Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte européen
Examen : 27/11/2014 (commission des affaires européennes)

Ce texte a fait l'objet de la proposition de résolution : n° 73 (2014-2015) : voir le dossier legislatif


Institutions européennes

Examen de la proposition de résolution européenne n° 73
sur l'expression des parlements nationaux lors du renouvellement
de la Commission européenne

Rapport de M. Robert Navarro

(Réunion du 27 novembre 2014)

M. Jean Bizet, président. - Nous allons maintenant entendre le rapport de notre collègue Robert Navarro sur la proposition de résolution européenne qu'il a lui-même déposée sur l'expression des parlements nationaux lors du renouvellement de la Commission européenne.

La procédure de désignation de la Commission européenne est aujourd'hui achevée. La Commission Juncker a été approuvée par le Parlement européen et investie par le Conseil européen.

Il est exact que cette procédure, bien que fort longue, n'associe pas les parlements nationaux. C'est l'objet de la proposition de résolution européenne, dont nous allons débattre, de le prévoir. Bien sûr, une association éventuelle des parlements nationaux ne pourrait être envisagée qu'à l'occasion du prochain renouvellement de la Commission, c'est-à-dire en 2019.

Je donne la parole à notre rapporteur.

M. Robert Navarro. - Je rappelle tout d'abord que le mandat de la Commission sortante a pris fin le 31 octobre 2014. La nouvelle Commission a pris ses fonctions le 1er novembre 2014 pour un mandat de cinq ans.

Elle reste composée de 28 membres, y compris son président et le Haut Représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité. En mai 2013, le Conseil européen a en effet rétabli la composition initiale d'un membre par État membre. Cette décision a répondu aux engagements du Conseil européen de décembre 2008 prenant acte du rejet du traité de Lisbonne par le référendum irlandais.

La procédure de renouvellement de la Commission européenne comprend plusieurs étapes.

Tout d'abord, le président de la Commission est« élu » par le Parlement européen sur proposition du Conseil européen. Celui-ci statue à la majorité qualifiée. Il doit proposer au Parlement européen un candidat à la fonction de président de la Commission « en tenant compte des élections au Parlement européen, et après avoir procédé aux consultations appropriées » (art. 17 du TUE). Le candidat est élu par le Parlement à la majorité des membres qui le composent.

Le choix du Conseil a été fait le 27 juin 2014. Il s'est en définitive porté sur le candidat, M. Jean-Claude Juncker, qui avait été désigné par le parti politique qui est arrivé en tête des élections européennes de mai 2014.

L'élection du président de la Commission européenne par le Parlement européen constitue l'une des innovations importantes du traité de Lisbonne. Le 15 juillet 2014, le Parlement a élu Jean-Claude Juncker président de la prochaine Commission européenne avec 422 voix pour. Au total, 422 députés ont voté en faveur de M. Juncker, 250 contre, et 47 se sont abstenus.

Ensuite, le Conseil devait adopter, d'un commun accord avec le président de la Commission élu, la liste des autres personnalités qu'il proposait de nommer membres de la Commission jusqu'au 31 octobre 2019.

Le 30 août 2014, le Conseil européen, en accord avec le nouveau président de la Commission européenne, a élu Mme Federica Mogherini Haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité.

Sur la base des propositions des États membres, le Conseil de l'Union, toujours en accord avec le nouveau président, a adopté, le 5 septembre 2014, la liste des membres de la Commission.

Cette liste a ensuite été soumise au Parlement européen. Bien que, selon les traités, le Parlement européen donne (ou refuse) son approbation à la Commission « en tant que collège », en pratique, le Parlement européen auditionne individuellement les commissaires pressentis et peut obtenir des modifications de la liste.

Un cycle d'auditions s'est déroulé du 29 septembre au 7 octobre 2014. Il a été précédé de l'envoi de questionnaires aux commissaires pressentis. Au total, seule Mme Alenka Bratusek, la commissaire slovène, a été récusée. À la suite de son audition, le commissaire hongrois, M. Tibor Navracsics, a vu son portefeuille modifié avec le retrait du thème de la citoyenneté.

Après l'audition des commissaires par les commissions compétentes, le Parlement a approuvé la nouvelle Commission le 22 octobre. 423 députés ont voté pour l'approbation, 209 contre, et 67 se sont abstenus. Sur la base de cette approbation, la Commission a été investie formellement par le Conseil européen statuant à la majorité qualifiée lors de sa session des 23 et 24 octobre.

Les délais de mise en place de la nouvelle Commission sont assez longs : cinq mois depuis les élections européennes. Or, force est de constater que, durant ce délai, les parlements nationaux n'ont en aucune manière été associés à la procédure. En particulier, les deux assemblées n'ont pas été consultées avant que le candidat français ne soit proposé.

Cette situation ne me paraît pas satisfaisante pour au moins trois motifs.

L'importance pour le bon fonctionnement de l'Union du contrôle exercé par les parlements nationaux est reconnue par les traités européens.

Ils doivent en particulier veiller au respect du principe de subsidiarité susceptible d'être mis en cause par la législation européenne. Parallèlement, les parlements nationaux ont développé un dialogue politique direct avec la Commission européenne. Notre commission joue elle-même un rôle actif dans ce dialogue politique.

Sur ces bases, la coopération entre parlements nationaux s'est considérablement développée. Le protocole sur le rôle des parlements nationaux a en particulier officialisé le rôle de la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires, la COSAC, créée en 1989, en matière d'échange d'informations et de bonnes pratiques entre les parlements.

En outre, la vie politique européenne et les vies politiques nationales sont désormais étroitement imbriquées.

De ce fait, l'action de la Commission européenne a des incidences importantes sur les vies politiques nationales. Son monopole de l'initiative législative confère une position de force à la Commission européenne pour inspirer les législations européennes, en particulier les directives qui doivent ensuite être transposées dans le droit national, bien souvent à travers une loi votée par le parlement.

Le traité de Lisbonne a par ailleurs reconnu à la Commission des compétences pour adopter des actes délégués et des actes d'exécution.

Parallèlement à son rôle dans la législation européenne, la Commission européenne joue un grand rôle dans la surveillance budgétaire et la coordination des politiques économiques.

Enfin, les dernières élections européennes ont été marquées par une forte poussée des partis eurosceptiques ou europhobes.

Avant même ces élections, ce climat de défiance avait été mesuré dans les enquêtes d'opinion. Selon l'enquête Eurobaromètre de l'automne 2013, deux tiers des Européens pensaient que leur voix ne comptait pas dans l'Union européenne (59 % en France). Dans plusieurs États membres, le pessimisme l'emportait sur le futur de l'Union européenne. En France, 56 % des personnes interrogées faisaient part de leur pessimisme.

Cette défiance de beaucoup de nos concitoyens à l'égard de la construction européenne rend plus que jamais nécessaire de renforcer les procédures pour asseoir la légitimité démocratique des institutions européennes. À l'évidence, les parlements nationaux peuvent jouer un rôle essentiel dans ce sens en contribuant à rapprocher les institutions européennes des citoyens. Le rapport établi au nom de notre commission par notre ancien collègue Pierre Bernard-Reymond sur l'avenir de la construction européenne l'avait parfaitement souligné.

Sans alourdir une procédure déjà compliquée, la proposition de résolution européenne qui vous est soumise préconise deux voies pour associer les parlements nationaux :

- d'une part, les parlements nationaux pourraient se voir reconnaître la faculté de s'exprimer collectivement lors du renouvellement de la Commission européenne ; cette expression collective pourrait s'appuyer en particulier sur la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (COSAC) et sur la Conférence interparlementaire prévue à l'article 13 du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG). Les parlements nationaux pourraient ainsi avoir un échange et faire connaître ensuite leurs priorités tout à la fois sur le profil des futurs commissaires et sur les orientations que la nouvelle Commission sera appelée à mettre en oeuvre ;

- d'autre part et dans le même esprit, à l'échelon national, il conviendrait de prévoir une consultation des organes compétents des deux assemblées, à savoir les commissions des affaires européennes, avant de proposer le candidat français.

Je rappelle que depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, les commissions permanentes se prononcent sur certaines nominations et, le cas échéant, peuvent s'y opposer. En vertu de la loi du 23 juillet 2010, les commissions des lois sont par exemple appelées à se prononcer sur la nomination du Défenseur des droits, et de certains membres du Conseil supérieur de la magistrature et du Conseil constitutionnel. Les commissions en charge de la culture émettent un avis sur la nomination du président du Conseil supérieur de l'audiovisuel.

Compte tenu du rôle important que le commissaire français est appelé à jouer au sein du collège des commissaires, il paraît nécessaire que, dans le même esprit, une procédure de consultation des organes compétents des deux assemblées soit prévue avant sa nomination. Cette procédure permettrait au Parlement, notamment dans le cadre d'une audition du candidat, d'évaluer son parcours et son adéquation au poste de commissaire, et d'avoir un échange sur les priorités qu'il entend mettre en oeuvre dans ses nouvelles fonctions.

Voilà les motifs de cette proposition de résolution européenne que je vous propose d'adopter sans modification.

M. Jean-Yves Leconte. - Je suis fédéraliste. La Commission européenne défend l'intérêt général européen. Les commissaires ne doivent pas représenter leur pays. Autant il me paraît important que l'Union européenne se démocratise, autant je considère que c'est au Parlement européen d'auditionner les commissaires pressentis.

Le processus de désignation de la Commission qui vient de s'achever a marqué un progrès considérable pour la démocratie. Le parti socialiste européen a fait admettre que le parti arrivé en tête des élections européennes devait désigner le candidat au poste de président de la Commission européenne. C'est une erreur de dire que le processus n'est pas démocratique. Ce discours a induit en erreur les électeurs qui n'ont pas compris que leur vote aurait une influence très grande sur le choix final.

Le maintien d'un commissaire par État membre me paraît par ailleurs constituer un manque de respect pour ce que doit être l'Union européenne.

Pour ces motifs, je ne peux pas être d'accord sur le fond avec cette proposition de résolution européenne.

M. Yves Pozzo di Borgo. - Je suis aussi fédéraliste, mais je considère qu'il faut créer un Sénat européen composé de représentants des parlements nationaux. Il existe une déconnexion entre le travail important qui est réalisé par le Parlement européen et l'opinion publique. Cette proposition de résolution européenne me paraît constituer un bon moyen de mieux intégrer les parlements nationaux dans le fonctionnement de l'Union européenne.

Mme Colette Mélot. - Le processus qui vient de s'achever me paraît marquer un vrai progrès démocratique. Mais je suis choquée du refus par le Parlement européen de la Commissaire slovène pressentie Mme Alenka Bratusek. Cette situation aurait pu être évitée si le parlement slovène s'était exprimé au préalable. La Slovénie n'aurait pas alors choisi une candidate qui avait démissionné de son poste de Premier ministre et qui n'avait plus de légitimité au Parlement.

M. Pascal Allizard. - Ce texte me paraît aller dans le bon sens. Il est en effet nécessaire de mieux communiquer vis-à-vis de l'opinion publique. La création d'un Sénat européen serait une bonne chose.

M. René Danesi. - Je suis un peu revenu du fédéralisme. Je ne peux souscrire à l'idée d'une consultation des organes compétents des deux assemblées sur le commissaire français pressenti. En outre, une expression collective des parlements nationaux sur la désignation de la Commission européenne allongerait considérablement les délais.

Tout cela me semble manquer de visibilité. Nous sommes dans une société où tout le monde se mêle de tout. Le pouvoir est partout mais la responsabilité nulle part !

M. Michel Billout. - Je suis embarrassé par cette proposition de résolution européenne. Dans le principe, je suis favorable à un renforcement des pouvoirs du Parlement européen. Le processus qui vient de s'achever va dans le bon sens. Mais je souhaite que le Parlement européen dispose de plus de pouvoirs en matière budgétaire. Cependant, je considère que les prérogatives de la Commission pour prendre des actes délégués et des actes d'exécution devraient être réduites. Je crains que le texte qui nous est proposé ne renforce le poids de la Commission européenne qui n'est pas composée d'élus. Dans ces conditions, je m'abstiendrai.

M. Yves Pozzo di Borgo. - Une expression collective des Parlements nationaux sur la désignation de la Commission européenne constituerait une bonne préfiguration d'un futur Sénat européen. Il est nécessaire de faire évoluer le rôle de la COSAC dans ce sens.

M. Robert Navarro. - Cette proposition de résolution européenne est une réponse à ce que nous entendons tous dans nos départements respectifs. L'Union européenne est le moyen d'apporter les réponses aux difficultés de l'heure. Elle peut apporter une plus-value pour chaque État membre mais nous devons veiller à améliorer son fonctionnement. La procédure suivie pour la désignation de la Commission Juncker est un premier pas mais il ne faut pas en rester là. Le parlement doit être consulté sur le choix de celui qui, qu'on le veuille ou non, représentera l'influence française au sein de l'institution européenne. À défaut, la désignation du commissaire français constitue le pur fait du prince.

Je suis pragmatique. Il faut rendre l'Union européenne plus performante et permettre qu'elle soit mieux perçue par les citoyens. Il ne faut pas laisser le terrain aux démagogues !

À l'issue de ce débat, la commission a adopté par dix voix pour, une voix contre et deux abstentions, le rapport et la proposition de résolution européenne, sans modification.

Proposition de résolution européenne

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la lettre de consultation du Conseil de l'Union européenne au Parlement européen datée du 8 septembre 2014 (document PE 538.253/CPG),

Vu les articles 10 et 12 du traité sur l'Union européenne et le protocole n° 1 annexé à ce traité,

Vu l'article 13 du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l'Union européenne,

Considérant le rôle de la Commission européenne dans l'élaboration de la législation européenne et l'adoption de ses mesures d'exécution ;

Considérant également le rôle de la Commission européenne dans la surveillance budgétaire et la coordination des politiques économiques ;

Estimant qu'au vu de ce rôle, les parlements nationaux devraient disposer d'une possibilité d'expression lors des renouvellements de la Commission européenne ;

Invite le Gouvernement :

- à agir auprès des institutions européennes pour permettre, à l'avenir, une expression collective des parlements nationaux au moment de la formation d'une nouvelle Commission européenne ;

- à prévoir une consultation des organes compétents des deux assemblées avant de proposer un candidat dans le cadre du deuxième alinéa du paragraphe 7 de l'article 17 du traité sur l'Union européenne.