plus discuté, concerne les très grandes fermes. Mon choix est clair : il faut oser l'expérimentation des très grandes fermes.

Il y a une évolution naturelle vers l'augmentation des tailles des troupeaux Mais le sujet des très grandes fermes est La polémique du moment. Nous y sommes allés. Bien qu'il existe, en Europe, beaucoup de fermes de grande capacité, le projet de ferme dite des 1 000 vaches dans la Somme a suscité de très nombreuses oppositions.

Comment expliquer cette crispation sur la ferme française ?

Il y a eu, d'abord, le choc de la nouveauté. Il existe, par exemple, de très grandes fermes au nord et à l'est de l'Allemagne mais elles ont été constituées soit par héritage de l'ex-RDA, soit par agrandissements successifs. Ainsi, la ferme des 1000 vaches que nous avons visitée en Basse-Saxe se compose en réalité de trois bâtiments qui ne donnent ainsi aucune impression de gigantisme. Au contraire de l'expérience française qui s'est construite d'un seul coup.

Ensuite, la construction s'est déroulée à un moment de basculement de l'opinion. La ferme est devenue le symbole du libéralisme outrancier. Le monde agricole est lui aussi assez réservé sur la question mais pour une toute autre raison. Les agriculteurs craignent que l'activité d'élevage ne leur échappe pour des raisons financières car un tel projet ne peut se développer sans capitaux extérieurs. L'agriculture serait-elle le seul secteur de production qui n'a pas besoin de capitaux extérieurs ? D'ailleurs, cet apport n'est pas nouveau. Autrefois, c'était le cas du fermage puisque l'exploitant ne détenait pas la terre, aujourd'hui près de la moitié des terres agricoles n'appartiennent pas à l'exploitant. Il faut, là encore, accompagner cette évolution plutôt que la refuser.

L'idée part d'un calcul économique. Le prix du lait est exogène. Il faut travailler sur les coûts de production. Où se trouvent les économies ? Pour le directeur de la ferme, ce n'est ni dans les surfaces, ni dans les équipements, ni dans l'alimentation, ni dans l'emploi. Il n'y a pas de réduction du nombre d'unités de travailleurs. Mais il y a des économies potentielles sur les frais de collecte sans compter des économies de détail dans la reproduction.

Pourquoi défendre cette expérience ?

D'abord, il y a une certaine naïveté à idéaliser les petites fermes. Il y a beaucoup de fermes, surtout en Allemagne et en Italie, dans lesquelles les vaches ne vont pas au pré et sont en étable à l'anneau, sans bouger, alors que les animaux de la grande ferme sont sous hangar ouvert avec une circulation d'air.

Il me semble que beaucoup des contestations sont à relativiser. Y compris sur le plan environnemental. Je renvoie au rapport écrit.

Ce ne sont que des détails car le fondement de ma position est ailleurs. Je suis favorable à cette expérience pour des raisons d'aménagement du territoire, pour des raisons économiques et pour des raisons sociales.

Les quotas laitiers ont eu une mission d'aménagement du territoire. La fin des quotas laitiers fragilise cette situation. Les exploitations ferment et un engrenage fatal se met en place. 

Ce type de projet est un moyen de maintenir une activité laitière dans une région en déprise laitière. Cette action va bien au-delà du seul effet de masse d'une collecte en un seul lieu. Il existe toujours des vétérinaires qui connaissent les bovins. Il existe toujours des sociétés qui proposent de l'alimentation animale. La grande ferme permet de maintenir une masse critique.

Cet exemple peut être utile aux régions qui risquent de perdre leur production laitière. La grande ferme est un élément de force pour l'aménagement du territoire, au contraire de tout ce qui se dit !

La formule est adaptée à la région et serait inadaptée à d'autres. Ce serait une aberration en Bretagne ou en Normandie, parce qu'il existe une ambiance qu'il ne faut pas briser. En revanche, dans la Somme, le projet semble trouver sa place. C'est même une expérience cruciale pour d'autres régions confrontées au risque de déprise laitière.

La France doit oser cette expérimentation.

Il ne faut pas opposer les productions - le bio ou le conventionnel - ni les modes de production - les petites et les grandes fermes. Il y a la place pour tout le monde et pour toutes les productions. C'est cette richesse qu'il faut valoriser.

M. Jean Bizet, président. - La question cruciale posée par le rapporteur est : « La France sera-t-elle encore un grand pays laitier ou veut-elle simplement gérer les acquis ? » Je retiens aussi les enjeux du TTIP qui concernent à la fois les indications géographiques mais qui révèlent surtout les ambitions de notre partenaire américain. Ce que vous avez appelé le « géant américain endormi ».

M. Jean-Paul Emorine. - Attention de ne pas se faire trop d'illusions. Certes, la France peut être un grand pays laitier mais je rappelle que l'espace agricole français ne représente que 1 % de l'espace agricole mondial. Vous avez parlé de la restructuration. La diminution du nombre d'exploitations est très ancienne et va certainement se poursuivre. Vous indiquez le chiffre de 40 000 exploitants dans 10 ans mais la question qui se pose est : « Est-ce que ces 40 000 exploitants vont gagner leur vie ? » Il y a la question du prix, bien sûr, mais aussi la question de la pression de la grande distribution et des coûts d'exploitation. Il faut aller vers la sécurisation des revenus des agriculteurs. La concentration de la production laitière en Bretagne et en Normandie est possible. Les régions avec des AOP sont également protégées. Mais quid des régions intermédiaires ? La ferme des 1 000 vaches a un effet détonateur. Déjà le seuil de 400 ou 500 vaches révélait la nature industrielle de certains élevages. La ferme de très grande capacité est perçue comme déstabilisante pour les régions intermédiaires.

M. André Gattolin. -Notre ordre du jour est chargé. Nous devons traiter des dossiers importants dans un délai qui est limité.

Concernant le rapport sur le secteur laitier, je déplore la quasi-absence de l'évocation du bio. C'est un outil de valorisation des produits et de stabilisation des revenus. Or, il n'y a quasiment rien dans le rapport. Mais mes remarques portent surtout sur la partie concernant les très grandes fermes.

Le rapport cite des oppositions jugées irrationnelles. Cette critique n'a pas de sens. Ce sont des positions qui ne sont en rien irrationnelles. Vous citez Brigitte Bardot comme pour dévaloriser la position de ceux qui contestent ce projet. Il faut prendre en compte tous les points de vue. Je suis d'accord pour écouter les promoteurs de la ferme des 1 000 vaches comme vous l'avez fait abondamment, mais il faut écouter tout le monde et ne pas se contenter d'une formule ambiguë telle que « oser l'expérimentation des grandes fermes ».

M. Michel Billout. - Il n'est en effet pas possible de traiter des sujets aussi importants en deux heures.

Je regrette que dans la proposition de résolution européenne, on ne trouve aucun élément qui permette de préserver un mode de production diversifié. Certes, la conclusion du rapporteur est de prôner la cohabitation de tous les modes de production, mais c'est une phrase « bateau », un peu naïve. Il y a deux parties dans ce rapport : une partie très documentée et très équilibrée sur la fin des quotas laitiers et les inquiétudes des éleveurs, et une deuxième partie où le rapporteur « se lâche » sur la ferme des 1 000 vaches en exposant les points de vue de façon très caricaturale, en développant l'argumentaire du directeur de la ferme sans donner la parole aux opposants. On oublie de dire que ce type de ferme favorise la financiarisation de l'économie agricole. Ce n'est pas du tout une évolution choisie par les agriculteurs. Si on laisse se développer ce modèle, demain il y aura des régions où il n'y aura plus du tout de lait. En revanche, j'adhère complètement à l'analyse du rapporteur sur l'importance de la négociation commerciale sur les indications géographiques.

M. Simon Sutour. - Je confirme qu'avec cette organisation des travaux, le Sénat ne peut pas remplir son rôle. Le 22 juillet prochain, le président du Sénat s'est engagé à rencontrer le bureau de la commission des affaires européennes. Nous devrons lui exprimer nos réserves sur nos conditions de travail. Notre commission a un rôle très important sur la législation européenne et il nous faut garder une possibilité de travailler sérieusement.

Sur le lait, c'est un rapport très complet, un rapport de référence qui méritait un long exposé mais qui mérite aussi un long débat. Je ne suis pas spécialiste de ce secteur mais le modèle des 1 000 vaches ne me plaît pas. Il y a d'ailleurs beaucoup de rapport entre l'évolution du secteur laitier et l'évolution du secteur viticole avec l'arrivée des capitaux extérieurs et des vins de cépage orientés vers un produit standardisé.

M. Richard Yung. - Je sais toute l'importance des appellations d'origine. C'est une des très grandes forces de la France. Nous avons un niveau d'excellence, reconnu dans le monde entier, qui doit être absolument préservé. Je retiens aussi de l'exposé l'idée que les gens d'une même filière n'arrivent pas à parler ensemble, que nous restons dans la culture de l'affrontement. La grande force de l'Allemagne n'est pas dans les grandes fermes de 1 000 vaches mais bien dans cette capacité à débattre et à avancer ensemble.

M. Claude Haut. - Mon avantage était d'être totalement extérieur au secteur laitier et d'avoir un regard neutre. C'est pourquoi j'ai pensé que ce choix de l'expérimentation était possible. Ce n'était pas pour les multiplier mais pour voir comment ça marche, quitte à dresser un bilan économique et écologique après deux ou trois ans.

M. André Gattolin. - Mais la tonalité du rapport est très différente. On sent qu'il y a un parti pris.

M. Claude Haut. - L'expérimentation a pourtant un sens. Il faudra mesurer les résultats à la fin.

M. Michel Raison. - J'étais bien conscient que la Ferme des 1 000 vaches allait être un sujet de débat. C'est pourquoi nous avons choisi d'y aller pour voir effectivement ce qui se passait, pour voir les conditions d'élevage, pour y rencontrer le directeur et les éleveurs. Ce sont eux qui ont utilisé le mot « irrationnel ». Que disaient-ils exactement ? « Le lait de la grande ferme n'est pas ramassé parce que ce ne serait pas le même lait que les autres. » C'est ça qui est irrationnel. Ce sont les mêmes vaches, avec la même alimentation qui produisent le même lait. Cette opposition est irrationnelle. De même, casser 300 000 euros de matériel est irrationnel.

Je souhaite insister surtout sur le lien entre la grande ferme et les zones de déprise laitière. La grande ferme ne provoque pas la déprise mais, au contraire, est un moyen d'y faire face. Son implantation dans la Somme est une implantation dans une zone extrêmement fragile sur le plan laitier. C'est un moyen de maintenir une ambiance laitière dans une région où les fermes sont peu nombreuses et vont probablement se réduire encore. C'est un moyen de maintenir l'activité laitière.

Concernant les appellations d'origine, il y a une unanimité sur ce point. C'est évidemment notre cheval de bataille. Dans mon rapport, j'évoque une publicité sur une automobile qui se conclut par « C'est une Allemande ». En fait, cette voiture n'est pas meilleure qu'une voiture française mais elle a une image de qualité. Nous avons cette image-là dans le domaine laitier, avec une tradition laitière, des appellations protégées et des investissements en haute technologie. C'est cette image qu'il faut préserver et utiliser.

Attention toutefois à ne pas se leurrer. L'appellation d'origine n'est pas à elle seule une garantie de valorisation. Il y a des valorisations très fortes sur le Comté et le Beaufort par exemple, mais c'est beaucoup moins vrai sur le Cantal où, malgré l'AOC, le prix du lait est médiocre.

M. Jean Bizet, président. - Vous insistez aussi, avec raison, sur le deuxième pilier. En France, on ne sait pas utiliser le deuxième pilier et j'espère que la régionalisation améliorera les choses. Il est vrai que l'articulation entre contractualisation et organisation professionnelle n'a pas été très adaptée. Nous avons fait les contrats avant les OP, mais de nouvelles générations sont en préparation. Même s'il y a des réticences de la part des industriels, je crois aux OP territoriales de bassin. Il y a quelques années, le partage de la valeur ajoutée dans la filière agricole était d'un tiers pour le producteur, un tiers pour le fabricant, un tiers pour le distributeur. Aujourd'hui, la distribution capte la moitié de la valeur ajoutée. Il est impératif de rétablir un meilleur équilibre et les OP territoriales peuvent être un outil.

M. Michel Raison. - Vous faites bien de rappeler le rôle crucial de la grande distribution. Sous prétexte de défendre le consommateur, elle écrase les producteurs et les fabricants. Les négociations sont irréalistes, la grande distribution ne respecte pas les contrats ou prévoit des pénalités énormes. C'est un sujet bien connu. J'ajoute que pour la Commission européenne, nous avons exporté ce modèle partout en Europe et que ces difficultés franco-françaises sont maintenant des difficultés dans l'Union européenne.

M. Michel Billout. - J'adhère à la proposition de résolution européenne mais les sénateurs de mon groupe ne peuvent souscrire au rapport. Le passage sur la ferme des 1 000 vaches ne me convient pas.

M. André Gattolin. - Je suis sur la même position avec en outre une réserve sur la formulation du point 25 de la proposition de résolution européenne qui semble laisser aux seules régions le soin d'aider les secteurs en difficulté, comme s'il ne s'agissait pas d'un objectif national.

M. Jean Bizet, président. - Nous allons vous proposer une modification qui atténue ce clivage entre stratégie nationale et équilibre territorial.

Le rapport met bien en lumière que nous sommes à la veille d'une grande redistribution, qu'il ne faut pas se leurrer. Il y a des dynamiques laitières et des régions en déprise. Pour être encore plus clair, il y aura un jour des régions sans lait. Il y a un passage du rapport qui le dit clairement, les industriels ont annoncé qu'ils ne fermeront aucune usine mais qu'ils n'investiront pas. C'est la mort lente mais quasi-certaine pour ces régions.

Concernant la sécurisation des revenus des agriculteurs, qui est une demande de M. Emorine, il faut faire une analyse de notre modèle de politique agricole. La politique agricole commune (PAC) européenne et le Farm bill américain sont deux modèles opposés. L'un assure des primes, l'autre assure des revenus. La dernière réforme de la PAC de 2013 prévoit une clause de révision en 2016 qui est une clause financière. Ce sera le moment de poser les jalons d'une vraie réforme de la PAC.

La négociation du TTIP sera très importante pour les agriculteurs. Au-delà des appellations d'origine, il y a en effet une offensive américaine sur le terrain agricole. Il faut penser à une coopération avec l'Italie sur les signes de qualité.

Hélas, je pense que la financiarisation de l'agriculture est en marche. Les Sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (Safer) ont longtemps refusé l'apport de capitaux extérieurs mais les demandes se multiplient aujourd'hui. Le prix du foncier pourrait évoluer. Le rapport cite un prix du foncier de 60 000 euros l'hectare en Allemagne. C'est évidemment encore impensable en France. C'est aussi le résultat d'une politique allemande qui a équilibré l'activité agricole avec l'activité énergétique. Produire pour l'énergie est choquant. Le rapport cite le chiffre hallucinant de 400 000 hectares en Basse-Saxe consacrés aux cultures dédiées à la méthanisation. La France a eu raison de ne pas aller trop vite, et quand la France se lance dans la méthanisation, c'est plutôt à partir d'effluents d'élevages.

Je confirme que ma visite de la Ferme des 1 000 vaches m'a impressionné et rassuré. Je pense que la formule de l'expérimentation est la plus opportune.

À l'issue de ce débat, la commission a adopté à l'unanimité la proposition de résolution européenne.

Proposition de résolution européenne

1. Le Sénat,

2. Vu l'article 88-4 de la Constitution,

3. Vu le règlement (UE) n° 261/2012 du Parlement européen et du Conseil du 14 mars 2012 portant modification du règlement (CE) n° 1234/2007 du Conseil en ce qui concerne les relations contractuelles dans le secteur du lait et des produits laitiers, dit « paquet lait »,

4. Vu le règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles dit « règlement OCM unique »,

5. Vu le rapport de la Commission du 13 juin 2014 intitulé : « Évolution de la situation du marché des produits laitiers et de la mise en oeuvre du paquet lait » (COM (2014) 354),

6. - Sur le dispositif de régulation prévu par le règlement « OCM unique » :

7. Souligne que la Commission elle-même estime que « des doutes subsistent sur la capacité réglementaire de l'Union européenne à faire face à la volatilité des prix et à une situation de crise » ;

8. Appelle à mettre en oeuvre des filets de sécurité plus réactifs ;

9. Considère qu'un groupe de haut niveau constitué auprès de la Commission pourrait étudier la création d'un dispositif d'alerte ainsi que des modalités de régulation du secteur laitier en cas d'alerte ;

10. Souhaite que cette régulation prenne en compte les prix de revient des éleveurs, en dépit des difficultés de mesure ;

11. Rappelle que les prix de référence, prévus à l'article 7 du règlement « OCM unique » pour le beurre et la poudre de lait écrémé ont baissé de 50 % depuis 2000 en euros constants et ont aujourd'hui atteint un niveau humiliant pour les éleveurs ;

12. Souligne la nécessité d'ajuster ces prix afin qu'ils reflètent davantage les coûts de production ;

13. - Sur la négociation de l'accord de partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (TTIP) :

14. Souligne l'importance économique des appellations d'origine pour les filières agricoles en particulier françaises, et pour le secteur laitier ;

15. Considère que ces appellations sont un atout précieux dans la compétition mondiale ;

16. Insiste sur la nécessité de préserver ces appellations dans la négociation conduite par la Commission européenne et souhaite que le Gouvernement soit extrêmement vigilant sur ce point ;

17. Appelle à une coopération de la France avec ses partenaires européens intéressés par ce thème, notamment l'Italie ;

18. - Sur les dispositions du « paquet lait » :

19. Souligne que la mise en oeuvre du paquet lait est encore perfectible ;

20. Estime que le rôle des organisations de producteurs dans la négociation avec les transformateurs ne doit pas être négligé et est appelé à se renforcer avec la création de grandes organisations à vocation territoriale;

21. Considère que la contractualisation des livraisons de lait a été très utile aux relations entre éleveurs et fabricants et souhaite que lors de la négociation de nouveaux contrats, ces derniers prennent mieux en compte les coûts de production des éleveurs et les contraintes de marché des transformateurs.

22. - Sur la stratégie française de la filière laitière et les moyens de l'accompagner :

23. Considère que la fin des quotas laitiers va renouveler profondément le paysage laitier européen en libérant les dynamiques laitières de certains pays ;

24. Appelle, en conséquence, à mieux définir une véritable stratégie de filière ;

25. Souhaite distinguer plus clairement ce qui ressort de la stratégie nationale qui doit être orientée vers la compétitivité de la filière, et ce qui relève de l'équilibre des productions laitières sur le territoire, qui repose aussi sur les soutiens des régions ;

26. Appelle les régions à mobiliser les outils juridiques et budgétaires du 2ème pilier en faveur de leur filière laitière ;

27. Estime que dans le nouveau contexte laitier, les éleveurs ont un besoin impérieux de formation à la gestion des entreprises et à la gestion financière pour les familiariser aux fluctuations du marché et à la volatilité des prix qui en découle ;

28. Souhaite que les autorités chargées de la formation impliquent les structures professionnelles et syndicales dans cette mission.

L'autorisation de publier le rapport d'information accompagnant la proposition de résolution est accordée. Il est paru sous le numéro 556.