COM (2014) 221 final  du 15/04/2014

Contrôle de subsidiarité (article 88-6 de la Constitution)

Examen : 06/05/2014 (commission des affaires européennes)


Le texte COM 221 vise à créer une plateforme européenne destinée à améliorer la coopération à l'échelle de l'Union européenne pour prévenir et lutter plus efficacement contre le travail non déclaré. La Commission européenne estime que ce phénomène affecte les conditions de travail, instaure une concurrence déloyale et grève les finances publiques. Elle juge que cette question n'est examinée à l'échelle de l'Union que de manière sporadique, sans aucune coordination, au niveau de groupes de travail et de comités. Il convient de rappeler qu'en 2013 plus d'un Européen sur dix reconnaissait avoir acquis des biens ou sollicité des services en ayant recours au travail non déclaré au cours de l'année précédente et 4 % d'entre eux admettaient avoir effectué un travail non déclaré.

La Commission européenne propose en conséquence une initiative plus ambitieuse consistant à réunir les différents organes nationaux qui interviennent dans la lutte contre le travail non déclaré au sein d'une plateforme. Les inspections du travail et des impôts, les organismes de sécurité sociale, les offices de contrôle des migrations et les partenaires sociaux seraient notamment associés à ce dispositif.

Cette plateforme permettrait ainsi :

- de constituer un espace facilitant le partage de l'information et des bonnes pratiques entre les experts alors que les contacts demeurent encore limités ;

- d'étudier les moyens à mettre en oeuvre afin de résoudre des problèmes communs, à l'image du faux travail indépendant et du travail non déclaré dans les chaînes de sous-traitance ;

- d'aborder des aspects transnationaux, via l'amélioration des échanges de données entre les administrations nationales ;

- de renforcer la coopération opérationnelle, en développant notamment des sessions communes de formation, d'échange de personnel ou d'inspections ;

- d'élaborer des principes communs et des lignes directrices en matière d'inspection pour lutter contre le travail non déclaré;

Cette initiative rejoint les préoccupations exprimées par le Parlement européen dans sa résolution du 14 janvier 2014 qui invitait à une amélioration de la coopération et à un renforcement des services d'inspection du travail pour lutter contre le travail non déclaré. La commission des affaires européennes partage largement ces objectifs comme en ont témoigné ses récents travaux sur le détachement des travailleurs ou le dumping social dans les transports. Le renforcement de la coopération entre les États ou la mise en oeuvre d'une réflexion commune sur les chaînes de sous-traitance ou le travail indépendant étaient au coeur des résolutions qu'elle a adoptées.

Le groupe de travail a donc estimé qu'il n'y avait pas lieu de soulever des réserves sur ce texte au titre du principe de subsidiarité.


Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 18/04/2014
Examen : 04/06/2014 (commission des affaires européennes)


Travail

Texte E 9313

Mise en place d'une plateforme européenne dans l'objectif de renforcer la coopération visant à prévenir et à décourager le travail non déclaré

COM (2014) 221 final

Communication de M. Éric Bocquet

(Réunion du 4 juin 2014)

M. Simon Sutour, président. - Nous allons entendre notre collègue Éric Bocquet qui va nous présenter une communication sur le détachement des travailleurs.

Je rappelle qu'Éric Bocquet suit cette importante question au sein de notre commission. Son rapport d'information d'avril 2013 avait mis en évidence l'existence de pratiques tout à fait inacceptables. Son analyse soulignait que l'absence de dispositions concrètes en matière de contrôles dans la directive de 1996 expliquait très largement l'explosion des fraudes. Sur sa proposition, le Sénat a adopté une proposition de résolution en octobre 2013. Plus récemment, nous avons voté en séance publique une proposition de loi qui renforce les moyens disponibles pour combattre plus efficacement les fraudes.

Le 10 avril dernier, Éric Bocquet nous a présenté ici-même un rapport d'information sur le dumping social dans les transports européens qui était accompagné d'une proposition de résolution, devenue résolution du Sénat le 15 mai dernier. Ce rapport nous a édifiés à nouveau sur certaines pratiques qui portent ouvertement atteinte aux droits des salariés.

Des négociations difficiles ont par ailleurs eu lieu pour parvenir à un accord sur la directive dite d'exécution sur le détachement des travailleurs. Ce texte est très important puisqu'il doit en particulier définir les modalités des contrôles sur les procédures de détachement. Un accord a finalement pu être dégagé au sein du Conseil et avec le Parlement européen.

La communication d'Éric Bocquet présente donc un grand intérêt puisque notre collègue va nous exposer le contenu de cet accord et en évaluer la portée pour les droits des travailleurs détachés.

Je lui donne la parole.

M. Éric Bocquet. - Lorsque je vous ai présenté l'an dernier le projet de directive d'exécution de la Commission européenne destinée à prévenir les risques de fraude au détachement des travailleurs, j'avais exprimé mes réserves sur le contenu du dispositif, qui ne me semblait pas répondre totalement aux préoccupations des travailleurs mais aussi des entreprises confrontées à des problèmes de concurrence déloyale. Compte tenu des rapports de force au sein du Conseil, partagé entre les tenants d'un dispositif a minima - en premier lieu le Royaume-Uni et les pays entrés au sein de l'Union européenne en 2004 - et, inversement, les pays enclins à un renforcement des contrôles en amont conduits par la France, je vous avais également fait part de mes doutes quant à une adoption rapide du texte. Chacun de ces groupes d'États disposait en effet d'une minorité de blocage. Ce scepticisme a été largement partagé au sein de notre Assemblée, puisque la résolution de notre commission sur le sujet a été adoptée à l'unanimité en séance publique le 16 octobre 2013.

De longues négociations ont permis aux États de parvenir à un compromis le 9 décembre dernier. Le ralliement de la Pologne à ce compromis a permis de dépasser les dissensions. Le Royaume-Uni, l'Estonie, la Hongrie, la Lettonie, Malte, la République tchèque et la Slovaquie ont cependant voté contre. Un accord a ensuite pu être trouvé avec le Parlement européen le 27 février en trilogue. Le texte définitif a été adopté le 16 avril par le Parlement européen et le 7 mai au COREPER I.

Abordons en premier lieu les deux principales difficultés rencontrées au cours de ces négociations. Les articles 9 et 12 ont longtemps constitué la pierre d'achoppement entre les États.

La rédaction initiale de l'article 9 prévoyait une codification de la jurisprudence communautaire en matière de contrôle. Une liste précise de mesures pouvant être imposées par l'État membre d'accueil à une entreprise étrangère qui détache des salariés sur son territoire était ainsi déterminée. Une société peut ainsi être tenue de déclarer un détachement, au plus tard au début de la prestation. Elle est obligée de conserver et de fournir pendant toute la durée du détachement le contrat de travail, les fiches de paie, les relevés d'heures ou les preuves du paiement des salaires. Elle est enfin amenée à désigner un correspondant chargé de négocier au nom de l'employeur avec les partenaires sociaux du pays d'accueil. Aucune autre disposition ne pouvait être imposée à une entreprise qui détache, l'impact de ces mesures devant être analysé par la Commission européenne trois ans après leur entrée en vigueur. Un certain nombre d'États membres à l'instar de la France, de l'Allemagne, de la Belgique, de l'Espagne, de la Finlande ou des Pays-Bas militaient quant à eux pour une liste ouverte de contrôles. La résolution du Sénat appuyait cette demande. Il convient d'être en effet le plus réactif possible face à des mécanismes de fraude de plus en plus complexes.

La rédaction définitive de l'article 9 répond en large partie à cette demande. Le principe d'une liste ouverte est reconnu. Je relève, en outre, que si la Commission doit être informée de toute nouvelle mesure, il ne s'agit pas pour autant de l'introduction d'un dispositif de préautorisation, comme en témoigne un considérant et surtout l'amendement au texte présenté par le Parlement européen. Celui-ci insiste pour que les mesures de contrôles soient « communiquées » et non « notifiées » à la Commission.

L'article 12 du projet de directive instituait, quant à lui, un mécanisme de responsabilité solidaire du donneur d'ordre, limité au sous-traitant direct. Il s'agissait de renforcer la protection des travailleurs du secteur de la construction principalement concerné par le phénomène de sous-traitance. La France et ses partenaires souhaitaient une extension du mécanisme de responsabilité solidaire pour le donneur d'ordre à tous les secteurs d'activité mais aussi à l'ensemble de la chaîne de sous-traitance. La rédaction finale reste moins ambitieuse. Le mécanisme de responsabilité solidaire est limité au secteur de la construction. Le contractant dont l'employeur est un sous-traitant direct peut être tenu responsable par le travailleur détaché pour les questions relatives au salaire et au versement de cotisations sociales. Toute la chaîne de sous-traitance n'est donc pas visée par le nouveau dispositif. En l'espèce, dans le cas de l'EPR de Flamanville, Bouygues pourrait n'être responsable que du premier échelon de la chaîne et ne pas se sentir concernée par le sort des travailleurs polonais, placés eux au quatrième échelon. À défaut d'un tel mécanisme, l'État peut mettre en place d'autres mesures d'exécution entraînant des sanctions effectives et proportionnées. Si la directive d'exécution laisse la possibilité à un État membre d'étendre ce dispositif à d'autres secteurs, une telle liberté ne concourt pas à une harmonisation des contrôles et occulte de fait l'augmentation du recours au détachement dans des secteurs tels que l'agriculture, les transports ou l'événementiel. La question de la taille des chaînes de sous-traitance n'est pas non plus abordée, une limitation de celle-ci à trois échelons, comme cela a pu être mis en place en Allemagne et en Espagne, permettrait pourtant de juguler les risques de fraude. La résolution du Sénat insistait d'ailleurs sur ce point.

Venons-en maintenant aux demandes de notre Assemblée telles qu'exprimées dans la proposition de résolution.

Je relève que les États comme le Parlement européen ont partagé notre point de vue en ce qui concerne la défense au niveau judiciaire des intérêts des travailleurs détachés. L'article 11 de la directive d'exécution offre en effet aux syndicats professionnels, aux syndicats de salariés et aux associations la possibilité de se constituer partie civile dans certaines affaires, pour le compte ou à l'appui du travailleur détaché, avec son accord préalable. Compte tenu des pressions que peuvent subir certains travailleurs, cette faculté est indispensable. Il s'agira à la fois de défendre la situation des travailleurs détachés, dont la situation est parfois proche de l'esclavage moderne - je pense notamment aux travailleurs agricoles roumains en Calabre, recrutés via des agences d'intérim puis détachés - mais aussi de garantir les intérêts de certains corps de métier fragilisés par cette concurrence déloyale.

Nous avions également exprimé nos réserves sur le délai de transmission de documents d'un État membre à l'autre dans le cadre de la coopération administrative. Le projet de la Commission européenne obligeait les États à répondre dans les deux semaines qui suivent la réception d'une demande d'information d'un de leurs partenaires. Nous avions estimé que ce délai de 15 jours était irréaliste car trop court. La résolution du Sénat insistait pour le porter à un mois. L'article 6 a finalement porté ce délai à 25 jours ce qui semble satisfaisant. Une procédure d'urgence est prévue obligeant à un échange d'informations sur deux jours.

La mise en place de cette coopération vient compléter l'article 4 du dispositif. Celui-ci prévoit que les autorités de contrôle des États membres relèvent un certain nombre d'éléments en vue d'apprécier si l'entreprise qui détache ses salariés exerce réellement une activité substantielle dans le pays où elle est affiliée : lieu d'établissement du siège, lieu de recrutement, lieu d'exercice de l'activité, nombre de contrats exécutés ou montant du chiffre d'affaire réalisé dans l'État d'établissement notamment. Il s'agit de définir un faisceau d'indices pour déterminer la réalité du détachement et vérifier que l'entreprise ne soit pas une simple boîte aux lettres ou une coquille vide. Le format retenu est celui d'une liste non exhaustive d'éléments de qualification. Ce qui a suscité un certain nombre de réserves de la part des « nouveaux États membres » et du Royaume-Uni. Une liste fermée aurait permis, à leurs yeux, d'alléger les charges administratives portant sur les entreprises concernées. La France et ses alliés au sein du Conseil ont souligné la nécessité de mettre en place, comme dans le cadre de l'article 9, une liste ouverte. Il s'agit une nouvelle fois de prévenir les risques de fraude et de s'adapter à l'ingénierie sociale en la matière.

Le Parlement européen a par ailleurs obtenu au sein de cet article la référence à la Convention de Rome, transposée en 2008 dans la législation européenne. Nous l'avons vu il y a quelques semaines lors de l'examen de la situation sociale dans les transports européens, ce dispositif est d'une importance capitale pour déterminer le droit applicable aux travailleurs exerçant leur activité en dehors de leur pays de résidence ou de celui d'établissement de leur entreprise. Le règlement dit Rome I établit qu'un salarié ne peut être privé du bénéfice des dispositions obligatoires que lui accorde l'État membre dans lequel ou à partir duquel il accomplit habituellement son travail. Aux termes du 11ème considérant et de l'article 4 de la directive d'exécution, Rome I s'applique si le détachement ne peut être totalement caractérisé. Le raisonnement est simple : c'est dans l'État au sein duquel il opère que le travailleur exerce sa fonction économique et sociale que l'environnement professionnel et politique influence l'activité de travail. Dès lors, le respect des règles de protection du travail prévues par le droit de ce pays s'impose.

Le 33ème considérant de la directive d'exécution insiste, quant à lui, sur la nécessité de promouvoir une approche plus intégrée en matière d'inspections du travail. Le texte invite ainsi à définir des normes communes dans l'optique de la mise en place de méthodes, de pratiques et de standards minimaux comparables à l'échelle de l'Union.

Je constate que cette invitation à mieux coordonner les travaux des inspections du travail ne constitue pas un voeu pieux puisque notre commission a été saisie le 18 avril dernier, dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution, d'une proposition de décision visant à créer une plateforme européenne destinée à améliorer la coopération à l'échelle de l'Union européenne pour prévenir et lutter plus efficacement contre le travail non déclaré. Il s'agit du texte E 9313. La Commission européenne estime, en effet, que ce phénomène affecte les conditions de travail, instaure une concurrence déloyale et grève les finances publiques. Elle juge que cette question n'est examinée à l'échelle de l'Union que de manière sporadique, sans aucune coordination, au niveau de groupes de travail et de comités. Il convient de rappeler qu'en 2013 plus d'un Européen sur dix reconnaissait avoir acquis des biens ou sollicité des services en ayant recours au travail non déclaré au cours de l'année précédente et 4 % d'entre eux admettaient avoir effectué un travail non déclaré.

La Commission européenne propose en conséquence une initiative plus ambitieuse consistant à réunir les différents organes nationaux qui interviennent dans la lutte contre le travail non déclaré au sein d'une plateforme. Les inspections du travail et des impôts, les organismes de sécurité sociale, les offices de contrôle des migrations et les partenaires sociaux seraient notamment associés à ce dispositif.

Cette plateforme permettrait ainsi :

- d'abord de constituer un espace facilitant le partage de l'information et des bonnes pratiques entre les experts alors que les contacts demeurent encore limités ;

- ensuite d'étudier les moyens à mettre en oeuvre afin de résoudre des problèmes communs, à l'image du faux travail indépendant et du travail non déclaré dans les chaînes de sous-traitance ;

- puis d'aborder des aspects transnationaux, via l'amélioration des échanges de données entre les administrations nationales ;

- mais aussi de renforcer la coopération opérationnelle, en développant notamment des sessions communes de formation, d'échange de personnel ou d'inspections ;

- et enfin d'élaborer des principes communs et des lignes directrices en matière d'inspection pour lutter contre le travail non déclaré.

Cette initiative rejoint les préoccupations exprimées par le Parlement européen dans sa résolution du 14 janvier 2014 qui invitait à une amélioration de la coopération et à un renforcement des services d'inspection du travail pour lutter contre le travail non déclaré.

Il me semble que ce texte vient judicieusement compléter la directive d'exécution sur le détachement des travailleurs en dressant les contours d'une coopération entre États enfin adaptée aux enjeux de la fraude au détachement. Je vous propose dans ces conditions que notre commission lève la réserve d'examen parlementaire sur ce dispositif.

Compte tenu de ces éléments et même si la directive d'exécution manque un peu d'ambition, notamment en ce qui concerne l'article 12, nous pouvons nous estimer globalement satisfaits du texte finalement adopté. Il répond en large partie à nos préoccupations et peut même paraître inespéré, au regard des dissensions qui ont divisé le Conseil pendant plus d'un an et demi. Sans remettre en cause le principe du détachement qui profite, il faut le rappeler à 300 000 travailleurs français chaque année, la directive d'exécution devrait, je l'espère, éviter à des marchands de main d'oeuvre mobile et « low cost » de prospérer. Même si, bien évidemment, la question des cotisations sociales versées au pays d'envoi, n'est pas abordée. Ce que je regrette. Mais il s'agit là d'un autre débat.

M. Simon Sutour, président. - Je vous remercie, cher collègue, d'avoir décortiqué ce nouveau dispositif pour nous présenter les nouveautés qu'il comporte en vue de lutter plus efficacement contre la fraude. Force est de constater que l'on avance petit à petit, même si le rythme peut être à raison considéré comme trop lent. Je rappelle que notre commission est grandement impliquée dans ce dossier depuis plus de trois ans et l'adoption d'un avis motivé sur le règlement dit Monti II, qui concernait plus spécifiquement le droit de grève des travailleurs détachés. J'insiste sur cette prise de position au titre de la subsidiarité, car elle avait permis avec le concours d'autres parlements nationaux d'adresser un « carton jaune » à la Commission européenne l'invitant à revoir le dispositif qu'elle présentait. Tant est si bien que la Commission a fini par retirer son projet de texte...

Un mot sur la levée de la réserve d'examen parlementaire sur le texte E 9313 que vous appelez de vos voeux dans votre communication. Si notre commission lève sa réserve, cela permettra au gouvernement de prendre position au Conseil sur le texte. Je précise que je peux être appelé à donner mon accord à la levée de la réserve d'examen parlementaire lorsque je suis saisi par le Gouvernement de demandes en urgence. Il s'agit la plupart du temps de textes mineurs. Mais je m'étais opposé par le passé à une levée de cette réserve d'examen, sous le précédent quinquennat. Elle concernait un projet d'accord avec les États-Unis visant les « PNR », ces données personnelles des passagers de vols aériens, transmises par les compagnies aériennes aux autorités américaines. Le gouvernement de l'époque avait pris acte de notre refus et s'était abstenu au Conseil. Chaque fois que possible, je soumets la question de la levée de la réserve d'examen parlementaire à la délibération de notre commission.

M. Yannick Botrel. - Je félicite le rapporteur pour sa présentation de la directive d'exécution. La directive de 1996 sur le détachement est à la fois une idée originale et généreuse puisqu'elle permet de travailler au sein d'autres États membres. On voit bien cependant que cette idée intéressante a, depuis, été dévoyée. Il ne s'agit pas pour autant de tomber aujourd'hui dans le travers consistant à stigmatiser les travailleurs étrangers mais plutôt d'assurer une plus grande justice sociale.

Nous avons tous été interpellés dans nos départements sur cette question. J'ai ainsi assisté avec d'autres parlementaires à une réunion de la CAPEB qui réunit les entreprises du bâtiment qui ont insisté sur les dérives constatées. La Chambre des métiers des Côtes d'Armor nous a indiqué de son côté que ce phénomène était de moins en moins marginal, y compris à l'Ouest de la France, qui n'est pas pourtant une zone transfrontalière et semblait moins exposée. Les syndicats nous ont également alertés sur les fraudes.

Je le répète, le principe même du dispositif n'est pas négatif. Il a ainsi permis à des abattoirs de recruter des personnels en Bretagne alors qu'ils étaient confrontés à un manque de main d'oeuvre. Reste que la fraude et la concurrence déloyale qu'elle génère même si elle demeure pour l'heure d'une ampleur limitée ont un effet dévastateur au sein de l'opinion publique.

Je suis bien sûr satisfait des avancées décrites par le rapporteur dans sa communication. Je m'interroge néanmoins sur les moyens d'appliquer ce nouveau dispositif. Certains États manquent réellement de moyens et parfois de volonté pour mettre en oeuvre des contrôles efficaces. Les difficultés économiques qu'ils traversent font que le détachement même mal encadré constitue également une réponse au problème de l'emploi.

M. Richard Yung. - Je remercie notre collègue. Je me réjouis tout d'abord de voir que l'Europe sociale enregistre enfin une avancée. Cela fait trente ans que nous attendons qu'elle s'incarne ! L'accord obtenu me semble plutôt bon.

Reste le vrai problème, celui des contrôles. On bute sur l'effectivité de ceux-ci, y compris dans les pays qui semblent les plus avancés en la matière. Comment faire en France pour suivre ainsi les 300 000 travailleurs détachés déclarés ou non qui opèrent sur notre territoire. Il faudrait quasiment une armée !

Mme Catherine Tasca. - Je rebondis sur ce que vient de dire Richard Yung sur l'efficacité des contrôles. Il semble par ailleurs exister aujourd'hui un véritable « business » autour des travailleurs détachés, avec la mise en place de filières permettant de recruter partout dans le monde ce type de salariés. Quelle est l'ampleur de ce phénomène ?

M. Éric Bocquet. - Je partage les observations de mes collègues. Nous avons en effet été sollicités dans nos départements sur cette question. J'ai moi-même rencontré plusieurs entreprises du bâtiment mais aussi du secteur des transports, confrontées à des problèmes de concurrence déloyale et menacées de disparaître.

Avec ce texte, quelque chose vient néanmoins de s'enclencher en faveur d'un meilleur encadrement du dispositif. Même si la question des contrôles reste entière. Le premier président de la Cour des comptes indiquait hier lors d'une réunion de la commission des finances que certains organes de l'État n'étaient plus en mesure financièrement d'accomplir leurs missions de contrôle, notamment en matière sanitaire. Nous sommes en droit de nous interroger sur le renforcement du rôle de l'inspection du travail dans la lutte contre la fraude au détachement. Il s'agit désormais d'avoir une véritable volonté politique en vue de mettre en oeuvre la directive d'exécution qui vient d'être adoptée. Il faut notamment s'adapter aux nouvelles filières et aux nouvelles technologies. Je pense notamment aux plateformes électroniques de cabotage. Pour répondre à la question de Mme Tasca, il existe à titre d'exemple une société espagnole, Terra Fecundis, qui recrute des employés agricoles en Amérique latine et les fait travailler en Europe, à des conditions défiant toute concurrence, notamment en France. Le chiffre d'affaires de cette société était estimé à 24 millions d'euros en 2011.

M. Simon Sutour, président. - Ils travaillent effectivement dans le Sud de la France. On évalue leur nombre entre 2 000 et 3 000.

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À l'issue de ce débat, la commission a décidé de lever la réserve d'examen parlementaire sur le texte E 9313.